Les cadres juridiques de la mémoire
p. 23-30
Texte intégral
« L’effet du règlement négocié est de produire, outre un État de droit et une Constitution, une réconciliation »
Desmon Tutu
1L’Instance équité et réconciliation (IER) est le cadre institutionnel mis en place par l’État marocain pour « solder le passé », chargé de faire la lumière sur les événements caractérisés par des violations massives des droits de l’homme. En revenant sur cette expérience et en la mettant en perspective avec ce qui s’est passé dans d’autres pays, nous proposons d’interroger les arrangements juridiques qui ont encadré ce type d’exercice. L’objectif est double. Il permet d’une part d’étudier les bases juridiques du retour sur les violations de la loi et du droit, et d’autre part de s’interroger sur la contribution d’un dispositif institutionnel d’exception à la mise en place et/ou à la consolidation de l’État de droit et de la normalité juridique, sur fond de transition institutionnelle et de dynamiques sociales autour des questions de mémoire et d’histoire ainsi que de justice et d’équité.
2À la faveur des nombreux changements intervenus un peu partout dans le monde depuis la dernière décennie du vingtième siècle, des dispositifs de réconciliation et de justice transitionnelle ont proliféré aux quatre coins du monde. Si l’après guerre froide a coïncidé ainsi avec la multiplication de ce genre de forums, c’est la fin de la seconde guerre mondiale qui donna naissance à la première expérience qui se rapproche de ce type. Ce fut en effet une première, à travers les procès de Nuremberg, mais surtout avec le processus d’indemnisation des victimes des exactions nazies par le gouvernement de l’Allemagne de l’ouest (RFA), qui a en outre permis d’amnistier une partie des protagonistes condamnés par d’autres tribunaux1. Jamais auparavant un État n’avait procédé au dédommagement de particuliers pour des exactions qu’il aurait commis. Les mêmes protagonistes, ou presque, avaient conclu leurs hostilités quelques années plus tôt par le Traité de Versailles où les États vaincus devaient payer des indemnités aux États vainqueurs.
3 Les principaux éléments de ce qui sera connu comme la justice transitionnelle émergeront à ce moment. C’est de cette période que date aussi la catégorie « crime contre l’humanité ». Ainsi, Pierre Hazan considère que :
En conférant une place centrale dans l’histoire du monde à la seconde guerre mondiale et au génocide des Juifs, l’Occident s’attribue tous les rôles de la justice : celui du juge (international) avec les États-Unis, celui de la victime (les Juifs européens et l’État hébreu qui se fait le porte-parole des millions de personnes disparues) et celui du bourreau (l’Allemagne nazie). La triade symbolique de la justice est reconstituée. C’est capital, car le discours, les normes et les pratiques de ce qui sera nommé des décennies plus tard la justice transitionnelle sont alors en cours d’élaboration (Hazan 2017, 2018).
4Si les expériences ultérieures de justice transitionnelle concerneront plutôt des itinéraires nationaux, la dimension internationale reste présente. Une batterie d’instruments juridiques est progressivement mise en place : les tribunaux pénaux internationaux et la Cour pénale internationale, l’insertion dans plusieurs législations nationales de dispositions concernant la compétence universelle de leurs juridictions pour des matières comme les violations des droits de l’homme et les crimes contre l’humanité, sachant que de telles infractions sont souvent imprescriptibles.
5Nous aborderons ainsi trois expériences de justice transitionnelle et de travail mémoriel, dans leurs rapports à des questions juridiques. Il s’agira des cas du Maroc, de l’Espagne et de l’Afrique du Sud. Les principales questions autour desquelles nous allons articuler notre propos sont celles du droit constitutionnel et des poursuites/immunités contre les responsables des violations des droits de l’homme.
Justice transitionnelle, travail de mémoire et droit constitutionnel
6En 1789 en France, les députés du tiers état se constituèrent en Assemblée nationale constituante et adoptèrent la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ainsi que l’abolition des privilèges. Ce changement de régime, consacré par un acte constitutionnel, fut accompagné par la mise en place de tribunaux révolutionnaires qui eurent largement recours à la guillotine.
Les transitions dont nous traitons dans ce cadre se sont déroulées de manière plus paisible, et quand « terreur » il y eu, la chose relevait plutôt du passé. Par ailleurs, la renégociation du pacte politique qui permet ces transitions bute d’une manière ou d’une autre sur la question constitutionnelle, sans que cette dernière soit une condition sine qua non de l’institution d’une justice transitionnelle ou d’un travail de mémoire.
7Quel que soit le scénario adopté, la mise en place de ces dispositifs se fait dans le cadre de la négociation d’un compromis et de la discussion d’un pacte politique nouveau entre acteurs et protagonistes qui se confrontaient avant. Ce nouveau compromis se traduit par de nouvelles règles constitutionnelles ou par un accord sur une nouvelle interprétation des dispositions de la loi fondamentale existante. D’autre part, les questions relatives à la mise en place d’une justice transitionnelle et d’un travail de mémoire soulèvent souvent la question de leur compatibilité avec les règles constitutionnelles en vigueur.
8Au Maroc, si aucune réforme de la loi fondamentale2 n’a accompagné la mise en place de l’IER, la question constitutionnelle n’est pas pour autant absente de ce travail de mémoire. En effet, cet épisode s’insère dans un long processus initié dès le début des années 1990. Il y eut d’abord la création du Conseil consultatif des droits de l’homme (CCDH) en 1990, ainsi que la proclamation d’une amnistie générale au profit des détenus politiques et des exilés. S’en sont suivies des négociations entre la monarchie et les partis politiques, où ces derniers, par mémorandums, ont formulé des propositions d’amendements constitutionnels, et où le roi a soumis deux projets de réformes de la Constitution au référendum populaire, en 1992 et en 1996. Ce train de réformes s’est renforcé par des changements à la tête de l’exécutif, à travers l’accession au gouvernement d’une partie de l’ancienne opposition dans le cadre de ce qui fut appelé l’alternance consensuelle en 1997, puis avec la succession monarchique en 1999. Cette dynamique se traduit sur le plan du travail de mémoire par une refonte du CCDH en 2001, et par la création de la Commission indépendante d’arbitrage chargée d’indemniser les victimes de violations des droits de l’homme.
9Un pas de plus va être franchi avec la mise en place de l’Instance équité et réconciliation en 2004. Dans le préambule des statuts de cette institution, on peut lire que la mission qui lui est confiée est d’œuvrer à :
parachever le règlement extrajudiciaire équitable des violations graves des droits de l’Homme survenues dans le passé, et ce dans le cadre d’une approche globale ayant pour objectif de guérir les blessures du passé, réparer les préjudices, établir les faits et tirer les enseignements du passé pour réconcilier les Marocains autant avec leur histoire qu’avec eux-mêmes et libérer leurs énergies créatives3.
10Ce travail se place d’emblée en dehors des circuits des institutions judiciaires du pays et donc d’une application stricte de la Constitution. Un peu plus loin dans le même texte, on précise qu’il s’agit de :
parfaire l’expérience marocaine en matière de justice et de réconciliation en tant que partie intégrante du projet civilisationnel national d’édification d’un avenir meilleur en vue d’habiliter notre pays à affronter les défis internes et externes, et ce dans le cadre d’une transition démocratique engagée par un peuple qui, loin de rester prisonnier des aspects négatifs de son passé, l’assume pleinement et s’attache à y puiser force et dynamisme pour instituer une société démocratique où tous les citoyens exercent leurs droits et s’acquittent de leurs devoirs en toute liberté et avec responsabilité dans un État de droit4.
11La référence à la transition démocratique et à l’objectif d’instituer un État de droit est clairement invoquée.
12Le Dahir portant approbation des statuts de l’IER ne se réfère nulle part dans ses attendus à la loi fondamentale. Il renvoie juste aux dispositions du Dahir portant réorganisation du Conseil Consultatif des Droits de l’homme. Ce dernier texte a lui-même été pris sous la référence à l’article 19 de la Constitution marocaine de 1996, une disposition qui donne toute latitude au chef de l’État pour agir au-delà des délimitations fixées par le texte constitutionnel et qui a permis de mettre en place ce dispositif d’exception. Dans l’exposé des motifs du dahir relatif au CCDH, le monarque, tout en se référant aux engagements internationaux du pays dans le domaine des droits de l’homme, se pose comme garant contre l’arbitraire pouvant découler de l’action de l’administration et de l’application des normes en vigueur. Ainsi peut-on lire :
Concrétisant notre nouveau concept de l’autorité par le biais d’institutions à même de servir le citoyen et de le mettre à l’abri de tout excès ou abus de pouvoir que pourraient commettre l’administration, les particuliers ou les groupes sociaux. En prévision des lacunes qui pourraient affecter les textes juridiques, et des abus éventuels, auxquels pourrait donner lieu l’exercice de l’autorité et qui demeurent inhérents à la nature humaine même lorsqu’elle est exercée en toute bonne foi5.
13Enfin, dans ses recommandations, l’IER aboutit sur rien de moins que la perspective d’une réforme constitutionnelle. C’est ainsi que l’on peut lire dans le premier point de ses recommandations :
La consolidation des garanties constitutionnelles des droits humains, notamment par l’inscription des principes de primauté du droit international des droits de l’homme sur le droit interne, de la présomption d’innocence et du droit à un procès équitable… L’IER recommande par ailleurs le renforcement du principe de la séparation des pouvoirs, et l’interdiction constitutionnelle de toute immixtion du pouvoir exécutif dans l’organisation et le fonctionnement du pouvoir judiciaire. Elle recommande d’expliciter dans le texte constitutionnel, la teneur des libertés et droits fondamentaux, relatifs aux libertés de circulation, d’expression, de manifestation, d’association, de grève… ainsi que des principes tels que le secret de la correspondance, l’inviolabilité du domicile et le respect de la vie privée. L’IER recommande en outre de renforcer le contrôle de la constitutionnalité des lois et des règlements autonomes ressortant de l’Exécutif, en prévoyant dans la Constitution le droit d’un justiciable à se prévaloir d’une exception d’inconstitutionnalité d’une loi ou d’un règlement autonome. À l’instar de l’interdiction constitutionnelle déjà ancienne du parti unique, L’IER recommande enfin la prohibition de la disparition forcée, la détention arbitraire, le génocide et autres crimes contre l’humanité, la torture et tous traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants, et l’interdiction de toutes les formes de discrimination internationalement prohibées, ainsi que toute forme d’incitation au racisme, à la xénophobie, à la violence et à la haine6.
14En Afrique du Sud, le processus de transition débuta avec la levée de l’interdiction du Congrès national africain (ANC) et la libération de Nelson Mandela et d’autres prisonniers politiques. S’ouvre alors une série de négociations entre les différentes parties, notamment au sein des successives conventions CODESA (Convention for a Democratic South Africa). Plusieurs rounds débouchèrent sur des échecs. Une des questions les plus épineuses fut sans doute celle de l’amnistie et des éventuelles poursuites contre les anciens responsables pour les actes qu’ils auraient commis. Ainsi, le parlement alors en place vota une série de textes dans ce sens, mais qui furent plus tard remis en cause et abrogés.
15Le travail constituant aboutit en 1993 à la mise en place d’une Constitution provisoire. Ce texte contenait, dans son épilogue, les principes pour la mise en œuvre d’un processus de vérité et de réconciliation :
La présente Constitution pourvoit un pont historique entre le passé d’une société profondément divisée, marquée par la lutte, le conflit, des souffrances non dites et l’injustice, et un avenir fondé sur la reconnaissance des droits de l’homme, sur la démocratie et une vie paisible côte à côte, et sur des chances de développement pour tous les Sud-Africains, sans considération de couleur, de race, de classe, de croyance ou de sexe.
La recherche de l’unité nationale, le bien-être de tous les citoyens sud-africains et la paix exigent une réconciliation du peuple d’Afrique du Sud et la reconstruction de la société.
L’adoption de cette Constitution pose la fondation solide sur laquelle le peuple d’Afrique du Sud transcendera les divisions et les luttes du passé qui ont engendré de graves violations des droits de l’homme, la transgression des principes d’humanité au cours des conflits violents, et un héritage de haine, de peur, de culpabilité et de vengeance.
Nous pouvons maintenant y faire face, sur la base d’un besoin de compréhension et non de vengeance, d’un besoin de réparation et non de représailles, d’un besoin d’ubuntu et non de victimisation.
Afin de promouvoir cette réconciliation et cette reconstruction, l’amnistie sera accordée pour les actes, omissions et infractions liés à des objectifs politiques et commis au cours des conflits du passé […]
De par cette Constitution et ces engagements, nous, le Peuple d’Afrique du Sud, ouvrons un nouveau chapitre de l’histoire de notre pays7.
16Cette Constitution permit d’élire le premier Parlement démocratique de l’Afrique du Sud dont les deux chambres se constituèrent en Assemblée constituante et qui vota entre autres textes la loi du 26 juillet 1995 sur la promotion de l’unité nationale et la réconciliation. Cette loi fut contestée auprès de la Cour constitutionnelle au motif de l’incompatibilité de certaines de ses dispositions avec les droits fondamentaux garantis par la Constitution, notamment le droit pour chaque individu de pouvoir porter sa cause devant une juridiction du pays. Dans l’arrêt AZAPO8, la Cour constitutionnelle sud-africaine confirma la loi sur la réconciliation nationale. Cette affaire souligne l’importance de la relation entre justice transitionnelle et droit constitutionnel. En effet, le fait d’avoir traité de la question de la réconciliation et de la justice transitionnelle au niveau de la charte fondamentale a immunisé le processus contre les contestations qui se sont révélées plus tard.
17En Espagne, la transition démocratique s’est principalement concrétisée par un nouveau pacte constitutionnel. Mais cette même transition a longtemps constitué un frein pour le travail de retour sur la mémoire9. La guerre civile s’était soldée par un nombre élevé de victimes des violences, des combats et des exécutions, mais aussi par la mise en place d’une dictature qui durant toutes les années qu’elle dura, produisit de nouvelles victimes. Si le régime franquiste a pu sembler donner quelques signes de fléchissement vers sa fin, préparant l’après Franco, ce n’est qu’après la disparition du caudillo que ce qui est convenu aujourd’hui d’appeler transition démocratique s’est réalisé dans une ambiance marquée par la recrudescence de l’action des groupes nationalistes basques.
18Le processus a été amorcé dès 1976 par l’accès respectivement à la tête de l’État et du gouvernement de Juan Carlos Ier et Alfredo Suarez. Une batterie de mesures a été prise : promulgation de la loi pour la réforme politique, reconnaissance légale du Parti communiste et des syndicats, organisation de scrutins libres, Pactes de la Moncloa, promulgation de la nouvelle Constitution en 1978. Ce processus résista au coup d’État militaire manqué du 23 février 1981 et aboutit à la première alternance démocratique avec l’arrivée des socialistes au pouvoir en octobre 1982. Mais une des pièces essentielles de tout ce dispositif reste incontestablement la loi d’amnistie du 14 octobre 1977.
Amnistie et prescription
19Dans sa volonté d’apaisement et de réconciliation, le pouvoir politique dispose généralement de deux moyens juridiques, l’amnistie et la prescription. Si la première reste une mesure exceptionnelle relevant de la compétence du souverain, la seconde est un principe objectif d’adaptation du droit, mais qui est limité notamment par des principes comme l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.
20Les débats parlementaires autour de l’adoption de la loi d’amnistie en Espagne sont riches en enseignements. Ce fut l’occasion pour les différents acteurs politiques d’exposer leurs positions sur la transition, revenant sur le passé, même si c’était pour jeter sur lui un voile, et clarifiant les conditions d’une entente future. Au départ, l’amnistie fut principalement une revendication des partis de l’opposition. Le rapport de force à cette époque et le caractère considéré comme illégal de leur action du point de vue du régime de Franco justifiaient cette position. L’alliance populaire, par la bouche de l’ancien ministre franquiste Antonio Carro Martinez s’est élevée contre le projet de loi, considérant que l’amnistie est en principe une mesure d’exception dans tout État de droit, et que le nouveau monarque en avait largement abusé depuis son intronisation, et qu’il en allait de l’autorité de l’État.
21L’intervention du représentant des minorités catalane et basque Xabier Arzallus Antia résume bien la position de l’opposition sur cette question :
Pour nous l’amnistie n’est pas un acte qui concerne la politique mais la solution d’une situation difficile, où d’une certaine manière il faut trancher d’un coup un nœud gordien. C’est simplement un oubli [...] une amnistie de tous pour tous, un oubli de tous par tous. Car il convient de rappeler [...] qu’ici sont réunies des personnes qui ont milité dans des camps différents, dont certaines se sont haïes et qui ont lutté les unes contre les autres. Et ce qui se produit dans cet hémicycle, où siègent des individus qui ont enduré de longues années de prison et d’exil, à côté d’autres qui ont partagé des responsabilités de gouvernement, gouvernements ayant causé ces exils ou ces peines de prison, est l’image de notre société. [...] Rien ne sert d’alléguer aujourd’hui des faits de sang, car il y en a eu des deux côtés [...]. Ni de parler de terrorisme car il y en a eu des deux côtés [...]. Oublions, donc, tout [...] C’est pourquoi nous devons veiller à ce que la loi que nous sommes en train de bâtir ici descende vers la société, que cette conception de l’oubli se généralise, prenne corps et cœur, car c’est la seule façon de pouvoir nous tendre la main sans rancœur, de pouvoir nous écouter avec respect, quelle que soit l’option politique soutenue. [...] Mesdames et Messieurs, l’amnistie est un chemin de réconciliation, mais aussi de crédibilité démocratique et de changement de conduites10.
22Ce consensus bâti sur la sacralisation de la transition démocratique et du tabou entourant les questions de la mémoire ne va pas résister à l’épreuve du temps et du pouvoir. Les premières remises en questions auront lieu au moment de la reprise du pouvoir par le parti populaire. Ce dernier, pour mieux préserver le pacte d’oubli considéré comme un des piliers de la transition, et pour contrer les initiatives de loi pour la réhabilitation des victimes du franquisme déposées par l’opposition socialiste dès 1999, va reprendre l’initiative. Il fera voter en novembre 2002 un amendement constitutionnel condamnant le coup d’État du 18 juillet 1936 et la dictature franquiste, tout en insistant sur l’importance de protéger le pacte conclu au moment de la transition et de ne pas revenir sur les événements douloureux du passé.
23Dès le retour des socialistes au pouvoir en 2004, ils préparent un projet de loi sur la mémoire historique, loi promulguée le 26 décembre 2007. Le texte législatif « reconnaît le droit à la réparation morale et à la récupération de la mémoire personnelle et familiale pour les personnes qui ont été victimes de persécutions ou de violences au cours de la Guerre civile espagnole et pendant la dictature franquiste »11.
24Au Maroc, si le mandat de l’IER ne lui permettait pas de poursuivre les acteurs des violations des droits de l’homme, une des conditions même de l’éligibilité pour témoigner en audition publique étant de ne pas citer les noms des bourreaux, il n’a jamais été non plus question d’amnistie. Ainsi, théoriquement, rien n’empêche une victime, si elle le peut et le souhaite, de recourir à la justice pour poursuivre les responsables des violations des droits de l’homme, à la condition de remplir les conditions légales pour ester en justice : que les faits reprochés soient qualifiés d’infraction par la loi, que le demandeur ait les qualité et intérêt pour ester, que les délais de prescription ne soient pas échus.
25La condition d’anonymisation des témoignages publics a même fait réagir le CCDH, héritier des dossiers de l’IER après la fin de son mandat, à la fuite de certains témoignages faits à huit clos et ayant cité les noms des personnes impliquées dans les violations des droits de l’homme. Devant le refus du titre de presse en question d’arrêter la publication de ces auditions, le Conseil a porté l’affaire devant la justice pour qu’elle ordonne l’arrêt des publications.
26L’Afrique du Sud a instauré le principe de l’amnistie. Une amnistie personnelle et conditionnelle. Amnistie personnelle ne voulant pas dire que la Commission vérité et réconciliation amnistie des personnes, mais plutôt des actes. Chaque cas est instruit séparément. La décision de la commission d’accorder l’amnistie n’est pas conditionnée non plus par l’obtention du pardon des victimes. La loi de juillet 1995 fixe deux conditions pour pouvoir bénéficier de l’amnistie : que les actes (ou omissions ou infractions) aient été commis avec des motivations politiques et que l’auteur fasse des révélations complètes.
Notes de bas de page
1 Aucun condamné de Nuremberg n’a en effet été amnistié.
2 Une réforme constitutionnelle est intervenue en 2011 dans le sillage des mobilisations qui ont suivi ce qu’on a appelé « le printemps arabe ».
3 Statuts de l’Instance équité et réconciliation (IER), promulgués par dahir n° 1-04-42 du 10/04/2004, B.O. n° 5203 du 12/04/2004.
4 Ibid.
5 Dahir n° 1-00-350 du 10/04/2001 portant sur la réorganisation du Conseil consultatif des droits de l’homme, B.O. n° 4926 du 16/08/2001.
6 Instance équité et réconciliation (IER), 2005, Recommandations, consulté le 20/02/2011.
<http://www.ier.ma/article.php3?id_article=1433>.
7 Extraits du préambule de la Constitution provisoire d’Afrique du Sud de 1993, consulté le 20/02/2011. <http://www.info.gov.za/documents/constitution/93cons.htm>.
8 Arrêt de la Cour constitutionnelle de l’Afrique du Sud n° CCT17/96 du 25/07/1996, consulté le 20/02/2011. <http://www.constitutionalcourt.org.za/Archimages/2529.PDF>.
9 Nous reviendrons sur cette question un peu plus loin.
10 Thierry Maurice, « La politique mémorielle en Espagne : de la loi d’amnistie à la loi d’extension des droits des personnes affectées par la guerre civile et la dictature (1977-2006) », Carnets de bord, n° 12, décembre 2006, p. 10.
11 Présentation de la loi par le site du ministère de la Justice espagnol, consulté le 20/02/2011. <http://leymemoria.mjusticia.es/paginas/fr/declaracion_reparacion.html>.
Auteur
Université Mohammed VI Polytechnique
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