Chapitre 4. Gisant au lit, malade
p. 49-72
Texte intégral
1La maladie est, de loin, la scène humaine le plus souvent représentée sur les ex-voto peints provençaux : elle concerne plus de 30 % des tableaux. Elle est aussi celle qui s’impose le plus régulièrement dans le temps : son importance ne varie guère du xviie au xixe siècle ; seuls les ex-voto tardifs, du xxe siècle, marquent un recul. C’est aussi celle dont l’iconographie paraît la plus stéréotypée : un(e) malade alité(e), souvent entouré(e) de ses proches. Le tableau est remis au sanctuaire une fois la guérison obtenue, mais la peinture représente le moment du danger vécu, c’est-à-dire celui de la maladie, qui est aussi celui de l’invocation d’un protecteur céleste. Le personnage principal, celui pour lequel l’ex-voto a été remis, est généralement représenté « gisant au lit, malade », selon l’expression employée par les notaires dans les testaments, sous l’Ancien Régime. L’ampleur de l’entourage varie, ainsi que ses attitudes.
2Le tableau remis à Notre-Dame de Lumières en 1668 est caractéristique des ex-voto de maladie du xviie siècle (ph. 1). Le malade, un homme, est alité dans un grand lit à tentures, nouées en position ouverte, avec matelas, oreiller, drap blanc et couvertures : nous sommes visiblement dans un milieu aisé. Il porte une chemise blanche et un bonnet rouge. Au pied du lit, tournées vers le personnage céleste, en l’occurrence la Pietà, une femme et une fillette sont agenouillées en prière, les mains jointes. Ce sont probablement la femme et la fille du malade, qui invoquent Marie pour sa guérison. Mais le malade lui-même participe à la scène : allongé, mais en position légèrement assise, il joint ses mains dans le même geste de prière que son épouse.

Ph. 1. Notre-Dame de Lumières à Goult. Toile, 31 x 40 cm.
3Sur le tableau, sans doute légèrement postérieur, remis à Notre-Dame de Rochefort, la malade est représentée sans entourage (ph. 2). Elle aussi est allongée dans un grand lit à colonnes et à courtines de couleur verte, qui se détache sur un fond sombre. Celles-ci sont roulées autour des montants qui soutiennent un vaste ciel de lit. Les pieds du lit sont ouvragés, ainsi que les quenouilles qui prolongent les colonnes, indiquant, ici également, un milieu aisé. La malade, les mains jointes, fait face à la Vierge à l’enfant, placée, entourée de nuées, dans le coin supérieur gauche du tableau. L’intervention secourable de Marie est soulignée par quelques traits lumineux qui prolongent le geste de sa main en direction de l’alitée. Au-dessous du personnage céleste une large inscription en noir sur fond de bandeau blanc proclame : « votum fecit gratiam recepit », elle fit le vœu, elle reçut la grâce.

Ph. 2. Notre-Dame de Grâce à Rochefort, Bois, 29 x 40 cm.
4C’est aussi une ambiance très recueillie qui se dégage de l’ex-voto remis probablement au début du xviiie siècle à la chapelle Notre-Dame de Pitié (ph. 3). Pour seul décor, un grand lit à colonnes et courtines, vertes ici aussi, dans lequel un homme est couché, avec un bonnet de nuit blanc. Au pied du lit, trois personnages, que l’on peut probablement identifier comme sa femme et ses deux filles. Elles sont agenouillées, les mains jointes, dans l’attitude traditionnelle de prière recommandée par l’Église, et tournées vers l’espace céleste. La mère lève les yeux dans cette direction, comme si elle pouvait apercevoir, au milieu des nuages, éclairée par une lumière qui descend du ciel, la Pietà, Vierge de pitié qui est la patronne du sanctuaire.

Ph. 3. Notre-Dame de Pitié à Roquebrune-sur-Argens. Bois, 20 x 41 cm.
5 C’est encore une ambiance emplie de dévotion que traduit l’ex-voto remis en 1744 à Notre-Dame des Anges, à Cadenet (ph. 4). Dans le lit à colonnes, surmonté d’un ciel de lit cerné de tentures de couleur claire, comme les courtines, une jeune femme est alitée, avec un bonnet en forme de coiffe : elle a les mains jointes en signe de prière. Au pied du lit, se faisant face, un couple. L’homme et la femme ont la même attitude : agenouillés, les yeux levés vers le ciel, la main gauche sur la poitrine, alors que leur main droite tient un grand cierge allumé. Dans les nuées, la Vierge est représentée dans la scène de l’Annonciation : Marie est agenouillée sur un prie-Dieu, et l’archange Gabriel, tenant un lys de la main gauche lui montre de sa main droite la lumière céleste1.

Ph. 4. Notre-Dame des Anges à Cadenet. Toile, 33 x 43 cm.
6Le tableau votif remis en 1782 à Notre-Dame du Glaive à Cabasse nous plonge dans un environnement totalement féminin (ph. 5). Dans le grand lit à colonnes et courtines nous apercevons une femme allongée, Thérèse Sicié Féraude ; un drap blanc et une couverture bistre la recouvrent jusqu’au cou, seule émerge appuyée sur un coussin, sa tête portant la coiffe de nuit. Au pied du lit une autre femme est agenouillée ; elle tient dans les mains un chapelet qu’elle égrène en récitant ses Ave Maria. Elle est vêtue d’une robe bleue portée sur une chemise blanche aux poignets retroussés. Sa tête est couverte d’une coiffe à tuyaux et un petit collier noir orne son cou. Sur le devant, un large tablier beige protège sa robe. La gauche de la composition est occupée par une guirlande de nuages, d’où émerge, sur fond de lumière, une Vierge couronnée dont les pieds reposent sur des têtes d’anges.

Ph. 5. Notre-Dame du Glaive à Cabasse. Carton, 22 x 31 cm.
7Deux ans plus tard, en 1784, c’est à Lorgues qu’est remis un ex-voto dédié à saint Ferréol, qui présente bien des parentés avec le précédent (ph. 6). Tout laisse à penser qu’il est du même peintre : même support, le carton, même format, même trait, même gamme de couleurs. Par ailleurs, les villages de Cabasse et de Lorgues ne sont distants que de quelques kilomètres, situés de part et d’autre de la vallée de l’Argens. Il s’agit encore d’un ex-voto féminin, dédié cette fois à un saint localement vénéré, Ferréol, représenté avec sa palme de martyr. Si l’aspect d’ensemble du tableau est conforme au modèle traditionnel, quelques détails dans le décor, comme dans les gestes sont porteurs de mutations. Le lit où repose la malade, n’est pas un lit à colonnes, mais un lit bas dont on voit bien les pieds en bois. Il est surmonté d’un ciel de lit suspendu au plafond et d’où tombent des tentures. Le sol sur lequel repose le lit est carrelé. Les gestes des personnages sont moins stéréotypés : la malade est presque assise dans son lit, un bras au-dessus du drap, l’orante2, de son côté, a les bras croisés sur la poitrine, délaissant l’attitude de prière habituelle, celle des mains jointes.

Ph. 6. Chapelle Saint-Ferréol à Lorgues, carton, 22 x 31 cm.
8L’ex-voto déposé à Notre-Dame des Anges à Pignans en 1790 reste très traditionnel dans sa composition : une femme alitée dans un lit à colonnes et tentures bleues ; au pied du lit, un homme et une enfant, agenouillés, en prière, les mains jointes (ph. 7). Dans sa guirlande de nuages, la Vierge est elle aussi en prière. Cependant ce tableau se distingue par une facture naïve, traduisant la maladresse du peintre qui maîtrise mal la perspective et les proportions : cela donne des tentures curieusement inclinées s’il s’agit d’un lit à colonnes, mais surtout, la tête de la malade est disproportionnée par rapport au reste de la composition ; on remarquera cependant qu’elle est de la même taille que celle de Marie : or il s’agit bien des deux personnages principaux du tableau votif, la protectrice et la protégée.

Ph. 7. Notre-Dame des Anges à Pignans. Bois, 24 x 31 cm.
9Au xixe siècle, l’ex-voto pour maladie évolue profondément. Certes ce n’est ni la nature de la démarche votive, ni la structure de l’image, qui changent, mais dans ce cadre maintenu, combien de nouveautés ! L’image se fait précise, apportant des détails absents jusque-là. Ainsi les peintres ne se contentent plus de représenter simplement un lit, mais nous font pénétrer dans la chambre du malade, dont on entrevoit le sol, les murs, les meubles, voire les objets qui s’y trouvent3. L’entourage du malade aussi s’étoffe, les rôles se diversifient, notamment entre hommes et femmes, les premiers le plus souvent dans l’assistance au malade, les secondes dans la prière d’invocation. En conséquence, la gestuelle des uns et des autres évolue. La scène prend vie.
10Le tableau remis en 1810 à Notre-Dame la Brune apparaît comme une transition (ph. 8). Des ex-voto du siècle précédent, il conserve la disposition d’ensemble : d’un côté un malade gisant dans un lit à colonnes et courtines, de l’autre, agenouillés en prière, les mains jointes, et tournés vers la Vierge à l’enfant trois personnages, un homme et deux femmes. Mais la représentation de la chambre du malade est beaucoup plus détaillée qu’auparavant : au sol on distingue le carrelage, au mur, un miroir, une image pieuse et un petit crucifix-bénitier. Outre le lit, la chambre est meublée de trois chaises en paille et d’une table basse recouverte d’un napperon. Enfin, à côté du lit où le malade repose, les yeux fermés, se tient un prêtre, un livre dans une main, un crucifix dans l’autre.

Ph. 8. Notre-Dame la Brune à Mazan. Carton, 38 x 47 cm.
11Dix ans plus tard, l’ex-voto déposé par Jean Soustelle à Notre-Dame de Rochefort annonce vraiment les mutations du xixe siècle (ph. 9). Le jeune homme est alité, depuis 16 mois précise la légende, dans un lit bas, dont on aperçoit la tête de lit en bois, et qui est surmonté d’un petit ciel de lit d’où tombent de grands rideaux. Nous sommes dans un intérieur bourgeois : une large fenêtre, sur la gauche, éclaire la chambre où l’on distingue d’autres meubles : un fauteuil, un tabouret, une table recouverte d’une nappe blanche sur laquelle sont posés une assiette creuse avec une cuillère, un broc d’eau, et une fiole contenant sans doute une potion. L’entourage du malade est nombreux : quatre femmes et deux hommes. Deux femmes prient les mains jointes, les deux autres ont une attitude qui traduit autant le désespoir que le recueillement : l’une essuie des pleurs, l’autre se cache le visage dans les mains. L’homme qui est au pied du lit a un genou à terre et les bras croisés sur sa poitrine : attitude d’invocation, mais point geste traditionnel de prière ; l’autre, assis à côté de la tête du lit a les bras écartés en signe d’impuissance. À la différence des autres protagonistes, il tourne le dos à la Vierge à l’enfant, qui ne fait pas irruption dans la pièce comme une apparition au milieu de nuages, mais qui s’intègre, de manière réaliste, au décor, dans un grand tableau apposé au mur.

Ph. 9. Notre-Dame de Grâce à Rochefort. Toile, 48 x 69 cm.
12En 1837, Françoise Auran, une jeune fille de Caromb, dans le Vaucluse, est gravement malade (ph. 10). Elle est couchée dans un lit à une place, avec tête et pied de lit en bois, sans rideaux. À côté d’elle, une simple table de nuit, recouverte d’un napperon rouge, sur laquelle est posée une assiette. Sa tête repose sur un traversin, elle semble particulièrement éprouvée. Au pied du lit, deux femmes, probablement sa mère et une parente, sont agenouillées en prière. Dans ce tableau féminin, une seule présence masculine, celle d’un prêtre au chevet de la malade ; il semble lui donner une bénédiction. En effet, surtout à partir du xixe siècle, le prêtre trouve sa place sur l’ex-voto, non pas en tant que donateur, mais dans l’entourage du malade. Sa présence renforce le caractère dévot du tableau, mais marque aussi le lien entre la religion officielle incarnée par le clerc, et la pratique personnelle que constitue le don votif. Enfin, la présence du prêtre auprès du malade est aussi un moyen de souligner la gravité de la situation, le dernier secours.

Ph. 10. Notre-Dame du Paty à Caromb. Carton 25 x 33 cm.
13Une vingtaine d’années plus tard, à La Celle, dans le Var, c’est encore la maladie d’une jeune fille, Louise Féraud, qui nous vaut cet ex-voto (ph. 11). Autour de son lit, émergeant des rideaux d’une alcôve, l’entourage est nombreux, mais l’on remarque surtout le prêtre en surplis qui semble relayer le geste de la malade, en la recommandant à la Vierge, vers laquelle il tend le bras droit. On note le souci du peintre de représenter chaque personnage dans une attitude différente, illustrant les diverses postures que l’on peut adopter au chevet d’un malade. En dehors du prêtre, les deux autres hommes semblent les plus passifs : assis auprès du lit, l’un regarde la malade, l’autre vers le ciel. Au contraire les rôles féminins sont bien distribués : assise à côté du lit, une femme tient la main gauche de la jeune alitée ; à côté d’elle, une autre est agenouillée, les mains jointes dans l’attitude de prière traditionnelle ; une troisième, elle aussi à genoux, tient dans les mains un livre de prière ; enfin, au pied du lit, une quatrième est en larmes, un mouchoir sur le visage. La composition donne l’image d’une famille faisant corps dans le malheur. En haut à gauche du tableau, l’espace céleste occupe une large place : apparaissant sur un fond lumineux dans cette chambre sombre, qu’elle éclaire au propre comme au figuré, la Vierge, qui tend la main vers la malade, incarne le recours espéré.

Ph. 11. Église paroissiale de La Celle. Toile, 45 x 55 cm.
14Toujours dans le Var et au milieu du xixe siècle, c’est encore au chevet d’une jeune fille, Ernestine Gurit, gravement malade, que se situe cette scène (ph. 12). Allongée dans son lit placé dans une alcôve, les yeux fermés, elle est assistée par deux religieuses. Malgré le rôle soignant que certaines occupaient, leur présence sur l’ex-voto est beaucoup plus rare que celle des prêtres. Elles peuvent aussi représenter un secours spirituel. Il est difficile de trancher entre ces deux fonctions, concernant ce tableau de facture assez rudimentaire, qui par ailleurs représente la mère, agenouillée, les bras levés vers sainte Christine, couronnée mais sans sa palme de martyr, qui apparaît dans les nuages. Aucune présence masculine sur cet ex-voto.

Ph. 12. Sainte-Christine à Cuers. Toile, 35 x 43cm.
15 La présence cléricale prend un tour particulier sur ce tableau de 1848 (ph. 13). Le malade, il s’agit cette fois d’un jeune homme, est allongé dans un lit simple en bois, il tient à la main une image de la Vierge. Son ange gardien, figure assez rare sur l’ex-voto, l’assiste, posant sa main droite sur son épaule, alors que de la gauche il lui montre le ciel. Mais l’originalité de la composition réside dans le second plan, où, sans d’ailleurs qu’il y ait discontinuité au niveau du sol, la chambre du malade se prolonge en une église où un prêtre est en train de dire la messe, au pied d’une grande statue de la Vierge. Il est assisté par un enfant de chœur, alors qu’une femme est agenouillée, un missel à la main, sans doute la mère du malade. Ce tableau constitue un des rares exemples d’ex-voto où le réalisme cède la place une représentation allégorique.

Ph. 13. Notre-Dame de Grâce à Rochefort. Toile, 46 x 38 cm.
16Si certains sont très entourés lors de leur maladie, d’autres semblent bien seuls. Ainsi l’ex-voto de Françoise Sophie Bonnefoy, de Hyères, la montre alitée, mais habillée, seule dans sa chambre, où à côté du lit on ne voit qu’une table basse avec un petit pot et une tasse (ph. 14). Vivait-elle seule, était-elle veuve et sans enfant, ou bien est-ce un choix de sa part, ou du peintre du tableau de ne montrer qu’elle ? On ne peut malheureusement répondre à la question4. Toujours-est-il qu’elle ouvre les bras pour invoquer Marie, qui, secourable, tend sa main vers elle.

Ph. 14. Notre-Dame de Consolation à Hyères. Bois, 30 x 45 cm.
17En août 1875, autour de la jeune femme alitée dans un lit placé dans une alcôve, on voit un homme et une femme, sans doute ses parents (ph. 15). Mais les attitudes de l’un et de l’autre sont très différentes. L’homme est à côté du lit, assistant la malade, dont il tient le bras. La femme est agenouillée au pied du lit, invoquant Quinis, le saint évêque qui apparaît dans l’espace céleste. Au mur, un petit crucifix ajoute une note pieuse à cette chambre. La différence des rôles masculins et féminins autour du lit du malade s’accentue au fil du siècle.

Ph. 15. Saint-Quinis à Camps. Carton, 45 x 55 cm.
18Une des raisons, mais non la seule, qui participe à cette différenciation des rôles masculins et féminins, est la présence, de plus en plus fréquente, du médecin sur les ex-voto de maladie au xixe siècle. Sur celui de Claire Imbert, qui date probablement de la période de la Monarchie de Juillet, la jeune femme est couchée dans un lit en bois monté sur des roulettes (ph. 16). Nous sommes dans un intérieur bourgeois, comme en témoignent les rideaux et double-rideaux aux fenêtres, dont les volets sont fermés. Le sol est en carreaux blancs et gris. Dans la belle cheminée en marbre, le feu est allumé. Outre le lit et deux chaises en paille, mais au dossier ouvragé, le mobilier comprend une commode en bois à dessus de marbre. Au mur, il y a un grand miroir, et un tableau de la Vierge sur le manteau de la cheminée. Un homme prend le pouls de la malade, c’est le médecin reconnaissable à son habit et à son chapeau haut-de-forme. Une femme est agenouillée en prière, alors qu’une autre apporte une boisson chaude dans un bol à la malade.

Ph. 16. Notre-Dame de Consolation à Hyères. Papier, 35 x 45 cm.
19L’ex-voto de Hte Giraud, en 1849 se situe dans la même ville de Hyères (ph. 17). Dans cet appartement, on retrouve la cheminée en marbre, avec le miroir. Au mur, du papier peint et quelques sous-verre. L’intérieur semble un peu plus modeste que dans le tableau précédent : un lit en bois, surmonté de rideaux qui partent du plafond, une table, deux chaises en paille, une crédence. Au-dessus de la cheminée, un crucifix, et deux figurines sous cloche de verre, probablement des santibellis5. Au chevet du malade, un homme, sans-doute le médecin. Les autres personnages ont des attitudes figées. Une femme est agenouillée en prière, et plus rare, une fillette fait face au spectateur. Malgré l’habileté assez relative du peintre, B. Michel, qui maîtrise mal la perspective, la scène humaine est représentée avec précision. En haut à gauche du tableau, une Vierge émerge des nuées, des rayons lumineux partent de ses mains, signifiant la puissance de son intervention.

Ph. 17. Notre-Dame de Consolation à Hyères. Toile, 46 x 55 cm.
20Dans un village de l’intérieur varois, Le Val, en 1876, un jeune homme, Hypolite Ventre, est au plus mal (ph. 18). Il gît, les yeux clos, dans un lit placé dans une alcôve. Un médecin est à son chevet et lui prend le pouls. À côté, une femme semble expliquer la situation du malade à un autre homme, chapeau à la main, qui vient d’arriver dans la chambre. C’est probablement un deuxième médecin que l’on est allé quérir. Il était en effet fréquent que dans les cas désespérés le médecin traitant fasse appel à un confrère, qui pouvait venir de la ville. Une fiole et une tasse sont posées sur une table de nuit. Tous les autres personnages, quatre femmes et un homme, invoquent la Vierge, mais leurs attitudes sont différentes, seules deux des femmes sont dans la posture traditionnelle à genoux, mains jointes. Toutes les femmes sont vêtues d’une robe sombre, sur laquelle elles portent un tablier et un châle, dont les couleurs varient. Chacune a la tête couverte d’une coiffe blanche nouée sous le menton. C’est le vêtement habituel des villageoises sur les ex-voto à cette période.

Ph. 18. Notre-Dame de Paracol au Val. Carton, 46 x 57 cm.
21Quelques années plus tard, le 15 août 1881, un autre jeune homme, Casius Arnaud, est lui aussi gravement malade (ph. 19). Comme Hypolite Ventre, il est allongé dans un lit placé dans une alcôve aux tentures blanches, les yeux clos. La scène est représentée en plan plus serré, avec un trait précis, les personnages sont moins nombreux, mais les détails sont bien visibles. Sur la table de nuit en bois recouverte de marbre, très fréquente en Provence à cette époque, on distingue nettement un bol et un flacon de médicament, avec une étiquette sur le verre. Au fond de l’alcôve, la mère, qui porte un châle sur les épaules et une coiffe blanche, a l’air abattue. À droite, le père, vêtu comme un paysan endimanché a la tête penchée et le regard triste. Au centre de l’image, le médecin prend le pouls du malade. Il arbore barbe et moustache, et se distingue par son vêtement : redingote noire portée sur un gilet gris d’où sort une chaîne de montre gousset. Aux pieds il a des chaussures de ville en cuir noir. Son chapeau haut-de-forme est posé sur un guéridon recouvert d’un napperon vert. Les divers protagonistes de la scène sont tournés vers le spectateur du tableau, mais seul le père semble le regarder, pour lui faire partager son abattement. Complètement étrangère au reste de la composition, le jour où l’Église fête son Assomption, la Vierge à l’enfant, dans un petit médaillon lumineux dans le coin haut et droit du tableau, apporte, de loin, sa protection au malade.

Ph. 19. Notre-Dame de Consolation à Hyères. Bois, 34 x 44 cm.
22C’est généralement dans la chambre que nous introduit l’ex-voto de maladie. Beaucoup plus rare est la représentation d’un lieu public et collectif de l’accueil des malades : l’hôpital. Celui-ci a en effet pendant longtemps été réservé aux pauvres nécessiteux, et s’apparentait plus à un mouroir qu’à un lieu de soin et de possible guérison. Il n’est pas étonnant que ce soit en milieu urbain, ici Marseille en 1864, que l’on en ait quelques représentations (ph. 20). Dans ce vaste dortoir aux murs nus éclairés par de hautes fenêtres, les lits en fer sont alignés les uns à côté des autres. Seul celui du premier plan est peint avec précision, c’est celui où se trouve le donateur, M. Garnier, qui porte un gros pansement à la main droite. À côté du lit, une chaise en paille vide, renforce le sentiment de solitude et d’abandon que l’ensemble du tableau exprime. Au-dessus de la porte d’entrée est placé un crucifix. Seule la Vierge à l’enfant qui apparaît dans les nuages en haut à droite apporte secours et consolation au malade.

Ph. 20. Notre-Dame de la Garde à Marseille. Toile, 36 x 45 cm.
23Nous avons rencontré plusieurs exemples d’ex-voto liés à la maladie d’adolescents ou de jeunes adultes au xixe siècle. Mais se multiplient aussi, à cette époque, les tableaux votifs déposés pour la guérison d’enfants. Dans la seconde moitié du siècle, c’est plus d’un malade sur trois qui est un enfant, sur les ex-voto provençaux. Cette progression exprime l’évolution du regard porté sur l’enfance, et le souci accru de la santé des plus jeunes dans les familles. C’est le cas avec l’ex-voto dédié à saint Maur par la famille Genouvié pour le jeune Auguste, âgé d’un an, en 1847 (ph. 21). L’enfant est dans son berceau, entouré de femmes : l’une est assise, en pleurs, une autre, semblant répondre à l’injonction du médecin, seul homme présent, dont le chapeau est posé sur la commode, apporte une tasse au jeune enfant, une troisième, agenouillée, lit un livre de prière, la quatrième, à l’autre bout de la salle attise le feu pour réchauffer la pièce. Nous sommes dans un milieu modeste : toutes les femmes portent la coiffe blanche, un châle et un tablier de couleur, sur la robe ou la jupe et le caraco. Le peintre, Pierre Germain, offre une représentation à la fois précise et naïve de cet intérieur populaire : au sol les carreaux de couleur bistre, à droite le lit parental dans une alcôve aux rideaux clairs, l’enfant dans un berceau bas en bois, la commode aux trois tiroirs sur laquelle on a posé le nécessaire de toilette (bassine et broc), les chaises paillées, le miroir au mur, le manteau de la cheminée sur lequel sont déposés quelques objets, les accessoires de l’âtre : pelle en métal et soufflet. La taille de la pièce, le lit en alcôve, la nature de la cheminée, peuvent laisser penser que nous sommes dans la pièce commune, dont on ne voit qu’une partie. Ce tableau est un parfait exemple de l’ex-voto de cette époque, où la scène humaine est décrite avec précision et où l’espace céleste occupe une place réduite. L’écrit aussi a pris de l’importance, mis en valeur par le bandeau blanc au bas de l’image.

Ph. 21. Église paroissiale de La Garde. Papier, 27 x 38 cm.
24Quatre années plus tard, nous sommes cette fois dans la chambre conjugale, dans un milieu urbain, sur l’ex-voto de Dulcius Jules Joseph Rimbaud (ph. 22). Le jeune enfant, qui est dans un berceau nacelle suspendu à deux montants, est gravement malade, comme le précise la légende. Néanmoins le médecin n’est pas présent. On voit les parents, la mère à côté de son enfant, le père, vêtu d’un pantalon sombre et d’une chemise blanche en forme de blouse, un peu à l’écart, qui a l’air désemparé, et une autre femme, parente ou servante, qui apporte une tasse. Le lit parental est en bois. Des rideaux blancs pendent d’un anneau au plafond pour l’isoler. On retrouve le mobilier habituel : commode à trois tiroirs, table de nuit avec la plaque de marbre sur le dessus, chaises en bois à l’assise en paille. La cheminée est en marbre, avec la pince et le tison en métal ; il y a des bibelots déposés sur le rebord de la cheminée, du papier peint et des miroirs aux murs. Une fois de plus le décor est dressé avec précision. Aucun geste de prière n’est esquissé, en revanche la Vierge à l’enfant occupe une large place sur ce tableau.

Ph. 22. Notre-Dame de Consolation à Hyères. Toile, 38 x 43 cm.
25C’est le peintre aixois Joseph Villevieille qui réalise en 1864 un ex-voto pour la famille Lenflet, destiné au sanctuaire bas-alpin de Notre-Dame des Anges à Banon (ph. 23). Le tableau est comme partagé en deux : à gauche, dans une chambre avec cheminée, surmontée par un miroir, et sur le rebord de laquelle sont posés des flacons, on voit un lit d’enfant, en bois, à barreaux, avec une potence d’où tombe un rideau blanc sur la tête et le pied du lit ; dans le lit, une petite fille malade ; à son chevet, ses parents, tous les deux agenouillés en prière, le père n’ayant qu’un genou à terre. Dans la partie droite de la composition, trois personnages sont aussi en prière, au pied de la Vierge à l’enfant qui apparaît dans une grande lueur cerclée de nuages et d’angelots : un jeune garçon probablement le frère de la malade, et un couple plus âgé, que l’on peut supposer être les grands-parents. Ainsi, quoiqu’en deux groupes, c’est toute la famille qui implore Marie pour la guérison de l’enfant, et l’inscription livre le nom de famille, mais pas le prénom de la malade.

Ph. 23. Notre-Dame des Anges à Banon. Toile, 36 x 45 cm.
26Grâce au trait précis d’Eusèbe Nicolas, nous pénétrons dans l’intimité d’une famille varoise, au début de la Troisième République (ph. 24). Le milieu est modeste, comme en témoigne le costume des femmes, mais l’intérieur est soigné : une chambre, avec cheminée dans laquelle brûle un bon feu (nous sommes au mois de mars), au mur, un papier peint fini par un galon, à la limite du plafond. Des images pieuses encadrées, une pendule en bronze et des santibellis sous cloche de verre complètent le décor. Le lit parental est placé dans une alcôve, avec au mur un crucifix, et le rameau d’olivier béni le dimanche des Rameaux. Le jeune Albert Cordeil, âgé d’un an et demi, est emmailloté dans son berceau, à côté duquel se trouvent deux femmes, dont l’une agenouillée en prière. Une inscription manuscrite, au bas du tableau précise : « Albert Cordeil, âgé de 18 mois ayant été malade pendant tout le mois de mars 1878 et ayant imploré nous ses parents la très sainte Vierge du Vieux-Beausset et ayant obtenu son rétablissement radical avons fait faire cet ex-voto pour qu’il soit déposé à la dite chapelle. Fait au Beausset le 30 septembre 1878 par Maître Eusèbe Nicolas sourd muet ». Nous reviendrons plus loin sur l’auteur du tableau. Notons ici que le texte parle « des parents », alors que l’image ne montre que la mère, et une autre femme, peut-être la tante de l’enfant. Le père est absent de la représentation. Les termes employés mettent en relief la gravité de la maladie, par sa durée « tout le mois de mars », mais aussi la puissance de l’intervention mariale qui obtient « son rétablissement radical », ce que l’image traduit par les rayons lumineux émanant de la main de Marie pour aboutir à la tête de l’enfant. Enfin ce texte nous donne une précieuse indication sur le délai écoulé entre l’événement et le dépôt du tableau votif dans le sanctuaire, ici six mois. Il y a dans ce laps de temps la durée matérielle de la réalisation du tableau, mais aussi sans doute, un moment d’interrogation des parents avant la prise de décision et la commande de l’ex-voto au peintre.

Ph. 24. Notre-Dame du Beausset-Vieux. Carton, 42 x 42cm.
27Au xxe siècle, le nombre d’ex-voto peints se réduit et le contenu de l’image votive évolue. Cette remarque générale se vérifie parfaitement concernant les scènes de maladie. Le dessin aquarellé (ph. 25), au trait assez naïf, concernant Jacques Roasio, en 1908, montre avec précision le mobilier de la chambre du malade : le lit simple en bois dans lequel il est allongé, encadré par deux tables de nuit, quatre chaises, un fauteuil, une armoire à glace, un petit meuble de type coiffeuse, un tapis coloré, des tableaux aux murs, dont deux portraits, et une image pieuse avec un petit crucifix. C’est la seule référence religieuse dans cette composition où les deux femmes sont dans des attitudes de soin et non de prière, et où, surtout, l’espace céleste est complètement absent. Seule l’inscription placée en haut dans une sorte de parchemin qui se déroule en guirlande de fleurs, permet d’attribuer à cette image sa fonction votive.

Ph. 25. Notre-Dame de Consolation à Hyères. Papier, 38 x 50 cm.
28L’ex-voto remis en septembre 1944 au sanctuaire de Notre-Dame des Anges à Lurs conserve la structure traditionnelle de l’image votive en deux espaces (ph. 26). Nous avons interprété la scène humaine comme une convalescence. La donatrice, une religieuse, est allongée sur un fauteuil de jardin, les mains jointes. Est-elle dans le jardin du monastère, au milieu des rosiers en fleurs, et derrière les murs de la clôture au-delà desquels on aperçoit de grands arbres ? L’inscription, laconique, qui complète l’image ne nous apprend rien, hormis la date, sur les circonstances ayant motivé ce don.

Ph. 26. Notre-Dame des Anges à Lurs. Toile, 25 x 33cm.
29 Quelques mois plus tard un couple, dont nous ne connaissons que les initiales, G et A, remet, curieusement, dans un sanctuaire dédié à la Vierge, un ex-voto en remerciement à sainte Thérèse. Peut-être leur petit enfant rescapé d’une maladie qui a duré deux semaines, du 11 au 25 janvier (ph. 27) se prénomme Thérèse. Dans cette composition l’espace céleste est absent, et l’image se résume au couple agenouillé à côté du lit de l’enfant, sans aucun décor. En fait ici l’image cède le pas à l’écrit, qui occupe la plus grande partie de l’espace, en grandes lettres noires sur fond blanc, comme sur les nombreuses plaques de marbre votives qui ont alors tendance à se substituer aux tableaux votifs ; un écrit calligraphié, certaines lettres étant même enrichies d’un décor, comme des lettrines. Peut-on encore parler d’ex-voto peint pour ce tableau ?

Ph. 27. Notre-Dame de Pitié à Roquebrune-sur-Argens. Papier, 30 x 40 cm.
30Au milieu du xxe siècle, comme au siècle précédent, la santé du nourrisson est l’objet de dons votifs. Ici la légende permet de penser qu’il s’agit d’une guérison, suite à une maladie dont on indique la durée. Mais il y a aussi nombre de tableaux où l’image, à défaut de légende, n’est pas assez explicite pour savoir si elle fait suite à une maladie, à des couches difficiles, ou même à une naissance longtemps espérée. Nous les regrouperons sous le terme d’exvoto de petite enfance.
Notes de bas de page
1 Pourquoi une Annonciation dans l’espace céleste ? Il est bien difficile de l’expliquer. Ce n’est pas une scène généralement représentée sur les ex-voto, et dans le sanctuaire Notre-Dame des Anges de Cadenet, c’est le seul exemple. Sur la plupart des autres tableaux de cette chapelle, la Vierge à l’enfant est représentée entourée d’anges.
2 Sur ce tableau, comme sur le précédent, une autre interprétation est possible. Au lieu de voir une malade au lit et une parente en prière, on peut imaginer qu’il s’agisse de la même personne, qui dans un dédoublement temporel de l’image, serait figurée alitée, puis guérie en action de grâces. Sur quelques rares cas la décomposition de la scène votive en deux temps est explicite. Ce n’est pas le cas ici.
3 C’est l’époque où, dans les milieux modestes, la chambre conjugale s’individualise et s’emplit de quelques meubles et objets : Michèle Perrot, Histoire des chambres, Paris, Le Seuil, 2009, p. 68-71.
4 Voulant connaître sa situation en 1834, j’ai cherché dans les recensements et documents d’état civil. S’il y a bien plusieurs Bonnefoy à Hyères, selon le dénombrement de 1841, qui se situent dans le milieu de l’artisanat, je n’ai pas trouvé trace de Françoise. Peut-être a-t-elle quitté la ville après 1834 ? Je ne l’ai pas trouvée, non plus, dans la liste des décès des registres du demi-siècle suivant.
5 Les santibellis (les « beaux saints ») sont des statuettes en terre cuite peintes de couleurs vives représentant des saints. On les rencontrait fréquemment dans les intérieurs provençaux au xixe siècle. Pour les protéger et les mettre en valeur, on les plaçait souvent sous cloche de verre. Voir : Régis Bertrand, Santibellis. Figurines de Provence, Genève, Aubanel, 2006.
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