Chapitre 5. Naissance et petite enfance
p. 73-88
Texte intégral
1Les ex-voto relatifs à la naissance concernent un moment essentiel de la vie familiale, puisque dans la morale chrétienne la fonction première du couple est la procréation. L’accouchement, dans la société traditionnelle, est une épreuve attendue, répétée. Il a des résonnances symboliques autour de ce qui concerne la fertilité, la souffrance, la vie et la mort. « Car jamais la mère n’est plus en danger, l’enfant plus vulnérable, qu’au moment de mettre au monde. Les instants de la vie qui suscitent l’angoisse appellent le secours, la conjuration1 ». Les naissances s’accompagnent de leur cortège de décès : décès de la mère en couches, ou dans les jours qui suivent à cause des fièvres puerpérales, décès du nouveau-né qui ne résiste pas à un accouchement difficile, et mortalité infantile très forte, aux causes diverses, au cours des premiers mois. On comprend aisément que, lorsque les choses se présentaient mal, devant un danger aussi imminent, l’invocation du Ciel était fréquente, suivie de la remise d’un tableau au sanctuaire, si l’issue s’avérait heureuse.
2Parmi les recours célestes le plus souvent invoqués, deux mères ressortent : sainte Anne, la mère de Marie, et bien sûr cette dernière, la mère de Jésus. Bien que les situations de danger, et donc les motifs d’invocation, dans le temps de la naissance et de la toute petite enfance, soient nombreux et divers, l’image votive ne permet pas toujours d’en connaître la spécificité. La proportion de ce type de scène évolue peu dans le temps en Provence, et se situe autour d’une moyenne de 8 % du total des ex-voto.
3Sans doute par pudeur, la représentation de l’accouchement proprement dit demeure rare. La peinture sur bois remise à Saint-Jean de Garguier autour de 1700 en fournit un bel exemple (ph. 1). Sur un fond très sombre, on distingue, en haut et à gauche saint Jean-Baptiste tenant une bannière en forme de croix. À droite, la parturiente est assise sur le bord d’un lit à colonnes et courtines, vêtue d’une robe et d’un jupon. Elle est soutenue par deux femmes, positionnées derrière elle, mais c’est un homme, et non une matrone, qui extrait l’enfant. En effet, si de manière générale ce sont les sages-femmes qui à l’époque procèdent aux accouchements, quand celui-ci était trop long ou trop difficile, on faisait appel, souvent trop tard, au chirurgien. Ce dernier est représenté de dos, les manches retroussées, et l’on voit le nouveau-né qu’il vient de sortir de l’utérus de la mère. Les deux femmes qui soutiennent l’accouchée lèvent un bras au ciel pour célébrer la délivrance. Cette représentation est conforme à ce que l’on sait sur les accouchements difficiles, grâce aux rapports établis par des chirurgiens au xviiie siècle.

Ph. 1. Saint-Jean de Garguier à Gémenos. Bois, 25 x 33 cm.
4Par sa nature même, l’accouchement difficile avec fin heureuse, qui justifie que l’on fasse peindre un ex-voto, est l’événement qui est le moins montré sur les tableaux. On lui préfère généralement la représentation de l’instant d’après, celui de l’issue heureuse, c’est-à-dire de la mère avec son enfant. La mère est encore alitée, ce qui exprime bien que la naissance vient de se produire, et le nouveau-né est soit dans ses bras, soit à côté d’elle. Sur la toile remise à Notre-Dame du Glaive à Cabasse (ph. 2), face à la Pietà, la mère est assise dans le lit à colonnes, dont les courtines rouges sont attachées autour des montants, elle tient dans ses bras l’enfant, comme si elle le présentait au spectateur du tableau. Le nouveau-né est langé et ses membres sont prisonniers sous des bandelettes2 qui enserrent son corps. Seule émerge sa tête, couverte d’un bonnet.

Ph. 2. Notre-Dame du Glaive à Cabasse. Toile, 30 x 38 cm.
5Sur cet ex-voto de 1679, le nouveau-né n’est pas dans les bras de sa mère, mais au pied du lit dans son berceau (ph. 3). Cependant, la mère étant toujours alitée, on peut penser que le don votif est directement lié à l’accouchement. Le père est en prière au pied du lit, les mains jointes ; l’accouchée fait le même geste. C’est donc ici toute la famille qui rend grâce à celle dont l’intervention a permis cette fin heureuse. Il s’agit de sainte Anne, qui est représentée avec sa fille, Marie, qui elle-même tient l’enfant Jésus dans ses bras. De cette double maternité part un rayon lumineux qui atteint le berceau du nouveau-né. Une certaine solennité se dégage de ce tableau de belle taille, présenté au sein d’un cadre décoré de feuilles dorées : drapé des rideaux rouges du lit, ciel lourd d’où émergent les personnages célestes, parchemin déroulé sur lequel se lit l’inscription : « EX VOTO 1679 ».

Ph. 3. Cathédrale, chapelle Sainte-Anne à Apt. Toile, 43 x 60 cm.
6Si la représentation conjointe de la mère alitée et du nouveau-né laisse bien entendre qu’il s’agit d’un remerciement en suite de couches, il est plus difficile d’interpréter les tableaux qui montrent le couple présentant l’enfant à la Vierge, comme celui de Notre-Dame de Pitié en 1685 (ph. 4). La composition picturale de ce tableau reprend celle des ex-voto de simple action de grâces, très nombreux à la même époque3 : les personnages humains sont représentés agenouillés dans la partie droite du tableau, l’espace céleste, ici avec la Pietà, occupant la partie gauche. L’homme est dans l’attitude de prière traditionnelle, les mains jointes, dans lesquelles il tient un chapelet. Son épouse porte dans ses bras le nouveau-né. Aucun décor ne complète la scène humaine. On remarque que le nourrisson a tous les membres emmaillotés. Il n’est pas exclu que cet ex-voto ait été remis à la suite d’un accouchement difficile, la vie de l’enfant ayant été sauvée de justesse. Mais d’autres interprétations sont possibles. Peut-être s’agit-il d’une naissance longtemps attendue, après une période de stérilité. Il se peut aussi que les parents vouent l’enfant à la Vierge, pour le protéger, dès sa naissance, et dans ce cas nous aurions à faire à un ex-voto propitiatoire. Il se peut enfin qu’il s’agisse d’une action de grâce consécutive à une maladie du nourrisson. La pauvreté des indices fournis par l’image ne permet pas de trancher.

Ph. 4. Notre-Dame de Pitié à Roquebrune-sur-Argens. Bois, 21 x 27 cm.
7Près d’un siècle plus tard, en 1762, c’est un ex-voto de même nature qui est remis à Notre-Dame du Glaive à Cabasse (ph. 5). La représentation des personnages est très semblable à celle du tableau précédent. Le père est dans la l’attitude traditionnelle de prière, à genoux, mains jointes, et la mère, qui porte une coiffe blanche simple et un tablier sur sa robe, indiquant un milieu modeste, probablement paysan, tient l’enfant dans ses bras, en direction d’une Vierge seule, les bras écartés, qui occupe la moitié de l’espace pictural. Une brève mention écrite : « ex-voto 1762 » est mise en valeur par un fond blanc encadré de rouge.

Ph. 5. Notre-Dame du Glaive à Cabasse. Carton, 34 x 33 cm.
8Toujours au xviiie siècle, l’ex-voto remis en 1742 à Notre-Dame de Rochefort est d’un type beaucoup moins courant (ph. 6). En effet, l’essentiel de la composition de ce tableau de belles dimensions, est occupé par un seul personnage : une petite fille emmaillotée dans du linge fin, agrémenté de dentelles, joint les mains en signe de prière, tout en regardant le spectateur, comme sur un portrait. Elle est allongée sur de beaux coussins rouges, à parements dorés. À l’arrière-plan, une Vierge à l’enfant veille sur elle. Il est très rare, surtout à cette époque, qu’un enfant soit figuré seul, sans ses parents. L’inscription, peinte en lettres cursives, nous apprend que le tableau émane d’une famille noble, puisqu’il s’agit de Louise Thérèse Anne Gabrielle de Maupel. Elle porte quatre prénoms, ce qui est hors norme à l’époque, et ne se rencontre que dans les familles de la noblesse4. La légende nous apprend aussi qu’elle n’est âgée que de six mois ; cela est conforme à la façon dont elle est vêtue, mais ne correspond pas à la manière dont elle est représentée, notamment les mains jointes, ni les traits, qui sont ceux d’un enfant plus âgé. Bien que l’écrit soit relativement important, rien n’est précisé sur ce qui a motivé le don du tableau. À une époque, le milieu du xviiie siècle, où la noblesse s’écarte de la pratique votive, cet exemple montre qu’elle peut produire un ex-voto de nature exceptionnelle.

Ph. 6. Notre-Dame de Grâce à Rochefort. Toile, 54 x 65 cm.
9Au xixe siècle, on remarque sur les ex-voto de petite enfance le même type d’évolution que sur ceux de maladie : diversification des personnages et des attitudes, représentation plus précise du décor dans lequel se déroule la scène. Le tableau sur bois remis en 1814 à Notre-Dame de Miséricorde à Martigues nous fait pénétrer dans la chambre de l’accouchée (ph. 7). Celle-ci est dans un lit « à la duchesse », avec un ciel de lit ne surmontant que la tête du couchage, d’où tombent des rideaux qui peuvent isoler les dormeurs pour la nuit. À côté du lit, une table de nuit, sur laquelle est posé un bougeoir, une chaise paillée, et un berceau bas à bascule où se trouve le nouveau-né. Le reste de la famille, le père et six personnages féminins de plus petites dimensions, mais qui ne semblent pas être tous des enfants, sont agenouillés au-dessous de la Vierge, dans des attitudes de prière variées : mains jointes, bras levés, en pleurs mouchoir à la main, tête levée ou inclinée. Contrairement aux tableaux des siècles précédents qui montraient des personnages figés dans une attitude, la diversité que l’on voit ici évoque une scène vivante.

Ph. 7. Notre-Dame de Miséricorde à Martigues. Bois, 42 x 48 cm.
10Dans un bel appartement aixois, dont les deux grandes fenêtres donnent sur un jardin, l’accouchée est alitée dans une alcôve, tenant dans ses bras les jumeaux qu’elle vient de mettre au monde ce 2 janvier 1839 (ph. 8). Les naissances gémellaires augmentaient les risques d’accouchement difficile. Alors qu’une servante, portant châle et tablier, est assise à côté du lit, un homme vêtu d’une redingote qui doit être le père, debout au pied du lit joint les mains en signe de prière, et une femme, de dos, habillée d’une élégante robe sombre, probablement la mère de l’accouchée, écarte les bras en un geste de reconnaissance face à la Vierge à l’enfant représentée dans un grand tableau accroché au mur. Tout indique que nous sommes dans une famille aisée, de la bonne bourgeoisie, voire de l’aristocratie : la hauteur sous plafond, caractéristique des hôtels particuliers aixois, les riches rideaux aux fenêtres, la belle chaise que l’on aperçoit à gauche, les vêtements portés par l’homme et la femme. Le choix du peintre (ou des donateurs) de ne pas introduire dans ce bel intérieur, précisément figuré, la présence trop irrationnelle d’une Vierge apparaissant dans des nuages, le conduit à intégrer la présence mariale par le biais d’une représentation en abîme, un tableau dans le tableau.

Ph. 8. Église paroissiale de la Madeleine à Aix-en-Provence. Toile, 32 x 40 cm.
11Quelques années plus tard, le 2 février 1848, trois semaines avant la chute de Louis-Philippe, c’est aussi d’un milieu de bonne bourgeoisie, mais lyonnaise cette fois, qu’émane le vœu rendu par Madame Vourloud (ph. 9). Le tableau, signé par un peintre lyonnais, Soldini, a toutefois été déposé dans un sanctuaire provençal, celui de la Garoupe au Cap d’Antibes. Dans une chambre cossue, la mère est allongée dans un lit bas en bois, surmonté à sa tête d’un ciel de lit ouvragé d’où tombent de grandes tentures bleues. L’enfant est à ses côtés, dans un berceau suspendu, en métal, surmonté d’une potence qui supporte un rideau blanc, bordé de bleu. Au pied du berceau on remarque une descente de lit sur le sol carrelé. Le mobilier se compose aussi d’une banquette en bois à l’assise et au dossier en tissus bleu et blanc. Les murs sont également tapissés de bleu. Dans cette symphonie de bleu et blanc, le napperon de la table de nuit apporte une note rouge. Le père, vêtu d’un costume sombre, est agenouillé à côté du lit, les mains jointes. La Vierge à l’enfant, portant robe blanche et voile bleu, apparaît au milieu de nuages bleutés.

Ph. 9. Notre-Dame de Bon Port à Antibes. Papier, 27 x 33 cm.
12C’est dans un milieu plus modeste que se situe la famille Arnassan qui remet un ex-voto à Notre-Dame de Rochefort le 8 août 1853 (ph. 10). Bien que le berceau soit représenté à côté du lit, le nouveau-né est allongé près de sa mère, dans le grand lit. Le père, qui porte chemise blanche et gilet sombre, est agenouillé à côté du lit dans l’attitude de prière traditionnelle. Il est tourné vers la Vierge et l’enfant Jésus, tous deux couronnés, qui apparaissent dans les nuages. Ici aussi, la Vierge porte une robe blanche et un voile bleu. Le lien entre protectrice et protégés est doublement marqué, par une convergence des regards entre l’orant et la Vierge, et par un geste de Marie en direction de l’accouchée.

Ph. 10. Notre-Dame de Grâce à Rochefort. Toile, 37 x 46 cm.
13 Nous voilà dans un intérieur urbain de la petite bourgeoisie, sous le Second Empire : un lourd lit en bois, surmonté de rideaux blancs, une commode de belles dimensions au-dessus de laquelle est suspendu un beau miroir, deux fauteuils en bois à l’assise en tissu, des rideaux à la fenêtre, un repose-pied, une descente de lit (ph. 11). Allongée dans son lit, les mains jointes, Louise Galleuil, épouse Isnard, « sauvée miraculeusement à la suite de couches », remercie la Vierge, en l’année 1857. Dans le berceau suspendu placé à côté du lit, on voit le fruit du travail de la mère : deux jumeaux, totalement nus, qui semblent déjà jouer ensemble. Assise sur son coussin de nuages, Marie est représentée en mère : elle regarde son fils, lui aussi nu, qu’elle tient dans ses bras et c’est Jésus qui fait un geste protecteur de la main droite en direction de l’accouchée. Ce tableau votif établit un jeu de miroir mère-enfant entre protectrice et protégée.

Ph. 11. Notre-Dame de Consolation à Hyères. Toile, 40 x 50 cm.
14Pour réaliser le tableau votif qu’elle dépose en 1880 au sanctuaire de Notre-Dame des Anges de Banon, la famille Latil fait appel à un peintre de Marseille, ville pourtant distante de près d’une centaine de kilomètres. Mais Jules Roméo est un peintre d’ex-voto connu et expérimenté (ph. 12). Il ne ménage d’ailleurs pas sa peine, et donne une représentation très soignée et précise, que ce soit pour l’espace céleste ou pour la scène humaine. Entourée de nuages, dans une trouée de lumière, c’est bien une Notre-Dame des Anges qui apparaît : La Vierge vêtue d’une robe rouge et d’une étole bleue, portant une coiffe blanche, ouvre largement ses bras en signe d’accueil ; à ses pieds deux anges ailés lèvent la main vers elle, alors que dans les nuages vole une myriade d’angelots. La scène humaine est, elle aussi, montrée avec précision. L’accouchée est allongée dans son lit, son enfant, dans un berceau bas à bascule, à côté d’elle. À son chevet, son mari, ainsi qu’une femme. Les autres personnages, tournés vers l’espace céleste ont un geste de prière ou d’invocation ; ce sont deux hommes, dont l’un, à la moustache et aux cheveux gris, doit être le grand-père du nouveau-né, et l’autre, semble-t-il un prêtre en soutane, et trois femmes dont deux portent le tablier et la coiffe blanche. Le mobilier de cette chambre se compose d’un lit en bois, sans rideaux, du berceau, de chaises paillées, d’une commode, d’une table de nuit et de petites gravures et de tableaux encadrés aux murs ; au-dessus de la tête de lit est accroché le petit crucifix-bénitier que l’on rencontre alors dans nombre de chambres provençales. Ainsi, la représentation très détaillée de la scène humaine ne se fait pas aux dépens de la figuration céleste, adaptée à la titulature du sanctuaire.

Ph. 12. Notre-Dame des Anges à Banon. Toile, 36 x 45 cm.
15Comme au siècle précédent, on trouve aussi des ex-voto de petite enfance centrés sur la personne du nouveau-né et non du couple mère-enfant. C’est le cas du tableau déposé en 1856 à Notre-Dame de Lumières, où l’espace céleste nous montre la Vierge couronnée, avec l’enfant, telle qu’était la statue du sanctuaire (ph. 13). La scène humaine nous fait pénétrer dans un intérieur provençal de petite bourgeoisie. Au sol des tomettes, petits carreaux hexagonaux de couleur brique ; les murs sont peints ou tapissés en vert pâle, avec un galon en forme de frise à la jointure du plafond, motif repris au bas du mur, au-dessus d’une bande foncée qui fait office de plinthe. Le lit parental est placé dans une alcôve que ferment des rideaux blancs suspendus par des anneaux à une tringle en cuivre. Le mobilier visible se limite à une commode en bois surmontée d’une plaque en marbre et de chaises paillées ; au mur, un petit tableau encadré. Le nouveau-né est allongé dans un berceau haut à bascule, en bois, sur lequel est posée une couverture blanche ; on n’aperçoit que son visage qui émerge d’un bonnet blanc. Les parents sont agenouillés à côté du berceau, priant en direction de la Vierge : l’homme, qui porte chemise, veste et cravate, tête droite, la femme, vêtue d’une robe noire et d’une coiffe blanche, tête baissée, une main sur le visage. Derrière le couple, une femme, parente ou servante, vêtue d’une robe grise et d’un tablier sombre, coiffée d’un chignon, se tient debout, mains jointes. Les attitudes, où transparaît l’inquiétude, semblent indiquer que l’ex-voto est relatif à une maladie de l’enfant.

Ph. 13. Notre-Dame de Lumières à Goult. Toile, 24 x 30 cm.
16Aucun doute n’est possible concernant le motif de l’ex-voto de Noël Fabre déposé en 1883 à Notre-Dame du Fenouillet de La Crau, dans le Var (ph. 14). Le nourrisson, âgé de deux mois, est malade. Il est dans son berceau, entouré de deux femmes. L’une, probablement sa mère, est assise par terre, penchée vers lui, l’autre, qui porte une coiffe blanche, est assise sur une chaise et tient un mouchoir à la main. Le père, vêtu bourgeoisement, implore un autre homme, barbu, qui tient son chapeau à la main, et indique par là qu’il est en visite : c’est le médecin. Dans cette vaste pièce où l’on voit une table, une chaise, et à droite un grand meuble qui occupe tout le mur, brûle un bon feu, car nous sommes en plein hiver. Au-dessus de la cheminée des éléments de décor indiquent qu’il s’agit d’un intérieur bourgeois : un grand miroir, une pendule, deux beaux vases en faïence. Toute l’attention du peintre est portée sur la représentation de la scène humaine ; l’espace céleste est réduit, placé au-dessus du berceau, comme une protection immanente. Enfin des indices laissent à penser que le jeune Fabre est né le jour de Noël : la scène se passe le 25 février, il est précisé qu’il est âgé de deux mois, et il se prénomme Noël.

Ph. 14. Notre-Dame du Fenouillet de La Crau. Carton, 30 x 46 cm.
17Bien différente de celle des précédents tableaux est l’iconographie de l’ex-voto déposé en 1861 à Notre-Dame des Doms, en Avignon (ph. 15). Ici l’espace céleste occupe l’essentiel de la toile : une vierge à l’enfant, assise sur un nuage, vêtue d’une robe rouge et d’un manteau bleu tient dans ses bras un enfant Jésus au torse dénudé. Leurs regards se penchent vers un nouveau-né dans un berceau en bois. Au pied du berceau, la mère agenouillée, les mains jointes, lève la tête vers Marie. Elle porte une coiffe blanche, une robe marron et un grand châle sur les épaules. La peinture est de bonne facture comme en atteste le drapé de la robe ou celui de la couverture sur le berceau, mais le peintre ne s’attarde pas à peindre les détails de la scène humaine, dont l’environnement ne nous est pas montré : il concentre toute son attention sur le geste d’action de grâce, et sur la représentation de la Vierge, derrière laquelle se profilent deux angelots.

Ph. 15. Notre-Dame des Doms à Avignon. Toile, 46 x 38 cm.
18 L’ex-voto de Marius Requin porte la date du 15 mai 1868 (ph. 16). La scène humaine nous fait pénétrer dans une chapelle, sans doute celle où a été remis le tableau, Notre-Dame de Paracol. Le nouveau-né, emmailloté dans ses langes, est déposé sur le soubassement de l’autel de la Vierge. À ses côtés, ses parents, vêtus comme des paysans de l’époque : le père a un genou à terre et les bras levés, la mère est agenouillée et montre l’enfant de sa main gauche ; une autre jeune femme, probablement une tante ou une sœur aînée du nourrisson, est en prière, les mains jointes. Sur l’autel, à la place où se trouve normalement la statue de la Vierge, celle-ci est représentée dans des nuées, sur un fond lumineux ; elle se penche vers l’enfant et tend vers lui une main secourable, d’où part un rai de lumière qui vient apporter la protection mariale au petit enfant. La cause exacte de ce don votif n’est précisée ni par l’iconographie, ni par la mention écrite : l’enfant était-il malade, ou bien les parents le portent-ils au pied de l’autel en remerciement d’une naissance longtemps attendue ? Ou bien encore est-ce une démarche pour vouer l’enfant à Marie ?

Ph. 16. Notre-Dame de Paracol au Val. Carton, 39 x 50 cm.
19Tout aussi ambigüe est la signification de l’ex-voto déposé à Notre-Dame de Valcluse, près de Grasse, en 1891 (ph. 17). Tout décor est absent du tableau, à l’exception du lit du bébé. La mère, qui porte une longue robe bleue, est représentée de profil ; elle est tête nue et une boucle orne son oreille ; elle a un genou à terre et tient le petit enfant dans ses bras. Derrière elle, le père en chemise, cravate et veston, qui arbore une belle moustache, est debout, les jambes écartées, le visage tourné vers la Vierge à l’enfant qui apparaît dans un halo lumineux. Jésus fait un geste de la main en signe de sollicitude. Mise en valeur dans une banderole déployée, l’inscription dédicatoire dit simplement « Amour et reconnaissance ».

Ph. 17. Notre-Dame de Valcluse. Bois, 31 x 25 cm.
20Si le tableau précédent, de la fin du xixe siècle, s’écarte déjà quelque peu du modèle jusqu’alors dominant, celui remis quelques années plus tard dans le même sanctuaire et signé E. Henry, s’éloigne encore plus de l’iconographie votive traditionnelle (ph. 18). En effet la représentation du personnage céleste est ici absente, de même que la dédicace. S’il n’était placé dans le sanctuaire au milieu des autres ex-voto, on ne pourrait déceler la fonction votive de ce tableau. Sur un fond bleuté où l’on distingue un lit d’enfant, se détache l’image d’une mère assise dans un fauteuil et tenant dans ses bras le nourrisson qu’elle pouponne. Image de l’amour maternel plutôt que témoignage d’une dévotion, cet exemple montre la profonde évolution du contenu dans ce qui subsiste d’images votives au xxe siècle. Les peintres spécialisés en ex-voto ayant disparu avec la baisse de la pratique, les codes iconographiques qui régissaient l’image votive sont oubliés ou volontairement transgressés.

Ph. 18. Notre-Dame de Valcluse. Papier, 32 x 23 cm.
21Les ex-voto de maladie et de petite enfance ont fait de la chambre du malade ou de l’accouchée le lieu de la scène humaine le plus souvent représenté sur les tableaux votifs. À peine suggérée au xviie siècle, par la présence d’un lit à courtine, la chambre prend au fil du temps des contours de plus en plus précis et nous est montrée dans ses détails d’ameublement et de décoration. Au xixe siècle, le médecin et le prêtre, secours médical et recours spirituel, se joignent parfois à la famille réunie autour du malade ou de l’accouchée.
22Les autres dangers de la vie d’autrefois vont nous permettre de pénétrer dans d’autres lieux, et de sortir de la maison.
Notes de bas de page
1 Mireille Laget, Naissances. L’accouchement avant l’âge de la clinique, Paris, Le Seuil, 1982, p. 17.
2 « L’emmaillotage lui-même n’a pas que la justification du froid, mais aussi celle du maintien. Il s’agit de rectifier la position fœtale par un enveloppement qui maintiendra l’enfant dans une position droite garante, d’après les nourrices et les gardes, de sa bonne tenue et de sa facilité à marcher droit plus tard. Les jambes sont entourées de toiles fines, puis on entoure le corps d’un drap plus grossier, et l’on maintient le tout avec des bandelettes qui peuvent être plus ou moins astreignantes, selon qu’elles enserrent ou non les bras, les épaules, le cou ». Mireille Laget, Naissances. L’accouchement avant l’âge de la clinique, op. cit., p. 190.
3 Voir chapitre 3.
4 Bernard Cousin, « Prénommer en Provence xvie-xixe siècle », Provence Historique, avril-juin 2003, p. 193-224.
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