Deuils politiques et cérémonies funéraires de la maison royale de Naples (xviiie-début xixe siècle)
Political mourning and funeral ceremonies in the royal house of Naples (18th–19th c.)
p. 153-162
Résumés
La contribution analyse les pompes funèbres et la codification du deuil officiel de la maison royale napolitaine à partir du début de la dynastie bourbonienne (1734) jusqu’à la restauration. Nouvelle dynastie implantée dans un ancien Royaume, les Bourbons de Naples ont élaboré leur propre cérémoniel en utilisant comme modèle de référence les traditions des deux maisons « ancêtres » : l’Espagne et la France. L’élaboration formelle de ce cérémoniel se développe pendant le règne de Charles, le fondateur de la dynastie, sans subir des changements majeurs au cours des décennies successives. En revanche, en regardant l’organisation ponctuelle des funérailles, on atteste les variations causées par la conjoncture politique et l’intention des successeurs de Charles d’affirmer l’autonomie du Royaume face aux ingérences de l’Espagne et de la France.
This contribution analyzes the funeral ceremonies and the codification of the official mourning of the Neapolitan royal house from the beginning of the Bourbon dynasty (1734) until the Restoration. As a new dynasty established in an ancient kingdom, the Bourbons of Naples developed their own ceremonial, taking as a model of reference the customs of their two “ancestral” houses: Spain and France. The formal ceremonial was developed during the reign of Charles, the founder of the dynasty, and did not undergo major changes over the succeeding decades. However, by looking closely at each funeral arrangement, one notices the variations caused by the political situation as well as by the intention of Charles’ successors to affirm the autonomy of the kingdom in the face of the interference of Spain and France.
Texte intégral
1L’historiographie récente consacrée à l’étude des cérémoniaux royaux au cours de l’Ancien Régime a focalisé son attention sur les rites funéraires, en jugeant ces derniers comme un moment fondamental pour l’autoreprésentation du pouvoir monarchique1. Il a été aussi vérifié qu’à partir de la Renaissance, l’organisation des obsèques et des funérailles royales dans les différents pays d’Europe était fondée sur un schéma commun2. En ce qui concerne les obsèques, ce schéma s’articule en trois temps : « l’exposition du corps du défunt ; le convoi vers le lieu de sépulture ; l’office religieux et la mise au tombeau3 ». Chacune de ces séquences présentait des caractéristiques différentes en rapport aux traditions locales, mais également aux enjeux politiques et sociaux du moment.
2Le xviiie siècle peut être considéré en tant que phase « mûre » de ce processus d’homogénéisation des rites funéraires princiers européens. Cependant, ce siècle vit la naissance de la Prusse et l’affirmation d’une nouvelle dynastie sur les trônes de Naples et de Sicile. Il s’agissait donc de deux maisons royales nouvelles, qui avaient l’exigence de réaliser leur propre cérémoniel. Dans le cas de Naples et de la Sicile en particulier, la dynastie bourbonienne n’était pas perçue comme indigène : Felipe V avait régné sur Naples un peu moins d’une décennie avant de céder la couronne à l’Autriche4. Par conséquent, le nouveau roi devait tout d’abord ne pas se présenter comme le continuateur de la domination étrangère5. Le Royaume de Naples regagna son autonomie en 1734, avec l’entrée de Don Carlos de Bourbon dans la capitale au cours de la guerre de succession de Pologne. Le traité de Vienne de 1738 sanctionna de façon définitive l’attribution des royaumes de Naples et de Sicile à Carlos. Ainsi, pour marquer la discontinuité avec les régimes du passé, le nouveau roi assuma le nom italianisé de Carlo, sans rajouter aucun nombre. En effet, dans la bulle d’investiture, il est nommé en tant que roi de Naples sous le nom de Carlo VII, mais ce nom n’a jamais été utilisé par le souverain. Malgré ce choix, plusieurs éléments de la politique d’autoreprésentation de la nouvelle monarchie établirent une liaison avec le passé.
3En ce qui concerne la politique funéraire, il fallut trouver d’abord un lieu de sépulture et ensuite concevoir un rituel officiel pour la maison royale. Les vice-rois morts à Naples avaient sélectionné diverses églises parmi les plus prestigieuses, tandis que la dynastie aragonaise, au cours du xve siècle, avait privilégié l’église conventuelle S. Domenico Maggiore6. Charles établit la chapelle royale dans l’église du monastère S. Chiara, gérée par une communauté de religieuses sous le patronat de la Couronne. Il s’agissait du temple le plus vaste de la capitale, qui avait accueilli les monuments funéraires de la dynastie angevine, considérée comme la fondatrice du Royaume. Par conséquent, Carlo di Borbone se rapprochait de Carlo I d’Angiò, premier roi de Naples7. Toutefois, le cérémonial adopté était très proche de l’espagnol, lequel avait influencé toutes les maisons royales européennes à partir de la Renaissance8.
Les rites funéraires des Bourbons de Naples
4La tâche d’organiser les cérémonies de la Couronne napolitaine était confiée au Real Somigliere (Sommelier) del Corpo : un membre de l’aristocratie, nommé par le roi pour gérer sa Chambre en coordonnant également les gentilshommes admis à son service. En ce qui concernait les éléments religieux du rite, la responsabilité en était confiée au Cappellano maggiore : le Grand aumônier du Royaume. Deux premières occasions de tester les rites funéraires de la nouvelle dynastie furent la mort des infantes Maria Giuseppa Antonia et Maria Elisabetta Antonia, décédées respectivement le 2 avril (après deux mois de vie) et le 1er novembre (à l’âge de deux ans) 17429.
5L’autopsie des cadavres eut lieu face aux gentilshommes de la Chambre, ainsi que l’opération d’embaumement. Par la suite, les deux petits cadavres furent exposés durant 24 heures dans les appartements de la reine, et après cela ils furent transportés jusqu’à S. Chiara une heure après le coucher du soleil. Le cortège nocturne était une pratique très diffusée dans l’Europe moderne. On ignore les origines de cet usage, pourtant il semble qu’il soit né en Espagne au milieu du xvie siècle10. Il faut distinguer ce genre de cortège de ceux du Moyen Âge, qui prévoyaient des obsèques sans pompe et pendant la nuit comme geste d’humilité et de mortification. Au contraire, les cérémonies nocturnes sous la période baroque étaient conçues pour être un véritable spectacle, qui pouvait s’appuyer sur une scénographie suggestive et sur des centaines de participants, effets de lumières, etc.
6En raison de cette spectacularisation, les convois des deux infantes, qui ont eu lieu respectivement le 3 avril et le 9 novembre 1742, étaient formés de plusieurs éléments11. En premier lieu il y avait l’escorte composée d’environ cent militaires qui gardaient l’un des carrosses royaux, occupé par le cercueil surveillé par le Grand aumônier et les curés de la chapelle palatine. Ensuite, il y avait le carrosse du roi (qui était vide) et un troisième carrosse dit « de respect12 ». Les trois voitures étaient tirées chacune par six chevaux, et la procession se déroula le long du parcours entre le palais royal et Santa Chiara :
là où devait passer le cadavre royal il y avait deux files des troupes d’infanterie, soit pour honorer l’enterrement soit pour laisser libre le pas au train des carrosses et à sa suite, sans empêcher le Peuple de voir le cortège, avec l’ordre de ne pas permettre aux carrosses des particuliers d’entrer dans ladite file13.
7L’itinéraire fixé pour les convois royaux impliquait un groupe défini de rues, toutes concentrées dans la partie sud-ouest de la ville, que le nouveau souverain voulait définir comme centre cérémoniel de la Couronne. En effet, une prammatica du 1745 interdisait aux tribunaux de conduire les processions des condamnés le long de ces rues, afin de bien déterminer les espaces exclusifs de la monarchie.
8Une fois le cercueil arrivé à l’église, il était déposé dans le catafalque construit au milieu de la nef centrale. Cette construction somptueuse s’inspirait des Arcs de triomphe et des grands mausolées des empereurs romains14. Le « tempietto » (ou petit temple) à l’italienne fut le modèle le plus répandu en Europe : composé de divers niveaux superposés, il pouvait dépasser les dix mètres de hauteur. Bâti en bois, liège, plâtre, stuc, et enfin recouvert de draps, de statues, d’emblèmes et d’inscriptions, mais surtout éclairé par un grand nombre de lumières, qui devaient symboliser le triomphe de la vie (la lumière) sur la mort (l’obscurité).
9Le catafalque (aussi dit castellana à Naples) permettait toujours la déambulation autour de ce dernier, afin d’organiser une procession ordonnée de ceux qui rendaient visite au défunt. Parfois, l’audace des constructeurs pouvait causer des problèmes : c’est le cas du mausolée réalisé pour Maria Elisabetta Antonia, qui prit feu la veille, car « un drap de lin fut brûlé par une torche et toute la machine fut réduite en cendre, en risquant aussi d’incendier le toit de l’église15 ».
10Le convoi ne prévoyait pas la présence de personnalités externes à la Maison royale. Dans le cas des souverains français, à partir de Louis XIII, ceci a été envisagé comme une initiative précise « d’affranchissement du souverain envers la puissante cité16 ». Compte tenu de la filiation bourbonienne de la monarchie napolitaine, mais aussi du projet politique de Carlo, il est probable que cette privatisation du convoi fut conçue avec le même but. En effet, depuis l’arrivée du nouveau souverain, le gouvernement visa à réduire les pouvoirs particuliers, dont celui du conseil municipal de la capitale était le plus voyant. Cependant, les dignitaires de la ville participaient nombreux aux offices religieux qui suivaient le convoi.
11Le jour suivant, à huit heures du matin, le rite eut lieu en présence de quatre cents frères des quatre ordres mendiants, des secrétaires du roi, des présidents des tribunaux, des élus de la municipalité, des notables de la ville et du Royaume ; seule, la famille royale était absente17. À la fin de la liturgie, le cercueil fut enfermé dans une caisse fermée à trois clés et murée dans l’une des niches de la chapelle royale. Chaque phase du rite était annoncée au public demeurant en dehors de l’église, qui gardait ses portes ouvertes depuis l’arrivée du corps jusqu’à sa sépulture.
12Ce cérémonial était prévu pour tous les membres de la famille royale – y compris le roi – à l’exception de certaines particularités propres aux adultes. En effet, pour ces derniers il existait une procédure de reconnaissance du corps au moment de son arrivée à l’église. Celle-ci, empruntée au cérémonial pontifical, imposait au Secrétaire d’État pour les affaires ecclésiastiques de faire ouvrir le cercueil et de demander à voix forte au Somigliere del corpo d’identifier le cadavre par trois fois18. Une autre différence concernait la multiplication des éléments liés à la cérémonie dans le cas d’un individu adulte : les jours d’exposition du cadavre (trois), les participants au convoi, les cierges processionnels, etc. Il y avait également des différences de genre, puisqu’à la mort du roi ou d’un prince on associait les honneurs militaires (par exemple, le tir des canons depuis les forteresses et les vaisseaux de guerre), alors que pour les femmes ces pratiques étaient peu développées ou absentes.
13Malgré la codification du cérémonial, certaines situations particulières obligeaient la Couronne à adapter sa nouvelle « tradition ». Ce fut le cas de la mort du prince Filippo, duc de Calabre et infant du Royaume jusqu’à l’âge de six ans, quand il lui fut diagnostiqué ce que les médecins appelèrent « imbécillité ». Filippo souffrait également de crises épileptiques, mais il décéda à cause de la variole en 1777 à l’âge de trente ans. Carlo était déjà roi d’Espagne et son fils Ferdinando, tuteur de Filippo, régnait sur Naples avec le nom de Ferdinando IV. Soudain se posa pour la cour le problème de l’organisation des pompes funèbres du prince. Finalement, il fut décidé de lui accorder la veillée de trois jours et le convoi d’un adulte, mais de le considérer « comme un enfant » pour les offices suivants19.
14Un autre élément très important de la politique funéraire était le deuil. En effet, la proclamation d’un deuil officiel par la Couronne imposait à tous les gens de rang d’assumer un comportement et un habillement spécifiques. Pour la mort du roi ou de la reine il était prévu un an de deuil, dont deux mois de deuil « strict » et le reste de deuil « allégé ». Le deuil strict prévoyait des obligations concernant l’habillement et les habitudes des membres de la famille royale, qui ne pouvait pas participer aux loisirs publics (par exemple, la chasse ou le théâtre). Ceux-ci étaient par contre admis durant le deuil allégé lequel concernait surtout la façon de s’habiller.
15L’absence prolongée du roi de la scène publique contribuait à engendrer un climat d’attente pour son retour, qui normalement était une occasion de réjouissances, mais aussi d’une célébration solennelle. Si l’on compare les obligations de la cour napolitaine à l’égard du deuil officiel à celles de la monarchie française, il semble que la première ait été moins rigide20. Toutefois, il faut tenir compte de l’engagement de Carlo et de la régence pour réduire le luxe dans les pompes funèbres par le biais d’une législation somptuaire qui, entre autres, diminuait aussi les temps du deuil21.
16En ce qui concernait les « ascendants et les descendants » directs du roi, la période de deuil était de six mois, dont deux mois de deuil strict, à l’exception des enfants, pour lesquels n’était prévu aucun deuil, sauf dans le cas de l’héritier du trône. La mort du frère du roi, Filippo, compte tenu de sa condition particulière évoquée précédemment, causa à la Cour quelques hésitations à propos de la durée du deuil. Finalement, il fut résolu de déclarer trois mois de deuil dont un mois de deuil strict22.
La mort du roi
17Dans le mécanisme du consensus bâti autour des obsèques royales, la participation de la population était fondamentale. En effet, il faut remarquer que la mort d’un membre de la famille royale était le seul deuil envisageable comme « national » à l’époque. Par conséquent, tout était conçu pour la réalisation d’un événement capable de catalyser – et canaliser – l’opinion publique pendant plusieurs semaines. Dans ce cadre, la mort du roi était certainement l’événement le plus important. Au cours du xviiie siècle, aucun roi de Naples est mort en charge ; toutefois, on dispose de deux cas de funérailles rendues à deux anciens souverains en l’absence de corps : celles de Felipe V et de Carlo (désormais Carlos III d’Espagne).
18Felipe V mourut le 9 juillet 1746. Il était le père du roi en charge, mais il avait été également roi de Naples entre 1700 et 1713. Une fois la nouvelle du décès arrivée, la famille royale s’enferma dans ses appartements pour neuf jours de prières ; dans le même temps, toutes sortes de loisirs publics furent interdits23. Compte tenu de l’impossibilité de rendre des obsèques praesente corpore, Carlo ordonna de célébrer des funérailles dans la chapelle du palais royal le premier et le neuvième jour en présence d’un catafalque qui reproduisait les symboles du pouvoir royal24. Ces cérémonies furent réservées aux dignitaires du Royaume ; pour le peuple, l’archevêque de Naples ordonna à toutes les églises de la capitale de sonner le glas chaque jour, une heure après le coucher du soleil, pendant neuf jours. En outre, toutes les églises devaient célébrer les funérailles au moins une fois durant cette période25.
19On déclara un deuil de six mois, pendant lesquels plusieurs cérémonies furent organisées dans la capitale et dans le Royaume. En septembre, à la fin de la période du deuil strict pour la famille royale, le Tribunal de S. Lorenzo, qui était le conseil municipal napolitain composé de six représentants de la noblesse et un représentant du peuple, organisa deux célébrations26. La première, commandée par les membres aristocratiques du conseil se déroula dans l’église S. Lorenzo ; la deuxième célébration eut lieu dans l’église de S. Agostino, tenue par l’Élu du Peuple. Le roi et la reine participèrent personnellement à la seconde, tandis que la noblesse fut reçue au palais lors de la cérémonie du Baisemain27. Le message politique était clair : compte tenu de l’hostilité de Vienne, le gouvernement du nouveau Royaume de Naples exposait ostensiblement sa liaison avec l’Espagne plutôt que de la nuancer.
20La situation fut différente à la mort de Carlo. La politique suivie par la régence (1756-1767), incarnée par la figure de Bernardo Tanucci, essaya de garder la neutralité du Royaume face aux affrontements entre les grandes puissances. En 1761, Naples refusa d’adhérer au pacte de Famille avec la France et l’Espagne, tandis qu’en 1768 le prince, et futur roi, Ferdinando épousa Maria Carolina d’Augsbourg. Avec le début du règne personnel de Ferdinando IV, le rapprochement avec l’Autriche fut plus net, ainsi que les derniers efforts pour réaliser plusieurs réformes jugées cruciales pour le pays. En 1783, contre la volonté de l’Espagne, Naples accéda à la Ligue des neutres, conduite par la Russie de Catherine II. Malgré cette prise de distance, la mort de Carlos III en 1788 fut un moment important de bilan et de réflexion sur la condition générale du Royaume28. En ce qui concerne le cérémonial adopté pour célébrer les funérailles, une dépêche du Secrétaire des affaires ecclésiastiques, Carlo De Marco, informait toutes les institutions de la décision du roi d’accorder à son père les mêmes honneurs qui avaient été rendus à Felipe V29. L’autonomie du Royaume n’était plus en question : en effet, les dizaines d’oraisons funèbres publiées pendant l’année exaltaient Carlos comme le roi guerrier et bâtisseur, qui avait posé les bases pour la prospérité des Deux Siciles. En revanche, plusieurs oraisons évoquaient, de façon plus ou moins manifeste, l’exigence de réformes que le pays attendait de la part de Ferdinando IV30.
21La mort de ce dernier fut la première qui eut lieu à Naples : le 4 janvier 1825. Dernier roi d’Ancien Régime, Ferdinando vécut la période révolutionnaire, l’occupation napoléonienne (1806-1815) et les émeutes de 1820, gardant toujours le projet de création d’un État absolu et d’une politique étrangère visant à éloigner Naples de l’influence espagnole, puis française. Les cérémonies organisées pour Ferdinando se présentaient comme un tournant fondamental dans la vie politique du Royaume – désormais – des Deux Siciles31.
22Le Giornale delle Due Sicilie, organe officiel du gouvernement, communiqua tout de suite la nouvelle de la mort du roi et de la prise en charge du pouvoir par son fils Francesco, qui déclara six mois de deuil strict, selon le cérémonial de la Couronne. Pour la première fois, l’autopsie du corps du souverain fut publiée dans un journal, avec la déclaration des médecins de la cour indiquant qu’il était mort d’apoplexie. Après trente-deux heures d’observation, le cadavre fut embaumé et son cœur extrait et déposé dans une urne d’argent, suivant la tradition bourbonienne32. Le corps fut enfin exposé pendant trois jours dans le grand salon dit « des vice-rois » dans le palais royal ; durant cette période, le peuple put rendre visite au souverain sans distinction de rang33. De cette manière, la monarchie napolitaine se conformait aux autres maisons royales d’Europe, qui déjà au cours du xviiie siècle avaient permis, dans certains cas, la libre visite aux dépouilles royales. En revanche, le corps embaumé de Ferdinando ne fut pas mis tout de suite dans un cercueil, tandis que les autres monarchies européennes avaient réduit sensiblement, ou complètement effacé cette phase du cérémoniel34.
23Le Giornale remarquait la participation populaire à la douleur de la famille royale, en soulignant qu’il était
quand même de quelque consolation de savoir que la santé de S.M. Francesco I, ainsi que celle de S.M. la Reine et des tous les Personnages Royaux fût dans un état convenable malgré la grave affliction qui pesait sur leur cœur35.
24De la même manière, tous les articles publiés par le journal concernant le décès de Ferdinando insistaient sur la succession immédiate au trône, rappelant le cycle de transmission du pouvoir de l’Ancien Régime.
25On décida de fermer tous les établissements d’enseignement de la capitale jusqu’à la mise au tombeau du souverain, tandis que les tribunaux, qui étaient depuis le Moyen Âge le symbole de l’autorité royale, restèrent seulement fermés le premier jour après le décès.
26Le convoi funèbre pour l’église S. Chiara partit le 13 janvier à 14 heures, c’est-à-dire quand il y avait encore du soleil, marquant une rupture cérémonielle par rapport aux deux siècles précédents36. En revanche, la composition du cortège, l’identification du corps une fois arrivé à S. Chiara et les autres composantes du service funéraire furent respectées selon la tradition établie environ un siècle auparavant. Toutefois, l’étude du convoi nous révèle certains signes de la conjoncture politique de l’époque. L’escorte était formée de plus de 2 000 soldats, dont la moitié était des membres de la nouvelle gendarmerie, de la garde royale et de l’armée napolitaines ; l’autre moitié était composée de soldats de l’armée autrichienne37. En effet, les forces impériales étaient présentes à Naples depuis la chute du régime constitutionnel en 1821, auquel une partie importante des élites militaires du Royaume avait participé. Ici se vérifie donc la manifestation publique de la méfiance de la Couronne à l’égard de l’armée.
27En conclusion, les rites funéraires faisaient partie intégrante du spectacle cérémoniel de la monarchie napolitaine. Malgré l’absence d’obsèques royales au cours du xviiie siècle, l’extension des cérémonies à tous les membres de la famille multiplia les célébrations, sans compter celles des souverains étrangers et des consanguins du roi. L’importance politique de l’évènement est évidente : au cours de l’Ancien Régime, il était organisé pour magnifier la figure du monarque et pour affirmer une relation plus forte entre le peuple et la famille royale, mais pas seulement. En effet, autour de cette dernière il y avait les membres les plus réputés de l’aristocratie et du clergé : la classe dirigeante du pays, qui était appelée à gérer – et donc à garantir – les cérémonies et la transition du pouvoir absolu du souverain. Après les bouleversements de la période révolutionnaire et napoléonienne, la base sociale sur laquelle la monarchie fondait son autorité avait profondément changé. Les obsèques de Ferdinando Ier montrent précisément les premiers signes d’embarras du gouvernement napolitain face à ces transformations. D’autre part, à Naples comme ailleurs, les rites funéraires publics – y compris ceux de la famille royale – étaient eux-mêmes en pleine mutation, s’apparentant au milieu du xixe siècle à une occasion privilégiée de contestation et non plus uniquement de célébration38.
Notes de bas de page
1 Parmi les ouvrages les plus récents, cf. Juliusz A. Chrościki, Mark Hengerer, Gérard Sabatier (dir.), Les funérailles princières en Europe xvie-xviiie siècle, vol. I, Le grand théâtre de la mort, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2012.
2 On assume ici la distinction du droit canonique entre obsèques et funérailles. Les premières sont l’ensemble des rites concernant la bénédiction du corps et son transport à la sépulture. Les funérailles sont une célébration commémorative organisée selon des moments précis, dictées par la tradition et par la liturgie (le jour suivant l’enterrement, la neuvaine, l’anniversaire, etc.). Cette distinction, toujours existante sur le plan formel, avait déjà disparu dans la langue commune au cours du xvie siècle.
3 Gérard Sabatier, Mark Hengerer, Le grand théâtre de la mort, dans J. A. Chrościki et al., op. cit., p. 7.
4 Officiellement 1700-1713, mais de facto son règne termina en 1707, à cause de l’arrivée de l’armée impériale à cette date.
5 Le Royaume avait perdu son indépendance en 1501 après l’invasion de Louis XII. En 1503 il fut conquis par les aragonais et gouverné par la Couronne d’Espagne pendant deux siècles (1503-1707). Ensuite, pendant presque trente ans, il fut assujetti à l’Autriche (1707-1734). Durant ces dominations, le Royaume n’a jamais perdu son statut et son intégrité territoriale, en effet le titre de roi de Naples était ajouté à celui des monarques dominateurs.
6 Cf. Giuliana Vitale, Ritualità monarchica, cerimonie e pratiche devozionali nella Napoli aragonese, Salerno, Laveglia, 2006.
7 On doit remarquer également que le père de Carlo, Felipe V d’Espagne, en tant que fils du Grand Dauphin Louis, avait été duc d’Anjou jusqu’à son couronnement.
8 Cette diffusion n’a pas eu lieu de manière cohérente dans toute l’Europe. En France, par exemple, c’est à partir de la mort de Louis XIII et d’Anne d’Autriche que la « mode espagnole » des obsèques princières fut introduite (cf. Gérard Sabatier, Les funérailles royales françaises xvie-xviiie siècle, dans J. A. Chrościki et al., op. cit., p. 17-49, p. 38-39). Enfin, il faut tenir compte également la re-catholicisation des rites royaux, encouragée par la Contre-réforme, dont le point de référence restait le Pontifical romain réédité par Clément VIII en 1595 : Pontificale romanum Clementis VIII Pont. Max. iussu Restitutum Atque editum, Romae, apud Iacobum Lunam, 1595, III partis, De Officio post Missam solemnis pro Defunctis agitur.
9 Cf. Archivio di Stato di Napoli (dorénavant ASNa), Segreteria di Stato di Casa Reale, IV inventario, amministrativo, Real Somiglierino, vol. 1492, fol. 288.
10 Sur l’Espagne, cf. Javier Varela, La muerte del Rey. El ceremonial funerario de la Monarquía Española (1500-1885), Madrid, Turner, 1990, p. 15-107, et Fernando Martínez Gil, Muerte y sociedad en la España de los Austrias, Cuenca, Ediciones de la Universidad de Castilla-La Mancha, 20002 (Ier ed. Madrid, Siglo XXI, 1993), p. 424-426. En ce qui concerne la France cf. Frédérique Leferme-Falguières, Les pompes funèbres des Bourbons, 1666-1789, dans J. A. Chrościki et al., op. cit., p. 49-71.
11 Les sources nous n’expliquent pas pourquoi les obsèques de Maria Elisabetta ont été célébrées plus d’une semaine après son décès.
12 Cf. ASNa, op. cit., Segreteria di Stato di Casa Reale, IV inventario, amministrativo, Real Somiglierino, vol. 1492, fol. 288-289.
13 Ibid.
14 Au sujet de la naissance et des premiers développements de cette structure entre la fin du moyen âge et le début de la modernité, les recherches sont encore modestes. Un excellent point de départ est le livre de Giovanni Ricci, Il principe e la morte : corpo, cuore, effigie nel Rinascimento, Bologna, Il Mulino, 1998. Pour le cas napolitain, une collection de reproductions de catafalques funéraires du xviie et xviiie siècle est dans Franco Mancini, Feste ed apparati civili e religiosi in Napoli dal Viceregno alla capitale, Napoli, ESI, 1968.
15 ASNa, Segreteria di Stato di Casa Reale, IV inventario, amministrativo, Real Somiglierino, vol. 1492, fol. 401.
16 Jean-Marie Le Gall, Le mythe de Saint-Denis : entre Renaissance et Révolution, Seyssel, Champ Vallon, 2007, p. 398.
17 L’absence des membres de la famille royale était coutumière également en Espagne et en France.
18 ASNa, Segreteria di Stato di Casa Reale, IV inventario, amministrativo, Real Somiglierino, vol. 1495, passim. Sur les rites pontificaux cf. Agostino Paravicini Bagliani, Le corps du pape, Paris, Seuil, 1997, et Martine Boiteux, La vacance du Siège Pontifical. Des funérailles à l’investiture du pape, dans José Pedro Paiva (dir.), Religious Ceremonial and Images : Power and Social Meaning (1400-1750), Coimbra, Palimage editors, 2002, p. 103-141.
19 Archives Secrètes Vaticanes (dorénavant ASV), Segreteria di Stato, Napoli, vol. 295, fol. 4, lettre du nonce Giuseppe Vincentini du 23 septembre 1777.
20 Cf. F. Leferme-Falguières, op. cit., p. 54.
21 Cf. Alida Clemente, « Note sulla legislazione suntuaria napoletana in età moderna », Dimensioni e problemi della ricerca storica 1, 2011, p. 133-162, p. 145-146. L’Auteur remarque comme la nouvelle monarchie, en revanche, encouragea le luxe dans les autres occasions publiques.
22 ASV, Segreteria di Stato, Napoli, vol. 295, fol. 4, lettre du Nonce Giuseppe Vincentini du 23 septembre 1777.
23 Cette procédure dérivait des Novemdiales, c’est-à-dire les neuf jours pendant lesquels se déroulaient les cérémonies funéraires pour les papes : cf. A. Paravicini Bagliani, op. cit., chap. III.
24 Cf. ASNa, Segreteria di Stato di Casa Reale, IV inventario, amministrativo, Real Somiglierino, vol. 1492, fol. 404.
25 Cf. ibid.
26 Cf. Gérard Delille, Brigitte Marin, Giovanni Muto, Piero Ventura, « Naples : capitale et microcosme », dans Claude Nicolet, Jean-Charles Depaule, Robert Ilbert (dir.), Mégapoles méditerranéennes. Géographie urbaine rétrospective, Maisonneuve & Larose, Maison méditerranéenne des sciences de l’homme, Ecole française de Rome, Paris, Rome, 2000, p. 576-598.
27 Cf. ASNa, Segreteria di Stato di Casa Reale, IV inventario, amministrativo, Real Somiglierino, vol. 1492, fol. 404..
28 Sur les oraisons funèbres dédiées à Carlos III dans plusieurs pays européens, cf. Franco Venturi, Settecento riformatore, vol. IV, La caduta dell’Antico Regime (1776-1789), Torino, Einaudi, 1984, p. 321-328.
29 Cf. ASNa, Delegato della Real Giurisdizione, dossier 1619, n° 8.
30 Parmi tous cf. Pietro Signorelli, Ne’ funerali in morte del cattolico monarca Carlo III […], Napoli, Raimondi, 1789.
31 Après la Restauration en 1816, Ferdinando fusionna les royaumes de Naples et de Sicile en fondant le Royaume des Deux Siciles. Par conséquent, il changea de nom : de Ferdinando IV de Naples à Ferdinando Ier des Deux Siciles.
32 Cf. Giornale delle Due Sicilie, n° 4, 6 janvier 1825. L’observation du cadavre (en générale pour une durée de 24 heures) était prévue pour vérifier qu’il ne s’agissait pas d’une mort apparente.
33 Cf. Giornale delle Due Sicilie, n° 8, 11 janvier 1825.
34 Pour le cas français cf. F. Leferme-Falguières, op. cit., p. 50-53.
35 Giornale delle Due Sicilie, n° 4, 6 janvier 1825.
36 Cette rupture a été constatée également dans le cas français à partir des obsèques de Louis XVIII. Cf. Emmanuel Fureix, La France des larmes. Deuils politiques à l’âge romantique (1814-1840), Seyssel, Champ Vallon, 2008, p. 151-160.
37 Cf. Giornale delle Due Sicilie, n° 6, 8 janvier 1825.
38 Cf. Fureix, op. cit. Dans le cas de Naples, nous n’avons pas des recherches exhaustives : quelques renseignements généraux sont dans Giovanni Montroni, « “Il re è morto ! Viva il re !” Riti funebri per la scomparsa di Ferdinando II », Bollettino del XIX secolo, 2000, p. 53-57.
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La mort du prince
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