Obscure clarté1
Le soleil, la lune et les étoiles au Moyen Age, Senefiance n°13, Aix-en-Provence, 1983
p. 587-618
Texte intégral
El mentir de las estrellas
Es muy seguro mentir
Porque ningun ha de ir
A preguntàrselo a ellas
Le mentir des étoiles
Est le plus sûr mensonge
Car nul ne saurait aller
Les interroger elles-mêmes2
Introduction
1Jaillie de toute l'astrologie chaldéenne et précédente, l'étoile de l'épiphanie a, comme un calendrier de prêtre Maya, cassé le temps par une nouveauté, une noua, un Dieu neuf3. Une série de textes sur elle et ses diverses cousines, d'Isidore à Raban Maur jusqu'aux peintres de tous les quattrocenti, nous donnera certainement en ce colloque des astres inespérés. Mais il n'y a pas de stars sans stripes, sans traverses : ad augusta (celorum) per angusta.
2Pour chanter à côté du chœur, présentons ici a stripe for stars, une barre entre 1240 et 1320 afin d'empêcher l'écoulement des astres dans un (sic) "moyenage" de convention, identique à lui-même de saint Augustin aux copieurs humanistiques. Certes la prime modernité courtoise et scolastique du 13ème siècle s'enracine parfaitement, comme gothique en roman, dans les passés profonds des croyances néolithiques : what a treasured legacy of theology from paganism4. Nous avons à Newgrange5 ce qu'aujourd'hui on cherche à Abu Simbel : le rayon de soleil levant du solstice d'hiver illumine le couloir jusqu'aux angles reculés. Tant l'archéocivilisation fut une en sa diversité. Le diffusionisme n'est certes pas nécessaire ici car toute structure agraire bâtissant des hypogées est son propre foyer d'invention d'un culte solaire et calendaire si naturel à l'homme que notre année scolaire en est toute marquée. Il y a non un semis d'étoiles mais une vraie carte inexacte du ciel sur le manteau sacral de l'empereur Henri II6. Car l'astrologie chaldéenne et ses épigones sur quatre millénaires jusqu'à notre an mil, était souvent scientifique en son souci d'observation et de prévision exacte des mouvements. Des gens d'aujourd'hui croient que l'univers date d'hier et l'astronomie des manuels remonte au 20ème siècle ou, pire, au 16ème. C'est le propre de l'inculture que de résumer le monde à soi et de le faire commencer avec soi-même. Toutefois le cosmos a 18 milliards d'années et son parcours comporte diverses mutations ; l'histoire sédentaire des hommes présente dix millénaires et le dernier n'est pas le mieux compris.
3Tentons ici de l'apercevoir : quel univers mental a tourné sur lui-même au 13ème siècle, et de quel mouvement ? Un texte inédit de 1240 présente un éventuel soleil mathématique au lieu des courantes superstitions grecques sur les astres. Ensuite un théologien inintéressé par les sciences concrètes offre un éventail de reflexions systématisées et modérées.
4Enfin un intellectuel célèbre la poésie de ses visions et la face du monde en est toute changée.
TRANSCRIPTION
5Vat Lat 4245 f° 64 va (GUERRIC de Saint-Quentín o.p. magister Sacre Pagine in actu regens cc 1240 univ. paris.)
6(Quodlibet)
71.- Ulti(m)o qu(eritur) si dya(bolus) poss(et) i(m)pe(dire) mot(us)
82.- solis. po(sito) q(uod) n(on) mou(er)et(ur) ab i(n)t(e)llig(e)ncia s(ed)a a n(atura)li u(irtute) i(n)dita. ui(detur)
93.- q(uod) sic q(uia) n(on) (est) p(otest)as s(upe)r t(er)ra(m) q(ue) ei ualeat (com)par(ar)i p(otest) i(m)pedi(re)
104.- op(er)ac(i)o(n)es ho(m)i(n)u(m) q(ui) (sunt) finis solis (et) alio(rum) cor(porum) s(upe)rcelestiu(m). (er)g(o) m(u)l(t)o
115.- forci(us) solis. corp(us) hu(manum) (est) nobi(lissi mum) i(n)t(er) cor(pora) u(t)pote e(i) deb(etur)
126.- p(er)f(e)cc(i)o nob(i)li(ssima). s(cilicet). i(n)tellect)us (et) r(ati)o (er)g(o) u(t) p(rius) R(espondeo) s(ecundum) p(ar)te(m) cor(pora) n(e)c h(abe)nt
137.- ut su(n)t i(n) uni(uerso) (ue)l ip(sa3m (cons)stituu(n)t p(er)mane(n)cia(m) sol(is) dya(bolus) s(upe)r q(uantum) l(ibet)
148.- c(re)at(ur)am cor(pora)le(m) i(n) q(uan)t(um) cor(poral)le(m) p(otest)ate(m) h(ab)eat n(on) t(ame)n i(n) uniu(er)su(m) Sol
159.- au(tem) q(uas)i r(ec)tor (est) un(iuers)i un(de) d(icitur) pat(er) g(e n(er)ab(i)liu(m) (et) cor(ruptibilium) i(de)o i(n) op(er)ac(i)ones
1610.- illas sol(is) ut s(ic) (est) r(ec)tor (et) p(ate)r toci(us) u(niuersi) n(on) poss(et) dy(abolus). si su(n)t q(ue)da(m)
1711.- alie acc(i)ones solis. s(cilice)t. illu(minare) (et) calefa(cere) q(ua)s q(uia) dep(ende)n(ciam) h(abe)nt ex
1812.- ca(us)is i(n)f(e)rio(ribus) p(ar)ti(bus) p(otest) dya(bolus) i(m)pedire). Q(uo)d obe(citur) n(on) (est) p(otest)as. (et) c(etera). R(esponde)o
1913.- ex h(oc) se(quitur) q(uod) p(otest) i(n) q(uam)l(ibet) cor(pora)-le(m) p(er) se. p(otest)as. (e)n(im). cor(poral)is p(ropri)e (est) sup(er)
2014.- t(er)ra(m). sp(irit)ual(is) u(er)o sup(ra) t(er)ra(m) s(ed) ex h(oc) n(on) se(quitur) q(uod) poss(et) i(n) uni(uersitate) n(ature)
2115.- cor(pora)lis. s(cilicet) i(n) aliq(ua) ea(rum) [*p(ar)t(i)u(m)] uniu-(ersitatis). Q(uo)d obi(citur) de h(omine) R(esponde)o dy(abolus)
2216.- n(on) h(abe)t p(otest)ate(m) i(n) h(ominem) u(t) (est) finis cor(poralis) c(re)atur)e c(uius) finis (est) i(n) qu(anta)cu(mque) ui(-)
2317.- ta r(ationali) s(equitur) q(uod) obi(citur). cor(pus) hu(manum) (et) c(etera). d(icen)d(um) q(uod) cor(pus) hu(m)a(n)u(m) ut (est) finis
2418.- a(liorum) corp(oru)m (et) ut (est) organu(m) r(ati)o(n)is a(n)i(m)e n(on) p(otest) t(ame)n ui(detur) q(uod) po(-)
2519.- ss(et) i(m)pedire mot(us) sol(is) po(s)ito q(uod) ab a(ngelo) n(on) mou(er)et(ur) s(ed) a p(ri)nci(pio)
2620.- q(uia) dubiu(m) n(on) (est) q(ui)n poss(et) mou(er)e unu(m) de orbib(us) sic(ut) bo(n)a
2721.- i(n)t(e)llig(e)ncia ip(sum) mou(et) un(de) poss(et) s(upe)r sole(m) c(um) si(n)t ei(us)d(em) n(ature) ste(-)
2822.- 11e (et) orbis. sic(ut) p(ro)bat(ur) i(n) s(ecund)o celi (et) mundi.
I.- Clair de soleil
A.- Procès sur texte :
29Il a été entendu naguère que les enseignants du "moyenage" répétaient sans comprendre quelques antiques et que leur puéril soleil n'éclairait que les frustes superstitions d'esprits obscurcis. Or un universitaire dominicain de Paris agite, trop brièvement vers 1240, l'hypothèse d'un soleil mû par une simple force naturelle. Depuis trois millénaires au moins, on croyait et répétait que les astres étaient mûs par des anges. Guerric de Saint-Quentin7 dans un quodlibet énonce comme éventuelle une opinion modernisante sur un mouvement mathématique de cet astre. Sans suivre l'auteur ni ses démarches intellectuelles, développons pas à pas l'étude du texte, sa transcription, un essai de traduction ; on espère introduire une interprétation paraphrastique et un commentaire historique. S'y esquisse la liberté intellectuelle de certains penseurs scolastiques et la valeur de leur méthode transparaît dans la hardiesse des affirmations.
30Guerric de Saint-Quentin, Le Soleil et le Diable Quodl 3,108. Enfin on cherche si le diable pourrait empêcher le mouvement du soleil en supposant que celui-ci ne serait pas mû par une intelligence mais par une puissance naturelle incluse.
31Il semble que oui [= Non ; uidetur, il semble… à tort]9.
32[obj. 1] car il n'y a pas de pouvoir sur terre qui puisse être comparé au sien.
33[obj. 2] De même il peut empêcher les opérations des hommes qui sont la fin du soleil et des autres corps supracélestes donc à plus forte raison, celles du soleil.
34[obj. 3] Or le corps humain est noble entre tous les corps en sorte que lui est dûe la perfection la plus noble c'est-à-dire intellect et raison, donc même conclusion que dessus.
35Réponse point par point : (ces forces) n'ont pas de corps en tant qu'elles sont dans l'univers ou constituent la permanence même du soleil. (Que) le diable ait pouvoir sur chaque créature corporelle ne (lui en donne) cependant pas sur l'univers.
36Or le soleil est comme le maître de l'univers d'où on le dit père des générables et corruptibles ; donc en ces opérations où le soleil en tant que soleil est le maître et le père de tout l'univers, le diable ne pourrait (rien).
37s'il y a d'autres fonctions du soleil comme illuminer et chauffer, (celles-ci) puisqu'elles (procèdent) par causes, le diable pourrait les empêcher en régions inférieures.
38[ad. I] A ce qui est objecté "il n'y a pas de pouvoir" etc. (comparable au sien), réponse : de là s'ensuit qu'il a par lui-même puissance sur quelque (créature) corporelle. Le pouvoir corporel en effet est proprement sur terre, le spirituel à la vérité (est) supraterrestre. Mais il ne suit pas de là que (le diable) ait pouvoir sur l'ensemble de la nature ou sur quelqu'une des parties de l'universalité.
39[ad. 2] A ce qui est objecté au sujet de l'homme, réponse : le diable n'a pas de pouvoir sur l'homme en tant que fin de la créature corporelle dont le but est dans une certaine vie rationnelle.
40[ad. 3] Suit ce qui est objecté : "le corps humain" etc. (noble entre tous, on répond) en disant que (sur) le corps humain en tant que fin des autres corps et organe de la raison de l'âme (le diable) n'a pas de pouvoir.
41Cependant il semble qu'il puisse empêcher le mouvement du soleil, posé que celui-ci ne serait pas mû par un ange mais par un principe (mathématique) parce qu'il n'y a pas de doute que le diable puisse mouvoir une des orbites comme le meut une intelligence10 bonne, d'où il pourrait également (mouvoir) le soleil vu que les astres et orbites sont de même nature, comme prouvé au Peri Ouranou.
42Paraphrase Le diable ne peut empêcher le soleil de tourner car c'est un ange qui opère ce mouvement11, comme on le croit depuis les premiers Grecs au moins. Si la cause de ce mouvement était une simple force naturelle mécanique, comment pourrait-il agir sur elle ? A première vue, il semble que oui (donc c'est non).
43Le pouvoir du diable est le plus fort sur terre (sous-entendu dans les limites de la permission divine, des suffrages de l'Eglise et de l'action des anges avec la liberté humaine). Il parvient à bloquer les opérations des hommes car son intelligence angélique est supérieure à la leur ; encore mieux peut-il dominer la nature inférieure à l'homme qui est la finalité même du mouvement du ciel12, cadre de toute variation naturelle.
44Mais ces puissances uirtutes celi13 angéliques ou mathématiques qui meuvent les astres sont de toute façon incorporelles14 et le diable, capable d'agir sur l'homme et sur les autres corps, ne saurait dominer la mécanique de l'univers en sa causalité fondamentale. Uniuersalitas est l'abstrait métonymique du concret univers15 et cette opinion ici formulée par Guerric est commune16. Le diable peut seulement agir sur les données secondaires dans la zone inférieure c'est-à-dire sur terre : empêcher provisoirement et localement chaleur et lumière ; peut-être occasionner mais non créer nuages et pluies. Vingt ans plus tard, Thomas d'Aquin précise ces trois degrés de causalité : celum per se agit in corporibus omnium inferiorum sed in anima et potentiis eius organicis agit per accidens in intellectu autem et uoluntate indirecte tantum17. On ne saurait confondre causaliter avec essentialiter18.
45Le pouvoir limité du diable n'atteint donc ni la structure de l'univers ni la liberté humaine. Troisième maître universitaire de l'Ordre débutant des Prêcheurs, Guerric ne laisse à ses célèbres successeurs que de parfaire la formulation scolastique de la tradition19. Puis il conclut par une sorte de pirouette de contradiction : après tout le diable peut agir sur des forces mécaniques, d'une action somme toute angélique… Comprenons : ni dominer ni conduire mais influer en accompagnant ce mouvement naturel, car motus celi est naturalis20. Le naturalisme du Lycée fait, on le voit, reculer tout de suite les archétypes magico-mystiques des platonisantes poésies angéliques devant la pensabilité d'une science de pur calcul. Tout le goût roman et chartrain pour des cieux vus aux lunettes de Platon vient de changer. La propension effrénée à scruter les astres pour deviner la sors, propension qui court depuis toutes les antiquités, vient de subir une mutation vers la raison rationnelle. La modernité commence : clair soleil.
B.- Commentaire :
46Ce quodlibet inédit présente donc un état inattendu de la questio d'astronomie à l'Université de Paris dans la première génération dominicaine. Dix ans avant la domination du grand Albert, avant la séparation entre purs théologiens comme Thomas et scientifiques d'Oxford comme Grosseteste, l'histoire des pensers intellectuels apparaît comme originale en cette ville, maîtresse du mouvement des idées en Europe. Accoutumés d'entendre dater le progrès de l'astronomie du 16ème siècle et accuser l'aristotélisme de l'avoir bloqué, nous voilà acculés à une révision mince et radicale.
47Un des premiers maîtres péripatéticiens de l'Ordre, français de surcroît, montre, derrière son doute, une hésitation fondamentale entre deux hypothèses astronomiques. Corps incorruptibles du monde supra-terrestre, on réputait les astres mûs par des anges. On n'avait certes jamais observé leur dépérissement, pourriture ou dessication ; à ces objets inaccessibles dépassant l'homme, son espace et sa temporalité, on avait naturellement accordé rapport avec des esprits dépassant radicalement l'homme. Les scolastiques chrétiens suivant Aristote refusaient cependant de considérer ces vertus comme âmes des astres et se contentaient de leur faire imprimer mouvement depuis la droite, l'orient21. Frère Thomas va même jusqu'à leur refuser tout bruit sans être effrayé de ce silence22 : le moderne et le naïf sont l'inverse de ce que nous avions appris. Effroi et admiration passent dans une tête aristotélisante qui les calme. Nous voyons même sourdre ici la possibilité d'une simple vertu naturelle, d'un principe mathématique à toute cette mécanique céleste, sans plus déranger de si grands êtres que les anges. D suffirait désormais de disputer doctement de calculs et prévisions ; l'astronomie devient scientifique en cessant de platoniser. Nos positions admises n'étaient qu'un oubli et 22 demi-lignes quodlibétales acculent à le reconsidérer.
48Thomas d'Aquin défendit à peine plus tard avec un curieux acharnement une position de frère Guerric son prédécesseur, que l'Université de Paris s'était avancée jusqu'à condamner. La jalousie contre le brio des nouveaux Ordres avait fait refuser un lumen sub quo nécessaire à l'homme pour voir Dieu car uidebimus sicuti est23. Thomas s'entête par plusieurs fois sur ce lumen irréfutable dans la logique du Lycée et soutient que malgré la condamnation la pureté doctrinale de l'Ordre est totale, car cela n'enlève rien à l'immédiateté de la vision24. Or à ce propos du mouvement des astres, il recule par contre sur Guerric. Sa formulation apparemment modérée et voulue comme telle est imprudente en réalité car elle redonne aux anges leur rôle traditionnel : un mouvement naturel aboutit toujours à un repos et les astres ne s'arrêtent jamais, donc leur mouvement est particulier. Mais il faut bien remarquer la variation des expressions de détail sur ce point au cours de la vie brave et intense de frère Thomas. Sur ses 25 ans d'écriture, la formule finale est d'un curieux retrait : moueantur ab aliqua substantia apprehendente25 ; d'accord, cela veut dire ange, mais s'il ne l'écrit plus tout de go, c'est qu'il connaît l'existence d'une autre hypothèse.
49Les scolastiques dominicains en somme, qui sont les plus grands de cette plus grande école de pensée et taxinomie, avant la logique gödelienne, restaient indifférents voire sceptiques aux opinions grecques et, les présentant par paires opposées sans les soutenir, se conformaient à l'atmosphère typique de la courtoisie. Jeux-partis, joutes et tournois comme concordancia disconcordancium canonum et opponens-respondens des sic et non balançant les questiones, sont la dialectique de ce temps : Eudoxe, Ptolémée, Aristote, Aristarque l'héliocentriste se répondent dans nos textes du 13ème siècle. La modernité ici éclatante de cette société insulte quelque peu à la creuse littérature qui s'en moqua au bas âge très moyen des 16° et 19° siècles. En astronomie, à l'évidence, nos auteurs soutinrent que la solutio de la questio, non mûre, était rejetée à plus tard. L'inquiétude des explications toujours reprises et corrigées sans succès des mouvements du firmament ramenait à de futures observations et calculs dirimants. Intéressé par la seule théologie et son application mystique à la vie chrétienne, Thomas passe trop vite sur les textes scientifiques tant aimés de son maître Albert ; il n'a même pas compris Simplicius, le sage et progressiste commentateur d'Eudoxe26 et étiquette moderni les partisans de Ptolémée, ce qui est trop d'honneur. Il ratiocine rapidement sur ces formules somme toute secondaires pour un religieux prédicateur et abandonne les épicycles au mode scolaire des vérités à trouver27. Chargé de mener les peuples sur la route du paradis, il n'explore pas celle du firmament. Cette sereine impartialité donne à la recherche future de résoudre les antinomies constatées28. Il a même été loisible de prétendre que cette liberté de démarche prépare, en la permettant, la révolution copernicienne29. Intéressé aux astres par la bande, les péripatéticiens dominicains ont des opinions changeantes et ne sauraient être confondus avec une basse scolastique rivée en Aristote ; leur logique métaphysique n'était pas une mode mais une méthode et leur assure une parfaite indépendance : Thomas préfère souvent Ptolémée à Aristote, sans s'y attacher ni y croire30. Il n'a donc pas été soumis inconsciemment à ce que ses contemporains admettaient inconsciemment31. L'imprudence à employer ce terme de cons-cience à notre siècle freudien, car il avait alors son vrai sens plein fort différent, couvre l'erreur : la rationalité grecque, le goût scientifique éclatant, la haute tenue documentaire de nos maîtres visait ailleurs. Leur but est de débarrasser de diverses vaines croyances et frémissements archaïques, le chemin de la liberté et de la conuersio vers le Créateur. Réfuter superstition et fatalisme, effacer la grand peur du ciel tombant sur nos têtes est tout leur effort astronomique. L'incontestable rôle de la nature, heure, soir et matin, jour et nuit, le jeûne plus dur à midi32, les saisons, les planètes, les révolutions vont à la création, à la passion et à la fin du monde qui sont à l'équinoxe33 alors que le jugement général sera en été car lui convient la parfaite lumière du Christ. Rien donc ne peut nous inspirer une causalité naïve et superstitieuse occultant la libre détermination de nos actes et l'ampleur de notre destinée.
50Le soleil de Guerric inaugure en somme une manière de recherche qui rompt avec le passé même dont elle s'inspire ; contre toute tradition, le soleil moderne pointe ici sa première aurore et se présente, timidement, comme un astre mû par la phusis d'Aristote, doutant de l'ange pilote. Lumière crue et fondamentale du premier grand siècle universitaire, ce soleil relègue aux ombres la pseudonotion de "moyenage" puisqu'aucune rupture majeure ne se marque en histoire de l'astronomie d'Aristote à Abélard ; ni aucune de Buridan à Galilée. Tandis que par contre une flexure radicale court de Chartres à Oxford, des platonisants aux terministes (1130-1347), autour du péripatétisme dominicain de Paris, autour de Guerric, Albert, Thomas et de leur naturalisme rationaliste (1240-1270). Clair de soleil.
II.- Clair de terre34
51Il n'y manque pas les reculs de bonne histoire : nous venons de prendre frère Thomas en flagrant délit de recul sur Guerric, non seulement à propos de soleil, mais en recul général sur Albert en astronomie et science profane. Il se contente d'être d'ordinaire très bien renseigné mais se garde au premier chef pour théologie et piété et au second pour histoire des idées et pensers ; mais non pour le développement de la science au sens actuel de ce mot, même s'il en accompagne les balbutiements et principes. Saint armé d'une épistémologie, il en redescend à toute science avec sûreté mais comme on condescend, sans s'attacher. He did just a little better than anyone else… consistent and moderate whole… not the most brilliant and original… but… clearer to a greater number…35 : cette injuste formule ne saurait toucher en matière fondamentale, la théologie où brûlent ses intérêts ; mais combien est-elle juste en matière "scientifique", astronomique par exemple.
A.- En clair ciel :
52La causalité des corps célestes n'est niée par personne aux siècles grecs et scolastiques, pas plus qu'avant dans les profondeurs de l'histoire. Si aujourd'hui elle prête à sourire, c'est par l'effet d'un vulgaire malentendu. Sans croire aux voyantes extralucides, par nous engraissées, nous n'aimons pas tellement faire savoir que le soleil régit la planète à travers les différences politiques en jour, nuit, heures, saisons comme climats. Ce que niait frère Thomas était la magie d'une action artificielle au profit de la virtù naturelle uirtutes naturales… naturalium… ex impressione celestium corporum prouenirent36. Il serait vain de résumer l'immensité d'une œuvre au panorama complet, et expliquant, sur tout savoir et rem scibilem, par ces quelques mots. Car le "ciel" agit par les inférieurs habent influentiam super medios et ultimos37, mais agit en médecine comme en agriculture38. Le mouvement du ciel est la cause des vivants et le corps humain est semblable au ciel ; mais le mouvement du cœur continuera quand s'arrêtera le ciel car si le corps céleste est semblable à l'homme en un sens, l'inverse est vrai dans la finalité, l'intégrité de l'univers39.
53Le jugement des astres se traduisait au 13ème siècle comme au nôtre40. Saint Thomas affirme fréquemment ses raisons de ne pas s'abandonner à de pareilles superstitions, sans écarter le rôle réel, et immense, du soleil, en particulier dans les choses de la vie humaine41. De toutes façons, le sage domine les astres ; ce résumé titre les chapitres de Ptolémée sans en être issu : il date du 13ème siècle et vient d'Albert le grand42 mais délivre l'opinion réelle des antiques sous cette influence stoïcienne dont on sait combien elle a moulé une morale tolérée par le christianisme qui au demeurant n'en a pas, en a plusieurs selon temps, lieux, personnes car il est mystique, souffle, spiratio43. Enfin le 20ème siècle et sa reviviscence des croyances imbéciles démontre combien la mystification du déchristianisme a simplement renforcé les résidus bâtards des paganismes néolithiques. Ces reliquie idolatrie sont seulement devenus plus incohérents sine ratione et arte unde sunt magis uana et supertitlose44. Exact en ce temps d'ailleurs, l'astronomie comme la perspective sont matériellement des sciences plutôt naturelles que mathématiques quoique l'inverse soit vérité formelle : de principe astrologia et perspectiua species mathematice in quantum principla mathematica applicantur ad materiam naturalem45. L'astronomie ainsi prévoit un futur déterminé mais non des événements contingents, et sa prévision est basée sur la fréquence et la causalité : on trouve ici traditionnelle formulation approchée de la méthode dite baconienne des coïncidences constantes46 ; uera possunt predicere et maxime in communi non autem in speciali47 et ideo ut in pluribus uerifican-turque pronuntiantur de actibus humants secundum considerationem celestium corporum sed sapiens dominatur astris48.
54L'intérêt de notre savant théologien pour sinon la science du moins le goût astronomique n'est pas nié. Il expose en passant dans ses raisonnement théologiques les mouvements des planètes comme il les a appris : Saturne, Jupiter, Mars plus tardifs que le soleil apparaissent avant tandis que la lune, alors planète selon la théorie homocentrique, se lève après car plus rapide49. Vénus se lève avant et se couche après Lucifer et Vesper ; comme Mercure, elle est tantôt plus tantôt moins rapide. Jupiter, visible à l'œil nu, gire en 12 ans, Saturne en 30, Vénus et Mercure comme le soleil, et la lune en un mois50. Ces fort correctes approximations d'époque montrent un universitaire extérieur au sujet mais renseigné. On les explique par les changements mal éclaircis entre les deux dimensions, écliptique et équinoxiale, du ciel51. L'éclipsé est traitée par prédilection à cause de tout ce qu'elle implique, de tout ce qu'elle nous apprend52. La résurrection aura lieu comme la création, le soleil à l'est et la lune à l'ouest, comme la transfiguration eut l'éclat du soleil sur la neige tandis que la clarté des corps béatifiques est sept fois, pas moins, supérieure à celle du soleil53. Même si ces formulations sentant leurs néolithiques sont plus abondantes en œuvres de jeunesse on ne saurait s'y cacher que l'intérêt du maître est d'abord théologique.
55D'où le soleil, homologue poétique depuis toujours de Dieu et, chez un maître scolastique, imago le révélant en analogué secondaire54, est-il extrêmement important chez Thomas. Source supérieure et fontaine de toute lumière, il montre des mouvements apparents variables et déformés par notre précession des équinoxes55. Il est réfléchi par les miroirs et sur ces specula les rayons sont des species56 ; mais le rayonnement diffère selon la distance, plus chaud en Ethiopie qu'en Dacie57. Il rayonne en soi éternellement comme tout corps supérieur, d'une autre nature que les inférieurs58. Il tourne, scintille, brille, chauffe et classe les temps ; il arrête les séismes et pompe l'humidité, tirant le sel de la mer et nourrissant la pluie, fait naître enfin les vers par génération spontanée59. Car ce corps supérieur exceptionnel, le plus grand des célestes, est parfaitement naturel comme sa chaleur60. Ceci résout la contradiction que l'on a cru pouvoir lire en un passage : la matière des corps incorruptibles est la même et pas la même que la nôtre. Les commentateurs archaïques, plus intimes à la pensée du maître savaient distinguer d'instinct l'analogie et fr. Petrus a Bergamo auteur du vieil index Tabula aurea61 écrit volontiers oppositum uidetur dicere ; opposé n'est pas contraire et Thomas en effet soutient souvent une proposition et son opposé, en deux sens différents qu'il ne précise pas toujours : l'adultère féminin est plus grave que le masculin en matière d'enfant mais égal au fond62. Quand Thomas se contredit brutalement comme tout le monde, il y a peut-être contradiction pure et simple ; il peut aussi s'agir de jeunesse et variation car un intellectuel soigneux sur 25 ans se corrige. Il peut y avoir aussi mauvaise compréhension. En fait, la matière des corps célestes tels que les croyaient les grecs et scolastiques à leur suite est bien la même que la matière des corps sublunaires corruptibles, au sens aristotélicien de materia prima, hulê virtuelle de tous possibles, materia prima ad quodlibet formam63 ; elle en est cependant différente comme non composée des quatre éléments et ne comportant pas de corruption64 simplicium elementis. Quand Thomas écrit que la matière est la même, il s'agit de la définition grammaticale, de la hulê logique du Lycée ; quand il écrit que ce n'est pas la même, il s'agit de la matière matérielle des corps ordinaires à quatre éléments, en potentia beaucoup moins remota et quasi-immédiate au réel sublunaire. Où est donc passée la contradiction ? Le lecteur était pourtant excellent, mais involontairement habitué à une lecture cartésienne unidimensionnelle, omettant comme sans y penser l'échelonnement analogique de significations plurales dans un même sens. Cette fois-ci en tout cas frère Thomas ne s'est pas contredit.
56Revenons à son incorruptible soleil, plus néolithique que scientifique et presque superstitieux : il a surtout fonction de signe, même quand il se lève plus vite à l'aurore, illusion d'optique prise pour une observation65. Ou quand à la naissance du Christ, on en voit trois d'un coup en Espagne66 sur la foi d'Eusèbe, simple miracle de signe. Mais le signe de l'aurore rapide est celui du Nouveau Testament, de la messe et de Marie qui sont les trois valeurs de l'aurore ; aussi le soleil de la messe de minuit à Noël est-il le plus ardent, car c'est le Christ.
B.- Terre claire :
57Or ce non-savant, simple écho professoral parfois du meilleur de son siècle, affirme tranquillement la sphéricité de la terre comme de tout autre astre et comme eux inanimée, contre tout vitalisme païen67. Tout corps céleste est vu sphérique dès avant Aristote et chez Thomas comme il appert au de Celo et à son commentaire par notre maître68. Boèce et le manuel de Pierre Lombard l'avaient dejà répété69. Pour frère Thomas, les saints du ciel ont le pouvoir de soulever la terre70 qui est donc isolable de l'espace au centre duquel on continue de la placer ; mais elle pourrait être un disque plat. Or, après tout le monde oriental et grec, Thomas affirme nettement sa nature de globe car l'image de la terre en éclipse n'est pas une lentille.
58D'où provient alors cette croyance superstitieuse enracinée et récemment ravivée, exigeant de tout esprit pseudo moderne que la terre soit plate avant 1480 et devenue brusquement ronde alors71 ? Une catégorie a priori de la sensibilité idééliste exige un seuil de pensée à l'orée du 16ème siècle autour du globe de Martin Behaim et de Colon cinglant vers Cipangu. Ce roi est nu, cette idée creuse, car si Cristobal est parti pour avoir lu Pierre d'Ailly et beaucoup d'autres, c'est que le globe était sphérique depuis des millénaires et non pour qu'il le devienne. Il n'y a pas d'automne dans le printemps des hautes aventures du 15ème siècle qui ne fut en rien un âge moyen, mais il y eut un hiver après : l'Europe en difficulté devint esclavagiste.
59La véritable révolution épistémologique fut l'héliocentrisme de Kopernik ; mais ce chanoine polonais ne fait pas l'affaire d'un chaud laïque décidé à minimiser le quattrocento : béni par un pape plus intelligent que ne le fut le pauvre Urbain VIII avec Galileo, Kopernik expose sans fard la régression mentale de 1560-1680. Et son observation, quelconque, est moins importante que sa méthode ; or celle-ci est scolastique, issue de l'université de Krakow où se termine et se parachève en ces belles universités orientales du 15ème siècle, le mouvement du 13ème siècle72. Or la partialité de cette épistémologie a priori ici mise en question est justement, quitte à calomnier, d'affirmer la nullité de cette scolastique dont Kopernik prouve la lente et décisive mutation. Pour prouver un inexprimé, on lui attribue une terre plate qui ne fut ni dans les textes ni dans les esprits.
60On ne saurait s'en tirer en affirmant que la notion de terre est chez Thomas notion vague73. Cette formulation scandaleuse omet le sol même de tout thomisme, l'analogie. Terra est un concept analogique, fonctionnant à diverses signifiances à partir d'un foyer. L'élément terra est le plus grave des quatre et siège au centre du cosmos malgré Pythagore qui y plaçait le feu, ignis non lucet in propria materia… in sua sphera74, à moins que la terre-astre n'enveloppe la terre-élément comme le supposent les séismes voulus par Dieu et qui couvrent au plus 40 jours et 200 milles mais sont causés par des courants de convection uentus intra terram75. D'autres développements seraient à suivre à partir de trepidatio76 ; mais restons sur l'orbis, le globe. L'orbe est d'abord un cercle géométrique qui transcrit le mouvement des sphères célestes, celle du soleil et celle de la lune se recoupent77 ; mais c'est aussi, autre notion d'analogie, cerclée par imagination, une zone de territoire : Thomas percurrit orbem terrarum78, amazones subiu-gauerant asiam i.e. tertiam partem orbis79, Deus prouidit dominium orbis romanis80. Mais c'est aussi le globe même : stelle habent circulos et orbes seu spheras81, euangelium predicatum toto orbe82. Dans ce globe donc se déroulent les terremotus dont la partie apparente n'est qu'un résultat. Dès qu'il sort, le calme initial des vents extérieurs s'inverse, une vapeur empoisonnée isse constamment de la terra (ici élément du globe) par des cavernes-pores, proches de la mer. On peut parier que l'étudiant napolitain a visité les campi flegrei près Poz-zuoli83.
61Bien entendu la terre à labourer et parcourir, la terre nourricière, paysage et patrie, est évoquée chez Thomas châtelain du Lavoro. Inanis et uacua puis ornée de plantes et décorée pulchritudine lucis84, elle est aussi l'image de la patrie céleste pour en marquer la solidité non fluide et illuminée au soleil de Dieu85 car l'homocentrisme "savant" des astrologues coïncide avec un héliocentrisme marqué de mythe. Terra tient quatre raisons d'être habitée : comme patrie par le désir, comme conscience par la discussion, comme Eglise par l'unité de foi et charnellement par les vertus86. Quant à l'astre, immobile au milieu du cosmos malgré Aristarque que reprit Kopernik, il est seul et sphérique. L'astrologue, entendez astronome, le démontre par la sphéricité de l'horizon au moment des éclipses et le naturaliste par la pesanteur motus grauium ad medium c'est-à-dire vers ce centre du globe où Dante et Virgile eurent tant de peine à tourner au poil de Satan ici précipité au plus grave87. Même Newton et Einstein continuent d'être d'accord. Circulus s'emploie pour le halo du soleil et de la lune en air humide comme pour l'iris, arc-en-ciel88 car la lumière du soleil est dans l'air, lux n'étant pas substance mais qualité89. Rotunditas dejà est explicitement un jeu du cercle plat à la sphère qui est son développement en superficie unique90. Cette idée était ancrée et banale depuis un ou deux millénaires. Le commentaire de Thomas sur lob la rappelle à propos d'Arcturus confondu avec la grande Ourse, fort élevée sur notre horizon ; un napolitain professant à Paris commence à constater une différence. Au temps de Dante, un frère occitan de Thomas, Jordan Catala, Prêcheur à Rodez, Toulouse et Avignon avant d'être évêque au bord de l'équateur à la pointe sud de l'Inde91 écrivit : de ista india uidetur tramontana (la polaire) multum bassa (piètre gallicisme) in tantum quod fui in quodam loco quod non apparebat supra terram uel mare nisi per digitos duos. Dante bien entendu implique le globe au centre duquel il voyage avant Ame Saknussen. Plus pédagogue, Thomas avait écrit de la mesure même de ce globe dont les montagnes sont moins que des poils et elle-même masse nulle, comparée aux cieux92 : les anciens donnaient 400.000 stades à l'équateur soit de 60 à 80.000 km selon le stade court ou long (150 à 200 m) ; les modernes affirment 180.000 stades soit de 27 à 36.000 km, ce qui est bien approché et oblige à saisir la perfection du travail des savants juifs et musulmans par dessus les anciens. Le rayon de courbure lu dans une éclipse permettait ainsi de calculer le rayon et le diamètre.
62Grecs et scolastiques toutefois employaient encore le même mot de terra en un quatrième sens, oïkouménê partie habitée du globe, l'hémisphère terrien opposé à l'antipodique marin93. On retrouve en cet hémisphère, terra, élément distinct de l'eau, du feu et de l'air. Il a une longitudo EW et une latitudo NS ; Dante précise du Gange au Maroc sous Séville94 ; mais il suffira de traverser cet hémisphère marin en bateau pour faire le tour de cette rotunditas et Dante a déjà fait partir les frères Vivaldi95 sous le nom d'Ulysse. Avec le sens analogique d'environ quatre significations, terra est un réseau clair. Au 17ème siècle toujours, il est plus spectaculaire et inquiétant de passer la ligne équinoxiale que la non-devinée ligne de partage des dates : l'hémisphère marin n'est pas encore pacifique comme dans le réel, mais austral comme le bleu "des-mers-du-sud". On nous a joués en voulant fonder une mutation épistémologique à la fin du 15ème siècle et gommer les opinions précédentes et cela procède d'une intention idéologique, l'idéologie périmée d'un inexact capitalisme petit-bourgeois. Clair de Terre !
III.- Clair de lune
A.- Dante :
63Dante et Thomas, Diane et Marie forment des doubles dont nous avons un usage plus ou moins aisé, mais lunatique car on voit où la lune s'en mêle. Pendant quelques lunes et quelques lustres, chacun le sait, les générations qui suivirent l'apogée de la scolastique furent marquées par son plus grand génie italo-parisien, Thomas d'Aquin. Non pas que ses collègues l'aient compris ou suivi, mais les disputes s'organisent autour de lui et l'on est désormais thomiste ou pas jusqu'au 18ème siècle. Sans être réellement renseignés sur les options thomasiques, les universitaires se disputent et les prédicateurs et auditeurs s'encadrent dans des positions ad mentem diui thome dont la valeur douteuse encombrait encore le début du présent siècle. Seul Thomas et l'écrit thomasique sont réellement thomistes comme seul le Christ est parfait chrétien ; mais le phénomène social déborde la netteté intellectuelle. Dante thomiste…
64Les poètes italiens en effet n'échappèrent pas à cette attraction dont on sait qu'elle est proportionnelle à la masse et n'était pas de négligeable masse le fra prof essore qui privilégie les gens de constitution pinguis96. Masse unique au firmament des intellectuels que son intellection de l'univers et captant toute pensée à proximité, même à proximité temporelle. L'axe tressé des mains de Thomas dans l'histoire des systèmes conceptuels en occupe le milieu et personne ne saurait lui échapper. Dante ne lui échappa certes pas : le patriotisme italien ne permettait guère à un gibelino éploré d'omettre le plus gibelin des guelfes, ce compatriote humaniste qui avait marqué toute l'Europe et depuis Paris dominé tout autre maître97. Dante, très homme de son temps manifeste une admiration quasi-totale sans s'abandonner à une répétition d'opinions. Les siècles de la disputatio scolastique ne comportaient pas ce psittacisme petit bourgeois à la Voltaire où tout le monde formé au bon ton et au chic à l'anglaise ne saurait exprimer que l'opinion de tout le monde en n'en ayant aucune, car cela dérogerait.
65Très astronome98, Dante fait apparaître le soleil et les étoiles plus souvent que leurs levers et couchers, car son poème a pour sujet justement une vision cosmique, et son "banquet" aussi. Sa lune apparaît sept fois en enfer où règne sa lumière empruntée ; à croire qu'il a fait exprès ce calcul raffiné, spécieux et sacral99 ; elle n'est que six fois au Purgatorio tandis que l'on monte vers elle et ce chiffre de l'incomplétude convient à un lieu de transit100. Comme au Paradiso on passe tout un temps sur son ciel même, celui du plus petit cercle101, on ne s'étonnera pas de l'y lire une dizaine de fois ; mais tout le chant 2 décrit l'arrivée en cette perle éternelle et les trois occurrences se réduisent donc à une globale ce qui fait 7. Car, de même, le chant 29 à deux occurrences n'est qu'un. En conclusion102 la lune rencontre la passion du Christ et toute sa dimension cosmique et mystique. Son éclipse s'étend, le vendredi-saint des Indes aux Espagnes soit à tout l'oïkouménê et Dante, bon "thomiste" se refuse à un mouvement miraculeux de rétrogradation pour éclipser le soleil et donner les ténèbres103, même si frère Thomas l'a soutenu. En bon péripatéticien, il préfère maintenir la mécanique rationnelle du mouvement et traite d'insane l'opinion inverse ; il écrit même menteur, il ne s'agit pas de Thomas mais du narrateur Denys. Thomas qui avait cru ce Denys important et témoin oculaire, précisait en fait la même attitude en déclarant per miraculum a Christo factum non est peruersus ordo temporum104. Ce long passage six fois plus long que tout autre riposte est repris du commentaire sur Matthieu et appartient visiblement aux fiches du jeune bachelier biblique. Réginald aurait-il repris sans procès une vieille fiche ? Dante en tout cas est plus rationnel que le maître.
66La lune de Dante est d'ailleurs à toutes fins utiles car elle sert à mesurer le temps comme à introduire, ésotérisme, géomantique, astrologique ou alchimique105 ; elle est humaniste Delia, Diana, Triuia, jumelle d'Apollon, naît à Delos de Latona. Elle règne sur les enfers en lumière froide, simple renvoi illustrant la peine du dam, privation de soleil106. Elle est sciences naturelles et produit en air humide un halo107 qui jouxte l'arc de son frère le soleil et règle les marées, idée alors discutée mais présente aussi chez l'Aquinate108. Mais elle est surtout objet littéraire et verbal qui à propos de son coucher astronomique parle d'aller au lit109. Elle possède une face cachée parfaitement resplendissante et qu'avant les cosmonautes, Dante avait vue plus claire que le côté visible. Ces taches que le vulgaire interprète comme Caïn chargé d'un fagot d'épines110 ne sont pas dues à une répartition inégale de la matière, le rare et le dense, mais à la vertu propre du corps céleste111. Cette bonne occasion de contredire le texte thomasique est développée à souhait, comme divergeaient alors tranquillement les professeurs et étudiants car copier n'était pas praxis scolastique. Ce chant 2, véritable questio disputata exprime cependant la compénétration sans fusion de deux étendues en un même lieu, la perle éternelle nous reçut en elle comme l'eau reçoit un rayon de lumière sans s'ouvrir. Vision traditionnelle des théologiens de la lumière depuis au moins le 12ème siècle, récurrences platonisantes de type dionysien sur l'Incarnation où le Christ pénétra et traversa sa mère vierge sans la briser comme le soleil pénètre la verrière sans la déflorer. La speculatio de frère Thomas sur l'Eucharistie prolonge cette poésie avec une technique logique encore plus raffinée112. Le poète toscan peut s'opposer quand il veut au théologien méridional mais il lui emprunte les entrelacs de la double présence circonscriptive et définitive que les pseudomodemes ignorent ; leur unité de pensée demeure une structure sûre. Même si le poète est davantage mythologiste, les deux pratiquent l'umanesimo christianisé.
67Les deux luminaires bibliques, yeux du ciel jumeaux de Latona113 se placent aisément parmi les étoiles et tous leurs rapports ésotériques sont évoqués avec pierreries, diamant, perle, saphir114. Mais la lune court sa course propre, fort complexe. Le mouvement diurne irrégulier est conforme au sens du soleil mais l'autre se déroule en sens inverse115. Motus naturalis tardior in principio uelocior in fine est l'inverse du mouvement violent116. Ni le poète ni le professeur ne se risquent à préciser ce qu'ils savent des éclipses et évitent prudemment ce que divers orientaux avaient découvert. Dante préfère rappeler ce que tout le monde sait, l'effet défavorable de la lune reine de l'Enfer117. Ce jeu sur plusieurs options montre combien la perle éternelle n'est pas le même mythe que l'astre alchimique de l'argent118 ou celui de Circé et Diane la froide119. Au vrai luna, en rébus à la chinoise, signifie ce que l'on veut exprimer : une fois l'astre du calendrier et dont les astrologi étudient la course120 ; une autre fois le mythe maléfique de la lumière empruntée et même la déesse de la luxure et de l'enfer121. Relents de millénarisme joachimite à donner ainsi le temps et l'au-delà ? Naturelle, l'hypothèse n'est pas contraignante même si un gibelin franciscanisant au début du 14ème siècle en est marqué. En réalité l'ambivalence est un jeu permanent au siècle de la dialectique. Les sources arabes de la Commedia122 n'empêchent pas Mahomet d'être torturé en enfer. Il faudra encore quelque temps pour que les historiens du 21ème siècle se départissent de notre naïveté idééliste, de cet individualisme rationalisé par le capitalisme cartésien et distillé en monisme séparatiste d'une analyse d'éléments isolés. La scolastique pratique à l'inverse le goût synthétique du vivant complet, l'enfilade du sens pluriel et la dialectique de l'échelle de Jacob où ni barreau ni montant ne comptent mais le passage ascendant à la vision du monde supérieure à toute philosophie. Comme dans le réel, les notions et leurs inverses forment des réseaux de familles complexes à n dimensions et on ne divise aucune difficulté.
68Jeu gothique de minces croisements légers et solides porteurs de voûtes savantes et décoratives, la scolastique courtoise est un tournoi permanent plus mince et plus solide que tout autre procédé et ce jeu-parti permet de surplomber non pas des concepts ou des lectures mais tout le champ des objets et visions. Foin de l'individualisation décadente des choses ou des hommes considérés isolément en eux-mêmes, la haute époque considérait le monde comme elle le vivait, en communion. Vénus ou Mercure ? Vénus et/ou Mercure en groupe123 avec Jupiter et Chronos et tout être avec son autre, désaliéné de toute altérité par le jeu de l'accompagnement, le souci de l'assemblage et la joie de la maintenance. Pour un décadent, être s'est se protéger, se couper ; pour un européen (11ème-15ème siècle) être est devenir avec. La poésie cosmique de Dante et l'analogie minutieusement structurée de Thomas pratiquent le même jeu. Devenir quoi, avec qui ? Beatrice mène à Dieu. La luna infernale de Dante est seulement imago non definitiua, jalon et non terme de terministe, barreau et non sommet de la scala, de la scola. Pélériner sa vie, apprendre en cette école fait gravir de la luna mauvaise à la neutre, objet astral et de la luna milieu on passe à la luna prospection d'un idéal non idéél mais idéologiquement promis et vécu.
B.- Thomas :
69On parvient ainsi chez Dante comme chez Thomas et beaucoup d'autres à des séries de séries, à un réseau de significations aux lignes fleuronnées comme une arête gothique mais dont le sens axial est un fil d'Ariane jamais masqué, jamais perdu. Lune ou Islam d'Enfer, lune ou Islam de terre ou d'ailleurs, lune ou Islam de méditation jaillissent loin de toute morale et de tous nos comportements permisso-répressifs entrechoqués et permettent d'apercevoir une totalité d'avers et revers, une réunion de toutes les imagines en un seul intuitus. Le réel l'emporte sur la représentation. Où est alors la flèche de ces cheminements, dans la Commedia comme dans la Summa ? Il y a longtemps qu'on sait en effet la Commedia comme une Summa poétique et la Summa comme une poésie théologique rigoureuse. Leur commun cheminement est d'ailleurs proclamé in textu et cependant éclatant in re : la si poétique vertu théologale de Foi. Leur commune visée est Dieu sous sa personne incarnée, Jésus de Nazareth car non seulement rien n'est inhumain dans cette conception mais en cet humanisme tout est homme, fils de l'homme. Et pour que cela soit plus humain c'est la femme dans sa double, et une fois compatible, perfection de vierge et de mère qui constitue la voie concrète de cette vérité de vie.
70Quivi e la rosa in chiel verbo divino carne si fece124 désigne bien la pointe de la flèche et la visée avec le rôle inattendu et grandiose de saint Bernard comme chantre de Marie aux derniers chants du paradiso. Toute pierre précieuse est cette rose qui tout illumine onde si coronava il bel zaffiro del quale il ciel piu chiaro s'inzaffira125. Saint Thomas n'a pas, car souvent fama varie, la réputation d'un chaud partisan de sainte Marie. Il ne fut en effet pas un puéril mariolâtre comme divers saints littéraires des siècles postérieurs où chacun cherche à renchérir sur lui. Si l'expression exacte n'était pas ridiculement lourde, il faudrait écrire qu'il est le meilleur mariodule126 et sûrement comme souvent le théologien adéquat qu'aucun sentimentalisme baroco-tridentin ne saurait gommer. Le plus grand charisme accordé par Dieu à son Eglise depuis les temps apostoliques127, nomme directement 250 fois Maria en ses écrits et plus de 60 fois en liaison avec Deus et Christus et ces passages sont les plus vibrants de poésie retenue et d'intimité mystique. Sic Maria claritate uirtutis altissimi obumbrata. Beata uirgo mater Dei ex familiari instinctu Spiritus Sancti128. Superior erat angelis… assueta esset uisionibus angelorum129. La plus parfaite de toutes les étoiles à côté du soleil qui est le signe du Christ c'est maris Stella130 qui meruit ex gratia… esse mater Dei131.
71Ces pages délicieuses que la fermeté scolaire de la scolastique rend si denses sont en fait la plus parfaite théologie de la Vierge-Mère comme vitraux et sculptures, enluminures et festivités des 12ème et 13ème siècles en sont la plus parfaite iconographie. Ces représentations sont les seules qui nous fassent vibrer mais n'en-sont pas moins la plus parfaite iconologie, elles signifient la vérité théologique. Thomas s'est défendu du populisme mariomane dont la vague naïve retombait sous ses yeux en laxismes divers, facilités irresponsables et fabliaux blasphématoires. Stella, gemma et petra132, comme chez son collègue Bonaventure, sont chez lui l'image vétéro-scripturaire même de sainte Marie. Comme chez Bernard, comme chez Dante. Mais le professeur ne perd pas de temps à écrire de la littérature comme ces trois amis avec qui il parle maintenant au paradis. Ses cours oraux sûrement, ses prières personnelles plus ou moins conservées, laissent à entendre son sentiment de Dieu et la summa où il s'implique le fait affleurer ; mais il faut savoir lire, co-naître et vibrer avec lui. Or sa vibration majeure est avec l'Eucharistie133, le Christ historique et la mater Dei, super angelos exaltata134 et gratia plena super omnes post Christum135. Le plan de la summa136 en fait foi : après Dieu et la société, prima et secunda partes, la tertia pars introduit l'application du salut par une étude du Christ qui est une vie de Jésus. Marie y occupe stratégiquement quatre questions au milieu avec un appel et un rappel ; comme l'Eucharistie prend en pendant onze questions au milieu de la vie sacramentaire de l'Eglise dans la seconde moitié qui aurait pu être le cœur de la tertia pars137. Avec d'autres citations et occurrences, ces péricopes thomasiques de sainte Marie pourraient être le viatique à emmener sur l'île déserte du naufrage car d'inférences en implicites, elles permettent de reconstruire l'univers. Le cosmos y est avec ses étoiles, maris Stella138. L'univers de l'évolution aussi jusqu'aux lignages humains ex utero139 car Marie est l'assomption de toute l'histoire par sa cime plenitudo gratie inchoauit in ea140. L'univers intime enfin de toute spiritualité se situe là et Marie est ce point de toute perfection où fleurit Dieu uere mater Dei141 ; caro christi floruit et refloruit142,flos de radice Iesse143.
72Le logicien armé de la grammaire du Lycée reprend ses droits au cœur même de toute contemplation comme s'il se moquait d'avance de tous les littéraires postérieurs, idéosophes et non philosophes en précisant que mère de Dieu n'est pas mère de divinité ni de déité144 et que astare ad dextris n'est pas sedere ad dextram réservé au Christ145 et acte propre de son Fils. Le thème du couronnement des cathédrales de Laon ou Reims qui encadrent de leurs réalisations, les dates de la vie de maître Thomas, est en réalité réservé dans son texte. Beata Maria porte aureola perfectissima146. Mais il n'y a pas de traité de ecclesia chez Thomas et dès le 17ème siècle, après le silence de Trente, la "mariologie" constitue un traité séparé, sans rapport avec le reste du corps théologique. Le séparationisme est la manie de ces temps. Chez Thomas, tout est immergé et Marie est au cœur de son système, sans traité particulier, comme l'Eglise, comme le temps sans aucun de tempore. Naturellement les esprits récents et actuels, qui courent du terminisme à l'individualisme et de l'idéélisme au capitalisme, d'Ockam à nos jours, ne peuvent même plus saisir la vérité multiple, habitués qu'ils sont par erreurs systématisées à chercher du côté de l'unitarisme simplet. Les théologastres se sont pendant sept siècles gaussés de Thomas dont l'autorité les néantisait, pour un article de la summa tel qu'ils le lisaient beata uirgo non fuit sanctificata ante sed post eius animationem147. La doctrine de l'Eglise, peut-être dès Anselme formulée et définie par Pie IX, est différente en effet. Mais nul n'est erroné avant la proclamation ecclésiale issue du pouvoir papal des clés148 comme Thomas le fait judicieusement remarquer en bon théologien, lui, à propos des textes de Lombard et Gratien avant la détermination d'Innocent III qu'il ne suffit pas de se confesser à Dieu seul. De même malgré les sentimentalismes d'un certain 14ème siècle en langage bernardo-minorite et cicéronien, Thomas n'a rien d'un hérétique sept siècles avant une définition que son texte n'épouse pas exactement. Car sa logique est au fait la seule qui puisse exprimer cette définition postérieure affirmant un fait théologal d'histoire intime de l'humanité dans une langue remarquablement neutre. L'Immaculée Conception n'est nullement conforme au langage des adversaires du thomisme ni à celui des adversaires de Thomas aux environs de son temps. Ils disputèrent de ante et post. C'est là que Thomas, illogique à lui-même formule une évidente et minime erreur, choisissant post ; l'erreur de ses adversaires à choisir ante est de même taille et la phrase de 1854 n'est nullement leur victoire. C'est in conceptu que Marie fut exclue du péché de notre origine, que cette boue s'écarta miraculeu-sement d'elle, la seule des humains avec son Fils à être hors enlisement. Seul le langage péripatéticien de Thomas, seule la langue Thomasique permet d'exprimer absolument la philosophie de cette vérité : in instanti, dans un temps nul, dans le nunc même de sa procréation.
73Trop "historien", trop intéressé par le mouvement dans le temps, par le temps, par le progrès d'un devenir, le texte thomasique dépare à cet endroit : Maria fuit bis sanctificata in utero matris et quando concepit Christum149 ; prius fuit secundum carnem concepta et postea secundum spiritum sanctificata. Certains franciscains avec leur pluralité successive des formes dans la gestation de l'homme avaient facilement des formules aujourd'hui apparemment satisfaisantes mais logiquement bien plus éloignées du vrai. Si Thomas avait été plus logicien et moins abandonné au goût du fieri, il eût écrit in instanti cette préservation miraculeuse donnée gracieusement en un temps nul. Son "erreur" est diamétrale de celle de ses adversaires qui triomphent à faux car leur ante est inexact ; elle est minime ; elle n'est même pas vraiment "thomiste". Cet ultrathomisme est un goût du mouvement qui déboute ceux qui prirent pour un fixiste ce fondateur de l'histoire150. Loin d'une andouille dévote d'imagerie, ce jeune homme brûlant et hardi pécha parfois par enthousiasme et Virtù ; ici par excès d'histoire contre ceux qui s'obstinent à en manquer.
Conclusion
74La science astronomique sous divers noms et aspects date des grands anthropoïdes qui guidaient leurs migrations, et voyages, sur soleil lune et étoiles. Il est vain de commencer tard sa longue histoire ; mieux vaut en chercher les ressauts principaux et le temps des zodiaques de cathédrales en est un.
75Un premier moment clé nous est accessible dans les grandes civilisations céréalières qui aboutissent aux synthèses chinoises, chaldéennes et maya, sans compter ce que l'écriture ne nous a pas transmis. En méditerranée, des égyptiens et sumériens aux gréco-romains tardifs et jusqu'à Raban Maur, peu de ruptures réelles sont sensibles au mouvement magico-expérimental de cette science. Les continuités l'emportent. La discontinuité se fait sentir chez les savants musulmans et juifs qui renouvellent observation, calcul et réflexion et amorcent critique et systématisation. Quand naît la première civilisation nonantique, l'Europe qui renouvelle tout d'un coup à la fin de l'onzième siècle, cette recherche scientifique et sa théorisation ne sont pas les bénéficiaires immédiats les plus éclatants de la surrection ; même les intellectuels comme les chartrains n'exercent en fait rien d'autre qu'une poussée multiplicative des visions traditionnelles. L'Europe naissante était occupée à d'autres multiplications, par cinq probablement en trois ou quatre générations, de la production et de la population. La mutation sociale du serf domanial à l'artisan urbain et du vassal au bourgeois, en même temps que la novation politique, fut sa seconde réalisation : prise en commun de Jérusalem à plus d'un mois de distance et à un an de marche, naissance des flottes et de la società comme de l'Etat avec Venezia, Pisa, Guillaume le Conquérant, Roger II de Sicile, Henri II et Suger. Dans la connaissance même, l'université naquit d'abord puis se porta ensuite sur l'enseignement lui-même des trois et quatre arts pour les débutants qui affluaient en foule ; enfin sur la science politique, les Droits et la théologie, les visées et la vision. L'épiphanie des étoiles attendit quelque temps, la difficulté du sujet l'explique : il est plus facile de connaître un peu de Justinien par les mots que le mouvement de Saturne par calcul et observation. Chartres et les Espagnes romanes ont d'abord multiplié la science en son état, la construction réflexive suivit cette réflexion constructive des traducteurs juifs ibériques. Ce premier âge décombrait les fatras de tous les passés pour ouvrir la route au second qui débute. Les premiers quodlibeta des premiers péripatéticiens dominicains, maîtres à l'université de Paris, sont la zone où apparaît l'aurore de cette modernité, où l'obscure clarté tombe de nos étoiles que le soleil levant fait lentement pâlir.
76L'univers tourne à diverses régularités complexes et composées, son déchiffrement commence à peine. Mais la face du monde humain qui n'avait guère changé depuis les grands néolithiques a vu renouveler la lecture du cosmos comme du reste entre Canossa et la grand'peste (1077-1347). La production, la société, la politique ont changé d'abord et dans cet ordre connu de K. Marx. Mais l'idéologie nouvelle a mis plus de temps. Les questions difficiles requièrent à l'évidence longue recherche, universitaire et pratique ; c'est seulement entre 1240 et 1320, non sans pittoresques repentirs et erreurs, que la nouvelle problématique se balbutie. Avant étoiles fixes, sphères étagées, de quatre à 56, les sept planètes dont la lune et le soleil et le jugement des astres avaient subi dans la tête des penseurs de menus progrès toujours cadrés dans les géniales magies néolithiques, dans cette pensée sauvage dont la pensée cultivée, rationnelle, n'est qu'un avatar. A ce nouveau moment, université inventée pour la première fois dans l'histoire, on garde assez de sens du sort et de la magie pour deviner notre problématique du calcul d'aléa ; mais on inscrit dejà d'avance la ratio dans l'équilibre des doutes, aube de toute modernité. Le 12ème siècle avait inventé un nouveau monde, le 15ème le découvrit après deux siècles de tâtonnements divers en pestes et guerres. La scolastique du 13ème en avait d'avance dejà dosé la taxinomie et l'épistémologie. Colomb n'est pas parti pour que la terre soit ronde mais parce qu'elle l'était depuis des millénaires. Thomas et Dante le savaient et l'écrivirent, comme Guerric devina qu'on pouvait faire tourner le soleil sans plus déranger les anges. Le calcul rationnel de forces naturelles gagna alors lentement jusqu'à la terre elle-même et Kopernik dans la même veine la força bientôt à tourner réalistement autour du soleil et la lune autour d'elle. Notre siècle observateur et universitaire n'a fait que poursuivre ce regard et ce calcul pour faire tourner toutes les étoiles et galaxies depuis leur commune et initiale explosion.
Merveilleuse structure au vertige ordonné
Scruté de l'intérieur, formidable train d'ondes
Dont l'obscure clarté par cet ordre des mondes
Chante toujours sa gloire à qui les a créés
Ps 18, 2.
Annexe
ABREVIATIONS
A Atti del Congresso internaz. Tomasso dAquino, Roma 1974.
CG Contra Gentiles
EU Encyclopaedia universalis
I Dante, Commedia, Inferno
Litt Th. Litt, Corps célestes en St Thomas, Leuven 1963
P M.M. Dufeil, Guillaume de St Amour et la polémique universitaire parisienne (1252-59), Picard 1972.
Pa, Par Dante, Commedia, Paradiso
Pu, Pur id., Purgatorio
S St Thomas, Commentaire des Sentences de P. Lombard
// renvois, occurrences, passages parallèles
Notes de bas de page
1 Le Cid, vers 1273.
2 Quevedo.
3 Natiuitas Christi ostensa per stellam 3a 36 a 5 ad 4, 8 ad 3.
4 Lynn Thorndike, Hist. of magic and experimental science 1923, 2.
5 Trésors d'Irlande, 24 (Catal. Expo Grd Palais 82-83).
6 Bamberg, Diozesan Museum, J. Taralon, An Mil, Univ. Formes, 270, p. 269. Cf. même colloque, J.Paul.
7 P. Glorieux, Répertoire Maîtres en Théologie Paris 13ème siècle ; Vrin, I, 54-58 n° 4. P, index, surt. 70 n. 236.
8 P. Glorieux, Littérature quodlibétique, Vrin 1935, 2, 108 : quodlibet 3,10 = ms Vat. Lat. 4245 P64.
9 Uidetur = il semble, s'interprète : à tort ; quod sic signifie donc Non. Quand on écrit uidetur quod non ; il semble que non, on veut donner son accord au libellé, oui à la questio.
10 Peri Ouranou II, 4, 7, 8, 12, 14… 287 b 5-10, 289 a, 290 b, 293 a, 5-10, 297 a 1 etc.
11 Thomas d'Aquin 9 renvois ; 2 S 10 a 2, 14 a 3… Dante écrit : Paradiso 2, 127-29, cf. Inferno 7, 73-76 :
lo moto e la virtù de'santi giri
come dal fabbro l'arte del martello
da beati motor convien che spiri
Thomas, Responsiones au lectorem uenetum et au maître Jean de Verceil, les premiers articles : anges meuvent astres. Donc on s'interrogeait vers 1260-70. mediantibus angelis… 42, 321-29.
12 CG 3, 2 2 ; 1a 70 1 3 ad 3, a 5.
13 1a 115 a 3 ad 4 + 29//.
14 uoluntarius la 70 a 3 ad 4 + 17//.
15 Litt 155, 204, 211.
16 2a 2e 47 a 5 ad 2 et 58 a 6.
17 1a 83 a 1 ad 5. CG 3, 84 à 94.
18 Causa per accidens la 114 a 3 + 150 //.
19 Circa intellectum corpora celestia causa esse non possunt 7 fois formule quasi-identique in CG 3, 84.
20 1a 70 a 3 ad 4 + 4 //.
21 1a 51 a 3 ad 3.
22 Iob 38 1. 3 mil. Dion 4, 3. Celo 2, 14. Anima 2, 14 sonus in celo = tonnerre ; soit au firmament pas aux galaxies.
23 M. D. Chenu, Dernier avatar, Mel. Pelzer, 159-82. P, 29, 72 (264).
24 P, 219.
25 1a 70 a 3 fin. Cf. supra n. 11 premières formulations.
26 Litt 358, 352.
27 Litt 361 sv ; 398.
28 Ex aequo : Litt 361. Aristote, luminaria fixa in sferis oppositum Ptolomeus 1a 70 a 1 ad 3. Firmamentum a deo creatum i.e. stellatum est suprema sphera secundum Aristotelem non autem secundum astrologos modernos la 68 a 1-2-3, 71 + 14 //.
29 A. Birkenmayer, Studia Coperniaca, 568 sv, 654-58, 661-678 T. Veres, Th. d'Aq. précurseur de Copernic ? A 9, 247-53 et tt le 9. la 2e 102 a 4 ad 6 + 66 // sur mouvements et rétrogrades.
30 1a 70 a 1 ad 3. Meta 12, 16. Celo 2, 18 470 et c. 8. Litt 355.
31 Litt 365.
32 2a 2e 147 a 7.
33 3a 46 a 9 ad 3 + 7 //.
34 Titre emprunté à André Breton.
35 Lynn Thorndyke, Hist. magic and experimental science, 597-98.
36 1a 70 a 2 ad 4. Pot 5 a 1 ad 8. 2a 2e 96 a 2 ad 2 etc.
37 1a 66 a 3 + 4 //. Litt 230-41 seule prédiction astrale de Th.
38 Pot 6 a 3. Trin 17, 3. 2 S 2 q 2 a 3, a 4. CG 3, 84. La 66 a 3. Quodl 6, 9. Phys 4, 8 fin.
39 De motu cordis ad Philippum, Vivès 27, 507-511.
40 J.C. Pecker, Astrologie et science, Rech. Scient. 140 (J 83) 118-28 iudiciis astrorum ad fr. Reginald, Vivès 27, 449. Litt 231-34.
41 1a 70 a 2 ad 4. 2a 2e 96 a 2 ad 4.
42 Ed. Borgnet 27, 276. Litt 207 n 3.
43 1a 36 a 3 ad 1-2 + 22 //. 19 ii 2 instinctu sancti Spiritus… dignior est (lege). Cf. ubi ult spirat Io 3,8.
44 2a 2e 96 a 3 fin corp.
45 1a 2e 35 a 7-8. 2a 2e 9 a 2 ad 3. Trun 19, 5. Cf. musique Meta 4, 2.
46 1a 115 a 4 ad 3 + 13 //.
47 Ibid.
48 Cf. supra n. 42. 1a 2e 9 a 5 ad 3.
49 Iob 38, 2 début.
50 Ibid. fin. Litt 301-304 ; 323-35 surt 328-32.
51 Litt 224-28 et renvoie afférents. 1 S 22 a 3. la 67 a 3 + 7 //. 70 a 1 ad 2 + 3 //. Précessions équinoxes Pot 6, 6 ad. 9. Litt 296, 323 sv.
52 1a 1 a 1 ad 2.
53 4 S 43 q 3 a 4 ; 44 q 2 a 4 qua 2 ad 2 + 5 //. 3a 45 a 2 ad 3.
54 1a 1 a 1 ; 90 a 1 etc. Cf. Dante, Pur 3, 16-17 ; 4, 119 ; 16, 107, Par 1, 47 ; 5, 87 ; 23, 113-14. Conv 2 iii 15.
55 Litt 296-99, 321.
56 M.M. Dufeil, Speculatio, IRIS 1982.
57 1a 115 a 6 ad 2.
58 2a 2e 47 a 5 ad 2 ; 58 a 6.
59 1a 115 a 6 ad 2. 2 S 1 q 1 a 5 ad 15 ; 4 S 44 q 2 a 2 qua 4 ad 3. Dio 4, 3. Uer 27, 7. Ps 17 déb ; 21 déb. Quodl 3, 30.
60 160 fois la terre : Celo 2 fin.
61 Ed phototypica ed. Paulinae Roma 1960.
62 4 S 35 q 4.
63 CG 3, 23 fin. Litt 86 sv. la 9, 3 ; 55, 2 ; 66, 1 ad 5, a 2. 69 2 1.
64 Rat. Fidei ad cant. Antiochenum, 9 + 5 //. Nat. acc. 14-15 + 40 //.
65 Iob 38, 1. 1a 2e 103, 3 ad 4.
66 3a 31, 3 ad 4.
67 Celo 2,18. Globe impérial § Grdes Heures de Rohan ms BN (1419).
68 Peri ouranoû, 2, 2. Celo 2, 1. 5-6-13-16.
69 2 gent 14. P. Mandonnet, Rev. Thomiste, 1 (1893), 46-64 + 200-21.
70 Uerit 4 a 4 ad 12.
71 A. Salacrou, La terre est ronde. W.G.R. Randles, de la terre plate au globe terrestre, mutation épistémologique rapide, cah. Annales 38.
72 EU 4, 998-1000. Cf. supra n. 29.
73 Litt 291. 1 a 69 a 1 ad 5.
74 1a 66 a 1 ad 5.
75 Ps 17 début.
76 Litt 310 n. 12.
77 Celo 2, 13.
78 Io 11 3 fin.
79 De rege 4, 5.
80 Ibid. 3, 4-5-6-7 ; 4, 7-15-17 etc.
81 Celo 2, 13 début.
82 1a 2e 106 a 4 ad 4.
83 Ps 17.
84 1a 66 a 1 etc.
85 Cf. sup. n. 54. Ps 36 début.
86 Ibid. Ps 36.
87 Inferno 34, 110 ; Pur 2, 1 sv.
88 Quodl 3, 30 a 2. q 14 a 1. a 2 ad 3. Ps 7 fin. Ps 43 déb, 3.
89 Uerit 9, 1 ad 7. Celo 2, 14 mil. la 67 a 3 + 8 //. Purg. 29.
90 Celo 2, 5.
91 M.M. Dufeil, Mirabilia descripta, Cahiers Fanjeaux 16 (1980). éd. Coquebert de Montbret, Rec. Soc. Géogr. Paris 1839, p. 52.
92 Celo 2, 27 mil. et fin. Dante, Convivio 4 VIII 7.
93 aliqua pars terre discopperta la 69 a 1 ad 4, ad 5.
94 Inferno 20, 124 ; 29 etc. Pur 27.
95 P. Chaunu, L'expansion européenne 13-15ème siècle, 93. Inferno, 26.
96 1a 119 a 2.
97 Par, 10. Gibelinisme de Thomas : M.M. Dufeil, de antiquitate secundum Thomam, colloque Antiquités, Amiens 1981.
98 Moore, L'astronomia di Dante. Ascrocca Il sistema dantesco dei cieli e le loro influenza, Napoli 1895. Thorndike, 2 et 3.
99 2, 78 ; 10, 79 ; 15, 18 ; 20, 124 ; 26, 130 ; 29, 10 ; 33, 25.
100 10 14 ; 18, 76 ; 19, 2 ; 20, 130 ; 23 120 ; 29, 78.
101 Déjà nommé Inf 2, 78. Pur 2, 25, 30-34, 49-51, 95-96.
102 Par 5, 87 ; 10, 67-69 ; 16, 82-84 ; 23, 139-41 ; 28, 14-25. 29, 1-3.
103 Par 29, 97-102 ; cf. 3a 44 a 2 ad 2. Isa 385 Ezechias id. le soleil rebrousse chemin.
104 3a 44 a 2 ad 2 premiers mots.
105 Pur 2 et début 19. Cf. Pu 18 et Par 29. Thorndike 3, 18, 257, 394.
106 Pu 18, 19, 20, 23 ; Pa 22, 23, 29. Surtout I 15 et Pu 19.
107 Pa 10, 28 et Quodl. 3, 30 a 2.
108 Pa 16. 1a 105 a 6 ad 1 + 20 //. Litt 233 n. 11 2a 2e 2 a 3.
109 Pu 10, 13. Pa 2.
110 Pa 2, 51 cf. I 20, 126.
111 Pa 2, 145. Contre Convivio 2 xiii 9 et xiv-xv. Celo 2, 15.
112 1a 67 a 2. Suppl 83, 3 + 30 //. locus non est spatium.
113 Pu 20, 132 ; 23, 120. Pa 10, 67 ; 22,139 ; 29, 1. Gen 1, 14-16 + 15//.
114 Thorndike 4 : 3-64, 113, 128 etc. Pa 2 et 23.
115 Pu 10, 14 ; 18. Pa 29, 97.
116 1a 2e 35 a 6 + 18 //. Pa 29 etc. éclipse.
117 Enf 10, 80 ; 15, 19. Pu 19 etc.
118 Grde Encycl. 22, 765.
119 Par 27, 137-38. Pu 19, 19.
120 I 10, 26 ; 33 ? 25-26.
121 L 10, 80. Pu 19, 7.
122 I, 28, 31 sv. Asin Palacios, Escatologia musulmana en la divina commedia, Madrid 1919. Cl. Sanchez-Albornoz, Islam de Espana, escatologia musul…, 214-224, Coleccion austral n°1560.
123 Iob 38, 2. Celo 2, 12. Pot 6, 6 ad 9. 2a 2e 55 a 8 ad 1 + 15 //. Pa 4, 63 ; 5, 93 ; 6, 112 ; 22,144. Conv. 2 xiii etc. Litt 234-36 et 301-304 (7 jours et 7 planètes etc.).
124 Pa 23, 73.
125 Pa 23, 101.
126 3a 25 a 6 non dulia sed hyperdulia ad 2 propter filium adoranda.
127 J. Maritain.
128 3a 28 a 3 ad 3 ; 29 a 1 ad 1.
129 3a 30 a 2 ad 1 ; a 3 ad 3 fin.
130 Matth l, 4 mil.
131 3a 2 a 11 ad 3.
132 Isa 16 mil. Ps 18 déb. 4 S 30 q 2 a 1 qua 1 ad 1.
133 magis inflammatur affectus… profundius animo 3 a 73 a 5.
134 3a 35 a 3.
135 3a 7 a 10 ad 1.
136 M. D. Chenu, Le plan de la Somme, Revue Thomiste.
137 Interrompue à q 90 et dotée par fr. Reginaldo d'un suppl. de 99 q reprises de S. Les q 73 à 83 eussent été au centre.
138 Matth 1, 4. 3a 36 a 7.
139 3a 27 a 4-5-6 ; et q 31-33-34-35. Cf. Matt 1, 23 etc.
140 2a 28 a 4 ad 2.
141 3a 35 a 3 etc. 25 a 3 + 17 //.
142 In Ps 27, fin.
143 Isa 11, 1. In Isa. In Rom 15 etc. la 2e 81, 5 ad 3 + 10 //.
144 3 S A q 2 a 2 ad 2.
145 3a 25 a 5. 3 S 22 q 3 a 3 qua 3 ad 3.
146 4 S 49, 5 a qua 1 ad 1.
147 3a 27 a 2. Bulla Ineffabilis (8-12-1854) : in primo instanti sue conceptionis. Cite adversaires, pas Thomas DTC 7, 1202 !
148 4 S 17 fin littera.
149 3a 27 a 3. Dict. Théol. Cath. 7, 846, 1050 etc.
150 M. M. Dufeil, Trois sens de l'histoire, coll. 1274 CNRS 1974.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Fantasmagories du Moyen Âge
Entre médiéval et moyen-âgeux
Élodie Burle-Errecade et Valérie Naudet (dir.)
2010
Par la fenestre
Études de littérature et de civilisation médiévales
Chantal Connochie-Bourgne (dir.)
2003