L’échelle locale, ou la mer offerte à la consommation
p. 201-202
Texte intégral
1Les marchés locaux représentent sous l’Ancien Régime le point ultime de distribution des ressources marines véhiculées par le commerce de grand cabotage, le trafic régional et les flottilles de pêche locales. Leur étude doit permettre une lecture fine du rôle et de la place tenus par les produits de la mer dans les politiques d’approvisionnement et les pratiques alimentaires sous l’Ancien Régime.
2Ces marchés de proximité demeurent cependant mal connus. Évoquées à la marge dans les plus récentes des monographies portuaires1, les poissonne – ries modernes ont rarement été étudiées en tant que telles par les historiens contemporains. Tout au plus leur a-t-on accordé parfois un chapitre spécifique dans des travaux de thèse2, intégré à une étude plus générale des relations entretenues par les Marseillais avec leur golfe au cours du xviiie siècle pour ne citer qu’un seul exemple. On remarquera que dans ce dernier cas cependant, la maigreur et la médiocrité des sources comptables relatives au fonction – nement des quatre poissonneries installées autour du grand port provençal n’ont permis ni une estimation des tonnages distribuées, ni même une analyse exhaustive des acteurs officiant sous les halles ou près des tauliers.
3Lacunaires à propos des espaces portuaires, les travaux sur le fonctionnement des poissonneries méridionales modernes ont de plus quasiment ignoré jusqu’à aujourd’hui les espaces intérieurs et continentaux, tandis que de véritables angles morts de la recherche ont littéralement laissé dans l’ombre de grandes villes proches du littoral, mais dénuées de véritables infrastructures portuaires, à l’exemple de Montpellier ou de Perpignan. Malgré les études pionnières conduites par l’historien médiéviste Louis Stouff, qui dès la fin des années 1960 avait relevé l’importance des poissonneries provençales dans les marchés alimentaires anciens3, les provinces méridionales n’ont semble-t-il jamais fait l’objet d’études générales analogues à celles conduites par Reynald Abad pour le grand marché parisien4, ou par Roberto Cubillo de la Puente à propos du marché du poisson en Castille et en Léon au xviiie siècle5.
4Analysés au cours de cette troisième partie, les deux études de cas de la Provence intérieure et de l’espace roussillonnais doivent à ce titre permettre une meilleure compréhension de l’organisation de la distribution locale du poisson. Comment celle-ci est-elle connectée aux grands échanges océaniques et méditerranéens ? Peut-on relever des similitudes entre la capitale parlementaire provençale et celle abritant le siège du Conseil souverain de Roussillon, permettant de discerner l’existence d’un modèle méridional de la poissonnerie moderne française ? Quels en sont les acteurs ? En quoi le contrôle des halles du poisson, à l’instar de celles du blé6, revêt-il une importance particulière pour la mise en œuvre des politiques édilitaires d’approvisionnement des cités à l’époque moderne ? La consommation du poisson, au sein des populations continentales, permet-elle enfin de redéfinir les contours d’une culture maritime, imprégnant de manière diffuse un vaste arrière-pays des zones côtières ?
5Prenant le contre-pied des approches habituellement consacrées au poisson, le plus souvent observé depuis la mer, ce chapitre tente une lecture inversée de l’économie halieutique, désormais regardée depuis l’intérieur des terres. Au carrefour d’une histoire des échanges et de la petite distribution, d’une histoire sociale des communautés d’Ancien Régime et d’une histoire des sociétés littorales, la présentation qui va suivre est l’ébauche d’un travail récemment entrepris, appelé à d’autres développements.
Notes de bas de page
1 Gilbert Buti, Les chemins de la mer. Un petit port méditerranéen : Saint-Tropez (xviie-xviiie siècles), Rennes, PUR, 2010, p. 300-302.
2 Daniel Faget, Marseille et la mer. Hommes et environnement marin (xviiie-xxe siècle), Rennes/ Aix-en-Provence, PUR/PUP, 2011, p. 130-141.
3 Louis Stouff, Ravitaillement et alimentation en Provence aux xive et xve siècles, Paris/La Haye, Mouton et Cie, 1970, p. 201-213.
4 Reynald Abad, Le grand marché. L’approvisionnement alimentaire de Paris sous l’Ancien Régime, Paris, Fayard, 2003.
5 Roberto Cubillo de la Puente, El pescado en la alimentación de Castilla y León durante los siglos xviii y xix, Ponferrada, Universidad de León, 1998, 501 p.
6 Brigitte Marin, « Organisation annonaire, crise alimentaire et réforme du système d’approvisionnement céréalier à Naples dans la seconde moitié du xviiie siècle », Brigitte Marin, Catherine Virlouvet, dir., Nourrir les cités méditerranéennes : Antiquité, Temps modernes, Aix-en-Provence, MMSH, 2004, p. 389-418.
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