Syntaxe des stéréotypes linguistiques
p. 107-170
Texte intégral
1Après avoir passé en revue les termes désignant et qualifiant la chevelure, il convient d’analyser les formes que prend le rapprochement fréquent de la blondeur et de l’or. En guise de préliminaires, l’analyse des brèves notations descriptives et l’étude des principes régissant le portrait – qui constitue le terreau privilégié où se développe cette comparaison attendue – permettent de saisir aussi bien les codes en action, les buts poursuivis que les rapports entretenus avec les autres images canoniques. Les formulations foisonnantes opérant la liaison entre la chevelure et l’or requièrent un classement mettant en évidence les structures récurrentes. La répartition des occurrences selon le mode stylistique de rapprochement (métaphore, similitudo ou comparatio) permet en effet d’affiner l’analyse des constructions syntaxiques et lexicales les plus fréquentes. Une fois les stéréotypes linguistiques – ou clichés1 – mis en évidence, il apparaît que nombre de poètes ont tenté de revivifier la comparaison en améliorant son intégration textuelle, notamment en élaborant un jeu d’échos entre la chevelure et les objets dorés qui l’environnent : les auteurs se sont donc approprié une matière connue pour l’adapter à de nouvelles fins. D’autres ont manifesté leur créativité en optant pour des comparants plus inattendus relevant aussi bien du domaine des métaux que des animaux ou des végétaux ; le recours à la variation a alors créé l’innovation. Après avoir sondé les causes du succès de l’or en tant que comparant, nous nous intéresserons aux œuvres où le cliché semble évincé. En effet, parallèlement à l’amenuisement du portrait physique à la fin du Moyen Âge, la description de la blondeur tend à disparaître au profit de l’évocation de riches coiffures dorées, comme si la chevelure tendait à devenir parure. Le retour de formulations identiques à celles du cliché appliquées non plus aux cheveux mais aux ornements de tête souligne la transposition du stéréotype linguistique. Le cliché renaît de ses cendres. D’autre part, se dessine une mutation qui remplace progressivement l’éloge de la blondeur par celui de la longueur, comme si une nouvelle norme s’instaurait, entraînant dans son sillage des formulations tout aussi stéréotypées.
Décrire la chevelure
2La chevelure est principalement évoquée dans les œuvres au sein du portrait, longue échappée descriptive aussitôt délimitée comme telle par le lecteur ou l’auditeur, mais aussi lors d’ébauches descriptives de quelques mots ou vers, que nous allons à présent analyser afin de mettre en évidence le caractère particulièrement normé de la description au Moyen Âge.
Îlots descriptifs
3Les « micropropositions descriptives » définies par Jean-Michel Adam et André Petitjean2 se déploient sous forme d’excroissances qui ne brisent pas la linéarité de la narration et qui ont pour fonction de particulariser un personnage :
La biele blonde, l’escavie, | La belle blonde, l’élégante, |
Le Roman de la Violette, v. 585 et v. 1706 | |
– Par foi, dit Lorete au blont chief, | – Ma foi, dit la blonde Lorette, |
Méraugis de Portlesguez, v. 953 | |
[…] Persowis la bloie | […] Persewis la blonde |
Le Roman de Partonopeu de Blois, v. 8443. |
4Un ou deux adjectifs suffisent alors au lecteur, au cœur de l’action, pour esquisser une image mentale de la jeune fille en question. Le procédé est porté à son terme quand le personnage se fait appeler Blonde3.
5Le cas le plus évident reste toutefois celui d’Yseut puisque le prénom de la reine appelle presque systématiquement une référence à sa blondeur :
A Yseut a la crine bloie | À Iseut aux cheveux blonds |
Tristan de Béroul, v. 15464 | |
Yseut la bloye | Ysolt la Blonde |
Le Roman de Tristan, appendice, 3385 | |
Yseut la blonde | Yseut la Blonde |
Cligès, v. 5252. |
6Malgré leur similitude, ces formules ne sont pas figées. En concurrence avec les épithètes homériques la bloie ou la blonde se trouvent soit une relative soit un groupe prépositionnel, composés tous deux d’un substantif (crine, crin, chief, chevouls) et d’un adjectif (bloi, blont, sor). Ces îlots descriptifs fonctionnent comme autant de jalons de la narration dans la mesure où la présence d’Yseut est doublement rappelée par la couleur de ses cheveux et par son prénom. Ces « lieux de mémoire »6 instaurent dans l’esprit du lecteur-auditeur une identification sans cesse renouvelée d’Yseut à la blondeur, si bien qu’il suffit d’évoquer la flamme du bûcher pour que celle-ci fasse écho à la clarté de la chevelure de la reine.
7« Une micro-proposition est ainsi un rappel à l’esprit du destinataire, un minuscule lieu de mémoire qui n’a d’autre ambition que d’insuffler réalité et vie aux personnages par la réitération de qualités devenues intrinsèques »7. Autrement dit, ces ébauches avortées de portrait favoriseraient la représentation mentale du personnel narratif, en attribuant à chacun son lot particulier de caractéristiques. Or, ces qualifiants se révèlent en réalité interchangeables ou applicables à plusieurs personnages : ils perdent donc leur pouvoir de caractérisation. Dès lors, on attendra du portrait qu’il livre une perception globale du personnage. Les brèves notations descriptives établissent donc un canon qui sera repris et amplifié dans le portrait réglé.
Le portrait, définition
8Avant de commencer, il convient de préciser ce qu’on entend par portrait. Les définitions varient selon les critiques même si tous s’accordent à dire qu’il s’agit d’un « fragment de texte où les traits physiques d’un personnage sont particulièrement détaillés »8, d’une description précisant l’apparence extérieure d’un personnage9. Cependant, les avis divergent quand il s’agit de préciser la longueur minimale du portrait10. Nous pourrions décider, à la suite d’Arnoldo Moroldo, d’appeler ainsi toute description physique et/ou morale d’un personnage formant une unité semi-indépendante et portant sur au moins deux caractéristiques différentes11. Or, nous répugnons à nommer portrait des segments de phrase aussi succincts que ceux cités dans les deux pages précédentes. Par conséquent, nous préférons opter pour une définition plus large selon laquelle le portrait se définirait par la pause qu’il implique dans la narration12. De ce fait, il ne pourrait être inférieur à deux vers et/ou à une phrase. On ne parlera pas non plus de portrait si trois éléments descriptifs voire plus sont livrés au hasard d’une phrase narrative.
9Pour commencer, il faut comprendre que la description de l’être humain dans la littérature médiévale relève de la rhétorique épidictique. En effet, « l’objet principal du genre oratoire que les anciens ont appelé démonstratif est l’éloge et le blâme, et le moyen par lequel on y atteint est la description »13. Décrire une personne ou un personnage ne se comprend donc que dans une optique argumentative, soit pour louer les qualités du modèle, soit pour en stigmatiser les défauts. La dimension apologétique transparaît donc dans l’usage immodéré d’adjectifs subjectifs qui connotent la beauté sans véritablement la décrire, « le plus emblématique étant l’adjectif biaus/bele, véritable leitmotiv et réflexe sémantique »14. C’est pourquoi les portraits, haut lieu de l’évocation des cheveux, doivent être conçus comme des réponses à un horizon d’attente préétabli et fortement codé, non comme l’expression particularisée d’une subjectivité, et encore moins comme une tentative de rendre compte de la réalité.
10Codifié dans sa visée, le portait médiéval l’est aussi dans sa composition. À l’instar de Dieu qui créa l’homme en commençant par la tête, le poète se doit de décrire de haut en bas, soit un plan obligé : de la tête au tronc aux bras et aux jambes15. L’ordre descendant apparaît en effet si évident que le cas du portrait de la fée du Lai de Lanval, dans lequel l’ordre habituel se trouve strictement inversé, fait figure d’exception16. Edmond faral pousse assez loin les exigences de la composition d’un portrait en instituant la nécessité de deux parties, l’une physique et l’autre morale17, mais l’abondance de portraits uniquement physiques dans la littérature du douzième siècle laisse penser que cette règle stricte s’appliquait davantage à la littérature latine.
11Si la division du portrait en deux parties ne s’avère pas nécessaire au poète, ce n’est pas le cas du thème traditionnel de la nature créatrice de beauté18, si utile pour commencer la description d’une femme. Ce topos joue, d’une part, le rôle de jalon indicateur du début de la description et permet, d’autre part, de laisser libre cours aux hyperboles laudatives, ce que Ernst Robert Curtius recense sous le nom de surenchère19. Par conséquent, dans un portrait qui suit l’ordre descendant canonique, la description de la chevelure prend place immédiatement après l’éloge de la beauté, ce qui, implicitement, par la proximité spatiale, tend à associer beauté et chevelure :
Mout estoit la pucele gente, | La jeune fille éait très noble et très belle, |
Car tote i ot mise s’antante | Car Nature qui l’avait créée |
Nature qui fete l’avoit. | Y avait mis tous ses soins. |
Ele meïsmes s’an estoit | Nature s’était émerveillée |
Plus de cinc cenz foiz mervelliee | Plus de cinq cents fois |
Comant une sole foiee | D’avoir su former |
Tant bele chose fere sot, | Une si belle créature, |
Car puis tant pener ne se pot | Car depuis, malgré tous ses efforts, |
Qu’ele poïst son essanplaire | Elle n’avait pu répéter |
An nule quise contrefaire. | Une telle réussite. |
De ceste tesmoingne Nature | Nature elle-même porte témoignage |
C’onques si bele criature | Que jamais si belle créature |
Ne fu veüe an tot le monde. | Ne s’était vue dans le monde. |
Por voir vos di qu’Isolz la blonde | En vérité, je vous dis que la chevelure |
N’ot les crins tant sors ne luisanz | Si ambrée et si brillante d’Yseut la Blonde |
Que a cesti ne fust neanz. | Ne fut rien en comparaison de la sienne. |
Érec et Énide, v. 411-426. |
12Le lecteur-auditeur induit un lien de causalité qui n’apparaît pas dans le texte. Ceci s’avère d’autant plus frappant quand le portrait se borne à l’évocation de la beauté et à la description des cheveux, comme par exemple celui de la fée à la fin du Lai de Lanval20 ou de Beauté dans Le Roman de la Rose21. L’ordre codifié du portrait concourt donc à introduire une relation d’équivalence entre la beauté féminine et la splendeur de la chevelure.
13Le portrait médiéval se révèle donc conventionnel, tant dans ses buts que dans sa composition. Il en va de même pour son contenu puisqu’il ne s’agit pas de décrire le réel mais de « faire la preuve de son savoir-faire rhétorique, la preuve de sa connaissance des modèles livresques »22. Les héroïnes se ressemblent et, d’un roman à l’autre, semblent interchangeables : « toutes sont la résultante d’un code rigoureux de la beauté idéale, fondé sur une réserve de signes constants : les longs cheveux blonds, les yeux clairs et brillants, les lèvres petites et rouges »23. La descriptiopuellae telle qu’elle est codifiée par Matthieu de Vendôme24 et Geoffroi de Vinsauf25 comprend ainsi, à partir de ces traits constants, un certain nombre de mises en relation prévisibles, souvent liées au domaine naturel. Quand on analyse la présence de ces comparaisons dans les portraits de notre corpus, il apparaît que :
deux tiers des portraits employant une comparaison pour qualifier la blondeur font
référence à l’or,
dans les portraits utilisant une comparaison pour désigner la blancheur de la peau,
plus du tiers renvoie à la fleur de lys et autant à la neige26,
deux tiers des portraits employant une comparaison pour qualifier le contraste des couleurs du visage se réfèrent à la fleur, dont plus de la moitié à la rose.
14Autrement dit, les éléments de comparaison ne sont pas imposés – le poète se ménage un espace de liberté – mais fortement attendus par le public rompu à la lecture de romans. Il ne s’agit pas ici de présenter une analyse fouillée des différentes comparaisons mais on retiendra simplement le caractère prévisible de la plupart des rapprochements. Ainsi, la définition que donne Philippe Hamon du système descriptif en tant qu’« explication (ex-plicare), dépli d’une liste en attente dans la mémoire du lecteur-auditeur, exhaustion plus ou moins saturée d’une somme »27 s’applique tout particulièrement au portrait médiéval. Le lecteur s’attend à retrouver ces comparaisons usitées qui « modélisent »28 le portrait et en créent la structure, qu’elles soient reprises avec plus ou moins de brio.
15La succession des comparaisons canoniques dans un espace de texte restreint tend à faire du portrait une accumulation de traits disparates, juxtaposés sans être hiérarchisés. Le physique du personnage est comme décomposé « en une série de facteurs un à un amplifiés par des digressions »29. Paul Zumthor parle à juste titre de « vision myope » puisque chacun des éléments décrits semble autonome par rapport aux autres, auto-suffisant30. La description de la chevelure porte ainsi sens par elle-même, sans qu’il soit nécessaire de la mettre en relation avec la description des autres éléments du portrait.
16Localisé à un endroit stratégique de l’œuvre – soit au tout début31, soit en fin32, soit encore au moment où apparaît le personnage33 – le portrait constitue un passage fortement attendu qui doit mettre en évidence la maîtrise du poète. Ce morceau de bravoure en tous points codifié, « stylisation consciente et volontaire fondée sur l’idéalisation », reste ainsi soumis « à une double contrainte qui en fausse l’originalité : un canevas schématique précis et un magasin lexical déterminé »34. On ne s’étonnera donc pas du manque de personnalisation des portraits médiévaux.
17Il faut d’autre part avoir à l’esprit que les auteurs médiévaux ne cultivaient pas comme les Romantiques le culte de l’originalité mais prônaient l’imitation. Dans un portrait, la combinaison conventionnelle de la chevelure et de l’or modelait « des lieux de communion phatique narrateur-public plutôt que des lieux de référence et d’introduction de l’inédit »35. Voilà pourquoi la notion de cliché, qui ploie aujourd’hui sous les connotations péjoratives, ne s’attache pas aux intentions qui ont présidé à la création littéraire mais à la réception que le lecteur peut en faire. C’est « un signe convenu, témoignant de l’existence d’un consensus culturel entre l’écrivain et ses lecteurs »36, un clin d’œil de connivence. Le temps est maintenant venu d’analyser en détail ce fameux rapprochement des cheveux et de l’or, dont Jean Cohen dira encore en 1979 qu’il « ne semble pas avoir perdu de son pouvoir […] [et qu’] il faut croire qu’il est des formules poétiquement inusables »37.
L’or blond
18L’image la plus courante associe, ce qui n’est une surprise pour personne, l’éclat des cheveux à celui de l’or. Elle s’érige même en modèle dans les portraits illustrant les traités de rhétorique, que ce soit dans la Poetria Nova de Geoffroi de Vinsauf38 :
Crinibus irrutilet color auri | La couleur de l’or irradiait des cheveux |
v. 564. |
19Cependant, si le comparant demeure l’or, la formulation littérale est loin d’être identique et les variations abondent ; c’est pourquoi cette figure de style va être l’objet d’une étude approfondie afin de poser les jalons de l’étude du cliché, considéré en soi. Quoi de commun en effet entre :
Et ses crins d’or, crespes et longs, | Et ses cheveux d’or, longs et frisés, |
Qui li batent jusqu’aus talons, | Qui lui battent les talons, |
Le Confort d’ami, v. 2163-2164 |
20et :
Sor le blonde crine luisant, | Sur la brillante chevelure blonde, |
Qui dusc’au pié aloit batant | Longue jusqu’à battre les pieds |
(Plus luisent d’or fin en escu), | (Ils brillent plus que l’or fin d’un bouclier), |
Le Roman du Comte de Poitiers, v. 951-953 |
21sinon le rapprochement de la chevelure et de l’or ? La mise en évidence de ces deux attributs constitutifs – critères nécessaires et suffisants pour reprendre la terminologie employée par Jean-Jacques Vincensini39 – s’ils permettent la reconnaissance du cliché, ne suffisent toutefois pas à en délivrer les secrets. La variété des énoncés est impressionnante puisque, comme le souligne Anne-Marie Perrin-naffakh, « le cliché, au contraire [de l’unité phraséologique], conserve à ses constituants au moins une indépendance partielle, qui en autorise le déplacement (mortel chagrin/chagrin mortel) ou le remplacement par des équivalents au moins approximatifs (jeter / précipiter dans l’abîme ; ruisseaux / fleuves de sang ; sein de neige / de marbre / d’albâtre) ». S’il faut bien reconnaître que « cette relative souplesse de structure laisse au cliché une capacité d’adaptation linguistique »40, il faut aussi admettre que de ce fait la mise en évidence d’un prototype apparaît incertaine. La variabilité des déterminants et même des substantifs et verbes, l’ordre des mots ainsi que l’insertion de compléments additionnels compromettent l’émergence d’un archétype incontournable, d’un modèle a minima. Cependant, malgré sa plasticité formelle41, le stéréotype linguistique – défini par sa fréquence42 et par la présence de l’élément catalyseurqu’est la référence à l’or –reste identifiable quelles que soient les expressions particulières qui le manifestent.
22Avant de pousser plus avant l’analyse de celles-ci, il convient de régler certains points de vocabulaire. Si la métaphore peut se définir assez simplement comme un transfert de signification par substitution analogique43, la comparaison recouvre en revanche deux réalisations bien différentes. La confusion entre les deux, qui a conduit à leur regroupement sous le nom de comparaison en français, s’explique aisément par la ressemblance de structures formelles exprimant des rapports sémantiques différents. C’est pourquoi, à la suite de Michel Le Guern dans Sémantique de la métaphore et de la métonymie, nous choisissons de recourir aux deux termes latins de comparatio et de similitudo : « Sous le nom de comparatio sont groupés tous les moyens qui servent à exprimer les notions de comparatif de supériorité, d’infériorité et d’égalité. La comparatio est donc caractérisée par le fait qu’elle fait intervenir un élément d’appréciation quantitative. La similitudo, au contraire, sert à exprimer un jugement qualitatif »44. On distinguera ainsi, malgré l’emploi du même mot outil con/com :
Car autant ou plus con li ors | Car le cheveu clair et ambré |
Estoit li chevox clers et sors. | Brillait autant et même plus que l’or. |
Cligès, v. 1165-1166 |
23de :
Blonde com or. […] | Blonde comme l’or. […] |
Galeran de Bretagne, v. 15. |
24Dans Cligès, il s’agit d’une comparatio, qui établit un rapport quantitatif entre la blondeur du cheveu et celle de l’or, tandis que dans Galeran de Bretagne l’or intervient dans le déroulement de l’énoncé comme le métal comportant à un degré éminent la qualité qu’il s’agit de mettre en valeur. Autrement dit, la similitudo du quinzième vers de Galeran met en relief la nuance particulière attribuée à la chevelure de Madame Gente en convoquant l’image de l’or, perçu comme le métal possédant le plus sûrement cette couleur subtile et épurée.
Métaphore
25La métaphore entre dans la catégorie des tropes. « L’expression [cheveux d’or] ne peut être prise en son sens littéral de « cheveux en or », elle est donc ce qu’on appelle classiquement un trope, c’est-à-dire un mécanisme de paraphrase à partir de rapports motivés (ressemblance, contiguïté, etc.) entre sens littéral et sens figuré »45. figure en un seul mot, la métaphore « [consiste] à présenter une idée sous le signe d’une autre idée plus frappante ou plus connue, qui d’ailleurs ne tient à la première par aucun autre lien que celui d’une certaine conformité ou analogie »46. Autrement dit, le trope « [opère] par modification de la signification usuelle du mot »47 et se distingue des autres figures qui substituent une expression à une autre par son caractère ramassé : « dans le trope, il y a changement de sens d’un mot »48 et d’un mot seulement. Entrent donc dans cette catégorie aussi bien le substantif or (précédé de la préposition de assurant la jonction tout en précisant la nature du lien) que l’adjectif épithète doré. Toutefois, pour des raisons de commodité, nous étudierons ultérieurement cet adjectif moins fréquent dont les emplois ne relèvent pas systématiquement du schéma métaphorique49. La concision même du trope a sans doute joué en sa défaveur puisque l’image pouvait passer inaperçue, noyée dans le fil de la lecture. Discrète, la métaphore se faisait oublier et, n’étant plus perçue comme telle, tendait à se figer. Les tropes sont effectivement « les figures les plus menacées par la lexicalisation, mais aussi celles qui se prêtent aux réanimations les plus intéressantes »50. Il s’agira aussi de mesurer le degré de figement du trope.
26La rareté du choix de cette structure formelle est remarquable : dix occurrences seulement pour l’ensemble du corpus, dont trois relatives à des chevelures masculines. Ces métaphores sont composées d’un complément déterminatif de matière s’organisant autour de la préposition de, dont le modèle archétypal serait le syntagme cheveus d’or :
une damoiselle vestu de guelles a large | une demoiselle habillée de rouge, avec |
teste, les cheveulx d’or tronsés et liés | une grande tête et des cheveux d’or relevés et attachés |
Les Chevaliers de l’Ordre de la Toison d’or51 |
27dans lequel cheveus peut être remplacé par un de ses synonymes, crins52 ou chief :
Il a le chief d’or e regart de lion e no[m] blil de virge pucele e cuer de valeur e teches sanz vilenie. | Il a une tête d’or, un regard de lion, un nombril de vierge, un cœur de valeur et de nobles qualités. |
Perlesvaus, branche III, 6153. |
28La métaphore se présente de façon identique pour les deux sexes, à cette différence que chief est davantage représenté pour les personnages masculins. On ne relève que des métaphores in praesentia54, les plus lisibles55, même si le sème commun motivant la métaphore reste implicite. D’autre part, le comparé apparaît toujours dans la phrase avant le comparant, contrairement à l’usage qui deviendra majoritaire en poésie à partir du xvie siècle56. Enfin, la variété des substantifs d’appui de même que la possibilité d’en ajouter un deuxième :
sy avoit les cheveulx et la barbe de fin or. | Il avait ainsi les cheveux et la barbe d’or fin. |
Perceforest, 2e partie, t. i, 495, l. 19, |
29la présence éventuelle de l’adjectif épithète fin ainsi que la liberté de l’ordre des mots (treces vos garde de fin or) prouvent que ce trope n’est assurément pas figé à l’époque médiévale, même si l’on peut en extraire une construction prototypique :
30Le Blason du […] de la pucelle présente, comme son titre l’indique ou plutôt ne l’indique pas, une variation grivoise du comparé, d’autant plus habile que le substantif poil aurait fort bien pu, dans un autre contexte, s’appliquer à la chevelure comme on l’a vu plus haut57 :
[…] revestu d’une riche toyson | Revêtu d’une riche toison |
De fin poil d’or en sa vraye saison ; | De fin poil d’or bien comme il faut ; |
Blason du […] de la pucelle, v. 7-858. |
31On remarquera une deuxième transposition, celle de l’adjectif fin qui, au lieu de s’appliquer au comparant or en vue de souligner son degré de pureté, devient ici épithète de poil. Il est manifeste que Claude Chappuy s’amuse.
32Saluons pour finir l’originalité de l’auteur de Galeran de Bretagne qui, dans le portrait qu’il brosse de Fresne, reprend la métaphore en la justifiant : les cheveux sont bel et bien recouverts d’or car nature, telle une alchimiste, les a teints :
Car bien la revesti nature | En effet nature l’avait revêtue et dotée |
De tout quanqu’ell’ot, et fist don ; | De toutes ses richesses ; |
Si despendi si a bandon | Elle avait prodigué toute sa puissance |
Tout son pooir en li pourtraire, | À la façonner |
Qu’or n’a mes de quoy present faire | Si bien qu’il ne lui restait plus rien |
Ne qu’elle puit autrui donner ; | À offrir ni à donner à une autre femme : |
Qu’elle li voulst abandonner | Elle avait voulu déployer pour elle |
A lui ouvrir tout son tresor ; | Toutes les ressources de son trésor ; |
Si lui a taint les cheveux d’or, | Nature a teint en or ses cheveux, |
Galeran de Bretagne, v. 1232-1240. |
33Cependant, le classement de cette occurrence parmi les métaphores se révèle litigieux. Si les cheveux sont matériellement recouverts de peinture dorée, souvent constituée de poudre d’or délayée avec de l’eau, il n’y a plus transfert de la signification usuelle du mot et le trope n’existe plus.
Comparatio
34On distingue les comparationes d’égalité et de supériorité, la première affirmant que les cheveux sont aussi blonds ou clairs etc. que l’or tandis que la deuxième avance la supériorité de la couleur ou de l’éclat des cheveux sur le métal précieux. Cette appréciation quantitative est généralement imputable à un narrateur omniscient prétendument objectif mais elle se voit parfois cautionnée par la voix d’un narrateur qui intervient à la première personne ou par le monologue intérieur d’un personnage intradiégétique, choix à la fois plus captivants et plus convaincants.
Égalité
35La comparatio d’égalité reste marginale59 et c’est facilement compréhensible puisqu’elle présente une force hyperbolique moindre et perd en expressivité. Si les poètes continuent à l’utiliser, ils obéissent sans doute aux avertissements de Quintilien contre l’abus de l’hyperbole. Afin de ne pas abuser de la crédulité du public, les auteurs restreignent donc leur expression. Chrétien de Troyes se ménage néanmoins une sortie vers la comparaison de supériorité par l’ajout de ou plus qui laisse au lecteur-auditeur la responsabilité du choix :
Car autant ou plus con li ors | Car le cheveu clair et ambré |
Estoit li chevox clers et sors. | Brillait autant et même plus que l’or. |
Cligès, v. 1165-1166 | |
Sor son chief un cercelet d’or, | Sur la tête, elle portait un diadème d’or, |
Don li chevol estoient sor, | Et ses cheveux étaient ambrés |
Autant come li ors ou plus ; | Autant que l’or ou plus ; |
Le Conte du graal, v. 7901-7903. |
36Dans ces deux exemples, la figure de style est enrichie d’abord par la rime or/sormais surtout par le rapprochement effectif de la chevelure et de l’or : dans Cligès le fil d’or cousu à côté du cheveu, dans Le Conte du graal la couronne dorée posée sur la tête de la sœur de Gauvain. La comparatio se contente alors de mettre en évidence la correspondance tangible des deux nuances. De cette façon, la figure de style ne passe pas pour un effet rhétorique usé mais, comme remotivée par le contexte immédiat, elle paraît trouver là son origine, renaître d’une confrontation accidentelle de l’or et des cheveux60.
37La mention de fils d’or permet à l’image de gagner en précision et en puissance évocatoire puisque les deux réalités comparées se ressemblent quant à la forme, la texture et l’aspect :
ses cheveux liez par derriere, qui estoient aussi blons que fil d’or | Ses cheveux attachés par-derrière, qui étaient aussi blonds que des fils d’or |
Clériadus et Méliadice, III, l. 128-129. |
38Visuellement, l’image devient plus évidente et ipso facto, plus efficace. Ce recours au fil d’or se retrouvera dans les comparationes de supériorité61 et les similitudines. Voici donc le schéma récapitulatif :
39On précisera en dernier lieu que le trait commun motivant la comparaison, aussi bien pour les femmes que pour les hommes, reste invariablement la couleur blonde, désignée par les adjectifs sors, blons et jaulnes.
Supériorité
40L’hyperbole atteint ses limites avec la comparatio de supériorité dans laquelle le modèle est dépassé. Par le choix fréquent de cette structure62, le poète affirme la supériorité de la chevelure de son personnage sur l’or, par sa blondeur et/ou par sa brillance. Pour parfaire cette démesure stylistique, insistance est mise sur la pureté du métal précieux grâce à l’adjectif fin :
deviser ses chevex sors | Décrire ses cheveux ambrés |
qui plus reluisent que fins ors, | Qui brillent plus que l’or fin, |
| |
Ses crinz qui molt erent dougiez | Ses cheveux qui étaient très fins, |
A par ses espaules laissiez, | Elle les a laissés tomber librement sur ses épaules ; |
Plus sont reluisanz que fins ors. | Ils brillent davantage que l’or pur. |
Floriant et Florette, v. 5941-594364 | |
Par deriere ot jeté ses crins | Elle avait rejeté en arrière ses cheveux |
Plus reluisans que nus ors fins | Plus brillants que l’or le plus pur |
Le Bel Inconnu, v. 3979-3980 | |
et ses cheveus resenbloient | Et ses cheveux semblaient |
plus clers que nul or fin. | Plus clairs qu’aucun or fin. |
Li lais de la pastorele, v. 18-1965. |
41L’hyperbole est à son comble dans les deux dernières citations par l’emploi du déterminant indéfini nul. Une gradation pourrait ainsi s’établir dans l’hyperbole, elle irait de or à nul or fin, en passant par fin or et or esmeré66 :
Caviaus crespas, recércelas, | Les cheveux frisés, bouclés, |
Qui plus luisent c’ors esmerés. | Qui brillent plus que l’or très pur. |
Lai de Narcisse, v. 95-96 | |
A deus tresces trecee esteit, | Ses cheveux étaient coiffés en deux tresses |
Plus ke or esmeré reluseit, | Qui brillaient plus que l’or très pur, |
Ipomédon, v. 2235-2236. |
42comme si la simple mention de l’or devenait insuffisante du point de vue expressif67. Ces comparants mettent toujours en relief la luminosité de la blondeur, ce que traduit la répétition du verbe (re)luire ; l’innovation du Roman du Comte de Poitiers consiste à y adjoindre le complément prépositonnel en escu qui met l’accent sur l’abondance d’une chevelure lisse et miroitante telle la surface plane d’un bouclier :
Sor le blonde crine luisant, | Sur la brillante chevelure blonde, |
Qui dusc’au pié aloit batant | Longue jusqu’à battre les pieds |
(Plus luisent d’or fin en escu), | (Ils brillent plus que l’or fin d’un bouclier), |
v. 951-953. |
43On remarque la plus grande fréquence des interventions du poète au sein de la comparatio de supériorité, comme si sa caution était indispensable pour faire accepter au lecteur-auditeur l’hyperbole impossible. Il s’agit d’incidentes telles que che m’est vis ou mien essiant :
Mais dire vous voel de rechief | Mais je veux vous répéter |
K’encor estoit ses chiés plus sors | Que sa tête était encore plus ambrée |
Et plus reluisans que li ors | Et plus brillante que l’or |
Qui fu el chapiel, che m’est vis. | De la couronne, à ce qu’il me semble. |
Le Roman de la Violette, v. 5009-5012 | |
La couronne dessous ert d’or ; | La couronne en-dessous était d’or ; |
Mais si kavel erent encor | Mais ses cheveux étaient encore |
Plus cler, plus bel et plus luisant | Plus clairs, plus beaux et plus brillants |
Que li ors n’ert, mien essiant. | Que n’était l’or, à mon avis. |
La Manekine, v. 2243-2246. |
44Dans les deux cas, l’incidente est placée en fin de vers et en fin de phrase, constituant en quelque sorte la chute et le point final de la comparatio. La caution du poète se révèle d’autant plus nécessaire que la comparaison s’effectue en situation68 : l’œil averti confronte l’éclat de l’or de la couronne et celui des cheveux pour conclure à la supériorité de la chevelure. Le poète se fait juge et s’engage personnellement dans son verdict. On rapprochera cette implication de celle d’Yvain troublé et blessé des dommages que Laudine endeuillée fait subir à sa chevelure :
Grant duel ai de ses biax chevox | Ses beaux cheveux me font beaucoup souffrir |
C’onques rien tant amer ne vox, | Car je ne veux rien aimer davantage, |
Que fin or passent, tant reluisent. | Tellement leur éclat surpasse celui de l’or fin. |
Le Chevalier au Lion, v. 1463-1465. |
45Le choix de la focalisation interne sur le personnage d’Yvain présente l’avantage d’imputer l’hyperbole au personnage amoureux, ce qui amoindrit la hardiesse de la formulation. Chrétien délègue ainsi à son personnage la responsabilité de l’exagération.
46La comparatio, communément présentée par une tournure positive, peut se renverser en tournure négative dans laquelle le comparant sert de sujet à la phrase. La comparatio négative d’égalité correspond néanmoins pour le sens à une comparatio positive de supériorité :
car se le voir me requérez, | Car si vous me réclamez la vérité, |
ge vos di c’ors fins esmerez | Je vous affirme que l’or fin le plus pur |
ne reluist plus, non autretant. | Ne brille pas plus, ni même autant. |
Le Roman de la Poire, v. 1625-1632 | |
fils d’or ne gete tel luur | Un fil d’or a moins d’éclat |
cum si chevel cuntre le jur. | Que ses cheveux à la lumière du jour. |
Lai de Lanval, v. 574-575. |
47Si l’or le plus pur ne brille ni autant ni plus que la chevelure, cela revient à dire que les cheveux irradient davantage, mais l’effet sur le lecteur-auditeur demeure plus frappant. Dans le Lai de Lanval, l’ordre chronologique de la lecture impose d’abord à l’esprit la lueur jetée par l’or, avant que ne soit fait allusion aux cheveux, soit une deuxième inversion de l’ordre habituel comparé comparant. Véritable trouvaille stylistique, cette comparatio doublement inversée se trouve de plus renforcée par la mention de la lumière du jour grâce aux deux mots se faisant écho à la rime. Autrement dit, la comparaison explicite avec l’or se double d’un rapprochement sous-jacent avec la clarté solaire.
48Contrairement à la comparatio d’égalité qui avançait toujours la couleur blonde comme point commun entre les cheveux et l’or, la comparatio de supériorité n’indique la couleur comme motif de rapprochement que dans 21 % des cas, préférant signaler la suprématie de la chevelure sur l’or quant à l’éclat69. Aussi trouvera-t-on souvent l’adjectif reluisant comme clef de voûte de cette structure. En effet, quasiment toutes les comparationes de supériorité signalant l’éclat commun au comparant et au comparé emploient pour ce faire un mot de la famille du verbe luire. Ce dernier est plus rarement choisi70 que reluire :
Ves chi dis de ses cevex sors | Voici dix de ses cheveux ambrés |
Qui plus reluisent que fins ors, | Qui brillent plus que l’or fin, |
Le Roman du Comte de Poitiers, v. 343-34471 |
49L’adjectif luisans se retrouve fréquemment sous la plume des auteurs :
Plus avoit blonz les crins et sors | Elle avait les cheveux plus ambrés et plus éclatants |
Et plus luisanz que n’est fins ors, | Et plus brillants que n’est l’or fin, |
Les miracles de nostre dame, t. iii, livre i, v. 91-92 | |
Plus estoit luisans que fins ors | Elle était plus brillante que l’or fin |
Philomena, v. 14072, |
50mais c’est reluisans qui reste le favori :
Si reluisanz e si pignez | Si bien peignés et si brillants |
Que fins ors resenblast oscurs. | Que l’or pur, en comparaison, perdrait tout éclat. |
Le Roman de Troie, v. 23470-234771 | |
Plus sont reluisanz que fins ors. | Ils sont plus brillants que l’or pur. |
Floriant et Florette, v. 5943 | |
pluis reluisanz qu’argentz ne ors ; | Plus brillants qu’argent ou or. |
Le Roman de Thèbes, v. 413873. |
51Pour résumer, l’adjectif reluisans est le plus courant, suivi de luisans, des verbes reluire, luire, et du substantif luur. C’est d’ailleurs la proposition de supériorité plus reluisans que fins ors qui semble d’emblée la plus figée. Néanmoins, à la lecture des exemples ci-dessus, il apparaît nettement que, si la parenté des formulations est évidente, aucune n’est cependant formellement identique. En l’absence de véritable nouveauté lexicale, la dérivation, l’expansion, la négation ou l’ordre des mots permettent aux poètes de jouer avec le canevas de base pour créer une formulation originale. Essayons toutefois de présenter un tableau synthétique :
52La formule de base, sujette à toutes les variations, se réduirait ainsi à :
53À titre de comparaison, les personnages masculins et les chevaux jouissent de formulations très proches à tel point que si l’on occultait le contexte, il serait difficile de savoir à qui s’applique la comparatio :
Et pardessus ce pilier estoit assiz | Et par-dessus ce pilier était posée |
le chief du gueant, | la tête du géant, |
sy luy pendoient les cheveulx tout | dont les cheveux tombaient jusqu’en |
aval plus clers et | bas, plus clairs et |
plus jausnes que fin or. | plus jaunes que l’or fin. |
Perceforest, 2e partie, 205,110, l. 5-7 | |
Les cheveus avoit blois e sors, | Ses cheveux étaient d’un blond ambré, |
Plus reluisanz que n’est fins ors. | Plus brillant que l’or fin. |
Le Roman de Troie, v. 5449-5450. |
54Si l’évocation des cheveux du géant se distingue des comparationes analysées plus haut – notamment par l’absence de référence à la brillance et par l’emploi encore marginal de l’adjectif jausnes – la description de Paris en revanche emprunte sans complexe ses expressions au portrait féminin. Jouant avec les mots attendus, les poètes renouvellent le stéréotype d’expression non pas tant dans sa formulation que dans son application.
Similitudo
55Les comparationes établissent donc une compétition sans fin entre la blondeur des cheveux et celle de l’or. Menée à grand renfort d’hyperbole, la confrontation conduit à une impasse du fait de son caractère excessif et de la crédulité limitée du public. C’est pourquoi les auteurs lui préfèrent généralement74 un rapprochement plus discret entre la chevelure et la matière précieuse, rendu grâce à la similitudo. Gerbert de Montreuil associe même les deux figures en trois vers consécutifs, commençant par la comparatio et terminant par la similitudo, ordre qui tendrait à prouver la plus grande force expressive de la seconde figure :
Plus estoient luisant d’or quit | Je pense que les cheveux étaient plus brillants |
Li caveil, tant estoient sor | Que l’or, tant ils étaient ambrés, |
Ce sambloient estre fil d’or ; | On aurait dit des fils d’or ; |
La Continuation de Perceval de Gerbert de Montreuil, v. 406-408. |
56La similitudo exprimera en effet un jugement qualitatif et non quantitatif en suggérant simplement au lecteur une analogie possible sans avoir recours à la surenchère hyperbolique contraire aux recommandations de Quintilien. Il ne s’agit plus de comparer la brillance des deux éléments mais de provoquer un rapprochement, de proposer une ressemblance. « La similitude a ceci de commun avec la métaphore qu’elle fait intervenir une représentation mentale étrangère à l’objet de l’information qui motive l’énoncé, c’est-à-dire une image »75 : l’écriture reproduit alors l’opération intellectuelle qui consiste à associer deux réalités différentes ayant un point commun. Dans l’extrait suivant de Protheselaus, la description des cheveux s’étend sur deux vers et demi, convoquant l’or au même titre que la soie, l’un pour sa couleur, l’autre pour sa douceur :
Frunt large, chevolz traïnanz | Le front large, les cheveux traînant |
A terre, largement plein pé, | À terre, – d’au moins un pied – |
Cum or blois, cum see delgé. | Comme de l’or blond, comme de la soie délicate. |
t. I, v. 2956-2958. |
57Le caractère ramassé de la figure (3 syllabes seulement) concourt indéniablement à sa réussite. La concision dans l’expression de la similitudo demeure toutefois assez rare même si en voici un deuxième exemple :
Si l’ot nature a droit pourtroicte, | Nature l’avait dotée de justes proportions : |
Car elle estoit, en tous avis, | Elle était en effet, de l’avis de tous, |
Bien faicte de corps et de vis, | Bien faite de corps et de visage, |
Blonde com or. Et la char blanche | Blonde comme l’or. Sa peau était blanche |
Avoit com nef qui chiet sur branche ; | Comme la neige qui tombe sur la branche ; |
Galeran de Bretagne, v. 12-16. |
58L’image blonde com or est ici mise en évidence par sa situation en tout début du vers 15 et en fin de la première phrase. L’analogie avec l’or, bien qu’elle soit la moins développée des trois proposées par le portrait de Madame Gente, n’en marquera pas moins les esprits grâce à sa mise en valeur par la versification. Ce laconisme de l’expression, qui présente aussi le risque de passer inaperçu, reste toutefois exceptionnel dans notre corpus.
Outils
59Deux constructions sont en concurrence pour exprimer le rapprochement ; la plus fréquente76 utilise comme outil le verbe sambler, préfixé ou non en resambler. Le verbe sambler connaît indifféremment deux emplois : soit il entre dans un tour impersonnel introduisant une complétive qui met en relation comparé et comparant :
Il samble que tout si chevoil | Il semble que tous ses cheveux |
Soient de fin or reluisant, | Soient d’or fin et brillant, |
Jehan et Blonde, v. 252-253 |
60soit il s’accorde avec le comparé qui devient alors son sujet :
Les tresses, qui sembloient d’or. | Les tresses, qui semblaient faites d’or. |
Le Roman du Castelain de Couci et de la Dame de Fayel, v. 763577. |
61Dans ce deuxième emploi le comparant est généralement introduit grâce à la préposition de. C’est également de qui est utilisée avec le verbe resambler :
Si cheveil resambloient d’or, | Ses cheveux semblaient d’or, |
Tant estoient luisant et sor ; | Tant ils étaient brillants et ambrés ; |
Le prestre et le chevalier, v. 65-6678. |
62Ce verbe qui n’accepte aujourd’hui qu’un emploi intransitif avec la préposition à79 connaissait en ancien français des emplois plus libres, notamment transitifs :
Ne fu veü plus gracieus tresor. | [Jamais] on ne vit de plus gracieux trésor |
Car si cheveus ressambloient fil d’or | Car ses cheveux ressemblaient à des fils d’or |
Le Jugement dou Roy de Brehaingne, v. 300-30180. |
63Le verbe resambler est souvent interchangeable avec sambler, ce qui nous permet d’appréhender des formulations aussi hybrides que :
Et pour ce qu’ele disoit ce, le trainoit il par les treces que il tenoit empoignies après lui qui tant estoient beles qu’eles resambloient a estre de fin or. | Parce qu’elle avait dit cela, le scélérat la tirait par les cheveux, empoignant ses tresses qui étaient si belles que l’on aurait dit de l’or fin. |
Suite post vulgate du Merlin, 619,1413. |
64Le verbe sambler peut enfin être remplacé par un groupe verbal synonyme tel que cuidier que ou estre avis. L’accent est alors mis sur un hypothétqiue témoin de la scène à qui revient la responsabilité de la similitudo :
Les chevox tex, s’estre poïst, | Quiconque aurait vu ses cheveux incroyable, |
Que bien cuidast qui les veïst | Se serait dit, chose incroyable |
Que il fussent tuit de fin or, | Qu’ils étaient faits d’or fin, |
Tant estoient luisant et sor. | Tant ils étaient brillants et ambrés. |
Le Conte du graal, v. 1811-1813. |
65Les motivations avancées sont l’éclat et la couleur communs à l’or comme à la chevelure. Le processus intellectuel d’assimilation des cheveux au métal précieux est alors mimé dans son déroulement chronologique. Cependant, si on restreint cette similitudo à sa plus simple expression, elle peut être interprétée comme une métaphore. Pourquoi en effet ne pas classer les chevox tex que il fussent tuit de fin or parmi les métaphores construites sur une structure attributive du type : les cheveux sont d’or fin ? L’incise (s’estrepoïst) nie la possible actualisation de l’énoncé. Associée à l’usage du subjonctif imparfait signalant l’irréalité du procès, cette apposition suffit donc à écarter l’interprétation métaphorique. En effet, « contrairement à la métaphore, la similitude n’impose pas un transfert de signification. Même au niveau de la simple information, les mots employés par la similitude ne perdent aucun des éléments de leur signification propre »81 : c’est le cas ici puisque le rapprochement des deux réalités étrangères n’est pas poussé jusqu’à l’identification. Il ne s’agit donc pas d’une métaphore.
66La deuxième construction82 en concurrence pour exprimer le rapprochement utilise l’adverbe com. Lors d’une analogie, ce mot outil se place toujours après le comparé et juste avant le comparant, d’où une structure facilement identifiable. Graphié con, cun, com, cum, come ou comme, ce court adverbe demande parfois à être renforcé ; il est alors précédé de aussi :
Cheveux ot qui bien li seoient, | Ses cheveux encadraient harmonieusement son visage |
Et aussi comme or reluisoient ; | Et brillaient tout comme l’or ; |
Le Dit de la Panthère, v. 247-24883 |
67lui-même éventuellement renforcé en autresi et précédé de tout :
Lors la saisi par les cheveus | Il la saisit alors par les cheveux |
Que ele avoit luisanz et sors | Qu’elle avait brillants et ambrés |
Tout autresi comme fins ors : | Exactement comme l’or fin : |
Les tresces I, v. 159-16184. |
68L’auteur du fabliau met alors l’accent sur la parfaite concordance de l’éclat et de la couleur des cheveux et de l’or ; le renforcement du mot outil consolide donc l’analogie.
Motivations des similitudines
69À la différence de la comparatio, il arrive que le trait commun motivant le rapprochement ne soit pas énoncé. Le choix revient alors au lecteur-auditeur, plus ou moins guidé par un poète indulgent :
Son chief d’or samble au soleil, | Sa tête semble d’or au soleil, |
Le Livre du Voir Dit, v. 4438. |
70Si Guillaume de Machaut évoque à cet instant précis le soleil, n’est-ce pas pour indiquer les reflets dorés que l’astre diffuse sur la chevelure, et donc l’extrême brillance de celle-ci ? Lorsque le sème commun qui a motivé la figure de style est formulé, il l’est indifféremment avant ou après la similitudo ; il s’agit de la couleur blonde85, de l’éclat86 et – fait nouveau – de la beauté87. Concernant la couleur, c’est l’adjectif sor qui est préféré à blont, probablement en raison de ses sonorités puisqu’il fournit à chaque fois qu’il est choisi comme motivation une rime intéressante avec or :
Cief ot crespé, luisant et sor, | Elle avait la chevelure frisée, brillante et ambrée, |
De coulour resambloient d’or ; | Sa couleur ressemblait à celle de l’or ; |
Le Roman de la Violette, v. 868-86988. |
71Quant à l’éclat, il est inéluctablement désigné par un terme dérivé du latin lux désignant la lumière, en premier lieu par l’adjectif luisant, souvent coordonné à sor89 :
ayant le poil cler et luisant | aux cheveux clairs et brillants |
comme fin or | comme l’or fin |
|
72éventuellement préfixé en reluisant :
Les chevialz ot crespez et sors | Ses cheveux étaient frisés et ambrés, |
et reluisans comme fins ors, | Brillants comme de l’or fin, |
Richars li biaus, v. 141-14291. |
73et ensuite par les verbes luire et reluire qui font bonne figure92. Il apparaît donc à ce point de l’analyse que la similitudo, lorsqu’elle énonce le trait commun justifiant le rapprochement entre l’or et la chevelure, l’indique à l’aide de termes récurrents : sor précise la couleur tandis que luire, ou ses dérivés verbaux et nominaux, dénote la clarté. Une fois ces constantes définies, il faut reconnaître l’extrême diversité des réalisations de cette figure de style puisqu’aucune formulation n’est à terme identique.
L’or en question
74Les poètes apportent un soin tout particulier à polir leur expression du comparant. Le premier procédé – nous l’avons déjà évoqué93 – consiste à préciser l’extrême pureté de l’or grâce aux adjectifs épithètes fin et esmeré, placés avant ou après le substantif. Il est ensuite possible d’amplifier encore la valeur du comparant en lui adjoignant un nouvel adjectif signalant ses qualités, que ce soit reluisans ou reflamboians qui établissent tous deux la luminosité du métal, avec cette particularité que l’éclat caractérisé par reflamboians se rapproche de celui d’une flamme :
Et voit ses biauz crinz ondoians, | Et il voit ses beaux cheveux ondoyant, |
Comme fins ors reflamboians, | Flamboyant comme de l’or fin, |
Le Roman de la Rose, v. 21139-21194. |
75Le Roman de la Rose offre ainsi un lumineux rapprochement entre le mouvement des cheveux et l’ondulation des flammes95, parallèle d’autant plus réussi et saisissant que les deux mots placés à la rime présentent des sonorités si proches qu’ils tendent à se fondre l’un dans l’autre, à l’image de la similitudo exprimée.
76Autre option, poser l’analogie entre les cheveux et un fil d’or, choix toujours plus convaincant s’il s’agit d’un véritable fil présent dans la diégèse96. Le poète peut enfin préciser la forme de l’objet doré, notamment son ondulation évoquant les boucles de la chevelure décrite :
S’a le chief blondet com li ors en boucele, | Elle a la tête blonde comme l’or en boucle, |
Pour moi renvoisier ferai chançon nouvele, v. 1197. |
77On rapprochera ce procédé du syntagme plus luisent d’or fin en escu (Le Roman du Comte de Poitiers, v. 299 et v. 953) qui apportait une précision aspectuelle concernant cette fois-là des cheveux lisses. Dans Flamenca, les beaux cheveux de Guillaume sont comparés, probablement davantage pour leur couleur foncée que pour leur aspect, à des feuilles d’or :
Sos cabeillz, ques eron plus saur | Ses cheveux plus ambrés |
Ques una bella fuilla d’aur, | Qu’une de ces belles feuilles d’or |
De cel c’a Monpeslier si bat, | Que l’on bat à Montpellier |
On plus hom lo troba colrat. | Où on le trouve le plus foncé. |
Flamenca, v. 3563-3591. |
78C’est toutefois le fil d’or qui remporte la majorité des suffrages, aussi bien sous la plume que sous le pinceau des artistes. Aussi, la chevelure de Didon, représentée dans un manuscrit du De mulieribus claris de Boccace98 (et reproduite dans le cahier d’illustrations, figure 2, p. 343), est-elle traitée de manière à ce que chaque cheveu soit un mince trait d’or, long et ondulé, identique aux fils d’or de la bordure du vêtement et du lacet qui maintient l’avant du corsage : les fils d’or des cheveux répondent visuellement aux fils d’or de la parure.
79Plus le rapprochement de la chevelure avec l’or est précis, plus il gagne en efficacité. La mention du soleil peut venir renforcer l’impression produite. Dans la mythologie grecque, la tête est d’ailleurs mise sur le même plan que le soleil99 si bien que les cheveux sont assimilés aux rayons solaires. Cette puissante analogie est suffisamment rare dans notre corpus pour qu’on s’y attarde :
E sun estiratz sei cabeil | Ses cheveux épars |
Qe lusisun cun clar soleil, | Luisent en plein soleil |
Aisi cun es fis aurs brunitz, | Tout comme de l’or bruni, |
Jaufré, v. 5675-5677100. |
80L’adjectif brunitz qui signale une surface polie (mais non pas mate) renforce l’idée de brillance. Tandis que les cheveux épars évoquent la profusion des rayons, l’allusion à la clarté solaire vient encore amender la figure de style si bien que la luminosité de l’or des cheveux répond à celle du soleil, à moins que ce ne soit l’inverse.
81Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer101, le soleil ne constitue pas en terme de fréquence un puissant point de comparaison quant à la blondeur des cheveux. Tout au plus vient-il de temps à autre appuyer et enrichir un rapprochement avec l’or :
Si chevel contre la clarté | Dans la clarté du soleil |
Del solel samblent estre d’or. | Ses cheveux semblent être d’or. |
L’Escoufle, v. 8850-8851. |
82Les ressources d’un tel rapprochement, au demeurant implicite102, restent donc largement inexploitées à l’époque médiévale.
83La similitudo met ainsi en relief les mérites particuliers d’une chevelure en convoquant l’image de l’or, considéré comme le métal présentant la couleur la plus éclatante. Elle se met en place grâce à deux types de constructions concurrentes et avance comme motivation deux qualités principales, à savoir la couleur et la clarté aussi bien pour les personnages masculins que féminins (et même les chevaux !) :
84À la différence de l’analyse de la comparatio qui dégageait des regroupements de formulations, l’étude de la similitudo met au jour l’excessive diversité de l’expression, ce qui manifeste la recherche des poètes et montre également qu’aucune formule ne s’est encore figée. Si l’on applique à ces divers rapprochements avec l’or les tests de lexicalisation – proposés par François Gaudin et Louis Guespin103 – qui permettent d’évaluer le degré de figement d’unités lexicales, il apparaît que ces stéréotypes linguistiques subissent avec succès les tests d’insertion, d’expansion et de substitution puisqu’ils sont sécables, peuvent être amplifiés et que l’on peut remplacer or par argent. Autrement dit, aucun figement n’est décelable. Le stéréotype linguistique ne se résume donc pas à une formulation caractéristique qui serait répétée à l’envi : métaphore, comparatio et similitudo présentent chacune des préférences lexicales et syntaxiques que l’on peut chiffrer mais il serait vain de vouloir à tout prix, pour chacune de ces structures, ériger un modèle prototypique. Même s’il est possible de repérer le retour de certaines associations, il est indispensable d’insister sur la variété de l’expression des poètes qui, avec un nombre restreint d’adjectifs et de substantifs, créent des tournures sans cesse renouvelées.
Doré : métaphore vive ?
85Moins fréquent104 est l’emploi d’adjectifs impliquant, sans qu’il soit besoin d’expliciter, l’assimilation avec l’or. C’est le cas de le participe passé adjectivé doré provenant du verbe deaurare (intensif en de de aurare) signifiant revêtir d’or en bas latin. Cet adjectif est utilisé dans les emplois correspondant à ceux du verbe et signifie donc recouvert d’or, soit dans nos textes – lorsqu’il est associé à la couleur des cheveux – un sens nettement plus métaphorique que dans l’acception actuelle qui ne retient que l’imitation de l’or, la vague ressemblance avec la couleur de l’or. C’est ainsi qu’on peut lire dans Jehan de Saintré des expressions nous paraissant aujourd’hui contradictoires dans la mesure où nous opposons argenté et doré :
aux unes, les beaux atours, aux aultres, les saintures d’argent bien dorees | Aux unes les beaux atours, les ceintures d’argent recouvertes d’or |
Jehan de Saintré, chapitre 39, p. 148105. |
86Il faut bien comprendre qu’il s’agissait de ceintures en argent (matériau meilleur marché) qu’on avait recouvertes d’une couche d’or. L’adjectif doré connaît donc, tout comme les comparaisons développées sur plusieurs termes, des emplois à classer sous les entrées comparatio, similitudo et métaphore. L’étude de cette dernière, la plus complexe en ce qu’elle interroge le degré de figement du trope, sera menée en dernier. Notons enfin que les cheveux masculins peuvent être ainsi qualifiés, notamment dans les textes de la fin du xiiie et du xive siècles106.
87L’unique comparatio de supériorité de notre corpus doit se comprendre comme une hypothétique : des cheveux plus beaux que s’ils avaient été recouverts d’or. En effet, si l’on en croit Raoul de Soissons, la chevelure de sa dame surpasse l’or en beauté :
Ma dame a, ce m’est avis, | Ma Dame a, me semble-t-il, |
Vers eux rianz, bruns sorcis, | Les yeux vifs et rieurs, les sourcils bruns, |
Cheveus plus biaus que dorez, | Les cheveux plus beaux que s’ils étaient recouverts d’or. |
chanson d’amour, v. 61-63107. |
88Ce type d’emploi sonnerait étrangement en français moderne dans la mesure où la comparaison avec l’or que présente l’adjectif n’est plus perçue comme telle. C’est pourquoi on se gardera bien de le traduire en français moderne par dorés, car cela reviendrait à dire : des cheveux plus beaux que blonds, expression dont le sens diffère largement.
89La vivacité de la comparaison sous-jacente en ancien français explique, dans les nombreuses similitudines, la présence du verbe-outil sembler qui instaure un rapprochement entre les cheveux et l’or :
Ses chevoz qui samblent doré, | Ses cheveux, qui semblent recouverts d’or |
Floris et Lyriopé, v. 421 | |
E son biau chef qu’el a si blont | Et sa belle chevelure si blonde |
Que il resenble estre dorez, | Qu’elle semble recouverte d’or, |
Le Roman de Troie, v. 17558-17559108. |
90L’emploi du verbe ressembler est ici en tous points comparable à celui de sembler.
91La préposition comme assure, un peu moins régulièrement, le lien entre comparé et comparant. Elle aussi prouve l’absence d’un figement métaphorique de l’adjectif. Le verbe reluire l’inscrit même dans la lignée des comparaisons en plusieurs termes :
Dessoubz portaient chevaux tressés | Elles portaient en-dessous leurs cheveux tressés |
Qui reluysoient comme dorés, | Qui brillaient comme s’ils étaient recouverts d’or, |
Éledus et Serene, v. 6730-6731109 | |
Les cheveuz blanz recercelez | Les cheveux bouclés et clairs, |
Comme s’il fussent tuit dorez, | Comme s’ils étaient entièrement recouverts d’or, |
Floriant et Florete, v. 745-746. |
92Autrement dit, l’adjectif propose, sous forme de comparatio ou de similitudo, un rapprochement entre la chevelure et l’or qui relève des mêmes analyses que celles employant le substantif or.
93En revanche, lorsque l’adjectif est employé seul, cas le plus fréquent, il relève d’un emploi métaphorique dont le figement reste à mesurer : le trope est-il encore perçu comme tel ? Intéressant est l’exemple du Blason des cheveulx de Jean de Vauzelles qui, comme de bien entendu, propose un rapprochement des cheveux avec l’or. Le poète joue des ressources du mot dorez en début et en fin de poème :
Cheveulx dorez, rayans sur le soleil | Cheveux dorés, rayonnant au soleil, |
Si très-luysantz, qu’ilz font esblouyr | Si parfaitement brillants qu’ils éblouissent |
l’œil | l’œil |
Qui les regarde, et les voit coulorez | Qui les regarde, et qui les voit colorés |
Non pas d’or fin, mais encor | Non pas d’or fin, mais encore |
mieulx dorez | mieux recouverts |
De je ne sçay quelle couleur divine | De je ne sais quelle couleur divine |
Qui luyt en eulx, et qui les illumine | Qui brille en eux, et qui les illumine |
D’une clarté diverse et dyaphane, | D’une clarté singulière et diaphane |
Qui n’appartient à ung regard prophane [...] | Que ne mérite pas un regard profane [...] |
Donc beaulx cheveulx, plus reluysans | De beaux cheveux donc, plus brillants |
qu’or fin, | que l’or fin, |
Desquelz ne puis, ne pourroys | Desquels je ne peux ni ne pourrai |
faire fin, | cesser de parler. |
Je vous supplye en vos tresses dorées, | Je vous supplie, en vos tresses dorées, |
Par mille nœudz haultement decorées, | Noblement décorées de mille nœuds, |
Tenir lié ce mien cueur despourveu | De retenir prisonnier mon cœur éperdu |
Avec les yeulx de ceulx qui vous | Ainsi que les yeux de ceux qui vous |
ont veu. | ont vue. |
Blason des cheveulx, v. 13-20 et v. 85-90. |
94Outre deux emplois développant suffisamment la comparaison avec l’or pour que le sens de l’adjectif soit clair (cheveulx dorez [...] coulourez non pas d’or fin et beaulx cheveulx, plus reluysans qu’or fin [...] en vos tresses dorées), le blason fournit au seizième vers un surenchérissement original sur la couleur de l’or pur. Cet emploi suppose l’inadéquation des nuances dénotées par dorez et par or. Les cheveux ne sont pas coulourez d’or fin mais dorez [d’une] couleur divine : l’idée d’enduit, de revêtement que contient doré l’emporte sur la notion de couleur, ce qui laisse à penser que cette occurrence illustre une étape dans l’évolution sémantique de l’adjectif, étape transitoire par ailleurs puisque, paradoxalement, l’idée d’enduit disparaît ensuite au profit de la couleur.
95Toutefois, même si la plupart des textes ne proposent pas diverses acceptions du même terme, des hésitations se font jour quant au sens exact de doré puisque les éléments favorisant l’assimilation à l’or ne sont pas précisés. L’adjectif peut en effet suffire seul à qualifier la chevelure. Impossible alors de savoir si c’est la brillance, la teinte mordorée ou la blondeur qui justifient son emploi :
crine avoit doree, | Elle avait la chevelure dorée, |
cors por enbracier. | Le corps fait pour être enlacé. |
Pièce XXII de Moniot de Paris, v. 15-16110 | |
L’empereriz de Romme o | L’impératrice de Rome aux |
les cheveus dorez : | cheveux dorés : |
Il n’ot plus belle femme en | Aucune femme n’était plus belle dans |
soissante citez. | soixante cités. |
Florence de Rome, v. 5026-5027. |
96La rime en e fermé qui parcourt la strophe et la laisse n’explique que partiellement le choix de doré comme unique qualificatif. Le climat sensuel que dégage la chanson laisse entendre que la particularité de cette chevelure est d’inviter à l’amour, de même que la courbe du corps. Dans la chanson de geste, les cheveux dorés créent à eux seuls l’image d’une femme exceptionnellement belle. On serait tenté d’associer la splendeur de l’impératrice à la richesse de l’or mais cette interprétation est contredite par le registre lyrique. En l’absence d’autres comparaisons canoniques, on peut croire que l’adjectif a perdu la vigueur de la métaphore vive.
97Il en va de même lorsque doré est juxtaposé à des adjectifs relatifs à la coiffure ou à la longueur, comme si tous relevaient de la description objective :
les cheveulx dorez relevez sans tresse autour de sa teste, | Les cheveux dorés relevés autour de sa tête sans être tressés, |
La Théséïde (trad. fr.), f. 80v111 | |
Sor ses espaulles jurent si doré crin, | Sur ses épaules sont posés ses cheveux dorés, |
Garin le Loherenc, t. iii, v. 17387 | |
Sor lor espaulles gisent lor grans crines dorees ;] | Sur leurs épaules tombent leurs longues [chevelures dorées ; |
Le Roman d’Alexandre, v. 1452. |
98Les précisions concernant les tresses par exemple, mises sur le même plan que le trope, contribuent à réduire – sinon annuler – la surprise de la métaphore. Quand doré n’est pas dans un portrait davantage mis en valeur que grans, c’est qu’il a perdu son sens premier et qu’il ne renvoie plus qu’à l’éclat ou à la couleur blonde, sans même suggérer l’or. La catachrèse, stade ultime du figement, semble atteinte dans les Épitres de l’Amant vert de Jean Lemaire de Belges, lorsque le parallélisme de la construction syntaxique place au même niveau cler et doré :
Tresser ton chief, tant cler et tant doré, | [Je t’ai vu] tresser ta chevelure, [si claire et si dorée |
Par tout le monde aymé et honnouré ? | Par tout le monde aimée et honorée ? |
v. 115-116. |
99Nul doute que dans ce texte de la fin du xve siècle l’adjectif n’est plus senti comme une métaphore. L’image est morte, lexicalisée.
100Les adjectifs non préfixés dérivés de aurum restent marginaux. Sauf erreur, on ne rencontre dans notre corpus ni oré, ni orien, ni orie ni oire, tout au moins en ce qui concerne la qualification de la chevelure. L’emploi de l’adjectif orin au sein du portrait de l’héroïne dans Amadas et Ydoine n’en est que plus singulier :
Mut deugez et beaus les crins, | Les cheveux très beaux et très fins, |
Quo par une perent orins, | Qui tous ensemble paraissent dorés, |
Auburnes, blunz, ne bloi, ne sor, | Ils ne sont ni auburn, ni blonds, ni ambrés, |
Ne resemblent cum fil de hor, | Mais ressemblent à des fils d’or, |
Amadas et Ydoine, texte de v, v. 149-152. |
101Dans la mesure où cet adjectif est absent du texte de P., on peut considérer qu’il a été créé pour la rime. L’expression est ici rendue redondante par l’emploi d’une deuxième comparaison avec la couleur d’un fil d’or. Le substantif doreure ne désigne jamais la chevelure, à une exception près, dans le Blason de l’espingle d’Hugues Salel :
Apres tu tiens le chaperon | Ensuite tu tiens le chaperon |
Et la doreure d’envyron | Et la dorure tout autour |
Qui donne lustre et doulx umbraige | Qui donne de l’éclat et un doux ombrage |
A cest angelique visaige. | À cet angélique visage. |
Blason de l’espingle, v. 19-22112. |
102Cette métaphore in absentia a quelque chose d’obscur et de sibyllin puisque la chevelure n’est pas nommée mais déduite logiquement de mots tels que lustre ou umbraige. Cligès, à deux reprises, place ce substantif en rapport plus ou moins proche avec la chevelure de Soredamour, mais de façon si indirecte que l’on ne peut analyser ces exemples avec bénéfice113.
103Unique, l’emploi du verbe dorer dans la description de l’affriolante coiffure de Liénor se présentant devant le roi ne manque pas d’intérêt :
Por l’usage, qui tex estoit, | Pour respecter l’usage en vigueur, |
ele prent dou mantel l’atache ; | Elle saisit le cordon de son manteau ; |
que qu’el oste dou col et sache, | Mais comme elle le tirait de son cou |
si l’enconbra si li mantiaus | Pour l’enlever, le manteau s’emmêla si bien |
qu’ele hurte as premiers cretiaus | Qu’elle accrocha les fronces |
qu’ele avoit fet en sa touaille. | Qu’elle avait faites à son voile. Elle emporta ainsi, |
Le hordeïs et la ventaille | À la vue de tous les hauts dignitaires du royaume, |
enporta jus o tot le heaume, | L’édifice, la ventaille et le casque |
voiant les barons dou roiaume, | Dont elle s’était entourée la tête, |
si que sa crigne blonde et sore | En sorte que le blond ambré de sa chevelure |
son biau samit inde li dore | Inonda d’or, sur ses épaules, et autour de son cou, |
par espaulles et pres dou col. | Son beau vêtement de soie bleue. |
Guillaume de Dole, v. 4716-4727. |
104Cette savante mise en scène a pour point d’aboutissement la retombée des cheveux dont l’éblouissante couleur est précisée par l’adjectif blonde associé à sore et dore à la rime. Ce verbe qui assigne un rôle actif à la chevelure instaure une métaphore précieuse qui réunit couleur des cheveux et richesse du vêtement. Véritables protagonistes du numéro de charme de Liénor arrivant à la cour, les cheveux se déploient sur le vêtement jusqu’à le recouvrir, faisant office de dorure. L’épaisseur des cheveux, leur belle abondance s’en trouve évoquée. Provoquant un subtil mariage de couleurs complémentaires (bleu violacé de la soie et jaune d’or), les cheveux se révèlent partie intégrante du vêtement et contribuent à sa richesse. La métaphore ne se contente pas de signaler un rapprochement chromatique entre l’or et la chevelure, elle souligne également une proximité quant à la somptuosité et à l’opulence.
105L’adjectif doré qui présente la particularité de constituer à lui seul une métaphore a finalement été victime de sa riche concision. Plus fréquent au début et à la fin du Moyen Âge (xiie et xive-xve siècles), il a évolué d’un sens fortement imagé vers un affaiblissement sémantique qui nécessite un renforcement lorsque l’auteur souhaite faire entendre la comparaison avec l’or.
106À ce stade de l’analyse, quelques ajustements de la définition du stéréotype linguistique ébauchée en introduction se révèlent nécessaires. L’assimilation de la blondeur à l’or est si fréquente au Moyen Âge qu’elle ne provoque aucune surprise chez le lecteur-auditeur ; son absence dans un portrait par exemple devient presque aussi remarquable que sa présence. Plus fréquente même que la comparaison de la blancheur de la peau avec la neige, cette figure de style qui transcende les genres fait cliché. C’est « un effet de style usé »114, une figure banalisée tellement courante qu’elle est devenue commune. Cependant, pour pouvoir parler de cliché au sens que lui donne Ruth Amossy, il faudrait que ces figures de style constituent une « unité immuable dans sa formulation littérale »115, ce qui, on l’a constaté, est bien loin d’être le cas. La plasticité formelle du cliché est d’abord redevable aux diverses modalités de rapprochement entre la chevelure et l’or, à tel point que l’on serait tenté de dire qu’il n’y a pas un mais cinq clichés : le premier correspondrait à l’usage de la métaphore, le deuxième au choix de la comparatio, le troisième à la similitudo usant du verbe sambler, le quatrième à la similitudo employant com et le cinquième à l’adjectif doré. Et c’est sur ce panorama déjà complexe que viennent se greffer les innombrables variantes inhérentes au mode de diffusion des textes116. Une telle profusion interdit d’ériger en prototype – « exemplaire qui résume les propriétés typiques ou saillantes de la catégorie »117 – une seule formulation, ce qui mènerait à considérer les autres dans leur degré de ressemblance avec cette norme. Quant à mettre en évidence cinq prototypes, cela risque davantage d’obscurcir l’analyse que de la clarifier...
107Nous préférons donc considérer les critères nécessaires et suffisants118 à l’actualisation du stéréotype linguistique. Celui-ci réclame la présence d’un substantif désignant la chevelure (premier critère) qui entretiendra une relation de type analogique (deuxième critère) avec un terme de la famille du substantif or (troisième critère). Ce dernier critère, élément catalyseur du stéréotype, demande à être précisé : si, dans le mot employé, le rapport à l’or n’est plus perçu avec netteté, la figure de style se lexicalise. Ainsi, lorsque dans l’expression crins dorés l’adjectif doré ne signifie plus de la même couleur que l’or mais simplement jaune foncé, l’idée même d’une analogie entre la teinte des cheveux et celle de l’or disparaît : l’adjectif est alors devenu le terme propre, le cliché s’est figé dans une catachrèse. Dès la fin de l’époque médiévale, doré tend à être employé comme un simple adjectif de couleur, ce qui le distingue au niveau du degré de figement des autres actualisations du cliché laissant entendre le rapprochement de la chevelure et du métal précieux.
108Inversement, le poète soucieux de faire résonner la référence à l’or tentera de justifier le stéréotype linguistique par le contexte immédiat où il surgit. Le rapprochement ne sera pas grossièrement plaqué mais subtilement exigé par les éléments environnants. En effet, dans le stéréotype linguistique, « le sens analytique (celui des éléments pris séparément) tend à co-exister avec le sens global, et à le menacer. C’est-à-dire que le signifié du syntagme tend à être présent en même temps que le signifié du sens global. Et ce fait se trouve illustré par les phénomènes de remotivation »119.
Remotivations du cliché
109Plutôt que d’essayer de frayer de nouvelles voies, un bon nombre d’auteurs font le choix de ne pas renoncer aux métaphores canoniques mais au contraire de leur donner une assise plus vaste. Ils recourent alors aux objets dorés présents dans la situation afin d’amplifier la portée du cliché.
Vêtements et accessoires dorés
110La mode en vigueur à la fin du Moyen Âge explique la fréquente contiguïté dans les portraits de la chevelure et de couvre-chefs dorés. Comme la vocation des portraits est en règle générale de louer la beauté des personnages, ils sont décrits parés de leurs plus luxueux atours. Voilà pourquoi voisinent couramment au moins deux mentions de l’or, l’une pour décrire le vêtement ou la coiffure, l’autre en référence aux cheveux :
A .i. fil d’or ot galounés | D’un fil d’or, elle avait enroulé |
Ses crins, qui tant sunt blont et sor, | Ses cheveux, d’un blond si ambré |
Que de coulor resamblent or. | Que leur couleur rappelle celle de l’or. |
Les Merveilles de Rigomer, v. 5464-5466120. |
111Ennoblie par sa comparaison avec l’or, la chevelure ne dépare pas mais participe au contraire à l’impression de richesse qui domine. C’est encore plus net dans Le Bel Inconnu où la rime en or qui concerne six vers sur dix accroît l’efficacité des trois occurrences du substantif. La chevelure, telle une parure supplémentaire, s’intègre sans difficulté dans ce cadre doré. Les deux mentions de l’or, très proches, entrent en résonance et amplifient l’impact du cliché. Cet écho d’un or à l’autre se lit aussi dans les enluminures. Ainsi, une peinture de la Vierge dans Les Heures de Louis de Savoie121 fait se correspondre les longs cheveux ondulés d’un blond vénitien, l’auréole d’or et la cathèdre sur laquelle la sainte se tient assise. Ces trois éléments contribuent à créer un foisonnement doré autour du visage de la Madone.
112Une démarche parallèle, sans doute plus soucieuse de rendre crédible la comparaison avec l’or, consiste à remotiver le cliché à l’aide d’un objet doré présent dans le micro-contexte. La comparaison paraît alors s’imposer d’elle-même face à la confrontation des deux éclats, ce qui insuffle au stéréotype un regain d’énergie. Voici Énide parée et préparée par la reine et ses suivantes :
Les deus puceles d’un fil d’or | Les deux servantes entrelacèrent |
Li ont galoné son crin sor, | Ses cheveux ambrés d’un fil d’or, |
Mes plus luisanz estoit li crins | Mais sa chevelure était encore plus brillante |
Que filz d’or qui mout est fins. | Que ce fil d’or pourtant si fin. |
Érec et Énide, v. 1643-1646. |
113Outre la triple occurrence du mot or en l’espace de cinq vers, il convient de remarquer la motivation de la comparaison par la présence d’un véritable fil d’or enroulé dans la tresse. Quasiment imposé par la situation décrite, le stéréotype linguistique parvient à faire oublier au lecteur son caractère conventionnel. Chrétien de Troyes a subtilement perçu les ressources de ce procédé puisque le portrait de la sœur de Gauvain met également en lumière la pureté de la couleur des cheveux de la jeune fille au regard de sa couronne dorée :
Une pucele antre leanz, | Une jeune fille est entrée dans la salle, |
Qui mout ert bele et avenanz, | Elle était très belle et très séduisante, |
Sor son chief un cercelet d’or, | Avec un diadème d’or sur sa tête, |
Don li chevol estoient sor, | Ses cheveux étaient aussi ambrés |
Autant come li ors ou plus | Que l’or, ou même davantage |
Le Conte du graal, v. 7899-7903. |
114La comparaison des deux matières conduit à reconnaître la supériorité de la chevelure sur le riche bijou qui l’orne. Loin de se substituer aux cheveux, la couronne sert donc de faire-valoir à la couleur dorée des cheveux :
Em pur son blïaut fu la biele, | La belle n’avait que sa tunique, |
Sans gimple, un chapel d’or el chief ; | Pas de guimpe, une couronne d’or sur la tête ; |
Mais dire vous voel de rechief | Mais je veux vous répéter |
K’encor estoit ses chiés plus sors | Que sa tête était encore plus ambrée |
Et plus reluisans que li ors | Et plus brillante que l’or |
Qui fu el chapiel, che m’est vis. | De la couronne, à ce qu’il me semble. |
Le Roman de la Violette, v. 5007-5012 | |
La couronne dessous ert d’or ; | La couronne en dessous était d’or ; |
Mais si kavel erent encor | Mais ses cheveux étaient encore |
Plus cler, plus bel et plus luisant | Plus clairs, plus beaux et plus brillants |
Que li ors n’ert, mien essiant. | Que n’était l’or, à mon avis. |
La Manekine, v. 2243-2246. |
115Ces quatre dernières occurrences revigorent le cliché en ancrant l’or – élément catalyseur – dans le contexte immédiat. De cette façon, le stéréotype n’est pas plaqué sur le texte mais semble au contraire découler de l’observation comparée de la parure du personnage et de sa chevelure. Il va de soi que la confrontation en situation des deux teintes donne l’avantage à la chevelure sur l’ornement de tête. Dans Jehan de Paris, la confidence d’un petit page à Blonde présente l’incongruité, par sa forme négative, de souligner le danger de ce type de rapprochement. L’or du bijou (ici, du collier) menace d’atténuer l’éclat des cheveux, d’en éclipser la couleur :
Lors dit le page : « Ma damoiselle, regardez la en bas, celuy qui porte ung petit baston blanc en sa main et ung colier d’or au col. Regardez comment il a les cheveulx jaulnes, l’or de son colier ne luy change point la couleur de ses cheveulx. » Si fut moult joyeuse la pucelle des parolles que le page luy disoit. | Le page lui dit alors : « Mademoiselle, regardez là en-bas, celui qui porte une baguette blanche à la main et un collier d’or au cou. Regardez comme il a les cheveux jaunes, l’or de son collier ne dépare pas la couleur de ses cheveux. » La jeune fille se réjouit beaucoup des paroles du page. |
Le Roman de Jehan de Paris, p. 65, l. 24-30. |
116Au milieu de sa suite d’une époustouflante richesse, Jehan s’affiche comme le joyau suprême. Sa chevelure dorée donne « l’impression que l’or exsude du personnage lui-même. Jehan est devenu trésor, que l’écrivain se plaît à exposer au centre de la riche broderie de sa suite, en un effet de ton sur ton qui n’est pas sans faire songer au chastoiement du damas »122. Le choix de mesurer la blondeur des cheveux à l’aune des objets en or environnants affermit donc la vigueur du cliché.
Blanc et or
117La confrontation de la chevelure et d’un objet doré présente toutefois un risque, celui de souligner la plus grande brillance de l’or. Les auteurs ne prennent pas ce risque sinon par dérision. La blancheur des cheveux à la racine contraste alors défavorablement avec la brillance de l’or de la couronne :
Desloiee fu par cointise, | Par souci d’élégance, elle ne portait pas de voile, |
S’ot un cercle d’or en son chief. | Mais un diadème d’or sur la tête. |
Mes itant i ot de meschief | Malheureusement, |
Au cercle metre que li crin | Sous le diadème, les cheveux |
Estoient blanc de regaïn | Étaient blancs à la racine |
Mes de ses jors biau se portot. | Mais elle portait bien ses années. |
Méraugis de Portlesguez, v. 1443-1448. |
118À proprement parler, le cliché est absent de ce développement : nulle figure de style ne propose une analogie entre la couleur des cheveux et celle de l’or. Cependant, la mention du meschief que constitue la juxtaposition de l’or et de la blancheur suppose la connaissance du stéréotype linguistique, et plus précisément les cas où se confrontent concrètement la couronne dorée et les cheveux blonds. Le renouvellement du cliché « n’est jamais si total qu’on ne puisse reconnaître le cliché primitif, le reconstituer, et l’opposer par la pensée à la variante qu’en offre le texte. C’est dans les limites d’un modèle que le renouvellement est perçu, c’est de l’écart par rapport à ce modèle qu’il tire son efficacité. Car ce n’est pas en ôtant au cliché ce qu’il a de stéréotypé qu’il rend au procédé de style sa fraîcheur : le renouvellement présuppose au contraire le maintien du stéréotype comme pôle d’opposition par rapport auquel la modification d’un ou plusieurs éléments fera un violent contraste »123. L’auteur se complaît dans une description qui est l’envers du portrait classique. En prenant le contre-pied de ses contemporains, le poète dévoile ainsi subrepticement les travers d’une femme ne se résignant pas à son grand âge.
119Le traitement est différent pour le personnage masculin, dont les cheveux blancs garantissent la respectabilité124. L’or donne au contraire une dignité supplémentaire au vieil homme :
Atant es vos Fromont le posteïf ; | Voici donc Fromont le puissant ; |
avant en vient li vilz chenuz floriz : | S’avance le vieil homme aux cheveux blancs |
a son chief ot .i. chapelet d’or fin, | Il portait sur la tête une fine couronne d’or fin, |
Garin le Loherenc, v. 17795-1779. |
120Blanc et or voisinent ici sans concurrence aucune. Plus insolite est le sort que fait la Chanson d’Aspremont à la tête du duc Claron, neveu de Girart et fils du duc Bueson puisque son crâne chevelu est offert à Charles comme trophée de guerre125. La tête du mort, en partie masquée par le heaume, tend à transformer la coupe d’or sur laquelle elle est posée en sculpture inédite. Contrairement au portrait de la vieille femme dans Méraugis, l’or ne sert alors pas à souligner la perte d’éclat des cheveux blancs. Bien au contraire, l’or de la coupe est favorablement dissimulé par les moustaches et les cheveux qui, du fait de leur longueur, retombent pour entièrement la recouvrir. Autrement dit, chez la femme âgée, la couronne dorée trahit la décrépitude de sa chevelure tandis que chez l’homme, la blancheur estivale des cheveux éclipse l’éclat doré. Parallèlement, le fil d’or qui orne les moustaches et les cheveux savamment disposés en mèches superposées tend à remplacer les étoffes précieuses que l’on voit parfois sur les calices de messe. La chevelure s’intègre sans difficulté dans la création d’une pièce d’orfèvrerie. Certes, on peut objecter que, comme dans Méraugis, les cheveux ne sont pas précisément comparés à l’or et que le cliché n’est donc pas, à proprement parler, remotivé. Le texte joue en effet des ressorts du stéréotype linguistique sans jamais l’actualiser. Malgré le déplacement complexe du féminin vers le masculin et du blond vers le blanc, le cliché absent se laisse toutefois deviner en creux. Le métal de la coupe et du heaume allié aux poils savamment mêlés à des fils dorés contribue à créer une œuvre d’art où s’enchevêtrent différentes espèces d’or. La chevelure sort magnifiée de ce type de création.
121Renouveler le cliché ne passe pas nécessairement par une bifurcation faisant l’économie de la lettre du stéréotype linguistique. Pour reprendre les mots de Michael Riffaterre, la remotivation est « un cas d’imprévisibilité dans la séquence verbale, mais bien d’imprévisibilité contraire à cette prévisibilité extrême qu’offre le déjà vu, le rebattu »126. L’ajout de mots constitue ainsi un procédé fécond qui reconcrétise le sens de l’expression banalisée. Dans le portrait d’Antigone, par exemple, on ne sait pas si c’est la comparaison avec l’argent qui entraîne la présence d’un lien argenté ou si c’est le lien qui, par contrecoup, offre une occasion à l’auteur de varier le comparant :
Les chevels ot et longs et sors, | Ses cheveux étaient longs et ambrés, |
Pluis reluisanz qu’argentz ne ors ; | Plus brillants qu’argent ou or ; |
D’un fil d’argent furent trecé, | Ils étaient tressés d’un fil d’argent |
Pendirent li sur le baudré. | Et descendaient jusqu’à sa ceinture. |
Le Roman de Thèbes, v. 4137-4140. |
122Quoi qu’il en soit, la comparaison est immédiatement motivée par le micro-contexte et son intégration dans le texte s’en voit aussitôt améliorée. La réanimation d’un stéréotype consiste en effet « à rétablir la vigueur de l’opposition sémantique entre expression figurée et expression propre, et à restaurer le contraste produit par le cliché dans son entourage textuel »127. La figure fossilisée reprend vie.
Le cliché intégré
123Ce procédé d’écriture consistant à rapprocher la chevelure d’objets dorés présents dans l’œuvre est utilisé avec plus de raffinement encore dans Galeran de Bretagne. En effet, alors qu’elle a accouché de jumelles après avoir raillé sa voisine à ce sujet, Gente se voit contrainte d’abandonner une de ses filles. Elle brode alors un tissu qu’elle placera avec l’enfant et qui servira par la suite à sa reconnaissance :
Qui n’est mie de povre affaire | [Le tissu] qui, loin d’être médiocre |
Ne de villain, mais de hault euvre ; | Ou sordide, était de très belle facture, |
Car celle l’ot fait, qui bien euvre, | Car une habile ouvrière l’avait fait |
De fil de soie et de fil d’or : | De fils de soie et d’or : |
C’est Gente la belle au chief sor, | Gente elle-même, la belle aux cheveux ambrés, |
Galeran de Bretagne, v. 510-514. |
124Outre le rapprochement à la rime d’or et de sor, on remarquera la mention d’un fil d’or qui sert régulièrement de comparant au cheveu blond. L’étoffe brodée d’or préfigure la blondeur que Fresne héritera de sa mère. En effet, le portrait de la demoiselle devenue adolescente met l’accent sur cette particularité physique :
Si lui a taint les cheveux d’or, | Nature a teint en or ses cheveux, |
Dont elle met partie en tresse, | Dont elle tresse une partie |
L’autre a delivre et sans destresse, | Et laisse l’autre flotter librement. |
Galeran de Bretagne, v. 1240-1242. |
125Même si le comparant reste l’or, la formulation même de la métaphore qui caractérise la couleur des cheveux fait figure d’exception dans notre corpus. Le verbe taindre, appliqué ici à la Nature créatrice de toute beauté, relève du domaine de la teinturerie, et donc des étoffes. Autrement dit, si l’évocation du tissu fait signe vers le portrait ultérieur de Fresne, ce dernier fait écho au signe de reconnaissance. Étoffe et chevelure réfléchissent leur clarté dorée par-delà les vers qui les séparent.
126Il en va de même dans Le Conte du graal où, grâce au cliché, s’établit un parallèle entre les deux idéaux vers lesquels Perceval doit tendre, d’une part le pôle sentimental avec Blanchefleur aux cheveux tuit de fin or128 et d’autre part le pôle religieux avec le graal :
Li graax qui aloit devant, | Le graal, porté en tête du cortège, |
De fin or esmeré estoit ; | Était d’or pur et fin ; |
Le Conte du graal, v. 3232-3233. |
127Dans un texte comme celui de Chrétien où rien ne saurait être laissé au hasard, la reprise de fin or à deux moments clefs de l’histoire, à savoir lors de la rencontre de la femme aimée et lors de la découverte du cortège du graal, demande à être interprétée. Le graal doré fait écho à la chevelure de Blanchefleur, comme si Chrétien voulait indiquer au lecteur – avant même que Perceval ne l’apprenne – que, de même que la visite à Beaurepaire avait orienté l’errance de Perceval, la vue du graal imposerait au héros un trajet129. Le cliché est donc « simultanément vu et déjà vu, perçu dans le texte et dans un métatexte mémoriel »130. Si, dans Galeran de Bretagne, l’originalité de l’emploi du verbe taindre comme support de la métaphore stimule notre perspicacité et nous exhorte à découvrir la justification de ce choix, en revanche dans Le Conte du graal, c’est la similitude des matières qui nous invite à rapprocher Blanchefleur du graal, même en l’absence d’un renouvellement linguistique du stéréotype.
128Que ce soit par des objets qui, du fait de la présence d’or dans leur composition, se mettent en relation avec les cheveux, par une rénovation linguistique ou enfin par un subtil jeu d’échos, le cliché gagne une meilleure assise et se trouve revigoré. « Lorsqu’on attire l’attention sur un cliché ordinaire, on lui donne automatiquement un regain d’énergie [...] Ce regain d’énergie vient de l’évocation d’une ou de plusieurs significations anciennes qui soutiennent ou qui ont soutenu ce cliché »131. L’œuvre s’approprie alors la figure de style et lui offre une caisse de résonance. « Ainsi l’examen des motifs permet de mieux définir le style des œuvres, parce qu’il fournit les instruments de comparaison nécessaires à cette définition »132. Un texte qui se distingue par la recherche de ses images ou par le travail qu’il opère sur le matériau du cliché offre à son public le plaisir de saisir la nuance, la joie de reconnaître la transformation du banal en inédit.
Noveltés
129Certains auteurs ayant intégré les canons de la description féminine se plaisent à en varier les réalisations. Il ne s’agit en aucune manière d’une innovation totale, à partir de rien, car un tel texte – à supposer qu’il puisse exister – n’aurait jamais eu droit de cité dans le monde littéraire. Il s’agit plutôt d’une prise de distance formelle par rapport au stéréotype linguistique. « Renouveler un cliché, c’est rompre un automatisme d’élocution et déranger une habitude de lecture. Si l’altération concerne la substance verbale de l’expression, nous parlerons de renouvellement formel »133. L’écart se fera de façon impressionniste, par petites touches. Même si à nous, modernes, l’individualité de chaque poète ne paraît pas très prononcée, « elle est assez remarquable à une époque où non seulement les grands changements d’expression mais aussi les petites nuances étaient des hardiesses »134. Dans la mesure où la modification du cliché suppose une attention accrue portée à l’écriture, la prise de distance du poète avec le stéréotype comparant la chevelure à l’or informe sur le projet poétique mis en œuvre.
130En termes de fréquence, la première novelté consiste à faire jouer l’intertextualité en convoquant Iseut. Beaucoup plus rare, le recours aux autres métaux que l’or ainsi qu’aux pelages et plumages animaux exige, pour l’interpréter convenablement, une plus grande sagacité.
Iseut
131La chevelure d’Iseut, dont la beauté135 aussi bien que la blondeur sont devenues proverbiales, constitue un étalon de mesure assez intéressant. Et cela en dépit de l’absence d’allusion à la blondeur d’Iseut dans Le Roman de Tristan de Thomas et dans les autres versions primitives136 ! Cette œuvre se refuse en effet à faire jouer ouvertement le parallélisme entre Iseut – la blonde – et Iseut aux blanches mains. Il se peut aussi que la nuance dorée des cheveux constitue une caractéristique intrinsèque de l’amante de Tristan et que, supposée connue de tous, cette qualité ne mérite pas que le poète s’y attarde137. Jouant de l’hyperbole, les successeurs de Thomas prétendent quant à eux que la chevelure de leur héroïne éclipse celle d’Iseut :
Por voir vos di qu’Isolz la blonde | En vérité je vous dis que la chevelure |
N’ot les crins tant sors ne luisanz | Si ambrée et si brillante d’Yseut la blonde |
Que a cesti ne fust neanz. | Ne fut rien en comparaison de la sienne. |
Érec et Énide, v. 424-426 | |
Et pour parler de sa beaulté, la chevelure d’Yseult la Blonde ne faisoit riens envers les crins dont elle estoit paree. | Et pour évoquer sa beauté, on peut dire que la chevelure d’Iseut la Blonde ne soutenait pas la comparaison avec celle qui ornait sa tête. |
L’Histoire d’Érec en prose, texte B, p. 111138. |
132On remarquera que ces deux occurrences sont attachées au portrait d’Énide139. D’une version à l’autre, les éléments proprement descriptifs tels que sors et luisanz ont été supprimés selon la tendance commune de toutes les mises en prose. Cependant, la référence à Iseut – faisant autorité en matière de chevelure blonde – est conservée alors qu’elle n’apporte aucune information concrète ; c’est dire la puissance évocatoire du rapprochement avec l’épouse de Marc.
133La dévaluation de la chevelure d’Iseut semble donc de mise afin de valoriser par contrecoup celle de l’héroïne140 ; le procédé est donc comparable à celui observé dans le stéréotype linguistique. Plus Iseut est dépréciée, plus est valorisé le personnage décrit :
Car li chevoz Isot la blonde | Car les cheveux d’Iseut la Blonde |
Don on perla per tot lo monde | Dont on parla dans le monde entier |
Furent oscur envers les [siens] | Étaient sombres à côté des [siens] |
Floris et Lyriopé, v. 223-225. |
134L’éloge habituel des cheveux d’Iseut, rappelé au vers 224, renforce l’effet de surprise du vers suivant qui opère un renversement de la hiérarchie admise. Avec l’adjectif oscur, Robert de Blois touche ainsi aux limites de l’hyperbole en attribuant à la chevelure d’Iseut un adjectif antinomique totalement contraire à l’opinion commune.
135La référence à Iseut confirme bien la dimension épidictique du portrait dans la mesure où sa blondeur pourtant exemplaire se trouve dévaluée par celle de l’héroïne. La blondeur fictive du personnage décrit entre en concurrence avec la blondeur fabuleuse d’Iseut. Une fiction en efface une autre : l’intention laudative l’emporte largement sur la volonté d’informer. Loin d’opérer un rapprochement avec un domaine de la réalité, la comparaison avec Iseut réaffirme l’inscription du texte dans la littérature. De même que les métaphores canoniques et stylisées faisaient signe vers les autres textes, la comparaison avec Iseut, personnage de papier, prouve que le portrait fonctionne en vase clos. La réalité n’a aucune incidence dans ces portraits qui ne s’interprètent alors efficacement qu’en convoquant l’intertextualité. La particularité de ce comparant le distingue donc très clairement de tous ceux qui renvoient au monde réel, tels que les métaux par exemple.
Métal
136Même si la comparaison avec l’or demeure la norme, d’autres métaux, certes moins précieux mais non moins suggestifs, sont parfois convoqués. Cette modification « suppose dans tous les cas un dédoublement de la lecture, symétrique du dédoublement d’écriture qui est à l’origine de l’énoncé réactivé. La formule conventionnelle doit s’imposer à la conscience du lecteur en même temps que l’expression retravaillée qui en dérive. De là une double exigence : que l’énoncé de base admette une altération, et que cette altération soit assez importante pour forcer l’attention, sans empêcher pour autant la reconnaissance du modèle initial »141. L’effet de surprise est justement redevable à la conscience du stéréotype sous-jacent. Aussi le portrait d’Oiseuse dans Le Roman de la Rose tranche-t-il par sa nouveauté :
Adonc m’ovri une pucele | Enfin, m’ouvrit une jeune fille |
Qui asez estoit gente et bele : | Qui était très noble d’allure et très belle, |
Chevous ot blonz com .I. bacins ; | Avec des cheveux blonds comme [un bassin de cuivre, |
La char plus blanche c’un pocins, | Une chair plus blanche qu’un poussin, |
Le Roman de la Rose, v. 525-528. |
137L’association de la chevelure à une cuvette ne va pas de soi et s’explique si l’on songe que les bassines de l’époque devaient être de cuivre142. Sachant que les hommes du Moyen Âge avaient une conception de la blondeur plus étendue que la nôtre, puisqu’elle y intégrait le roux clair, la comparaison se trouve aussitôt motivée par la proximité des deux couleurs. Il s’agit donc d’une variation surprenante mais qui garde néanmoins par synecdoque un comparant du domaine des métaux. Bien différente mais tout aussi séduisante est l’interprétation proposée par Alice Planche : les bassins d’or sont l’appellation populaire et régionale143 des boutons d’or, renoncules abondantes dans les prés. Quelle que soit l’exégèse choisie, notons que la chair subit un traitement inattendu puisqu’elle est comparée à celle d’un poussin : les deux comparants se rapportent ainsi au domaine rural et concourent à tendre une toile bucolique autour de la Jeune Oiseuse. Le portrait ne se cantonne pas à décrire la jeune demoiselle au miroir, il plante aussi le décor.
138Dans un registre plus trivial et même franchement grivois, le personnage Cuider de La Farce de la Pippée enseigne à Bruyt les attributs physiques escomptés chez la jeune fille susceptible de se livrer à la pippée :
Prennez moy une belle garce | Prenez-moi une belle jeune fille |
Environ de quinze à seize ans, [...] | D’environ quinze seize ans, [...] |
La belle jambete petite, [...] | La jambe fine et belle, [...] |
Les cheveulx blons comme ung bassin, | Les cheveux blonds [comme un bassin de cuivre, |
La Farce de la Pippée, p. 137144. |
139Comme le montre l’emploi de l’article indéfini pour déterminer la belle garce, ce portrait ne particularise pas un personnage précis mais se présente davantage comme une liste d’exigences. On peut alors supposer que le cuivre, courant et bon marché, correspond davantage à une jeune roturière que l’or, à la fois trop rare, trop noble et trop raffiné. Le comparant se plie ainsi docilement au contexte dans lequel il s’insère. L’argent, bien qu’aussi brillant que l’or, n’apparaît guère comme comparant, probablement parce que son éclat froid ne s’accorde pas à la teinte des cheveux. Rappelons qu’en héraldique, l’argent désigne le blanc et l’or le jaune. La mention de l’argent risquerait donc d’évoquer une chevelure blanchissante, si bien qu’il est plutôt associé à l’or145.
140Les variantes habiles du stéréotype – qui témoignent parallèlement de sa vivacité – lui permettent de mieux s’intégrer dans le contexte discursif où il est placé ; les menus déplacements du comparant renouvellent sa formulation non sans favoriser sa fusion au texte d’accueil. En revanche, le recours à un comparant relevant du monde animal se signale immédiatement par sa hardiesse et son audace vis-à-vis du cliché attendu, dont on s’éloigne grandement au point de le perdre de vue.
Animal
141Les animaux, à poils ou à plumes146, fournissent occasionnellement au poète un original élément de comparaison. Le mouton, tout d’abord, dont le pelage laineux évoque la frisure humaine. Or, dans le passage suivant où un chevalier maltraite son amie, la laine n’est pas tant convoquée pour son aspect que pour sa couleur :
A tant le comenche a sachier | Alors le chevalier commence |
Li chevaliers par mi la treche, | À la tirer violemment par la tresse, |
Si le tient en si grant destreche | Il la maintient avec tant de force |
A poi que ne li tolt l’alaine ; | Qu’il manque lui couper le souffle ; |
Et cele, qui blonde est con laine, | Et elle, blonde comme la laine, |
Pleure et gemist et crie et brait. | Pleure, gémit, hurle et pousse des cris. |
La Continuation de Perceval de Gerbert de Montreuil, v. 7196-7201. |
142Ce choix ne manque pas de surprendre le lecteur147 pour qui la laine est soit noire, soit blanche : elle est ainsi régulièrement convoquée comme comparant pour la blancheur du teint148. Jaune comme ici, la laine ne peut qu’être sale si bien qu’une telle comparaison aurait alors davantage vocation au blâme qu’à la louange. Quatre interprétations contradictoires de ces vers viennent à l’esprit : la première considérerait la coiffure tressée de la demoiselle et supposerait une analogie implicite non de couleur mais de forme entre la tresse et la torsade tricotée149. La seconde partirait de l’homonyme laine/leigne signifiant le bois et induirait un rapprochement entre la blondeur et la couleur beige clair du tronc des essences communes (une fois l’écorce retirée). La troisième supposerait que le personnage féminin violenté soit relégué au rang d’animal. Enclenché par la comparaison avec la couleur jaune sale de la laine et affermi par le choix du verbe braire – relevant tous deux du monde animal – cette dévalorisation assimilerait la demoiselle à une bête blessée. Cependant, ce verbe n’était pas comme aujourd’hui nécessairement associé à un animal. On peut enfin imaginer que Gerbert de Montreuil, sous la contrainte de la rime avec alaine, ait fondu deux stéréotypes, à savoir blond comme l’or et blanc comme la laine, sans forcément percevoir l’enjeu d’un tel décalage, la laine n’étant pas blonde à moins d’être sale. L’interprétation que nous privilégions est celle de la collusion des deux clichés150.
143Or, contre toute attente, cette comparaison de la blondeur avec la laine se fait entendre à nouveau dans une chanson de toile de la même période (xiiie siècle). C’est encore une fois le seul élément de la description du personnage et ce dans un contexte de violence où l’on maintient la femme par ses tresses151 :
Par les treces la prent, | Elle la prend par les tresses, |
qu’ele ot blondes com lainne, | blondes comme la laine, |
devant la roi son pere | devant le roi son père |
isnelement l’enmaine ; | elle la conduit rapidement ; |
Bele Ydoine se siet desous la verde olive, v. 62-63152. |
144Seule différence notable : la mère haineuse et la fille se substituent au chevalier et à sa malheureuse amie. Soit l’on reprend l’analyse selon laquelle la jeune fille malmenée est assimilée à un agneau, soit l’on considère simplement qu’un des textes a subi l’influence littérale de l’autre. Toujours est-il que cette comparaison assez énigma-tique laisse entendre que la primauté médiévale de la blondeur relève largement d’une esthétique de la blancheur et de la pureté.
145Si le rapprochement des cheveux et des poils se justifie par leur parenté, le parallèle entre les cheveux et les plumes ne manque pas d’attrait tant il est imprévu. La blondeur de la belle Lidoine efface celle du fameux plumage du loriot153 :
De deviser tel creature | Je crains de ne parvenir |
Me dout que ge n’en viegne a chief. | À décrire une telle créature ! |
Mes la pucele avoit le chief | La jeune fille avait un beau port de tête, |
De bele assise, et li chevoel | Et les cheveux plus ambrés |
Plus sors que penes d’orioel, | Que les plumes de loriot, |
Méraugis de Portlesguez, v. 20-24. |
146Comme pour la laine, la motivation première et avouée semble d’ordre chromatique. Pourtant, le loriot était étymologiquement prédisposé à servir de support à la comparaison puisque ce substantif est dérivé de l’adjectif oriol/oriel, du latin aureolu, signifiant doré, de la couleur de l’or. « Le vieux français n’a conservé cet adjectif que dans le nom du loriot ; l’expression moderne, empruntée au Midi, a été formée par dissimulation des deux l de loriol »154. La rime avec chevoel conforte d’ailleurs le choix de ce comparant. Or, ce serait mal connaître Raoul de Houdenc que de penser qu’il ait pu accidentellement porter son choix sur un comparant aussi inhabituel. Le roman narre les aventures de Méraugis, épris de la suprêmement gracieuse et vertueuse Lidoine qui remporte le premier prix lors d’un concours de beauté, à savoir un épervier155. Aussi ce portrait liminaire, qui chante la blondeur de Lidoine en se référant au plumage du loriot, annonce-t-il la victoire ultérieure de la jeune fille. Il laisse poindre les germes du développement à venir. Autrement dit, le choix du comparant relève ici de l’économie du roman, consciente et organisée, ce qui n’est pas le cas dans le Tournoi de l’Antéchrist où la rime orïol/chevol se révèle nettement moins motivée, sinon par un hommage indirect à l’œuvre de Raoul de Houdenc156. La description de la flèche qu’Amour sort de son carquois présente toutefois l’intérêt d’opposer chromatiquement les plumes noires et or du loriot à la blancheur du cheveu d’Alliance (nécessairement âgée et vénérable).
147Plus surprenant encore, Le Roman d’Alexandre établit une comparaison entre la chevelure des créatures de la mer et le plumage du paon :
En l’eaue conversoient a guise de poisson | Elles vivaient dans l’eau comme [des poissons |
Et sont trestoutes nues si lor pert a bandon | Entièrement nues, de la tête aux pieds, |
Qanque nature a fait enfresi c’au talon ; | On peut voir tous les dons que leur a faits la nature |
Li chevel lor luisoient | Leur chevelure brille |
com pene de paon, | comme les plumes d’un paon : |
Ce sont lor vesteûres, | C’est leur seul vêtement, |
n’ont autre covrison. | rien d’autre ne les couvre. |
Le Roman d’Alexandre, v. 2904-2908. |
148Le sème commun justifiant la figure de style n’est plus ici la couleur mais la brillance, exprimée par le verbe luire157. Si l’image a de quoi surprendre, elle est cependant motivée par la longueur des plumes du paon qui, comme les cheveux de ces créatures, touchent terre de même que par l’appartenance du comparé et du comparant au règne animal, fait déjà signalé par le rapprochement avec les poissons158. Ni tout à fait femmes, ni tout à fait animales, mi-poissons, mi-paons, elles balancent entre le monde de l’eau et celui de la terre, comme en témoignent leurs déplacements d’un côté et de l’autre du rivage159. Ces quelques vers présentent enfin l’intérêt de réunir les deux représentations historiques des sirènes : femmes-oiseaux dans l’Antiquité, on en a fait des femmes-poissons dès le Moyen Âge. Bien plus qu’un ornement gratuit, cette comparaison surprenante enrichit l’interprétation de l’épisode. « L’étude stylistique de la métaphore doit aller, à partir de l’observation minutieuse des mécanismes mis en œuvre, jusqu’à la définition [.] de ce qui fait le pittoresque, la force de persuasion ou la richesse de suggestion poétique d’une œuvre littéraire »160. L’originalité de la formulation oblige à interrompre le fil de la lecture pour s’attarder sur la mise en mots, sur les choix poétiques mis en œuvre.
Végétal
149Il serait dommage de ne pas signaler un hapax promis à un bel avenir : la comparaison des cheveux blonds avec le lin161. Tout comme le bassin de cuivre, le lin inscrit la comparaison dans l’univers pastoral. Ainsi, le portrait d’une lectrice installée sur l’herbe dans L’Espinette amoureuse, avec laquelle le narrateur vient d’entrer en conversation, offre – sauf erreur de notre part – la première occurrence de ce futur stéréotype linguistique :
Je regardai lors son douls vis, | Je regardai alors son doux visage, |
Sa coulour fresce et ses vairs yeux. | Son teint frais et ses yeux vifs, |
On n’oseroit souhaidier mieux, | On n’oserait espérer mieux |
Car cevelés avoit plus blons | Car elle avait les cheveux plus blonds |
Q’uns lins ne soit, tout apoint lons, | Que n’est le lin, de parfaite longueur, |
L’Espinette amoureuse, v. 710-714162. |
150Le choix du lin, dont la tige fibreuse se caractérise par sa couleur beige clair, présente en effet trois intérêts majeurs. La couleur ainsi que la forme de la tige évoquent celles du cheveu ; de plus, la rusticité du comparant tend à présenter la jeune fille comme une émanation de la nature. Ses cheveux dénoués entourant son corps assis dans l’herbe à la manière de longues tiges de lin créent en filigrane l’image d’une déesse de la nature. La faible valeur marchande du lin associée à sa matité (en cela antinomique de la richesse et de la brillance de l’or) justifie probablement son peu de succès à l’époque médiévale. Or, à l’instar du blé, le lin deviendra un des comparants les plus fréquents quand les auteurs souhaiteront insister sur la dimension naturelle de la chevelure, ce qui est finalement rare au Moyen Âge où le raffinement et le luxe de la coiffure l’emportent largement. Telle comparaison « que l’on croyait rebattue, modifie le rapport métaphorique par un changement de signifié et exprime ainsi une nouvelle vision du monde »163. Les stéréotypes témoignent des valeurs dominantes de l’époque qui les a multipliés.
151Il faut préciser que l’origine orale de la comparaison avec le lin ne suffit pas à confirmer l’intuition selon laquelle le choix des comparants serait lié au style (élevé ou bas, oral ou écrit) des œuvres. En effet, si le lin apparaît au départ comme comparant dans des pièces orales, cette origine ne préjuge en rien de son succès dans les autres types de texte. La comparaison avec la blancheur de la neige se lit d’ailleurs aussi bien dans la chanson de geste que dans le roman ou le fabliau. Une classification des comparants par genre littéraire se révèle impossible. L’idée répandue selon laquelle la littérature médiévale se résume à une répétition stérile de modèles canoniques ne peut être soutenue si l’on songe aux multiples variations que les auteurs font subir aux figures de style attendues. Certes, les modifications ne frappent pas par leur caractère extravagant mais il faut, pour les apprécier, se replacer dans le contexte de réception de l’époque. Pour un public rompu à la récitation de portraits conventionnels, le repérage de la moindre innovation dans le choix du comparant et la mise en valeur du cliché par la présence d’objets dorés sont sources de satisfaction. Le jeu de l’intertextualité ajoute au plaisir d’écouter un conteur.
Fiat Lux
152Avant de clore cette analyse du stéréotype linguistique, il faudrait s’interroger sur les raisons de son succès tant « la réflexion sur le cliché ne peut esquiver la relation du langage et du social : la problématique littéraire du cliché se lie à une réflexion sur la parole dans la cité, et sur l’impensé présent dans tout discours »164. La couleur et la brillance fournissent les sèmes communs mis en avant par les poètes. Or, l’éventail chromatique de la blondeur se révèle si étendu que l’ultime point commun entre la chevelure et l’or est l’éclat : « avant d’être coloration, l’or est à la fois matière et lumière ; il exprime au plus haut point cette recherche de luminosité et de densité des tons »165. Plus que la blondeur, c’est la clarté qui est recherchée, clarté dont participe aussi la blancheur de la peau. L’adjectif blanc conserve d’ailleurs en ancien français son sens de clair, brillant. Sur le Profil de femme – peinture d’Antonio Benci, dit Pollaiolo, de 1465 – le visage et les cheveux du personnage sont si pâles que leurs nuances se confondent. Seule ressort la couleur bleue des yeux. Diaphane, ce portrait illustre à nos yeux la beauté médiévale. Le front haut et découvert des femmes de la fin du Moyen Âge était redevable au rasage et à l’épilation qui assuraient également la netteté des tempes et de la nuque. La blondeur se rattache donc davantage à des reflets lumineux qu’à une teinte précise : la beauté a la lumière pour origine. En tant qu’elle est une « émanation de Dieu »166, la lumière se révèle « source du Beau et aussi du Bien »167. « Suivant une conception d’origine platonicienne adoptée par le christianisme, le beau et le bien sont ici-bas (et à plus forte raison dans l’univers héroïque et déjà surhumain de la poésie) des reflets d’archétypes, d’idées éternelles. Disons que les topoi exaltaient des essences plus qu’ils ne peignaient des existences »168. Le stéréotype linguistique qui fait de la chevelure l’élément le plus lumineux du corps féminin traduit donc une image de l’inconscient collectif. Selon le mécanisme mental qui unit immédiatement beau et bien, richesse et beauté, la blondeur reste associée à la noblesse. Or, comme le rappelle Jean Frappier, « ce privilège accordé aux blondes » ne relève pas d’« un préjugé aristocratique ou raciste ; il s’agit plus certainement d’une référence à la lumière »169. La discrimination sociale n’est jamais qu’une conséquence de cette partition entre le lumineux / beau / bon et l’obscur / laid / mauvais, l’aristocratie étant a priori considérée comme une élite de la beauté et de la vertu. « Les métaphores qui « prennent » et se répercutent de texte en texte ne sont pas réussies en vertu de critères purement esthétiques. Si elles parviennent à s’imposer et à devenir monnaie courante, c’est parce qu’elles disent à leur manière les valeurs du contexte socio-culturel au sein duquel elles s’inscrivent »170. Les cheveux dorés disent la foi en la Lumière. L’étude du cliché ouvre donc sur l’inconscient collectif qui affleure dans le langage171.
153D’autre part, on a pu expliquer le succès de la comparaison de la chevelure avec l’or par une volonté d’associer la femme et la nature. « La métaphore des cheveux d’or a connu une diffusion plus large que les autres figures de cette catégorie, la ressemblance de la blondeur avec la couleur de l’or – comparant mieux connu – étant peut-être apparue comme plus naturelle. Non confinée parmi les clichés nobles, elle s’est moins démodée qu’eux et elle est restée plus longtemps, non seulement une élégance d’écriture mais un tour expressif »172. Il est vrai que l’image des cheveux d’or a pu servir dès le xvie de socle à une ambitieuse analogie entre la femme et le soleil, plus connue sous le nom de Belle Matineuse. Toutefois, le projet de réunir microcosme et macrocosme ne suffit à expliquer la consécration de ce trope puisque, par exemple, blanc comme neige n’a pas connu une fortune identique.
154De plus, l’or constitue une denrée rare et précieuse173, au même titre que la chevelure féminine dont la description représente le point culminant des portraits. Or est raisons que je te die / De ce que li ors senefie. / L’or est, se je bien m’y avise, / De tous metaux cil c’on plus prise, / Et li plus fors et li plus fermes, nous précise le Dit de la panthère (v. 1288-1292). La rareté du métal répond à la rareté de chevelures resplendissantes. L’historien André G. Ott propose une explication à cette prédilection pour l’or dans les comparaisons : « il n’était que naturel qu’au milieu de toutes les richesses, de tous les trésors de l’empire romain, l’admiration pour la beauté de l’or, pour son éclat, semblât assez banale. Il n’en fut plus de même après les invasions, alors que la fortune, le luxe semblaient avoir sombré pour toujours dans cet effroyable cataclysme que fut la chute de Rome. Obligés à mener une vie dure et simple, conséquence de la domination de leurs nouveaux maîtres, l’admiration des anciens citoyens de l’empire dut se contenter de peu ; aussi la simple vue de l’or ou d’un objet fabriqué avec ce métal éveillait-elle dans leur esprit un sentiment de plaisir ; c’est ce qui, pour les habitants de la Gaule, semble se refléter dans ce penchant prononcé à dire, d’une manière ou d’une autre, que quelque chose a la couleur de l’or »174. Cet éclaircissement justifierait la vogue de la comparaison avec l’or par la pauvreté ambiante. À l’indigence quotidienne correspond l’excès de richesse dans le langage mais aussi dans la peinture, ce que souligne l’historien Michel Pastoureau : « à partir du xiie siècle et surtout à la fin du Moyen Âge, c’est l’irruption soudaine et quantitative de l’or et du doré dans tous les domaines de la création artistique et, partant, dans la plupart des systèmes de valeurs et de représentation »175. Toujours ressenti comme un emprunt, le stéréotype linguistique laisse entendre « une parole diffuse et anonyme qui est le bien de tous et porte la marque du social. Les clichés qui circulent dans un espace culturel déterminé ne parlent pas simplement la banalité : ils disent une banalité toute particulière, celle qui sous-tend les modes de pensée et d’action de la communauté dans laquelle elle a cours »176.
155L’or est donc préféré à tout autre comparant pour deux raisons principales, sa luminosité et sa valeur, ce que confirme dans sa formulation même cet extrait de Perceforest :
comme l’or entre autres metaulx reluit en valeur, ainsi reluit ce chevalier entre la chevalerie qui ont esté au tournoy. | De même que l’or a un précieux éclat, de même ce chevalier brille davantage que tous ceux qui ont tournoyé. |
Perceforest, 3e partie, XLV, p. 328, l. 1-3. |
156L’or est à nouveau convoqué comme comparant : de même que l’or se distingue des autres métaux, de même le chevalier se démarque de ses semblables par sa gloire – éclat social – et ses qualités. L’expression imagée reluire en valeur condense les deux pôles d’interprétation : l’or suscite inévitablement l’idée de lumière et de prix. Les représentations latentes dans les stéréotypes linguistiques ont trait au plus profond de l’âme, elles nous font descendre « dans le maelstrom archétypal de toute l’expérience humaine accumulée dans les livres »177.
Les refuges du cliché
157Après avoir circonscrit les champs d’application du stéréotype linguistique, analysé sa structure mouvante, relevé ses variantes et tenté de comprendre les raisons de son succès, il est temps de s’attacher aux textes qui ne semblent lui laisser qu’une place réduite. La fin du Moyen Âge voit en effet les portraits physiques se réduire comme une peau de chagrin, tandis que s’étendent les descriptions des vêtements et, pour ce qui nous intéresse, des ornements de tête. La brillance dorée de la chevelure est comme éclipsée par celle des couronnes et diadèmes, à tel point que la beauté émane de la parure et non plus des cheveux. Cette mutation – qui n’est pas uniquement historique comme nous le verrons – n’empêche pas le retour de formulations stéréotypées, à tel point qu’il est légitime de s’interroger sur les voies souterraines qu’emprunte le cliché pour subsister.
Désaffection pour le portrait physique ?
158On décèle une évolution dans l’usage du stéréotype linguistique puisque l’or, qui servait de comparant à l’éclat des cheveux, n’apparaît plus dans un certain nombre de textes – dès Le Roman d’Énéas – que réservé à la description des ornements. Cette mutation ne relève pas d’une évolution chronologique car elle a lieu dès l’origine. Néanmoins, il faut reconnaître que cette tendance se manifeste plus nettement lorsque le portrait se fait rare : la description détaillée du costume prend alors le pas sur celle de la chevelure178. La multiplication des références à l’or ne peut dans certains cas manquer d’évoquer le stéréotype linguistique dont les capacités d’adaptation permettent un rayonnement dans l’adversité, au sein de descriptions vestimentaires. Apparemment absente de ces textes, la comparaison de la chevelure avec l’or se révèle in fine omniprésente.
159Il est remarquable de constater qu’un certain nombre de textes, dès la fin du xiie siècle179, tendent à faire l’économie du portrait ou à le réduire à sa plus simple expression. C’est ainsi que la description des différentes parties du corps disparaît180 au profit d’une simple allusion à la beauté du personnage. Le roman Éracle181 de Gautier d’Arras, pourtant contemporain de Chrétien de Troyes, annonce cette évolution puisque le lecteur n’obtient aucune information sur l’apparence exacte de la future impératrice :
Bel son si crin, bel son ci œl, | Beaux sont ses cheveux, beaux ses yeux, |
bele bouce et bel le vis ; | Belle sa bouche et beau son visage ; |
bele fu toute, ce m’est vis, | Elle était totalement belle, c’est mon avis, |
en li n’a riens mesavenant. | En elle rien n’était déplaisant. |
Éracle, v. 2590-2593182. |
160Si la beauté est clamée, elle n’en est pas pour autant précisée, si bien que le portrait bascule dans la tautologie. Le descripteur, par la répétition de l’adjectif axiologique bel, suppose qu’il partage avec son lectorat les mêmes canons esthétiques qu’il serait vain de répéter. Le détail des caractéristiques s’efface donc pour laisser place à une assertion cautionnée par la voix auctoriale. « Qu’est-ce que ce monde bestourné où les demoiselles sont de plus en plus belles mais de moins en moins décrites ? » s’interroge Bénédicte Milland-Bove en constatant que les romans en prose du xiiie siècle s’attardent à détailler uniquement les créatures extraordinaires relevant de la merveille. « D’une manière générale, les créatures les plus ordinaires, celles que le lecteur peut imaginer selon les lois du monde réel, ne sont pas décrites »183.
161Les métaphores habituelles au sein des portraits se trouvent inévitablement évincées si bien que les auteurs, pour orner leur propos tout en le rendant moins abstrait, recourent à de nouvelles figures suggérant la splendeur du personnage :
Por celi servir qui li samble | Pour servir celle qui lui semble |
Li rubis de toutes biautez. | Le rubis de toutes les beautés. |
Le Lai de l’Ombre, v. 138-139184. |
162La référence métaphorique à une pierre précieuse très prisée au Moyen Âge dénote la rareté de la beauté et connote en supplément la richesse de l’héroïne, qui pourra être développée par la suite lors de la description des vêtements.
163Il semblerait que le passage du vers à la prose accompagne la disparition des portraits. De simples allusions à la beauté du personnage en tiennent lieu. Ainsi, à l’apparition de la demoiselle d’Escalot, le narrateur se contente de qualifier très succinctement son héroïne :
Et la damoisele estoit si bele et si bien fete de totes choses que pucele ne pooit estre mieuz. | Et la demoiselle était si belle et si bien faite en tous points qu’on ne pouvait imaginer créature plus parfaite. |
La mort le roi Artu, 1. 57-59185. |
164Aucun portrait ne viendra appuyer cette impression ; le lecteur devra laisser libre cours à son imagination. Ces portraits avortés foisonnent chez les prosateurs. « Le roman en prose refuse donc le caractère à la fois inaugural, synthétique, canonique, ornemental et empathique, du portrait, le remplaçant par d’autres modes de construction du personnage »186. Ainsi, alors que toutes les conditions sont réunies pour qu’une puissante image de Guenièvre menée au bûcher émeuve le lecteur, le narrateur fait le choix de la sobriété187. Se refusant à suivre le modèle pathétique donné par Chrétien de Troyes lorsqu’il dresse par exemple le portrait de la demoiselle de la tente persécutée par son ami188, le narrateur choisit l’imprécision suggestive.
165Cette pénurie de portraits qui se manifeste à partir de la fin du xiie siècle est contrebalancée par l’importance accrue des portraits moraux qui tendent à combler l’espace laissé vacant :
Moult fu la roine Genievre de grant biauté, mais riens ne monta la biauté a la valour que ele avoit car che fu de toutes les dames la plus preus et la plus vaillans | La reine Guenièvre était très belle, mais sa beauté ne pouvait se comparer à sa valeur, car c’était de toutes les dames la plus sage et la plus courageuse |
Lancelot en prose, t. VII, VIIIa, 9, p. 60189. |
166Les charmes physiques se voient discrédités au profit des qualités de cœur. Même si le descripteur admet la beauté du personnage reconnue par tous, seule la distinction de l’âme mérite qu’il s’y attarde plus longuement. Se profile donc une nette tendance à la disparition du portrait physique au profit soit d’une courte allusion à la beauté du personnage, soit de l’éthopée. Même si ce phénomène n’est pas général dans la mesure où des textes du xve siècle tels que Clériadus et Méliadice présentent des portraits en pied traditionnels, il n’en reste pas moins que les œuvres manifestent une disposition à privilégier le récit par rapport à la description et le discours direct par rapport à la voix auctoriale190. La mise en prose des romans arthuriens en constitue l’exemple le plus évident tant la réécriture qu’elle impose amoindrit les pauses descriptives quand elle ne les évince pas. La chevelure disparaît-elle pour autant de ces œuvres ?
Riches coiffures
167À l’heure où le portrait disparaît peu à peu, où les évocations de la chevelure se font rares et glissent parfois vers la leçon morale, la description du costume féminin – et des ornements de tête qui nous intéressent ici – connaît un essor remarquable. La demoiselle n’est alors pas décrite pour elle-même mais « à travers des éléments externes : ce qu’elle a, où elle est, avec qui. Ses attributs (vêtement, monture, animal ou objet) ou le décor dans lequel elle surgit sont souvent plus longuement et plus précisément décrits que ses traits physiques ou moraux »191. À la sécheresse et à l’aridité des portraits proprement dits s’oppose donc la luxuriance et la précision des descriptions d’ornements de tête, comme ici de l’extravagant chapeau d’une demoiselle qui n’a rien à envier aux coiffures des coquettes du xviiie siècle :
D’asur fin ot un chaperon, | Elle portait un chaperon d’azur fin, |
Qui fu semés tout environ | Parsemé tout autour |
De vers et jolis papegaus, | De gais perroquets vets, |
Eslevés et tous parigaus ; | Debout et tous de même taille. |
Mais chascuns a on col fermee | Il y a plus : chacun portait, fixée à son cou, |
Avoit une escherpe azuree, | Une écharpe azurée, |
Et toute droite la blanche ele ; | Et tenait toutes droites ses ailes blanches. |
Et leur contenance estoit tele | Leur disposition était telle |
Que li uns devant li regarde | Que l’un regardait devant, |
L’autre derrier qui fait la garde, | L’autre derrière qui assurait l’arrière-garde |
Ainsi comme dame doit estre | Comme une dame doit être |
Sur garde a destre et a senestre : | Sur ses gardes à droite et à gauche. |
Le Livre du Voir Dit, v. 2016-2027. |
168Dans Le Roman de la Rose, la place accordée aux chapeaux est d’ailleurs telle que ce sont les plus longues descriptions de l’œuvre192. Un raccourci schématique et anachronique ferait de la description du couvre-chef de Charles Bovary par Gustave Flaubert leur exact négatif, la laideur et la grossièreté de la casquette s’opposant à la délicatesse et au raffinement de la coiffure féminine.
169Il faut lire dans cette débauche descriptive la force du lien qui unit couvre-chef et richesse dans la mesure où la noblesse de la naissance et, à la fin du Moyen Âge, l’aisance financière ne se lisent plus uniquement dans la blondeur de la chevelure mais surtout dans la beauté travaillée des ornements de tête. La coiffure symbolise le rang social : « une des marques distinctives de la féodalité était une stricte hiérarchie de clan exprimée par la coiffure ou l’arrangement des cheveux. Dans une hiérarchie aussi verticale les gens portaient littéralement leur fortune sur leur tête »193. Les couvre-chefs différaient donc et indiquaient la répartition sociale et si le chaperon convenait aux petites gens, les hauts atours drapés de voile étaient réservés à la bourgeoisie tandis que la couronne constituait la coiffure attendue des reines194. C’est pourquoi on ne s’étonnera pas que l’allégorie de Richesse dans Le Roman de la Rose soit réduite à la description de son chapeau, l’évocation des cheveux étant cavalièrement expédiée en trois mots. Ce long passage de 79 vers – qui témoigne de l’assimilation qui s’est faite dans les esprits entre richesse et couvre-chef luxueux – se conclut ainsi :
Tel clarte des pierres issoit | Il partait de ces pierres une telle clarté |
Qu’a richece en resplendissoit | Que le visage et la face de Richesse |
Durement li vis et la face, | En prenaient un éclat intense, |
Et entour li toute la place. | Et toute la place autour d’elle. |
Le Roman de la Rose, v. 1102-1105. |
170Ce n’est pas la chevelure qui, par sa brillance, éclaire le visage de Richesse mais la splendeur des pierres195. L’éclat de la femme ne doit rien aux reflets mordorés de ses cheveux, il est tributaire du scintillement de l’or et du flamboiement des pierres précieuses :
Elle estoit couronnée d’une couronne de fin or tres rice et estoit habillie de si nobles vestemens qu’elle en resplendissoit par tout. | Elle portait une très riche couronne d’or fin et était habillée de si nobles vêtements que tout en elle resplendissait. |
Perceforest, 4e partie, t. I, 10b, p. 13, l.331-334196. |
171L’attention est dirigée vers la couronne et le vêtement si bien que le corps du personnage se trouve occulté, réduit à un simple support. Ce qui devait le parer, l’embellir, le magnifier finit par l’éclipser.
172Symptomatique, la dénomination de tresor n’est plus dévolue à la chevelure comme c’était le cas dans Le Chevalier de la Charrette197 ou dans le Roman du caste-lain de Couci et de la dame de Fayel198 mais à l’accessoire :
Fors tant que la couronne d’or | À l’exception de la couronne d’or |
Qui valoit trop mieus d’un tresor | Qui valait bien plus qu’un trésor |
Le Dit dou lion, v. 495-496 | |
En son cief ot un cercle d’or, | Sur la tête elle portait un diadème d’or, |
Les pieres valent un tresor. | Dont les pierres valaient un trésor. |
Le Bel Inconnu, v. 145-146199. |
173Rien d’étonnant alors si ces riches ornements constituent des cadeaux très prisés, et notamment entre amants en signe de fidélité, en lieu et place d’une mèche de cheveux200. Le costume prend donc peu à peu le pas sur le corps qu’il finit par effacer.
Coiffure et parure
174Néanmoins, il semblerait que la coiffure puisse retrouver ses lettres de noblesse en tendant à devenir parure au même titre que les vêtements, bijoux et chapeaux. La chevelure, qui relève du corps naturel, s’intègre entièrement alors au corps construit, façonné, marqué. Dans les cas où les cheveux restent mentionnés, ils apparaissent au détour de précisions vestimentaires :
Certes c’estoit ung tres somptueux triumphe, car auprés du chevalier estoit assise une pucelle de tres grant beaulté, a chief nud, aournee de nobles vestemens, dont ses cheveulz reluisoient dessus comme fin or. Sus son chief avoit ung chappeau enrichi de pierres precieuses qui resplendissoient comme charbons ardans. | À l’évidence c’était un triomphe particulièrement somptueux, car auprès du chevalier était assise une jeune fille d’une très grande beauté, la tête nue, habillée de nobles vêtements, et dont les cheveux brillaient dessus comme de l’or fin. Sur la tête elle portait une couronne incrustée de pierres précieuses qui resplendissaient comme des charbons ardents. |
Perceforest, 4e partie, 10c, p. 13, l. 342-348. |
175Placée sur le même plan que le vêtement201, la chevelure se fait ornement et signale même la richesse. Au même titre qu’un bijou, elle parachève l’impression de luxe qui se dégage du portrait. Il en va de même lors de la première apparition de l’héroïne dans le roman Clériadus et Méliadice : le narrateur s’attarde longuement à peindre la magnificence du costume, tout d’hermine et d’or, et met la dernière touche au portrait en évoquant la chevelure :
ses cheveux liez par derriere, qui estoient aussi blons que fil d’or, ung chappeau d’or sur son chief. | Ses cheveux attachés par-derrière, aussi blonds que des fils d’or, une couronne d’or sur la tête. |
Clériadus et Méliadice, 1. 128-130. |
176Cette courte incursion de la chevelure au sein de matières travaillées par l’homme tend à unir beautés naturelle et artificielle et à faire rejaillir le luxe du costume sur le personnage. Le choix de ne décrire que cette caractéristique précise de Méliadice se trouve largement justifié par le traitement qui en est donné puisque la comparaison avec le fil d’or fait écho au costume doré. Ce roman présente la particularité d’offrir en moyenne, pour une allusion aux cheveux, cinq références aux ornements de tête202. La distinction entre coiffure et parure s’amenuise donc. Elle se fait d’autant plus ténue dans ce roman que des pièces d’orfèvrerie telles que des fermaulx d’or ornent les tresses de Méliadice203. La Chronique de Jacques de Lalain pousse encore plus loin l’amalgame en usant des verbes vêtir et habiller relativement au vêtement mais aussi à la coiffure :
et étoit cette dame vêtue et habillée de corps, de cheveux et de tête, comme elle avoit été dedans le pavillon | Et cette dame était vêtue et habillée de corps, de cheveux et de tête comme elle l’avait été dans la tente |
Chronique de Jacques de Lalain, p. 273. |
177L’assimilation de la coiffure à la parure devient encore plus évidente lors de l’emploi du verbe parer pour désigner la chevelure :
et estoit son chef paré de ses cheveux, beaux et blonds | Et sa tête était parée de ses beaux cheveux blonds |
Chronique de Jacques de Lalain, p. 397204 | |
Et pour parler de sa beaulté, la chevelure d’Yseult la Blonde ne faisoit riens envers les crins dont elle estoit paree. | Et pour évoquer sa beauté, la chevelure d’Iseut la Blonde n’était rien en comparaison de celle dont elle était parée. |
L’Histoire d’Érec en prose, texte B, p. 111. |
178Au xve siècle, on considère donc la chevelure moins comme un attribut naturel que comme une pièce de la parure féminine. Intéressant, le verbe parer dans L’Histoire d’Érec en prose relève entièrement du choix du copiste du manuscrit B puisqu’on ne le trouve ni chez Chrétien de Troyes ni dans le manuscrit P205. Il ne saurait être question d’invoquer une prise de distance par rapport à l’œuvre originelle puisque la comparaison avec Iseut demeure scrupuleusement retranscrite. Ornement précieux, au même titre qu’un bijou, la chevelure magnifie la beauté féminine.
179L’étude de la Création d’Ève, peinture sur parchemin du xve illustrant un manuscrit du De mulieribus claris de Boccace206 vient confirmer cette analyse. Les longs cheveux blonds et légèrement ondulés d’Ève ont, a priori, un aspect très naturel ; la coiffure ne semble pas spécialement soignée, ce qui correspond aux circonstances puisque Ève est représentée au moment où elle s’extrait de la côte d’Adam. Or, qui s’attarde sur le portrait constate la présence d’une raie et d’un mouvement des cheveux, comme ourlés vers l’extérieur du visage. La chevelure d’Ève la couronne. Nue, la première femme est toutefois parée de sa chevelure.
180Ainsi, la chevelure qui relevait du physique du personnage devient progressivement un élément du costume, le processus étant achevé au xve siècle. La mode en vigueur à la fin de l’époque médiévale n’est pas étrangère à cette évolution. Camille Enlart souligne qu’à partir du milieu du xive siècle, les tresses étaient massées « au-dessus des tempes et des oreilles [et] formaient, sous la guimpe et sous le couvre-chef, des saillies accentuées. C’était sur ce bourrelet que se posait le cercle de tête, la bende ou le tressoir (crinalis). Ce cercle pouvait être un mince galon ou filet de métal ou une bande d’orfèvrerie, parfois accompagnée de pierreries, ou enfin un chapel de fleurs »207. Autrement dit, la chevelure était habituellement cachée sous des épaisseurs d’étoffes elles-mêmes surmontées d’ornements. Un autre portrait illustrant le De mulieribus claris nous offre un exemple saisissant d’une coiffure relevant uniquement de l’artifice. Il s’agit de celui de Junon (voir dans le cahier d’illustrations figure 3, p. 343), déesse de la féminité et épouse de Jupiter, dont les cheveux ont probablement été tressés en deux nattes et remontés verticalement sur les oreilles avant d’être recouverts d’un riche tissu rouge bordeaux galonné d’or et perlé. Junon porte également un bijou de front. L’ensemble de la coiffure est surmonté d’une couronne dorée qui rappelle la teinte du galon. La chevelure de ce personnage qui symbolise la féminité reste invisible, cachée sous l’étoffe. Cependant, l’or du galon qui entrelace le bourrelet de tissu suggère les cheveux dissimulés. Dérobés aux regards, ils n’en sont pas moins indirectement visibles, transfigurés et magnifiés par la richesse de la coiffure. C’est l’essence même de la chevelure qui transparaît. Camouflée derrière le tissu, elle s’impose comme pur artifice.
Survivance en creux du cliché
181Alors que le portrait physique semble s’éteindre peu à peu, le cliché s’insinue dans les descriptions périphériques pour rejaillir sur la chevelure. Ce phénomène se développe à partir du xiiie siècle mais il serait préjudiciable d’en exclure des textes antérieurs tels que Le Roman d’Énéas qui, à bien des égards, préfère le contournement à la ligne droite. La comparaison de la chevelure avec l’or se reporte de façon sous-jacente sur les accessoires dorés, de façon tellement systématique qu’il faut alors se demander dans quelle mesure la description de ces éléments dorés spécifiques ne tend pas à se figer à son tour.
182Comme on l’a déjà mis en évidence208, le poète peut choisir de rapprocher la blondeur des cheveux de l’or des vêtements ou du diadème de l’héroïne, conférant ainsi au cliché une portée concrète. Il peut aussi, en l’absence du stéréotype linguistique, saturer le contexte immédiat par une profusion d’or si bien que la chevelure, sans toutefois être montrée, en sort magnifiée. Afin de prouver que la présence d’éléments dorés à proximité de la chevelure blonde n’est pas anodine, on peut se référer à cette variante du cliché qui compare la brillance des cheveux à celle de l’or et de l’argent :
Les chevels ot et longs et sors, | Ses cheveux étaient longs et ambrés, |
plus reluisanz qu’argentz ne ors ; | Plus brillants qu’argent ou or ; |
d’un fil d’argent furent trecé, | Ils étaient tressés d’un fil d’argent |
pendirent li sur le baudré. | Et descendaient jusqu’à sa ceinture. |
Le Roman de Thèbes, v. 4137-4140. |
183Il importe de souligner que c’est le contexte immédiat qui fournit le comparant permettant à la supériorité de l’éclat des cheveux sur le métal de se réaliser sous les yeux du lecteur. Le déplacement d’une autre comparaison canonique confirme l’hypothèse de la transposition des clichés vers la description vestimentaire. Ainsi, l’expression blanc comme neige, habituellement associée à la gorge, peut se rapporter à une étoffe :
une damoiselle mout granz et mout belle et mout gente, vestue d’un drap de soie, blanc comme nois. | Une demoiselle particulièrement grande, belle et gracieuse, vêtue d’une étoffe de soie, blanche comme neige. |
Lancelot en prose, t. VII, LXXIa, 8, p. 457. |
184On peut donc légitimement se demander si la comparaison de la blondeur avec l’or ne subit pas le même déplacement : sorti d’usage pour caractériser la chevelure, l’or se retrouverait dans la description des vêtements. Le portrait de la nièce de Guillaume reprend un certain nombre de comparaisons courantes, associant les couleurs du visage avec la rose, la blancheur de la peau avec la neige sur la branche, tandis que l’évocation de la chevelure reste contre toute attente dépourvue de comparaison :
La rose samble en mai la matinée ; | Elle ressemble à la rose, un matin de mai, |
Ele est plus blance ke [n’est] noif sor gelée, | Son teint est plus clair que neige sur de la glace, |
Et de color ensi bien luminée | Et rehaussé d’une si fine coloration |
K’en toute France, ki tant est longe et lée, | Que dans toute la France, qui pourtant est si vaste, |
Nule tant bele ne puet estre trovée. | On ne saurait trouver femme plus belle. |
Vestue estoit d’une porpre roée ; | Elle portait un vêtement de pourpre à médaillons, |
Sa crine fu de fil d’or esmerée. | Sa chevelure était magnifiée par un fil d’or. |
Aliscans, v. 2852-2858. |
185Le poète insiste sur l’harmonie des couleurs de la peau d’Aélis avant de passer à la description du vêtement, à la fin de laquelle prend place la caractérisation des cheveux. Se superposent à la lecture du dernier vers les réalisations particulières du cliché dans lesquelles les cheveux étaient rapprochés de l’or esmeré209 si bien que ce dernier vers ne peut manquer de faire signe, pour l’auditeur médiéval, vers le stéréotype linguistique.
186De même, un certain nombre de portraits reprennent les clichés associant par exemple la couleur du visage à la rose et la blancheur du teint à la fleur d’été, sans mentionner aucune comparaison pour la chevelure210 :
Sor son chief un chapel d’or en sa teste de pierres precieuses, et ses vis fu frés et encoulourés de blanc et de vermeil si naturelment qu’il n’i connut ne plus ne mains. Et ele ot les espaulles droites et polies com un jonc et fu a mervelles bien faite de cors [...] et ele avoit la chair plus blanche que noif negie, si ne fu trop crasse ne trop maigre. | Elle portait sur la tête une couronne d’or ornée de pierres précieuses, et sur son frais visage le blanc et le vermeil se mêlaient si naturellement que cela ne laissait rien à désirer ; elle se tenait droite comme un jeune roseau, et ses épaules étaient lisses et polies. Elle était remarquablement bien faite […] et sa chair était plus blanche la neige fraîchement tombée, elle n’était ni trop grasse ni trop maigre. |
Suite post vulgate du Merlin, 127, p. 936211. |
187Ce portrait de Guenièvre présente un intérêt non négligeable. Bien qu’on y rencontre quelques comparaisons familières, la plupart restent assez insolites et signalent le soin apporté par les prosateurs à leurs portraits. D’autre part, la chevelure est intimement rapprochée de la couronne dorée par l’emploi a priori redondant de chief et de teste. Soit l’on considère que sor est épithète de chief et qu’il manque une virgule après le substantif, soit l’on préfère analyser sor comme une préposition, ce qui signifierait que le complément de pierres precieuses est éloigné de son référent chapel d’or, choix syntaxiquement peu satisfaisant. Toujours est-il que le cercle doré orné de pierres précieuses est posé à même la chevelure, qui rayonne ainsi de l’éclat de l’ornement. La présence de comparaisons canoniques semble donc aller de pair avec la convocation du terme or à proximité immédiate d’une mention de chevelure ou de coiffure, comme si la comparaison implicite était reléguée dans l’ornement de tête, cercle ou fil d’or. De fait, les caractéristiques habituellement attribuées à l’or en tant que comparant212 sont désormais allouées à la couronne, aussi bien la brillance avec reluire/reluisant :
En son chief sor ot chapel d’or | Sur sa tête ambrée elle portait une couronne d’or |
Ki reluist et estancele ; | Qui brille et étincelle ; |
Sospris sui d’une amorette, v. 3.1-3.2, Les chansons de Colin Muset, p. 142 | |
Un chapelet d’or reluisant | Sur la tête, une brillante couronne d’or |
Sor son chief ki tres bien li sist ; | Qui lui allait très bien ; |
Beaudous, v. 576-577213, |
188que la pureté grâce à l’adjectif fin :
Mis ot sus son chief crespe et sor | Elle avait mis sur sa tête ambrée et frisée |
Une coronne gracieuse | Une gracieuse couronne |
D’or fin, tant clere et precieuse | D’or fin, si claire et si précieuse |
Que son vis en resplendissoit | Que son visage en resplendissait |
La Fonteinne amoureuse, v. 1584-1587. |
189Bien qu’elle ne lui soit plus explicitement comparée, la chevelure reste subtilement associée à l’or. La preuve en est donnée par la description de Blonde dans laquelle Philippe de Rémi s’attarde à souligner la beauté exceptionnelle des cheveux de la mariée :
Si biau cevel erent espars, | Elle avait laissé flotter ses beaux cheveux, |
Lascement mis a une trece. | À peine retenus dans une tresse. |
Ne fu mie plains de perece | Il ne regardait pas à sa peine, |
Qui teus les fist, car dusk’au çaint | Celui qui fit une si belle chevelure, |
S’estoient ja tout entrataint, | Car elle lui descend jusqu’à la taille, |
Plus biaus que je ne devisai | Plus belle encore |
Au premier, quant de li parlai. | Que je ne vous l’ai décrite la première fois. |
Autre devise n’en voel faire | Sans me répéter ici, |
Fors tant que sa biautés esclaire | Je vous dirai seulement que sa beauté illumine |
Trestous les lieus ou ele vient. | Tout sur son passage. |
Uns capelés ses chevex tient, | Un mince diadème retient ses cheveux, |
Qui ert de fin or reluisant. | Il est d’or fin et brillant. |
Jehan et Blonde, v. 4716-4727. |
190Contre toute attente, le portrait ne convoque pas le cliché attendu en pareille situation et déjoue les prévisions des lecteurs en déplaçant le groupe de fin or reluisant traditionnellement attaché à la chevelure vers la description du chapeau. Il devient alors manifeste que le cliché n’a pas disparu mais qu’on a légèrement modifié son champ d’application en le transposant dans le domaine des ornements de tête. S’adaptant à l’évolution historique qui fait la part de plus en plus belle à la description du costume, le stéréotype s’est métamorphosé. Le rapprochement de deux réalités s’efface devant la simple présentation d’un accessoire en or qui évoque l’ensemble du cliché. Bien qu’elle ne lui soit plus explicitement comparée, la chevelure reste subtilement associée à l’or.
191Le déplacement de l’or de la chevelure vers l’or de la parure tend à son tour à se concentrer sur certains objets. Supports de la transposition du cliché, ils portent en eux la comparaison implicite de la blondeur et de l’éclat doré. Il est vrai que la fréquence de fil d’or s’explique aisément car il sert aussi bien de comparant concret aux cheveux214 que d’accessoire de coiffure215 permettant de mettre en valeur la blondeur :
et d’un fil d’or fu galonnee, | Ses cheveux étaient galonnés d’un fil d’or, |
Le Roman d’Énéas, v. 1556 | |
si chevel hurtent a ses piez, | Ses cheveux qui frôlent ses pieds, |
d’un filet d’or les ot trechiez. | Elle les a tressés d’un filet d’or. |
Tristan de Béroul, v. 1149-1150. |
192Ce syntagme – ou sa variante filet – souvent associé au verbe galonner frappe par sa récurrence et conduit à penser que la formulation est en cours de figement. Le phénomène éclate avec davantage d’évidence si l’on s’attache aux descriptions de coiffures élaborées à partir d’une couronne dorée :
En son cief ot un cercle d’or, | Sur la tête elle portait un diadème d’or, |
Le Bel Inconnu, v. 145 | |
Un cercle d’or out sor son chief, | Elle avait sur la tête un diadème d’or, |
Tristan de Béroul, v. 3909 | |
Un ciercle d’or qui bien li sist | Très blonde, sa tête est ceinte |
Ot sour son cief qui moult iert blons ; | D’un cercle d’or qui lui sied fort bien ; |
Le Roman du Castelain de Couci et de la Dame de Fayel, v. 155-156. |
193Cet ornement, de même que le fil d’or, intervient dans ces exemples au cœur de portraits ne mettant pas en place la comparaison des cheveux et de l’or si bien qu’il est légitime de se demander si le stéréotype linguistique n’est pas remplacé par une nouvelle référence à l’or, plus succincte mais non moins attendue. Si tout porte à croire qu’une formulation stéréotypée en remplace une autre, l’évolution chronologique demande toutefois à être précisée. En effet, s’il faut reconnaître que les textes des xive et xve siècles optent en priorité pour une version minimale du cliché, il ne faut pas oublier que les romans antiques avaient déjà découvert les ressources de la version courte, qui s’est donc progressivement répandue de la fin du xiie jusqu’au xiiie siècle, cohabitant avec la version longue du stéréotype linguistique.
194Il faut donc souligner les capacités d’adaptation de ce cliché qui parvient à se métamorphoser et à s’imposer au sein de textes qui paraissaient dépourvus d’images canoniques. Alors que la peinture des personnages s’estompe pour laisser place au détail du costume, le cliché se transforme en prenant appui sur les divers ornements en or. Autrement dit, la simple présence d’un élément doré dans le contexte immédiat de la chevelure provoque la réactivation de la comparaison par le lecteur. C’est à lui que revient le rôle d’opérer le rapprochement entre les deux réalités et de faire la chasse au stéréotype linguistique dissimulé, absent mais présent en creux. Seule la prise en compte de l’intertextualité permet donc de saisir la richesse de certaines œuvres qui jouent ainsi à cache-cache avec les comparaisons canoniques. D’autre part, il est surprenant de constater que, même lorsque les occurrences se métamorphosent, elles tendent à se polariser autour de nouvelles formulations non moins figées que les précédentes, ce qui tendrait à prouver que la littérature n’évolue que par dépassements successifs de figements momentanés. Le portrait a certes modifié son contenu mais il n’en demeure pas moins stéréotypé.
La chevelure dans toute sa longueur
195S’il est incontestable que la blondeur demeure le trait distinctif faisant le partage entre beauté et laideur, il n’en est pas moins curieux de constater la fréquente mention de la longueur des cheveux. Simple précision au même titre que la frisure ou bien notation fondamentale ? La longueur est évoquée au moyen de l’adjectif lons, du latin longus relatif à l’extension spatiale et temporelle. La plupart du temps, il est coordonné à un ou plusieurs adjectifs qualifiant d’autres propriétés de la chevelure telles que la finesse, la blondeur, l’ondulation ou l’éclat. La longueur ne représente donc pas, loin s’en faut, la caractéristique primordiale : c’est bien la multiplication des qualités qui fonde une image positivement connotée de la chevelure féminine. Cependant, la longueur des cheveux est rarement liquidée par un simple qualificatif : elle est au contraire souvent précisée par un complément de lieu qui en détermine l’extension exacte. Les poètes font alors le choix de la démesure et décrivent des chevelures ayant atteint leur longueur maximale. Voilà pourquoi les cheveux longs jusqu’à la taille se font rares comparativement aux cheveux balayant le sol, longueur exprimée à l’aide de trois compléments de lieu, à savoir jusqu’à terre, as pies, as talons. Il s’agira de relever le retour de formulations identiques et, le cas échéant, de conclure à la naissance d’un autre stéréotype linguistique.
Une longueur raisonnable
196Pour être qualifiés de longs, les cheveux féminins doivent au moins atteindre la taille. En effet, des cheveux tombant dans le dos représentent chez la femme le minimum requis et les rares cas de chevelure courte sont imputables à la maladie. Olivier de La Marche, sans doute soucieux de vraisemblance, fait le choix du complément de lieu jusquez aux rains en prenant soin de préciser par l’emploi de l’adjectif longs qu’il s’agit déjà d’une longueur appréciable :
sus quoy avoit un ymage de femme nue qui les cheveulx avoit sy longz qu’ilz la couvroient par derriere jusquez aux rains, | Sur quoi se trouvait une statue de femme nue qui avait les cheveux si longs qu’ils couvraient son dos jusqu’aux reins, |
Le Récit du banquet des voeux du faisan à Lille, p. 115216. |
197Ce que notre époque considère comme de très longs cheveux était au Moyen Âge si commun que rares sont les auteurs à préciser que la chevelure atteint la taille. De fait, celle-ci était la seule véritable occurrence de notre corpus : les deux autres, précisant que les cheveux vont sor les hanches et dusk’au çaint, renvoient en réalité à des chevelures tressées :
A ce qu’il vit les treces blanches | Quand il vit les tresses blanches |
Qui li pandoient sor les hanches, | Qui lui tombaient sur les hanches, |
Le Conte du graal, v. 8103-8108. |
198Il est difficile de savoir si Gauvain reconnaît la reine à sa tête chenue, à sa coiffure tressée ou à la longueur de ses cheveux217. Sachant qu’il s’agit de la seule précision portant sur la longueur de la chevelure féminine donnée par Chrétien dans toute son œuvre, il serait malvenu de ne pas lui accorder l’attention nécessaire. Le poète champenois tresse les cheveux de la reine (peut-être afin de la coiffer comme les demoiselles du château) ce qui laisse entendre qu’elle possède une chevelure atteignant probablement les cuisses puisque la tresse diminue sensiblement la taille des cheveux. Quand on sait l’attachement de Chrétien aux chevelures dorées, il paraît probable qu’il ait voulu par là positivement amender l’image d’une chevelure royale qui, ne pouvant plus prétendre à la blondeur, s’offre néanmoins le privilège de la longueur. Blonde, l’héroïne dont la chevelure rayonne jusque dans le nom, présente quant à elle une chevelure aussi longue que dorée, atteignant la ceinture une fois tressée :
Si biau cevel erent espars, | Elle avait laissé flotter ses beaux cheveux, |
Lascement mis a une trece. | À peine retenus dans une tresse. |
Ne fu mie plains de perece | Il ne regardait pas à sa peine, |
Qui teus les fist, car dusk’au çaint | Celui qui fit une si belle chevelure, |
S’estoient ja tout entrataint, | Car elle lui descend jusqu’à la taille, |
Plus biaus que je ne devisai | Plus belle encore |
Au premier, quant de li parlai. | Que je ne vous l’ai décrite la première fois. |
Jehan et Blonde, v. 4716-4722. |
199Ces longues tresses, qui indiquent que la chevelure est exceptionnellement fournie, rappellent, outre la statue de la cathédrale de Bamberg, la fresque romane de la chapelle seigneuriale du château de Hocheppan dans le Sud-Tyrol218, sur laquelle deux jeunes filles portent des tresses brunes descendant jusqu’aux cuisses. Toutefois, l’adverbe lascement du vers 4716 laisse entendre que la tresse de Blonde n’est pas étroitement nattée ; ce procédé diminue moins la longueur, de même que le galonnage219 qui permet de maintenir les cheveux sans les raccourcir. Est-il besoin de préciser que, selon Camille Enlart, « nous devons suspecter la sincérité »220 des tresses tant l’art du postiche était développé ? De même que les auteurs répugnaient à avancer que la chevelure était aussi blonde que l’or – ce qui relevait déjà de l’hyperbole – ils hésitent à présenter des héroïnes aux cheveux raisonnablement longs. Il leur faut nécessairement flirter avec l’excès et la démesure, si bien que les cheveux plus blonds que l’or côtoient les chevelures traînant à terre.
Jusqu’à terre
200Quand précision il y a, la longueur des cheveux est presque toujours maximale : les compléments les plus fréquentsjusqu’à terre, as pies, as talons se partagent la vedette. On compte cinq occurrences du complément de lieu a terre, six de as pies et onze de as talons. Le portrait de la fière Pucelle se construit autour du verbe traîner complété par un complément de lieu a terre, lui même modifié par l’adverbe plein pé traduisant une expansion, un épanouissement dans l’espace :
A deus tresces trecee esteit, | Sa chevelure était coiffée en deux tresses, |
Plus ke or esmeré reluseit, | Et brillait plus que l’or pur, |
A un fil d’or fut galunee ; | Elle était galonnée d’un fil d’or ; |
Cele femme ne fut une nee | Elle n’est pas née la femme qui ait |
Si bele l’oûst ne si fine, | Une si belle et si fine chevelure, |
Plein pé a terre li traîne. | Elle traîne à terre sur une longueur d’un pied. |
Ipomédon, v. 2235-2240221. |
201Les autres exemples proviennent d’œuvres en prose du xve siècle :
La pucelle estoit sur ung pallefroy tout blanc et estoit aussi vestue de blanc, ses cheveulx sur ses espaulles, qui estoient si longs qu’ilz touchoient presque a terre. | La jeune fille chevauchait un palefroi tout blanc et était également vêtue de blanc ; libres sur ses épaules, ses cheveux étaient si longs qu’ils touchaient presque terre. |
Le Roman de messire Charles de Hongrie, p. 85222 | |
Et elle getta ses voylles de sa teste a bas, et ses blons cheveux tomberent a terre. | Et elle jeta les voiles qui couvraient sa tête, et ses blonds cheveux se déployèrent jusqu’à terre. |
Pierre et Maguelonne, chapitre xl, p. 55223. |
202On pourrait croire que Le Roman de messire Charles de Hongrie amoindrit quelque peu la force de l’évocation en faisant précéder a terre de l’adverbe presque mais l’héroïne est à cheval, ce qui modifie légèrement la donne ! En revanche, L’ystoire du vaillant chevalier Pierre filz du Conte de Provence et de la belle Maguelonne laisse entendre que les cheveux atteignent au moins le sol. Ce roman narre les mésaventures d’un jeune couple d’amants : alors que Pierre contemple son amie endormie sur l’herbe, il retire du corsage de Maguelonne les trois anneaux dont il lui a fait cadeau. Un rapace s’en empare, Pierre veut les lui reprendre et laisse seule Maguelonne qui, une fois réveillée, se croit abandonnée. Après de nombreuses péripéties, Pierre se retrouve à l’hôpital fondé par Maguelonne, lieu où se déroule la scène des retrouvailles dont nous avons lu deux extraits. La longueur des cheveux de Maguelonne, découverte par le retrait du voile, devient dans ce contexte signe de reconnaissance pour Pierre224. Si la blondeur reste mentionnée dans le dernier exemple, les deux autres occultent cette caractéristique pour focaliser l’attention sur la seule chevelure superlativement longue – belle parce que longue. Ces extraits témoignent d’une évolution flagrante de la conception de la chevelure idéale au quinzième siècle : ce n’est plus tant la blondeur qui manifeste sa beauté mais davantage sa longueur.
Jusqu’aux pieds
203Quel recours a le poète voulant suggérer une chevelure hyperboliquement longue ? Il ne saurait l’envisager traînant lamentablement au sol derrière l’héroïne... Béroul conçoit ainsi l’image d’une longueur extrême en indiquant au vers suivant que la chevelure battant les pieds d’Iseut est tressée, coiffure qui en réduit considérablement la longueur225. Cette trouvaille repousse les bornes d’une expression ayant déjà atteint ses limites et nous laisse imaginer une interminable chevelure. À l’inverse, l’auteur du Le Roman de Partonopeu de Blois nous précise dans une incise226 que les cheveux atteignent les pieds parce qu’ils ne sont pas tressés :
A cevels blois, lons et delgiés -, | Aux longs cheveux blonds et fins - |
Sains treceor li vont as piés -, | Sans tressoir ils atteignent ses pieds - |
Le Roman de Partonopeu de Blois, v. 4865-4866 |
204La tournure as piés, sans doute un peu trop succincte, est toutefois supplantée par jusqu’as piez qui l’emporte quantitativement :
cheveuls ot blois jusqu’a ses piez, | ses cheveux blonds descendaient jusqu’à ses pieds, | |||
Le Roman d’Énéas, v. 4096 | ||||
Sor le blonde crine luisant, | Sur la blonde et brillante chevelure, | |||
Qui dusc’au pié aloit batant | Qui descendait jusqu’aux pieds | |||
Le Roman du Comte de Poitiers, v. 951-952227. |
205Difficile de mettre en évidence l’emploi privilégié d’un verbe puisque seul aler est répété. Doit en revanche être signalée la concentration de ce complément de lieu dans les œuvres versifiées du douzième ou du début du treizième siècle.
Jusqu’aux talons
206Quantitativement, il n’est pas de commune mesure entre la fréquence très faible de as piez ou de a terre et la fréquence plus élevée de la référence as talons, bien que ces trois expressions soient sémantiquement équivalentes. Avec onze occurrences de as talons, la disproportion est donc de l’ordre de un pour deux. Si l’effet recherché est de signaler la longueur extravagante de la chevelure, pourquoi ne pas renvoyer aussi souvent à la terre ? Formulons une hypothèse très simple : la prédilection pour as talons résulterait de motivations sonores et non pas sémantiques. En confrontant les diverses occurrences, on remarque effectivement une très solide proportion de as talons lorsque le vers précédent demande une rime avec lons... De la même façon que l’on avait constaté la fréquence de la comparaison avec l’or lorsque l’adjectif sor apparaissait en fin de vers précédent, on remarque ainsi une alliance quasi systématique de long et de talons à la rime228. Sur l’ensemble des textes en vers précisant (à l’aide d’un complément de lieu) la longueur de la chevelure féminine, la moitié renvoie aux talons et 87 % de ceux-ci présentent une rime en lons/talons. C’est dire le poids de la contrainte rimique présidant à l’élection de telle ou telle formulation.
207Si l’on s’intéresse de plus près à la syntaxe de cette association lons/talons, on remarque le retour du verbe batre dans la locution batre (jusqu’) as talons :
La tresse des crins sors et loncs | On voyait la tresse des cheveux longs et ambrés |
Paroit, batant jusqu’aulx talons ; | Lui battre les talons ; |
Le Livre de la mutacion de Fortune, t. III, v. 17661-17662 | |
Et ses crins d’or, crespes et longs, | Et ses cheveux d’or, frisés et longs, |
Qui li batent jusqu’aus talons, | Qui lui battent les talons, |
Le Confort d’ami, v. 2163-2164 |
208mais cette formulation n’est pas systématique et entre en concurrence avec les verbes paser, toucer, aler ou pendre. Il est donc bien difficile d’énoncer une règle générale, excepté celle de la rime, quant à la structure de cette association dans les textes versifiés. En ce qui concerne la prose, le seul cas que nous ayons ne permet évidemment pas de tirer des conclusions globales mais il mérite qu’on s’y attarde.
Et au regard de son atour, ses cheveux, qui étoient moult beaux et longs battants tout jusques aux talons, lui étoient épars sur ses épaules, et sur tout n’avoit qu’un simple couvre chef duquel elle tenoit l’un des bouts en sa main dextre, | Et, en comparaison avec sa toilette, ses cheveux, qui étaient très beaux et très longs, battant ses talons, se trouvaient épars sur ses épaules, et par-dessus elle ne portait qu’un simple voile dont elle tenait un des bouts de sa main droite, |
Chronique de Jacques de Lalain, chapitre lxi, p. 230-231. |
209La dame – statue, peinture ou figurante229 – du Pas de la Fontaine des Pleurs se signale par la riche beauté de son vêtement qui contraste avec la simplicité de sa coiffure et de son voile. Cette disparité, soulignée par l’expression au regard de son atour, n’exclut pas pour autant l’égale splendeur de l’habit et de la chevelure. La beauté de cette dernière tient essentiellement à son extrême longueur, ce qui nous oblige à accorder une valeur presque causale à la conjonction de coordination et reliant beaux et longs. Ces deux adjectifs évoquent les groupes beaux et blonds que nous avons étudiés précédemment ; gageons que la grâce de la dame est toute entière contenue dans la longueur de ses cheveux. La subordonnée relative apposée fournissant ce détail capital offre à l’oreille un rythme très cadencé qui n’est pas sans rappeler les textes versifiés. Ne devrait-on pas lire :
qui étoient moult beaux et longs
battants tout jusques aux talons
210comme s’il s’agissait d’un octosyllabe ? Toujours est-il que l’équivalence harmonieuse des deux membres de l’expression jointe à un travail sonore cumulant allitérations en [b], [t], assonances en [u], [o] et rime en lons nous oblige à considérer ce fragment de prose comme la résurgence de tournures poétiques.
211La caractérisation de la longueur des cheveux apparaît souvent isolée dans la phrase et l’analyse des constructions syntaxiques récurrentes confirme cette impression : 36 % de ces compléments de lieu sont exprimés dans une proposition indépendante, 28 % dans une proposition relative de type explicatif et 24 % en apposition (construite le plus souvent autour d’un participe présent). Autrement dit, cette information ne constitue pas le propos essentiel de la phrase, elle vient plutôt en complément subsidiaire. D’autre part, force est de constater le retour régulier de certains verbes : battre intervient ainsi dans 25 % des cas, dont près de 85 % avec le complément talons. De plus, lorsque le verbe battre est associé au complément d’objet talons, c’est presque inévitablement (80 % des cas) le participe présent qui est choisi de préférence au verbe conjugué à un mode personnel. L’amorce de cette tournure favorisée semble bien être le verbe battre : battant les talons tend donc à s’imposer comme un nouveau stéréotype linguistique. Le verbe aler recouvre 17 % des emplois tandis que trainer, toucher et pendre correspondent chacun à 8 % des occurrences. De la même façon que l’on avait conclu à la mouvance du cliché plus reluisant que fin or, l’on doit accepter que celui-ci soit sujet à des réajustements. Des formulations équivalentes au niveau sémantique mais différentes d’un point de vue lexical voire syntaxique peuvent ainsi apparaître en alternance.
212Il faut cependant distinguer la prose – qui préfère renvoyer à la terre – des textes versifiés présentant une majorité de références aux talons (agrémentées de la rime avec lons) ainsi que l’ensemble des expressions se rapportant aux pies. Ce partage ne semble s’expliquer que par des motivations d’ordre sonore. D’autre part, à l’exception de la mention des talons qui reste la bienvenue du xiie au xve siècle dans tout texte réclamant une rime avec lons, force est de constater que la référence aux pieds se cantonne à la fin du xiie et au xiiie siècle tandis que le xve siècle présente une nette prédilection pour le renvoi à la terre dans les textes en prose. Ces variations restent énigmatiques et résultent probablement d’effets de mode qui nous échappent aujourd’hui.
La chevelure-vêtement
213L’affection des auteurs pour la chevelure déferlant jusqu’à terre laisse songeur. Dans son Histoire des Coiffures extraordinaires230, Mary Trasko nous livre une de ses photos représentant une femme brune dont les épais cheveux balaient le sol. Tout son corps, probablement nu, est recouvert de cette toison, ceinturée à la taille par une étoffe blanche. L’image est saisissante. La chevelure n’est plus parure, artifice, mais simple attribut naturel destiné à couvrir la nudité. Ève est d’ailleurs représentée dotée d’une très longue chevelure231, qui sera susceptible de couvrir sa nudité lorsqu’elle sera exclue de l’Éden. De même, la chevelure de la sainte fait office de vêtement et de voile. Que ce soit Marie l’Égyptienne, nue sous ses cheveux :
Environ li estoit se crine, | Autour d’elle flottait sa chevelure, |
Tant blance conme flor d’espine. | Aussi blanche que la fleur d’aubépine. |
Li blanc cavel et li delgiés | Ses cheveux blancs et fins |
Li avaloient dusc’as piés ; | Lui descendaient jusqu’aux pieds ; |
El n’avoit altre vestement, | Elle n’avait pas d’autre vêtement, |
Quant ce li soslevoit le vent, | Quand le vent les soulevait, |
Dessous paroit le char bruslee | Paraissait en dessous la chair brûlée |
Del soleil et de le gelle. | Par le soleil et le gel. |
La Vie de sainte Marie l’Égyptienne, version T, v. 841-848232. |
214ou Marie-Madeleine, que l’on représente toujours nantie d’une magnifique chevelure et parfois même d’une toison l’habillant littéralement de la tête aux pieds (voir dans le cahier d’illustrations, figure 4, p. 343)233, les deux courtisanes converties transforment leur outil de séduction en sévère habit monacal. Leur épais voile de cheveux les désigne inévitablement comme d’anciennes prostituées234. La conversion religieuse se traduit donc physiquement par la métamorphose de la chevelure235 qui s’allonge et, éventuellement, blanchit. Néanmoins, l’absence du voile de tissu ou de la tonsure rituels tend à brouiller les pistes si bien que le corps féminin se trouve paradoxalement dissimulé et métonymiquement sublimé.
215On pense aussi à la très jeune Agnès dépouillée de ses vêtements et conduite nue à travers la ville, jusqu’au bordel. « Mise à nu, admirée, palpée, punie, [la jeune femme] sert à faire naître le désir, elle est pour l’homme l’un des atouts de la jubilation de soi »236. Selon la légende, l’intervention divine permet aux cheveux de pousser miraculeusement jusqu’à recouvrir pudiquement l’ensemble du corps, contrecarrant la volonté du fiancé d’humilier Agnès :
La despoilez le cor tut neu, | Déshabillez-la entièrement, |
si la menez par mi la reue, | Puis menez-la dans la rue, |
devant la gent tute neue. » | Toute nue devant les gens. » |
Lors est la pucele amenee | La jeune fille est alors conduite |
al bordele cum fut comandee ; | Au bordel comme l’ordre en avait été donné ; |
A ki avint cele mustrance, | Et il se passa ce miracle |
ke bien est digne de remembrance. | Qui est bien digne d’être retenu. |
Tant li sunt les cheveuz cruz | Ses cheveux ont tellement poussé |
ke tut li cors li est vestuz ; | Que tout son corps en fut revêtu ; |
unkes avant a nule oure, | Jamais auparavant à aucun moment, |
meuz fut coverte de vesture. | Elle ne fut mieux couverte par un vêtement. |
La Vie seinte Angneys, v. 115-125237. |
216Les différentes versions238 multiplient à l’envi les dérivés du verbe vestir (vestuz, vesture, vesteures, vestue, vestemens) et la conjugaison du verbe covrir (coverte, covrir, coverte), comme pour conjurer l’image d’une jeune vierge chrétienne livrée nue au bordel. Sa chevelure miraculeuse la masque aux yeux libidineux et protège son innocence. De plus, l’apparition ultérieure de l’ange enveloppe cette scène d’une lumière éblouissante, conférant à Agnès la beauté idéale du xve siècle : une très longue chevelure dorée, d’où sans doute le succès de cette légende à la fin du Moyen Âge. Ces textes sont le pendant des semonces des moralistes de la même époque : la luxuriante chevelure n’est tolérable que lorsqu’elle est octroyée par Dieu à des fins décentes. Factice, apprêtée ou teinte, elle est accusée d’impudence, d’effronterie ou d’immoralité comme le rappelle François Garnier : « La chevelure longue garde sa signification qualitative dans tous les cas où des corrélations ne viennent pas l’entacher de vanité, d’orgueil et de luxure »239.
217Dans le même esprit, Hue de Rotelande laisse imaginer un incident hypothétique entraînant un détressage de la coiffure de Médée (déferlant déjà au sol bien que tressée...) :
La crine par fut si tres bloie, | Sa chevelure était très blonde, |
Frunt large, chevolz traïnanz | Elle avait le front large, les cheveux traînant |
A terre, largement plein pé, | À terre sur une longueur d’au moins un pied, |
Cum or blois, cum see delgé. | Blonds comme l’or, fins comme la soie. |
Mais qu’ele en estant esteûst | Si, debout, |
E del tut destrescee fust, | Elle s’était trouvée en difficulté, |
De ses crins covrir se porreit, | Elle aurait pu se couvrir entièrement de ses cheveux, |
Que nul hom sa car ne verreit. | Sans qu’aucun homme pût voir sa chair. |
Protheselaus, t. I, v. 2956-2962. |
218La chevelure se métamorphoserait alors sur-le-champ en voile protecteur détournant de la chair féminine le regard éminemment coupable de l’homme. Tel est également l’enseignement délivré par cette anecdote que relate Mary Trasko : « au xiiie siècle, l’histoire de lady Godiva, la femme de Léofric, seigneur de Coventry, était entrée dans la légende. Elle avait adjuré son mari d’alléger les impôts. Connaissant sa pitié, il n’accepta de lui donner satisfaction que si elle traversait la ville nue sur son cheval. Après avoir ordonné à la population de rester enfermée tous volets clos, lady Godiva parcourut les rues sur sa monture, drapée, pour tout vêtement, de sa longue chevelure blonde. Son mari tint parole et supprima les impôts »240. Paradoxalement, le corps se dérobe derrière cet emblème métonymique de la féminité241. Ou quand la féminité masque la féminité pour mieux la suggérer... En revanche, il n’est pas question de prétexter la pudeur pour commenter le déploiement de la chevelure de Camille. Bien au contraire, l’héroïne guerrière a savamment percé la coiffe de son haubert afin d’y laisser passer le filet d’or de ses cheveux242. Loin de la couvrir, la chevelure de Camille la révèle comme femme aux yeux des autres combattants. Il n’est plus question de dérober le corps aux regards concupiscents mais de le dévoiler malgré la cuirasse guerrière masculine. La longue chevelure se fait au gré des circonstances exagérément angélique ou un tantinet dévergondée. En définitive, la longueur des cheveux féminins est exprimée selon deux modalités distinctes : soit cette caractéristique s’inscrit dans un ensemble de qualités dont la fonction commune est de faire l’éloge du personnage décrit, soit elle s’impose comme l’unique indice de la beauté de la chevelure. On distinguera de ce point de vue les portraits qui multiplient les adjectifs valorisant les qualités capillaires243 des descriptions ou notations descriptives focalisées sur la longueur des cheveux :
Que-ls cabels li van tro part l’anca, | Ses cheveux tombent plus bas que ses hanches |
Si que cobren tota la sela, | Et couvrent toute la selle, |
Lai on cobra, v. 140-141244. |
219Dans le premier cas, les portraits mettent aussi bien en relief la blondeur des héroïnes que le déploiement de leurs cheveux. Notons que la mention de la longueur se fait jour majoritairement dans des textes d’inspiration antique et est, à l’origine au moins, toujours associée à d’autres qualités. Il est vrai que les romans antiques se sont essayés à toutes sortes de variations et que, si les romans du xiiie siècle ont exploré une des voies ouvertes, les romans tardifs en ont emprunté une autre, comme le met en évidence Aimé Petit quand il affirme que « les romans antiques représentent un véritable creuset où s’élabore et s’épure l’arsenal des techniques romanesques. Tel est le cas pour les portraits qu’ils présentent : la forme qu’ils revêtent, la finalité qui leur est attribuée marqueront d’une empreinte significative les productions littéraires ultérieures. »245
220Le second cas est majoritairement illustré dans des textes de la fin du Moyen Âge alors même que ce sont les œuvres les plus pauvres en portraits. En effet, la disparition des portraits proprement dits entraîne celle des descriptions de chevelures qui, de plus en plus rares, se fédèrent autour de pôles moins développés par leurs prédécesseurs. Une nouvelle équation entre la beauté et la longueur de la chevelure s’affirme avec de plus en plus de vigueur. Elle était déjà annoncée dans Le Roman de la Rose où le portrait de Beauté mentionnait la longueur des cheveux avec plus d’insistance que leur blondeur246. C’est ainsi qu’à partir du xiiie siècle la simple présence d’éléments décrivant la chevelure fait signe vers l’ensemble du portrait – absent – et en tient lieu. La longue chevelure devient métonymique de la beauté féminine.
221Il serait intéressant de vérifier si, à la fin du Moyen Âge, la description du costume qui empiète progressivement sur le portrait proprement dit, ne tend pas à reprendre à son compte des formulations en usage pour qualifier la longue chevelure, de la même manière que la description des ornements de tête se faisait en des termes rappelant la comparaison de la blondeur avec l’or. Pour commencer, prenons le cas de l’arrivée de Gadiffer et de la Reine Fée :
damoiselles et pucelles commencerent a venir deux a deux, l’un l’autre tenans par les mains et atournees de telles vestures qu’elles sambloient de fin or semencies de pierres precieuses. Et avoient les dames leurs chevaulx couvers de belles parures qui batoient a ung pié pres de terre, semenciez de sonnettes de fin or | demoiselles et jeunes filles commencèrent à venir deux par deux, se tenant par la main et parées de vêtements tels qu’ils semblaient d’or fin parsemés de pierres précieuses. Et les dames avaient les cheveux couverts de beaux voiles qui battaient à un pied du sol, parsemés de clochettes d’or fin |
Perceforest, 4e partie, t. i, 10a, p. 11-12, l. 290-297. |
222Ce court extrait cumule la comparaison avec l’or et l’expression de la longueur, non pas relativement à la chevelure mais aux vêtements et à la parure des chevaux. La proximité des deux expressions ne signifie pas nécessairement que l’auteur ait voulu suggérer en filigrane la chevelure de la Reine Fée ou celle de ses demoiselles mais prouve s’il était besoin que ces deux stéréotypes d’expression étaient si répandus qu’ils apparaissaient machinalement sous la plume des auteurs. La transposition est plus nette encore dans le portrait de l’héroïne de Clériadus et Méliadice, roman du xve siècle qui tend à faire l’économie du portrait physique pour s’attarder sur les somptueux vêtements des personnages. Ici, les cheveux ne sont évoqués qu’après une longue description de la parure, presque accessoirement, et ce sont alors les différentes caractéristiques de la chevelure qui s’immiscent dans la description du costume :
Meliadice, de l’autre part, si fut revestue d’une cotte juste de velloux tout vert à grans manches trainantes jusques à terre et larges autant que la robbe et tous les bors des manches estoient couvers de fines pierreries, une chayne d’or de fueillage sur ses espaulles, trainant jusques à terre, et avoit ung chappel d’or dessus ses cheveux qui estoient si beaulx et si blons que il sembloit que ce fust fil d’or. | Méliadice, de l’autre côté, était revêtue d’une tunique de velours vert à grandes manches traînant jusqu’à terre, aussi larges que la robe et toute la bordure des manches était couverte de fines pierreries, elle portait sur les épaules une chaîne d’or représentant un feuillage qui traînait jusqu’à terre, et avait une couronne d’or sur ses cheveux qui étaient si beaux et si blonds qu’on aurait dit des fils d’or. |
Clériadus et Méliadice, 1 1593-1601. |
223La comparaison des cheveux avec l’or qui achève la description de la toilette de Méliadice s’inscrit dans la continuité des deux autres références au métal précieux. On pourrait même lire dans la double occurrence du syntagme jusques à terre et de sur ses espaulles des prémisses de l’apparition imminente de la chevelure. Les expressions canoniques sont donc disséminées en amont parmi l’évocation du luxe des vêtements. La description finale des cheveux équivaut alors au point d’orgue du portrait, tant elle a été préparée par la présence de l’or et par les expressions habituellement réservées à l’expression de la longueur des cheveux.
224La longueur constitue en définitive une qualité essentielle de la chevelure féminine à la fin du Moyen Âge, tendant à détrôner la blondeur. De même que la comparaison avec l’or empruntait des voies hyperboliques, les compléments de lieu déterminant la longueur des cheveux choisissent l’excessif au détriment du plausible, dans une optique commune de glorification du personnage décrit. La prédilection pour la référence aux talons est nette, notamment à cause de la rime en lons/talons, s’adaptant aussi bien aux descriptions féminines que masculines. Malgré l’effet d’entraînement réciproque de ces deux termes, il est impossible de mettre en évidence une seule expression figée tant les constructions sont variées et sans cesse renouvelées. On décèle simplement des tendances, différant selon les siècles et selon le genre du texte mais jamais un véritable figement. C’est ainsi que les expressions jusqu’aux pieds et jusqu’aux talons sont majoritairement choisies aux xiie et xiiie siècles, leur présence dans des textes du xve siècle tels que ceux de Christine de Pizan ou Georges Chas-tellain relève donc d’un certain conservatisme et témoigne de la force du stéréotype linguistique. Jusqu’à terre est également représenté au xiie et au xve siècle avec, entre les deux, une longue période d’absence pendant laquelle se développent les deux expressions concurrentes. Cependant, si la formulation reste comparable, une différence essentielle doit être soulignée : si la longueur est au xiie siècle associée à la blondeur des cheveux pour signifier leur splendeur, à la fin du Moyen Âge, la mention de la longueur suffit à poser la beauté du personnage féminin. La longueur démesurée est peu à peu devenue l’insigne et l’essence de la belle chevelure. Sa magnificence résulte alors de sa longueur.
225Alors que d’aucuns répètent à l’envi que la littérature médiévale est si codifiée qu’on ne saurait envisager une véritable approche stylistique des textes, nous pensons avoir montré le contraire. C’est en effet au cœur même d’un passage aussi conventionnel que le portrait – souvent accusé d’être un vain exercice de style – que nous nous sommes attardés afin de saisir la substance même de la comparaison de la chevelure avec l’or. Contrairement à toute attente, celle-ci ne se laisse pas enfermer dans une formulation typique sujette à quelques variantes. Bien au contraire, nous aurions pu nous perdre dans la diversité des structures choisies par les auteurs, celles-ci pouvant néanmoins s’organiser autour de trois pôles, métaphore, comparatio et similitudo. Toutefois, la récurrence du syntagme plus reluisant que fin or mérite d’être soulignée puisqu’il sert de socle à certaines transpositions. De même, l’analyse des emplois de l’adjectif doré a permis de mettre au jour une évolution intéressante, le trope ayant perdu de sa vigueur et s’étant lexicalisé à la fin du Moyen Âge. D’autre part, l’étude des variations du comparant a mis en évidence l’inventivité des poètes mais surtout leur capacité à faire sourdre une expression si riche que ses échos rejaillissent sur le contexte immédiat. On ne doit pas pour autant conclure que la simple reprise de la comparaison avec l’or relève d’une imagination moindre puisque les auteurs soucieux de consolider l’intégration du cliché dans leur œuvre s’ingénient à multiplier les références à l’or. Tout en appliquant scrupuleusement le canon traditionnel, ils laissent poindre un trait nouveau qui suffit à laisser paraître, en même temps que leur maîtrise du modèle, leur originalité de créateurs. Historiquement, la description des ornements de tête dorés prend peu à peu le pas sur celle de la chevelure mais, grâce à sa métamorphose en parure et à la répercussion du cliché sur les accessoires en or, la chevelure reste in fine la dernière caractéristique féminine évoquée. Il revient alors au lecteur de rétablir, grâce à ses connaissances intertextuelles, le stéréotype implicite. L’amoindrissement du portrait ne conduit donc pas à la disparition de toute allusion à la chevelure car son évocation se trouve réinvestie au sein de descriptions de costume où elle resplendit alors autant que l’or des vêtements. Parallèlement à cette évolution, la mention de la longueur des cheveux tend à s’imposer comme nouveau critère esthétique, empruntant des formulations récurrentes qui donnent naissance à de nouveaux stéréotypes linguistiques, jusques aux talons étant peut-être le plus représentatif. C’est en effet au moment où l’on parierait sur la mort des stéréotypes linguistiques qu’ils renaissent de leurs cendres en se métamorphosant247.
Notes de bas de page
1 C’est le terme le plus courant, nous emploierons indifféremment les deux.
2 Le texte descriptif, Paris, nathan, 1989, p. 38.
3 Voir chapitre i, p. 34-35.
4 Voir aussi les vers 3532, 3695, 4250 et 4426.
5 Les parties anciennes du roman en prose française du Roman de Tristran de Thomas, Appendice i, t. ii, p. 321-395, Firmin-Didot, 1902.
6 L’expression est empruntée à Philippe Hamon, op. cit, p. 43.
7 Catherine Croizy-naquet, op. cit, p. 43.
8 Voir francis Berthelot, Le Corps du héros. Pour une sémiotique de l’incarnation romanesque, Paris, nathan, 1997, p. 60.
9 Voir Alice Colby, op. cit, p. 22: « Physical appearance is the one essential constituent of all of them. It is […] the nucleus around wich the portrait is formed. To this nucleus may be added information concerning many other things such as: identity, lineage, age, wealth, education, character traits, talents, popularity, clothing, armor, and the animal which the person is riding. »
10 Ibid., p. 22: « They are indeed long descriptions, for their length varies from twenty-two to one hundred and twenty-six lines, and over half of them are between thirty and fifty lines long. »
11 Voir Arnoldo Moroldo, art. cit., p. 389 : « nous avons décidé arbitrairement d’appeler portrait toute description du physique comprenant au moins deux syntagmes ».
12 « La description constitue une pause et nécessite un décrochage de la narration » (Catherine Croizynaquet, op. cit, p. 42).
13 Edmond faral, Les Arts Poétiques xiie et du xiiie siècle, Paris, Champion, 1923, p. 76.
14 Catherine Croizy-naquet, op. cit, p. 180.
15 Voir Jean-Michel Adam, La description, Paris, Presses Universitaires de france, 1993, p. 50. Pour un exemple canonique, on peut se reporter au portrait de Camille aux vers 4076 à 4135 du Roman d’Énéas.
16 Voir les vers 565 à 576.
17 « Sur le plan qu’il convient d’observer [dans la description], nos auteurs ne formulent pas de préceptes. Mais l’étude des exemples qu’ils proposent supplée à ce manque. Un portrait complet comprend deux parties et traite successivement du physique et du moral. Pour la description du moral, la règle est assez lâche et d’ailleurs c’est un point qui est souvent négligé » (op. cit, p. 80).
18 « The nature-topos is not infrequently used to introduce or conclude descriptions of physical beauty; and, in the portraits of beautiful women, the same is true of the indescribability-topos », (Alice Colby, op. cit, p. 22).
19 « Lorsqu’on veut « faire l’éloge » d’un personnage ou d’une chose, on commence par prouver qu’il ou qu’elle surpasse tout ce qui lui est comparable et, pour cela, on se sert d’une forme spéciale que j’appelle surenchère », (La Littérature européenne et le Moyen Âge latin, Paris, Presses Universitaires de france, 1956, p. 200).
20 « Sire cumpain, ci en vient une, / mes el n’est pas falve ne brune ; / ceo’st la plus bele de cest mund, / de tutes celes ki i sunt. » (v. 605-608).
21 « Ne fu fardee ne guingnee / Car ele n’avoit mie mestier / De soi tifer ne afetier. / Les chevous ot blondes et lons, / Qui li batoient aus talons. » (v. 1001-1005).
22 Philippe Hamon, op. cit, p. 13.
23 Catherine Croizy-naquet, op. cit, p. 182.
24 « Nisi aliquando versificator ad majorem sui operis evidentiam formae puerilis elegantiam describit, sicut Statius Thebaidos, qui Partonopeium descripsit speculo pulchritudinis insignitum, ut audita formae venustate auditori facilius possit puero morienti suos condoluisse adversarios. Unde Statius : [XII, 807] Archada quem pariter geminae flevere catervae. Est autem forma elegans et idonea membrorum coaptatio cum suavitate coloris. I, 69: Item matronae debet attribui rigor severitatis, remotio petulantiae, fuga incontinentiae sive libidinis. » (Mathieu de Vendôme, Ars Versificatoria, Rome, Edizioni di storia e letteratura, 1988, I, 3, § 38-76. I, 68).
25 Poetria Nova III, (v. 554-599) et Documentum de modo et arte dictandi et versificandi II, (2, § 3-5), dans Les Arts Poétiques xiie et du xiiie siècle.
26 Pour une analyse de ce cliché, voir Alice Colby, op. cit, p. 46-47.
27 Philippe Hamon, p. 41.
28 Ibid., p. 47.
29 Paul Zumthor, Essai de Poétique médiévale, Paris, Seuil, 1972, p. 354.
30 Ibid. : « Sauf exception, la description romanesque est cumulative, énumérative, étalée en surface plutôt que hiérarchisée et organisée en profondeur. Mais elle n’est jamais exhaustive et, même largement développée, reste ainsi allusive. Elle procède par juxtaposition de détails, affectés de marques qualitatives, mais sans indices de volume ni de proportion. D’où, pour le lecteur-auditeur moderne, une fois encore l’impression de prétendue naïveté. […] Mais cette absence de perspective est voulue : chaque partie de l’objet possède une telle autonomie, porte à tel point sens par elle-même, qu’une mise en ordre serait superflue, sinon appauvrissante. La perspective véritable n’est pas sentie comme spatiale : elle réside dans les profondeurs insensibles, dans l’arrière monde d’où peut surgir à tout instant l’analogie allégorique. Le dessein primitif n’est pas, du moins n’est pas en premier lieu, d’« imiter le réel » : mais de suggérer la signifiance des choses ».
31 Voir les portraits des deux héros éponymes qui ouvrent Amadas et Ydoine.
32 Voir les portraits finaux de Floire et Blancheflor dans le texte du même nom, v. 2845-2912.
33 Voir le portrait de Blanchefleur dans Le Conte du graal et, plus généralement, les portraits de Chrétien de Troyes.
34 Catherine Croizy-naquet, op. cit, p. 178-179.
35 Philippe Hamon, op. cit, p. 162.
36 Anne-Marie Perrin-naffakh, Le cliché de style en français moderne : nature linguistique et rhétorique, fonction littéraire, Lille, Atelier national de reproduction des thèses, Lille 3, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 1985, p. 660.
37 Le Haut Langage, théorie de la poéticité, Paris, flammarion, 1979, p. 133.
38 Cités par Edmond faral, op. cit, p. 214 et p. 271.
39 Motifs et thèmes du récit médiéval, Paris, nathan, 2000, p. 49.
40 Anne-Marie Perrin-naffakh, op. cit, p. 52.
41 « Cette sorte de polymorphisme du cliché complique sa délimitation, et peut rendre son identification incertaine. En revanche, une telle faculté de prolifération compense le caractère réitératif des clichés, en maintenant une part de la liberté propre à la parole dans des énoncés que menace toujours une absorption par la langue. » (ibid., p. 137).
42 Attention toutefois à ne pas appeler cliché tout procédé d’expression réitératif : « Pour qu’il s’agisse effectivement d’un cliché de style, il importe que l’énoncé répétitif présente une généralisation d’emploi réelle, dans la durée (n’étant pas dépendant d’une vogue momentanée), dans la collectivité linguistique (n’étant pas borné à l’usage d’un individu ou d’un groupe) et dans le système de l’expression littéraire (n’étant confiné ni dans la langue familière, ni dans des formes d’énoncés étroitement spécialisées par leur appartenance générique). » (ibid., p. 48). La variété de notre corpus (au niveau temporel et spatial ainsi que d’un point de vue générique) nous permet de passer outre ces mises en garde.
43 Voir la définition qu’en donne Dumarsais dans son Traité des tropes : « La métaphore est une figure par laquelle on transporte, pour ainsi dire, la signification propre d’un mot à une autre signification qui ne lui convient qu’en vertu d’une comparaison qui est dans l’esprit. » (Des Tropes ou des différents sens dans lesquels on peut prendre un même mot dans une même langue, Saint-Brieuc, Prudhomme frères, 1811, II, 10).
44 Paris, Larousse, 1973, p. 52.
45 Jean Cohen, op. cit, p. 133.
46 Ibid., p. 99.
47 Anne-Marie Perrin-naffakh, op. cit, p. 28.
48 Article « trope » de Michel Braudeau dans le Dictionnaire des genres et notions littéraires, sous la direction de Pierre-Marc de Biasi, Paris, Encyclopaedia Universalis, Albin Michel, 1997, p. 840.
49 Voir page 124 et suivantes.
50 Anne-Marie Perrin-naffakh, op. cit, p. 144.
51 Manuscrit de 1478, localisé à la bibliothèque d’Oregon State University (Corvallis, Oregon, USA) dont voici la cote : CR4967.C541 1478, fol. 22.
52 Voir Le Confort d’ami, v. 2163-2164, déjà cité.
53 Voir aussi : « li fius al campion au chief d’or sera courounés apriés la mort de son pere. » (Les Prophesies de Merlin, chapitre xxiii, 10).
54 C’est-à-dire en présence du comparé.
55 « Le désir d’éviter l’énigme est particulièrement évident dans cette dernière construction, puisque la détermination du mot métaphorique est en quelque sorte surajoutée pour épargner au lecteur ou à l’auditeur l’effort de deviner un signifié inattendu. » (Michel Le Guern, op. cit, p. 100).
56 La poésie pétrarquienne déjà use régulièrement de l’ordre comparant/comparé : « L’aura soave, ch’al sol spiega, e vibra / L’auro, ch’amor di sua man fila, e tesse, » : L’aure, au soleil, qui fait que se déploie et vibre / L’or brillant qu’Amour file et tisse de sa main (Sonnet clxvi, v. 1-2), « Onde tolse Amor l’oro, e di qual vena, / Per far due treccie bionde, e’n quali spine / Colse le rose, […] » : Où l’Amour a-t-il pris, au fond de quelle veine, / L’or de deux tresses si blondes ? / Dans quel rosier les roses cueillit-il ? (Sonnet clxxxv, v. 1-3) dans Les sonnets amoureux de Pétrarque.
57 Voir p. 28 à30.
58 Blasons du corps féminin, p. 87.
59 Pour les personnages féminins, moins de 20 % des comparationes, soit 7 % de l’ensemble métaphorecomparatio-similitudo.
60 Impression qui se manifeste également grâce à l’inversion de l’ordre comparé-comparant habituellement observé : l’idée de l’or est présente à l’esprit avant celle des cheveux.
61 Voir par exemple : « Les deus puceles d’un fil d’or / Li ont galoné son crin sor, / Mes plus luisanz estoit li crins / Que filz d’or qui mout est fins. » (Érec et Énide, v. 1643-1646) et « fils d’or ne gete tel luur / cum si chevel cuntre le jur. » (Lai de Lanval, v. 574-575).
62 Pour les personnages féminins, plus de 82 % des comparationes sont de supériorité ; elles représentent 32 % de l’ensemble métaphore-comparatio-similitudo.
63 Tibaut, Le Roman de la Poire, éd. Christiane Marchello-nizia, Paris, SATf, 1984.
64 Voir aussi Le Roman du Comte de Poitiers, v. 343-344, Galeran de Bretagne, v. 5198-5199, le Blason des cheveux, v. 85, Le Batard de Bouillon, v. 2333, Philomena, v. 140-141, Amadas et Ydoine, texte de P., v. 133-134, Les miracles de nostre dame (Gautier de Coinci, Les miracles de nostre dame iii, éd. V. Frederic Koenig, Genève, Droz, 1966, t. iii, livre i, v. 91-92).
65 Romances et pastourelles françaises des xiie et xiiie siècles, p. 206.
66 Du latin populaire exmerare, de merus signifiant pur.
67 L’adjectif fin épithète d’or se retrouve en effet dans près de 49 % des occurrences de l’ensemble métaphore-comparatio-similitudo se rapportant aux personnages féminins, et dans près de 70 % des exemples de comparatios de supériorité. On ne compte en revanche que trois occurrences d’or esmeré.
68 Voir aussi la confrontation concrète du fil d’or qui galonne les cheveux d’Énide et de sa chevelure évidemment plus brillante dans Érec et Énide (v. 1643-1646).
69 Dans plus de 86 % des occurrences. Ce chiffre s’explique par la présence possible des deux motivations à la comparatio.
70 Voir : « Caviaus crespés, recercelés, / Qui plus luisent c’ors esmerés. » (Lai de Narcisse, v. 95-96) et « Plus luisent d’or fin en escu » (Le Roman du Comte de Poitiers, v. 953). Quant au substantif luur, nous n’en relevons qu’une occurrence (Lai de Lanval, v. 574).
71 Voir aussi Ipomédon (v. 2236), Le Chevalier au Lion (v. 1465), Le Roman de la Poire (v. 1028-1029).
72 Voir aussi : « Plus estoient luisant d’or quit / Li caveil, tant estoient sor » (La Continuation de Perceval de Gerbert de Montreuil, v. 406-407), « Mes plus luisanz estoit li crins » (Érec et Énide, v. 1645), « Plus cler, plus bel et plus luisant » (La Manekine, v. 2245).
73 L’ajout de l’argent comme comparant dans cette dernière occurrence brise la monotonie de la comparatio et illustre bien la primauté de la brillance sur la couleur. Voir aussi : « Et plus reluisans que li ors » (Le Roman de la Violette, v. 5010), « Donc beaulx cheveulx, plus reluysans qu’or fin, » (Blason des cheveux, v. 85), « Plus reluisans que nus ors fins » (Le Bel Inconnu, v. 3980), « Plus reluisans que n’est ors fins » (Amadas et Ydoine, texte de P., v. 136).
74 Elle représente à elle seule la moitié de l’ensemble métaphore-comparatio-similitudo.
75 Michel Le Guern, op. cit, p. 53.
76 Près de 60 % des cas de similitudines se rapportant à des personnages féminins.
77 Jakemes, Le Roman du Castelain de Couci et de la Dame de Fayel, éd. Maurice Delbouille, Paris, Firmin Didot et Cie, 1935. Voir aussi : « Son chief d’or samble au soleil, » (Le Livre du Voir Dit, v. 4438), « Si crin sanloient reluisant / D’or, roit et crespe et fremiant, » (Le Jeu de la Feuillée, v. 8788), « Si chevel contre la clarté / Del solel samblent estre d’or. » (L’Escoufle, v. 8850-8851), « Tes frons li gens et ti bel crin / Qui tuit sambloient fait d’or fin, » (Guillaume de Palerne, v. 137-138), « E-us cabels que son lonc e saur, / Que per ma fe sembleron d’aur, / Tant foron belh e resplandens. » (Lai on cobra, v. 101-103).
78 Voir aussi : « Si chevol resanbloient d’or » (Cligès, v. 2758), « Cief ot crespé, luisant et sor, / De coulour resambloient d’or ; » (Le Roman de la Violette, v. 868-869), « Si crin si sont tuit auques sor,/ Par poi qu’il ne resanblent d’or, » (Blancandin, v. 567-568).
79 La construction n’est présente dans notre corpus que l’exemple que voici, tiré de l’œuvre de René d’Anjou, datant du xve siècle : « Et en icelluy mist encloses pucelles gentes et belles qui sont sauvaiges et couvertes de poil qui ressemble a fin or, » (Le Livre du Cœur d’Amour épris, p. 506, l. 66-68).
80 Guillaume de Machaut, Le Jugement dou Roy de Brehaingne, Œuvres de Guillaume de Machaut, éd. Ernest Hœpffner, t. 1, Paris, Firmin Didot, 1908. Voir aussi : « A .i. fil d’or ot galounés / Ses crins, qui tant sunt blont et sor, / Que de coulor resamblent or. » (Les Merveilles de Rigomer, Altfranzösischer Artusroman des XIII. Jahrhunderts nach der Einzigen Aumale-handschrift in Chantilly, éd. Wendelin Foerster, Dresden, Max Niemeyer, Halle, 1908, v. 5464-5466).
81 Michel Le Guern, op. cit, p. 55.
82 Elle représente 40 % des similitudines se rapportant à des personnages féminins.
83 Voir aussi : « Aisi cun es fis aurs brunitz, » (Jaufré, v. 5677).
84 Les Tresces, dans Nouveau recueil complet des fabliaux, t. vi, p. 207-257.
85 Pour 56 % des similitudines se rapportant aux personnages féminins et formulant le trait commun.
86 Pour 50 % des similitudines se rapportant aux personnages féminins et formulant le trait commun. Ces chiffres s’expliquent par la présence possible des deux motivations à la figure : « Si cheveil resambloient d’or, / Tant estoient luisant et sor ; » (Le prestre et le chevalier, v. 65-66).
87 Pour 25 % des similitudines se rapportant aux personnages féminins et formulant le trait commun. Ces chiffres s’expliquent par la présence possible des deux motivations à la figure de style.
88 Voir aussi Le Jugement dou Roy de Brehaingne (v. 300-302), La Continuation de Perceval (v. 407408) et Blancandin (v. 567-568).
89 Les adjectifs luisant et reluisant appliqués à la chevelure ne se présentent en effet jamais seuls.
90 Il s’agit de la chevelure d’un personnage masculin. Voir aussi : Le prestre et le chevalier (v. 65-66) et Les tresces (v. 159-161).
91 Voir aussi : Le Bel Inconnu (v. 1545-1546).
92 Voir Le Dit de la panthère (v. 247-248), Jaufré (v. 5675-5677) et Perceforest, 4e partie, t. i, 10c, l. 344-346.
93 Voir plus haut p. 116.
94 Ces vers renvoient au manuscrit BN fr 25523 (Z) (éd. Daniel Poirion, Paris, Garnier-Flammarion, 1974) mais les manuscrits Bn 12786 et Bn 378 proposent une comparaison bien différente : « Et voit les biaus crins blondoianz / Comme ondes ensamble ondoianz, » (notre édition de référence, éd. Armand Strubel, Paris, Lib. Gén. Fr., 1992, v. 21139-21140). Le feu se voit, sans modification profonde de l’image suggérée, remplacé par l’eau, ce qui tendrait à associer la chevelure aux éléments naturels : elle se fait indifféremment brasier ou onde.
95 On pense de façon anachronique bien sûr au sonnet de Mallarmé « La chevelure vol d’une flamme… » (Poésies, éd. Pascal Durand, Paris, Gallimard, 1992, p. 40) et à l’incipit du poème de Breton dans L’Union Libre « Ma femme à la chevelure de feu de bois » (Le revolver à cheveux blancs, Œuvres complètes II, éd. Marguerite Bonnet, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1992).
96 Voir aussi Le Jugement dou Roy de Brehaingne (v. 300-302), Clériadus et Méliadice (xxviii, l. 599601) et Amadas et Ydoine (texte de v, v. 149-153), tous déjà cités.
97 Poèmes d’amour des xiie et xiiie siècles, p. 144.
98 Cette enluminure du xve siècle peut être vue dans le manuscrit BnF DMS FR 599, fol. 36.
99 On pense aussi à « Soleil cou coupé », dernier vers du poème « Zone » de Guillaume Apollinaire (Alcools, éd. Michel Décaudin, Paris, Gallimard, 1993).
100 Notons que la comparaison avec l’or se retrouve en occitan alors qu’on aurait pu imaginer que la littérature méditerranéenne fasse l’apologie de la chevelure d’ébène.
101 Voir par exemple le portrait de Chrysorrhoé dans Le Roman de Callimaque et de Chrysorrhoé (texte grec anonyme du xive siècle, éd Michel Pichard, Paris, Les Belles Lettres, 1956) : « Sa chevelure ruisselait en tresses amoureuses ; elle resplendissait sur sa tête plus que les rayons d’or du soleil » (trad. Michel Picard, Paris, Les Belles Lettres, 1956, p. 30).
102 Voir aussi Le Livre du Voir Dit (v. 4438) et le Lai de Lanval (v. 575-576). Pour d’autres exemples en rapport avec le motif de la toilette, se référer à la page 235 et aux suivantes.
103 Initiation à la lexicologie française, Paris, Duculot, 2000, p. 220.
104 19 % des comparaisons de la chevelure féminine avec l’or.
105 Antoine de la Sale, Jehan de Saintré, éd. Joël Blanchard, trad. Michel Quereuil, Lib. Gén. fr., 1995.
106 Citons le fameux Géant aux Cheveux Dorés dont la beauté capillaire est inscrite jusque dans l’onomastique : « le chevalier qui doit aller conquerre le chief au Gueant aux Cheveulx Dorez. » (Perceforest, 2e partie, t. i, p. 284, 501, l. 4-6).
107 Chansons des trouvères, p. 644.
108 Voir aussi « Mais il li vit son chief pignier / Et ses chevox aplanoier, / Qui sambloient estre doré ; » (Seconde Continuation, v. 29303-29305).
109 Le roman d’Eledus et Serene, éd. John Revell Reinhard, Austin, University of Texas Press, 1923.
110 Romances et pastourelles françaises des xiie et xiiie siècles, p. 297.
111 Traduction française en prose de La Théséïde de Boccace, éd. en cours de Catherine Müller. Chantilly, musée Condé, manuscrit 601.
112 Blasons du corps féminin, p. 146.
113 « Li penon sont si coloré / Con s’ils estoient tuit doré, / Mes doreüre n’i fet rien, / Car li penon, ce savez bien, / Estoient plus luisant ancores. / Li penon sont les treces sores » v. 783-788 et « Car qui par mon droit non m’apele / Toz jorz amors me renovele ; / Et l’un mitiez l’autre dore / De doreüre clere et sore, / Et autant dit Soredamors / Come sororee d’amors. / Doreüre d’or n’est si fine / Come ceste qui m’anlumine » (v. 973-980).
114 Définition du cliché donnée par Ruth Amossy dans « Du cliché et du stétéotype. Bilan provisoire ou anatomie d’un parcours », dans Le Cliché, textes réunis par Gilles Mathis, Presses Universitaires du Mirail-Toulouse, 1998, p. 22.
115 Ibid., p. 22.
116 Voir notre introduction.
117 Ruth Amossy & Anne Herschberg Pierrot, Stéréotypes et clichés, Paris, nathan, 1997, p. 93.
118 « Loin d’être insolite, le recours au prototype est d’ailleurs courant chez les médiévistes. L’argumentation tend toutefois, dans une autre direction, vers un modèle fait de critères ou de « conditions nécessaires et suffisantes » (CNS) assoupli. Ce modèle reconnaît l’existence d’attributs indispensables à la définition d’un motif, mais ces traits laissent apparaître des composants « superficiels », contingents et dissemblables selon les occurrences. » Jean-Jacques Vincensini, op. cit, p. 57.
119 François Gaudin & Louis Guespin, op. cit, p. 230.
120 Voir aussi Le Bel Inconnu (v. 3972-3982), Le Dit de la panthère (v. 244-248) et Clériadus et Méliadice (III, l. 128-130, p. 14).
121 Bnf Ms latin 9473, folio 196, reproduit dans l’ouvrage de Marie-Thérèse Gousset, Éden, Le jardin médiéval à travers l’enluminure xiiie-xvie siècle, Paris, Albin Michel/Bnf, 2001, p. 48.
122 Michelle Szkilnik, Jean de Saintré, une carrière chevaleresque au xve siècle, Genève, Droz, 2003, p. 135.
123 Michael Riffaterre, Essais de stylistique structurale, Paris, flammarion, 1971, p. 167-168.
124 Voir la différence de traitement de la chevelure blanche selon les sexes p. 55 et suivantes.
125 La Chanson d’Aspremont, chanson de geste du xiie siècle, texte du manuscrit de Wollaton Hall, éd. Louis Brandin, Paris, Champion, 1924, vers 10683-10694 et 10665 -10670.
126 Michael Riffaterre, op. cit, p. 168.
127 Anne-Marie Perrin-naffakh, op. cit, p. 143.
128 Vers 1812.
129 Il faut également rapprocher la lance et le teint de Blanchefleur dans la scène des gouttes de sang sur la neige.
130 Michael Riffaterre, op. cit, p. 170.
131 Marshal Mac Luhan & Wilfed Watson, Du Cliché à l’archétype, la foire du sens, Montréal-Paris, Hurtubise-Mame, 1973, p. 130.
132 Jean-Pierre Martin, Les motifs dans la Chanson de Geste, définition et utilisation, thèse de doctorat de troisième cycle soutenue devant l’Université de Paris III, Centre d’Études médiévales et dialectales, Université de Lille III, 1984, p. 343.
133 Anne-Marie Perrin-naffakh, op. cit, p. 574-575.
134 Gunnar Biller, Étude sur le style des premiers romans français en vers (1150-1175), Slatkine Reprints, Genève, 1959, rééd. 1974, p. 62.
135 Voir par exemple : « Et Yseult qui souveraine / fut en son temps de beauté, » (Balade d’amant recreu, Poésies de Machaut, v. 10-11, p. 638) ou encore : « Pour veoir celi cui Ysiels / ne sambla onques de biauté. » (L’Escoufle, v. 8848-8849). Si c’est la beauté d’Iseut qui est convoquée dans ce dernier exemple, la proximité de la mention des cheveux (au v. 8850) conforte le rapprochement avec la chevelure de la femme de Marc. « Indeed, one wonders why « la bele Iseut », evoked throughout medieval french literature as a parangon of feminine beauty, never emerges in Béroul’s text as the object of lenghty physical description. » (Jane E. Burns, Bodytalk, When Women Speak in Old French Literature, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1993, p. 220).
136 Voir l’article de Gerard J. Brault, « The names of the three Isolts in the Early Tristan Poems », Romania, n° 115, 1997, p. 22-49.
137 Il se peut aussi qu’Iseut ne soit pas blonde. En effet, Gerard J. Brault constate que les premiers textes ne mentionnent pas tous cette caractéristique qui nous paraît aujourd’hui inaliénable (ibid., p. 2249). « The first clear attestation of the name Iseut la Blonde is in Chrétien de Troyes’s Erec. » (ibid., p. 26) « It is not clear why Chrétien used the designation Iseut la Blonde. […] Perhaps the key to this mystery is that Isolt’s hair was strikingly blond in a lost version of the Tristan story that may have been familiar to Chrétien. » (ibid., p. 27-28).
138 L’Histoire d’Érec en prose, roman du xve siècle, éd. Maria et Colombo Timelli, Genève, Droz, 2000. Le texte P, p. 110, présente la même référence à Iseut mais sans faire allusion à la chevelure : « Et bien disoient ceulz qui la veoient que la beaulté d’Iseut la Blonde ne faisoit riens a la beaulté de ceste damoiselle illec ». Il est cependant évident que la beauté d’Iseut reste intimement associée à sa chevelure, ce que confirme explicitement le texte B.
139 La référence à Tristan et Iseut parcourt en effet tout le roman et revêt ici un de ses aspects. Voir par exemple aux vers 1246-1247 la comparaison d’Érec avec Tristan en matière de vaillance au combat et aux vers 2036-2037 la référence à Brangien.
140 Voir aussi Le Roman de la Poire, v. 1629-1632.
141 Anne-Marie Perrin-naffakh, op. cit, p. 567.
142 Jean frappier supppose également qu’il s’agit d’un bassin de cuivre (« Le thème de la lumière de la Chanson de Roland au Roman de la Rose », dans Tradition et originalité dans la création littéraire, le thème de la lumière dans la littérature française, Littérature française et cinéma, Cahiers de l’Association Internationale des Etudes françaises, n° 20, Paris, Les Belles Lettres, mai 1968, p. 113). On peut aussi imaginer que le bassin est en or comme dans Le Lai de Désiré : « dous bacins d’or tint en ses meins. » (v. 143). Dans ce cas, la comparaison ne se distinguerait plus par le choix du comparé mais par l’originalité de sa formulation.
143 « La comparaison explicite cache une métaphore in absentia, aujourd’hui encore immédiatement comprise dans de nombreuses régions de france, tels ces Pays de Loire dont Guillaume semble originaire. » (« Cheveus ot blons come bacins, Sur un vers de Guillaume de Lorris dans Le Roman de la Rose », dans Romania, tome 115, Paris, Société des Amis de la Romania, 1997, p. 550). Précisons toutefois que, bien qu’originaire de cette région, nous n’avons pas connaissance de ce nom. Alice Planche cite un certain nombre d’ouvrages datant du xixe siècle et essaie de faire remonter l’origine de ce terme vernaculaire au Moyen Âge.
144 Le Théâtre français avant la Renaissance (1450-1550), éd. Édouard fournier, Paris, Laplace & Sanchez, 1920.
145 Voir Le Roman de Thèbes, v. 4137-4140.
146 La chevelure du géant dans Le Livre du Voir Dit est expressément rapportée au pelage et au plumage (v. 7073-7085).
147 Le second manuscrit propose la même formulation du vers 7200.
148 Voir par exemple : « La char avoit plus blanche que ne soit blanche laine » (Berte aus grans piés, v. 1277) ou « dame de joste un vergier / vi plus blanche que laine. » (Romances et pastourelles françaises des xiie et xiiie siècles, i, viii, Moniot de Paris, v. 3-4).
149 La technique du tricot se développe en effet au Moyen Âge (source : site internet du CnRS http://www.cnrs.fr/presse/thema/321.htm).
150 Ce procédé sera repris avec bonheur par André Breton : « Ainsi des expressions stéréotypées comme « une chevelure de feu » pour « rousse », et « un feu de bois » se trouvent regénérées par A. Breton dans la tournure « Ma femme à la chevelure de bois » (L’Union libre, 1931) : le télescopage des deux clichés brise l’attente du lecteur. » (Dictionnaire des termes littéraires, p. 100).
151 Voir à ce sujet le motif de la femme prise par les tresses à la page 199 et aux suivantes.
152 Cité par Michel Zink dans Belle, essai sur les chansons de toile, p. 114-128. Les mêmes vers sont – dans Romances et pastourelles françaises des xiie et xiiie siècles, I, 57 – attribués à Audefrois li bastars.
153 Le loriot mâle se signale par l’éclat de son plumage noir et or tandis que la femelle se contente d’une couleur verdâtre.
154 André G. Ott, Étude sur les couleurs en vieux français, Paris, Emile Bouillon, 1899, p. 72, n. 2.
155 La fête de l’épervier est reprise à Chrétien de Troyes dans Érec et Énide (v. 563-578).
156 « C’estoit I. dars, dont li penon / Erent de panes d’orïol, / Qu’amours ot a I. blanc chevol / D’alïance lïé au fust, » (v.1740-1743). Voir l’intoduction de Michelle Szkilnik à son édition de Méraugis de Portlesguez, p. 32.
157 Dans La Chanson des Saisnes de Jehan Bodel, le verbe luire est également le point de départ de la confrontation de la brillance du pelage du cheval avec la plume du paon : « A merveilles esgardent le sor destrier gascon : / Plus li luisoit li pols que pane de paon, » (Rédaction AR, v. 2489-2490) et « A mervoilles esgardent le bon destrier gascon : / Plus li luisoit li poils que pene de poon, » (Rédaction LT, v. 2234-2235).
158 Enfin, la présence textuelle de cet animal peut être lue comme une annonce du rêve de la reine où le paon réapparaîtra comme symbole royal (v. 7307-7309 et v. 7325-7326). La variation du comparant pourrait faire sens si l’on considérait qu’elle entre en résonance avec un autre moment de l’intrigue. Cependant, il est vrai qu’en cinq mille vers, le lecteur a eu le temps d’oublier la comparaison utilisée pour qualifier les cheveux des créatures marines…
159 « Sor la rive de l’eaue el ros et el sablon / Lor aparurent femes, mais il ne sorent dont, » (v. 2899-2900) et « Qant trop [des homes] en i aloit en l’eaue se metoient, / Et qant il retornoient si se raparissoient, » (v. 2913-2914).
160 Michel Le Guern, op. cit, p. 103.
161 La comparaison de la blancheur de la peau à celle du lin demeure plus fréquente. Voir par exempledans les farces : « Vos tetins aufy blancs que lin / furent garfonnes fur le ble. » (Farce novvelle a VI personnages (autrement appelée farce du Poulier) dans Recueil de farces, moralités et sermons joyeux, Genève, Slatkine Reprints, 1977, t. i et ii, p. 37).
162 Jean froissart, L’Espinette amoureuse, éd. Anthime fourrier, Paris, Klincksieck, 1972.
163 Jean-Jacques Vincensini, op. cit, p. 97.
164 Anne Herschberg Pierrot, « Clichés et idées reçues : éléments de réflexion », dans Le Cliché, p. 33.
165 Michel Pastoureau, op. cit, p. 51.
166 Jean frappier, « Le thème de la lumière de la Chanson de Roland au Roman de la Rose », p. 112.
167 Jean frappier, ibid., p. 114.
168 Jean frappier, ibid., p. 112.
169 Ruth Amossy & Elisheva Rosen, Les discours du cliché, Paris, Sedes, 1982, p. 15.
170 « Il existe pour chaque société et à chaque époque une hiérarchie des valeurs dont certains éléments sont d’ailleurs fixes : le ciel, l’or, la lumière sont toujours considérés comme des réalités favorables, alors que l’obscurité et la boue, par exemple, impliquent un jugement défavorable. » (Michel Le Guern, op. cit, p. 101).
171 Anne-Marie Perrin-naffakh, op. cit, p. 374.
172 Jane E. Burns cite Tertullien glosant les ornements des femmes (or, argent, joyaux…): « the only thing that gives glamour to all these articles is that they are rare and that they have to be imported from a foreign country. » (Disciplinary, Moral and Ascetical Works, trad. Rudolph Arbesmann, Emily Joseph Daly and Edwin A. Quain, New York, Fathers of the Church, 1959, p. 125) dans Courtly Love Undressed, Reading Through Clothes in Medieval French Culture, p. 204.
173 André G. Ott, op. cit, p. 87.
174 Op. cit, p. 51.
175 Ruth Amossy & Elisheva Rosen, op. cit, p. 15.
176 Marshall Mc Luhan & Wilfed Watson, op. cit, p. 131.
177 La description des cheveux tend à disparaître avec l’amoindrissement du portrait mais la chevelure reste mentionnée dans les motifs tels que le deuil, la toilette, le don entre amants ou les violences perpétrées à l’encontre des femmes. Voir le chapitre iii.
178 Voir la remarque d’Edmond faral qui fait de la fréquence des portraits une des caractéristiques du xiie siècle. « Il est visible que Matthieu considère la description comme l’objet suprême de la poésie. C’est chez lui que cette conception se trouve formulée pour la première fois, au moins à notre connaissance. Elle doit être mise en regard des innombrables descriptions dont fourmille la littérature de la seconde moitié du xiie siècle et qui en sont un des traits originaux. » (op. cit, p. 75-76).
179 Le portrait peut ainsi être réduit à deux comparaisons canoniques : « Et lors print a regarder la pucelle qui dormoit, belle comme une deesse, tendre et vermeille comme une rose et de char blanche comme la fleur de lys » (Perceforest, t. iii, l. 321-324).
180 Rédigé entre 1176 et 1184.
181 Édition Guy Raynaud de Lage, Paris, Champion, 1976.
182 La Demoiselle arthurienne. Écriture du personnage et art du récit dans les romans en prose du xiiie siècle, Paris, Champion, 2006, p. 99.
183 Jean Renart, Le Lai de l’Ombre dans Nouvelles courtoises occitanes et françaises, éd. Suzanne Méjean-Thiolier & Marie-françoise notz-Grob, Paris, Lib. Gén. fr., 1997, p. 578-631.
184 Édition Jean Frappier, Genève, Droz, 1964.
185 Bénédicte Milland-Bove, op. cit, p. 101.
186 « et ele vint moult plorant, et ot vestue une robe de cendal vermeill, cote et mantel. Si estoit si beledame et si venanz qu’en tout le monde ne trovast l’en si bele ne si avenant de son aage. » (La mort le roi Artu, 1. 39-44).
187 Voir les vers 3715-3737 dans Le Conte du graal.
188 Voir aussi Le Roman du Comte d’Anjou (v. 112-126).
189 « Les auteurs des romans en prose expérimentent donc d’autres formes, d’autres lieux rhétoriques pour construire l’effet-personnage : les dialogues, les récits rétrospectifs, les épitaphes qui concluent un itinéraire, toutes formes qui relèvent davantage du ’dire’ que du ’décrire’« (Bénédicte Milland-Bove, op. cit, p. 102).
190 Ibid., p. 96.
191 Voir par exemple la coiffure de la statue de Pygmalion (v. 20966-20985).
192 Denise Langue, Sémiologie de la chevelure féminine en France, thèse de doctorat de troisième cycle sous la direction de François Dagognet, Université Jean-Moulin (Lyon iii), juin 1987, p. 43.
193 On ressent cette distinction sociale du vêtement lorsque Pygmalion habille son œuvre : « Autre fois li met une guimple, / Et pardessus un quevrechief / Qui couvre la guimple et le chief, / Por sembler de gentil parage, / Humble, cortoise, sanz outrage / Et fame de haute lignie, / Honorable et bien enseignie » (Le Roman de la Rose, manuscrit BN fr 25523 (Z), éd.Daniel Poirion, v. 20952-20954). On pourra utilement se reporter à l’ouvrage de françoise Piponnier, Costume et vie sociale à la Cour d’Anjou, Paris, La Haye, Mouton et Cie, 1970.
194 « Whereas Biaute’s blond hair sparkles unaided like the moonlight, Richesse’s golden locks can only be made to shine with the help of an ornate and intricately worked crown whose stones light up her head and face » (Jane E. Burns, op. cit, p. 200). Voir aussi dans Perceforest le rayonnement éblouissant du costume de florette : « Mais florette la belle chevauchoit devant, sy doree et si chargee d’aneaulx et de pierres precieuses qu’a pou le pouoient regarder ceulx qui le vouloient veoir pour l’or et les pierres precieuses qui sur luy resplendissoient au ray du soleil. » (2e partie, t. ii, p. 258, 494, l. 7-11).
195 Voir aussi Perceforest, 2e partie, t. ii, 445, p. 236, l. 12-16.
196 Voir les v. 1473-1477 : « Molt s’an fet liez, molt s’an fet riche ; / An son saing, pres del cuer, les fiche / Entre sa chemise et sa char. / N’en preïst pas chargié un char / D’esmeraudes ne d’escharboncles ».
197 Voir les v. 7635-7637 : « Les treces, qui sambloient d’or. / « He ! Dieux, dist il, confiait tresor / Ma douce dame me kierka ! ».
198 Voir aussi les v. 3972-3978, la description s’achevant sur « Li capials valoit un tresor. »
199 Voir l’étude du don de chapel p. 229 et suivantes.
200 Catherine Croizy-naquet remarque d’ailleurs que, déjà, « dans le portrait d’Antigone, la description des cheveux se mêle à celle des vêtements » (« Les chevels ot et longs et sors, / pluis reluisanz qu’argentz ne ors ; / d’un fil d’argent furent trecé, / pendirent li sur le baudré. ») (Le Roman de Thèbes, v. 4137-4140) et elle suppose « que le fil d’argent qui les tresse relève de la catégorie vestimentaire » (op. cit, p. 171).
201 On dénombre en effet quinze occurrences de chapel ou corone contre cinq de chevels.
202 Voir l. 108-110.
203 Voir une formulation identique dans Le Récit du banquet des vœux du faisan à Lille : « et apres eulz venoit une tres belle dame jeune de l’eage de XII ans, vestue d’une robe de soye violet richement bordée et estoffée d’or, et lui partoient unes manches oultre la robe, d’une moult deliée soye, escrites de lettres gregoises, et estoit son chief paré de ses cheveulx beaulx et blons, et par dessus une tocque, affulée d’un volet moult enrichy de pierrie. » (p. 110, Les Vœux du Faisan, noblesse en fête, esprit de croisade, le manuscrit français 11594 de la Bibliothèque Nationale de France, de Marie-Thérèse Caron, Turnhout, Brepols, 2003, p. 109-202).
204 Pour comparaison : « Et bien disoient ceulz qui la veoient que la beaulté d’Iseut la Blonde ne faisoit riens a la beaulté de ceste damoiselle illec. » (texte P, p. 110).
205 BnF DMS, FR 599, fol. 4 v°.
206 Camille Enlart, Manuel d’archéologie française depuis les temps mérovingiens jusqu’à la Renaissance, Paris, Auguste Picard, 1916, t. iii : Le Costume, p. 184.
207 BnF DMS, FR 599, fol. 7, voir dans le cahier d’illustrations figure 3, p. 343.
208 Voir l’étude des remotivations du cliché, p. 129 et suivantes.
209 Voir par exemple : « Caviaus crespés, recercelés, / Qui plus luisent c’ors esmerés » (Lai de Narcisse, v. 95-96), « A deus tresces trecee esteit, / Plus ke or esmeré reluseit, » (Ipomédon, v. 2235-2236), « ge vos di c’ors fins esmerez / ne reluist plus, non autretant. » (Le Roman de la Poire, v. 1626-1632).
210 Voir par exemple Le Bel Inconnu (v. 139-146), Tristan de Béroul (v. 3906-3911) ou Galeran de Bretagne (v.7694-7697).
211 Dans cette œuvre, on pense aussi à Morgain, filant un fil d’or afin de confectionner une coiffe d’or pour sa sœur : « ele desvuidoit fil d’or car ele voloit faire une coife pour sa serour, la feme le roi Loth. » (Suite post vulgate du Merlin, 563, p. 1358). Ainsi coiffée, sa sœur aura véritablement un « chief d’or ».
212 Voir p. 217.
213 Robert de Blois, Beaudous, éd. Jacob Ulrich, Berlin, Mayer & Müller, 1889.
214 Voir par exemple : « cheveux qui estoient si beaulx et si blons que il sembloit que ce fust fil d’or. » (Clériadus et Méliadice, 1. 1601).
215 Ceux-ci sont généralement dorés, comme le prouve cette complainte d’un mari jaloux : « Que me revalent ces gallendes, / Ces coiffes a dorées bendes / Et ces diorés treçoers / Et ces yvorins miroers, / Ces cercles d’or bien entailliez / Precieusement esmailliez, / Et ces coronnes de fin or, / Dont enragier ne me fin or, / Tant sont beles et bien polies, » (Le Roman de la Rose, v. 9275-9283). La rime en fin or ne manque pas de piquant.
216 Olivier de la Marche, Le Récit du banquet des vœux du faisan à Lille, dans Les Vœux du Faisan, noblesse en fête, esprit de croisade, le manuscrit français 11594 de la Bibliothèque Nationale de France, éd. Marie-Thérèse Caron, Turnhout, Brepols, 2003, p. 109-202.
217 Voir pages 31-32.
218 Voir l’ouvrage de Jacques Le Goff, Un Moyen Âge en images, p. 169, image reproduite dans le cahier d’illustrations, figure 1, p. 343.
219 « Souvent, les deux masses de cheveux sont nattées, et presque aussi souvent on conserve la tradition qui consiste à les enserrer dans des galons sans les tresser, système moins solide, mais qui a l’avantage de ne pas diminuer, comme les nattes, la longueur de la chevelure » (Camille Enlart, op. cit, p. 177).
220 Ibid., p. 177.
221 Voir aussi la chevelure de Médée dans Protheselaus, t. i (v. 2956-2962), exemple analysé plus loin.
222 Le Roman de messire Charles de Hongrie, texte en prose de la fin du xve siècle, éd. Marie-Luce Chênerie, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 1992.
223 Voir aussi : « et dessoubz elle avoit ses beaulx cheveulx quelz alloient jusques a terre. » (Pierre et Maguelonne, chapitre xxxix, p. 54).
224 De même que la blondeur de Liénor se présentant devant le roi dans Guillaume de Dole révélait son élection tant la beauté de la sœur de Guillaume, étroitement dépendante du lustre de sa chevelure blonde, faisait d’elle la souveraine idéale : on pense ici à la mésaventure de Liénor cherchant à saluer le roi comme il se doit et qui défait l’ordonnancement savant de sa coiffure (v. 4716-4729).
225 Tristan de Béroul (v. 1149-1150).
226 Incise que l’éditeur a placé entre tirets, ce qui souligne bien son caractère additionnel.
227 Voir aussi : « Chevels ont bloies, longes et dolgiez, / si lour ateignent jusqu’as piez » (Le Roman de Thèbes, v. 1058-1059) et « Li blanc cavel et li delgiés / Li avaloient dusc’as piés ; » (La Vie de Sainte Marie l’Égyptienne, version T, v. 843-844).
228 Ajoutons cependant que les textes en prose (dans les portraits féminins et masculins) lorsqu’ils évoquent les talons, adoptent plus de deux fois sur trois l’adjectif lons, à tel point qu’on pourrait imaginer que c’est l’adjectif qui entraîne la référence aux talons. En effet, seulement 20 % des exemples du corpus emploient l’adjectif lons sans renvoyer aux talons (mais aux reins, aux côtés, aux pieds) et seulement 28 % font appel aux talons sans avoir au préalable utilisé l’adjectif lons.
229 Voir Le Roman de Troie (v. 5547-5548), Amadas et Ydoine, texte de P (v. 133-136) et texte de V (v. 149-154) et Le Livre de la mutacion de Fortune, t. iii, (v. 14329-14330).
230 Voir l’article de Michelle Szkilnik « Mise en mots, mise en images : Le Livre des Faits du bon chevalier Jacques de Lalain », Ateliers de Lille iii, n° 30, 2003, p. 77.
231 Un peinture sur parchemin datant du xve siècle (attribuée au Maître de l’Hannibal de Harvard) dans les Antiquités Judaïques de flavius Josèphe présente Ève dotée de très longs cheveux touchant ses genoux (Ms fr 247, f. 3), reproduit par Marie-Thérèse Gousset dans Éden, Le jardin médiéval à travers l’enluminure xiiie-xvie siècle, p. 36. Sur le portail nord de la cathédrale d’Autun (xiie s), Ève porte également ses cheveux longs, dans le dos (reproduit par Jacques Le Goff dans Un Moyen Âge en images, p. 48).
232 À titre de comparaison, le vêtement usé de l’amie de l’Orgueilleux de la Lande laisse également entrevoir par les accrocs du tissu, la peau brûlée par le soleil : « Mes si malement li estoit / Qu’an la robe qu’ele vestoit / n’avoit plainne paume de sain, / Einz li sailloient hors del sain / Les memeles par les rotures. / A neuz et a grosses costures / De leus an leus ert atachiee, / Et sa char si fu dehachiee / Aussi con s’il fust fet de jarse, / Que ele l’ot crevee et arse / De noif, de gresle et de gelee. » (Le Conte du graal, v. 3719-3729). Vêtement et chevelure jouent un rôle très comparable dans les deux extraits.
233 Voir dans le cahier d’illustrations figure 4, p. 343 la reproduction d’une impressionnante peinture murale de la chapelle Sainte-Erige à Auro (06), choisie par Chantal Connochie-Bourgne pour illustrer la couverture du recueil d’articles La Chevelure dans la littérature et l’art du Moyen Âge : la chevelure de Marie-Madeleine, blonde et ondulée, couvre comme un épais manteau le corps de la sainte, ne laissant dépasser que le bout de ses pieds et ses mains jointes. Dans La Crucifixion, de Matthias Grünewald (panneau du retable des Antonites d’Issenheim datant du xive siècle et visible à Colmar au musée d’Unterlinden), Marie-Madeleine est représentée agenouillée, voilée jusqu’aux épaules mais ses cheveux blonds, ondulés et extrêmement fournis, dépassent du tissu et atteindraient les mollets si le personnage était debout.
234 Toutefois, lorsque le vent se lève et dévoile le corps de Marie l’Égyptienne, sa chair se révèle si endurcie par le climat qu’elle n’est de toute façon plus digne de susciter le moindre émoi.
235 La chevelure de la prostituée devient même linge pour essuyer les pieds du Christ dans l’Évangile selon saint Luc, 7, 36-50. Voir aussi dans La légende de Sainte Marie Madeleine : « Et nostre Seigneur y disnoit, dont elle ne se osa pas, comme pecheresse, apparoir entre les justes, mais demoura derniere, de cousté les piez de nostre Seigneur, et la lui lava les piez de ses larmes, et luy essuia de ses cheveux et lui oingnit d’un precieux oingnement : car les habitans de celle region usoient de baings et de oingnemens pour la tresgrant ardeur du souleil. » et « Ceste Marie, dit il, est celle qui lava les piez nostre Seigneur, et les torcha de ses cheveux, et l’oingnit d’un precieux oingnement et fist sollennelle penitence ou temps de grace toute la premiere, qui esleut la tresbenoite partie, qui se sist aux piez de nostre Seigneur et ouyt ses parolles, qui lui oingnit le chief, qui a sa passion fut deles sa croix. (La Légende dorée, p. 615 et 616).
236 Danielle Régnier-Bohler, « Le corps mis à nu. Perception symbolique de la nudité dans les récits du Moyen Âge », p. 61.
237 La Vie seinte Angneys dans The Old French Lives of Saint Agnes and other vernaculars versions of the middle ages, éd.Alexander Joseph Denomy, Cambridge, Harvard University Press, 1938, Appendix ii, p. 214-225.
238 Voir aussi : « A ces paroles l’ont toute desvestue. / La biele Agnies quant se vit estre nue, / un petit fu honteuse et esperdue ; / « he ! Dex, » dist ele, « or ai mestier d’aiüe. » / Dex i mostra por li molt grant proëche, / car des chaviaus li donna tel largeche / que jusqu’a pies l’enbatoit la longeche, / que tout li cuevrent de son cors le nuëche. (Le Martire de sainte Agnès, version A, v. 341-348 dans The Old French Lives of Saint Agnes and other vernaculars versions of the middle ages, p. 77), « forment s’en esjoiescent quant le voient irie / li sergant al prevos, mais Deus en ot pitie ; / ses caveals li fist croistre des le cief jusqu’as pies, / tant espes et tant drus, de sa car ne pert nient / fors que seul li visages ; tot en sont mervellie. » (Le Martire de sainte Agnès, version B, appendix 1, v. 256-260), « Tantost com la seinte virge fu despollie, li dona nostre Sire[s] Dex si grant plente de cheveus que elle en fu mielz coverte et aombree que de ses vesteures. » (La Vie et la Passion de seinte Agnies, dans The Old French Lives of Saint Agnes and other vernaculars versions of the middle ages, Appendix iv, p. 244) et « Lors, le prevost commanda qu’elle fust despouliee et menee toute nue au bourdel. Et tantost, Nostre Seigneur fist ses cheveulx telz et si espes que elle estoit mieulx vestue de cheveulz que de vestemens. » (La Légende dorée, légende 24, p. 237).
239 Au niveau iconographique, la dépravation de la longue chevelure est notée par un accessoire : « Les femmes parées d’une longue chevelure avec comme corrélations un miroir et souvent un peigne, sont des « mondaines », des courtisanes. Il en va de même des sirènes, figures typiques de la tentation, en particulier de la provocation charnelle. » (françois Garnier, Le Langage de l’image au Moyen Âge, Signification et Symbolique, t. ii, p. 74). Voir l’illustration du Livre des bonnes mœurs, xve siècle, Chantilly, musée Condé, ms. 1338.
240 Mary Trasko, op. cit, p. 27.
241 Voir aussi, à titre de curiosité, la publicité contemporaine pour des téléphones portables assimilés à des fruits défendus entre les mains d’Adam et Ève. Celle-ci n’est couverte que de sa longue chevelure noire. Si l’on y regarde de plus près, elle porte un maillot noir dont la texture et la forme se rapprochent de celle de cheveux si bien que l’on ne sait plus où finit la chevelure et où commence le vêtement. Voir dans le cahier d’illustrations figure 7, p. 344.
242 Voir Le Roman d’Énéas, v. 6996-7001.
243 Voir par exemple Le Roman de Thèbes (v. 1058-50), Le Lai d’Aristote (v. 294-297) ou Lancelot en prose, t. i, (iii, 1, p. 18).
244 Voir aussi Tristan de Béroul (v. 1146-1150), Pierre et Maguelonne (chapitre xxxix, p. 54), Le Roman de messire Charles de Hongrie, p. 85 et Chronique de Jacques de Lalain (chapitre lxi, p. 230-231).
245 Naissances du roman, Les techniques littéraires dans les romans antiques du xiie siècle, p. 833.
246 « Les chevous ot blondes et lons, / Qui li batoient aus talons. » (Le Roman de la Rose, v. 1004-1008).
247 Voir à titre de curisosité la publicité contemporaine pour une chaîne de salons de coiffure, proposant un balayage portant le nom de « balayage deux ors », reproduite dans le cahier d’illustrations figure 8, p. 345.
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