Les funérailles de Tito, glas de la Yougoslavie
Tito’s funeral: The death knell of Yugoslavia
p. 309-332
Résumés
Josip Broz Tito, président de la Yougoslavie, est mort en 1980. Bien qu’il ait longtemps souffert de maladie, sa mort a été un choc pour le peuple, entraînant un chagrin public massif. Semblable à un directeur marketing oscillant entre Est et Ouest, il avait vendu la Yougoslavie comme un pays socialiste où l’on pouvait trouver aussi la Canaan capitaliste, même s’il avait aussi laissé entendre que le pays pouvait très bien ne pas rester en une pièce après sa mort. La presse occidentale avait préparé des nécrologies pendant des années. Les funérailles de Tito à Belgrade ont été un grand événement médiatique, avec la présence de plus de cent dirigeants internationaux. Cet événement a été suivi par des centaines de millions de téléspectateurs, une vraie nouveauté. Cet article décrit les circonstances de la mort et de l’enterrement de Tito, et examine d’innombrables prédictions selon lesquelles son enterrement n’était pas que le sien, mais aussi celui de la Yougoslavie. Les gens pleuraient non seulement pour Tito, mais aussi pour eux-mêmes et pour la Yougoslavie. Comme pressenti, des conflits ont éclaté et la guerre a commencé dix ans après sa mort.
Josip Broz Tito, the president of Yugoslavia, died in 1980. Though he had been sick for a long time, his death shocked the people of his country and sparked widespread public grief. Like a marketing manager shifting between East and West, he had sold Yugoslavia as a socialist country where the capitalist Canaan could be found, although he had also hinted that the country might not remain in one piece after his death. The Western press had been primed with obituaries for years. Tito’s funeral in Belgrade became a huge media event and was attended by more than a hundred world leaders. The event was followed by hundreds of millions of television viewers, which was a real novelty. This study describes the circumstances of Tito’s death and burial, and considers countless predictions that this burial was not only his but also Yugoslavia’s. People mourned not only for Tito, but also for themselves and Yugoslavia. As predicted, conflict broke out and war began ten years after his death.
Texte intégral
1La mort et les funérailles de Josip Broz Tito, le plus célèbre leader partisan de la Deuxième Guerre mondiale puis président à vie de la Yougoslavie socialiste, sont un exemple typique de la politisation de la mort. Tito est décédé en 1980, alors que la télévision était déjà largement répandue et que la presse écrite n’était pas encore en déclin. Sa mort et ses funérailles ont pu ainsi devenir un événement médiatique. Son dernier voyage a pu être massivement suivi non seulement en Yougoslavie mais aussi, compte tenu de son rôle exceptionnel dans la politique mondiale, dans le bloc de l’Est, en Occident et dans les pays non alignés. Même si la presse occidentale se demandait déjà si la Yougoslavie survivrait à sa mort, personne, hormis quelques organisations d’émigrés, ne pouvait imaginer que la dislocation du pays se produirait à travers une guerre civile et un génocide. Tout au plus craignait-on une intervention soviétique, mais la plupart des délégations étrangères, venues en nombre, croyaient que la Yougoslavie survivrait à la mort de Tito, et étaient plus préoccupés l’absence du président des États-Unis, Jimmy Carter, et par la présence de l’épouse de Tito, véritable célébrité dans son pays, qui avait été autorisée à quitter sa résidence surveillée pour assister à la cérémonie.
Le culte du monarque socialiste
2Le rôle historique de Tito reste de nos jours un sujet de recherches scientifiques, d’analyses médiatiques et de débats enflammés. La télévision croate a consacré dernièrement deux séries à la vie de Tito – l’une favorable, l’autre défavorable – toutes deux suivies par un nombre record de spectateurs. Son personnage est devenu une icône, tel Che Guevara, un nom d’appel de marketing qui permet de tout vendre. Il existe déjà des livres sur ses goûts culinaires, sa vie sentimentale, ses parties de chasse, et bien que trente ans soient passés depuis sa mort, on trouve toujours quelque chose de nouveau. L’un de ses petits-enfants s’est offusqué de ces prétendues nouvelles informations sensationnelles, uniquement motivées par l’appât du gain1. Il y a un nombre incalculable de spéculations concernant sa mort et ses obsèques. Un bruit courait avant la guerre que ce Tito-là n’était pas Josip Broz, ouvrier métallurgiste croate, mais un agent soviétique, car l’autre, le vrai, était mort en captivité en Russie. La rumeur de sa mort a couru à plusieurs reprises depuis son hospitalisation, le 3 janvier 1980, jusqu’à son décès, le 4 mai, et les détails changent encore de nos jours. Contrairement aux autres dirigeants socialistes – et bien que la Yougoslavie ait suivi une autre voie – Tito n’était pas seulement glorifié par la propagande officielle, mais aussi choyé par les tabloïds. Son élégance, son mode de vie somptueux, son comportement de gentleman y ont beaucoup contribué. Cet ancien ouvrier qui avait connu la misère parlait plusieurs langues, s’habillait avec élégance, se teignait les cheveux, adorait les femmes, le whisky, les cigares, les westerns, la vie mondaine. Il entretenait de bonnes relations avec les présidents américains, parfois même avec les secrétaires généraux soviétiques, la reine d’Angleterre, les dictateurs d’Afrique et d’Asie, et avec quasiment le monde entier, étant l’un des dirigeants du mouvement des non alignés. Un jour il était l’ami des stars de Hollywood, le lendemain, il faisait des parties de chasse avec des dictateurs communistes comme Nicolae Ceauşescu.
3Des milliers de gens vont encore de nos jours en pèlerinage à son mausolée de Belgrade, la Maison des Fleurs. Les nationalistes extrémistes serbes ont réclamé l’éviction de son cercueil dans les années 1990, mais l’opération est, paraît-il, quasi impossible : rien ne pourrait ébranler ce bloc de marbre, pas même la dynamite. Chaque année, en mai – mois de son décès, de ses obsèques et aussi de sa naissance – les circonstances de sa mort redeviennent un sujet de débat, de nouveaux documentaires voient le jour. Une thèse a même été consacrée à la réception de l’annonce de sa mort dans les médias britanniques2.
4Selon les sondages, il est le personnage historique le plus populaire des républiques de l’ex-Yougoslavie – il devance largement ses collègues, disciples et successeurs : le Croate Franjo Tudjman, le Serbe Slobodan Milošević, le Musulman Alija Izetbegović. Il populaire surtout au Kosovo, en Macédoine et en Bosnie-Herzégovine, moins en Slovénie, Croatie et Serbie. Son culte est entretenu, des milliers de rues portent encore son nom ; à Ulcinj, une ville du Monténégro peuplée majoritairement d’Albanais, une école primaire porte son nom, ainsi qu’à Padina, ville de Voïvodine, dans le nord de la Serbie, majoritairement peuplée de Slovaques. En Macédoine, un restaurant porte le nom du maréchal. À Subotica, on le célèbre chaque année dans un domaine privé, nommé la Petite-Yougoslavie. Chaque année, à l’anniversaire de sa mort, plusieurs centaines de gerbes sont déposées sur sa tombe.
5Le culte de Tito a indiscutablement culminé à l’occasion de ses funérailles. On considère que ce sont les plus somptueuses obsèques d’un personnage politique au xxe siècle – le développement des transports a dû y contribuer – suivi par des milliards de téléspectateurs (chiffre peut-être exagéré, en tout cas invérifiable). L’annonce de la mort du maréchal fut, pour les habitants de l’ancienne Yougoslavie, ce que fut pour les Américains celle de la mort du président Kennedy : ils savent tous où ils étaient et ce qu’ils faisaient à ce moment-là. Tout le monde sentait que c’était une journée tragique, qu’une nouvelle ère s’ouvrait et, malgré les slogans socialistes optimistes, les gens considéraient l’avenir avec pessimisme. À cette époque, ils craignaient seulement un effondrement économique – l’inflation s’accélérait, le pays s’endettait, parfois il y avait pénurie de carburant, la lessive, le café ou l’essence étaient rationnés, parfois le pain venait à manqer. Et dix ans plus tard, les armes feraient leur apparition.
6Dans l’un de ses romans, l’écrivaine croate Dubravka Ugrešić cite le récit d’une femme de cette époque :
L’institutrice a dit que Tito était à l’hôpital, qu’on lui avait coupé une jambe, et que ça lui ferait sûrement plaisir qu’on lui écrive quelque chose de beau. […] Peu de temps après Tito est mort. Mon vieux a pleuré. Pendant trois jours toute la famille a regardé en pleurant les obsèques à la télé. Ce qui leur a plus particulièrement, c’est le nombre de chefs d’États qui étaient présents. « Tant de monde, et tous des gens connus », disait ma vieille. Ça les amusait que les noms de ces chefs d’État et de ces gens connus du monde entier, les gens de la télé les prononçaient de travers3.
7Mais tout le monde n’était pas triste, au contraire : les opposants émigrés se réjouissaient. Par exemple Otpor (Résistance), le journal australien d’une partie des émigrés croates, la Résistance populaire croate, faisait allusion par aphorismes à la dislocation imminente de la Yougoslavie : « De son vivant on lui a amputé une jambe, la suite c’est le découpage », « À Belgrade il y a eu deux enterrements pour le prix d’un : celui de Tito et celui de la Yougoslavie »4. Car il ne faut pas oublier que si les plus farouches opposants serbes et croate à Tito appartenaient à l’extrême droite et que leurs mouvements étaient plus actifs voire menaient des actions terroristes incessantes, il n’en reste pas moins vrai que Tito était un dirigeant autoritaire qui avait pris le pouvoir par une série de massacres, pratiqué une répression non seulement « modérée » (comme l’emprisonnement des dissidents, la censure, le recours à l’armée etc.), mais dont les services secrets commettaient des assassinats à l’étranger.
8Le « Vieux », comme le surnommaient ses camarades, fut enterré le 8 mai 1980, le jour du trente-cinquième anniversaire de la victoire sur le fascisme. Depuis qu’il avait pris le commandement du mouvement des partisans, en 1941, son pouvoir était incontesté. Son œuvre n’a pas survécu dix ans à sa mort – parmi les républiques yougoslaves, les premières élections pluri-partites ont lieu en Slovénie le 8 avril 1990, puis deux semaines plus tard en Croatie. Le 17 août 1990, les Serbes de la Croatie, en Krajina, se soulèvent en érigeant les barricades contre la police croate. Fin mars 1991, le premier conflit armé éclate dans la région pittoresque des lacs de Plitvice, faisant plusieurs victimes. En juin 1991, la Slovénie et la Croatie proclament leur indépendance et la guerre éclate. Puis au printemps 1992, la guerre s’étend à la Bosnie-Herzégovine, aboutissant au massacre de Srebrenica. Pourtant lors des funérailles, les dirigeants politiques et une grande partie de la population avaient juré avec sincérité vouloir préserver la Yougoslavie de Tito. Le mot d’ordre était : « Tito, même après Tito ». Mais des rumeurs commençaient circuler sur des signes prémonitoires : le drapeau avec l’étoile rouge qui couvrait le cercueil avait été emporté par le vent, annonçant la fin de la Yougoslavie ; à côté du catafalque dressé au parlement à Belgrade, un vieillard en deuil, vraisemblablement monténégrin se serait écrié : « Pauvre de toi, camarade Tito, mais aussi pauvres de nous, qu’allons nous devenir5 ? »
« Qu’il ne meure jamais ! »
9Tito avait plusieurs fois exprimé ses craintes sur le devenir la Yougoslavie après sa mort. Il avait évoqué ouvertement la question dès 1962 à l’occasion d’un congrès du parti. Toutefois, une guerre de succession ne pouvait pas éclater à l’intérieur du parti comme dans les autres pays socialistes, car il existait un système d’équilibre entre les six républiques et les deux provinces qui fonctionnaient comme des freins et des contrepoids, grâce à la Constitution de 1974 qui avait décentralisé le pays et avait eu pour effet de renforcer les élites locales. À son petit-fils qui lui demandait sur son lit de mort s’il considérait avoir commis une erreur capitale dans sa vie, Tito avait justement parlé de cette constitution qui avait fait des républiques et des provinces des États dans l’État6. Car Tito était le garant de l’union et de la pérennité de l’État, c’est sa personne qui donnait sa légitimité à la Yougoslavie aux yeux des pays étrangers. Comme il était chef des armées, cette dernière était le soutien le plus sûr de la Yougoslavie, et même le seul, comme cela s’est avéré plus tard, mais dépourvu de légitimité aux yeux des élites nationalistes. L’état-major des forces armées avait commencé à semer la peur dans l’opinion, faisant courir le bruit que les armées du pacte de Varsovie s’apprêtaient à attaquer la Yougoslavie alors que Tito était encore à l’hôpital. Pourtant au début des années 1980, le problème était plutôt l’invasion de l’Afghanistan par les Soviétiques, ou la révolution islamique en Iran (le drame des otages de Téhéran) et il semblait que cela constituait une menace pour les pays non alignés, car il s’y formait une théocratie.
10En 1979, alors que Tito perd l’un de ses plus fidèles compagnons d’armes, l’idéologue de l’autogestion, le Slovène Edvard Kardelj, il est encore très actif : il accorde des entretiens, en juin il se rend en l’Algérie, en Lybie, à Malte, en octobre, au Kosovo. Le 25 mai, le témoin7 qui a fait le tour du pays à l’occasion de son anniversaire lui est remis par un étudiant en médecine kosovar, Sanja Hiseni, qui rapporte dans son discours les vœux adressés à Tito par les écoliers qu’il a rencontrés : « Qu’il vive longtemps, qu’il ne meure jamais8 ! » Ce n’est pas un hasard si même les écoliers évoquaient sa mort (le texte avait dû être soufflé à Sanja par les services de la propagande), et le lendemain de son anniversaire, le journal allemand Die Welt évoque des spéculations sur son décès entretenues depuis des années par ses amis et ses ennemis, alors qu’il vient de fêter son quatre-vingt-septième anniversaire « apparemment en parfaite santé9 ».
11Le 3 janvier 1980, Tito est admis dans le meilleur hôpital du pays pour y subir des examens. Les plus grands spécialistes américains et soviétiques des maladies cardiovasculaires se pressent à son chevet. Il est opéré les 12 et 13 janvier à Ljubljana. La presse mondiale est déjà prête ; on trouve dans les archives de Radio Free Europe des nécrologies en anglais, en allemand précisant même la cause du décès, mais indiquant que l’information est « sous embargo jusqu’à la mort de Tito » (« Le président da la Yougoslavie, Josip Broz Tito est mort. La cause du décès est une thrombose artérielle dans la jambe10. ») La nécrologie rédigée en allemand – douze pages de texte dense –, retrace sa vie, cite Konrad Adenauer (« Tito est un vulgaire malfaiteur »), souligne que le Praxis, la revue philosophique interdite de la nouvelle gauche, a traité Tito de petit Staline qui persécutait la religion etc.11. La question se pose tous les jours de savoir ce que deviendra la Yougoslavie après la mort du maréchal. L’armée joue un rôle central, car elle doit faire face à « l’ennemi intérieur et extérieur ». Il faut également prendre en considération le fait qu’il y a un million de travailleurs émigrés en Occident et que le pays vit une crise économique profonde. La nouvelle direction ne pourra pas se concentrer sur la politique extérieure, celle-ci étant très liée à la personne de Tito, dit l’un des commentaires12.
12Ses problèmes de circulation étaient la conséquence de son diabète. Un caillot est extrait de sa jambe gauche qui lui est finalement amputée le 20 janvier. Le 15 février, un communiqué médical dit que son état est devenu critique, qu’il est plongé dans un « semi-coma ». Mais le 27 janvier, le colonel Nikola Ljubičić, ministre de la Défense (puis pendant deux ans président du pays), l’informe personnellement des manœuvres militaires jugées nécessaires à cause de l’intervention soviétique en Afghanistan, car il considère que l’Union soviétique n’a pas renoncé à incorporer le pays dans son bloc13. Donc l’armée est sur le pied de guerre. De même, de l’autre côté de la frontière, des vieillards séniles éloignés de toute réalité occupent les postes clés et attendent. Le 19 février, le bureau politique du parti hongrois délibère sur l’attitude à adopter face à l’événement. Le procès-verbal précise que « si l’état de santé du camarade Tito s’aggrave », trois camarades iront à l’ambassade pour présenter leurs condoléances et deux iront plus tard à l’enterrement. Le secrétaire général du Parti ouvrier de Hongrie, János Kádár, considérant qu’une aggravation de l’état de santé ne justifie pas des condoléances, corrige le document de sa propre main et insère : « s’il décède ».
13Pendant ce temps, la presse yougoslave se réjouit – d’une manière un peu perverse, comme le Politika de Belgrade du 25 janvier –, que 260 envoyés spéciaux de la presse du monde entier se trouvent sur place, et qu’on ne se soit jamais autant intéressé à la Yougoslavie. Le Politika cite les lieux communs flatteurs et les banalités de la presse étrangère : « les bases sont solides », le pays entre Ouest et l’Est est « le monde en petit », « tout fonctionne normalement », c’est le nouveau modèle du communisme, le pays est devenu autonome grâce à Tito, écrit par exemple le Times de Londres14. Mais les articles étrangers commencent aussi à citer des diplomates qui s’interrogent sur l’activité accrue de l’armée15, ou se demandent ce qui se passe dans les médias officiel, et quand par exemple le 15 février paraît une information sur l’état critique de Tito, il n’échappe à personne que le dessin animé prévu au programme avant le journal a été supprimé et que des films sur les partisans de Tito passent en boucle à la place des divertissements16.
14Les bulletins de santé quotidiens sont étudiés pendant des mois et nombreux sont ceux qui pensent, comme les astrologues du Kremlin, que les Soviétiques vont envahir la Yougoslavie dès la mort de Tito. Mais cette paranoïa est tout au plus partagée par les dirigeants de l’armée yougoslave, dans leur propre intérêt, pour justifier leur (future) existence. L’armée yougoslave passe pour être la quatrième d’Europe, l’industrie militaire relativement bien développée sert de nombreux intérêts, donc sa survie aussi. Les diplomates occidentaux s’intéressent plutôt à l’enterrement et les délégations s’y préparent, alors que Tito n’est toujours pas mort : « Les ambassades des États-Unis, de Grande-Bretagne, d’Australie et d’autres pays occidentaux sont entrées en contact avec les autorités yougoslaves pour préciser les détails des futures (sic !) funérailles. » Pour conduire les délégations, on évoque les noms de Walter Mondale, le vice-président des États-Unis, de Margaret Thatcher, du prince d’Édinbourg, et du côté français, on attend Valéry Giscard d’Estaing (mais il ne viendra pas)17.
15Le bulletin du 30 avril mentionne déjà des lésions du foie, une jaunisse, une pneumonie, en rappelant que la cause première est le diabète. Le 1er mai, Tito va un peu mieux, le 2, son état est stationnaire selon les médecins18. Borba, le quotidien du parti, publie de plus en plus de messages adressés à Tito : « Un salut ouvrier combatif, Tito ». Les festivités du 1er mai remettent au goût du jour le style réaliste socialiste, un langage militaire qu’on croyait oublié : « Les victoires du travail ont grandi la fête », « La fête selon les traditions (sic !) révolutionnaires », « Sur trois fronts pour une croissance plus rapide ». Et soulignent : « La Fédération communiste a de plus en plus de membres. » Le dimanche 4 mai, Borba publie un nouveau bulletin, qui sera le dernier : « légère amélioration », « mais dans l’ensemble son état est très grave ».
15 heures 5 minutes
16Au bout de cent treize jours passés à l’hôpital de Ljubljana, Tito meurt à 15 heures 5 minutes. L’après-midi, il y a le match de football qui oppose les deux grandes équipes rivales, le Hajduk croate et la Crvena Zvezda serbe, est interrompu à la quarante-troisième minute de jeu, les haut-parleurs annoncent la mort de Tito. Les joueurs et les arbitres se regroupent au milieu du terrain, plusieurs joueurs pleurent le visage enfoui dans les mains, ainsi que les arbitres, les supporters… Le maire de Split ordonne une minute de silence, puis cinquante mille personnes chantent « Camarade Tito, nous te jurons que ton peuple ne déviera pas de ton chemin », puis l’hymne national. Toutes les chaînes de télévision et de radio interrompent leurs programmes et annoncent la nouvelle déjà préparée. Le soir, les rues ne se vident pas, les gens attendent les éditions spéciales des journaux : Borba affiche seulement en grosses lettres « TITO » et le tabloïd Novosti : « Tito est mort, mais son œuvre est vivante. »
17Les dirigeants du pays se réunissent, proclament un deuil national de sept jours, font mettre les drapeaux en berne, annulent toutes les manifestations publiques culturelles, sportives ou festives. Les commémorations se succèdent. Le 6 mai, Lazar Koliševski, le président par intérim, et Vladimir Bakarić, membre de la présidence, prononcent un discours au parlement fédéral. Le général Nikola Ljubičić, ministre de la Défense, déclare à l’intention de l’Occident : « Certains dans le monde se demandent ce que deviendra la Yougoslavie après Tito. Notre réponse est qu’elle sera Tito. » Cette formule poétique signifie que l’armée défendra la Yougoslavie. Le lendemain, l’organe du parti titre son article concernant l’événement « Le combattant le plus humain de son époque19 » ; ce qui était évident à l’époque paraît plutôt paradoxal de nos jours. Les messages des jours suivants ne sont pas différents, souvent absurdes ; voici quelques titres du numéro du 8 mai : « Après Tito il y aura Tito » ; « Sur la voie de Tito, la vie ne peut pas mourir », « Tito n’est pas mort – Tito ne peut pas mourir » (citation de Milka Planić, président du Comité central du Parti socialiste croate) ; « Tito est en personne notre révolution » (citation de Hamdija Pozderac, membre du Comité central bosnien ; « Sur l’œuvre de Tito, nous construirons une Yougoslavie encore plus stable » (Vojo Srzentić, président du Comité central monténégrin).
18Il ne nous échappe pas que les slogans selon lesquels Tito n’est pas mort mais vivant, à savoir ceux qui soulignent son immortalité, renvoient à l’immortalité de la Yougoslavie, du pays, du système socialiste, de l’autogestion yougoslave, de l’armée populaire ; en un mot au pouvoir actuel, à tout ce que Tito incarnait. Cela dit, ce n’est pas une nouveauté : on trouve des milliers d’exemples rappelant la mort des rois ou des premiers dirigeants communistes. Le leader n’est pas mort, il continue de veiller sur le système, à apporter une légitimité aux dirigeants qui lui succèdent. Comme le pape qui meurt tandis que le Saint-Siège est éternel20. Tito en tant que père fondateur de la Yougoslavie socialiste remplit le rôle de fondateur d’une religion, tout est lié à son destin. Pourtant, cette grande œuvre, la Yougoslavie et son ciment, sa « religion laïque », à savoir sa force d’intégration, l’autodétermination socialiste se désintègrera totalement en une courte décennie.
19Les journaux yougoslaves sont consacrés presque exclusivement au défunt. L’absurde langage socialiste qui s’était essoufflé après les années 1950 réapparaît, le plus souvent dans les messages des organisations politico-sociales : selon l’un d’eux, « les pensées de Tito étaient toujours tournées vers l’homme21 ». On interroge l’homme de la rue, l’ouvrier : « C’est étonnant que personne ne m’ait informé. J’étais dans la rue et j’ai tout de suite senti ce qui s’était passé, tellement l’attitude des gens avait changé. » L’ouvrier par excellence, le mineur, remonte aussi à la surface : « Depuis que le camarade Tito avait des ennuis de santé, je ne suis jamais descendu sans mon transistor, raconte un mineur de Tuzla. C’est ainsi que j’ai appris sa mort22. » Le seul souci est qu’au fond de la mine, sous terre, on ne peut pas capter les ondes. Dans les jours qui suivent, les entreprises renouent avec le stakhanovisme des années 1950 : les unités du travail promettent de travailler encore plus et mieux. Dans certains endroits, la journée de travail commence une heure plus tôt que d’habitude, ailleurs sont lancées des compétitions, la norme journalière est dépassée de 15 ou 30 %, comme à la briqueterie de Zagreb ou à la mine de Mojkovac ; le jour des obsèques de Tito les mineurs de Pljevlja, dépassent la norme de 47 %. Les ouvriers yougoslaves travaillant à l’étranger ne sont pas en reste : la presse publie les photos de groupes d’ouvriers attristés devant le portrait de Tito – ces personnes qui avaient été obligées quitter leur pays à cause du chômage et avaient vécu comme des parias jusqu’à la fin des années 1970 en Allemagne et ailleurs. La presse décrit les queues qui se forment devant les ambassades, « tout le monde » veut exprimer ses condoléances. Une commémoration a lieu aux Nations unies aussi. Le Vjesnik de Belgrade rapporte avec fierté que plus de soixante-dix pays ont décrété le deuil national, mis leurs drapeaux en berne et cite les journaux étrangers qui font l’éloge de Tito, « le géant de notre siècle », « combattant en granit », « le père des non-alignés », « le vainqueur de la paix », « le partisan d’acier », « le défenseur des petits », « l’homme de tous ».
20Toutefois, une partie de la presse étrangère traite Tito avec moins de déférence, comme nous avons déjà dit à propos des nécrologies écrites d’avance. Un journal new yorkais annonce déjà dans le titre de son article : « Malgré tout, Tito était un tyran ». Le même journal critiquera le président Carter pour ne pas s’être rendu aux obsèques de celui qui était devenu porteur de la paix sur le sang des autres, et avoir envoyé Walter Mondale à sa place, fait qui prendra une certaine ampleur par la suite23. Pendant ce temps les partis communistes publient des communiqués – fait remarquable, les partis soviétique, polonais et hongrois soulignent également que Tito était un combattant d’avant-garde du mouvement des non-alignés, partisan de l’indépendance, de l’égalité (ce qui est plus compréhensible que les communiqués roumains, chinois et nord-coréens qui soulignent la même chose)24. Nous sommes toujours en pleine guerre froide, la presse occidentale a les yeux rivés sur les réactions des partis communistes. À quoi faut-il s’attendre ? Que va faire l’Union Soviétique maintenant que Tito n’est plus, va-t-elle attaquer le pays ? De quel côté va se ranger l’Armée populaire de Yougoslavie dont une partie importante était constituée des staliniens que Tito avait envoyés à Goli Otok, camp qui n’avait rien à envier aux camps nazis ou au Goulag. Le lendemain, The New York Times écrit que la stratégie de défense de Belgrade est basée sur la guérilla25 et s’interroge sur l’attitude du Pacte de Varsovie. Mais personne ne se demande si, dans la Yougoslavie qui s’est formée après le massacre de diverses nationalités, il n’y a pas un risque de guerre civile. Ce n’est pas étonnant que la presse yougoslave répète à l’unisson que la Yougoslavie perdurera (bien que la question posée implicitement suggère qu’elle peut aussi bien se disloquer) ; ce qui frappe, c’est que la presse occidentale ne se préoccupe pas de ce problème tandis que les organes des dissidents yougoslaves, avant tout des oustachis croates considèrent déjà comme acquis la dislocation du pays, y compris par des moyens sanglants.
Une dernière fois dans le train bleu
21La nuit du dimanche, le cercueil est transféré de l’hôpital au parlement slovène. Lundi matin, il pleut, mais une foule se rassemble à Ljubljana pour l’accompagner jusqu’à la gare au son de la musique. Le train bleu, train personnel de maréchal, arrive au bout de trois heures à Zagreb où une foule l’attend. Le correspondant de la Frankfurter Allgemeine Zeitung souligne même que les gens sont venus de leur plein gré26. « Tant qu’il y aura Zagreb, Tito vivra », tel est le message de Zagreb qui fêtait ce jour-là le trente-cinquième anniversaire de sa libération (mais dix ans plus tard, il ne fêtera plus cette date). À Zagreb, le secrétaire du parti de la ville, Dragutin Plavšić, prononce un discours en soulignant la rupture de Tito avec Staline en 1948, ce qui signifie clairement à ce moment-là que la Yougoslavie n’entend pas se soumettre à l’Union soviétique. Les deux fils de Tito se tiennent à côté du cercueil et le chœur chante : « Camarade Tito, nous te promettons que ton peuple ne s’écartera pas de ta voie. » Le témoin porté chaque année en son honneur à travers le pays est placé à côté du cercueil. Les sirènes des usines hurlent, la marche funèbre de Chopin retentit. À 11 h 10, le train repart pour s’arrêter aux gares importantes. Partout, des haies humaines se forment au bord des voies, même dans les champs les gens se tiennent debout sous la pluie. À Vinkovci, une foule de 50 000 personnes accueille le train, à Sremska Mitrovica 14 000 pionniers inondent la gare de fleurs. Dans le train, la garde forme une haie d’honneur, ainsi que les membres de la famille et d’éminents dirigeants comme Fadilj Hodža, Stane Dolanc, Mika Špiljak, Vlado Šćekić, Vasil Tupurkovski, Stana Tomašević-Arnesen, Džemmil Šarac. Une liste très intéressante pour les analystes étrangers qui se disent sûrement que le futur premier homme du parti et du pays est peut-être parmi eux. Le Slovène Dolanc, par exemple, passait pour être le successeur autoproclamé de Tito, de nombreuses personnes le considéraient comme le numéro deux du pays (depuis 1984 il était membre du présidence de la République fédérative socialiste de Yougoslavie, mais en 1989 il s’était retiré). Ou par exemple il y avait Fadilj Hoxha qui fut pendant longtemps le l’homme politique albanais numéro un du Kosovo, opposé au nationalisme radical albanais, mais en 1991, Milošević le ferait quand même fait arrêter. Parmi les gardiens du cercueil, seul Vasil Tupurkovski, le futur membre macédonien de la présidence de la Yougoslavie, est resté actif. Mais le train bleu n’était pas conçu pour transporter un cercueil : on voit bien sur les images la souffrance des généraux et des officiers qui le sorte par la portière, le cercueil bascule, l’un des officiers qui le tient par la poignée derrière à gauche s’effondre presque, manquant de faire tomber la bière27.
22Le train bleu arrive lundi à 17 heures en gare de Belgrade au bout d’un périple de 530 kilomètres – remarque le correspondant allemand, qui constate que les conditions de transport « balkaniques » ne s’appliquent pas au train de luxe de Tito28. Il est attendu par deux à trois cent mille personnes, de nouveau ses deux fils, žarko et Miša entourent le cercueil, ils l’accompagnent sur le court chemin qui sépare la gare et le parlement. Le catafalque est dressé dans le bâtiment du parlement fédéral où pourront venir s’incliner les citoyens, les ouvriers, paysans, militaires, écoliers, compagnons d’armes – les représentants de toute la société veillent le corps. Jovanka Broz, l’épouse légitime à qui il est interdit depuis 1977-1978 de voir son mari, même à son chevet d’homme malade – apporte seule une couronne, ce que remarque tout de suite la presse étrangère, tandis que la locale ne publie même pas de photos. Le traitement de cette affaire reste de nos jours un sujet de controverse.
237 768 personnes assurent les 950 veilles qui se succèdent pendant deux jours et trois nuits, 500 000 personnes viennent s’incliner devant le cercueil29. Les dernières veilles sont assurées par les représentants des républiques, des territoires, des organismes de la société civile, des forces armées, des membres du gouvernement, des anciens frères d’armes. La délégation des travailleurs à l’étranger se recueille à deux heures du matin. À 11 heures, le témoin est déposé à côté du cercueil, puis à midi pile, les amiraux sortent le cercueil du parlement au son de la marche funèbre de Chopin et de quarante-huit coups de canons. Les comptes rendus remarquent que deux personnes n’ont pas respecté le protocole : le vieux Monténégrin qui a dit « Pauvre de toi, camarade Tito, mais pauvres de nous aussi », et Yasser Arafat : alors que les personnalités étrangères pouvaient se recueillir pendant trente secondes devant le cercueil, Arafat a même posé sa main dessus et a pleuré pendant dix minutes30…
Deux enterrements ?
24Le général croate Martin Špegelj est chargé de l’organisation des funérailles à Belgrade. Ironie du sort, l’ancien partisan jouera par la suite un rôle très important dans la guerre d’indépendance croate – il sera démasqué par les services secrets yougoslaves comme l’un des personnages clés du scandale dit Kalachnikov, un transfert d’armes depuis la Hongrie pour les unités de la défense croate nouvellement créées qui appartenaient précédemment à la police. Il a élaboré des plans de la défense contre l’Armée populaire Yougoslave et pendant la guerre, il a été un certain temps le ministre croate de la Défense. Il pensait avoir été choisi pour organiser les funérailles, d’une part, en tant que croate – s’il y avait eu un incident lors des cérémonies, on n’aurait pas pu accuser les Serbes de provocation –, d’autre part, en tant que dirigeant militaire, car il avait déjà organisé des exercices militaires spectaculaires, surtout pour les observateurs étrangers, avec chars, avions, flotte fluviale. Or les funérailles devaient être grandioses. Vingt-cinq colonels et généraux ont apporté leur concours31. Selon des sources officieuses, les obsèques a coûté une somme colossale, rien qu’à cause du grand nombre d’invités étrangers – on parle de quinze milliards de dinars (à titre de comparaison : le budget annuel de la Croix-Rouge yougoslave était de 330 millions, celui de l’agence de presse de 600 millions, le tour du pays du témoin coûtait « seulement » 2,5 milliards de dinars)32. Il était question de l’enterrer dans son village natal de Kumrovec, en Croatie ou à Tjentište en Bosnie où il avait mené sa célèbre bataille de Sutjeska, mais lui-même avait souhaité reposer dans un bâtiment particulier de sa résidence, la Maison des Fleurs.
25Le 8 mai 1980, les écoles et de nombreuses entreprises sont fermées, sinon la cérémonie est suivie depuis les lieux de travail. Les rues sont désertes, tout le monde regarde la cérémonie à la télévision : le culte de Tito est devenu le culte d’un mort. Selon les estimations, entre 700 000 et un million de personnes assistent aux funérailles. Stevan Doronjski, le représentant de la Voïvodine dans la présidence collégiale, prononce un éloge funèbre puis est entonné une énième fois « Camarade Tito, nous te promettons… ». Ensuite, le cortège s’ébranle, guidé par les deux gardes personnels de Tito qui portent les drapeaux du pays et du parti. Suivent les drapeaux des républiques et des provinces puis 365 autres : ceux des brigades prolétaires et d’autres unités militaires de la Deuxième Guerre mondiale (341 yougoslaves, 21 italiens, un russe, un français, un bulgare). Puis arrivent les héros populaires suivis par les unités actives de l’armée et de la milice. Il y a seulement vingt couronnes dans le cortège, toutes yougoslaves. L’orchestre de l’Armée populaire joue de la musique funèbre. Sur le chemin, le convoi est accueilli par des centaines de milliers de personnes, des pionniers, et des « cheminots qui avaient la chance que leur train soit immobilisé sur les rails de Belgrade, les ouvriers, les enfants, les gens » (sic !) – comme l’écrira le lendemain le Vjesnik. Les avions de l’armée les survolent quatre fois. Le convoi funèbre est fermé par dix militaires et dix ouvriers – cinq mineurs et cinq métallurgistes : « ils représentaient l’attachement de Josip Broz à la métallurgie et à la lutte de la classe ouvrière ». Quatre kilomètres séparent le parlement de la maison « où il forgeait l’avenir ». Devant la Maison des Fleurs, Lazar Koliševski, le président de la présidence de Yougoslavie, prononcé un second éloge, puisle cercueil est porté à l’intérieur au son de l’Internationale, tandis que les canons tirent à nouveau des salves et, à 15 h 15, au son de l’hymne national, il est déposé dans la tombe, au 15 de la rue Užice. Tito habitait à cette adresse depuis 1944, depuis qu’il était entré dans Belgrade avec ses partisans. Au moment de la mise au tombeau, les canons tirent des salves dans les capitales des différentes républiques et des provinces, les sirènes des usines et des navires retentissent. La plaque de marbre porte une unique inscription dorée : Josip Broz Tito 1892-1980. Puis est rendu un dernier hommage des frères d’armes, des collaborateurs et des membres de la famille (qui ne sont pratiquement pas mentionnées dans les reportages, ou alors en dernier lieu).
26Les deux éloges funèbres n’ont rien apporté de nouveau. Stevan Doronjski a résumé la vie de Tito, répétant les slogans, sans message particulier : Tito est l’homme de l’avenir, il n’est mort que physiquement, « nous progressons sur la voie de l’autonomie » ; « Tito est le symbole de l’humanisme, du socialisme, de la liberté de la pensée et de la création, de la lutte pour la liberté, de la fraternité, de l’égalité, d’un monde sans guerre33 ». Lazar Koliševski a évoqué les notions d’humanisme, de fraternité, d’avenir, d’égalité et de coopération, les discours n’avaient rien d’hostile ou de menaçant34. Tous les deux évoquaient les ennemis de Tito, mais cela concernait plutôt le passé et aucun pays, aucune personne n’étaient mentionnés expressément. Selon Doronjski, Tito avait lutté pour la libération sociale et nationale contre les étrangers, les capitalistes, les fascistes et le dogmatisme bureaucrate, tandis que selon Koliševski ses ennemis étaient les « forces du mal », les envahisseurs et les exploiteurs étrangers, les ennemis de la classe ouvrière et de la nation.
27Un quart de siècle après les funérailles, des histoires bizarres commencent à circuler. Selon l’une, Tito n’était même pas dans le cercueil car le corps bourré de médicaments avait commencé très rapidement à se décomposer et à dégager une odeur pestilentielle dangereuse pour la santé. Le cercueil vide n’aurait été remplacé qu’ultérieurement par le cercueil « garni ». Certains dirigeants voulaient même l’embaumer et construire un mausolée autour mais vu l’état du corps, ce n’était pas possible35. Une autre version36 parle de « ré-enterrement », mais pour une autre raison : Ivan Dolničar, le général qui a supervisé les funérailles, a rapporté que l’enterrement à la Maison des Fleurs a été improvisé pour des caméras de la télévision, en réalité les travaux avaient duré toute la nuit à cause de la pose de l’immense plaque de marbre de douze tonnes, taillée deux mois avant la mort de Tito. Ils l’ont remplacée pour la retransmission par une simple imitation : quel eût été l’effet de l’image d’une grue sur les écrans ? Il paraîtrait que la plaque de marbre s’était décalée de douze centimètres à gauche parce que le général qui avait supervisé les travaux était ivre. D’autres affirment que l’absence d’étoile rouge sur la plaque s’explique par le fait que Tito, qui était né catholique, s’était converti à l’islam vers la fin de sa vie, ce que corroborent la présence de représentants de pratiquement tous les pays musulmans et la rupture de la Yougoslavie avec Israël. D’autres encore voient dans la présence de dirigeants du monde entier la preuve que Tito était franc-maçon, vu que ces derniers détiennent le pouvoir partout de par le monde37.
Les endeuillés et les absents
28Le fait est que, jamais dans l’histoire mondiale, autant de dirigeants venus des quatre coins du monde n’avaient participé à un enterrement. Certes, l’avion permet d’arriver à Belgrade sans problème, mais la raison principale se trouve dans les conditions particulières de la guerre froide. En tant que leader des non alignés, la Yougoslavie occupait une place éminente entre des deux blocs et, depuis les années 1960, Tito construisait sciemment son rôle international, son charisme, soignait ses alliances, ses amitiés. Dans les années 1970, l’élément le plus fort de la légitimation du système était justement la reconnaissance du pays sur la scène internationale et non la croissance économique qui n’était possible qu’avec l’aide des emprunts étrangers, le pays allant d’une crise à l’autre.
29Dès le lendemain de la mort de Tito, savoir quels dirigeants étrangers assisteraient aux funérailles est devenu un sujet de spéculations. Mardi encore, le New York Times écrivait que Brejnev n’était pas attendu38. Les analystes se demandaient qui pourrait venir, puis après coup, analysaient ceux qui était effectivement venus39. Comme dans un mariage paysan où les parents de l’un acceptent de venir si ceux de l’autre ne viennent pas, c’était un jeu de stratégie – et finalement, c’est Carter qui a « perdu » en ne venant pas. Dans le camp socialiste, savoir qui devait y aller était aussi un véritable casse-tête. Il était clair que le tiers monde et les non-alignés seraient représentés par des dirigeants de haut niveau (mais finalement il était étonnant que Fidel Castro, qui passait pour le rival de Tito dans le mouvement ne soit pas venu, de même que le Libyen Kadhafi et le président égyptien Anouar el Sadate), de même que le monde occidental (à l’exception des États-Unis et de la France dont les présidents se sont pas venus). Le président chinois Hua Guofeng, qui avait signalé immédiatement son intention de venir, est arrivé le premier, dès le 6 mai. Il était évident que son allié le plus proche, l’éternel dernier du bloc soviétique, Ceauşescu, serait présent à Belgrade, ainsi que le Hongrois János Kádár qui devait en partie son accession au pouvoir en 1956 à Tito. Les autres ont hésité jusqu’à ce que Brejnev ait pris la décision de conduire personnellement la délégation, de sorte qu’il était devenu clair que les pays du bloc soviétique seraient représentés par les délégations du plus haut niveau.
30La tâche des organisateurs était immense. Il a fallu réquisitionner plusieurs aéroports pour accueillir les invités. Les Soviétiques ont insisté pour que l’avion de Brejnev atterrisse à l’aéroport militaire de Batajnica, où le secrétaire général (qui n’a survécu à Tito que de dix-huit mois) fut littéralement extrait de l’appareil de l’Aeroflot par un officier. Mais Saddam Hussein tenait à l’aéroport principal, Surčini. Il est arrivé avec huit heures un retard, a réservé tout l’étage d’un hôtel, alors que le président polonais devait y résider aussi. Il y avait également des demandes particulières – le président de la Corée du Nord, Kim Il Sung, qui ne voulait pas être logé dans l’hôtel Intercontinental de Belgrade pour ne pas être mêlé aux capitalistes, a fini par dormir à l’ambassade. La presse internationale faisait état de quantité de ces « curiosités40 ». Par contre la presse yougoslave s’enorgueillissait du fait que le monde entier rendait hommage à Tito et, à travers lui, à la Yougoslavie, au socialisme autogestionnaire à la yougoslave. L’élite politique, complètement aveuglée, estimait que le système (à savoir son pouvoir) était stable puisque tout le monde le reconnaissait. Cette légitimité venue de l’extérieur existait effectivement à ce moment-là. Sur les cent cinquante-quatre membres que comptaient les Nations unies, cent vingt-sept pays avaient envoyé une délégation (d’autres sources parlent de cent vingt-six ou cent vingt-huit pays) : trente et un présidents de république, quatre rois, cinq princes, six présidents de parlement, vingt-deux chefs de gouvernement, treize vice-présidents de gouvernement, quarante-sept ministres des Affaires étrangères. La presse tâchait de montrer le meilleur « assortiment ». L’une des versions parlait de cent vingt-sept pays représentés par deux cent neuf délégations, trente-huit chefs d’État, dix chefs de gouvernement, sept vice-présidents de gouvernement, six présidents de parlement, douze ministres des Affaires étrangères, deux rois et cinq princes41. Les journaux yougoslaves faisaient soigneusement l’impasse sur les absents : certes, parmi les pays européens, seuls les mini-États n’avaient pas envoyé de délégation et, bien sûr, l’Albanie, hostile et très fermée. Ainsi qu’Israël. En 1947, la Yougoslavie s’était abstenue lors du vote aux Nations unies pour la création d’Israël, mais avait été parmi les premiers à reconnaître le nouveau pays et à établir des relations diplomatiques. Mais en sa qualité de pays non aligné, la Yougoslavie soutenait les pays arabes. Depuis la crise du Suez, en 1956 puis dans les années 1960-1977, les relations étaient particulièrement mauvaises entre les deux pays, puis en 1967 pendant la guerre des Six Jours, la Yougoslavie a rompu les relations diplomatiques avec Israël, car elle sympathisait avec Nasser et Arafat, avec l’Égypte et la Palestine.
31Selon une autre version, cent vingt-six pays ont envoyé une délégation – cent vingt et un chefs d’État, soixante-huit chefs de parti, quatre représentants de mouvements de libération (comme Arafat) et six autres. Parmi les rois étaient présents Baudouin, roi des Belges, Hassan II, roi de Jordanie, le Norvégien Olaf V, le Suédois Gustav XVI. Étonnamment Elizabeth II n’est pas venue bien qu’en 1972 elle ait rendu visite à Tito en Yougoslavie et que ce dernier soit allé la voir à plusieurs reprises – on peut dire qu’ils entretenaient les liens d’amitié, mais elle a été remplacée par Philippe, le prince d’Édimbourg. Parmi les chefs d’État, notons Saddam Hussein (Irak), Mohammad Zia-ul-Haq (Palestine), Urho Kekkonen (Finlande), Ziaur Rahman (Bangladesh), Sandro Pertini (Italie), Karl Carstens (Allemagne), Hafez el Assad (Syrie). Parmi les chefs de gouvernement, il y avait l’Indienne Indira Gandhi, l’Anglaise Margaret Thatcher, accompagnée par son ministre des Affaires étrangères, Lord Carrington ; Helmut Schmidt était aussi accompagné par son ministre Hans Dietrich Genscher. La France était représentée par le Premier ministre Raymond Barre, le ministre des Affaires étrangères, Jean François-Poncet et le contre-amiral Pierre Lacoste. Il y avait également le chancelier autrichien Bruno Kreisky, l’Italien Francesco Cossiga, le Japonais Masajoshi Ohira, le Danois Andreas van Agt, le Turc Süleyman Demirel, l’Espagnol Adolf Suarez. Les États-Unis étaient représentés par le vice-président Walter Mondale et Lilian Carter, la mère du président. Le Vatican a envoyé Achile Silvestrini, secrétaire au rang de ministre des Affaires étrangères. L’Iran était représenté par Sadegh Ghotbzadeh, que l’ayatollah Khomeiny ferait exécuter en 1982 bien qu’il ait lutté toute sa vie contre le régime de Pahlavi. Il y avait aussi le secrétaire général de la Ligue arabe, le secrétaire général du Conseil de l’Europe, les représentants de l’UNESCO. La délégation des Nations unies était conduite par le secrétaire général Kurt Waldheim, celui de Parlement européen par Simone Weil. Les délégations italiennes et françaises étaient les plus nombreuses : François Mitterrand, premier secrétaire du Parti socialiste, Lionel Jospin, secrétaire national, Michel Rocard, membre de la direction et Jean-Pierre Cot, membre de la direction nationale. Le Parti communiste français était représenté par le premier secrétaire Georges Marchais, Maxime Gremetz, membre du bureau politique et Félix Demette, membre du comité central. Les syndicats étaient représentés par Edmond Maire, secrétaire national de la CFDT, et son secrétaire adjoint, Jacques Chérèque, et par Gérard Gomez secrétaire national de la CGT. Les obsèques permirent de nombreuses rencontres – on en a noté au moins cent – fait qui était présenté par la presse Yougoslave comme une preuve éclatante de l’esprit pacificateur de Tito. Étonnamment, c’est à cette occasion que le président chinois Hua Guofeng a rencontré ses voisins, Kim Il Sung et Indira Gandhi. Brejnev les a rencontrés également. Et pour se démarquer, Ceauşescu, le garçon turbulent du bloc soviétique, a rencontré Mondale et Zia-ul-Haq. Margaret Thatcher n’a pas pas non plus : en vingt-quatre heures elle a eu huit entretiens avec les chefs des gouvernements italien, allemand, espagnol, puis avec le président de Zambie Kaunda, Zia-Ul-Haq, Gandhi et Ceauşescu. Saddam Hussein était très actif aussi : il s’est entretenu avec Yasser Arafat, avec le roi Hussein de Jordanie, Hua Guofeng, le dirigeant de la RDA Erich Honecker – il tâtait peut-être le terrain, car le 22 septembre, il avait attaqué l’Iran sans déclaration de guerre. Les premiers secrétaires du bloc soviétique avaient des entretiens cordiaux entre eux : Honecker, Gierek et Husák se sont vus à trois, Brejnev a rencontré Honecker. Le chancelier Schmidt a eu des échanges avec Indira Gandhi, mais le plus important était que le soir de des funérailles, il a reçu Honecker à l’ambassade de RFA, fait que la presse allemande a interprété comme un signe de réconciliation. Durant leur entretien de soixante-dix-huit minutes, ils se sont mis d’accord sur le fait qu’il était dans leur intérêt de continuer les discussions sur la situation internationale et que leur but commun était la normalisation. Honecker a qualifié d’amicale et pacifique cette rencontre qui avait eu lieu juste le jour du trente-cinquième anniversaire de la capitulation allemande. Le titre ironique du Spiegel, « Un tel enterrement devrait avoir lieu chaque année42 », montre que l’enterrement ne servait pas seulement à soigner le culte de la personnalité de Tito, mais aussi à améliorer les relations internationales.
32Ces funérailles furent exceptionnelles, car il n’y avait jamais eu en un seul endroit tant de dirigeants de tant de pays avec de si grandes différences idéologiques. On voit bien sur les images qu’ils se tenaient en treize ou quatorze rangs de trente-cinq personnes sur une tribune construite spécialement pour l’occasion, qui veut dire que les quatre cent cinquante invités étrangers se tenaient sur à peu près deux cents mètres carrés. La presse yougoslave n’était la seule à scruter les invités : le Financial Times a rapporté que les plus petites délégations étaient celles des rois de Norvège et de Suède (ce dernier avait obtenu des grévistes de l’aéroport l’autorisation exceptionnelle de prendre l’avion), tandis que les plus grandes accompagnaient Saddam Hussein et le président guinéen Ahmed Sékou Touré. La presse britannique voyait le chancelier allemand comme le plus actif, et attribuait à Indira Gandhi la victoire morale qui lui permettrait de prendre la direction du mouvement des non-alignés vu que Fidel Castro n’était même pas venu. Les journalistes ont remarqués à quel point Brejnev évitait les rencontres. L’une des raisons pouvait être la maladie, la fatigue, l’autre qu’il ne voulait sûrement pas entendre des objections concernant la délicate question de l’invasion de l’Afghanistan – mais il se peut qu’il avait d’autres raisons43.
33Les funérailles furent considérées comme une célébration de la « détente », notion empruntée au français et qui s’était popularisée dans les années 1970. Dans une émission sur la guerre des Balkans, un commentateur de la télévision serbe a fait une remarque ironique : selon lui, Tito restait gagnant même dans la mort, il était plus reconnu que de son vivant, puisque le monde entier était venu à ses obsèques. En même temps « l’enterrement de Tito était aussi l’enterrement de la Yougoslavie, mais ça, personne ne l’a remarqué44 ».
34Outre les personnalités politiques, le principal sujet de préoccupation des journalistes n’était ni Tito ni le destin de la Yougoslavie, ni même l’apparition publique de l’épouse qui vivait depuis des années pratiquement en résidence surveillée, mais l’absence de Jimmy Carter. Le Newsweek daté du 19 mai 1980 titre avec ironie : « L’homme qui n’était pas là. » Il commence par relater la renaissance d’une veille tradition slave, trouvée dans un manuel : quand quelqu’un meurt, on n’invite personne aux obsèques, mais naturellement tout le monde est là. Et bien que personne n’ait été invité, tout le monde était présent aux funérailles de Tito, sauf le président Carter. On cite sans le nommer un officiel de l’Allemagne de l’Ouest : « C’était plus qu’une erreur, c’était une bourde. » À ce moment-là, Carter était en Philadelphie en campagne électorale, et selon le secrétaire d’État américain, il n’était pas souhaitable de rencontrer les dirigeants soviétiques à cause de la crise afghane : « La Yougoslavie est l’Afghanistan de l’Occident ». (Prévision se réaliserait dans une certaine mesure par la suite.) Et se confronter à ce sujet à Belgrade sans préparation aurait été « bêtement dangereux45 » – n’oublions pas que l’invasion de l’Afghanistan par les Soviétiques, commencée l’année précédente, a donné lieu à de nombreuses rencontres après les obsèques (la presse britannique en a parlé46). Dans un article encadré du 19 mai 1980, le Time le souligne également : The Invisible Man… Selon le journal on déplorait l’absence de Carter parce que sa visite il aurait pu être une marque de soutien à l’indépendance de la Yougoslavie. Bien que l’ambassadeur américain à Belgrade, Lawrence Eagleburger, ait insisté pour que la visite ait lieu, on voyait de nombreuses autres raisons pour que le président ne vienne pas : depuis la campagne électorale jusqu’au fait que la venue de Brejnev ne s’était concrétisée qu’au dernier moment. Le New York Post a passé en revue les journaux occidentaux : Carter a perdu un round diplomatique, les Soviétiques ont pris l’avantage, les Yougoslaves sont déçus47. La Maison Blanche s’expliquait : le président a fait clairement savoir qu’il soutenait l’indépendance et l’intégrité de la Yougoslavie, même après Tito. Un responsable qui ne voulait pas être cité a raconté que depuis la prise d’otages de Téhéran, le président avait limité ses voyages même à l’intérieur du pays, « et nous sommes convaincus que le gouvernement yougoslave le comprendra parfaitement. Les Yougoslaves savent qui sont leurs amis48 ». Mais à peine six semaines plus tard, le 24 juin, Carter est venu Belgrade après avoir participé à une rencontre au sommet à Venise avec les chefs des gouvernements allemand, italien, anglais et le président français, et comme il était dans les parages… . Mais cela n’a aidé ni Carter ni la Yougoslavie : le premier a perdu les élections, la seconde s’est s’enfoncée dans une crise profonde. De nombreux biens de consommation ont été rationnés, comme l’essence et des produits alimentaires de première nécessité, il y avait de fréquentes coupures de courants, l’inflation et la dette du pays s’aggravaient. L’une des raisons de cette crise était que les élites communistes vieillissantes avaient été remplacées par des élites locales nationalistes étaient plutôt favorables à la désintégration de la Yougoslavie.
L’apparition de l’épouse écartée
35Mais ce ne sont pas seulement des présents et des absents qui ont créé l’événement médiatique. La presse locale a souligné que la cérémonie était suivie par quarante et une caméras, qu’il y avait cinqunate-huit chaînes de télévisions de quarante-deux pays49. Les Vjesti de Zagreb avaient compté les journalistes étrangers : sept cent vingt personnes de cinquante-huit pays, à savoir quatre-vingt-trois de RFA, le même nombre des États-Unis, cinquante-cinq de France, cinquante-quatre du Japon, onze d’Indonésie, six d’Iran, douze de Cuba, six d’Afghanistan, dix de Zambie ; quarante personnes de dix pays africains, cent quarante-quatre de quinze pays d’Asie, quatre cent dix-neuf de vingt-quatre pays européens et cent dix-sept des « deux continents américains ». Mais pas un mot sur l’Union soviétique, les pays socialistes ni même la Chine. Selon le Vjesnik, quarante-trois chaînes de télévision ont retransmis la cérémonie en direct – on ne peut toutefois pas affirmer que des milliards personnes aient suivi l’événement, car beaucoup de pays ne faisaient pas de mesure d’audience. Milan Bekićaj, le correspondant permanent de Vjesnik à Moscou a noté que les médias soviétiques « étaient très modérés dans leur informations concernant la mort et les funérailles de Tito ».
36Outre Carter et Tito, c’est l’épouse de ce dernier, Jovanka Budisavljević, qui a attiré l’attention des médias occidentaux. Née dans une famille orthodoxe serbe de Krajina, territoire croate habité à l’époque par des Serbes, elle avait trente-sept ans de moins que Tito. Ils s’étaient rencontrés déjà pendant la guerre et ensuite, elle s’était retrouvée dans le sillage du président en tant qu’ancienne partisane. Avant elle, Tito avait déjà trois épouses et des enfants (des légendes circulent sur le nombre de ses maîtresses, et les historiens des tabloïds estiment à plusieurs douzaines le nombre de ses enfants). Après leur mariage, en 1952, elle était devenue une vraie première dame. Les mauvaises langues prétendent que c’est à cause d’elle qu’ils menaient grand train, et que les services secrets l’ont éloigné de Tito en 1977 parce qu’elle avait une trop grande influence sur ses décisions, peut-être aussi parce qu’elle était serbe. D’autres prétendent que Tito vieillissant ne la supportait plus – donc, les ragots sont contradictoires, la presse publie encore avec gourmandise des articles concernant leur relation. Jovanka a vécu à Belgrade retirée de la vie publique Elle est morte le 20 octobre 2013. Comme Tito n’a pas fait de testament, elle prétendait n’avoir rien hériter de son mari et de n’avoir même pas pu emporter ses objets personnels. Dans les années 1990, elle ne possédait pas de documents personnels, mais ce problème a été réglé par la suite. La lutte pour l’héritage de Tito dure toujours, opposant les membres de la famille et l’État.
37Jovanka était la coqueluche des médias yougoslaves, au même titre que Tito. La belle et élégante Jovanka – elle fréquentait le célèbre salon de couture de Klára Rotschild à Budapest – l’accompagnait partout, leur dernière photo commune avait été prise justement dasn cette ville. Elle a même été photographiée tenant un fusil de chasse. Beaucoup de femmes en Yougoslavie rêvaient sans doute d’une vie comme Jovanka, qui ne s’est jamais prononcée sur la politique en public. On ne sait toujours pas pourquoi elle a été placée en résidence surveillé en 1977 – sa dernière apparition date du 14 juin de cette année-là. Elle a mené dès lors une vie très solitaire – ils n’avaient pas d’enfants, elle avait perdu ses parents et son frère au début de la guerre et n’entretenait guère de relations avec les enfants de Tito. Les théories du complot sont innombrables, la plupart évoquent des conflits politiques, de règlements de comptes et affirment qu’à la fin de sa vie, Tito n’était plus qu’un pantin. Les livres traitant de ce sujet pourraient remplir une bibliothèque, les mémoires paraissent toujours en grand nombre, aggravant la confusion50. Mais ce qui importe pour notre sujet, c’est que Jovanka a été « libérée » pour les funérailles.
38Sa disparition de la vie publique était toujours un sujet de discussion dans les milieux non officiels, de sorte que sa réapparition le 6 mai n’est pas passée inaperçue. La presse occidentale avait déjà parlé d’elle, même avant la mort de Tito, le Guardian avait rapporté qu’on ne l’avait pas laissé s’approcher de son lit de mort, et que l’un des musées de Belgrade avait enlevé toutes les photos où elle figurait, que les films documentaires avaient été tronqués selon les bonnes vieilles méthodes staliniennes. Le journal n’avait aussi que des suppositions en évoquant des raisons personnelles ou politiques, et prétendait qu’elle avait voulu se rendre au chevet de Tito, mais que cela lui avait été interdit. Voilà pourquoi sa réapparition fut un événement51. Les journaux occidentaux ont immédiatement relaté sa présence auprès du catafalque, comme par exemple The New York Times. Comme pour une célébrité quelconque, ils entraient dans les moindres détails, évoquaient la rupture, la mise à l’écart : Jovanka, 65 ans, l’épouse de Tito a posé son petit sac à main en soupirant et pleurant avant de déposer une gerbe où figurait l’inscription : « au cher Tito ». Puis : « elle se tenait en silence devant le cercueil, dans une robe noire, en chapeau noir, la tristesse se lisait sur son visage. Au bout d’un certain temps elle se mit à pleurer doucement », puis devant le cercueil couvert de satin, avec les fils de Tito des précédents mariages, elle a reçu les condoléances des dirigeants du parti et du gouvernement52. Les journaux yougoslaves n’osaient même pas la mentionner. On la voit sur les enregistrements télévisés, mais on ignore ce que disaient les commentateurs, on ne peut pas reconstruire le direct. Par contre on voit bien les efforts de la presse écrite pour ne pas la nommer, pour passer sa présence sous silence. Jovanka n’apparaît dans aucun des nombreux photoreportages, alors que paraissaient les photos plus diverses, depuis les hommes politiques les plus connus jusqu’aux enfants en pleurs, en passant par des gens du peuple, des pionniers, des mineurs etc. Un quotidien hongrois a fait de même : on voit le président finlandais en larmes, la délégation des prêtres catholiques, mais nulle trace de Jovanka53. Les biographies écrites par la suite ont également fini par l’omettre, et dans les années 1990 sa personne a perdu tout intérêt à cause des guerres. Le sujet est revenu dans le nouveau siècle en parti à cause du regain du culte de Tito. Mais il ne faut pas croire que les journalistes ont évité le sujet de Jovanka sur les ordres, à cette époque ils évitaient déjà tout seul des sujets qui fâchent quant il s’agissait de Tito.
Après le culte de Tito, le culte de la mort
39Inutile de dire que dans les semaines qui ont suivi, la figure de Tito a occupé toute la presse. Des poèmes lui étaient dédiés, des séries télévisées racontaient sa vie, ses écrits étaient réédités, ainsi que les livres de souvenirs qui le concernaient. Les éditions spéciales en couleur paraissaient, la presse jubilait : le numéro spécial du magazine Politika de Belgrade consacré aux funérailles a atteint le tirage record de 720 000 exemplaires. Les télévisions diffusaient des films sur les partisans. Le culte de Tito a culminé avec sa mort, plus précisément à la première fête de la jeunesse après sa mort, le 25 mai, jour de son (pseudo) anniversaire. Dans son numéro du 12 mai le Spiegel décrit la situation avec un jeu de mots ironique : « Vom Tito-Kult zum Toten-Kult » (du culte de Tito au culte de la mort). Mais le New York Times écrivait déjà que sa mort avait laissé la Yougoslavie sans direction effective54.
40Puis la vie reprend son cours : passés les sept jours de deuil, le 11 mai se joue un match de football, le 12 le quotidien Borba publie la critique d’une comédie américaine. On peut visiter la Maison des Fleurs à partir du 10 mai, mais il y a une telle demande qu’à partir du 1er juillet le nombre et la provenance des visiteurs sont réglementés proportionnellement à la population des républiques. Par exemple, trois mille personnes par jour pour la Serbie, trois cents pour le Monténégro, mais aussi chronologiquement – à la première heure, les habitants des régions les plus lointaines (à partir de huit heures, une demi-heure pour les Slovènes puis pour les Macédoniens, visiblement compte tenu des trains de nuit, les habitants et les invités de Belgrade entre quatre et six heures). Les quatre premières années, on compte sept millions de visiteurs (à cette époque la population de la Yougoslavie était de vingt millions d’habitants auxquels s’ajoutaient les deux millions vivant à l’étranger). En trente ans, vingt millions de personnes se sont rendues sur la tombe de Tito. La Maison des Fleurs puis la résidence sont devenues totalement accessibles au bout de quatre ans, avec un musée de souvenirs, des témoins, des objets personnels. On peut aussi visiter sa maison, son cabinet de travail, le salon avec le billard, l’atelier de serrurerie, le pavillon de chasse.
41Jusqu’au début des guerres, chaque année le 4 mai à 15 h 05, les sirènes se mettaient à hurler, les journaux télévisés montraient les gens figés au garde à vous – mais il y en avait toujours qui continuaient leur chemin. Le culte de Tito se perpétuait dans les noms des lieux : dans chaque république et département une ville pouvait accoler en préfixe le nom de Tito, ce qui était considéré comme un grand honneur, les villes luttaient pour l’obtenir. Le témoin a continué à tourner en son honneur dans le pays (jusqu’au scandale de l’affiche de 1987, œuvre d’artistes slovènes, qui était une version « rétro-avant-gardiste » détournée d’une affiche nazie sur laquelle un homme musclé – idéal nazi – brandit le témoin du relais)55, une passe de football porte son nom etc. Début mars 1982 est votée une loi pour la préservation de son nom, afin d’éviter tout usage commercial et dorénavant le gouvernement fédéral devait donner son autorisationpour toute utilisation du nom de Tito56. En 1985, son portrait apparaît sur le billet de 5 000 dinars. Deux ans plus tard, un essayiste autrichien a remarqué que tous les polos, pin’s et autres objets portant le portrait et la signature de Tito montraient que la titomanie avait remplacé le titisme57. Mais ce n’est que partiellement vrai, car la boîte de la Pandore était déjà ouverte.
42En 1981, la force militaire, les blindés sont employés pour mater les manifestations des Albanais du Kosovo. C’était le début du conflit entre les Serbes et les Albanais du Kosovo. La première manifestation serbe a eu lieu à l’enterrement du deuxième homme du régime Tito, Aleksandar Ranković, ancien chef des services secrets en disgrâce depuis 1966 (il paraît qu’il avait mis sur écoute Tito lui-même), qui avait vécu retiré à Dubrovnik jusqu’à sa mort en 1983. Il a été inhumé le 23 août à Belgrade avec les honneurs militaires. C’était un héros aux yeux des Serbes parce qu’il avait persécuté les Albanais qui avaient combattu les partisans pendant la Deuxième Guerre mondiale et que les Serbes se considéraient à leur tour persécutés par les Albanais du Kosovo, ce qui explique leur manifestation58, fait que la presse internationale a relevé aussitôt59. Les manifestants scandaient le nom du défunt, applaudissaient le cortège funèbre, ce qui est plutôt inhabituel. Le message politique était clair même pour la presse yougoslave : un article croate a parlé de l’apparition de fantômes politiques60.
43En 1987, un autre enterrement a servi de prétexte à une manifestation serbe. Un soldat albanais, Aziz Keljmendi, avait abattu quatre de ses camarades et en avait blessé cinq dans la caserne de Paraćin. Selon la version officielle, il s’est suicidé pendant la traque. Bien qu’il n’y eût pas que des Serbes parmi les tués mais aussi un Musulman bosniaque, par exemple, l’inhumation de l’une des victimes à Belgrade est quasiment devenue une manifestation anti albanaise. Dans plusieurs villes, il y a des jets de pierres sur les commerces albanais. Le Politika de Belgrad – qui par la suite s’est illustré dans l’incitation à la guerre – a titré en très gros caractères que l’événement était « Une balle dans la Yougoslavie ».
44Notons pour finir que les obsèques des dirigeants les plus importants après la dislocation de la Yougoslavie sont également fort intéressantes. Fin 1999 à l’enterrement de Franjo Tudjmann, ancien général de Tito, mais président croate au moment de sa mort, la presse croate a souligné qu’il y avait des représentants de 70 pays – mais en réalité aucun chef d’État ou de gouvernement (sauf le Hongrois Viktor Orbán), car Tudjman n’était pas considéré comme un démocrate, et s’il avait vécu plus longtemps il aurait pu être inculpé par le Tribunal International de La Haye de crime contre l’humanité. En 2003, à l’enterrement du Musulman bosniaque Alija Izetbegović – le premier président de la Bosnie-Herzégovine indépendante, militant fervent de l’autonomie –, des centaines de milliers personnes ont prié selon le rite musulman. Selon les Serbes et en partie selon les Croates, c’était lui le responsable des crimes de guerre. Slobodan Milošević est mort dans sa cellule à La Haye, et son enterrement est remarquable aussi, car il a été inhumé dans la maison de son épouse au crépuscule (ce qui est impossible selon les coutumes orthodoxes, car c’est l’heure des vampires), mais en l’absence de sa femme, de son fils et de sa fille qui s’étaient réfugiés en Russie, et ses anciens camarades étaient peu nombreux (sauf Ivica Dačić, son ancien porte-parole qui est devenu par la suite ministre de l’Intérieur puis chef du gouvernement). Son cercueil avait été scellé à La Haye et ses adeptes faisaient courir le bruit selon lequel il avait été assassiné, ou bien vivait quelque part incognito. Ibrahim Rugova fut inhumé en 2006, peu avant Milošević. L’homme politique albanais du Kosovo avait dirigé la résistance passive contre ce dernier, depuis 2000 il dirigeait le plus grand parti indépendantiste du Kosovo, puis il était devenu le président de la nouvelle république. Son enterrement a eu lieu sans office religieux car contrairement aux (fausses) rumeurs concernant Tito, il s’était converti à la fin de sa vie de l’islam au catholicisme.
45Ainsi, en complétant les propos de Todor Kuljić on peut dire que l’enterrement de Tito fut pour le monde entier un symbole de paix, ceux de Tudjman, Izetbegović et Rugova furent à l’intérieur du pays des symbole de libération nationale, celui de Milošević, bien que partagé par peu de personnes, de résistance aux forces impérialistes61. Mais on peut considérer que les funérailles de Tito ont sonné le glas de la Yougoslavie, au même titre que l’enterrement de Winston Churchill en 1965 a pour bon nombre de personnes marqué la fin de l’empire britannique.
46Traduit du hongrois par Natalia Huzsvai
Notes de bas de page
1 « Tita, ipak, dvaput sahranili » [Pourtant Tito fut enterré deux fois], Glas Javnosti, 5 mars 2006.
2 Miloš Paunović, Titova smrt i sahrana u britanskoj štampi [La mort et les funérailles de Tito dans la presse britannique]. Godišnjak za društvenu istoriju, 2007/1-3.
3 Dubravka Ugrešić, Le Ministère de la douleur, trad. Janine Matillon, Paris, Albin Michel, 2008, p. 101-102.
4 Otpor, Melbourne, 4 décembre1980.
5 « Sahrana Josipa Broza Tita » [Les obsèques de Josip Broz Tito] 1/5, http://www.youtube.com/watch?v=bxUJvTt9yr8
6 « Tita, ipak, dvaput sahranili » [Pourtant Tito fut enterré deux fois], Glas Javnosti, 5 mars 2006.
7 Chaque année, une course de relais était organisée par les jeunesses communistes des différentes républiques. À la fin de la course, le bâton de relais était remis solennellement à Tito. (Note de la traductrice.)
8 Stephen H. Miller, « Tito birthday tomorow », Belgrade, May 24 1979 (AP), HU OSA 300-10-4, Box 72, RL Research Institute, Balkan Section, Yugoslav Biographical Files I.
9 Carl Gustaf Ströhm, « Lebt und lässt leben », Die Welt, 26 mai 1979.
10 HU OSA 300-10-4, Box 72, RL Research Institute, Balkan Section, Yugoslav Biographical Files I.
11 Sans titre, avec la remarque suivante en tête : « Beachten Sie auch unsere beiliegende Kurzfassung des Tito-Lebens » [Considérez également notre brève biographie de Tito ci-jointe], 1980. I. 15., HU OSA 300-10-4, Box 72, RL Research Institute, Balkan Section, Yugoslav Biographical Files I.
12 « What after Tito ? » Munich, 8 janvier 1980 (RAD/Stankovic). HU OSA 300-10-4, Box 72, RL Research Institute, Balkan Section, Yugoslav Biographical Files I
13 President Tito hears report on steps taken by Yugoslav forces to test their readiness. Londres, 28 janvier 1980, HU OSA 300-10-4, Box 73, RL Research Institute, Balkan Section, Yugolav Biographical Files I.
14 « Svet je o Jugoslaviji pisao ovih dana vise nego ikad » [Le monde parle de la Yougoslavie plus que jamais, Politika, 25 janvier 1980, 2.
15 Stephen H. Miller, « Yugoslav broadcasting takes on subdued tone », by Belgrade, 15 février 1980 (AP), HU OSA 300-10-4, Box 72, RL Research Institute, Balkan Section, Yugolav Biographical Files I.
16 Stephen H. Miller, « Nigh lead on Tito », Belgrade, 14 février 1980 (AP), HU OSA 300-10-4, Box 72, RL Research Institute, Balkan Section, Yugoslav Biographical Files I.
17 AP on Tito’s deteriorating condition, Belgrade, 21 avril 1980, HU OSA 300-10-4, Box 72, RL Research Institute, Balkan Section, Yugoslav Biographical Files I.
18 Borba, 3 mai 1980.
19 « Najhumaniji ratnik svog vremena » [Le plus humain des combattants de son de son temps]. Borba, 7 mai 1980.
20 À propos de l’exploitation politique de la mort, cf. Todor Kuljić, « Tanatopolitika : upotreba leša, besmrtnosti i nesmrtnosti » [La thanatopolitique : l’utilisation du cadavre, de l’immortalité], Godišnjak za društvenu istoriju, 2011/3
21 « A Jugoszlávia Dolgozó Népe Szocialista Szövetségének részvéttávirata » [Télégramme de sympathie de la Fédération socialiste des travailleurs de Yougoslavie]. Magyar Szó, 5 mai 1980.
22 « Mély gyász országszerte » [Grand deuil dans tout le pays]. Magyar Szó, 6 mai 1980.
23 « Above all, Tito was a tyrant ». The News World, New York, 6 mai 1980. “Communist countries reactions to Tito’s death”. Munich, 6 mai 1980, RAD/Antic, Radio Free Europe, HU OSA 300- 10-4, Box 74, RL Research Institute, Balkan Section, Yugoslav Biographical Files I.
24 « Communist countries reactions to Tito’s death ». Munich, 6 May 1980, RAD/Antic, Radio Free Europe, HU OSA 300-10-4, Box 74, RL Research Institute, Balkan Section, Yugoslav Biographical Files I.
25 Drew Middleton, « Belgrade’s Defense Strategy : Guerrilla War », New York Times, 5 mai 1980.
26 Viktor Meier, « Wir werden von Deinem Weg nincs abweichen. » Frankfurter Allgemeine Zeitung, 6 mai 1980.
27 Sahrana Josipa Broza Tita (Les funérailles de Josip Broz Tito) 1/5. http://www.youtube.com/watch?v=bxUJvTt9yr8
28 « Die letzte Farhrt im blauen Zug. » Süddeutsche Zeitung, mai 1980. Vjekoslav Perica : Balkanski idoli (Les idoles des Balkans), Belgrade, Biblioteka XX Vek, 2006., vol. I, p. 217.
29 Vjekoslav Perica, op. cit..
30 Sahrana Josipa Broza tita (Les funérailles de Tito) 3/5. http://www.youtube.com/watch?v=JG4c6JUVOF4
31 Jugoslavija za jedno stoleće [Un siècle de Yougoslavie], documentaire de la HRT, 6e partie, http://www.youtube.com/watch?v=verVEcKV29U
32 http://www.tabloid.co.yu/clanak.php?br=131&clanak=13
33 « Naučio nas je svojim velikim primjerom da dijelimo sudbinu sa svojom zemljom i narodom » – riječ Stavana Doronjskog [ « Il nous a enseigné par son grand exemple de partager le sort de son pays et du peuple » – discours de Stavan Doronjski], Vjesnik, 9 mai 1980.
34 « S Tobom na čelu izgradili smo zajednicu bez koje je naše postojanje nezamislivo. Riječ Lazara Koliševskog » [Sous ta direction, nous avons construit une communauté, sans laquelle notre existence est impensable. Discours de Lazar Koliševski]. Vjesnik, 9 mai 1980.
35 http://www.serbianunity.net/culture/library/Ubij_Bliznjeg_Svoga/sdb/sdb5.html
36 « Tita, ipak, dvaput sahranili » (Pourtant Tito fut enterré deux fois], Glas Javnosti, 5 mars 2006.
37 http://www.fx-files.com/x-files/iluminati-u-rh/523-je-li-tito-bio-mason-dokazi-i-indicije.html
38 « Belgrade Crowd Mourns As Body of Tito Arrives by John Darnton », 6 mai 1980.
39 « The big gathering in Belgrade », Munich, 7 mai 1980, RAD/c.a, Radio Free Europe, HU OSA 300-10-4, Box 74, RL Research Institute, Balkan Section, Yugoslav Biographical Files I.
40 « Tita, ipak, dvaput sahranili » (Pourtant Tito fut enterré deux fois), Glas Javnosti, 5 mars 2006.
41 Vjekoslav Perica : Balkanski idoli (Les idoles balkaniques). Belgrade, Biblioteka XX Vek, 2006., t. I, p. 217, se référant à un ouvrage publié par Vjesnik, Bilo je časno živeti s Titom (C’était un honneur de vivre avec Tito), Zagreb, 1980, p. 226.
42 « So ein Begräbnis müsste jedes Jahr sein », Der Spiegel, 12 mai 1980.
43 Miloš Paunović, « Titova smrt i sahrana u britanskoj štampi » (La mort de Tito dans la presse britannique). Godišnjak za društvenu istoriju, 2007/1-3, p. 138.
44 Cf. le résumé de RTS1, Najveća sahrana u istoriji čovečanstva » (Les plus grandes funérailles de l’histoire de l’humanité). http://www.youtube.com/watch?v=Q7Txj43GmYA
45 J. Nielsen, P. Martin, T.M. DeFrank, W.E. Schmidt, « The Man Who Wasn’t There », Newsweek, 19 mai 1980, p. 36-37.
46 Miloš Paunović, op. cit., p. 141.
47 « Carter under fire for skipping Tito funeral », New York Post, 7 mai 1980.
48 Michael Getler, « Aides urged Carter to attent Tito rites », The Washington Post, 8 mai 1980.
49 Vjekoslav Perica, loc. cit.
50 Cf. Miro Simčić, Žene u Titovoj senci (Les femmes dans l’ombre de Tito), Zagreb, B.V.Z., 2008.
51 Hella Pick « Tito’s estranged wife„ turned away from deathbed” », The Guardian, 2 mai 1980.
52 John Bartnton, « Tito’s train carried body to Belgrade : mourners line the track », The New York Times, 6 mai 1980.
53 Magyar Szó, 10 mai 1980.
54 John Dranton, « Tito’s death leaves Yugoslavia without effective leadership », The New York Times, 11 mai 1980.
55 Dimitar Gligorov, « Računajte na nas ». « Odlomak » o Titovoj štafeti ili Štafeti mladosti. (Comptez sur nous. Extrait » sur le relais de Tito ou les Relais de la jeunesse) Godišnjak za društvenu istoriju, 2008/1-3, 124.o.
56 TANJUG en anglais, mars 4/82, HU OSA 300-10-4, Box 74, RL Research Institute, Balkan Section, Yugoslav Biographical Files I.
57 p.m., « Titomania », Die Presse, 6-7 mars 1982.
58 Slobodan Stankovic, « Demonstrations at Rankovic’s funeral condemned », RAD Backgrodun Report/222, 16 septembre 1983., par sa mort, il est devenu définitivement un héros national…, HU, OSA 300-10-4, Box 53
59 « Rankovic-Begräbnis wird zur Sympathiedemonstration » (L’enterrement de Ranković devient une manifesation de sympathie), CND, Munich, 24 août 1983.
60 živko Milić, « Kako su nas pohodili duhovi » (Comment les esprits nous ont hantés), Danas, 30 août 1983.
61 Todor Kuljić, « Grob i moć. Tanatosociološka analiza sahrana Tita, F. Tudjmana i Miloševića » (La tombe et le pouvoir. Analyse thanoto-sociologique des funérailles de Tito), Sociologija, vol. LIV (2012), n° 4, p. 595.
Auteurs
Académie des sciences de Hongrie, Institut de recherche sur les minorités
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