Chapitre 3. Simple action de grâces et attitudes de prière
p. 27-47
Texte intégral
1Si la grande majorité des ex-voto peints provençaux comportent une scène humaine qui représente le donateur dans la circonstance qui a motivé le vœu et justifié la protection céleste (accident, maladie…), un tableau sur sept échappe à cette règle, et ne fait figurer les personnages humains que dans une attitude de prière qui exprime le plus souvent le remerciement pour la grâce reçue. Ces ex-voto, que je désignerai par l’expression de « simple action de grâces », constituent le type de tableau votif à l’ancienne. En effet, s’ils représentent 40 % des ex-voto peints jusqu’en 1740, leur proportion diminue ensuite rapidement, tombant au-dessous de 20 % au milieu du xviiie siècle, puis de 10 % à partir de 1820. Leur iconographie évoque les tableaux de Vierge ou saint au donateur de la fin du Moyen Âge. Sur ces tableaux médiévaux, le donateur figurait, agenouillé en prière, dans un coin inférieur de la toile ; il était de plus petite taille que la Vierge, qui constituait le centre de la composition. Sur les ex-voto de simple action de grâces, on retrouve le ou les personnages humains représentés en prière, face à la Vierge ou au saint protecteur, mais en général à la même échelle, car ici le sujet du tableau est le lien tissé entre protecteur céleste et humain protégé.
2Sur les ex-voto les plus anciens, le donateur, représenté agenouillé en prière, les mains jointes, est souvent un homme, image du dévot du xviie siècle, comme sur ce tableau de 1613 (ph. 1). C’est un noble, il porte l’épée, il est agenouillé ; le paysage se limite à une croix érigée sur le sol. Aux mains jointes du donateur font face les mains jointes de l’enfant Jésus, que Marie tient dans ses bras, et dont les pieds reposent sur la guirlande de nuages qui connotent le Ciel, comme s’il allait en sortir pour apporter son secours à l’homme qui l’implore. Même si ici aucune indication ne nous est donnée sur ce qui motive l’ex-voto, l’image résume bien la démarche votive : la Vierge et Jésus prêtent toute leur attention à la prière qui leur est faite par cet homme.

Ph. 1. Notre-Dame de Consolation à Hyères. Bois, 28 x 25 cm.
3L’ex-voto est aussi souvent une démarche familiale, comme le montre ce tableau des années 1660 (ph. 2) où le père, la mère et leurs deux fillettes sont représentés dans la même attitude de prière, face à un espace céleste occupé par la Pietà. Nous sommes dans un milieu plus modeste, mais cependant de quelque aisance, comme en attestent les vêtements du couple et des filles, qui sur la robe portent le traditionnel tablier. En bas à droite figure la mention « ex-voto » ainsi que le nom des donateurs.

Ph. 2. Notre-Dame de Lumières à Goult. Toile, 47 x 52 cm.
4 C’est aussi devant une Pietà, curieusement représentée non pas dans les nuées mais comme sur une scène que dévoile une tenture jaune, que sont agenouillés un homme et une femme, probablement de la haute bourgeoisie, accompagnés d’un prêtre, bien reconnaissable à sa tonsure (ph. 3). Le tableau, non daté, se situe à la fin du xviie siècle. Dans ces trois exemples, l’attitude des personnages est identique, quel que soit leur niveau social, leur âge ou leur statut, laïc ou clerc : c’est la position de prière classique, agenouillé, les mains jointes, tête droite, adoptée déjà par les donateurs des tableaux médiévaux.

Ph. 3. Notre-Dame de Pitié à Roquebrune-sur-Argens. Carton, 29 x 40 cm.
5Sur cet ex-voto de la même période, comme pour le précédent, la présence d’un vitrage à l’arrière-plan situe la scène à l’intérieur (ph. 4). Face à la Vierge à l’enfant qui apparaît dans son nuage, les trois personnages sont agenouillés, mais chacun dans une attitude légèrement différente, quoique chacune évoque la prière : l’homme tient son chapeau dans les mains, la première femme a le geste traditionnel des mains jointes, mais s’y ajoute un chapelet, et la deuxième, les bras ouverts, est dans une attitude d’invocation.

Ph. 4. Notre-Dame du Château à Allauch. Bois, 32 x 34 cm.
6Quelques décennies plus tard, en 1735, ce tableau (ph. 5) présente une mise en espace différente. La Vierge à l’enfant occupe la position centrale et les orants sont répartis en deux groupes, à gauche les hommes, à droite les femmes, tous agenouillés ; il s’agit probablement d’un couple, au centre, et de leurs enfants adolescents placés en fonction de leur âge. Si les plus jeunes enfants (deux garçons et une fille) sont représentés dans l’attitude de prière traditionnelle (mains jointes, tête droite), le père et la fille aînée tiennent un cierge dans une main, l’autre étant posée sur la poitrine, et la mère, qui est mains jointes, a la tête légèrement penchée en arrière, comme si elle regardait la Vierge, dans une attitude qui évoque l’extase.

Ph. 5. Notre-Dame d’Espérance à Bouc-Bel-Air. Toile, 36 x 51 cm.
7Même s’il est moins fréquent, l’ex-voto de simple action de grâces existe encore au xixe siècle. Quelques évolutions sont cependant perceptibles. Lorsqu’il est le fait d’un seul donateur, c’est un personnage féminin qui s’impose. C’est le cas de cette femme de milieu populaire, qui porte un tablier bleu sur sa robe, agenouillée les mains jointes dans l’attitude traditionnelle de prière, représentée dans un intérieur assez indéterminé ; le décor est très dépouillé : une fenêtre, un prie-dieu rudimentaire, en bois, sans accoudoir, une sorte de bahut dont le devant est orné d’un paysage peint et sur lequel est posé une statuette de saint, sous cloche de verre, le santibelli familier des intérieurs provençaux (ph. 6).

Ph. 6. Notre-Dame de Consolation à Hyères. Bois, 27 x 35 cm.
8 En 1832, une autre femme seule est agenouillée, tenant un cierge de la main gauche et la main droite sur la poitrine devant saint Maxime, évêque, assis sur un siège de nuages, alors qu’à l’arrière-plan, dans une trouée vers l’extérieur, on aperçoit la chapelle au sommet d’une butte (ph. 7).

Ph. 7. Saint Maxime à Riez. Bois, 42 x 33 cm.
9Mais les peintres d’ex-voto vont plus loin encore en situant ces tableaux de simple action de grâces au sein même des sanctuaires, ce qui tend à les différencier des autres tableaux votifs, maladie ou accidents, qui montrent le lieu de l’événement. En 1819, c’est au pied de l’autel de la Vierge que sont représentés trois femmes et un homme en prière (ph. 8) ; sont-ils quatre donateurs, ou bien le tableau vire-t-il à la scène de genre de dévotion à l’intérieur d’un sanctuaire, comme il en existait sous forme de lithographie ?

Ph. 8. Notre-Dame de Grâce à Rochefort. Toile, 50 x 42 cm.
10C’est aussi dans une église que sont représentées ces deux femmes, dont une seule en prière, en 1855 (ph. 9). Curieusement la présence sacrée est ici démultipliée : l’autel avec la croix et la colombe du Saint-Esprit, et dans une ouverture donnant sur l’extérieur, d’une part la Vierge et l’enfant couronnés, dans les nuages, et d’autre part le sanctuaire du Laus inséré dans son paysage.

Ph. 9. Notre-Dame du Laus. Toile, 26 x 36 cm.
11 À la même époque un autre peintre d’ex-voto va jusqu’à représenter la messe, avec le prêtre qui officie et des fidèles qui sont agenouillés au pied de l’autel (ph. 10). Mais sans doute pour montrer le lien du sacré avec la vie quotidienne, au cœur de la démarche votive, l’auteur du tableau fait figurer à gauche la Vierge sur un nuage, et remplace le mur droit du sanctuaire par un aperçu sur l’extérieur, où l’on voit une maison ; à la limite entre l’extérieur (le profane) et l’intérieur (le sacré) une femme agenouillée, probablement la donatrice de l’ex-voto. Ainsi sur ce tableau, la messe, le culte officiel, devient un arrière-plan sur lequel s’incruste, dans une diagonale qui traverse la toile du bas à droite au haut à gauche, une relation directe entre la donatrice en prière et la Vierge qu’elle invoque, comme le précise la légende : « Marie n’est jamais invoquée en vain ».

Ph. 10. Notre-Dame d’Inspiration à Aups. Toile, 90 x 60 cm.
12Tout en plaçant ses personnages à l’intérieur de la chapelle, le peintre de cet ex-voto de 1859 choisit un autre procédé pour bien signifier la démarche votive : il la représente (ph. 11). En effet, au pied de l’autel, au-dessus duquel une Vierge à l’enfant apparaît dans un halo lumineux entouré de nuages, on voit un couple agenouillé et un enfant qui tient à la main le tableau votif dont il vient faire don au sanctuaire. Rare exemple de composition en abime, où le tableau votif figure sur l’ex-voto1.

Ph. 11. Notre-Dame de Lumières à Goult. Carton, 24 x 31 cm.
13Lorsque la scène ne se situe pas à l’intérieur du sanctuaire, les gestes des donateurs ont tendance à se diversifier ; à l’attitude classique de la prière, à genoux, mains jointes, tête droite, se substitue souvent une autre gestuelle, plus proche de l’invocation, comme celle des bras ouverts des adultes et des enfants, qui se tendent vers Marie (ph. 12).

Ph. 12. Notre-Dame de Grâce à Rochefort. Bois, 33 x 44 cm.
14 C’est une femme seule, agenouillée dans l’attitude traditionnelle de prière, que nous montre ce tableau votif du début du xxe siècle (ph. 13). Mais le personnage féminin est ici inséré dans un véritable décor extérieur, celui d’un jardin avec mur d’enceinte et portail, buisson fleuri et pots de fleurs. Au loin, en hauteur, le sanctuaire de Notre-Dame de Beauregard constitue l’arrière-plan de la composition picturale ; mais ce n’est pas vers lui que se tourne le regard de l’orante, mais vers la Vierge à l’enfant qui semble lui apparaître entourée de nuées.

Ph. 13. Notre-Dame de Beauregard à Orgon. Toile, 53 x 44 cm
15Plus avant dans un siècle où les ex-voto peints se font rares, les simples actions de grâces délaissent la structure iconographique traditionnelle pour des figurations plus pauvres, comme celle d’un simple bouquet de fleurs pour ce remerciement qui semble lié aux deux guerres de 1914 et de 1940 (ph. 14), ou un naïf portrait de la Vierge, sans aucun personnage humain, pour ce tableau de 1962 (ph. 15).

Ph. 14. Notre-Dame de Beauregard à Orgon. Papier, 37 x 29 cm.

Ph. 15. Notre-Dame du Mai au cap Sicié. Toile, 50 x 40 cm.
16Ainsi au xxe siècle, la raréfaction des ex-voto peints se conjugue à une mutation de leur contenu : la traditionnelle dualité des espaces représentés, le céleste et l’humain, fait place à des formes inédites qui s’inspirent d’autres types d’iconographies (tableaux d’église, lithographies de saints, peinture profane…).
17Si, par définition, les ex-voto de simple action de grâces ne montrent pas l’événement qui a motivé le vœu, certains d’entre eux fournissent quelques indices. C’est le cas pour ce tableau du xviie siècle où l’orant tient à la main un objet bizarre, qui est en fait un « brayet », ceinture herniaire en cuir de l’époque (ph. 16).

Ph. 16. Notre-Dame de Lumières à Goult. Toile, 31 x 40 cm.
18La présence de cet objet très particulier, que l’on retrouve sur cinq ex-voto de la même période à Notre-Dame de Lumières, mais nulle part ailleurs, s’explique par le fait que le premier miracle, en 1661, à l’origine de l’érection de ce sanctuaire, ait été la guérison d’une hernie, ou pour employer le terme de l’époque, d’une relaxation, d’un paysan nommé Antoine de Nantes, et qu’à la suite, plusieurs miracles du même type s’accomplirent à Lumières2.
19Au xviiie siècle, certains tableaux, à défaut de nous renseigner précisément sur la cause de l’ex-voto, fournissent quelques indications sur l’activité du donateur. Ainsi ce berger qui rend grâces à Marie en 1756 (ph. 17) ; mais l’on ne sait pas si le danger était encouru par le berger, agenouillé avec devant lui son bâton et son chapeau, ou par le troupeau, comme pourrait le laisser penser la posture de certains moutons, peut-être victimes d’une épizootie.

Ph. 17. Notre-Dame d’Espérance à Bouc-bel-air. Bois, 27 x 32 cm.
20Quelques années plus tard rien ne nous renseigne sur les conditions qui ont conduit ce paysan à remettre cet ex-voto où figure son attelage de labour, tiré par deux bœufs (ph. 18). La tradition familiale rapporte qu’il aurait failli périr de la foudre en rentrant des champs un soir d’orage3. Les hirondelles dans un ciel nuageux, ainsi que les branches qui semblent secouées par le vent peuvent évoquer cette circonstance, mais elle n’est pas clairement représentée.

Ph. 18. Notre-Dame du Glaive à Cabasse. Bois, 25 x 34 cm.
21 Au xixe siècle de nombreux ex-voto montrent une mère agenouillée devant la Vierge, tenant dans ses bras son bébé. Il est clair, dans ces cas, que l’intervention mariale concerne le jeune enfant, sans que l’on puisse déterminer s’il s’agit de remerciement pour une naissance, de guérison d’une maladie infantile, ou même de placer l’enfant sous la protection de Marie. L’ex-voto de 1826 de Notre-Dame de Montaigu à Bargemon dans le Var concerne une paysanne représentée dans les champs par un peintre à la technique rudimentaire et à l’orthographe fautive, qui écrit « ex-vote » pour ex-voto (ph. 19).

Ph. 19. Notre-Dame de Montaigu à Bargemon. Bois, 23 x 31 cm.
22Mais la mère, qui tient sa petite fille sur son sein, perdue dans ce paysage hostile devant un ciel qui rougeoie, ne peut trouver de recours qu’auprès de la Vierge à l’enfant, qui apparaît au-dessus de la chapelle.
23Quelques décennies plus tard, dans le même sanctuaire, une femme agenouillée présente son enfant qu’elle tient dans ses bras tendus vers la Vierge à l’enfant, très curieusement représentée dans un halo de lumière placé devant le tronc d’un arbre, alors qu’un paysage montagneux se dessine au loin (ph. 20).

Ph. 20. Notre-Dame de Montaigu à Bargemon. Toile, 48 x 40 cm.
24À peu près à la même époque, c’est dans un décor plus habituel, celui d’un devant d’autel dans une église, que Marie Louise Portanier est agenouillée, sa fillette dans les bras, face à une Vierge à l’enfant, attentive à sa prière. Deux angelots dans les nuages, dont la présence est liée au nom du sanctuaire, viennent renforcer l’ambiance infantile de ce tableau (ph. 21).

Ph. 21. Notre-Dame des Anges à Pignans. Toile, 44 x 36 cm.
25 Ainsi la place des femmes, qui peuvent être accompagnées d’un jeune enfant, est nettement prépondérante sur les ex-voto de simple action de grâces au xixe siècle. Ce sont les femmes aussi qui conservent le plus l’attitude de prière traditionnelle, à genoux, mains jointes, adoptée à l’église durant la messe ou les vêpres. Cette évolution est à mettre en relation avec le rapport différent à la religion entre hommes et femmes en Provence, après la Révolution française. Si la reconquête catholique est très affirmée auprès des femmes, beaucoup d’hommes s’écartent de la religion : lors de la messe dominicale, ils sont nombreux à rester sur la place ou au café, ou lorsqu’ils assistent à l’office, c’est entre eux, debout à la tribune, alors que femmes et enfants se trouvent au parterre. Un ex-voto de Saint-Jean de Garguier de 1851 résume bien cette différence d’attitude (ph. 22).

Ph. 22. Saint-Jean de Garguier à Gemenos. Métal, 29 x 37 cm.
26Dans un intérieur décoré par quelques tableaux de paysages, la femme est agenouillée en prière devant le saint. Derrière elle, un homme, probablement son époux, qui certes regarde aussi dans la direction du saint ; mais, le chapeau sur la tête, le bras en écharpe (ce qui doit être la cause de la grâce sollicitée) il est debout, négligemment adossé à un mur. Il ne manifeste aucun geste de prière. On ne saurait mieux différencier attitudes masculines et féminines.
27Quelquefois la remise d’un ex-voto peint dépasse la démarche individuelle ou familiale. C’est le cas notamment des confréries de pénitents. Ces associations de laïcs qui avaient des buts charitables, de dévotion, mais aussi de sociabilité, étaient nombreuses en Provence sous l’Ancien Régime. Chaque communauté d’habitants de quelque importance comptait alors une ou plusieurs confréries. Après un déclin dans la deuxième moitié du xviiie siècle et leur fermeture sous la Révolution, un certain nombre d’entre elles renaissent et prospèrent au xixe siècle4. Emblématique de ces ex-voto de confrérie de pénitents est celui remis à la cathédrale d’Apt en 1664 par celle de la Tour d’Aigues (ph. 23). On y voit deux pénitents blancs agenouillés, se faisant face, vêtus de l’habit traditionnel, le « sac », qui recouvre tout le corps, y compris le visage, et tenant dans leurs mains une tour qui symbolise le nom de leur village. L’espace céleste est absent sur ce tableau, peut-être plus commémoratif que votif.

Ph. 23. Cathédrale, chapelle Sainte-Anne à Apt. Toile, 35 x 47 cm.
28Mais les pénitents sont surtout présents sur des ex-voto montrant une procession vers le sanctuaire. Ce peut être une procession de toute la communauté d’habitants, comme celle du Beausset en 1723 pour remercier la Vierge d’avoir préservé la paroisse du fléau de la peste : deux compagnies de pénitents, les noirs et les blancs, marchent en tête, précédant le clergé, les consuls et le reste de la population (ph. 24). Dans le ciel des angelots déploient une banderole sur laquelle on peut lire les motifs et les circonstances du don de ce tableau.

Ph. 24. Notre-Dame du Beausset-Vieux. Toile, 99 x 123 cm.
29Le terrible fléau qui frappa à plusieurs reprises la Provence, et notamment en 1720-1722 a laissé des traces sur l’ex-voto. Il est à l’origine de la plupart des ex-voto collectifs, car à cette occasion c’était toute la population qui se trouvait menacée. Cependant ces tableaux ne montrent pas les malades ou les agonisants, mais prennent la forme d’une action de grâces collective : procession de la communauté d’habitants de la paroisse, ou prière de ces deux familles marseillaises, Figondi et Monblan, réunies sur le même ex-voto remis en 1721 (ph. 25) dont la construction iconographique est particulière : l’espace céleste occupe tout le registre supérieur, alors que dans la partie basse du tableau, les orants se font face, les hommes à gauche, les femmes à droite.

Ph. 25. Notre-Dame de la Galline à la Nerthe. Carton, 25 x 31 cm.
30 Si la dernière grande peste en Provence est celle de 1720-1722, au xixe siècle une autre épidémie, le choléra, frappe à plusieurs reprises. Heureusement il n’atteint pas les records de mortalité de la peste, mais le retour d’un mal épidémique, après plus d’un siècle, a fortement marqué les populations et laissé trace sur quelques ex-voto. Celui offert en 1835 à saint Jean, à Signes, semble relever de la démarche votive individuelle habituelle, celle de cette femme agenouillée qui voit passer un corbillard, mais sa prière rejoint celle du prêtre devant l’autel, peut-être à l’occasion d’une messe d’action de grâces collective (ph. 26).

Ph. 26. Saint-Jean à Signes. Bois, 31 x 42 cm.
31À Aups, c’est bien toute la paroisse, menée par son clergé, qui fait remettre ce tableau votif pour la protection du choléra en 1849 (ph. 27) : à droite les clercs, dont l’un porte un crucifix de procession, à gauche les fidèles, avec les femmes au premier plan, tenant des cierges allumés et arborant une plaque de marbre gravée, nouveau type de support votif qui tendra à se généraliser à la fin du siècle.

Ph. 27. Notre-Dame d’Inspiration à Aups. Toile, 65 x 54 cm.
32Les pénitents blancs d’Avignon remettent à Notre-Dame de Rochefort un ex-voto qui les montre en procession vers le sanctuaire le 23 juillet 1815 (ph. 28).

Ph. 28. Notre-Dame de Grâce à Rochefort. Toile, 100 x 145 cm.
33 Cette confrérie se désignant comme « royale » dans la légende qui accompagne l’image, il y a tout lieu de penser que le vœu ainsi commémoré soit lié au retour de Louis XVIII après la défaite de Waterloo et la fin des Cent Jours. Cinquante ans plus tard, il est par contre difficile de connaître le motif de cet ex-voto déposé par les pénitents de Caumont au sanctuaire de Notre-Dame de Lumières, vers lequel on les voit processionner, bannière de la confrérie en tête (ph. 29).

Ph. 29. Notre-Dame de Lumières à Goult. Toile, 60 x 90 cm.
34On remarque que sur ce tableau, comme sur les précédents, les pénitents marchent par rang de deux. Au-dessous de l’image, la mention qui précise la date et le nom de la compagnie, apparaît comme une légende bien lisible, écrite en lettres majuscules claires sur fond bleu.
35Malgré sa diversité, et son évolution dans le temps, l’ex-voto de simple action de grâces manie toujours l’art de l’ellipse. En insistant sur le remerciement, il minorise ou occulte l’événement qui a motivé la grâce. Les processions sont déjà souvent en elles-mêmes des actions de grâces, le tableau jouant alors le rôle de les prolonger dans le souvenir. S’il persiste jusqu’au xxe siècle, ce type d’ex-voto cède cependant de plus en plus la place à des images plus explicites sur la nature de leur caractère votif.
Notes de bas de page
1 Le peintre de cet ex-voto, Philippe Bruningo, se représente lui-même, un tableau dans les mains, sur l’ex-voto qu’il remet pour sa propre guérison. Voir chapitre 12, photo 7.
2 La liste des deux cents premiers miracles du sanctuaire est publiée dès 1666 par le R. P. Michel du Saint-Esprit. Voir Bernard Cousin, Notre-Dame de Lumières. Trois siècles de dévotion populaire en Luberon, Desclée de Brouwer, 1981.
3 Je remercie Jean-Marie Guillon, professeur émérite d’histoire contemporaine (Aix-Marseille Université), de m’avoir fourni ces précisions.
4 Voir les nombreux travaux sur les pénitents provençaux, notamment : Maurice Agulhon, Pénitents et francs-maçons de l’ancienne Provence. Essai sur la sociabilité méridionale, Paris, Fayard, 1968 et 1984. Régis Bertrand, Les compagnies de pénitents de Marseille (xvie-xxe siècle), Marseille, La Thune, 1997. Marie-Hélène Froeschlé-Chopard, Espace et sacré en Provence (xvie-xxe siècle). Cultes, images, confréries, Paris, Le Cerf, 1994.
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