Le texte démêlé
p. 275-336
Texte intégral
1Tel le poète, le texte est parfois contraint d’aller là où le cheveu le mène. Comme ficelée par cet interminable lien doré dont elle dépend, la narration semble parfois prise en otage par la chevelure. Celle-ci se déploie dans l’œuvre sous la forme d’une dilatation des stéréotypes linguistiques ou narratifs, il va sans dire. Les stéréotypes interviennent dans la genèse du texte et participent à sa production2 dans la mesure où l’économie narrative s’organise autour du motif ou du cliché. Les auteurs « mettent en récit, amplifient, en prenant en somme métaphores et hyperboles au pied de la lettre, des situations et des motifs »3 si bien que le stéréotype, amplifié à l’extrême, constitue le soubassement structurel de l’œuvre. Loin de paralyser la création, cliché et motif se font au contraire nerf de l’intrigue. Il faut toutefois opérer un distinguo entre les textes que parcourent un ou plusieurs stéréotypes hypertrophiés (le Tristan d’Eilhart, Le Bel Inconnu, Le Roman du Comte de Poitiers, le fabliau Les Tresces) et ceux où seul un épisode relativement long leur est consacré (Cligès, Le Chevalier de la Charrette, Le Livre du Voir Dit, Le Roman d’Enéas). Seront laissés de côté les écrits tels que Le Blason des Cheveux – pourtant exclusivement consacré à la chevelure – où les stéréotypes, bien que repris avec brio, n’offrent aucune prise à une lecture critique fouillée.
2Il nous reste donc à traiter les cas où les stéréotypes ne constituent pas une parenthèse ni même une aventure à part entière mais où ils comportent des implications telles qu’on ne saurait occulter leur étude sans que le sens global de l’œuvre ne soit amoindri. Iseut, celle dont la chevelure représente toujours au xxie siècle l’archétype de la blondeur, est le personnage incontournable de cette étude : femme-chevelure, incarnation de la féminité aussi bien que de l’amour passionnel, elle projette les reflets radieux de ses cheveux sur l’ensemble de l’œuvre. À partir du personnage fédérateur d’Iseut, Chrétien de Troyes invente l’idole dorée, celle dont la chevelure hyperboliquement blonde mérite la dévotion due à une relique sainte. Avec Chrétien, le cliché ne peut que jouer un rôle démesuré. En revanche, la virago n’a pas pour but d’inspirer l’adoration mais d’être respectée pour ses qualités viriles tout en conservant une apparence féminine : sa longue chevelure ondoyante, ostensiblement montrée, ne doit pas faire oublier son aptitude au combat et au gouvernement politique. Ce n’est pas la cité que gouverne l’héroïne des Tresces, mais simplement sa maison, soumettant un mari jaloux avec l’aplomb caractéristique des femmes dans les fabliaux. La confusion s’installe entre animalité et humanité, interrogeant – à travers divers stéréotypes liés à la chevelure – les pouvoirs mystérieux de la féminité.
Autour d’Iseut, la chevelure faite femme
3Héroïne médiévale la plus connue du grand public, Iseut reste systématiquement associée à sa chevelure, ne serait-ce que par cette épithète blonde régulièrement accolée à son prénom. Iseut demeure la référence en matière de chevelure, l’étalon à l’aune duquel se mesure la blondeur des autres personnages féminins. Elle doit d’ailleurs – dans le texte en haut allemand d’Eilhart von Oberg, le plus proche d’une hypothétique version primitive – à la seule beauté de sa chevelure le privilège de devenir l’épouse du roi Marc. La genèse du mariage et de la passion destructrice qui en a résulté se résume à un cheveu égaré recueilli par deux hirondelles jalouses. Le récit se voit donc propulsé par la quête du cheveu, moteur des actions de Tristan jusqu’à la découverte d’Iseut. Il en va de même dans Le Bel Inconnu où Blonde Esmerée scintille tel un phare indiquant à Guinglain qu’il est, du moins en apparence, arrivé à bon port. En revanche, si le cheveu d’Iseut lui offre la royauté, celui de Rose dans Le Roman du Comte de Poitiers paraît la conduire droit à la mort. Ces trois œuvres, bien qu’appréhendées selon le prisme assez réducteur de la chevelure, semblent pourtant se livrer entièrement, comme si les cheveux des héroïnes était venus au cours de la confection textuelle se mêler aux fils de trame.
Tristan ou la quête du cheveu
4Parmi les nombreuses versions médiévales du mythe de Tristan et Iseut, celle de Béroul s’ouvre sur la scène du rendez-vous épié – bien après le mariage royal – et celle de Thomas d’Angleterre débute par le mariage de Tristan et Iseut aux Blanches Mains. Aucune ne fait allusion à l’épisode du cheveu que des oiseaux laissent choir devant Marc. Seul le Tristrant d’Eilhart von Oberg, qui a introduit le thème de Tristan dans la littérature allemande vers 11704, lui accorde un long développement, le texte de la Folie Tristan de Berne y faisant une très rapide allusion5. Probablement inspiré par un conte oral largement répandu en Armorique6 et répertorié par Antti Aarne et Stith Thompson sous la rubrique 465 B* : « Quest for Golden Hair »7, ce passage constitue le soubassement à partir duquel s’érige la construction textuelle.
Le cheveu prétexte
5Alors que ses barons et parents pressent Marc de se marier afin de donner au trône un héritier autre que son neveu Tristan, le roi exige un temps de réflexion à l’issue duquel il formulera son choix. Or, le jour dit, toujours aussi désemparé, le souverain ne sait comment réagir pour que ses seigneurs le laissent en paix. Assis dans une salle vide, incapable de trouver une solution satisfaisante, Marc est soudain tiré de ses pensées par les piaillements de deux hirondelles :
zu°hand begunden schwalben zwoˇ | À cet instant deux hirondelles, |
sich bissen in dem sal nun, | Qui étaient entrées dans la salle du trône |
die zu° aim fenster in flugen. | Par une fenêtre |
zu° ainem fenster sie in zugen. | Commencèrent à se donner des coups de bec. |
deß wart der herr gewar. | Perdu dans ses pensées, |
do empfiel in ain haˇr. | Le souverain aperçut leur jeu. |
merckt recht, eß ist waˇr. | Faites bien attention, car je vous dis la pure vérité : |
er sach ernstlich dar. | Les hirondelles laissèrent échapper |
Eß waß schön und langk. | Un long et magnifique cheveu. |
do nam der kúng den gedanck, | Le roi eut l’idée |
daß er wolt schoˇwen. | De le regarder attentivement. |
eß waß von ainer frowen. | « C’est un cheveu de femme, |
do sprach er selber wider sich : | Se dit-il en lui-même, |
’hie mit will ich weren mich : | C’est le meilleur moyen de me défendre. |
der will ich zu° wib begern. | C’est cette femme que je désirerai comme épouse. |
sie múgend mich ir nit gewern. | Ils ne pourront pas me la procurer. |
mit kaim ding wer ich mich baß. | Il n’y a rien de mieux pour me protéger. |
die sind minem nefen gehaß, | Ils haïssent mon neveu, |
dar umb daß er biderb ist. | Parce que c’est un valeureux chevalier, |
doch bin ich selb gewiss, | Et c’est justement pour cela que je suis certain |
er ist getrúw und gefüg, | Qu’il ne court aucun risque. |
daß er mir ouch nit schaden múg, | Il doit hériter de mon royaume |
so sie im werden undertoˇn. | Et avoir le haut commandement sur eux. » |
da mit kam Trÿstrand goˇn, | Voilà que Tristrant entra |
und die herren all. | Et avec lui tous les princes. |
sie batten in mit schall, | Ils le prièrent à grand bruit |
daß er sie ließ verstan, | De leur faire enfin savoir ce qu’il comptait faire |
wie er eß wOlt vahen an | Dans cette affaire où il y allait du prestige |
umb deß richeß ere. | De la maison royale. |
do sprach der kúng herre : | Le noble roi dit alors : |
“ich hab hie ainer frowen haˇr. | « J’ai ici le cheveu d’une noble dame. |
ich will úch sagen fúr wa’r : | Je vous l’assure : c’est cette femme |
die niem ich, ob eß mag gesin. | Que je prendrai pour épouse, si c’est possible. |
und wissent den willen min : | Connaissez ma volonté : |
mag sú mir nit werden, | Si cette femme ne devient pas mon épouse, |
so ist ouch kaine uff erden, | Il n’y a sur terre nulle autre femme |
die ich niemen wöll. | Que je veuille prendre à sa place. |
e wölt ich die hel | Je préférerais plutôt vivre |
buwen öwiglich | Eternellement en enfer. |
daß wissent gentzlich.” | Sachez-le bien : ma décision est irrévocable ! » |
Tristrant und Isalde, v. 1382-14188. |
6Le postulat qu’un tel cheveu, à la fois long et beau, ne puisse qu’appartenir à une aristocrate souligne une nouvelle fois le lien indissoluble que le Moyen Âge tisse entre beauté et noblesse de naissance. Il n’est de beauté que noble, la roturière pouvant tout au plus piquer par sa joliesse. Toujours est-il que ce cheveu vient à point et fournit au roi, à court d’argument, un excellent prétexte pour retarder le mariage : il n’épousera personne sinon la femme à qui appartient le long et magnifique cheveu, sans deviner un instant que si le cheveu est à l’origine d’une dispute entre deux hirondelles, la femme à qui il appartient pourrait provoquer la discorde entre lui et son neveu. Conçue comme une boutade, cette idée fantaisiste se transforme en exigence absolue devant les barons9. Le texte multiplie à l’envi les indices du caractère irréalisable du souhait royal, de la conception de l’idée à sa formulation puis à sa réception. Bien plus qu’un désir de mariage, Marc formule un vœu de célibat éternel. C’est donc bien parce qu’il préjuge de la difficulté, voire de l’impossibilité de sa requête qu’il se montre aussi farouchement obstiné.
7D’autre part, on notera que la couleur du cheveu en question reste tue10 ce qui peut susciter plusieurs interprétations. Sachant que la blondeur d’Iseut n’est précisée ni chez Thomas11 (ni dans les textes qui s’en sont inspirés à savoir La Folie d’Oxford, la Saga norroise et Sir Tristrem12) ni dans Le Lai du Chèvrefeuille de Marie de France et qu’il faut attendre Béroul13, Chrétien de Troyes14 et l’auteur de La Folie de Berne15 pour que cette blondeur soit précisée et présentée comme un atribut essentiel de l’héroïne, on pourrait imaginer que l’Iseut d’Eilhart ne soit pas blonde. Ou alors, seconde hypothèse, que sa blondeur aille de soi et que la mentionner soit presque redondant. Sachant que les épithètes bele et blonde accolées par la suite au nom d’Iseut sont interchangeables, pourquoi ne pas induire qu’il en est de même pour ce cheveu dont la beauté ne peut qu’être blonde ? Le texte d’Eilhart, qui insiste sur la longueur du cheveu, ne propose, a fortiori, aucun rapprochement entre le cheveu et l’or. Certes, mais il est néanmoins tentant de supposer que le comportement querelleur des hirondelles l’évoque. Comme les pies, ne seraient-elles pas attirées par les objets métalliques et brillants ? Autrement dit, ne peut-on pas imaginer qu’une similitudo tacite mettrait au compte des animaux la confusion entre l’or et le cheveu ?
8Une dizaine d’années plus tard, Jean Renart retrace la même scène en mentionnant pour la première fois la blondeur d’Iseut et du cheveu :
Une coupe d’or de .X. mars. | Une coupe d’or d’une valeur de dix marcs. |
Dedens estoit portrais rois Mars, | Le roi Marc y était représenté à l’intérieur, |
Et s’i estoit comment l’aronde | Et aussi comment l’hirondelle |
Li aporta d’Yseut la blonde | Lui apporta le cheveu d’Iseut la Blonde |
Le chevel sor par la fenestre, | Par la fenêtre, |
Et comment Tristrans en dut estre | Et comment Tristan |
Ocis en Isiande en sa terre | Faillit être tué en Irlande. |
L’Escoufle, v. 579-585. |
9Cette ekphrasis amoindrit quelque peu les ressources implicites du texte d’Eilhart puisque ne subsiste qu’une seule hirondelle. La querelle est donc absente, de même que l’annonce voilée de la discorde entre le roi et son neveu. De plus, le cheveu est ici apporté à Marc, comme s’il lui était destiné. La blondeur du cheveu est précisée, sans recours toutefois à une comparaison avec l’or. Certes, la coupe sur laquelle est figuré l’épisode est en or si bien que le cheveu sor ne peut y être figuré que doré, mais pas davantage toutefois que le roi ou l’oiseau.
Le cheveu pré-texte de la quête
10Prétexte captieux puisque le roi présume que son vœu est excessif et sa requête irréalisable, le cheveu apporté par les hirondelles se révèle aussi pré-texte puisqu’il met en branle les aventures de Tristan16. En effet, celui-ci s’engage à partir en quête de la future reine17. Au même titre que la pantoufle de vair qui, plus tard, permettra au prince de retrouver Cendrillon, le cheveu est précieusement conservé par Tristan qui parcourt avec lui diverses contrées afin de retrouver la future reine. Le roi espère donc donner le change en se comportant en amant raffiné, tombé en amour par la seule grâce d’un cheveu, annonçant en cela l’empereur Conrad amoureux de Lïenor depuis que Jouglet la lui a décrite18, préfigurant aussi le troubadour Jaufré Rudel profondément épris de la princesse de Tripoli sur la foi de sa renommée. En clamant qu’il épousera la femme dont provient ce cheveu, le roi se pose – avant l’heure – en parangon de l’amour de renommée. Son opiniâtreté se veut alors un témoignage de l’intensité de sa passion. À des sujets réclamant un héritier, il oppose le semblant d’un amour fougueux dont l’élan n’a que faire de la raison. Or, si Marc veut donner le change, il n’abuse personne. À la différence de Lancelot qui, découvrant sur la margelle d’un puits quelques cheveux de Guenièvre, baisera aussitôt cette parcelle du corps de son aimée19, Marc ne voit dans ce cheveu qu’il manipule sans précaution particulière (mais dont la beauté le frappe pourtant) qu’un moyen aisé d’éloigner la perspective du mariage. À l’un l’adoration amoureuse, à l’autre le calcul intéressé. Marc apprendra à ses dépens que jouer avec les apparences de l’amour peut se révéler dangereux.
11En effet, cet unique cheveu, symbole de la resplendissante chevelure aussi bien que synecdoque d’Iseut, est cédé à Tristan. Depuis son apparition dans l’œuvre, l’appropriation du cheveu est au cœur de l’intrigue : d’abord motif de dissension entre les deux oiseaux voyageurs, il est ensuite transmis solennellement par le roi à son neveu. Cet échantillon de la chevelure d’Iseut qui la représente néanmoins tout entière passe ainsi de main en main. Jamais plus le roi ne possédera ce cheveu. Jamais plus Iseut ne sera pleinement sienne. En effet, en transmettant d’emblée ce cheveu à Tristan, le roi se comporte en amant indigne. Alors que Lancelot place les quelques cheveux de Guenièvre tout contre sa poitrine, que le châtelain de Couci les dépose dans un coffret d’argent, Marc s’en déleste sans difficulté. Inconscient sans doute de la portée de son geste, il abandonne ce trésor entre les mains de son neveu qui se montrera plus digne de le préserver. En renonçant au cheveu d’Iseut, Marc renonce aussi à son amour. Conservant précieusement la fragile relique d’Iseut, Tristan devient dès lors un fidèle dévoué à sa sainte. Marc, qui aurait dû lui-même partir à la recherche de sa future épouse (mais peut-on être à la fois roi et amant fervent ?), a donc commis une faute selon les lois de l’amour. L’ingénieuse mise en scène dans laquelle il tenait le rôle de l’amant transi s’écroule et le masque tombe, la mascarade est découverte.
12Les deux hirondelles ont donc été les messagères d’un don de cheveux assez singulier puisque la belle n’a pas délibérément offert son cheveu et que d’autre part l’amant qui l’a reçu au terme d’un long voyage s’est empressé de le céder à un autre homme promu dépositaire officiel du cheveu. L’itinéraire du cheveu annonce de façon prémonitoire le cheminement d’Iseut20. Le philtre viendra ensuite entériner la situation et disculpera encore davantage un héros qu’Eilhart s’évertue par ailleurs à dégager de toute responsabilité personnelle21.
Reconnaissances
13Tristan entreprend une longue quête qui le conduit en Irlande où il sait que séjourne la princesse Iseut qui, grâce à sa connaissances des plantes, l’a guéri de la méchante blessure causée par l’épée du Morholt. Apprenant que la reine a promis la main de sa fille à celui qui tuerait le dragon, Tristan s’empresse de tenter l’aventure, terrasse le dragon et coupe la langue de celui-ci comme preuve de sa victoire. Or, la langue est empoisonnée et Tristan s’évanouit jusqu’à ce qu’Iseut, arrivée sur les lieux du combat, le soigne et le guérisse. Revenu à lui, le héros la reconnaît, examine attentivement sa chevelure et se met à rire22. La joie d’avoir atteint le point d’aboutissement de sa quête est cependant de courte durée puisque Iseut se met alors à essuyer les armes du guerrier. Elle compare aussitôt la brèche qui subsiste dans l’épée de Tristan au morceau d’épée extrait du crâne du Morholt (fragment qu’elle conservait par-devers elle) et découvre alors que l’assassin de son oncle n’est autre que celui qui vient de vaincre le dragon23. S’il reconnaît Iseut grâce au cheveu, celle-ci l’identifie grâce au fragment d’épée – du reste fiché dans la tête du Morholt, comme un cheveu – tous deux signes de reconnaissance longuement conservés en vue de ce moment. Le subtil parallélisme qui s’établit entre ces deux scènes jumelles marquant pour chacun des personnages la fin de leur quête met en évidence la confrontation de sentiments contradictoires : l’apaisement jubilatoire de Tristan ayant mené à bien sa mission et le soulagement vengeur d’Iseut prête à réparer l’affront familial. Finalement, l’objet de reconnaissance qui échoit à chacun signale clairement les fonctions qui leur sont imparties, beauté rayonnante à l’image de la puissance royale pour Iseut, prouesse guerrière de vaillant vassal pour Tristan.
14Or, l’épisode au cours duquel on voit Tristan se tondre pour l’amour d’Iseut apporte un éclairage supplémentaire à l’interprétation de l’œuvre. Afin d’avoir la possibilité d’approcher la reine, Tristan revêt en effet l’apparence d’un fou et abandonne par amour ses beaux cheveux24. Pourquoi ne pas lire cette mutilation volontaire comme une offrande à la divinité ? De même que l’on sacrifie des poissons au dieu de la mer, du blé au dieu de la terre, Tristan offre ses beaux cheveux en signe de soumission suprême à sa déesse blonde. La fin du texte de Béroul, bien qu’elle ne montre pas un amant tondu, confirme cette hypothèse. En effet, ce n’est pas sa chevelure que Tristan offre à la reine mais les tresses de Denoalain qu’il a tué :
O l’espee trencha les treces, | Avec son épée il a tranché les tresses |
En sa chauce les a boutees, | Puis les a glissées dans ses chausses |
Qant les avra Yseut mostrees, | Afin de les montrer à Iseut |
Qu’ele l’en croie qu’il l’a mort. | Pour qu’elle croie qu’il a tué le traître. |
Tristan de Béroul, v. 4390-4393. |
15La chevelure du traître est amputée pour qu’Iseut la voie. Or, on attendrait davantage comme trophée de guerre la tête entière voire le scalp puisque la chevelure seule n’implique pas nécessairement la mort. Cette analogie entre la mort et la mutilation capillaire corrobore l’idée que la vie est sacrifiée afin de déposer de longues tresses sur l’autel de la déesse Chevelure. Qui plus est, lorsque Tristan arrive avec son offrande, la divinité se donne à voir en majesté puisqu’elle vient juste d’être peignée :
Brengain i vint, la damoisele, | Brangien, la suivante, se trouvait là, |
Ou ot pignié Yseut la bele : | Elle venait de peigner Iseut la belle |
Le pieigne avoit encor o soi. | Et avait encore le peigne à la main. |
Tristan de Béroul, v. 4417-4419. |
16L’unique scène de toilette de l’œuvre doit se lire comme une cérémonie liturgique au cours de laquelle la prêtresse Brangien, un peigne à la main, célèbre la femme-chevelure tandis que le fidèle Tristan lui rend solennellement hommage par un don de cheveux :
En sa main tint ses deus seetes, | Dans une main il tenait ses deux flèches, |
En l’autre deus treces longuetes. | Et dans l’autre, deux tresses assez longues. |
Sa chape osta, | Il retira son manteau, |
pert ses genz cors. | montrant l’élégance de son corps. |
Iseut, la bele o les crins sors, | Iseut, la belle aux cheveux blonds, |
Contre lui lieve, sil salue. | Se lève, se dirige vers lui et le salue. |
Tristan de Béroul, v. 4423-4427. |
17Que Béroul, qui ne précise que quatre fois (dans le texte qui nous est parvenu) la blondeur d’Iseut, ait choisi ce moment précis pour le faire n’est évidemment pas anodin. Auréolée d’or, Iseut qui se lève lentement25 laisse le croyant se livrer à un cérémonial qui la glorifie.
18Au don de cheveux d’Iseut – infime, innocent, non dommageable pour sa beauté – répond amoureusement celui de Tristan – démesuré, volontaire et esthétiquement préjudiciable. En léguant à son neveu le long et magnifique cheveu, Marc a placé Tristan et Iseut en position d’amants courtois. L’offrande de Tristan, à la fin du texte, signale la réciprocité exubérante des sentiments et tend, dans la version de Béroul, à diviniser Iseut. Du cheveu d’Iseut, vénérable relique dont Tristan est le dépositaire, à la chevelure de l’amant immolée selon un rite amoureux, la cohérence textuelle ne tient donc qu’à un cheveu. Celui-là même dont la quête entraîne toute la suite de l’intrigue, devenue, avec le graal, le plus grand mythe qu’ait connu l’Occident médiéval.
La Belle Inconnue
19Au début du xiiie siècle, Renaut de Beaujeu livre un roman d’inspiration tristanienne mais qui reste encore pour la critique, à bien des égards, un bel inconnu. Nous renvoyons pour cette étude à l’article d’Adeline Richard26 qui a brillamment mis en évidence le rôle de la chevelure dans cette œuvre : nous nous contenterons ici de préciser certains détails en établissant des liens avec d’autres textes. Le personnage éponyme rencontre au fil de son parcours quatre demoiselles, deux d’entre elles s’offrant à lui en mariage. La pénible hésitation qui anime Guinglain se traduit spatialement par des allées et venues entre le château de l’Île d’Or où vit la Pucelle aux Blanches Mains et la Gaste Cité de Blonde Esmerée. Selon un jeu de miroir qui parcourt le roman, à la blancheur des mains de la première devrait répondre la blondeur éthérée de la seconde. C’est sans compter sur le caractère retors de l’œuvre de Renaut de Beaujeu, qui ne lance des pistes que pour mieux les brouiller.
Nomen omen ?
20Contrairement à Hélie et à Margerie, les deux femmes qui se partagent le héros ne sont connues que par leur surnom qui attire l’attention sur la couleur d’une partie du corps, mains pour l’une, chevelure pour l’autre. Très fréquemment mentionnées dans les portraits, la blancheur de la peau et la blondeur constituent en effet les deux versants de la beauté du xiiie siècle, essentiellement claire27. Clarté et lumière que répandent d’ailleurs autour d’elles aussi bien la Pucelle aux Blanches Mains28 que Blonde Esmerée29. Le lecteur est donc en droit d’attendre une description de chacune des deux demoiselles qui mettrait l’accent sur le trait leur ayant valu ce surnom. C’est bien ainsi qu’a procédé Philippe de Rémi en justifiant, dès les premiers vers du portrait de son héroïne, le choix de la baptiser Blonde30. Chaque apparition du personnage sera désormais l’occasion pour le lecteur de se représenter en filigrane l’image d’une longue chevelure dorée. De même, Perceforest propose une explication – certes succincte – au nom du Géant aux Cheveux Dorés31 :
le chevalier qui cy m’avoit amenée, qui est appelle par la beauté de son chief Cheveulx Dorez, | le chevalier qui m’avait conduite ici et qu’on appelait, du fait de la beauté de ses cheveux, Géant aux Cheveux Dorés, |
Perceforest, 2e partie, t. i, 625, p. 348, l. 15-17. |
21La justification du nom requiert parfois la sagacité du lecteur : dans la chanson de geste Florence de Rome, l’impératrice se marie avec un Hongrois répondant au nom de Esmerez. Cet adjectif était à l’origine le participe passé du verbe esmerer (du latin populaire exmerare, de merus : pur) signifiant au sens propre purifier, affiner et, au sens figuré, s’illustrer et se rencontre comme épithète d’or voire de fin or. Le groupe de fin or esmeré, par sa redondance, renvoie alors à un métal excessivement pur, employé par exemple pour les ouvrages d’orfèvrerie :
En une cope de fin or esmeré, | Dans une coupe d’or pur et fin, |
Chanson d’Aspremont, v. 10683 |
Li graax qui aloit devant, | Le graal, porté en tête du cortège, |
De fin or esmeré estoit ; | Était d’or pur et fin ; |
Le Conte du graal, v. 3232-3233. |
22Rien d’étonnant dès lors si le stéréotype linguistique comparant la chevelure à l’or use des ressources hyperboliques de cette expression32. Toujours est-il que la dénomination de l’empereur, Esmerez, serait prise dans un sens figuré si elle n’était précédée, deux vers plus haut et à la rime, de la mention des cheveux dorés de Florence :
Huimés orés chanson, s’entendre me volez,] | Aujourd’hui, si vous voulez m’écouter, [vous entendrez une chanson |
De mout grans aventures et des aversitez | Des très grandes aventures et des malheurs |
Qu’il avint a Florence, que tant avoit biautez,] | Qui arrivèrent à Florence, [aux nombreux attraits, |
L’empereriz de Romme o les cheveus dorez : | L’impératrice de Rome [aux cheveux dorés : |
Il n’ot plus belle femme en soissante citez. | On n’aurait pas pu trouver de plus [belle femme en soixante cités. |
Puis revint elle a Romme, et si l’ot Esmerez, | De retour à Rome, Esmerez, le noble [chevalier, |
Li gentis chevaliers, que de Hongrie iert nez ; | Natif de Hongrie, la prit pour femme ; |
Florence de Rome, v. 5023-5029. |
23Quel intérêt en effet à signaler en ce lieu précisément que la couleur de la chevelure royale se rapproche de celle de l’or ? L’adjectif esmerez ne peut dans ce contexte que faire écho à l’adjectif dorez qui le précède. Morcelé en deux adjectifs complémentaires (dorez et esmerez), le stéréotype linguistique se reconstruit pour signaler que les deux époux sont bien assortis33. Le nom de Blonde Esmerée apparaît alors comme « le tour le plus synthétique qui soit, une tentative d’épure. Ce nom en soi est une gageure, il s’agit de créer en deux mots l’équivalent du portrait de la Pucelle aux blanches mains. L’or de sa chevelure, qui résonne dans le nom, apparaît presque comme le résultat d’une opération alchimique, qui du métal ne garderait que l’essence la plus pure, esmerée »34. Bien que tardivement révélé35, il rayonne dans le texte comme un jalon indicateur du rôle particulier assigné à la chevelure, et plus encore à sa comparaison avec l’or36 même si l’expression de fin or esmeré n’apparaît « jamais de manière complète dans un texte qui multiplie les éclats dorés : ne subsiste que fin or37, comme si la jeune fille était l’esmeré attendu pour achever le texte, et pour cette raison recherché par le héros »38.
24À moins que Blonde Esmerée – pourtant par droit non nonmee39 – ne fasse de ce nom un jalon mensonger, à l’image de Brunissen, châtelaine de Montbrun40 dans Jaufré, au prénom si fallacieux :
E siei cabel delgat et saur | Ses cheveux fins et ambrés |
Son gent estreit d’un filet d’aur ; | Sont noués gracieusement d’un fil d’or ; |
Jaufré, v. 7137-7138 |
25ou de la Dame aux Cheveux Blonds41 dans Le Conte du Papegau dont seules les moult riches robbes a or ovrees42 (auxquelles il est fait référence peu avant la révélation du nom de la dame) renvoient à la couleur jaune. Certes, cela ne signifie pas que le prénom de la Dame aux Cheveux Blonds soit mensonger mais il demeure le seul élément qui porte témoignage de la blondeur. Reste à déterminer si le nom Blonde Esmerée est physiquement justifié (notamment en le confrontant à celui de la Pucelle aux Blanches Mains) et, dans le cas contraire, les enjeux et le sens d’un tel décalage.
Blanches mains et blonds cheveux
26Au regard de la blancheur des mains (impossible à surpasser) de la châtelaine de l’Île d’Or portant le nom de Pucelle aux Blanches Mains, difficile d’imaginer que Blonde Esmerée ne soit pas supérieurement blonde. La Pucelle aux Blanches Mains est en effet décrite comme le personnage incarnant au mieux cette qualité : si Hélie a les mains blanches43 et Margerie aussi44, la fée les a blanches comme la fleur de lys45 et même plus blanches que la fleur d’aubépine46. De portrait en portrait, la blancheur va crescendo (en pureté aussi bien qu’en nombre de vers) jusqu’à l’apparition du personnage dont elle est l’apanage, celui à qui sont réservées les comparaisons attendues, parce qu’il les mérite davantage. La perfection est atteinte. Par la suite, la beauté des mains de tout autre personnage féminin ne pourra se mesurer qu’à l’aune de celles de la Pucelle aux Blanches Mains47. Le modèle ne peut être déclassé, la fée demeure la référence en matière de blancheur, la reine venant aussitôt après. Le lecteur s’attend donc corrélativement à ce que Blonde Esmerée représente le parangon de la blondeur, suivie de près par la Pucelle aux Blanches Mains.
27Si gradation il y a, on doit s’étonner que la première demoiselle décrite, Hélie, simple messagère de Blonde Esmerée, ait la plus belle chevelure qui soit48 :
Bel cief avoit, si estoit blonde : | Ses cheveux, magnifiques, étaient blonds, |
N’ot plus bel cief feme ne home. | D’une beauté incomparable. |
Le Bel Inconnu, v. 143-144 |
28et que les cheveux de Margerie, demoiselle croisée en chemin, soient brillants comme l’or pur :
Les crins ot blons et reluissans, | Ses blonds cheveux brillants |
Come fin or reflanboians ; | Flamboyaient comme de l’or fin ; |
Le Bel Inconnu, v. 1545-1546. |
29La comparaison canonique est donc, contre toute attente, dévolue à un personnage secondaire, comme si, au contraire de la blancheur des mains, la dorure des cheveux allait decrescendo. La blondeur de la Pucelle aux Blanches Mains est accessoirement mentionnée dans son premier portrait, visiblement moins attrayante que sa coiffure :
Cors ot bien fait et le cief blont ; | Son corps était gracieux et ses cheveux blonds ; |
Le Bel Inconnu, v. 2243 |
Et derriere ot ses crins jetés, | Elle avait rejeté en arrière ses cheveux |
D’un fil d’or les ot galonnés. | Retenus par un fil d’or. |
Le Bel Inconnu, v. 2251-2252. |
30Seul le ruban d’or demeure comme vestige d’une comparaison non actualisée. Le deuxième portrait de la fée parachève cette impression que le corps importe moins que le luxe de son apprêt. C’est d’abord le noble palefroi sur lequel arrive la cavalière qui attire l’attention :
Ses crins sanbloit estre dorés. | La crinière de son cheval semblait dorée. |
C’est la Pucele as Blances Mains ; | C’était la Belle aux Blanches Mains ! |
Mole estoit rices ses lorains, | Le harnachement du poitrail du palefroi était magnifique |
Cent escaletes i ot d’or ; [...] | Et fait de quantité de petites écailles d’or, [...] |
Que vos diroie de la siele | Et que dire de la selle |
Sor coi la damoissele sist ? [...] | Où était assise la dame ? [...] |
De fin or fu et de cristal, | Elle était toute d’or fin et de cristal, |
Ouvree molt bien a esmal. | Finement incrustée d’émaux. |
La dame ert biele et honneree | Aussi jolie que majestueuse, |
Et cevaucoit eskevelee. | La dame chevauchait cheveux au vent. |
Le Bel Inconnu, v. 3948-3966. |
31Contrairement à ce que laisse croire la juxtaposition des vers 3948 et 3949 et l’usage volontiers ambigu de crins, ce n’est pas la blondeur de la Pucelle aux Blanches Mains qui se rapproche de l’or mais la crinière du cheval. Le texte ne se lasse pas de détailler le somptueux équipement aux opulents éclats métalliques. Il faudra attendre la fin du portrait pour que soit dévoilé, au détour d’une phrase consacrée à la richesse de la couronne, l’éclat doré des cheveux :
En son cief avoit un capiel | À cause de la chaleur, |
Qu’ele portoit por le calor ; | Elle portait une coiffure |
Ouvrés fu de mainte color, | Où se mêlaient aussi bien |
D’inde, de vert, de blanc, de bis ; | Le bleu, le vert, le blanc que le gris. |
Bien li gardoit del caut le vis ; | Son visage était bien protége du soleil ! |
Portrais i avoit oisials d’or ; | Sur cette coiffure inestimable |
Li capials valoit un tresor. | Étaient représentés des oiseaux d’or. |
Par deriere ot jeté ses crins | Elle avait rejeté en arrière ses cheveux |
Plus reluisans que nus ors fins. | Plus brillants que l’or le plus pur. |
Sans guinple estoit ; a un fil d’or | Elle ne portait pas de guimpe ; un fil d’or |
Ot galonné son cief le sor. | S’enroulait dans ses cheveux ambrés. |
Le Bel Inconnu, v. 3972-3982. |
32Indéniablement, l’évocation détaillée de la toilette prend le pas sur celle du corps. De même que la description du cheval s’attachait durant quatorze vers à évoquer le somptueux harnachement tandis que trois vers seulement revenaient à l’animal, les portraits font la part de plus en plus belle aux vêtements et ornements. Cette progression peut se chiffrer : les portraits d’Hélie et de Margerie consacrent chacun quatre vers à la chevelure (deux aux cheveux proprement dits et deux à leur arrangement) ; le premier portrait de la fée expédie la chevelure en un demi-vers et développe le détail de la coiffure en quatre vers. Quant à ce dernier portrait de la Pucelle aux Blanches Mains, il représente l’acmé de cette évolution avec onze vers consacrés à la coiffure et un seul à la chevelure proprement dite.
33L’allusion rapide à la chevelure aménage ainsi une transition entre la description du costume (vers 3967 à 3982) et celle du corps (vers 3983 à 3988), les cheveux, du fait de leur comparaison avec l’or, concourant aussi à créer une impression d’abondance et d’opulence. L’or envahit en effet la selle et le lorain du cheval de la fée, son bliaut, et même sa chevelure, « de sorte que rien n’entache l’éclat de la chasseresse, dorée des pieds jusqu’à la tête. Car le portrait bouleverse le canon descriptif prôné par les arts poétiques. Il remonte le long du corps tandis que l’or tissé au fil des vers se propage à la rime, de telle sorte que le rayonnement de la Pucelle culmine dans l’évocation de sa coiffure où se mêlent les ors multipliés. Se déploient alors toutes les virtualités du nom de Blonde »49. C’est bien là le nœud du problème : si la blondeur dorée et triomphante de la Pucelle aux Blanches Mains rayonne si puissamment dans l’œuvre, quelle ressource aura alors Blonde Esmerée pour mériter son nom ?
34Tout comme la châtelaine de l’Île d’Or, celle de la Gaste Cité est décrite à deux reprises, ce qui est amplement justifié par la métamorphose qui intervient entre les deux portraits. Le premier souligne, outre l’étrangeté de la guivre, la clarté50 toute surnaturelle qui en émane :
A tant vit une aumaire ouvrir | Alors il vit s’ouvrir une armoire |
Et une wivre fors issir, | D’où sortit une guivre, |
Qui jetoit une tel clarté | Qui répandait autant de lumière |
Con un cierge bien enbrasé ; | Qu’un cierge embrasé, |
Tot le palais enluminoit. | Illuminant toute la salle |
Une si grand clarté jetoit, | Des lueurs qu’elle jetait. |
Le Bel Inconnu, v. 3127-3132 |
35comme si la serpente hideuse avait quelque lien avec le lumineux éclat de la fée51. Il est de notoriété publique que cet animal merveilleux « porte sur ses cheveux un diadème orné d’un gros rubis, si pur que tout l’or du monde suffirait à peine à en payer le prix. Ce trésor, la vouivre ne s’en sépare jamais que pendant le temps de ses ablutions. Avant d’entrer dans l’eau, elle ôte son diadème et l’abandonne avec sa robe sur le rivage »52. La guivre présente donc la particularité d’être chevelue et le critique, qui se remémore le portrait de la guivre apprivoisée du Roman de Thèbes dont le corps brille plus que l’or53, se plaît à imaginer le parti qu’a pu tirer Renaut de Beaujeu de cette singularité appliquée au personnage de Blonde Esmerée. Contre toute attente, la chevelure de la serpente n’est même pas mentionnée, le poète préférant détailler sa bouche vermeille54 ou ses yeux brillants comme deux escarboucles55. Rien ne peut laisser présager la blondeur de la jeune femme sinon la couleur dorée de son ventre56. La moisson est bien pauvre. Le lendemain, Guinglain découvre a son cief une jeune femme nimbée de lumière dont le portrait évince soigneusement tout trait physique57. Le portrait, refusé, fonctionne à vide. De surcroît, rénumération tait toute allusion à la chevelure. Difficile alors de justifier ce nom de Blonde Esmerée. Si l’on suit la logique textuelle que nous avons mise en évidence, l’or de la parure devrait suppléer à ce manque :
Plus de cinc onces d’or, sans faille, | Sans mentir, il y avait plus de cinq onces d’or |
Avoit entor le kieveçaille ; | Dans les broderies du col, |
As puins en ot plus de quatre onces. | Et plus de quatre onces dans celles des poignets. |
Le Bel Inconnu, v. 3295-3297. |
36Effectivement, l’encolure et les poignets de la reine sont empesés respectivement d’environ 200 et 150 grammes d’or. Aucune précision toutefois sur la présence de cheveux éventuellement plus brillants que l’or battu. La chevelure est comme irréelle, si évanescente que de larges bandes d’étoffe dorées autour du cou en tiennent lieu. La chevelure de fin or esmeré, vacante, se donne aussi à voir sur les effets personnels de la reine, saturés d’or :
Hanas, copes d’or et d’argent, | Les hanaps, les coupes d’or et d’argent |
Et molt rice autre vaillement, | Et toutes sortes d’autres objets de valeur, |
Escûeles et cuilliers d’or, | Des écuelles et des cuillères d’or |
Dont molt avoit en son tresor. | Dont regorgeait le trésor de la reine. |
Le Bel Inconnu, v. 3847-3850 |
37ou sur sa robe sous la forme d’animaux fabuleux58. Aucune opulence ne semble susceptible de combler ce manque essentiel. « L’extrême richesse de la robe dont s’atorne la reine tient à la dorure qui la couvre. Mais cet or tissé dans les vers, peu à peu multiplié, cet or illustré qui renchérit sur l’or uni de l’Île d’Or, masque sous la profusion des images une incorporalité quasi totale »59. La parure esmerée à l’exubérante richesse n’est que le masque d’une vacuité constitutive. « Les cheveux de Blonde Esmerée sont donc à proprement parler devenus des fils d’or et elle-même n’est qu’un nom de chevelure »60. Nom volontairement mensonger puisque celle qui le méritait était la Pucelle aux Blanches Mains.
38Pour reprendre une arithmétique un peu rébarbative mais néanmoins éclairante, l’œuvre fait donc une part de plus en plus restreinte à la description de la chevelure. Deux vers étaient consacrés aux cheveux de Hélie et Margerie, deux et demi à ceux de la fée (répartis sur les deux portraits) et aucun à la chevelure royale. Si l’expression de la blancheur des mains tendait à s’étoffer au fil des portraits, en revanche la blondeur éclatante du début disparaît progressivement, s’effaçant devant la coiffure et le vêtement. La fin de cette évolution (à la fois son but, son terme et son épuisement) est Blonde Esmerée, dont seul le nom porte le témoignage d’une chevelure blonde qu’elle n’a pas en partage. La motivation de l’onomastique est donc à chercher ailleurs.
Une quête tristanienne
39Si la reine Blonde Esmerée n’est blonde que de nom, elle s’apparente alors à la figure royale d’Iseut dont l’épithète homérique atteste une blondeur que les premiers textes se gardent bien de préciser et qui demeure une image, irréelle. Toutefois, contrairement à la châtelaine de la Gaste Cité, Iseut porte un véritable prénom et le roman souligne bien cette différence essentielle en évoquant aussi bien Isexs la blonde61 qu’Yseuf62 ou Yseuls la biele63. Cette dernière peut en effet se départir de sa blondeur et rester identifiable, Blonde Esmerée non.
40Les aventures de Guinglain débutent au moment où Hélie arrive à la cour et demande de l’aide pour sa maîtresse, Blonde Esmerée. Par l’entremise de sa messagère, la reine est donc à l’origine du roman de la même façon qu’Iseut, par le biais de son cheveu apporté par deux hirondelles au roi Marc, enclenche la quête de Tristan. Le Bel Inconnu initie donc « une seconde quête de la fille aux cheveux d’or, point de départ de sa propre histoire qui doit l’amener à découvrir son identité »64. La rencontre avec la guivre dorée lui tiendra effectivement lieu de baptême en lui donnant, par la bouche d’une blonde fée65, un nom. Le Bel Inconnu s’approprie donc le thème de la quête de la belle aux cheveux d’or, non sans faire de cette chevelure le fil conducteur du tissu textuel.
41Certes, le rapport entre Iseut et Blonde Esmerée est faussé, ne serait-ce que par l’inversion des noms à laquelle s’est risqué Renaut : « c’est sa Blanche mains qui est fée, et sa Blonde qui est (qui veut être) une mortelle ordinaire »66. La fée prend le nom innocent de la femme de Tristan tandis que la reine est métamorphosée en animal hideux. Ce n’est donc pas l’amie qui est diabolisée67 mais la future épouse, comme si le roman proscrivait l’union maritale de Guinglain et de la reine « peut-être parce que le jeune homme n’entretient pas de véritable relation courtoise : il semble en effet avoir accepté la demande en mariage de la Pucelle aux blanches mains, avant d’accepter d’épouser Blonde Esmerée. Pécheur contre la règle divine et courtoise, il possèderait à la fois deux femmes et deux amies, dont l’équivalence est marquée par la similitude de la chevelure »68. Le caractère interchangeable des deux héroïnes69, souvent souligné, traduirait, outre la difficulté de choisir, la scission intime de Guinglain, par deux fois pécheur. « Capté par un effet de similarité », ce Janus de la fin’amor se serait comme Tristan laissé prendre au leurre du nom « en passant de l’aimée qu’on n’épouse pas à l’épousée sans amor »70. Les épisodes de la quête du Bel Inconnu, davantage encore que celle de Tristan, sont donc reliés par un cheveu d’or qui donne à ce texte composite son unité, aussi bien structurelle que poétique.
42La blancheur des mains que l’on était tenté de placer sur le même plan que la blondeur ne présente in fine pas d’autre intérêt que de rappeler les liens entre la fée et Iseut aux Blanches Mains. En effet, si la Pucelle aux Blanches Mains mérite largement son nom puisqu’aucun personnage ne concurrence la blancheur immaculée de sa peau, le nom de Blonde Esmerée semble en revanche usurpé puisque ses cheveux ne sont pas un instant évoqués. Ce paradoxe sur lequel vient buter la réflexion ne peut qu’être un jalon signalant que des intentions souterraines ont présidé au choix de ce nom. À la fois origine et but de l’aventure, Blonde Esmerée inscrit le roman dans la lignée tristanienne de la quête de la fille aux cheveux blonds, même si l’œuvre renouvelle le thème par d’innombrables détournements. Avec le même talent, Renaut a repris à son compte la tendance naissante au xiiie siècle qui consistait à davantage détailler la parure (coiffure et vêtement) que la chevelure elle-même, attirant ainsi davantage l’attention, au fur et à mesure de la lecture, vers les vêtements dorés dont le fil d’or forme la trame de l’oeuvre. Les éclats dorés contribuent à l’unité de l’ensemble. Tel un orfèvre, le romancier peaufine sa matière afin qu’elle soit aussi polie et esmerée que la chevelure d’une héroïne à l’irréelle beauté. C’est en cela que le nom de Blonde Esmerée propose un condensé elliptique de la poétique du Bel Inconnu.
La preuve par l’or
43Une mèche de cheveux peut suffire à perdre une femme. La belle Rose, comtesse de Poitiers, l’a tristement expérimenté. Le Roman du Comte de Poitiers nous fait partager le sort d’une dame irréprochable qui, suite à une discussion entre hommes au sujet de la fidélité féminine, se voit à tort accusée d’adultère et, ce, sur la foi d’un anneau, d’un bout d’étoffe et de quelques cheveux trop blonds. Si la chevelure d’Iseut – en tout point semblable au cheveu apporté par les hirondelles – la désigne comme future épouse de Marc, celle de Rose – absolument identique à la mèche apportée par le duc de Normandie – la révèle indigne de demeurer l’épouse du comte de Poitiers. Ce bref roman, inaugurant le cycle de la gageure, offre à la chevelure un rôle de premier plan.
Une comtesse en or
44À la Cour de Pépin le Bref, à Paris, le comte de Poitiers loue inconditionnellement la beauté et la fidélité de sa femme. Doté d’une femme aussi admirable de cœur que de corps, il en est le mari autant que l’amant :
Ele est ma feme et jou ses sire. | Elle est ma femme et je suis son seigneur. |
Parmi sa cemise de sire | Au travers de sa chemise de soie |
Pert sa chars plus blance que nois. | Paraît sa chair plus blanche que neige. |
Por mil fies d’or fin son pois | Même contre mille fois son poids en or fin |
Ne lairoit ele autrui joïr | Je ne laisserais un homme jouir |
Des menbres dont j’ai mon plaisir. | De ses membres qui me comblent de plaisir. |
Le Roman du Comte de Poitiers, v. 53-58. |
45La mention de l’or fin au sein de ce micro-portrait évoque peut-être pour le lecteur averti la chevelure de la comtesse même si elle n’est pas textuellement convoquée. Le vers 56 pose ainsi un jalon et annonce la place prépondérante de l’or dans ce texte – comme couleur mais aussi comme monnaie. Mû par une jalousie sans nom, le duc de Normandie lui parie son duché contre le Poitou qu’il aura séduit la comtesse sous un mois si le comte ne fait pas connaître la gageure à celle-ci. Arrivé au château de Poitiers, le duc se fait passer pour un ami du comte et demande l’hospitalité. Il se livre alors à des avances assez grossières que repousse la comtesse. Elle confie sa tristesse à sa vieille nourrice, Alotru, qui, certaine d’en tirer bénéfice, propose aussitôt son aide hypocrite au duc…
46Elle dérobe à sa maîtresse son anneau de mariage, un bout de soie sergée provenant de sa robe et surtout dix cheveux au moment de la toilette :
Cele qui Diex doinst mal et honte | La nourrice – que Dieu lui envoie [honte et malheur - |
L’anel de son doit li embla, | Lui vola l’anneau qu’elle portait au doigt, |
Que ainx garde ne s’en dona, | Sans éveiller en rien les soupçons : |
Dont espousee l’ot li quens | C’était l’alliance offerte par le comte lors du mariage, |
Qui molt estoit et biaus et gens. | Elle était très belle et élégante. |
A pigne d’or a desmellé | Avec un peigne d’or elle a démêlé |
Ses cheveus, dis en a emblé. | Les cheveux de la comtesse, et en a volé dix. |
Plus luisent d’or fin en escu. | Ils brillent plus que l’or pur d’un bouclier. |
Le Roman du Comte de Poitiers, v. 292-299. |
47C’est au cœur de l’intimité de la comtesse, alors qu’elles sont entre femmes, que la nourrice met en place son stratagème pour vendre sa maîtresse à un homme. Trahissant la confiance qu’on plaçait en elle, elle livre sa fille de lait pour quatre cents marcs, préfigurant en cela la vieille Gondrée du Roman de la Violette. Si cette dernière montrera à Lisiart la belle Euriaut au bain, bradant ainsi la pudeur et la réputation de la jeune fille, Alotru se contente de monnayer les pièces préjudiciables sans donner accès au duc à la scène de la toilette. Or, le texte du Roman du Comte de Poitiers prête à confusion car il est ici question d’un démêlage de cheveux et, plus loin, d’un bain71. Toujours est-il que la toilette, moment de complicité entre femmes à l’abri du regard des hommes, se trouve ici dénaturée du fait de la duplicité de la nourrice72. Par la mèche de cheveux dérobée, le duc a eu accès – par procuration – à l’intimité décoiffée de Rose.
Le chef d’accusation
48Fort de ses preuves, le duc de Normandie retourne à Paris et montre au comte atterré les signes qu’Alotru lui a donnés :
Frans quens, | Noble comte, |
c’est pechiés de mescroire, | vous avez tort d’émettre des doutes, |
Ensagnes ai qui font a croire. | J’ai des preuves qui forcent à me croire : |
Ves chi dis de ses cevex sors | Voici dix de ses cheveux ambrés |
Qui plus reluisent que fins ors, | Plus brillants que l’or fin, |
Ves chi l’anel que li donastes | Voici l’anneau que vous lui avez donné |
A icel jor que l’espousastes, | Le jour où vous l’avez épousée, |
Et ceste ensagne de cendal | Et ce morceau d’étoffe soyeuse |
Fu prise au bon samit roial | A été arraché du vêtement de soie royale |
Que vostre feme avoit vestu. | Que votre femme avait revêtu. |
J’ai gaagnié et vous perdu. | J’ai gagné et vous perdu. |
Le Roman du Comte de Poitiers, v. 341-350. |
49L’ordre de présentation des trois pièces à conviction n’est pas anodin. Le traître choisit de frapper fort et de débuter par la plus douloureuse pour le comte : bien qu’ils constituent la preuve la plus ténue, les dix cheveux sont le corps même de sa femme, offert à un autre. La présence de cette mèche entre les mains du duc ne peut s’expliquer que par un corps à corps sensuel ou par un don amoureux. L’alliance ensuite, portée quotidiennement à même la peau, symbolise l’union des mariés. Donnée à un autre, elle ne signale plus que la fin du mariage. Le morceau de vêtement enfin représente la preuve la moins douloureuse pour le comte bien qu’il suppose une proximité avec la comtesse. Seule, cette dernière pièce aurait été insuffisante pour prouver l’infidélité. La présence de ces trois éléments entre les mains du duc ne peut a priori s’expliquer que par un cadeau galant, une drùerie. En effet, chacun d’eux revêt un caractère luxueux : soie asiatique digne d’un reine, anneau d’or73 et – par l’entremise de la comparatio de supériorité – cheveux plus blonds que l’or. Le contexte précieux réclame donc le stéréotype linguistique. Grâce à la chute brutale du vers 350, le félon réussit parfaitement son intervention et frappe juste puisque le comte entre dans une colère sans nom. En bon avocat de la défense, le roi Pépin demande à vérifier les preuves et ordonne au comte d’inviter sa femme à la Cour :
Mandés la contesse sans ire | Sans colère, faites venir la comtesse, |
K’a Paris s’en viegne escondire. | Qu’elle vienne à Paris se justifier. |
Si prouveront li cavel sor | Serviront de preuve les cheveux ambrés, |
Et li entaille et l’aniaus d’or | Le morceau de tissu et l’anneau d’or – |
Anchois qu’ele se part de chi, | Avant qu’elle ne quitte ces lieux - |
Se li dus ot ainc part de li. | Pour vérifier si le duc a joui de son corps. |
Le Roman du Comte de Poitiers, v. 369-374. |
50Si l’ordre de présentation des pièces est modifié, probablement pour les besoins de la rime, les cheveux restent en première ligne. La rime tend d’ailleurs à réunir l’alliance et la mèche, tous deux de la couleur de l’or.
51À peine arrivée, accompagnée de vingt jeunes demoiselles, la comtesse doit répondre de la présence de ces éléments entre les mains du duc de Normandie. Elle reconnaît ingénument son anneau de mariage. Quant aux cheveux, leur couleur est éloquente :
Les caveus traist de s’ausmoniere | Pépin sortit de l’aumônière les cheveux |
Pepins que la vielle sorchiere | Que la vieille sorcière vola |
Enbla la contesse au vis fier, | À la comtesse au fier visage, |
Quant ele le mena baignier. | Quand elle la conduisit au bain. |
Plus luisent d’or de cief en cief. | De bout en bout, ils brillent plus que l’or. |
Pepins les asist sor son cief. | Pépin les a posés sur sa tête. |
Tot dient bien, tot sans doutance | Tous affirment, sans aucun doute possible, |
C’assés furent d’une samblance, | Qu’ils se ressemblent trop, |
Et dient tot : « Diex, quel anui. | Et tous disent : « Mon Dieu, quel tourment, |
Li quens perdra sa terre ancui. | Le comte va perdre sa terre aujourd’hui ! » |
Le Roman du Comte de Poitiers, v. 393-402. |
52La comparaison des cheveux de la comtesse avec l’or, réitérée ici pour la troisième fois, n’est pas gratuite ni ornementale : elle engage la vie de Rose qui, parce que ses cheveux brillent trop, de la racine aux pointes, est reconnue coupable d’adultère. L’exceptionnel éclat de sa chevelure, sa rareté même, la condamne. La blondeur sublimée par la comparaison avec l’or accuse irréfutablement Rose. Les courtisans ne s’y trompent pas, qui annexent aussitôt le Poitou à la Normandie. Même si le morceau d’étoffe est ensuite mesuré – pour la forme – le verdict est fait. Le chef d’accusation qui pesait sur la comtesse est vérifié et elle est déclarée coupable. Difficile de ne pas opérer un rapprochement avec la scène où Tristan reconnaît Iseut en confrontant la couleur de sa chevelure avec celle du cheveu apporté par les oiseaux. L’entaille dans le tissu évoque évidemment la brèche dans l’épée de Tristan. Quant à l’alliance en or, elle rappelle celle que Marc glissera au doigt d’Iseut quand il la découvrira dans la forêt, endormie aux côtés de Tristan74, tout autant que celle que présentera Tristan dans la Folie de Berne pour qu’Iseut le reconnaisse75.
53L’annonce de la sentence consterne les vingt accompagnatrices qui se laissent aller à des manifestations de tristesse76 suivies par l’infortunée comtesse :
Ses biaus cevex tire et detrait. | Elle tire et arrache ses beaux cheveux. |
Le Roman du Comte de Poitiers, v. 474. |
54Il n’est pas nécessaire de commenter à nouveau ces gestes d’affliction, repris sans originalité particulière. Consterné, courroucé et rancunier, le comte entraîne sa femme dans la forêt pour la tuer. Au moment où il dégaine l’épée, le poète attire l’attention du lecteur sur la brillance de l’arme, dorée de la poignée à la lame :
Puis trait l’espee au poing d’or mier, | Puis il tire son épée dont la poignée est d’or pur, |
Li brans reluist contre le jor. | Le fer brille à la lumière du jour. |
Le Roman du Comte de Poitiers, v. 534-53577. |
55À l’or trop pur des cheveux répond la brillance sans pareille de l’épée tout comme le châtiment répond à l’infidélité. Ce n’est d’ailleurs pas une surprise si le comte, au moment de lui donner le coup fatal, saisit l’épouse prétendument adultère par les cheveux :
Si l’ahiert par la trece blonde, | Il l’empoigne par la tresse blonde, |
Hauce l’espee et le nu branc. | Lève son épée au fer nu. |
Le Roman du Comte de Poitiers, v. 554-555. |
56Pour une première mention de la coiffure de la comtesse, le moment semble mal choisi. Quelle légitimité la tresse blonde a-t-elle en effet dans ce passage sinon celle de faire écho à toutes les femmes persécutées pour leur légèreté supposée ou réelle, incarnée en cette fameuse tresse blonde78 ?
La mariée était trop blonde
57Fort heureusement pour la comtesse, un lion menaçant surgit derrière son époux et elle s’empresse de l’en avertir, ce qui lui vaut la reconnaissance du comte qui, en guise de remerciement, se contente de l’abandonner au lieu de la tuer. Peu après, arrive Harpin, neveu du comte, qui la prend sous sa protection avant de la contraindre à l’épouser. Entre temps, le comte affronte un serpent puis change ses vêtements et, déguisé en mendiant, tel un nouveau Tristan, se rend à Poitiers où il se fait servir à manger. Ainsi accoutré, il entend le duc remercier la vieille nourrice – étrangement devenue sa maîtresse – de lui avoir fourni les pièces à conviction. Le comte part aussitôt à la recherche de sa femme et la retrouve sur le point d’épouser contre son gré Harpin. S’ensuit une pause descriptive donnant tout loisir au lecteur d’imaginer la toilette de la mariée :
Sor le blonde crine luisant, | Sur la brillante chevelure blonde, |
Qui dusc’au pié aloit batant | Longue jusqu’à battre les pieds |
(Plus luisent d’or fin en escu), | (Les cheveux brillent plus que l’or fin d’un bouclier) |
Si ot un cercle a or batu. | Était posée une couronne d’or battu. |
Le Roman du Comte de Poitiers, v. 951-954. |
58La couronne d’or sur la tête de Rose renvoie les éclats de sa chevelure, à la fois excessivement longue et outrageusement blonde79. Le vers 953 est une reprise intégrale du vers 299 : la proposition insérée en parataxe laisse imaginer le dilemme de l’écrivain, pris entre deux stéréotypes linguistiques, celui de la longueur, et celui de la brillance dorée. Ne se résignant pas à en choisir un seul et désireux de peindre une beauté hors du commun, l’auteur s’est décidé à agréger les deux clichés en laissant toutefois la possibilité au lecteur qui estimerait que trop c’est trop de supprimer le vers 953. Contre toute attente, la fidèle comtesse refuse de se marier et clame son amour pour l’époux qui l’a abandonnée en forêt :
« Dame, volé l’a signor prendre ? » | « Madame, voulez-vous le prendre pour mari ? |
« Chiertes, ains me lairoie pendre. | – Assurément, je préférerais me laisser pendre. |
Anchois soie jou traïnee | J’aimerais mieux être traînée |
Que je soie ja s’espousee. | Que de devenir son épouse. |
Le Roman du Comte de Poitiers, v. 983-986. |
59Le verbe traîner, qui désigne ici le supplice que préférerait subir la comtesse plutôt que de se marier avec son neveu, n’est pas anodin car il renvoie à certaines tortures infligées aux femmes qu’on traînait par les cheveux à la vue de tous en guise d’humiliation80. La chevelure tisse ainsi sa toile dans l’ensemble de l’œuvre.
60À cette femme qui ne se plie pas à sa volonté, Harpin ne répond pas. Il frappe. Le comte qui assiste à la scène intervient et le brutalise à son tour. Puis il reprend son bien – la comtesse – et retourne à Poitiers pour se venger. Après un combat en règle, le duc est condamné à mort et la servante, à qui on crève les yeux, finit sa vie dans un couvent. Les époux deviennent alors comte et comtesse de Normandie. La morale étant sauve, le couple donne naissance à un garçon, Gui, dont la fin du roman narre les aventures.
61Le roman est donc si riche qu’il pourrait servir de réservoir d’exemples à notre travail. Citons dans le désordre la comparaison avec l’or, la longueur des cheveux jusqu’aux pieds, le don entre amants, la scène de la toilette, les manifestations de deuil, les offenses : cheveux tirés et femme traînée par les cheveux. C’est beaucoup pour un texte de 1700 vers, d’autant plus que la référence à l’or le parcourt en continu, depuis le malheureux pari jusqu’à la coiffure de la mariée, en passant par la mèche accusatrice et par l’épée étincelante. Parmi les romans du cycle de la gageure développant le thème de la femme faussement accusée d’adultère, Le Roman du Comte de Poitiers est le seul à accorder aux cheveux un tel impact dans l’intrigue. À titre de comparaison, même si la coiffure de Lïenor est plusieurs fois décrite dans Guillaume de Dole, ce n’est pas l’indice qui incrimine la jeune fille. Le Roman de la Violette attirera l’attention sur une tache de naissance placée sur la cuisse de la jolie Euriaut. La profusion des allusions subtiles à Tristan et Iseut doit être lue comme un indice du rôle majeur joué par la chevelure féminine. Avec ingéniosité, l’oeuvre confère un éclairage tragique aux scènes empruntées à la quête de Tristan : si la chevelure d’Iseut la désigne comme élue, celle de Rose la condamne irrévocablement.
62En conclusion, Iseut, Blonde Esmerée et Rose, femmes-chevelure, sont comme encloses dans cette fraction de leur corps, publiquement montrée ou jamais dévoilée. En effet, Iseut révélée comme reine par son long cheveu et Rose désignée coupable à cause d’une mèche trop dorée s’opposent à Blonde Esmerée dont seul le nom semble garant d’une blondeur jamais exhibée parce qu’elle est avant tout métaphorique. La reine vers laquelle se tourne Guinglain est l’image d’un texte cousu d’or. Pré-texte, la chevelure de l’héroïne l’est néanmoins dans chacune des œuvres en tant que fil de la narration. Le Bel Inconnu et Le Roman du Comte de Poitiers multiplient ainsi les échos intertextuels avec les différentes versions de la légende des amants maudits qu’ils transposent ou réécrivent. S’il est plusieurs manières de s’inspirer de Tristan et Iseut, celle qui consiste à laisser les longs cheveux se déployer intimement dans les moindres replis du texte n’est pas la moins fertile.
L’idole dorée, de Soredamour à Guenièvre
63Chrétien de Troyes, auteur s’il l’on en croit le prologue de Cligès d’un texte perdu intitulé Del roi Marc et d’Ysalt la blonde81, n’est pas resté insensible au charme de la chevelure d’Iseut, allant jusqu’à l’inscrire sur le fronton de son œuvre. L’influence de Tristan sur l’écriture du poète champenois n’est plus à démontrer. En revanche, excepté au sein de la célèbre scène où Lancelot adore les cheveux de la reine, l’ampleur du rôle de la chevelure dans Cligès et dans Le Chevalier de la Charrette n’a pas été clairement définie. Tout en portant au pinacle la chevelure dorée des héroïnes auxquelles les hommes vouent un culte digne de celui du veau d’or, Chrétien se livre à un travail de sape sans précédent, érodant les fondements mêmes de stéréotypes qu’il prend au pied de la lettre et amplifie démesurément.
Cligès ou le fil d’or
64Le deuxième roman de Chrétien de Troyes est véritablement né d’un stéréotype linguistique dans la mesure où le héros éponyme n’aurait pas vu le jour sans les cheveux d’or de sa mère, eux-mêmes à l’origine de l’amour qu’Alexandre a contracté pour elle. En effet, la première partie du roman pourrait se résumer à un long développement de la comparaison des cheveux avec l’or, que ce soit dans le nom de l’héroïne ou dans l’aventure de la chemise cousue de cheveux d’or. D’inspiration tristanienne, cet épisode est toutefois intimement marqué par l’empreinte de Chrétien et figuré par Soredamour assemblant avec goût les pièces de tissu.
Par le non conuist an l’ome
65Soredamour se donne à voir comme une incarnation de la blondeur dorée. Comme le prouve sa complainte, tout l’amour qu’Alexandre éprouve pour ce personnage est contenu dans sa somptueuse chevelure :
Li penon sont si coloré | Les plumes sont de la même couleur |
Con s’ils estoient tuit doré, | Que si elles avaient été entièrement dorées, |
Mes doreûre n’i fet rien, | Mais il n’y entre aucune peinture d’or |
Car li penon, ce savez bien, | Car ces plumes, vous le savez bien, |
Estoient plus luisant ancores. | Brillent encore plus que l’or. |
Li penon sont les treces sores | Les plumes sont les tresses ambrées |
Que je vi l’autre jor an mer, | Que je vis l’autre jour sur la mer. |
C’est li darz qui me fet amer. | Voilà le dard qui me rend amoureux. |
Dex, con tres precïeus avoir ! | Dieu ! Quel bien très précieux ! |
Qui tel tresor porroit avoir, | Quand on possède un tel trésor, |
Por qu’avroit an tote sa vie | De quelle autre richesse |
De nule autre richesce anvie ? | Peut-on encore avoir besoin durant sa vie ? |
Androit de moi jurer porroie | En ce qui me concerne, je pourrais jurer |
Que rien plus ne desirreroie, | Que mes désirs se trouveraient alors satisfaits. |
Que seuls les penons et la coche | Même contre la ville d’Antioche, |
Ne donroie por Antioche. | Je n’échangerais pas les pennons et l’entaille. |
Cligès, v. 783-798. |
66La comparaison entre la flèche d’amour82 et la femme est motivée par la ressemblance qui existe entre la plume et la tresse83. Ce sont bien les tresses qui ont transpercé le cœur d’Alexandre et ont fait de lui une victime d’Amour. La métaphore qui confère à la chevelure la beauté de l’or est disséminée dans la lamentation à travers l’évocation de la brillance (luisant), de la blondeur ambrée (sores), de la valeur (precïeus, trésor, richesce) et bien sûr de l’or grâce à l’adjectif doré et au substantif doreüre. L’entrelacement des termes invite le lecteur-auditeur vigilant à reconstituer le stéréotype linguistique. Mais est-ce là le seul intérêt ? Certes non, car l’explicitation de la métaphore n’aura jamais une force évocatoire comparable à celle dont elle profite ici.
67À la complainte de l’amoureux transi répond quelques pages plus loin l’explication par Soredamour de son prénom qui, du fait de ses sonorités, lui ordonne d’aimer :
Aucune chose senefie | La première partie de mon nom |
Ce que la premiere partie | Contient la couleur d’or |
En mon non est de color d’or. | Et cela signifie quelque chose : |
Et li meillor sont li plus sor | Les meilleurs sont les plus blonds. |
Por ce tieng mon non a meillor | Je reconnais l’excellence de mon nom à ce détail : |
Qu’an mon non a de la color | Il contient la couleur |
A cui li miaudres ors s’acorde, | Qui s’harmonise avec l’or le plus pur |
Et la fine amors me recorde : | Et il me rappelle le parfait amour. |
Car qui par mon droit non m’apele | En effet, celui qui m’appelle par mon vrai nom |
Toz jorz amors me renovele ; | Réveille chaque fois l’amour en moi. |
Et l’un mitiez l’autre dore | La moitié de mon nom dore l’autre |
De doreure clere et sore, | D’une dorure éclatante de blondeur. |
Et autant dit Soredamors | Soredamour signifie |
Come sororee d’amors. | « Dorée d’Amour ». |
Doreure d’or n’est si fine | La dorure de l’or n’est pas aussi pure |
Come ceste qui m’anlumine : | Que celle qui m’illumine. |
Molt m’a donc Amors enoree, | Amour m’a donc fait un honneur suprême |
Quant il de lui m’a sororee, | Quand il m’a offert son or. |
Cligès, v. 965-98284. |
68Grâce à la reprise des mêmes termes, soit exactement, soit dérivés, le parallèle entre les deux extraits apparaît avec évidence. Par son prénom même, Soredamour est destinée à être aimée à travers sa blondeur. Les différents adjectifs employés dans la comparaison traditionnelle de la chevelure avec l’or, à savoir color, sore, fine, sont au rendez-vous mais ce n’est pas la seule richesse de l’extrait. Véritable morceau de bravoure, l’éclaircissement de l’onomastique joue avec les mots savamment entrelacés dans une répétition incantatoire qui envoûte le public et qui n’est pas sans préfigurer la poésie des grands rhétoriqueurs ou même la poésie baroque. L’harmonie sonore est première, recherchée grâce à la quadruple répétition de non, d’amors et grâce à la reprise de color et de sororee. Le choix des termes semble en grande partie guidé par leurs sonorités comme le montre la proximité de enoree et de sororee. C’est bien la fonction poétique du langage qui est mise en œuvre dans cet extrait85, d’autant plus que l’explication de l’onomastique se situe autant dans les sonorités que dans les mots86 : le son [uR] sature l’extrait puisque 28 % des mots les contiennent, et cela sans compter la simple assonance en [u]. Cette syllabe or, que nous avons soulignée pour en prouver la fréquence, apparaît déjà deux fois dans le nom de l’héroïne tout comme dans le participe sororee87 qui clôt la séquence en feu d’artifice. Le nom de Soredamour est donc explicité autant par la forme que par le contenu du texte, d’autant plus qu’il est précédé à la rime de sors (v. 916) et suivi d’amor (v. 918), comme si les rimes elles-mêmes décomposaient le mot et en offraient une interprétation : blonde comme l’or et de ce fait, inspirant l’amour. Ce genre de raffinement précieux, sans doute apprécié du public médiéval, est parent de l’adnominatio chère à Chrétien et étudiée par Deborah Long88 : le poète dessine en quelques vers un tortueux labyrinthe tout en invitant son lecteur à y entrer et à s’immiscer dans le monde de son imagination poétique. Chef d’œuvre de préciosité, cette explication senefiante du prénom89 joue de toutes les ressources langagières pour motiver un nom qui contient deux fois la comparaison avec l’or et qui est à l’origine de l’intrigue. Loin de se contenter d’évoquer la blondeur comparable à l’or de son personnage, Chrétien se livre à un développement poétique qui hypertrophie le cliché.
Le vêtement cousu de fil d’or
69Ces deux épisodes qui se font écho et éblouissent par la beauté de leur formulation préparent l’aventure du cheveu cousu, annonçant la mise en œuvre du stéréotype linguistique au cœur de l’intrigue. Comment en effet vérifier si la blondeur du cheveu de Soredamour vaut celle d’un fil d’or sinon en remplaçant l’un par l’autre ? Tel est le défi lancé par Chrétien à la rhétorique.
70Peu avant l’adoubement d’Alexandre, lors de la préparation des somptueuses chemises qu’offrira la reine aux jeunes chevaliers, la jeune Soredamour coud à l’insu de tout le monde un de ses cheveux en lieu et place d’un fil d’or90, espérant dans son orgueil qu’un homme pourra faire la différence entre les deux et donner l’avantage au cheveu :
Es costures n’avoit un fil | Aux coutures, il n’y avait pas un fil |
Ne fust d’or ou d’argent au mains. | Qui ne fût d’or ou au moins d’argent. |
Au queudre avoit mises les mains | Soredamour avait participé |
Soredamors, de leus an leus ; | Plus d’une fois à la confection de la chemise. |
S’avoit antrecosu par leus | À l’aide du fil d’or, elle avait cousu, à certains endroits, |
Lez l’or de son chief un chevol, | Un de ses cheveux, |
Et as deus manches et au col, | Aux deux manches et à l’encolure, |
Por savoir et por esprover | Pour voir si un homme, |
Se ja porroit home trover | Particulièrement attentif, |
Qui l’un de l’autre devisast, | Était capable de distinguer |
Tant clerement i avisast : | L’un de l’autre. |
Car autant ou plus con li ors | Le cheveu d’un blond ambré brillait en effet |
Estoit li chevox clers et sors. | Autant et même plus que l’or. |
Cligès, v. 1154-1166. |
71Le vers 1159 se révèle particulièrement ambigu s’il est lu seul : de son chief peut aussi bien se rapporter à l’or qu’a chevol, de sorte qu’apparaît – presque entre les lignes – la métaphore : l’or de sa chevelure, reprise sous forme de comparatio aux vers 1165-1166. Ces deux derniers vers, s’ils étaient eux aussi lus seuls, laisseraient penser que l’on est en présence de la comparaison canonique attendue au sein d’un portrait. Or, et c’est là le talent de Chrétien, le cliché se voit ici investi d’une fonction narrative. Non seulement le stéréotype linguistique est motivé par la présence effective d’un fil d’or91 mais il devient le point de départ d’une aventure. On reconnaît là le motif du don de cheveux entre amants92. Cependant, l’héroïne ignore, de même que la reine et a fortiori Alexandre, que le vêtement offert au jeune chevalier est précisément celui qui contient le fameux cheveu. Seules les incursions du narrateur omniscient nous rappellent sa présence dans la couture de la chemise :
Molt an reûst cele grant joie | Celle qui y avait cousu son cheveu |
Qui son chevol i avoit mis, | Aurait, elle aussi, éprouvé une immense joie |
S’ele seûst que ses amis | Si elle avait su que son ami devait recevoir |
La deûst avoir ne porter. | Cette chemise et la porter. |
Molt s’an deûst reconforter | Elle aurait été comblée |
Car ele n’amast mie tant | Car elle préférait le cheveu |
De ses chevox le remenant | Qu’Alexandre possédait |
Come celui qu’Alixandre ot. | À tout le reste de sa chevelure. |
Mes cil ne cele ne le sot | Toutefois ni l’un ni l’autre ne savait quoi que ce soit |
C’est grand enuiz que il nel sevent. | Et cette ignorance est bien affligeante ! |
Cligès, v. 1172-1181 |
Mes s’il seûst le soreplus, | Mais, s’il avait connu le secret de sa confection, |
Ancor l’amast il assez plus, | Il l’aurait aimée encore davantage. |
Car an eschange n’an preïst | Il n’aurait pas accepté de l’échanger |
Tot le monde, einçois en feïst | Contre le monde entier ; il l’aurait plutôt |
Saintuaire, si con je cuit, | À mon avis, considérée comme une sainte relique |
Si l’aorast et jor et nuit. | Et il l’aurait adorée jour et nuit. |
Cligès, v. 1189-1194. |
72On notera le parallélisme qui s’établit entre les deux réflexions supposées de Soredamour et d’Alexandre grâce à la répétition de S’ele seûst et de Mes s’il seûst. Ce procédé qui consiste à présenter successivement les pensées similaires des deux amoureux alors qu’ils sont séparés sera réutilisé plus amplement par Chrétien dans Le Chevalier de la Charrette lorsque les deux héros tentent, chacun de leur côté, de se suicider après avoir appris la fausse nouvelle de la mort de l’autre93. Le rejet de Tot le monde au vers 1194 n’est pas sans rappeler por Antioche94 : cette gradation renforce l’idée qu’un cheveu de la Dame reste inestimable et l’emporte sur toute richesse matérielle. Le champ lexical du religieux mis en place avec le substantif saintuaire et le verbe aorer sera poursuivi dans le passage révélant le mode de confection de la chemise95. La chemise recèle un mystère qui tient du religieux.
73On rapprochera de Cligès cette pastourelle dans laquelle une dame tresse ses cheveux coupés en les galonnant avec de l’or et de la soie96 pour créer une couronne (peut-être destinée à son ami de cœur) :
La dame fu simple et coie, | La dame, douce et paisible, |
en un chainse senz mantel, | Portait une chemise mais pas de manteau. |
si faisoit d’or et de soie | Elle confectionnait des couronnes |
et de ses chevox chapel. | À l’aide de fils d’or, de soie et de ses cheveux. |
pièce 40, v. 9-1297. |
74Ce cadeau cumule les dons de cheveux et d’accessoire vestimentaire. Au milieu du xiiie siècle, l’auteur de L’Âtrepérilleux se souviendra encore, sans beaucoup d’originalité toutefois, du cheveu inséré dans un vêtement au moment de sa confection :
Et si avoit cote a armer | La cotte d’armes du chevalier |
D’un paile de Constentinoble, | Était taillée dans un drap de Constantinople, |
Et sa çainture ert cointe et noble | Et la ceinture qui la ceignait, |
K’il ot desus sa cote çainte ; | Élégante et de belle facture ; |
Car s’amie ne s’ert pas fainte, | Son amie, qui la lui avait envoyée, |
Ki envoe li avoit, | Avait mis tous ses soins |
A faire les œuvres a droit, | À bien l’exécuter, |
De caviax et d’or et de soie. | Avec des cheveux d’or et de soie. |
L’Âtre périlleux, v. 3612-3619. |
75Le riche costume offert à Gauvain par amour contient, parmi les fils de soie et d’or, des cheveux de son amie. L’énumération du vers 3619 pose l’équivalence de la chevelure avec l’étoffe rare et le métal précieux. Là encore, le demoiselle fait don de ses cheveux à l’insu de son amant qui portera le vêtement sans en connaître le prix. Si le motif est emprunté à Chrétien, il faut bien reconnaître qu’il est ici utilisé de façon gratuite, sans être exploité dans la suite du texte.
Une trop difficile épreuve
76Or, et c’est là que le bât blesse, Soredamour a conçu son artifice comme une épreuve98 por savoir et por esprover / Se ja porroit home trover / Qui l’un de l’autre devisast (v. 1161-1163). Elle « espère trouver le chevalier qui remarquera son stratagème, relèvera la différence, devinera l’origine du second fil ; et, faisant la comparaison des deux, accordera la préférence à ses cheveux, dont le blond naturel est utilisé ici sous le couvert original de l’art. »99 Le héros grec, pourtant vaillant et courtois puisqu’il a d’abord eu raison d’Angrès et qu’il a ensuite refusé de demander au roi la main de Soredamour sans l’accord de celle-ci, n’a cependant pas réussi l’exercice imposé. N’ayant pas perçu la couleur particulière du cheveu inséré dans la couture, Alexandre ne s’est pas montré à la hauteur de l’épreuve imposée. Le lecteur – qui ne voit jamais la chemise – ne satisfait pas plus aux exigences de Soredamour100...
77Malgré cet échec, et à la différence de Guenièvre avec Lancelot, Soredamour ne manifeste aucune rancœur à l’égard d’Alexandre et le juge digne de devenir son époux101. Cette aventure manquée pose question et semble invalider en partie l’actualisation du cliché. Si le cheveu avait brillé d’une telle intensité, comment Alexandre aurait-il pu ne pas en être saisi ? Le texte dit à la fois la supériorité du cheveu sur l’or tout en insinuant l’impossibilité de les distinguer102. « Dans ce roman qui use et abuse des feux d’artifice du langage – il faut bien montrer son savoir-faire – Chrétien signale tout aussi bien l’impuissance de la rhétorique et de ses formules coupées du réel à dire le vrai [...] Prendre la rhétorique, toute la rhétorique, semble dire Chrétien dans ce roman duplice, mais pour en démonter les mécanismes, en épuiser les ressources, en démontrer l’inanité »103. D’ailleurs, la révélation par la reine du mode de confection de la chemise104 se trouve enchâssée dans le récit du siège de Guinesores (Windsor), lieu crucial qui voit les futurs parents de Cligès se rencontrer puis se marier. Ce toponyme décomposable en guigne105 sores n’invite-t-il pas à guetter les signes de la blondeur ? Comment Alexandre a-t-il pu, à l’instar de Perceval, ignorer les indices savamment disposés à son intention et surtout, pourquoi peut-il, contrairement au jeune nice, impunément les négliger ? Tout se passe comme si Chrétien, par l’intermédiaire du jeune héros, érodait les fondements de son texte, déconstruisant insidieusement l’édifice patiemment échafaudé : le cliché se fait chair, s’incarne mais demeure anodin, dérisoire pour celui-là même qui n’a de pensées que pour Soredamour. Dire que l’amour rend aveugle serait trop facile.
78Lorsque Alexandre rend sa visite quotidienne à la reine, revêtu par hasard de sa chemise au cheveu d’or, la souveraine comprend brusquement le secret de la confection du vêtement. C’est à ce moment que la figure de style s’incarne le plus vigoureusement :
La reine par la main destre | La reine tenait Alexandre par la main droite |
Tint Alixandre et remira | Quand elle aperçut le fil d’or qui ternissait. |
Le fil d’or qui molt anpira ; | Le cheveu, au contraire, |
Et li chevox esclarissoit, | Rayonnait de sa blonde clarté |
Que que li filz d’or palissoit. | À mesure que le fil d’or perdait son éclat. |
Si li sovint par avanture | La reine se souvint alors, par hasard, |
Que feite avoit cele costure | Que Soredamour avait réalisé cet ouvrage |
Soredamors, et si s’an rist. | Et elle se mit à rire. |
Cligès, v. 1560-1567. |
79Pourtant la reine, observatrice sagace, finit, elle, par remarquer la supériorité du cheveu. L’hyperbole ne se réduit pas ici à une amplification rhétorique puisque la supériorité du cheveu sur l’or est prouvée par la réalité, et sur la foi des yeux de la reine. Contrairement à ce que laisse entendre Emmanuèle Baumgartner, la surenchère n’est pas à mettre au compte de l’auteur : c’est par sa clarté propre que le cheveu l’emporte sur l’or, comme le montrent les verbes palir et esclarir. La comparaison qui supposait la supériorité de la chevelure sur l’or s’incarne sous nos yeux grâce à l’emploi de l’imparfait : le cliché se vérifie. Cependant, la reconnaissance a pris du temps, le temps nécessaire à l’altération du fil d’or, puisque Alexandre rend visite chaque soir à la reine. Il a fallu que le métal se ternisse pour que le cheveu rayonne davantage. Inutile dès lors de blâmer Alexandre. Seule la jeune coquette avait imaginé, dans son orgueil, que son cheveu brillait davantage que l’or. Jamais Chrétien, in fine, ne lui a donné raison si ce n’est dans la bouche de la reine et après le ternissement de l’or. Le cheveu brille davantage qu’un fil d’or altéré : avouons que l’hyperbole perd en intensité. Chrétien de Troyes a ainsi subrepticement tordu le cou au cliché.
Entre Tristan, Lancelot et Perceval
80Le cheveu devient donc un actant106 du récit, et plus précisément un adjuvant. C’est par un heureux hasard que la chemise au cheveu d’or est revenue à Alexandre et non à un de ses compagnons ; c’est grâce à sa reconnaissance par Guenièvre que s’ouvrent les coeurs des amants. Là encore, Chrétien est redevable au Tristan107. Le cheveu doré de Soredamour joue dans le récit le même rôle que le cheveu envolé d’Iseut108, celui d’un objet de reconnaissance permettant la réunion de ceux qui sont séparés et dans le cas présent, de ceux qui s’aiment. Bien plus, la comparaison mise en œuvre entre deux sortes d’or, celui du fil et celui du cheveu, évoque nécessairement la fin du poème au moment où Kaherdin se présente à la cour de Marc déguisé en marchand d’objets de luxe. Il propose à Iseut une broche en or et, pour vanter les mérites du bijou, tend son propre anneau afin que la supériorité de l’or de la broche ressorte de la confrontation des deux. Iseut reconnaît aussitôt l’anneau qu’elle avait donné à Tristan avant leur séparation ; elle comprend le stratagème et s’arrange pour retourner auprès de son amant qui réclame sa présence pour se rétablir109. « La comparaison entre deux objets d’or différents entre en jeu dans une scène typiquement tristanesque, où le discours se poursuit sur deux plans superposés, grâce au déguisement et à un objet dont la fonction est de signifier autre chose que lui-même, c’est-à-dire dont la fonction est poétique »110. De même, Soredamour imagine une comparaison entre une espèce supérieure d’or, matérialisée par sa chevelure, et une espèce inférieure, le fil de couture. Tout comme l’anneau représente bien plus pour Iseut qu’un objet marchand, la chemise offerte par Soredamour constitue une invite amoureuse à reconnaître la beauté de la couturière.
81Or, « Alexandre s’en tient à l’acception naturelle, ou évidente, de la chemise, tout comme Marc prend au pied de la lettre la comparaison de l’anneau et de la broche »111. Le signe requiert une interprétation, qu’Iseut se garde bien de livrer à Marc mais dont se charge avec patience Soredamour. « Ainsi Chrétien, à des moments privilégiés de son roman qui en sont comme les raccordements structurels, combine dans le fil de son propre discours de commentaire les motifs du Tristan, tissés dans un nouveau contexte d’artifice, – une nouvelle con-texture. »112 Si ce motif annonce dans Tristan la mort des amants puisque Iseut ne parviendra pas à sauver son ami, en revanche il préside dans Cligès au mariage des protagonistes et à la naissance du héros éponyme. Chrétien réécrit donc le motif – non sans le combiner avec celui de la reconnaissance d’Iseut par son cheveu – en inversant sa signification, à l’ombre de la mort répond dans Cligès la fécondité de la vie113.
82D’autre part, le récit par Soredamour de la confection particulière du vêtement bouleverse Alexandre qui n’aspire plus qu’à être seul afin de pouvoir s’adonner à un étrange culte. On peut dès lors lire ce passage comme un premier jet du récit de l’adoration des cheveux de Guenièvre par le Chevalier de la Charrette114 :
Cliges | Lancelot ou le Chevalier de la Charrette |
Quant cele li conte et devise | Et cil, qui vialt que le peigne ait, |
La feiture de la chemise, | Li done, et les chevox an trait, |
Que a grant poinne se retarde, | Si soef que nul n’an deront. |
La ou le chevolet regarde, | Ja mes oel d’ome ne verront |
Que il ne l’aore et ancline. | Nule chose tant enorer, |
Si conpaignon et la reine, | Qu’il les comance a aorer, |
Qui leanz erent avoec lui, | Et bien cent mile fois les toche |
Li font grant mal et grant enui : | Et a ses ialz, et a sa boche, |
Car por aus let que il n’en toche | Et a son front, et a sa face ; |
Et a ses ialz et a sa boche, | N’est joie nule qu’il n’an face : |
Ou molt volantiers la meist, | Molt s’an fet liez, molt s’an fet riche ; |
S’il ne cuidast qu’an le veist. | An son saing, pres del cuer, les fiche |
Liez est quant de s’amie a tant, | Entre sa chemise et sa char. |
Car il ne cuide ne n’atant | (v. 1463-1475) |
Que ja mes autre bien en ait ; | |
Ses desirriers doter le fait, | |
Nequedent quant il est an eise, | |
Plus de cent mil foiz la beise. | |
Molt en fet tote nuit grant joie, | |
Mes bien se garde qu’an nel voie. | |
Quant il est colchiez an son lit, | |
A ce ou n’a point de delit | |
Se delite, anvoise et solace. | |
Tote nuit la chemise anbrace, | |
Et quant il le chevol remire, | |
De tot le mont cuide estre sire. | |
Bien fet Amors d’un sage fol, | |
Quant cil fet joie d’un chevol ; | |
Mes il changera cest deduit. | |
(v. 1611-1639) |
83En mettant en caractère gras les termes présents dans les deux textes, nous faisons apparaître leur parenté avec plus d’évidence. On pourrait même émettre l’hypothèse que Chrétien avait sous les yeux le texte antérieur lorsqu’il écrivit Le Chevalier de la Charrette car le dernier mot du vers 1619 et le vers 1620 sont intégralement repris aux vers 1469 et 1470 ; la rime en toche/boche se répète donc d’un texte à l’autre. De plus, la mention de la chemise de Lancelot ne peut manquer d’évoquer celle de Cligès. La nuit d’amour que passe Alexandre avec le cheveu peut être lue comme une anticipation de l’amour charnel115 mais la répétition de joie laisse entendre que ce plaisir suffit à lui-même. Le héros s’offre corps et âme à son amie, présente à ses côtés par le truchement du cheveu qui symbolise érotiquement la femme et en tient lieu116. La crainte d’être vu s’explique par le caractère insolite des gestes d’Alexandre mais rappelle également la peur des losengiers, toujours prompts à médire des amants dans la tradition courtoise. Le fétichisme trouve en Alexandre aussi bien qu’en Lancelot de dévoués représentants. Dans les deux extraits, la vénération démesurée portée par les personnages aux cheveux de leurs amies est pointée par un Chrétien amusé qui prend une certaine distance par rapport aux excès où mène la fin’amor117.
84L’impossibilité de faire la différence entre un cheveu et un fil d’or, hyperboliquement présumée par les auteurs de portraits, devient réelle. La technique narrative consistant à amplifier un stéréotype linguistique a déjà été analysée par Don A. Monson au sujet de l’épisode au cours duquel Perceval reste en extase devant des gouttes de sang tombées sur la neige évoquant le contraste des couleurs du visage de sa bien-aimée : « qu’un romancier comme Chrétien de Troyes ait parfois modelé certains épisodes de ses romans sur des figures de style, c’est ce qu’illustre, par exemple, la fameuse scène des gouttes de sang sur la neige dans Le Conte du graal. »118 Chrétien a inversé dans ce passage la démarche traditionnelle qui consiste à comparer la blancheur du visage féminin à la neige et le rouge des joues au sang ; ce n’est plus une image qu’il nous présente mais la réalité concrète d’un cheveu brillant à côté d’un fil d’or. Dans Cligès, Chrétien développe longuement la matérialisation du cliché, le cheveu pris pour de l’or. L’événement narratif n’est finalement qu’une image hyperbolique comme l’a souligné Don A. Monson : « la création d’un segment narratif sur le modèle d’une figure de style se rencontre fréquemment dans l’œuvre de Chrétien. Tant et si bien qu’il sert à structurer non seulement des épisodes particuliers mais aussi de longues séquences narratives, voire des romans entiers. »119 Même si persiste le sourire de l’auteur qui se moque doucement des excès de ses héros, contemplatifs, rêveurs et quelque peu déréglés dans leurs comportements amoureux.
85Le deuxième roman de Chrétien de Troyes, au moins dans sa première partie, peut donc se lire comme la mise en récit d’un cliché : la supériorité de la chevelure de Soredamour par rapport au modèle se veut démontrable par l’action et non pas seulement par les paroles élogieuses de l’auteur. Le cliché devient alors une des clefs d’accès à l’œuvre et s’intègre dans une esthétique globale. Loin de se cantonner à un rôle conventionnel au sein du portrait, le cliché participe d’un choix poétique qui en fait le sésame du texte. À l’exemple de son héroïne Soredamour, Chrétien « sème, à des moments privilégiés de son roman, les indices de son identité comme romancier. L’aspect du vêtement qui se recommande à notre attention est précisément celui que normalement on remarque le moins dans la confection : cette conjointure des deux sortes de fil utilisés dans le surjet du vêtement »120. Confection de la chemise et écriture du roman se rejoignent dans leur souci commun de transformer une matière sans doute riche mais néanmoins commune en œuvre dont la composition restera unique. Chrétien le couturier, à l’instar de Soredamour, ne se contente pas de tisser son texte d’or et de beauté, il lui adjoint ce qu’il a de plus précieux, son talent à assembler les mots. Le cheveu ne brille pas plus que l’or parce que, justement, la rhétorique est trompeuse. Soredamour pourrait en être blessée dans sa fierté féminine mais elle ne s’en formalise pas, de même que Chrétien poursuit sa narration même si le stéréotype linguistique se révèle fallacieux. Auto-flagellation ironique de l’orgueil auctorial perceptible uniquement par un lecteur vigilant dont Chrétien pardonne au préalable, en la figure d’Alexandre, les manquements.
Lancelot ou la chevelure idolâtrée
86Œuvre incontournable quand on évoque la chevelure dans la littérature médiévale, Le Chevalier de la Charrette est cependant à bien des égards redevable au Cligès écrit un à cinq ans auparavant, en particulier en ce qui concerne le traitement de la chevelure. Le Lancelot présente néanmoins de façon plus achevée et unifiée l’amoureuse adoration des cheveux par lefin’amant. Au-delà du tendre tableau du chevalier à la fontaine, l’œuvre échafaude les fondements d’un culte dont la chevelure est la bénéficiaire, non sans laisser entrevoir le sourire d’un Chrétien amusé. À travers ces mèches oubliées et vénérées, c’est le type de relations qu’entretiennent Guenièvre et Lancelot qui est interrogé.
Lancelot, premier fétichiste ?
87Reprenons plutôt le roman, dont 155 vers121 sont consacrés à ce que l’on nomme couramment l’épisode du peigne de la reine. Alors qu’il est parti en quête de Guenièvre, retenue prisonnière au pays de Gorre par Méléagant, Lancelot accepte l’hospitalité d’une demoiselle entreprenante qu’il se voit ensuite contraint d’escorter. C’est en cheminant qu’ils découvrent l’un après l’autre un peigne oublié sur la margelle d’une fontaine :
Tant tindrent voies et santiers, | Ils allaient par voies et sentiers, |
Si con li droiz chemins les mainne, | En suivant le chemin le plus direct, |
Que il voient une fontainne. | Quand ils aperçurent une source |
La fontainne est enmi uns prez | Au milieu d’une prairie, |
Et s’avoit un perron delez. | Avec une bordure de pierre. |
Sor le perron qui ert iqui | Sur cette margelle, |
Avoit oblîé ne sai qui | Avait été oublié par je ne sais qui |
Un peigne d’ivoire doré. | Un peigne en ivoire doré. |
Onques, des le tens Ysoré, | Jamais, depuis le temps du géant Ysoré, |
Ne vit si bel sages ne fos. | Sage ni fou n’en a vu d’aussi beau. |
Es danz del peigne ot des chevos | Aux dents du peigne étaient restés accrochés |
Celi qui s’an estoit paigniee | Des cheveux de celle qui s’était peignée avec, |
remés bien demie poigniee. | Au moins une demi-poignée. |
Le Chevalier de la Charrette, v. 1350-1362122. |
88Le regard du lecteur-auditeur est guidé de la prairie à la margelle en passant par la source, puis au peigne et enfin aux cheveux grâce à un effet de zoom, de rapprochement progressif du plus large au plus petit. La fontaine enchâsse la précieuse mèche de cheveux dont la beauté est par ailleurs occultée et comme transférée sur le peigne par l’emploi de l’adjectif bel. Bien plus, la mention de l’or présente dans l’adjectif doré (v. 1357) s’applique à l’accessoire et non aux cheveux : nous assistons donc à une transposition de l’or de la chevelure vers l’outil de coiffage. Celui-ci est d’ailleurs en ivoire, matière réputée pour sa lumineuse clarté. Autrement dit, le peigne d’ivoire doré cumule les qualités attendues d’une belle chevelure médiévale.
89Selon le point de vue commun – du sage comme du fou – ce n’est pas ici la chevelure qui doit attirer le regard mais bien la beauté du peigne. La réaction de Lancelot n’en paraîtra alors par contraste que plus inappropriée, lui qui n’a d’yeux que pour les cheveux :
Et lors s’abeisse, et si le prant. | Alors il se baisse et il le prend. |
Quant il le tint, molt longuemant | Une fois qu’il l’a entre les mains, il le regarde |
L’esgarde, et les chevox remire ; | Longuement, et contemple les cheveux ; |
Le Chevalier de la Charrette, v. 1397-1399. |
90Du reste, la qualité de son regard diffère : le peigne est regardé tandis que les cheveux font l’objet d’une contemplation. Le motif folklorique de la fée à la fontaine se voit donc ici privé de sa baigneuse mais non du désir amoureux qui se projette par défaut sur la mèche de cheveux, substitut de la femme absente. Cet épisode fortement imprégné de folklore123 entrelace en effet des motifs aussi variés que celui du don de cheveux (transformé ici dans la mesure où Chrétien laisse entendre que la dame a oublié son peigne et qu’elle ne donne donc pas sciemment la mèche de sa chevelure124) ou celui de la toilette. « La découverte par le chevalier du peigne oublié au « perron » de la fontaine et où sont restés accrochés quelques cheveux d’or renvoie clairement à une scène de bain – de toilette au bord de la source où s’est miré le visage sinon le corps de la dame. »125. Chrétien substitue à la scène de viol ayant la fontaine pour cadre126 « la suggestion d’une possession difficile, différée et sublimée »127. Reprenant à son compte un motif folklorique attesté, Chrétien nous en livre donc une version courtoise et raffinée dans lequel la fée amante ne sera plus possédée charnellement mais seulement désirée. La fontaine, lieu privilégié de communication avec le merveilleux, se fait écrin de la chevelure, ce qui laisse présager des vertus magiques de la mèche de cheveux.
91La demoiselle qu’escorte Lancelot a tout d’abord cherché à le détourner du peigne128, comme si elle en prévoyait les effets sur celui qu’elle aurait aimé séduire. Lancelot, croyant qu’elle cherche à lui éviter quelque péril, insiste pour passer près de la fontaine. La demoiselle lui révèle par la suite l’identité de celle qui a oublié le peigne, deux indices qui pourraient laisser croire à des dons surnaturels :
Cist peignes, se j’onques soi rien, | Ce peigne, que je sache, |
Fu la reïne, jel sai bien ; | Appartenait certainement à la reine. |
Et d’une chose me creez | Croyez-moi, |
Que les chevox que vos veez, | Les cheveux que vous voyez, |
Si biax, si clers et si luisanz, | Si beaux, si clairs et si brillants, |
Qui sont remés antre les danz, | Retenus par les dents du peigne, |
Que del chief la reïne furent : | Viennent de la chevelure de la reine : |
Onques en autre pré ne crurent. | Ils n’ont sûrement pas poussé dans un autre herbage. |
Le Chevalier de la Charrette, v. 1417-1424. |
92Quoi qu’il en soit, elle assiste à la réaction de Lancelot qui manque de s’évanouir en apprenant cette nouvelle. Cette extase amoureuse n’est pas sans évoquer celle qui avait saisi le preux chevalier lorsqu’il avait vu passer le cortège de la reine129, à cette différence près que la reine est ici absente de la scène. « Mais la vision fugitive, qui plonge Lancelot dans l’extase et le désarçonne, est bientôt masquée, gommée par un autre rituel : la reconnaissance, l’adoration et la prise de possession des cheveux, relique sainte, métonymie du corps de la dame »130.
93L’attitude de la demoiselle face au peigne sert alors de contrepoint dans la mesure où elle s’intéresse davantage au luxe du peigne, révélateur de la richesse de la reine, alors que Lancelot, qui lui abandonne volontiers le peigne, ne s’intéresse qu’aux cheveux, emblématiques de la sensualité de sa souveraine :
Et cil, qui vialt que le peigne ait, | Et lui qui voulait bien qu’elle ait le peigne |
li done, et les chevox an trait, | Le lui donne, mais il en retire les cheveux |
Si soëf que nul n’an deront. | Si doucement qu’il n’en rompt aucun. |
Le Chevalier de la Charrette, v. 1463-1465. |
94La douceur, exprimée par l’adverbe soëf, avec laquelle le chevalier défait les cheveux du peigne trahit une prévenance qui s’appliquerait davantage à la dame aimée qu’à une poignée de cheveux oubliée. Si l’on pose qu’« un objet métonymique est un accessoire qui, par son rapport de contiguïté avec une partie du corps (voire le corps entier), lui confère une réalité implicite »131, tout se passe comme si les cheveux convoquaient métonymiquement la reine. La mèche de cheveux révèle la chevelure, elle-même symbole de la beauté de Guenièvre132. L’objet présent se substitue ainsi à l’être absent133 :
Ja mes oel d’ome ne verront | Jamais on ne verra de regard d’homme |
Nule chose tant enorer, | Honorer à ce point un objet, |
Qu’il les comance a aorer, | Quand il commence à leur manifester son adoration : |
Et bien cent mile fois les toche | Il les caresse plus de cent mille fois, |
Et a ses ialz, et a sa boche, | De ses yeux, de sa bouche, |
Et a son front, et a sa face ; | De son front, de son visage. |
N’est joie nule qu’il n’an face : | Il leur fait fête de toutes les façons ; |
Molt s’an fet liez, molt s’an fet riche ; | C’est son bonheur, c’est sa richesse. |
An son saing, pres del cuer, les fiche | Sur son sein, près du cœur, il les glisse |
Entre sa chemise et sa char. | Entre sa chemise et sa chair. |
Le Chevalier de la Charrette, v. 1466-1475. |
95Si la demoiselle était intéressée par la beauté et la richesse matérielle du peigne, Lancelot est attiré par la valeur sentimentale de la mèche. L’emploi de l’adjectif riche à la rime ainsi que la préférence accordée à la mèche par rapport à des chargements de pierres précieuses134 mettent l’accent sur cette richesse affective qui transcende toute possession matérielle.
96Les gestes caressants de Lancelot à l’égard des cheveux annoncent ceux qu’il aura pour Guenièvre lors de la nuit d’amour dont le récit répétera le nombre hyperbolique cent mile ainsi que le substantif joie135. Ce passage peut se lire comme un prélude à l’acte amoureux136 ou comme un récit oblique de l’amour charnel. En effet, les gestes d’adoration amoureuse désignés par les verbes enorer et aorer préfigurent la posture de soumission qu’aura Lancelot le soir devant le lit de Guenièvre :
Et puis vint au lit la reïne, | Et puis il arrive au lit de la reine. |
Si l’aore et se li ancline, | Il reste en adoration en s’inclinant devant elle, |
Car an nul cors saint ne croit tant. | Car c’est le corps saint auquel il croit le plus. |
Le Chevalier de la Charrette, v. 4659-4661 |
97ou le matin en la quittant :
Au departir a soploié | Au moment de s’éloigner, il a fait une génuflexion |
A la chanbre et fet tot autel | En direction de la chambre, comme on peut le faire |
Con s’il fust devant un autel. | Devant un autel. |
Le Chevalier de la Charrette, v. 4724-4726. |
98Ces postures religieuses qui poussent à leur paroxysme les codes de l’amour courtois mettent en place une véritable religion de la dame137.
99Dans l’épisode du peigne de la reine, la novelté de Chrétien consiste à appliquer les gestes de dévotion à un objet métonymique se substituant à la présence de la femme aimée. Confondant la divinité avec le signe matériel et palpable qui la représente, Lancelot se signale par un fétichisme avancé. Certes, le terme est anachronique puisqu’il n’apparaît qu’au milieu du xviiie siècle dans le champ de l’anthropologie du religieux. Ce substantif dérivé du portugais fetisso (le sortilège, l’enchantement), lui-même dérivé du latin facticius – qui a donné le français factice – est utilisé pour la première fois par Charles de Brosses, en 1760, dans son ouvrage Du culte des dieux fétiches. Le terme « désigne le pouvoir de protection que reconnaissent certains peuples à des objets inertes, des lieux ou des animaux. Pour cet homme de loi érudit, le fétichisme se distingue de l’idolâtrie en ce qu’il serait antérieur à toute forme d’organisation du sacré »138. Dans son emploi ethnologique, le fétichisme est donc une forme de croyance religieuse dans laquelle les objets du culte sont des animaux ou des êtres inanimés, tels les cheveux de la reine, transformés en talismans doués d’une vertu divine. Cette foi qui confère un pouvoir magique aux démêlures de cheveux n’a pas attendu Lancelot et son adoration de Guenièvre pour s’exprimer puisque Paul Sébillot rapporte qu’en Sardaigne, on se gardait bien de laisser traîner ses cheveux après la toilette et qu’on crachait trois fois dessus avant de les jeter afin de ne pas être envoûté par eux139. Devenus fétiches, les cheveux que Lancelot porte sur sa poitrine font ainsi basculer le culte rendu à la dame vers la religiosité :
Ne cuidoit mie que reoncles | Il n’avait plus peur d’attraper d’ulcère |
Ne autres max ja més le praigne ; | Ou d’autre maladie. |
Dïamargareton desdaigne | Fi du diamargariton, |
Et pleüriche et tirïasque, | De la pleuriche et de la thériaque, |
Neïs saint Martin et saint Jasque ; | Et même des prières à saint Martin [et à saint Jacques ! |
Car en ces chevox tant se fie | Désormais il avait tellement foi en ces cheveux |
Qu’il n’a mestier de lor aïe. | Qu’il n’avait plus besoin d’autre aide. |
Mes quel estoient li chevol ? | Mais quel était donc le pouvoir de ces cheveux ? |
Et por mançongier et por fol | On va me prendre pour un menteur et pour un sot |
M’an tanra l’en, se voir an di : | Si j’en dis la vérité : |
Quant la foire iert plainne au Lendi | Tout ce qui peut s’accumuler aux grands jours |
Et il i avra plus avoir, | De la foire du Lendit, |
Nel volsist mie tot avoir | Le chevalier ne voudrait pas l’avoir, |
Li chevaliers, c’est voirs provez, | En vérité, |
S’il n’eûst ces chevox trovez. | À la place de ces cheveux qu’il a trouvés. |
Le Chevalier de la Charrette, v. 1478-1492. |
100Les cheveux tendent à devenir des amulettes porte-bonheur préservant de tous les fléaux. Tout comme lors de l’extase à la fenêtre, on devine le sourire narquois d’un Chrétien amusé des excès de l’amour courtois. Si le récit de la réaction de Lancelot suite à la révélation de la demoiselle s’intégrait au début dans la plus pure tradition lyrique, l’insertion de termes triviaux tels que char et foire ou médicaux comme reoncles, et de toute la pharmacopée de l’époque avec dîamargareton, pleûriche et tirîasque confère à la fin du récit des accents moqueurs qui prennent pour cible la magie de l’amour, les excès de la fin’amor.
101Cependant, dès le vers 1493, Chrétien cesse d’ironiser pour présenter sa propre description des cheveux. En effet, il est important de noter que la réaction de Lancelot est présentée avant la description objective des cheveux, les pensées du héros se faisant entendre avant la voix de l’auteur. Ce choix narratif manifeste la promotion de l’intériorité ; l’écriture qui se modèle sur les réflexions intimes des personnages se fait affective. Or, loin d’offrir une description modérée des démêlures de cheveux, Chrétien se livre une nouvelle fois à une surenchère de la métaphore canonique. Aux excès amoureux du chevalier devant la mèche de cheveux répond la démesure de l’écrivain dans le cliché :
Et, se le voir m’an requerez, | Et si vous insistez pour savoir toute la vérité, |
Ors cent mille fois esmerez | L’or cent mille fois purifié, |
Et puis autantes fois recuiz | Et puis autant de fois fondu, |
Fust plus oscurs que n’est la nuiz | Semblerait plus obscur que la nuit |
Contre le plus bel jor d’esté | Comparée au plus beau jour d’été |
Qui ait an tot cest an esté, | De cette année si, |
Qui l’or et les chevols veïst, | Après les avoir rapprochés, |
Si que l’un lez l’autre meïst. | On le comparait à ces cheveux. |
Le Chevalier de la Charrette, v. 1493-1500. |
102Bien qu’il affirme la vérité de son propos – protestation qui doit plutôt être lue comme une prémisse à l’hyperbole – l’auteur nous présente une chevelure utopique. La comparaison d’infériorité affirmant par la négative la suprématie de la chevelure sur l’or se double d’une seconde comparaison entre la nuit et une journée ensoleillée. Si l’on suit son raisonnement, les cheveux de Guenièvre seraient plus clairs que l’or, tout comme une journée d’été comparée à la nuit. On attribue au comparant, sujet de la phrase, les qualités les plus rares (esmerez, recuiz) afin de mieux le dévaloriser ensuite par rapport aux cheveux. L’image magnifique qu’impriment dans l’esprit du lecteur les hyperboles se voit ainsi réduite à l’insignifiance au vers 1496. Alors que l’auteur surenchérit en recourant à l’antithèse jour/nuit, le public se résigne à ne plus essayer d’imaginer la couleur – irréelle – des cheveux de Guenièvre. Une nouvelle fois, il est fait appel à l’opinion commune, à la perception qu’en aurait tout un chacun grâce au pronom indéfini qui, bouc émissaire sur lequel est reportée la responsabilité de la métaphore impossible. Jamais Chrétien n’aura poussé aussi loin la surenchère de ce cliché. Lui qui montrait dans Cligès l’inanité du cliché en célèbre ici la pertinence.
103Le vers 1501 qui clôt en pirouette la séquence narrative laisse croire que tout a été dit des cheveux de la reine et il est vrai que Chrétien n’y reviendra plus une seule fois. Ayant atteint ses limites, le cliché rayonne de son excès en cette fin de scène ; il ne réapparaîtra plus dans un texte où il ne peut que perdre en intensité. Ce vers conclusif, ultime hyperbole, peut aussi laisser croire à l’inutilité de la pause descriptive. L’impression est trompeuse si l’on pense aux multiples ramifications de cette séquence qui propage son influence dans l’ensemble du roman.
Érotisme de l’absence
104En effet, l’épisode du peigne de la reine se signale autant par sa richesse intrinsèque, sa brillante clôture, la perfection de son écriture, que par sa capacité à entrer en résonance avec le sens profond de l’œuvre. Les liens privilégiés que ce joyau si bien ciselé entretient avec des scènes typiques telles que la toilette ou le don de cheveux nous informent sur les choix mis en œuvre dans l’ensemble du roman. Tout d’abord, le motif de Guenièvre à sa toilette se développe en creux, dans le non-dit, conférant au texte une épaisseur supplémentaire. Seul le peigne entrelacé de quelques cheveux dorés demeure comme signe et vestige d’une scène absente, même si la réaction de Lancelot n’en est pas moins vive que face à la scène réelle. La répétition des substantifs peigne et fontainne, la présence du verbe paignier et un peu plus loin l’éloge de la beauté des cheveux renvoient nécessairement à une scène sous-jacente et antérieure de la fée-Guenièvre se coiffant à la fontaine. Pierre Gallais nous apprend que le peigne ainsi oublié sur la margelle d’un puits se retrouve fréquemment dans les contes comme corollaire d’une scène de toilette : « Le peigne, lui aussi, est un objet de « saisine » [...] C’est, entre autres, par un peigne d’or, laissé sur la rive, que l’épouse attire l’ondine qui a ravi son mari »140. Tous les éléments concordent donc pour faire de ce passage une scène de toilette, à cette différence qu’elle est ici totalement occultée, reléguée dans le domaine du rêve. C’est ordinairement au hasard de sa route que le chevalier surprend la fée en train de se coiffer, découvrant sous ses yeux émerveillés un tableau secret. Or, Lancelot vient trop tard, la belle dame est partie. Héros du doute et de la rêverie, Lancelot arrive à contretemps. La scène souhaitée, rêvée, lui est interdite. Décalé, le chevalier subit les conséquences de son retard, tout comme son manque d’empressement à monter dans la charrette le privera de la reconnaissance de la reine141.
105Il serait toutefois erroné de considérer l’épisode du peigne comme un piètre succédané de la scène de la toilette. De la même façon que son hésitation devant la charrette fait de lui un fin’amant imparfait prêtant le flanc à la réprimande – suivie d’une réconciliation amoureuse permettant l’énonciation de règles jusqu’alors implicites – son arrivée tardive à la fontaine lui offre la possibilité d’inventer et de peaufiner un mode de relation à l’être aimé qui s’accorde avec son absence. Ce serait être infidèle à Chrétien que de considérer qu’il punit son héros en le privant de la vision de Guenièvre à sa toilette. Bien au contraire, cette opportunité transcende la portée de la scène dans la mesure où Lancelot se donne à voir comme un amant raffiné, délicat, épris d’exquise sensualité. Le contraire du chevalier subjugué par la beauté des demoiselles au bain et uniquement désireux de satisfaire ses pulsions. Lancelot se pose en anti-Graelent142.
106De plus, une des conséquences du retard de Lancelot le conduit à ne caresser que des démêlures de cheveux et non pas une boucle blonde donnée en souvenir. Rappelons que dans un don de cheveux classique, les amants sont séparés et la mèche de cheveux résulte d’un courageux sacrifice ; elle est ensuite offerte comme drûerie à l’amant. Il va de soi que dans notre passage les cheveux ne sont pas offerts mais abandonnés ; de plus, la reine n’a pas eu de peine à se démunir de « cette petite poignée que seul l’oubli du peigne a sauvée de la dispersion »143. Pourtant, ce donabandon très particulier correspond bien davantage à la relation qui unit Lancelot et Guenièvre qu’un don traditionnel, supposant un rapport plus équilibré entre les deux protagonistes. Imagine-t-on Guenièvre se dépouillant de sa chevelure pour l’amour de Lancelot ? De sa guimpe à la rigueur mais pas de ses cheveux. Les démêlures oubliées ne sont jamais que les vestiges de la toilette, voués à se disperser au gré du vent. Seule l’intervention de Lancelot qui les collecte délicatement métamorphose l’abandon en don de cheveux indirect. Sa détermination transforme un déchet en trésor.
107La reine ne se manifeste ici que par sa désertion, domina aucunement impliquée dans le culte qu’on lui voue. Elle s’absente du texte. Son pouvoir de séduction n’a d’égal que son indifférente supériorité, son dédaigneux détachement. Or, cette situation est à l’image des relations entretenues par le fin’amant et sa Dame dans l’œuvre entière si bien que l’on pourrait lire l’épisode comme une mise en abyme des rapports entre Lancelot et Guenièvre. Lancelot s’approprie ces cheveux qui « représentent une partie chue du corps de sa dame et qu’il fait sienne. Comme il les glisse dans sa chemise, à même la chair, un mystérieux échange de vie s’accomplit : il réchauffe en son sein ce qui est devenu son être même, puisqu’il tient celui-ci de sa Dame »144. La logique métonymique s’abolit en un rapport analogique : le jeune chevalier charreté épris de la reine n’a guère plus de valeur pour Guenièvre que ces démêlures oubliées. Mis au ban de la chevalerie, Lancelot se reconnaît dans ce rebut de la chevelure aimée. « Ce reste méprisable qu’il ramasse à terre est désormais son ciel. Aussi bien n’a-t-il entre les mains de sa Dame guère plus de consistance que ces quelques cheveux accrochés aux dents du peigne, jouet de ses doigts, reliquat de sa coquetterie »145.
108Et c’est justement par le biais du désir que vient le salut de l’amant. Les démêlures sont « la trace, qui aurait dû disparaître, des seuls apprêts de la beauté »146, elles signalent donc un effort pour plaire, la recherche appliquée d’une séduisante apparence, bref elles trahissent le besoin de la reine de séduire et d’être aimée. Ces cheveux appellent l’amant. « Mais si [Lancelot] attache un tel prix à quelque chose de vil au point de le parer de toutes les grâces et les vertus du monde, n’est-ce pas dans la mesure où ce déchet dont il fait inconsciemment le support de sa propre image, porte l’estampille du désir de l’Autre ? [...] Ces cheveux que la main et le regard démêlent, caressent, répandent, tressent pour l’élégance d’une coiffure, avouent un désir de plaire et le désir de l’amant vient se loger au creux du désir de la Dame ; la lumière émanée des cheveux tombés n’est pour Lancelot que son propre regard fasciné quand il s’imagine en ce point idéal où l’Autre, devant son propre miroir, l’appelle, sans s’adresser à lui. Dès lors, ces quelques cheveux, pieusement recueillis, semblent lui faire signe et avoir été « oubliés » en chemin à son intention, pour soutenir sa foi et l’engager plus avant »147. On ne saurait mieux dire l’ambivalence des signes amoureux ou religieux. Pour Lancelot, les cheveux oubliés manifestent aussi bien le désir – sans objet – de Guenièvre qu’ils matérialisent sa propre disgrâce sociale. Tout comme les résidus de la toilette se convertissent en trésor incommensurable, le rebut de la chevalerie se métamorphose en fin’amant exemplaire.
109Le Chevalier de la Charrette consigne les excès de l’amour courtois mais l’attitude de l’auteur à l’égard de son personnage a le mérite de rester ambiguë148 dans la mesure où l’adoration de Lancelot se voit cautionnée par la démesure descriptive des cheveux. Aussi bien que dans Cligès, Chrétien place le stéréotype (linguistique ou narratif) à la base d’aventures qui lui cèdent le premier rôle. Il devient même le matériau à partir duquel la création est rendue possible149. Le procédé est identique à celui employé dans Le Chevalier au Lion puisque les deux textes « mettent en récit, amplifient, en prenant en somme métaphores et hyperboles au pied de la lettre, des situations et des motifs lyriques comme l’éblouissement du premier regard, la contemplation extatique, la prison d’amour, la dérobade de la dame et la folie d’amour, la douleur d’aimer, etc. »150. Chrétien se joue des genres et les dépasse en inscrivant « littéralement dans le temps du récit un motif lyrique bien attesté : la vénération éperdue d’un corps fragmenté que l’amant n’a pas encore le pouvoir d’étreindre pleinement dans la joie d’amour »151. Ces choix d’écriture correspondent à l’esthétique qu’il prônait dans le prologue d’Érec et Énide152 et qui consiste à ne pas assembler servilement des motifs d’origines diverses mais à les intégrer dans la narration de manière à ce qu’ils puissent exprimer une nouvelle signification.
Du vers à la prose, de la suggestion à l’exhibition
110Si l’on s’attache à la survivance de cette scène dans le roman en prose, on constate qu’elle donne naissance à deux aventures bien distinctes. Dans l’une, le traitement du peigne de la reine plein de cheveux va à rebours du travail de Chrétien dans la mesure où l’épisode rend évident ce qui n’était que suggéré. Guenièvre offre son peigne en gage d’amour, au milieu d’un lot assez conventionnel comprenant une broche, une ceinture et une aumônière :
Et si li envoie la roine le fremal de son col et .I. pigne moult riche dont tout li dent son plain de ses cavex et la chainture dont ele estoit chainte et l’aumousniere ; | La reine lui envoie alors une broche et un peigne luxueux aux dents pleines de ses cheveux, ainsi que la ceinture qui lui enserrait la taille, et son aumônière ; |
Lancelot en prose, t. viii, lxvia, 2, p. 408. |
111Certes, la richesse du peigne justifie sa place parmi ces cadeaux de valeur. Cependant, la présence des cheveux semble incongrue ou pour le moins insolite. On pense alors à une négligence de la reine lors de la préparation de ses présents. Le prosateur a visiblement repris à son compte l’image du peigne mêlé de cheveux sans en percevoir les enjeux. Le don de cheveux que Chrétien nous laissait imaginer en filigrane se trouve ici mis en lumière. La pesanteur de l’un répond à la subtilité de l’autre, appauvrissant considérablement le foisonnement sémantique du texte initial.
112Dans l’autre scène, Lancelot est arrêté sur sa route par un chevalier lui demandant de payer son passage, suivant l’exemple de la reine ayant offert le matin même son peigne afin de pouvoir continuer son chemin. L’amant demande à voir l’objet en question et n’obtient ce droit qu’après un combat en règle153. Le chevalier charreté ne découvre donc pas au hasard du chemin le peigne de l’aimée mais le conquiert de haute lutte. La présence d’un deuxième chevalier à qui Lancelot doit extorquer le peigne dévoie cet accessoire intime qui devient l’enjeu d’un combat. La conquête du peigne154 se mue en aventure qualifiante au même titre que le fait de soulever la lame de Galaad au Saint Cimetière ou de tenter d’éteindre la tombe ardente de Symeu. La mise en prose de l’épisode tend à prostituer le peigne, le réduisant à une marchandise facilement échangeable, passant de main en main155. Elle annule le caractère intimiste que la scène avait chez Chrétien. De la même façon que Lancelot désirait l’absence de la demoiselle qu’il escorte, nous désirerions celle du chevalier vénal.
113Par la suite, après avoir bu l’eau envenimée d’une fontaine, Lancelot contracte une violente maladie qui le contraint à garder le lit et entraîne la perte de ses cheveux si longuement décrits au cours du roman :
Mais il li est si avenu qu’il ne li est remés cuir sor lui ne ongles en mains ne am piez que tuit ne li soient chaoit ne chevel en teste. Mais il se sent auques alegié de son mal, si commance ses chevex a mestre en une boiste et a garder les bien, car il les voudra envoier a la roine por ce qu’ele croie mielz ceste aventure ; et l’an fait son commandement. | Ainsi il ne lui resta plus de peau sur le corps, ni d’ongles aux mains et aux pieds car tous tombaient, ni non plus de cheveux sur la tête. Mais il se sentit presque soulagé de son malheur et commença à mettre ses cheveux dans une boîte et les conserva soigneusement car il voulait les envoyer à la reine afin qu’elle crût plus aisément cette aventure ; |
Lancelot en prose, t. iv, lxxvi, 10, p. 139. |
114Simple accident de parcours156, cette alopécie est transformée par la perception qu’en a le chevalier en aventure digne de mémoire. C’est pourquoi il collectionne soigneusement ses cheveux tombés pour les déposer dans un coffret qu’il confie à Lionel à l’intention de la reine :
Et por ce qu’ele soit de ceste aventure plus certainne qui avenue m’est novelement, li porterez vos les chevox de ma teste que j’ai fait mestre et estoier en une boiste por porter les li. | Et, afin qu’elle soit convaincue de la réalité de cette aventure qui m’est récemment arrivée, vous lui porterez mes cheveux que j’’ai fait mettre et disposer dans une boîte pour les lui porter. |
Lancelot en prose, t. iv, lxxvi, 16, p. 143-144. |
115La pelade se convertit en aventure qui se poursuit en don des cheveux entre amants, rituel amoureux assez conventionnel. Or, ce type d’offrande concerne habituellement une mèche des cheveux de la femme offerte en souvenir au bien-aimé avant une séparation157 alors qu’ici l’échange est inversé sans pour autant que Lancelot apparaisse efféminé. L’auteur a réussi un coup de maître en concevant le prétexte de la maladie qui renouvelle le motif du don des cheveux grâce à l’inversion des rôles.
116D’autre part, pour savourer pleinement l’ingéniosité de l’épisode, il est indispensable de le mettre en relation avec la découverte par Lancelot du peigne de la reine sur la margelle du puits. Ce don de cheveux oblique donne lieu, on s’en souvient, à un épanchement de Lancelot qui confie ensuite le peigne à la demoiselle qui l’accompagne, après avoir placé les mèches de Guenièvre tout contre sa poitrine. Le prosateur ne démérite pas puisque la réaction de la reine face aux cheveux de son amant foisonne d’allusions à l’épisode dont il est le pendant :
Lancelot ou le Chevalier de la Charrette | Lancelot en prose, tome iv |
Ja mes oel d’ome ne verront | Quant la roine oit ceste parole, si fu si |
Nule chose tant enorer, | esbahie qu’ele ne pot mot dire d’une grant |
Qu’il les comance a aorer, | piece. « Dame, fait il, encor me merveil je |
Et bien cent mile foiz les toche | plus, car tout le cuir l’en est chaûz et les |
Et a ses ialz, et a sa boche, | ongles des mains et les ongles des piez |
Et a son front, et a sa face : | et tuit li cheveil. » Et ele se conmance a |
N’est joie nule qu’il n’an face : | saingnier et il dist : « Dame, por ce |
Molt s’an fet liez, molt s’an fet riche ; | que vos creez mielz que ce soit voirs, vos. |
An son saing, pres del cuer, les fiche | aport je ses chevox en .I. boiste d’yvoire |
Entre sa chemise et sa char. | – Voire, fait ele, ja Diex ne m’aïst se je ne |
N’en preïst pas chargié un char | vos en sai millor gré que se vos m’eussiez |
D’esmeraudes ne d’escharboncles ; | donné .C. mars d’or. » Lors le fait |
Ne cuidoit mie que reoncles | desarmer a .II. escuiers ; et quant il est em |
Ne autres max ja més le praigne ; | pur le cors, si oste la boiste de son saing et |
Dïamargareton desdaigne | la baille a la roine et dist : « Dame, tenez, |
Et pleûriche et tirïasque, | vez ci la boiste maintenant. » Et quant ele |
Neïs saint Martin et saint Jasque ; | voit les chevox, si les conmance a baisier et |
Car en ces chevox tant se fie | a mestre a ses ieuz et a faire aussi grant |
Qu’il n’a mestier de lor aïe. | joie come se ce fussent li cheveil d’aucun |
Mes quel estoient li chevol ? | cors saint. |
Et por mançongier et por fol | lxxvi, 20, p. 146 |
M’an tanra l’en, se voir an di : | |
Quant la foire iert plainne au Lendi | |
Et il i avra plus avoir, | |
Nel volsist mie tot avoir | |
Li chevaliers, c’est voirs provez, | |
S’il n’eûst ces chevox trovez. | |
v. 1466-1492158. |
117On remarque en effet la reprise de tournures telles que les comance a ou a ses ialz, des groupes nominaux joie, son saing et par-dessus tout la même estimation financière hyperbolique et le même pouvoir de fétiche conféré aux cheveux. Par le biais de cette scène, le roman en prose présente une équivalence entre l’intensité de l’amour de Guenièvre pour Lancelot et celui que ce dernier porte à la reine. La similitude des gestes dans une situation analogue laisse supposer une réciprocité des sentiments amoureux.
118Ajoutons cependant qu’aucun des deux dons de cheveux ne résulte d’un pénible sacrifice : la reine ne laisse que des démêlures – rebut nécessaire de la toilette – et Lancelot offre des cheveux malades, bien malgré lui chus de son crâne. Si le coffret qui enchâsse les cheveux peut rivaliser avec celui de la Dame de Fayel, il n’en va pas de même des motivations présidant à la perte des cheveux. Le don reste second et vient accessoirement s’ajouter à la toilette ou à la pelade. Le motif courtois est comme récupéré in extremis si bien que la dégradation des intentions laisse entrevoir l’impureté de la relation adultère. De plus, les connotations dépréciatives généralement associées à la calvitie159 doivent aussi nous mettre en garde contre une interprétation trop positive de cette pelade.
119En s’appuyant sur la construction du récit, Ollivier Errecade remarque « une symétrie autour d’un axe symbolisé par la fontaine dont l’eau est empoisonnée par deux serpents »160 avec d’un côté Lancelot qui se bat pour le peigne et place les cheveux sur son sein et de l’autre Guenièvre qui reçoit les cheveux tombés et les place contre son cœur. « La chevelure apparaît comme un substitut, voire une illusion de l’autre et de la relation amoureuse. Et la fontaine, source même de l’illusion et centre de cet épisode, ne fait que renforcer ce constat. »161 Certes, le don des cheveux rapproche les amants mais ce n’est que par procuration. « Mieux qu’un bijou ou qu’un vêtement, [la chevelure] est en mesure de matérialiser l’aimé, et de mener l’amant(e) à la folie. Insensé, Lancelot l’est en oubliant tout, lui, qui, en tant que chevalier, est un être de devoir. Insensée Guenièvre l’est tout autant, lorsqu’elle vénère les cheveux de Lancelot. Le motif se veut d’autant plus négatif qu’à ce moment du cycle sont condamnés tous les attachements charnels alors que s’y font sentir de plus en plus clairement la présence et l’appel du Graal. Il faut dès lors se demander si la calvitie de Lancelot n’apparaît pas comme une épreuve infligée au héros, et finalement, comme sa punition. »162 La dégradation du motif par la savante métamorphose d’une pelade en don de cheveux laisse douter de la pureté des intentions. La mise en prose met ainsi en lumière, par le sort qu’elle fait au peigne oublié et à la maladie du héros, à la fois le profond attachement des amants, la symétrie de leurs sentiments et leur impossible rédemption, stigmatisés qu’ils sont par le péché adultérin163.
120Est-ce finalement un hasard si les amants des deux héroïnes médiévales les plus célèbres pour leur chevelure finissent tous deux chauve et tondu164 ? Tristan n’offre pas directement ses cheveux à Iseut mais il se fait tondre par amour pour elle, espérant ainsi l’approcher. Ces deux femmes-fées auraient-elles vampirisé la chevelure de leurs chevaliers pour s’approprier leur force vitale ? À moins que ce ne soit les amants qui sacrifient leur propre beauté sur l’autel de leurs déesses chevelues. Ce parallèle qui instille une dimension proprement monstrueuse, suggérant que la chevelure se nourrit en dépossédant les hommes, ne manque pas de troubler. À travers la chevelure, c’est la Femme qui effraye.
121La magie de l’épisode où Lancelot découvre le peigne de la reine demeure quelque huit siècles après sa rédaction. L’image d’un chevalier en armure tombant en extase devant des cheveux abandonnés sur la margelle d’un puits ne manque pas de charme et allie avec beaucoup de grâce les concepts les plus opposés. Cette scène d’amour fétichiste prend naissance autour de la chevelure de la reine, pourtant absente. Se substituant à elle, la représentant, ses cheveux la rendent indubitablement présente. Il en va de même pour le tableau de Guenièvre se coiffant près de la fontaine – laissé en blanc telle une miniature non réalisée – qui se révèle incontournable et s’ajoute en surimpression à l’image de Lancelot idolâtrant son talisman. Ainsi, la scène balance entre la dévotion à la Dame et la superstition, entre le sérieux du chevalier et l’amusement narquois du poète. Ce passage illustre assez bien l’écriture de Chrétien, perpétuellement insaisissable, une interprétation chassant l’autre, à la fois très facile d’accès et excessivement riche. Certains extraits privilégiés plongent leurs ramifications dans l’œuvre entière et le roman se reflète en eux ; tel est le cas de cet épisode qui nous enseigne la place de Lancelot, chevalier charreté, dans sa relation à la reine. À l’image de ces quelques cheveux abandonnés mais précieux pour qui aime Guenièvre, il est le rebut de la chevalerie transfiguré par l’amour qui l’unit à la reine. Quand le roman en prose réécrit cette scène, il la charge de ce dont Chrétien l’avait allégée, lui conférant une signification autre, plus en accord avec les nouvelles valeurs qu’il prône.
122C’est dans l’analyse – presque myope – du traitement des stéréotypes tant linguistiques que narratifs que transparaît le travail stylistique du poète. Comparaison avec l’or, don de cheveux et motif de la toilette sont renouvelés par Cligès et Le Chevalier de la Charrette qui les modèlent à leur image. Le stéréotype, tel un blason, informe alors sur l’œuvre et ses enjeux particuliers. Il existe une différence de conception de la création littéraire entre les auteurs qui se contentent de réutiliser les images traditionnelles et un Chrétien de Troyes qui propose une prise de distance à leur égard, les érodant pour mieux les recréer. Se coulant avec délices dans les modèles forgés par la rhétorique, les textes de Chrétien font vite éclater ces moules, non sans y laisser leur empreinte propre.
La virago, femme guerrière
123À l’opposé des héroïnes comme Iseut, Blonde Esmerée, Rose, Guenièvre ou Soredamour se définissant d’abord par leur propension à éveiller l’amour des hommes et à susciter leur désir, la virago se signale en premier lieu par sa vocation à remplir des fonctions traditionnellement réservées aux hommes. Ce terme, employé sans aucune nuance péjorative et repris à Aimé Petit, renvoie à une femme « manifest[ant] des qualités viriles en égal[a]nt l’homme dans ses qualités guerrières (le chevalier) et politiques (le roi) »165. Il s’agira donc d’interroger la place qu’accordent ces héroïnes à leur chevelure et ipso facto, à leur féminité. Sémiramis, chef d’État renommé, transforme ainsi la scène de toilette en baromètre politique. Quant aux Amazones, guerrières illustres, elles parviennent à combattre tout en mettant en valeur les cascades bouclées de leurs cheveux.
Sémiramis, une femme de tête
Dès l’aube, chers rayons, mon front songe à vous ceindre !
« Air de Sémiramis », v. 1166.
124Sémiramis est la projection mythique d’une reine historique, Sammouramat, ayant assuré la régence de son fils Adad-Nirari III de 810 à 805 avant JC. Guillaume de Machaut relate une anecdote selon laquelle la reine Sémiramis, apprenant alors qu’elle était à sa toilette que la cité de Babylone se rebellait contre son autorité, aurait toutes affaires cessantes quitté sa chambre pour mettre fin à l’émeute et se serait ainsi présentée devant ses sujets à moitié tressée et à moitié décoiffée. En fait, Guillaume de Machaut réécrit en l’amplifiant un épisode tiré des Faits et dits mémorables de Valère Maxime167 publiés vers 31 après J.-C. Si l’anecdote, placée chez Valère Maxime en fin du chapitre consacré à la colère et à la haine168, illustre l’empire que peut prendre ce vice sur le cœur d’une femme, Guillaume de Machaut en propose une interprétation nettement plus positive en se comparant à la cité de Babylone (v. 4893-4924) dont sa dame serait la souveraine. En effet, comme il l’explique clairement, même s’il se révolte parfois contre elle, elle ne le néglige jamais et s’empresse toujours de lui venir en aide. C’est donc explicitement la promptitude de la dame qui lui vaut cette comparaison avec Sémiramis. Cet épisode qui laisse une place prépondérante à la chevelure royale, Guillaume de Machaut le juge donc représentatif de la vie de cette figure semi-légendaire, dont il est au préalable nécessaire de rappeler les traits essentiels.
Une Diane orientale
125Fille d’une déesse sirène ayant abandonné en montagne sa fille illégitime, Sémi-ramis aurait été élevée par des colombes qui volaient aux agriculteurs et aux bergers du lait et du fromage pour la nourrir169. Découverte et recueillie par les bergers, l’enfant est nommée Sémiramis qui en dialecte syrien signifie pigeon, colombe170. À son adolescence, sa beauté exceptionnelle171 lui vaut d’être repérée par un conseiller du roi Ninos, Oannès, dont elle eut deux fils, Hyapatès et Hydaspès. Elle conseille son mari si habilement qu’il mène à bien la totalité de ses entreprises. Lors d’un long siège, Oannès se languit de son épouse et la fait venir172. Elle manifeste ses qualités de stratège et sa bravoure au combat en prenant la tête d’un groupe de soldats montagnards et en s’emparant de la citadelle de Bactres. Ninos la remarque et l’enlève à Oannès sous la menace. Ninos épouse la belle qui devient donc reine des Assyriens, compagne fidèle de son époux dans les campagnes militaires. Elle a de lui un fils, Ninyas. La légende raconte que le roi, plus âgé qu’elle, était d’une jalousie maladive à l’idée qu’un autre homme puisse la regarder et en particulier la voir non voilée. Ninos promettait la mort à qui s’y serait risqué. Peu de temps après, Ninos meurt et Sémiramis lui succède pour un long règne173.
126Pendant la régence, elle organise l’empire et fonde une nouvelle cité – Babylone -y faisant construire tours et ponts à foison, ainsi que les fameux jardins suspendus dans la citadelle d’un des châteaux. Elle désigne Babylone capitale du royaume. Sa couronne royale représente d’ailleurs les murs et les tours de Babylone. Parallèlement, la reine guerrière poursuit les conquêtes et ajoute à l’empire l’Égypte et l’Éthiopie mais elle est vaincue par les éléphants de guerre du roi Stratobatès. Elle cesse alors les conquêtes et se cantonne aux limites de son empire174. L’historien Orose fait alors d’elle une prêtresse de la luxure et de la débauche175. Cependant, Ninyas conspire contre sa mère qui a refusé de lui laisser le trône. Quand elle apprend le complot, elle abdique après quarante-deux ans de monarchie absolue176 pour lui céder la place. Elle se serait à sa mort métamorphosée en colombe.
127Un mur entre l’ancien et le nouveau palais de Babylone, près des jardins suspendus, la représente lançant son javelot sur un léopard tandis que son mari Ninos tue un lion177. Cette scène de chasse illustre la particularité d’une reine semi-légendaire qui ne doit sa couronne qu’à son génie militaire et à sa bravoure, domaines traditionnellement réservés aux hommes.
Quand la toilette devient une affaire d’État
128Guillaume de Machaut s’attache à nous présenter une Sémiramis honorable, pénétrée de ses obligations politiques. La reine qu’il nous donne à imaginer est un modèle de vertu aussi bien que de constance :
Un jour advint qu’en son palais, | Un jour il arriva qu’en son palais |
Qui fu grans et biaus, non pas lais, | – Qui était très grand et très beau - |
Ou il ot grant chevalerie | Alors que s’y trouvaient un grand nombre de chevaliers |
Et pluiseurs gens de sa maisnie, | Et plusieurs personnes de son entourage familier, |
un message vint en grant haste, | Vint en grande hâte un messager qui dit, |
Qui disoit a tous : « On me haste, | S’adressant à tous : « Je suis pressé : |
Parler m’estuet a la royne. » | Il me faut parler à la reine. » |
Encor estoit en sa courtine | La reine était encore sous la tenture de son lit, |
La royne qui s’atournoit ; | En train de faire sa toilette. |
Et li mes celle part tournoit | Le messager, se dirigeant de ce côté-là, |
Et fist tant qu’il vint devant elle ; | Eut vite fait d’arriver devant elle ; |
Et puis li conta la nouvelle | Sur quoi il lui apporta la nouvelle, |
Et li jura par saint Anthoine | Attestant par saint Antoine |
Que la cité de Babiloine | Que la cité de Babylone |
estoit contre li revelee. | S’était rebellée contre elle. |
La dame estoit eschevelee | La dame était encore en partie décoiffée, |
Fors tant que une tresse tressie | Car une seule de ses deux nattes était tressée, |
Avoit et l’autre destressie ; | L’autre étant encore en désordre. |
Mais en ce point ou elle estoit | Qu’à cela ne tienne : en l’état où elle se trouvait, |
La dame tantost se vestoit | S’habillant sans tarder, |
Et s’en ala a grans eslais | Elle s’en alla à vive allure |
A sa gent dedens son palais | Auprès de ses gens dans son palais, |
Et leur dist, com vaillant et sage, | Et, en femme avisée, elle leur dit |
La descouvenue et l’outrage | L’infortune criminelle |
Que cilz li avoit recité | Que le messager lui avait rapporté |
De Babiloine la cité ; | Au sujet de la cité de Babylone ; et elle jura |
Et que jamais n’aroit bon jour, | Qu’elle ne connaîtrait plus aucun jour heureux, |
N’en ville ne feroit sejour, | Ni ne séjournerait en ville, |
N’a son cuer n’aroit grant leesce, | Ni n’éprouverait en son cœur aucune grande joie, |
Ne tresseroit son autre tresce | Ni ne tresserait son autre natte |
Tant que li seroit amendé. | Jusqu’à ce que réparation lui fût faite. |
Et lors a ses grans os mandé, | Et voici que déjà elle a convoqué ses grandes armées, |
Et si bien les sot pourvëoir | Et elle avait su si bien les équiper |
Que la ville vint asseoir ; | Qu’elle put mettre le siège devant la ville, |
Et la fist tant qu’en sa presence | Où son activité fut telle qu’ils se présentèrent [tous à elle |
Vinrent tuit a obeyssance. | Pour lui jurer obéissance. |
Ne fu ce fait treshonnourable ? | N’était-ce pas une action tout à fait [digne d’honneur ? |
Se Hector, le puissant combatable, | Ah, si Hector, le puissant guerrier, l’avait faite, |
L’eûst fait, se fut grant chose ! | Alors c’était un grand exploit ! |
Dont il avint a la parclose | À la suite de quoi, et en guise de conclusion, |
Que ceulz du pays pour ceste euvre | On vit les habitants de la contrée, à l’occasion, |
Firent une ymage de cuevre | De cet exploit, faire faire une statue de cuivre |
(Qui d’une part estoit tressie | (Qui d’un côté avait les cheveux tressés |
Et de l’autre part destressie, | Et de l’autre les cheveux en désordre, |
A sa samblance de te(i)l taille | Avec l’apparence physique et la taille |
Comme elle estoit a la bataille) | Qui étaient les siennes au combat), |
En signe de ceste victoire, | Cela à titre de marque de cette victoire |
Par quoi il en fust bon memoire. | Et afin qu’on en gardât fidèlement le souvenir. |
Le Livre du Voir Dit, v. 4835-4882. |
129La courtine et le verbe s’atourner enclenchent le motif intimiste de la toilette qui cependant ne se déploie pas en tant que tel puisque seuls les mots eschevelee, tresse / tressier / destressier évoquent la chevelure, pourtant au cœur de ces soixante-dix vers. Ce refus de développer le motif pour lui-même (avec la présence du miroir, de verbes attendus, de jeux de lumière)178 s’explique sans doute par les connotations très négatives attachées à la toilette. Il suffit de se souvenir des trois luxurieuses déesses du Confort d’Ami179 pour comprendre que Guillaume de Machaut, qui souhaite mettre en valeur sa dame en la comparant à la reine des Assyriens, ne peut se risquer à la présenter en femme superficielle et luxurieuse. Et ce d’autant plus que Sémiramis, fille d’une déesse sirène (sirènes qu’on représentait traditionnellement à se coiffer ou se mirer180 et qui symbolisaient la lascivité et l’orgueil) se signalait durant les dernières années de son règne, selon l’historien Orose, par ses excès en tous genres. Il est vrai que son état de veuve indépendante la destinait aux critiques concernant sa moralité : ne se cantonnant pas au rôle traditionnellement dévolu à la femme, elle se portait vers l’extérieur à travers ses conquêtes guerrières. La liberté physique et la liberté sexuelle ont été rapidement associées. L’absence de miroir dans le texte de Guillaume de Machaut empêche justement la scène de basculer vers une allégorie de la luxure. Comme souvent dans le motif de la toilette181, un étranger s’introduit dans le domaine privé, le masculin s’immisce dans un monde féminin. Quand on sait que le défunt Ninos était d’une jalousie exacerbée, cette scène prend des proportions quasi-adultérines. Ninos vivant, la chevelure de la reine aurait pu générer des assassinats.
130Si l’on considère maintenant la spécificité de ce texte, à savoir la coiffure délibérément asymétrique, il apparaît que, pour Sémiramis, refuser de terminer de se coiffer, c’est montrer l’urgence de la situation. À cette notion d’urgence s’ajoute l’idée que la vie quotidienne s’arrête et ne reprendra qu’au moment où le problème politique sera résolu. L’épisode instaure donc une coupure, une rupture temporelle au cours de laquelle le différend doit se régler. Le retour à la normale politique s’accompagnera d’un retour à la normale des cheveux. La coiffure se voit ainsi élevée au rang de baromètre politique. Sémiramis est femme d’État avant tout. Reine douée d’une autorité virile, remplissant des fonctions habituellement dévolues aux hommes, Sémiramis reste effectivement une femme. Contrairement à Mithridate qui, pour suivre son époux au combat, se coupe courts les cheveux et sacrifie de ce fait l’essence de sa féminité182, Sémiramis affiche sa féminité par le biais de sa chevelure et montre que l’essence du pouvoir n’est pas la virilité mais le génie stratégique.
131Sémiramis figurant l’amie du poète (v. 4883-4888), Guillaume de Machaut opère un rapprochement entre l’ymage – statue ou peinture – de Sémiramis érigée par ses sujets et l’ymage d’elle-même – peinture cette fois – que la dame envoie au poète :
Et pour l’ymage qui fu faite | Et comme pendant à la statue |
De Semiramis et pourtraite, | Qui fut faite de Sémiramis, |
Ensement les gens dou païs | Semblablement les gens de la contrée |
Ma dame, liges et nays | De ma dame, hommes liges et natifs du pays |
Feïrent pourtraire une ymage | Firent peindre un portrait |
Grant de taillë et de corsage, | De grandes dimensions quant à la taille et à la carrure, |
De maniere et de contenance | Et quant à sa manière d’être et à son maintien |
Toute pareille a sa samblance ; | En tout pareil à son aspect physique. |
Et tant estoit belle a vëoir | Et il était si beau à voir |
Que a tous devoit plaire et sëoir, | Qu’à tous il ne pouvait pas ne pas plaire beaucoup, |
Et pour sa grant biauté l’apelle | Et en raison de sa grande beauté |
Chascuns qui la voit Toute Belle. | Chacun le voyant l’appelle Toute-Belle. |
Le Livre du Voir Dit, v. 4925-4936. |
132Ce portrait, qui vaut son appellatif à la Dame, est envoyé en accompagnement de la neuvième lettre, entortillé dans des couvrechiés et il faut que le poète le deslye pour y accéder. Le motif de la toilette semble à nouveau repris, en mode mineur cette fois. Le poète rend un hommage appuyé au portrait, se comportant de la même manière que Lancelot vénérant les cheveux de Guenièvre :
Je pris ceste ymage jolie, | Je pris en main ce bien plaisant portrait, |
Qui trop bien fu entortillie | Qui était fort bien enveloppé |
Des cuevrechiés ma douce amour. | Dans des fichus de tête de ma bien-aimée. |
Si la desliay sans demour, | Je défis le nœud sans tarder, |
Et, quant je la vi si tres belle, | Et quand je vis le portrait si parfaitement beau, |
Je li mis a non Toute Belle. | Je lui donnai pour nom Toute-Belle. |
Et tantost li fis sacrefice, | Et aussitôt je lui offris un sacrifice, |
Non pas de tor ne de genice, | Non pas de taureau ou de génisse, |
Ainçois li fis loial hommage | Mais en lui rendant un hommage de fidélité |
De mains, de bouche et de courage, | Des mains, de la bouche et du cœur, |
A genous et a jointes mains. [...] | Me mettant à genoux en joignant les mains. [...] |
Ains sera de moi aouree, | Bien plus, Toute-Belle sera par moi adorée, |
Servie, amee et honnouree | Servie, aimée et honorée |
Com ma souveraine deesse | Comme ma déesse souveraine |
Qui garist tout ce qu’Amours blesse | Qui guérit toutes les blessures faites par Amour |
Le Livre du Voir Dit, v. 1486-1505. |
133Autrement dit, à travers l’anecdote de Sémiramis d’une part et la réception du portrait de Toute Belle d’autre part, les deux amants sortent grandis d’une comparaison, qui avec un personnage légendaire, qui avec un héros littéraire de la fin’amor.
134Rien d’anecdotique dans cet épisode. Ce n’est pas un hasard s’il est le seul à être conservé par le Moyen Âge sur Sémiramis, femme conjuguant puissance politique et beauté physique. Ne renonçant pas à sa féminité lorsqu’elle assume des rôles masculins, l’affichant même en laissant ses cheveux libres lorsqu’elle règle le conflit de rébellion à Babylone, Sémiramis concrétise l’alliance du militaire et du féminin. Elle féminise des fonctions masculines, se refusant à n’être qu’une pâle figure androgyne. Sa chevelure est l’étendard de sa féminité.
Troublantes amazones
135Si l’on en croit l’étymologie, les Amazones (substantif formé à partir du préfixe privatif a et du grec mazos, le sein) se privaient d’un sein afin d’améliorer la stabilité de leur arc et donc leur tir. Autrement dit, ces guerrières renonçaient à leur féminité afin de combattre plus efficacement. Camille dans Le Roman d’Énéas et Penthésilée dans Le Roman de Troie ne sacrifient pas à cette mutilation rituelle, bien au contraire.
Blondes guerrières
136Premier roman à introduire le thème des Amazones dans la littérature médiévale, Le Roman d’Enéas s’est inspiré du personnage de Camille, reine des Volsques, créé par Virgile183. Si le nom d’Amazone n’est jamais énoncé, cette guerrière en a cependant tous les attributs, à l’exception du sein mutilé auquel il n’est pas fait allusion. Contrairement à cette femme armée comme un homme décrite par Christine de Pizan :
La dessus seoit une dame, | Sur ce trône était assise une dame, |
Mais si estrange onc ne vid ame ; | Mais personne n’en vit jamais une si étrange. |
Je ne sçay comment ert clamee, | J’ignore quel était son nom, |
Mais sa teste estoit hëaumee ; | Mais sa tête était casquée : |
Hëaume ot en lieu de couronne. | Elle portait un heaume au lieu d’une couronne. |
Une grant targe belle et bonne | Un bouclier de belle taille, beau et solide, |
Ot a son col de belle taille, | Était attaché à son cou ; |
Ou fut Mars, le dieu de bataille, | L’on y voyait le portrait admirablement exécuté |
Pourtrait par moult grant excellence. | De Mars, le dieu de la guerre. |
En sa main dextre ot une lance | Dans sa main droite, la dame tenait |
Qu’elle tint de fiere maniere | Bien verticalement et avec fierté |
Droite, ou il ot une baniere. | Une lance qui arborait une bannière. |
Le Chemin de Longue Étude, v. 2367-2378, |
137Camille se distingue par son allure féminine. Si ses armes sont identiques à celles des hommes, la cavalière parvient toutefois à laisser transparaître la femme derrière la guerrière, notamment grâce à sa majestueuse chevelure blonde :
Vers l’ost chevauchoit la meschine ; | La jeune fille chevauchait vers le camp, |
cheveuls ot blois jusqu’a ses piez | Ses cheveux blonds descendaient jusqu’à ses pieds, |
a .I. fil d’or furent treciez. | Tressés avec un fil d’or. |
Le Roman d’Enéas, v. 4095-4097. |
138Bien plus, les pièces d’armement sont adaptées afin de la laisser s’échapper :
La coiffe du hauberc fu faite | La coiffe du haubert étaient agencée |
en telle maniere qu’elle ot traite | De manière à laisser s’échapper |
sa bloie crine de defors, | Sa blonde chevelure |
et li couvrirent tout le cors ; | Qui lui couvrait tout le corps ; |
derier li venteloit aval | Elle flottait derrière elle |
dessor la crupe du cheval. | Sur la croupe du cheval. |
Le Roman d’Enéas, v. 6996-7001. |
139Tel un voile doré, la chevelure de Camille recouvre son corps et son armement, tendant à occulter la tenue militaire. « Femme, Camille le demeure dans L’Enéas alors même qu’elle est vêtue en guerrier : le poète médiéval se plaît à décrire le gracieux mouvement de sa blonde chevelure au vent, et l’on remarque, en outre, que son armement défensif est partiellement adapté à son sexe »184 alors que les Amazones traditionnellement adaptent leur corps à leur armement en se coupant le sein gênant. Tandis que le corps est caché par le haubert qui le recouvre, la chevelure flottante se déploie, donnant à voir le corps de façon métonymique. Si la féminité de Camille ne laisse aucun doute, c’est d’abord grâce à son incroyable chevelure. Alors même qu’elle s’est détournée des occupations traditionnellement assignées à son sexe, Camille semble, au travers de ses cheveux blonds, synthétiser l’essence féminine, peut-être aussi parce que le reste de son corps est dissimulé. Elle est une femme-chevelure.
140En cela, elle annonce Penthésilée, reine des Amazones, dont la chevelure est aussi soignée que brillante :
Sor les haubers tresliz safrez | Sur leurs robustes hauberts couverts de safre |
Sunt lor biaus crins toz detreciez, | Elles ont laissé flotter leurs beaux cheveux détachés, |
Si reluisanz e si pignez | Si bien peignés et si brillants que l’or pur, |
Que fins ors resenblast oscurs. | En comparaison, perdrait tout éclat. |
Le Roman de Troie, v. 23468-234771. |
141Loin de l’image d’une sauvageonne impitoyable, Penthésilée semble au contraire une reine aux allures distinguées. Seule sa chevelure dénouée pourrait témoigner de ses activités guerrières. Comme le souligne Aimé Petit, les romanciers humanisent et « reféminisent » le mythe des Amazones, « en particulier par la suppression de la mutilation, qui aboutit à une restauration d’une totale féminité »185. Autrement dit, les Amazones ne font désormais plus peur, elles se contentent d’émerveiller186 ceux qui les voient, par leurs mœurs autant que par leur beauté. C’est également ce trait distinctif – la foisonnante chevelure – que retient Christine de Pizan dans sa description de Penthésilée combattant les Grégeois :
Gueres de jours n’ot sejourné, | Peu de jours après, |
Quant son arroy a atourné, | Elle dut préparer son équipage |
Pour contre les Gregois issir, | Pour attaquer les Grégeois, |
Car de ce ot moult grant desir. | Car elle en éprouvait un très grand désir. |
Armees se sont les pucelles ; | Les jeunes filles se sont armées |
Mais si riches armes ont celles | Et ce sont les armes les plus riches |
Qu’onques plus ne furent veües ; | Qu’on ait jamais vues ; |
Celles que la royne a eues | Celles que possédait la reine |
N’ont pareilles en tout le mond : | N’ont pas leurs pareilles dans le monde entier : |
De pierres precieuses moult | Elles sont entièrement recouvertes |
Fines furent toutes couvertes | De pierres précieuses très pures |
Vermeilles, bleues, blanches, vertes, | Rouges, bleues, blanches, vertes, |
Fors tant que le champ blanc estoit ; | Si bien que le champ de bataille resplendissait de clarté ; |
Sur un destrier, qui moult coustoit, | La dame, qui portait l’épée au côté, |
Fu la dame, l’espee au flanc ; | Montait un destrier fort coûteux ; |
Blanc fu tout et couvert de blanc, | Elle était entièrement blanche et revêtue de blanc, |
Et ses damoiselles aussi. | De même que ses demoiselles. |
Moult belle compaignie ot si ; | C’était donc une très belle compagnie, |
Plus redoutable en nul royaume | Et on n’en trouvait aucune de plus redoutable |
On ne trouvast ; soubz leur heaume, | Dans aucun royaume ; sous leur heaume, |
La tresse des crins sors et loncs | Dépassait une tresse de longs cheveux ambrés, |
Paroit, batant jusqu’aulx talons ; | Qui allait battre leurs talons. |
Le Livre de la mutacion de Fortune, v. 17642-17662. |
142Dans le monde viril de la guerre, la chevelure de l’Amazone devient un signe ostentatoire de féminité. Se couper les cheveux pour se masculiniser, ou même simplement les rentrer dans le haubert équivaudrait pour elle à un travestissement ignoble. Loin de masquer leur appartenance à la gent féminine, ces guerrières, qui souhaitent être comparées aux hommes dans le combat, revendiquent cette différence en exhibant leur blonde féminité.
Camille ou la dissémination de l’or
143Pour aller plus loin, il faut lire le portrait de la jeune femme en armes comme résultant d’une stratégie de contournement des clichés tant il transpose les comparaisons traditionnellement attachées à la peau et aux cheveux sur les éléments de l’armement, à savoir le haubert et le heaume :
Apoiee estoit sor sa lance, | Appuyée sur une lance, |
a son col avoit son escu | Elle avait au cou son écu |
a boucle d’or, d’ivoire fu, | D’ivoire, à boucle d’or, |
et la guinge estoit d’orfrois. | Dont la courroie était d’orfroi. |
Ses haubers fu blans comme nois, | Son haubert était blanc comme neige, |
et ses hyaumes luisans et clers, | Et son heaume, dont le cercle était d’or fin, |
de fin or estoit li cerclers. | Brillait d’un vif éclat. |
La coiffe du hauberc fu faite | La coiffe du haubert était agencée |
en telle maniere qu’elle ot traite | De manière à laisser s’échapper |
sa bloie crine de defors, | Sa blonde chevelure |
et li couvrirent tout le cors ; | Qui lui couvrait tout le corps ; |
derier li venteloit aval | Elle flottait derrière elle |
dessor la crupe du cheval. | Sur la croupe du cheval. |
Le Roman d’Enéas, v. 6989-7001. |
144L’expression blans comme nois fait directement allusion à l’évocation du teint féminin tandis que les adjectifs luisans et clers, ainsi que la précision sur la matière de l’arche du heaume, évoquent inévitablement la description canonique des cheveux. Cette interprétation s’avère par la présence quelques vers plus loin du groupe sa bloie crine. Ces déplacements tendent d’une part à féminiser le portrait de la guerrière ; de même que les pièces de l’armement s’adaptent à la morphologie et à la beauté féminines, le poète se doit de faire correspondre la description des armes défensives à la femme qui les porte. La dimension ludique de ces transpositions apparaît manifestement plus loin dans les sarcasmes grossiers que Tarchon inflige à Camille sur le champ de bataille :
Pour quant blanche vous voi et bloie : | Pourtant, je vous vois blanche et blonde : |
.IV. deniers ai ci de Troie, | J’ai ici quatre deniers de Troie, |
qui sont moult bon, de fin or tuit ; | Monnaie de valeur, tous d’or fin ; |
ceuz vous donra por mon deduit | Je vous les donnerai pour prendre |
une piece mener o vous ; | Un moment de plaisir avec vous ; |
je n’en seray point trop jalous, | Je ne serai pas très jaloux : |
bailleray vous aus escuiers. | Je vous livrerai aux écuyers. |
Le Roman d’Enéas, v. 7157-7163. |
145Ces propos recréent de façon sous-jacente le cliché, notamment grâce au rapprochement de bloie et de l’expression de fin or tuit en fin de vers. On remarquera que l’hypothèse d’une transposition du cliché dans les plaisanteries grasses de Tarchon avait déjà trouvé dans le portrait de Camille partant au combat une forme de validation dans la mesure où les deux passages fonctionnent selon le même principe, à savoir la reprise d’adjectifs liés à la chevelure et la présence d’objets en or à proximité. Le poète semblerait avoir pris plaisir à déplacer les éléments descriptifs canoniques du portrait féminin vers les objets, pièce d’armement ou pièce de monnaie.
146On peut dès lors interpréter différemment le couronnement posthume de Camille. Lors de son embaumement, les cheveux, dont le texte s’était attaché à montrer la splendeur187, sont en effet coupés :
Elle estoit toute ensangletee, | Camille était toute ensanglantée, |
d’une yaue rose l’ont lavee, | Elles l’ont lavée avec de l’eau de rose, |
sa blonde crine ont trenchie, | Elles ont coupé sa blonde chevelure |
aprés l’ont arimatisie. | Puis l’ont embaumée. |
Le Roman d’Enéas, v. 7497-7500. |
147Camille se voit donc privée de son attribut le plus sensuel et sa beauté aurait été amoindrie si l’auteur n’avait eu l’idée de remplacer la blondeur manquante par une couronne d’or la rappelant et en tenant lieu :
Camille vestent de chemise | On revêtit Camille d’une chemise |
et d’un bliaut de baudekin ; | Et d’un bliaut en soie de Bagdad ; |
coronne ot en son chief d’or fin, | Elle portait une couronne d’or fin, |
Le Roman d’Enéas, v. 7704-7706. |
148Une nouvelle fois, le syntagme d’or fin évoque la formulation la plus usuelle du stéréotype linguistique ; si ce complément se rapporte logiquement ici à coronne, il n’en reste pas moins que sa place dans le vers est ambiguë et permet de l’appliquer aussi bien à chief qu’à coronne. Dans cette apothéose de Camille, l’or de l’ornement remplace l’or de la chevelure amputée188. Bien plus, c’est grâce à cette disparition de l’humain, du naturel, et à sa transposition en objet travaillé, en statue façonnée, que le corps de Camille atteint le statut d’objet de vénération, d’idole.
149Féministes avant l’heure, Sémiramis aussi bien que Camille ou Penthésilée refusent de choisir entre l’exercice d’une activité traditionnellement réservée aux hommes et le soin jaloux apporté à leurs cheveux. Elles veulent tout : le pouvoir et la guerre mais aussi la beauté toute féminine d’une longue chevelure. Sans jamais sacrifier l’un à l’autre, allant jusqu’à se présenter en public à moitié décoiffées ou à aménager leur armement de telle sorte qu’une parure capillaire le recouvre, ces femmes ne se laissent enfermer dans aucune catégorie et défient la domination masculine. Elles captivent et envoûtent autant qu’elles dérangent et inquiètent. Autrement plus inquiétante parce que manipulatrice et castratrice est l’héroïne des Tresces...
150D’un point de vue poétique, la scène de la toilette, à la base de l’anecdote de Sémi-ramis, n’est que suggérée par Guillaume de Machaut qui veut épargner à sa Dame les connotations luxurieuses attachées au motif. Bien différent est le cas des Amazones, dont la description amplifie volontiers la comparaison de la chevelure avec l’or, et conduit même, dans Le Roman d’Énéas, à une réactivation du stéréotype linguistique, même en son absence. Il est particulièrement surprenant de trouver dans ce texte du xiie siècle une telle prise de distance avec les formulations canoniques puisque la majorité des transpositions du cliché vers les ornements de tête ne se formuleront qu’à partir du xiiie siècle et davantage à partir du xive. C’est pourquoi Le Roman d’Énéas nous surprend par son caractère novateur et fondateur.
La femme, créature animale : Les Tresces
barbare parure,
toison où se réfugie l’odeur de la bête
Colette, La Maison de Claudine189
151Précisons d’entrée que cette étude se place dans la continuité de l’article de Françoise Laurent : « Si li a coupee la trece, dont el a au cuer grand destrece, De l’art du tressage à la science du piège dans le fabliau Des Tresses », article auquel nous renvoyons notre lecteur190. Alors que toutes les autres œuvres qui consacraient la chevelure comme moteur de l’intrigue relevaient du genre romanesque, c’est un fabliau qui s’impose comme le texte littéraire médiéval octroyant à la chevelure féminine la plus grande place dans l’intrigue, et ce de façon explicite et immédiate puisque le titre renvoie d’emblée à une coiffure particulière. Certes, comme le rappelle Jean Rychner, ce fabliau ne serait qu’un remaniement de la version de Garin De la Dame quifist son Mari entendant qu’il sonjoit191. Voici le résumé de la version longue II qui servira de support à notre analyse : une femme s’endort avec son amant à côté de son mari. Réveillé durant la nuit, ce dernier devine qu’il y a un étranger et part chercher de la lumière. Le temps qu’il revienne, la femme a remplacé l’amant par une mule. S’ensuit une dispute à l’issue de laquelle la femme part passer la nuit chez son amant. Elle demande ensuite à une voisine amie de se substituer à elle dans le lit conjugal. Comme attendu, le mari bat la voisine en lieu et place de sa femme et lui coupe les tresses avant de les cacher sous son oreiller. La femme légitime revient et remplace les tresses par la queue du cheval favori de son époux. Le mari, au réveil, voyant sa femme indemne, croit être devenu fou, ce dont elle se garde bien de le détromper. L’architecture tripartite de l’œuvre ainsi que la multiplication du triple dans sa composition, tout concourt à assimiler le texte à un tressage serré. Ce fabliau, dans lequel l’héroïne manipule les apparences, génère une angoisse diffuse devant le pouvoir d’une féminité débridée. À l’image du mari qui ne parvient plus à distinguer le faux du vrai, le lecteur ne sait plus s’il a devant les yeux une tresse de cheveux, de poils ou encore un fouet entre les mains d’une femme animale.
Deux tresses bien symétriques
152La chevelure organise et structure ce fabliau à la manière d’un triptyque dont le panneau central serait la punition de la femme adultère, scène-pivot en amont de laquelle l’épouse voit sa situation se détériorer et en aval de laquelle sa ruse lui permet de triompher. Le premier panneau correspond donc à la perte de pouvoir de la femme au sein du couple puisque la substitution de la mule à l’amant ne convainc pas le mari et mène à l’exclusion de la coupable du domicile192, et plus précisément du lit conjugal193. Les seuls cheveux de ce premier panneau sont ceux de l’amant, que la femme feint de maintenir par ce biais au moment où son mari part chercher de la lumière194, présageant les mauvais traitements que le mari fera subir à celle qu’il croira être son épouse. Cette première feinte annonce donc la deuxième.
153La scène centrale correspond au violent châtiment que ce chevalier habituellement courtois195 fait subir à la malheureuse amie de sa femme. En effet, c’est la voisine qui a naïvement accepté de prendre la place de l’épouse qui subit la colère du mari et qui reçoit les coups destinés à une autre :
Lors vient a cele, si l’i a mise | Il se dirige alors vers elle et la projette |
Contre terre par les cheveus. | Contre terre en la maintenant par les cheveux. |
El chief li a ses doiz envous ; | Il a pris à pleines mains sa chevelure |
Lors tire et fiert et boute et saiche | Qu’il tire, frappe, secoue et violente |
Qu’a paine ses mains en arrache, | Au point d’en arracher des poignées entières, |
Les Tresces, v. 194-201. |
154À y regarder de plus près, la véritable destinataire des coups n’est ni l’épouse, ni la voisine, mais la chevelure seule, violemment tirée et brutalement arrachée. Le corps disparaît derrière les cheveux à partir du vers 195. C’est sur le symbole de la féminité luxurieuse que se défoule fiévreusement le jaloux. Avant de se recoucher. D’ailleurs, le texte de la première version (manuscrits B et X) précise que la chevelure des deux femmes est identique, blonde comme l’or :
Lors la saisi par les cheveus | Alors il la saisit par les cheveux |
Que ele avoit luisanz et sors | Qu’elle avait brillants et ambrés |
Tout autresi comme fins ors : | Exactement comme de l’or fin : |
Le chief sa fame resambloit. | On aurait dit la chevelure de sa femme. |
Les Tresces I, v. 159-162. |
155Le stéréotype linguistique, étrangement absent de la version II (pourtant la plus longue), apparaît dans la version I au sein d’une scène de violence conjugale, la femme étant maintenue, saisie par les cheveux. Comme on l’a déjà noté, du point de vue de l’économie narrative, le moment semble incongru pour inaugurer une élogieuse pause descriptive. Or, seule la chevelure – qui fait les frais de la brutalité masculine – est décrite, comme si sa brillante blondeur témoignait de la culpabilité du personnage féminin, comme si la beauté blonde de la chevelure confirmait la luxure et la lubricité de celle qui les porte. Du reste, si l’on occulte la ponctuation, la formulation se révèle assez étrange puisque Tout autresi comme fins ors peut aussi bien porter sur le premier membre de la phrase que sur le deuxième.
156Par surcroît de malheur, la femme ainsi maltraitée exprime trop ostensiblement sa douleur, empêchant le violent de se rendormir et risquant de réveiller les voisins. Animé d’un courroux vengeur, le mari se relève et mutile d’un coup de couteau la chevelure déjà altérée :
Maintenant a son coutel pris, | Il a aussitôt pris son couteau, |
Si est sailliz enmi la rue | Puis est sorti au beau milieu de la rue |
– Son cors tot d’angoisse tressue – | – Elle transpire d’angoisse – |
Si li a coupee la trece, | Et lui a coupé sa tresse, |
Dont el a au cuer grand destrece, | Ce dont elle éprouve une si grande détresse |
Si que ses plors entroublia. | Qu’elle cessa de pleurer. |
Les Tresces, v. 224-229. |
157Deux motifs bien connus se succèdent donc : le premier consiste à battre une femme en la maintenant par les cheveux et le second à lui couper les tresses. Le fabliau organise donc toute son intrigue autour de ce geste outrageant par lequel un époux mutile la chevelure de son épouse alors que la plupart des textes ne laissent à cet épisode qu’une fonction de rebondissement dans l’intrigue. Si les coups traduisent simplement la colère violente du mari, l’amputation de la tresse196 est spécifiquement présentée comme une humiliation corporelle, un affront destiné à jeter l’opprobre sur l’épouse adultère197. C’est d’ailleurs ainsi qu’est perçu le geste par la malheureuse amie qui se lamente sur sa chevelure perdue198. Exagération caractéristique d’un auteur en mal d’inspiration ? Assurément pas199. Bien que transitoire, la perte de ses cheveux longs ne représente pas pour une femme, loin s’en faut, une simple modification physique mais est ressentie comme un avilissement d’autant plus intense qu’il ne peut pas facilement être caché à l’opinion publique200, une vraie mortification.
158Le troisième et dernier panneau voit le retour triomphal de la femme dans le lit conjugal d’où son mari pensait l’avoir exclue pour toujours et, grâce au dévoilement de son intégrité capillaire, l’avènement de son autorité au sein du couple. En effet, alors que son mari a caché les tresses sous son oreiller, sa femme revient et remplace les tresses par la queue du cheval préféré de son mari201. Le lendemain matin, étonné de voir sa femme à ses côtés, le mari lui demande des explications auxquelles elle se soustrait avec une hypocrisie maligne. Niant avoir subi le moindre dommage, l’actrice qu’elle est retarde le dévoilement de son corps puis de sa chevelure, intacts :
Tantost a la robe levee, | Elle a aussitôt relevé sa robe, |
Si li mostre costez et hanches, | Pour lui montrer ses côtes et ses hanches, |
Et les braz et les cuisses blanches, | Ses bras et ses cuisses blanches, |
Et le vis | Ainsi que son visage |
qu’el n’ot pas fardé. [...] | qu’elle n’avait pas maquillé. […] |
Maintenant la coiffe deslace, | Juste après elle détache sa coiffe, |
Si a les tresces avant traites | Et a ramené sur sa poitrine les tresses |
Qu’il li cuidoit avoir fors traites. | Qu’il croyait lui avoir coupées. |
Les Tresces, v. 324-354. |
159La découverte de la queue de son cheval sous son oreiller202 porte le coup fatal au mari qui s’abandonne alors à l’autorité de sa femme et accepte de partir en pèlerinage afin de prier pour la guérison de ses hallucinations.
160Les nombreuses qualités du chevalier énumérées au début du récit ne pourront rien face à l’ingénieux stratagème que sa femme ourle pour le tromper. A-t-il essayé de mutiler sa chevelure ? Elle coupe la queue de son cheval. L’a-t-il exclu de sa maison ? Elle l’envoie en pèlerinage à Vendôme. Aurait-il mérité des excuses ? C’est lui qui en formule203. L’architecture textuelle s’organise donc symétriquement autour de la scène de mutilation, le récit ayant alors le charme mais aussi la duplicité d’un visage encadré par deux tresses204. Selon un procédé d’inversion cher au fabliau, les valeurs morales habituelles sont piétinées. La femme manipulatrice aura encore une fois eu raison de son cocu de mari grâce à ses talents d’actrice. En effet, le texte tient aussi de la farce où, sur une scène réduite à la chambre et à ses annexes – écurie et rue – la ruse et la tromperie ont raison de la naïveté. La femme se révèle la seule orchestratrice de l’action, parvenant à conserver intact l’emblème de son pouvoir de séduction. Régnant en maîtresse du jeu, elle assujettit aisément chacun des protagonistes à son bon plaisir.
L’art du tressage
161S’il est vrai que le titre du fabliau invite le lecteur à s’intéresser au rôle de la chevelure dans le récit, il attire tout autant l’attention sur une coiffure particulière – la tresse – formée d’un entrelacement de trois mèches, rarement plus. Au lecteur de vérifier si la construction même du récit ne repose pas sur l’entrecroisement de trois fils. Le texte annonce d’emblée qu’il reprendra le schéma adultérin classique de la femme, du mari et de l’amant205. Soit trois personnages principaux, auxquels il faut ajouter trois personnages secondaires jouant dans un complexe chassé-croisé le rôle de doublures : la mule qui prend la place de l’amant dans le lit conjugal dès la sortie de scène du mari206, la voisine qui ressemble à s’y méprendre à la femme adultère207 et subit les violentes représailles du mari jaloux et, pour finir, la queue d’un cheval qui se substitue sous l’oreiller aux tresses coupées208. Comme l’a très bien montré
162Françoise Laurent, deux substitutions de l’humain par un animal enchâssent donc un remplacement de l’humain par un humain similaire, confirmant s’il était besoin le rôle structurant de l’axe de symétrie analysé plus haut. Le fabliau se construit ainsi autour de trois personnages, doublures et stratagèmes subtilement entremêlés.
163De plus, ainsi que le rappelle Françoise Laurent, tresser dans la langue médiévale signifie aussi danser la farandole, et la tresse renvoie alors à une sarabande ou une « ronde à laquelle les participants s’agrègent ou dont ils sortent successivement »209. C’est ainsi que seront successivement exclues de la danse du récit la voisine aux tresses injustement sacrifiées et au corps violemment maltraitée. Simple rouage de la mécanique stratégique, sa présence sera oubliée (non sans une promesse aussi légère qu’illusoire) une fois son rôle rempli. De même, l’époux se verra sommé de quitter les lieux210, la marionnette obéissante ayant pris le pas sur le mari revendicateur. Le champ est libre pour la femme et l’amant auquel, mystérieusement, le fabliau ne fait plus allusion à partir du vers 159. Aurait-il lui aussi quitté la danse, faisant place nette à l’époustouflante meneuse de revue ? « De ce divertissement quelque peu pervers qu’est le récit, la bourgeoise aux tresses sacrifiées sera exclue, elle sera littéralement « hors de tresce », c’est-à-dire « hors de de jeu » ; quant à la dame, qui mène la danse, c’est elle qui, en escourtant le cheval de son mari, va, suivant le sens médiéval de l’expression « couper queue », y mettre un terme »211. À l’image de sa chevelure intacte, la dame seule sort indemne de ce chassé-croisé endiablé. Le trajet et les rapports des personnages dans le fabliau calquent ainsi le principe du tressage en tant que coiffure mais aussi en tant que danse.
L’animalité revendiquée
164À travers les trois substitutions auxquelles se livre l’héroïne, le texte propose une assimilation assez évidente entre l’humain et l’animal. Si l’homme peut être remplacé par une mule et la tresse féminine par une queue de cheval, les deux catégories entretiennent nécessairement des relations de parenté. De plus, « la similarité absolue des deux femmes212, inscrite au cœur du récit, postul[e], par rebond, l’équivalence de l’amant et de la mule, des tresses et de la queue, c’est-à-dire l’analogie de l’humain et de l’animal »213. Le fabliau souligne d’ailleurs assez rapidement l’intimité affective du chevalier et des deux équidés :
Il avoit son cheval mout chier, | Il était très attaché à son cheval, |
Quar quarante livres valoit ; | Car il valait quarante livres ; |
Mais des autres ne li chaloit | Mais il ne se préoccupait pas |
S’il fussent bien ou malement, | Du bien-être des autres chevaux, |
Fors d’une mule seulement. | Tous ses soins allaient à une seule mule. |
Les Tresces, v. 72-76. |
165Le texte invite donc à rapprocher le mari de ses deux montures, dont l’une aura la tête ridiculement plongée dans une cuve214 et l’autre se fera couper la queue215. En effet, la réaction du chevalier en découvrant la queue coupée de son cheval :
Mais a poi li cuers ne li crieve | Son cœur manque d’éclater |
Quant il a trovee la queue. [...] | Quand il découvre la queue. [...] |
Lors li veïssiez contreval | Vous auriez alors vu |
Les lermes couler sor la face ; | Des larmes couler le long de son visage ; |
Mais il ne set mais que il face, | Il ne sait plus ce qu’il fait, |
Tant est dolenz et abosmez, | Tant il est accablé de douleur, |
Les Tresces, v. 384-395 |
166n’est pas sans rappeler le désarroi de la bourgeoise à qui il a coupé les tresses216. Même évocation de la mort du cœur, mêmes larmes intarissables, même douleur inconsolable. Le chevalier se comporte comme si on l’avait lui aussi blessé dans son intégrité corporelle. On notera au passage que le cheval a gagné en valeur depuis le début du texte puisque le narrateur précisait au vers 73 que la monture valait quarante livres... L’hyperbole, attendue quand il s’agit de manifester sa souffrance, n’en souligne pas moins l’attachement bourgeois du chevalier à la valeur financière de sa monture. Gageons que si les assurances avaient existé à l’époque, notre brave chevalier aurait déclaré une perte de cinquante livres ! Quant à la proximité spatiale de la chambre et de l’écurie sur laquelle insiste le narrateur :
Mais d’une chose me remembre, | Mais je me souviens d’une chose, |
Que li sires ot lez sa chanbre | C’est que le seigneur avait fait construire |
Fait faire une ptite estable, | À côté de sa chambre une petite étable, |
Les Tresces, v. 67-69, |
167elle suggère un amalgame entre les rapports supposément lubriques qu’entretiennent les équidés à l’écurie217 et les humains dans leur chambre.
168Bien plus encore, le panneau central du triptyque, consacré à la correction de l’épouse infidèle, nous donne à voir un homme chaussant ses éperons avant d’aller, non pas à la chasse comme le suggéreraient les premiers vers, mais battre son épouse :
Demanois ses esperons chauce, | Sur-le-champ il a chaussé ses éperons, |
Mais n’i chauça soler ne chauce, | Mais sans mettre de souliers ni de chausses, |
Ne ne vest riens fors sa chemise. | Il n’est vêtu que de sa chemise. |
Lors vient a cele, si l’i a mise | Il se dirige alors vers elle et la projette |
Contre terre par les cheveus. | Contre terre en la maintenant par les cheveux. |
El chief li a ses doiz envous ; | Il a pris à pleines mains sa chevelure |
Lors tire et fiert et boute et saiche | Qu’il tire, frappe, secoue et violente |
Qu’a paine ses mains en arrache, | Au point d’en arracher des poignées entières, |
Et fiert des esperons granz cous | Et donne de grands coups d’éperons |
Qu’il en fait en plus de cent leus | Qui font jaillir le sang de plus de cent plaies |
Le sanc saillir parmi la sengle | Et apparaître sur la chemise doublée. |
Les Tresces, v. 191-201. |
169Maintenue par les cheveux, la femme est traitée comme un mauvais cheval. La sanglante volée de coups a pour but de dresser la créature récalcitrante. « Soumettre la femme comme on dompte un cheval rétif, c’est dominer en elle la part animale de sa nature, tenter de tenir les rênes de sa lubricité »218. La méthode pour le moins expéditive du chevalier coupant les tresses de sa femme, emblèmes de sa duplicité et de ses penchants concupiscents, s’explique alors aisément si l’on comprend qu’il la traite comme son cheval auquel il est tant attaché. Ayant sans doute lu Aristote, cet homme cultivé sait donc que « les juments, quand on leur tond le poil, prennent un air abattu et cessent de désirer le mâle »219, opinion reprise par Brunet Latin : « Et lor luxure, puet on refraindre se l’en lor roegne les crins »220. La confusion lexicale aidant (entre les crins du cheval et les cheveux de la femme), le chevalier a cavalièrement appliqué ce précepte à sa femme afin de freiner son appétit sexuel. Son comportement résulte tout bonnement d’une exégèse erronée. On rapprochera cette double interprétation des mots du faucon/faux con dans le fabliau Guillaume au faucon221, la dame prétendant à son mari que Guillaume, en réalité amoureux d’elle, se désespère de ne pas posséder le faucon du seigneur. Évidemment, le seigneur en fait don à Guillaume, de même que sa dame, pour qui il mourrait d’amour, s’offre à lui charnellement.
170Cependant, comme le rappelle Michelle Houdeville, le choix de la mule, symbole de l’impétuosité du désir, n’est pas anodin : « Ainsi, le charivari exercé à l’encontre des maris considérés comme trop faibles (cocus ou battus ou veufs épousant une femme trop jeune) s’exerçait souvent avec le port de masques pour les exécutants, ce qui leur évitait d’être reconnu par leurs victimes, masques de cheval en Gascogne par exemple »222. Le cheval renvoie en effet à la vigueur sexuelle, à la satisfaction primitive des besoins primaires. Que l’on songe au cheval de Lancelot, assoiffé, dont le cavalier oublie les besoins fondamentaux, perdu qu’il est dans une méditation amoureuse. Le cheval n’emprunte pas une voie torte, mes la meillor et la plus droite, arrivant ainsi au plus tôt près d’un gué223. Son comportement s’oppose alors en tout point à celui de l’amant courtois, différant sans cesse la satisfaction de ses désirs, jouissant d’une frustration sans cesse renouvelée. « Poser l’équivalence entre l’amant et la mule, la dame et le cheval, c’est rabaisser l’homme au rang d’animaux esclaves de leurs désirs, c’est aussi saper les valeurs de l’amour courtois en les ravalant au niveau des simples pulsions animales »224.
171Le fabliau minerait-il les fondements de la fin’amor ? Il faut reconnaître que la métamorphose du chevalier cortois de renom – que le narrateur nous présentait comme aussi valeureux au champ de bataille qu’à la maison225 – en monstre sanguinaire a de quoi surprendre. Le vernis des mœurs courtoises s’écaille, laissant deviner la brutalité des rapports conjugaux226. L’assimilation de l’être humain à un animal, habituellement infâmante, est ici « revendiquée par la femme qui, en plaçant sous l’oreiller une queue d’animal (ânesse ou cheval), revendique ce que la sexualité peut avoir de bestial par opposition avec l’idéalisation courtoise »227. Narguant son époux qui se fait fort de lui imposer une discipline du désir, la dame expose brutalement au grand jour ce qui est ordinairement tu parce que tabou228. Autrement dit, cette femme qui parvient à retourner la situation à son avantage et à assurer sa domination sur un époux qu’elle a rendu pitoyable refuse de sacrifier son droit au plaisir sur l’autel de l’autorité maritale et des conventions sociales.
172Sa revendication d’une sexualité primitive et libérée des entraves morales rend indéniablement la femme inquiétante. La violence de ses désirs n’a d’égale que la brutalité de son époux dont elle se venge en mutilant le cheval favori229. « L’environnement anatomique, ainsi que le transfert de sens argotique qui confond en de nombreuses langues la queue et le pénis, confère au verbe « escorter » un tout autre sens, étayé par le lien de compagnonnage, voire la relation amoureuse, qui unit le chevalier à sa monture »230. À la castration du pouvoir de séduction de la femme par l’entremise de sa chevelure répond la castration vengeresse du pouvoir reproducteur de l’homme par le biais de la queue de cheval. La femme assumant ses désirs est donc invariablement présentée dans la littérature médiévale comme un être dangereux et castrateur.
173Créature maligne, la dame réussit le prodige de convaincre son mari qu’il a des visions et se garde bien, malgré la douleur de celui-ci, de lui révéler le fin mot de l’histoire, jouissant de son pouvoir nouvellement acquis. Sorcière à la manière de Circé, elle transforme à son gré les hommes, amant ou époux, en bestiaux. À la manière d’Iseut la fée, elle est la reine de la dissimulation et de la manipulation des signes face à un époux crédule, aveuglé par des apparences trompeuses231. Ainsi, quand elle convainc sa voisine d’aller se substituer à elle auprès du mari jaloux tandis qu’elle-même rejoint son amant, n’agit-elle pas suivant l’exemple d’Iseut envoyant sa servante Brangien prendre sa place dans la couche nuptiale afin de cacher qu’elle n’est plus pucelle ? De même, quand elles se dévoilent, la peau vierge d’ecchymoses et la chevelure aussi longue que la veille, manifestement innocente mais néanmoins coupable, ne se souviennent-elles pas de l’ingénieuse manipulation des signes à laquelle s’est livrée Iseut en jurant qu’elle n’avait jamais accueilli aucun homme entre ses cuisses à l’exception de son époux et de celui qui lui avait servi de monture au Mal Pas afin d’« échapper au châtiment et [de] s’offrir pure et innocente aux regards de Marc et de la cour arthurienne »232 ? Quand la chevelure est érigée en symbole de la manipulation féminine, Iseut n’est jamais loin...
174L’épisode de la mutilation des tresses dans lequel la dame est assimilée à une monture à débourrer constitue indéniablement l’axe de symétrie autour duquel s’organise le fabliau. À l’amant-mule fait écho le mari-cheval, à la culpabilité non punie répond l’innocence violentée. La tresse du récit, qui entremêle trois personnages, trois doublures mais aussi trois ruses, se termine par un nœud solide qui correspond à l’apothéose de la dame, consacrée dans ses talents de sorcière. En métamorphosant les hommes en animaux, elle revendique une « morale du plaisir naturel contre la morale sociale »233. La tresse devient un fouet dont la femme se sert pour assujettir les hommes à son bon vouloir. « Du tressage d’un récit bien bouclé à l’art de la manipulation et au tramage du piège, des tresses de la dame à la détresse du mari, le conte pose aussi les questions des relations de l’homme et de la femme pour dévoiler les pouvoirs d’une féminité inquiétante »234. La capacité de ce personnage, seul à rester indemne, à manipuler les apparences génère une inquiétude sourde devant les pouvoirs d’une féminité qui n’est pas bridée dans ses désirs. À l’image de l’héroïne de ce fabliau, la Femme suscite la crainte de l’homme qui sait qu’elle est une sorcière en puissance, susceptible à tout moment, « par la séduction factice de [sa] chevelure »235, de le changer en bête.
175En conclusion, les œuvres qui offrent à la chevelure féminine la possibilité de se déployer amplement en leur sein relèvent de dynamiques bien différentes. Les deux œuvres de Chrétien qui développent à l’excès des stéréotypes liés à la chevelure tendent à illustrer les relations entre les personnages par l’analyse scrupuleuse de leur rapport avec la chevelure conçue comme une métonymie de la femme : Soredamour qui imagine sa chevelure plus brillante que l’or trahit ainsi son orgueil et Lancelot en extase devant un rebut de la toilette trahit le déséquilibre relationnel – inhérent à la fin’amor – entre le chevalier et sa dame. Avec Chrétien, le cliché et le motif n’ont plus pour vocation d’agrémenter les aventures des héros : bien au contraire, l’intrigue entière est enclose dans le traitement particulier du stéréotype. Si la chevelure ne joue pas là le rôle de fil directeur du récit puisque seuls des épisodes finalement restreints lui sont consacrés, elle n’en reste pas moins un moyen d’accès à la poétique de Chrétien de Troyes.
176Il en va différemment dans Le Livre du Voir Dit et dans les romans antiques où les personnages de Sémiramis et des Amazones se laissent appréhender comme des figures exotiques alliant féminité physique et virilité sociale, et de ce fait aussi fascinantes qu’inquiétantes pour l’homme médiéval. L’exotisme de ces dames n’en reste pas moins exprimé à l’aide de stéréotypes linguistique (comparaison avec l’or) et narratif (motif de la toilette) déjà rencontrés. À la différence d’une Jeanne d’Arc se coiffant à la garçonne pour les besoins de la guerre, ces personnages affichent au contraire une chevelure foisonnante qui signale leur désir de rester femme. Ce n’est cependant que reléguées dans un ailleurs géographique ou historique qu’elles restent envisageables.
177Démêler le texte, retrouver le cheveu qui organise la trame narrative, c’est invariablement démêler les rapports entre homme et femme, liberté sexuelle et cadre normatif. Le motif de la chevelure maltraitée et coupée constitue indéniablement le moment crucial du fabliau, celui autour duquel s’organise la narration, à tel point que le cliché comparant la chevelure à l’or s’intègre dans cette scène. D’un point de vue poétique, l’auteur a organisé son texte autour de ce passage essentiel. Beaucoup plus angoissante que les Amazones, la femme du fabliau Les Tresces ne se contente pas de prendre la place de l’homme mais elle le chasse après l’avoir symboliquement castré. Véritable sorcière, la femme mue l’homme en cheval et le cheval en humain, confondant les genres aussi bien que les espèces, comme pour signifier l’avènement du règne de la bestialité. Prêtresse de la manipulation, elle relègue les hommes au rang d’objets et s’érige seule détentrice d’une vérité qui échappe continuellement aux autres protagonistes.
178C’est en cela qu’elle rejoint Iseut – déesse de la chevelure devant laquelle se prosterne un Tristan tondu – prononçant un serment mensonger dans ses intentions mais néanmoins véridique. Non pas débauchées mais aspirant à jouir de leur corps comme bon leur semble, ces femmes à la chevelure flamboyante soumettent in fine les hommes à leur sensualité débordante.
Notes de bas de page
2 Voir Michael Riffaterre, La Production du texte, Paris, Seuil, 1979. p. 59-61.
3 Emmanuèle Baumgartner, Chrétien de Troyes, Yvain, Lancelot, la charrette et le lion, Paris, PUF, 1992, p. 20.
4 Le texte d’Eilhart serait en effet le plus proche de L’Estoire, poème primitif en français, qui aurait été à la source des premiers Tristan, comme le note Béroul : « Ne, se conme l’estoire dit, / La ou Berox le vit escrit. » (Tristan, v. 1789-1790).
5 « En po d’ore vos oi paiee / o la parole do chevol, / don je ai puis au grant dol. » (v. 419-421).
6 Pierre Gallais, La Fée à la Fontaine et à l’Arbre, p. 158.
7 « The hero finds golden hair, golden feather and golden horseshoe (or the like). His master commands him to bring back the princess, the bird or the steed from which these objects come. Hero accomplishes this and the greedy master is punished. » (The Types of the Folktale. A Classification and Bibliography, Helsinki, Suomalainen Tiedeakatemia Academia Scientiarum Fennica, 1961, p. 160). Voir aussi le très ancien Conte des deux frères d’un anonyme égyptien : une tresse de cheveux, flottant sur l’eau, arrive jusqu’à Pharaon qui exige que ses messagers parcourent toutes les terres afin de retrouver la jeune femme qui l’a perdue (éd. François Schuler, Paris, José Corti, 1999, p. 37-39).
8 Eilhart von Oberg, Tristrant undIsalde, mittelhochdeutsch / neuhochdeutsch, éd. Danielle Buschinger & Wolfgang Spiewok, Greifswald, Reineke-Verlag, 1993.
9 « Pourtant ils auraient bien aimé apprendre d’où le roi avait ce cheveu. Marke répondit qu’il l’avait pris dans la salle, sur le pavé. Deux hirondelles se le disputaient à coups de bec, et il leur avait échappé. Ils dirent entre eux que jamais on ne pourrait atteindre cette femme. Le roi soutint avec acharnement qu’il mourrait sans épouse, si on n’allait pas lui quérir celle-là. » (Tristrant und Isalde, v. 1419-1431, traduction de Danielle Buschinger et Wolfgang Spiewok dans Tristran et Iseut, d’Eilhart von Oberg, Amiens, Labor, 1997, p. 43-44).
10 « However, Eilhart never mentions the color of Isalde’s hair » (Gerard J. Brault, « The Names of the three Isolts in the Early Tristan Poems », art. cit., p. 24).
11 Gerard J. Brault s’interroge toutefois sur les parties du texte perdus: « Did Thomas perhaps use the expression Iseut la Blonde or refer to the color of his heroine’s hair in the losts parts of his text? » (ibid., p. 25).
12 Ibid., p. 25-26.
13 « Por la bele franche au chief bloi » (v. 3532), « Yseut, qui a la crine bloie » (v. 3695), « Yseut la bele o le chief blont » (v. 4250) et « Iseut la bele o les crins sors » (v. 4426). Rappelons d’autre part que cet épisode du cheveu apporté par les oiseaux est absent du texte de Béroul. Si Joseph Bédier évoque dans sa reconstitution en français moderne de cette scène un blond et beau cheveu de femme, ce n’est donc que pure extrapolation à partir des textes postérieurs à la version d’Eilhart.
14 Dans Érec et Énide (vers 424) et dans le titre de son roman perdu Del roi Marc et D’Isalt la blonde.
15 Voir « – Por moi lairoit Yseut la bloie » (v. 497) et « La meschine a non Bruneheut, / vos l’avroiz, et j’avrai Yseut. » (v. 160-161). Comme le soulignent Emmanuèle Baumgartner et Ian Short (note 4 p. 311 de leur édition), le prénom a probablement été choisi pour sa première syllabe « brune », qui permet un jeu d’opposition entre les deux femmes que Tristan propose d’échanger, la brune et la blonde (Iseut).
16 « The swallow incident plays an important role in the story as it motivates the quest for the Princess. » (Gerard J. Brault, art. cit., p. 24).
17 Dans la traduction de Danielle Buschinger et Wolfgang Spiewok : « C’est pourquoi confiez-moi le cheveu pour que je la reconnaisse si je parviens là où elle est. » (Tristran et Iseut, p. 44).
18 Dans Guillaume de Dole de Jean Renart.
19 Le Chevalier de la Charrette, v. 1390-1500.
20 Adeline Richard va jusqu’à considérer que ce cheveu représente le fil conducteur du récit, Iseut pouvant alors assumer le rôle d’auteur ou de poète : « Elle est en effet le fil qui guide une partie de la narration, puisqu’elle joue à l’occasion le rôle d’auteur : metteur en scène de la grande mascarade du Mal Pas, elle sait aussi se faire poète comme le prouve sa maîtrise du langage qu’elle peut à loisir détourner dans le serment de la Blanche Lande » (Adeline Richard, « Le fil d’or de Blonde Esmerée », p 330). Elle avance comme preuve que « dans un roman tel que le Tristan en prose où Yseut ne joue plus ce rôle, il n’existe plus qu’une mention de l’épithète homérique d’Yseut la Blonde, et l’épisode du cheveu d’or disparaît ». Or, cet épisode n’apparaît pas non plus dans toutes les autres versions de Tristan où Iseut joue encore ce rôle important. D’autre part, la disparition de l’épithète homérique peut être mise au compte de la disparition progressive des éléments descriptifs dans les mises en prose.
21 Voir l’article consacré à Eilhart von Oberg dans le Dictionnaire des lettres françaises (le Moyen Age), article rédigé par Danielle Buschinger (Paris, Fayard, 1992, p. 400-401).
22 Dans la traduction : « Lorsque Tristrant, l’homme hardi, eut recouvré ses forces, il fut certain d’avoir enfin trouvé la dame qu’il cherchait. Le héros si illustre avait en effet examiné sa chevelure avec attention et reconnu qu’il était au terme de sa longue quête. Le noble (p. 56) et jeune guerrier se mit alors à rire d’une façon charmante. » (Tristran et Iseut, d’Eilhart von Oberg, p. 55-56).
23 Dans la traduction : « Après avoir réfléchi de la sorte, l’excellente dame commença à bien essuyer l’épée. C’est alors qu’à la brèche elle reconnut qu’elle avait Tristrant devant elle. Aussitôt, pénétrée d’une grande tristesse, elle déposa l’arme. Puis elle prit son aumônière, en sortit le fragment et le joignit à la brèche, où il se trouvait auparavant. C’est ainsi qu’apparut la culpabilité de Tristrant. » (Tristran et Iseut, d’Eilhart von Oberg, p. 56).
24 Épisode repris dans La Folie de Berne : « Tondre a fait sa bloie crine ; / n’i a un sol en la marine / qui ne croie que ce soit rage, / mais ne sevent pas son corage. » (v. 130-133, « Qant Tristanz vint devant lo roi, / auques fu de povre conroi : / haut fu tonduz, lonc ot le col, / a mervoille sambla bien fol. » (v. 150-153), et « Par lo mien chief, qui ja fu bloi » (v. 281), dans La Folie d’Oxford : « Od les forces haut se tundi : / Ben senble fol u esturdi. » (Folie Tristan d’Oxford, dans Tristan et Iseut Les poèmes français, La saga norroise, éd. Philippe Walter, Paris, Lib. Gén. Fr., 1989, p. 229-275, v. 209-210), dans Le Donnei des Amants : « Rere se fit, dreit cume fol, / Barbe, gernuns e chef e col » (dans Tristan et Iseut Les poèmes français, La saga norroise, p. 315-327, v. 217-218) ainsi que dans le Tristan en prose : « Et la cose ki plus laidement le desfigura si fu que li pastour le tondirent et k’il li taignoient le vis cascun jour u d’une coulour u d’autre. » (t. i, xii, 168, p. 248, l. 29-31) et « Il n’avoit en lui que reprendre, fors de ce seulement k’il avoit les caveus petis, ensi con li bregier l’avoient tondu a la fontainne, et n’avoit encore mie granment de tans. » (t. ii, x. 78, p. 189, l. 11-14).
25 L’emploi du présent de narration et de la parataxe contribue en effet à créer une impression de décomposition des mouvements et de lenteur.
26 « Le fil d’or de Blonde Esmerée » dans La Chevelure dans la littérature et l’art du Moyen Age, études réunies par Chantal Connochie-Bourgne, Actes du 28e colloque du CHER MA, Senefiance n° 50, Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, 2004, p. 325-337.
27 Voir p. 139 et suivantes.
28 « Sa biautés tel clarté jeta, / Quant ele ens palais entra, / Com la lune qu’ist de la nue. » (v. 2221-2223).
29 Sous la forme d’une vouivre : « Tot le palais enluminoit. / Une si grand clarté jetoit, / Hom ne vit onques sa parelle, » (v. 3131-3133) et sous sa forme humaine : « Grans jors estoit quant s’esvilla, / En la sale grand clarté a. » (v. 3259-3260).
30 Jehan et Blonde, v. 247-259.
31 Ainsi dénommé dans la deuxième partie, t. I, 501, p. 284, l. 4-6 et 605, p. 338.
32 Voir : « Caviaus crespés, recercelés, / Qui plus luisent c’ors esmerés. » (Lai de Narcisse, v. 95-96), « La crine par fut si tres bloie, / Sul de l’esgarder fut grant joie, / A deus tresces trecee esteit, / Plus ke or esmeré reluseit, » (Ipomédon, v. 2233-2236), « car se le voir me requerez, / ge vos di c’ors fins esmerez / ne reluist plus, non autretant. » (Le Roman de la Poire, v. 1625-1632) et « Sa crine fu de fil d’or esmerée. » (Aliscans, v. 2858).
33 De même, le prénom de la jeune sœur de Guillaume dans Guillaume de Dole peut s’interpréter de deux manières : la première Li enor met l’accent sur la prépondérance de l’honneur dans le roman puisque, accusée à tort d’avoir perdu sa virginité, Lienor se rend à la cour du roi pour se disculper et recouvrer sa réputation. La deuxième interprétation, plus intéressante pour notre propos, serait de décomposer le prénom en Li en or, c’est-à-dire celle qui est en or, ce qui se justifierait aussi bien par la pureté de ses intentions que par la blondeur de ses cheveux : « et cele s’assist delez euls, / qui mout avoit blons les cheveuls » (v. 1125-1126) et « Aussi passe, ce m’est avis, / de beauté bele Lïenors / totes les autres, com li ors / toz les autres metails dou monde. » (v. 1417-1420).
34 Adeline Richard, art. cit., p. 328.
35 Au vers 3669.
36 Adeline Richard rappelle que les noms de Margerie et Clarie se rapportent aussi au domaine de l’orfèvrerie (la margerie est la perle et clarie un synonyme d’esmeré) si bien que le nom de Blonde Esmerée, tel un hyperonyme, contiendrait virtuellement tous ceux des autres jeunes filles. (art. cit., p. 327).
37 Voir par exemple : « a fin or fu » (v. 155), « de fin or reflanboians » (v. 1546), « De fin or furent li tasiel » (v. 2400).
38 Adeline Richard, art. cit., p. 326.
39 « Ele ot a non Blonde Esmeree ; / Issi fu par droit non nonmee. » (v. 3669-3670).
40 « E-l vergier es d’una piucela / Qe a num Brunissens la bela, / E sus castels a num Monbrun » (Jaufré, v. 3059-3061).
41 Ainsi nommée aux lignes 27 et 28, page 23 du Conte du Papegau.
42 Lignes 19 et 20, page 23.
43 « Les mains blances, cors avenant, » (Le Bel Inconnu, v. 142).
44 « Mains ot blances, cors bien portrait ; » (Le Bel Inconnu, v. 1550).
45 « Mains ot blances con flors de lis / Et la gorge desous le vis. » (Le Bel Inconnu, v. 2241-2242).
46 « Bras ot bien fais et blances mains / Plus que flors d’espine sor rains. » (Le Bel Inconnu, v. 3985-3986).
47 « Tant le sot bien Nature ouvrer / C’onques si biele n’ot el mont / De bouce, de iols, de vis, de front, / De cors, de bras, de piés, de mains, / Fors sel celi as Blances Mains, / Quar nule a li ne s’aparele : » (Le Bel Inconnu, v. 3259-327).
48 « Si l’éclat de ses cheveux illustre le nom de la reine, la blancheur de ses mains en évoque une autre, plus inattendue. [...] La messagère dit être l’envoyée de l’une, alors qu’elle est dotée du semblant de l’autre. » (Romaine Wolf-Bonvin, Textus, De la tradition latine à l’esthétique du roman médiéval, p. 150).
49 Romaine Wolf-Bonvin, op. cit., p. 194.
50 La clarté provient dans Cligès de la chevelure : « Et li chevox esclarissoit, / Que que li filz d’or palissoit. » (Cligès, v. 1563-1564). Voir aussi l’arrivée de Fénice, tête nue : « Tant s’est la pucele hastee / Que ele est el palés venue, / Chief descovert et face nue, / Et la luors de sa biauté / Rant el palés plus grant clarté / Ne feïssent quatre escharboncle. » (Cligès, v. 2728-2733). Dans Le Bel Inconnu, impossible de préciser l’origine de la lumière, probablement signe surnaturel.
51 « Sa biautés tel clarté jeta, / Quant ele ens palais entra, / Com la lune qu’ist de la nue. » (v. 2221-2223).
52 La Vouivre de Marcel Aymé (Œuvres romanesques, Paris, Flammarion, 1977, t. v, p. 11). Voir aussi Paul Sébillot, Le Folklore de France, t. iii, p. 298.
53 « Ele aveit en son front davant / Une escharbocle molt luisant ; / Ne quit que onques en une beste / Veïssez onc tant gente teste ; / Si aveit elle tout le cors / Plius reluisant que nen est ors. » (v. 4616-4621).
54 Vers 3134 à 3136.
55 Cette guivre a donc deux yeux au lieu d’un seul œil (v. 3139-3140).
56 « Desous sanbloit estre doree. » (v. 3148).
57 « Grans jors estoit quant s’esvilla, / En la sale grand clarté a. / A son cief trova une dame / Tant biele c’onques nule fame / Ne fu de sa biauté formee ; / Tant estoit fresse et coloree / Que clers ne le saroit descrire / Ne boce ne le poroit dire / Ne nus ne le poroit conter. » (v. 3259-3267).
58 Voir les vers 5143 à 5167. Elle rejoint en cela la Dame aux Cheveux Blonds du Conte du Papegau.
59 Romaine Wolf-Bonvin, op. cit., p. 204.
60 Adeline Richard, art. cit., p. 327.
61 Au vers 4346.
62 Au vers 4422.
63 Au vers 5587.
64 Adeline Richard, art. cit., p. 330.
65 « Et si sui cele, biaus amis, / Quant eûstes Mabon ocis / Et quant le fier baiser fesistes, / La vois que vos après oïstes, / Qui vostre non vos fis savoir » (v. 4995-4999).
66 Pierre Gallais, op. cit., p. 128.
67 « Il y a aussi renversement du code éthique d’ordinaire proposé par le roman courtois. Il n’est pas rare que la femme-fée, l’amie, y soit assimilée à une créature diabolique (que l’on pense à l’association de Guenièvre au serpent dans le Lancelot en prose, ou d’Yseut à la Beste Glatissant dans le Tristan en prose, deux romans arthuriens datés, comme Le Bel Inconnu, du xiiie siècle), et plus spécialement au serpent, afin de renvoyer à l’idée de péché, en particulier d’adultère. Or, dans notre roman, c’est la future épouse qui apparaît sous la forme d’une guivre. Ici, le risque de péché serait donc du côté de la relation légitime. » (Adeline Richard, art. cit., p. 331).
68 « Le fil d’or de Blonde Esmerée », p. 331-332. Adeline Richard précise aussi que la légende tristanienne offre l’équivalent de cette relation selon la théorie développée par Jean Subrenat dans son article, « Sur le climat social, moral, religieux du Tristan de Béroul » (Le Moyen Age, t. lxxxii, n° 2, 1976, p. 219-261) où l’auteur suggère que l’union physique de Tristan et Yseut associée à la demande en mariage dont elle a fait l’objet les a de la même façon unis par les liens du mariage.
69 Ainsi que des villes où elles vivent : « Si femme et ville sont le reflet l’une de l’autre, comme on l’a vu en examinant la description de l’Île d’Or, Blonde Esmerée, dont le nom même rappelle celui de l’Île d’Or, n’en serait-elle pas, autant que Blanches Mains, une émanation ? Quant à cette dernière, n’entretient-elle pas des rapports obscurs mais certains avec la Gaste Cité ? » (Michelle Szkilnik, « Villes et châteaux dans Le Bel Inconnu », op. cit., Publications de l’université de Pau, vol. 7, 1996, p. 43).
70 Romaine Wolf-Bonvin, op. cit., p. 203.
71 Vers 393 à 397. Bertil Malmberg dans son édition (p. 24-25) justifie cette méprise par l’existence d’une rédaction antérieure du roman, qui sera également le modèle du Roman de la Violette, dans lequel, en revanche, la scène de bain est capitale.
72 Voir le motif de la toilette, page 235 et suivantes.
73 Vers 371.
74 Tristan de Béroul, vers 2027-2048.
75 Vers 539 à 550.
76 « Qui la veïst les vint puceles / Ronpre lor crins et lor maiseles ! » (v. 461-462).
77 Voir aussi plus loin : « Sous s’esclavine a mis s’espee / Qui de fin or estoit heudee. » (v. 787-788).
78 Voir page 208 et suivantes.
79 La coiffure de Rose n’est pas sans évoquer celle d’Iseut menée au bûcher : « Si chevel hurlent a ses piez, / D’un filet d’or les ot trechiez. » (Tristan de Béroul, v. 1149-1150) ou traversant le gué du Mal Pas : « Sor ses espaules sont si crin, / Bendé a ligne sor or fin. / Un cercle d’or out sor son chief, / Qui empare de chief en chief, » (Tristan de Béroul, v. 3907-3910).
80 Voir page 212 et suivantes.
81 Vers 5 de Cligès.
82 Pour une description de la flèche d’amour, voir aussi : « Ta saiete ne set faillir, / Vers lui ne puet nulz home garir. / Sans doleur fais traire souspir, / Sans sanc espandre fais palir. / Li fers de ton dart porte feu, / Souspirs, la fleche dou mileu. / Li fers navre dou regarder, / Et la fleche coule el penser. / Li penon font les apareulz, / La coiche ajouste ses conceulz. » (Pyrame et Thisbé, v. 29-38). Pourquoi ne pas supposer que Tristan portant d’une main les tresses du traître et de l’autre ses propres flèches ait inspiré l’image ? (« En sa main tint ses deus seetes, / En l’autre deus treces longuetes. » (Tristan de Béroul, v. 4423-4424).
83 Voir l’analyse d’Alice Colby: « First, an expressive comparison showing the resemblance between the feathers and something that is gilded strengthens the metaphorical tie that binds the hair and the feathers; and the golden color of both is intensified by tuit and stressed by the rhyme. Then, hyperbole enters with the statement that the color was not produced by gilding since the feathers gleam more than any gilded object; and the superiority of the sheen of the feathers is stressed by the rhyme word ancores and by the breaking of a couplet. Finally, the submetaphor is expressed in its full form so that no listener will fail to grasp it. » (The Portrait in Twelfth-Century French Literature, p. 152). Raoul de Houdenc se souviendra probablement de Cligès (dont il imite la rhétorique amoureuse) dans Méraugis de Portlesguez : « Mes la pucele avoit le chief / De bele assise, et li chevoel / Plus sors que penes d’orioel, » (v. 22-24).
84 Nous avons pris la liberté de souligner la graphie or et de mettre en caractère gras les éléments commentés.
85 « Toute description est peut-être, sous une forme ou sous une autre, une sorte d’appareil métalinguistique interne amené fatalement à parler des mots au lieu de parler des choses, et cela du fait de l’importance donnée d’une part au lexique du travail (lexique d’autres savoir-faire technologiques), d’autre part au travail sur le lexique (savoir-faire de l’écrivain). » (Philippe Hamon, Du descriptif, p. 78).
86 La mise en prose bourguignonne du xve siècle appauvrit très nettement la richesse phonétique du passage : « Et puisque Raison me denonce que il me convient une fois acquitier envers Amourz, je ferai ce que mon nom m’enseigne. Car ’sore’vault autant a dire comme couleur de l’or, qui plus est sor et plus est affiné, et l’aultre partie ’damours’avec ce premier mot ’sore’doit estre dit ’sororee d’amours’, c’est-à-dire la plus especialle qui jamés fut touçant les fais d’amours. » (Le Livre de Alixandre empereur de Constentinoble et de Cligés sonfilz, ch. x, p. 78).
87 Cet adjectif présente un condensé poétique saisissant de la comparaison de la chevelure avec l’or puisque, provenant du bas latin superauratu signifiant doré (Gustave Ott, Étude sur les couleurs en vieux français, p. 73), il laisse entendre l’adjectif sor. Il aurait très bien pu remplir la fonction de prénommer Soredamour, à l’instar de ce personnage de La Chanson des Saisnes de Jehan Bodel : « Drus estoit Sororee la courtoise pucele. » (Rédaction AR, v. 2440).
88 « Il joue un jeu joyeusement : Chrétien et l’adnominatio », Chrétien de Troyes : le Chevalier de la Charrette (Lancelot), Le « Projet Charrette » et le renouvellement de la critique philologique des textes, Œuvres et Critiques, xxvii, 1, Tubingen, Gunter Narr, 2002, p. 70-82. Définition donnée de cette figure de style : « La répétition de racines de mots latins fléchies de diverses manières. Les mots doivent apparaître au sein de vers peu distants les uns des autres (approximativement cinq lignes au maximum). Les permutations d’un même mot dans un cas, un temps ou un genre différent ne constituent pas une adnominatio, les variations des verbes auxiliaires (avoir et estre) non plus. Les verbes doivent idéalement présenter une permutation de sujet. » (p. 74).
89 Le jeu « avec les syllabes or, dor, amor, sore, perd beaucoup de son artifice lorsqu’on sait quel poids les structures mentales médiévales apportent au nom, qui renvoie à l’essence de l’être, à cet être pour l’amour que choisit d’être Soredamor la bien nommée, afin d’accomplir son destin. » (Emmanuèle Baumgartner, Romans de la Table Ronde de Chrétien de Troyes, Paris, Gallimard, 2003, p. 75).
90 La broderie d’étoffes d’apparat est une activité typiquement féminine, fréquente dans la classe aristocratique : « Qui n’est mie de povre affaire / Ne de villain, mais de hault euvre ; / Car celle l’ot fait, qui bien euvre, / De fil de soie et de fil d’or : / C’est Gente la belle au chief sor, / Qui la langue ot mise en errour. » (Galeran de Bretagne, v. 510-515).
91 Voir page 129 et suivantes.
92 Voir page 224 et suivantes.
93 Voir pour Guenièvre v. 4165-4255 et pour Lancelot v. 4256-4404. Les deux monologues se retrouvent aussi dans la mise en prose bourguignonne du xve siècle, moins développés toutefois que chez Chrétien.
94 Voir « Androit de moi jurer porroie / Que rien plus ne desirreroie,/ Que seuls les penons et la coche / Ne donroie por Antioche. » (Cligès, v. 795-798).
95 Voir les verbe aorer et ancliner dans les vers 1611 à 1615 : « Quant cele li conte et devise / La feiture de la chemise, / Que a grant poinne se retarde, / La ou le chevolet regarde, / Que il ne l’aore et ancline. » (Cligès, v. 1611-1615).
96 La pratique consistant à utiliser les cheveux comme matériau de confection d’objets ne date donc pas de la fin du xixe siècle, époque où elle devient une pratique à la mode. Mary Trasko rapporte ainsi que, dans l’Angleterre victorienne, « une orfèvrerie d’un genre bien particulier faisait fureur : les bibelots en cheveux, minutieusement réalisés d’après modèle ». Les cheveux étaient ainsi tricotés ou crochetés pour former des chaînettes. La grande exposition de Londres en 1851 met en vedette un service à thé entièrement tissé en cheveux. Mary Trasko ajoute que « dans la nouvelle de Balzac, Autre étude de femme, un jeune homme est touché de recevoir de celle qu’il aime un ensemble de mouchoirs brodés en cheveux, qu’il croit être de sa main. Sa déception est grande lorsqu’il découvre, exposés dans la vitrine d’une boutique, des lots entiers de ces articles très à la mode, le commerçant lui apprenant de surcroît que sa femme les a elle-même confectionnés. » Voir La Comédie humaine, iii, p. 678-684 (Histoire des Coiffures extraordinaires, p. 94-95). Ces mouchoirs non pas brodés d’or mais de cheveux présentent, au-delà des siècles qui les séparent, une intéressante parenté avec la chemise d’Alexandre.
97 Romances et pastourelles françaises des xiie et xiiie siècles, I, p. 40.
98 « La valeur de la chemise réside avant tout en ses qualités d’artifice et d’épreuve. Les techniques, les matériaux employés lors de sa fabrication, leur détection par un tiers intéressé, voilà ce qui en fait le prix. » (Michelle Freeman, « Transpositions structurelles et intertextualité : le Cligès de Chrétien », Littérature n° 41, février 1981, Paris, Larousse, p. 50-61, trad. Éric Hicks, p. 53). En revanche, dans le Cligès en prose, la notion même d’épreuve est occultée puisque Soredamour cherche tout simplement à vérifier lequel, du cheveu ou du fil d’or, sera le plus résistant dans le temps ! La péoccuppation se fait bassement matérielle : « Et la reyne Genievre, qui bien amoit Alixandre d’amour lealle, prinst a son escrin une rice chemise belle et blance, toute de soye, et l’avoit faicte Soredamours a coutures d’or, si y avoit enlacié ung chevel avec le fil d’or pour savoir lequel dureroit le plus, ou l’or ou le cheveil. » (Le Livre de Alixandre empereur de Constentinoble et de Cligés son filz, roman en prose du xve siècle, ch. xii, p. 81).
99 Michelle Freeman, art. cit., p. 52.
100 Michelle Freeman, ibid., p. 54.
101 Il faut ajouter que Soredamour manque elle aussi à ses devoirs. Au moment où elle reconnaît son cheveu sur le vêtement de son amant, elle se perd en considérations sur la façon de s’adresser à lui et est finalement interrompue dans ses réflexions par l’arrivée de la reine (« Einsi ont molt longuemant sis, / Tant qu’a son braz et a son col / Vit Soredamors le chevol / Dom ele ot la costure feite. [...] An cest panssé tant se sejorne / Que la reïne s’an retorne / Del roi qui mandee l’avoit. » (v. 1376-1379 et v. 1413-1415). Alexandre sera informé de la composition de la chemise une centaine de vers plus loin.
102 Ce qui, en soi, relève déjà de l’hyperbole même si l’amplification est moindre.
103 Emmanuèle Baumgartner, Romans de la Table Ronde de Chrétien de Troyes., p. 79 et 81.
104 Voir les vers 1560 à 1615.
105 Guignier signifie faire des signes.
106 Au sens où l’emploie Algirdas J. Greimas dans Sémantique structurale, recherche de méthode, Paris, Larousse, 1966, p. 172-191.
107 « Ce roman a été conçu comme une réponse au Tristan [de Thomas]... Cligès est un Anti-Tristan par une évidente intention polémique, et un Hyper-Tristan par un effort non moins manifeste de dépassement. Le mieux est de le considérer comme une version revue et corrigée, un Néo-Tristan. » (Jean Frappier, Chrétien de Troyes, Paris, Hatier, 1968, p. 107-108). Nous avons donc montré que ce n’est pas uniquement dans l’histoire de Cligès et Fenice que se discerne l’influence du Tristan, mais dès l’aventure des parents.
108 Ou que l’étoffe brodée de Fresne (Galeran de Bretagne, v. 3955).
109 Voir le poème de Thomas (v. 1413-1428) ainsi que la saga norroise (dont on peut lire la traduction de l’épisode par Daniel Lacroix dans Tristan et Iseut Les poèmes français, La saga norroise, p. 622).
110 Michelle Freeman, art. cit., p. 55.
111 Ibid., p. 57.
112 Ibid., p. 53.
113 Voir les vers 2358 à 2366 : « Einz que furent passé troi mois, / Soredamors se trova plainne / De semance d’ome et de grainne ; / Si la porta jusqu’a son terme. / Tant fu la semance an son germe / Que li fruiz vint en sa nature / D’anfant ; plus bele criature / Ne pot estre ne loing ne prés. / L’anfant apelerent Cligés. » La métaphore filée du monde végétal renforce l’impression de vitalité donnée par ce passage.
114 Lancelot est d’ailleurs textuellement convoqué au vers 4751.
115 Comme l’indique le vers 1639.
116 À propos de Soredamour: « this heroine has shaped in cloth -indeed, sewn into the two sleeves and collar of a chemise- a material version of herself that records female desire in courtly love. » (E. Jane E. Burns, Courtly Love Undressed, p. 65).
117 Débordements en partie gommés par la mise en prose bourguignonne du xve siècle : « Et quant il est a son recoy, il se desvest et cent mille fois baise et acolle sa chemise, et mesmes par nuyt il la couce entre ses bras, disant qu’il est le plus heureux chevalier du monde. » (Le Livre de Alixandre empereur de Constentinoble et de Cligés son filz, p. 89).
118 Don Alfed Monson, « La ’surenchère’chez Chrétien de Troyes », Poétique, n° 18, 1987, p. 232.
119 Don Alfed Monson, ibid. , p. 232.
120 Michelle Freeman, art. cit., p. 52.
121 Vers 1350 à 1505.
122 Il est intéressant de remarquer l’apparition du nom propre Ysoré, faisant référence à un géant des temps barbares ayant précédé l’époque d’Arthur, qui apparaît également dans la chanson de geste Le Moniage Guillaume sous les traits d’un roi sarrasin sans pitié. Cette allusion, purement gratuite en apparence, pourrait se justifier du point de vue sonore si l’on songe que ce nom réunit la référence à Iseut et l’adjectif doré, tous deux bienvenus dans un contexte d’évocation de la chevelure. Par ailleurs, le prez du vers 1351 annonce celui, métaphorique cette fois, où poussent les cheveux de la reine.
123 La fée à la fontaine, se coiffant à l’aide d’un peigne (parfois d’ivoire, parfois d’or) et oubliant ensuite son précieux accessoire, se révèle un motif courant et sujet à de multiples variations : « Ainsi que les sirènes et les fées des contes, les dames des fontaines se plaisent à venir se peigner sur leurs bords. Aux environs de Condé, on avait soin de s’écarter à la nuit close de la Fontaine aux Dames. Un paysan qui passait auprès vit une jeune fille vêtue de blanc sur une pierre mousseuse. Elle ne paraissait pas l’apercevoir et démêlait ses beaux cheveux blonds. Le paysan s’arrêta d’abord, surpris ; mais comme il était trop avancé pour reculer, il continua de cheminer, et quand il fut en face de l’apparition, il dit : « Ma belle demoiselle, vous êtes de bonne heure à votre toilette. » La fille leva sur lui un regard froid qui le glaça en disant : « Passe ton chemin ; si le jour est à toi, la nuit est à moi ; » et elle se remit à peigner son opulente chevelure. Plusieurs récits de Basse-Bretagne parlent de fées qui viennent se coiffer au bord des fontaines ; près de celle de Keranborn, on voyait, la nuit, une chandelle allumée, et une belle fée, en robe blanche, assise près de l’eau, et tenant un peigne d’ivoire. Dans le pays basque, la veille de la Saint-Jean, à minuit, une Llamigna démêlait ses cheveux avec un peigne d’or, puis se lavait à la Fontaine Juliane. Un homme aperçut le matin dans le Pré des Lamignac, une belle dame qui se peignait ; celle-ci le vit aussi et elle disparut comme une vapeur. L’homme, arrivé près de la fontaine, trouva un beau peigne d’or qu’il emporta chez lui. Une fée venait chaque nuit se parer sur le bord de la Fontaine d’Argent ; surprise par une jeune fille avant le lever du soleil, elle se cacha dans la fontaine en oubliant son peigne d’or. La jeune fille y étant revenue une autre fois au point du jour, la fée sortit de l’eau, et lui dit que si elle consent à le lui rendre, elle trouvera cinq livres au bord de la fontaine chaque fois qu’elle y viendra, à la seule condition de ne révéler ce secret à personne. » (Paul Sébillot, op. cit., t. ii, p. 200).
124 La mise en prose du texte explicite (et appauvrit ?) ce motif présent en creux puisque Lancelot n’y découvre pas les cheveux sur la margelle d’une fontaine mais les reçoit en cadeau de la reine elle-même (Lancelot en prose, t. ii, p. 464).
125 Emmanuèle Baumgartner, Yvain, Lancelot, la charrette et le lion, p. 50.
126 Voir par exemple le Lai de Désiré, v. 144-147.
127 Emmanuèle Baumgartner, op. cit., p. 50.
128 Voir les v. 1363-1366.
129 Voir les v. 556-569.
130 Emmanuèle Baumgartner, op. cit., p. 50.
131 Francis Berthelot, Le Corps du héros. Pour une sémiotique de l’incarnation romanesque, p. 43.
132 La triple répétition de l’adverbe intensif si associée à l’emploi des qualificatifs mélioratifs habituels : « Si biax, si clers et si luisanz, » (vers 1424) contribue à créer l’image d’une chevelure parfaite emblématique du corps de Guenièvre.
133 C’est encore plus évident lorsque Pyrame découvre la guimpe ensanglantée de Thisbé qu’il s’imagine dévorée par un lion : « Tel duel et tel priere faite, / Puis emprez a s’espee traite, / Si a la guimple sus levee / En son la more de l’espee : / Bese la guimple aveuc le sanc, / Tresperce soi par mi le flanc, / Tres que de l’autre part dou cors / Fet aparoir l’espee fors. / La ou il muert, baise la guimple. / Si fete amour a mort le simple ! » (Pyrame et Thisbé, v. 747-756).
134 Voir les vers 1467-1468 : « N’en preïst pas chargié un char / D’esmeraudes ne d’escharboncles ».
135 Voir les vers 4270-4271 : « Et s’ele a lui grant amor ot / Et il cent mile tanz a li » et les v. 4684-4685 : « Que il lor avint sanz mentir / Une joie et une mervoille ».
136 « L’or des cheveux, qui, au bout de la nuit obscure, fait luire le plus beau jour de l’été, le tremblement des sens au contact d’une autre intimité, l’enthousiasme de l’amant qui a fait de son corps le reliquaire de son Dieu, une vénération qui défie les vertus des pierres, les formules de la magie et l’intercession des Saints, tout préfigure la joie suprême qui lui sera réservée. » (Charles Méla, La Reine et le Graal, p. 294).
137 Voir aussi le vers 4084 : « Or soit a son comandemant » qui, reprenant une parole christique adressée au Père, l’applique à Lancelot au sujet de la reine.
138 Philippe Rigaut, Le fétichisme, Perversion ou culture ?, Paris, Belin, 2004, p. 17. Pour davantage de précisions, se référer à la définition du fétichisme donnée par Paul-Laurent Assoun dans Le fétichisme, Paris, Presses Universitaires de France, 1994, p. 4.
139 Op. cit., t. ii, p. 200.
140 Paul Sébillot, op. cit., note 39, p. 26-27.
141 Voir les vers 4494-4497 : « Molt a grant enviz i montastes / Quant vos demorastes deus pas. / Por ce, voir, ne vos vos je pas / Ne aresnier ne esgarder. »
142 « En l’espece de la forest / a fait de li ce que li plest. / Quant il en ot fet son talent, / merci li prie dolcement, » (Lai de Graelent, dans Lais féeriques des xiie et xiiie siècles, éd. Alexandre Micha, Paris, Flammarion, 1992, p. 18-61, v. 281-284). Voir aussi la tentative de viol perpétrée par Désiré : « Li chevalers n’ert pas vileins ; / a pié desent, si l’a saisie, / il en vodra fere s’amie ; / sur la freche herbe l’ad cochee, / jo quid qu’il l’eüst asprisvee / quant ele li cria merci : » (Lai de Désiré, v. 144-149).
143 Charles Méla, op. cit., p. 295.
144 Ibid., p. 294.
145 Ibid., p. 295.
146 Ibid., p. 295.
147 Ibid., p. 295.
148 « L’habileté de Chrétien dans la Charrette n’aurait-elle pas été précisément de se situer d’une manière beaucoup plus continue encore que dans le Chevalier au lion sur la ligne ondoyante où l’excès, l’hyperbole amoureuse et chevaleresque, peuvent tout aussi bien susciter le rejet agacé, le sourire amusé ou sceptique qu’imposer à la rêverie admirative ou nostalgique la figure hors normes de l’amour fou ? » (Emmanuèle Baumgartner, Yvain, Lancelot, la charrette et le lion, p. 69).
149 « Chrétien did not reject the scholastic models of his predecessors in romance fiction; rather, he incorporated them, with astonishing brilliance and à propos, into a new and wonderful matiere of Celtic provenance » (Douglas Kelly, « The Art of Description », The Legacy of Chrétien de Troyes, ed. Norman Lacy, Douglas Kelly & Keith Busby, Amsterdam, Rodopi, 1987, p. 206).
150 Emmanuèle, Baumgartner, Yvain, Lancelot, la charrette et le lion, p. 20.
151 Ibid., p. 50.
152 « Description is, therefore, the articulation of matiere and san that we associate with conjointure in Chrétien’s romances. What was before dismembered and corrupt or incomplete (depecier and corronpre in the Erec Prologue) is made whole and coherent. The integration and articulation of sources and descriptive developments may occur through juxtaposition or amalgamation » (Douglas Kelly, art. cit., p. 193).
153 « – Certes, fait li chevaliers, ce fu le plus bel pigne que jou onques veisse et si ot plains les grans dens et les menus des cheveus la roine. – Se vous me mostrés le pine, fait Lancelos, jo mosterrai le mien paage. [...] Atant sont venu au perron et Lancelos voit le pigne, si n’a tant de pooir qu’il le prenge, ains est del veoir si esbahis que mot ne dist. Et li œil li esbloïssent si qu’il oublie tous ou il est et por poi qu’il ne se pasme, et fust a tere cheüs, se la damoisele ne l’eust tenu. Quant il fu revenus et il voit la damoisele, si li demande qu’ele voloit. « Jo vous voloie, fait ele, baillier cel pigne, car vous le voliés prendre, ce m’est avis. » Et il dist grans merchis. Il prist le pigne, si traist les chevels hors, puis li dist : « Damoisele, cest pigne me garderés vous en bone foi et ele dist : « Volentiers. » Et il prent les chevels et les met jouste sa car et bien volsist que la damoisele fust plus loing. Et por la grant joie qu’il en a dist au chevalier qu’il s’en alast tous quite, « car hautement, fet il, vous estes aquités et reans. » (Lancelot en prose, t. iii, xxxvii, 17 et 20, p. 285-287). Voir aussi la version du tome précédent : « Et quant il vienent pres del pont, si saut li chevaliers de la chauciee avant ; et quant il conoist celui de la charete, si li escrie : « Fui, fui, tu qui en la charete montas ! Par ci ne passeras tu mie, kar ta puors m’avroit ja mort. – Certes, fet li chevaliers, par ci passerai je, puis que mes passages i est. – Tu feras que fols, fet li autres. – Por quoi ? fet cil. – Foi que je doi Dieu, fet li autres, toi covendra laissier ce que je miels amerai de totes les choses que tu as ou tu combatras a moi. – Coment ? fet li autres. As tu aussi de tos cels qui par ci passent ? – Certes, fet il, oïl, neis se Artus de Bretaigne i passoit. Et de sa feme meismes oi hui le passage assés gent et bel. – Et que fu ce ? » fet cil de la charete. Et il li montre un perron el chief de la chaucie. « Certes, fet cil, sor cel perron de la porras trover le plus bel pigne que tu onques veissies, et sont plaines totes les dens des chevels la roine qui assés sont bel ; mais ne doivent pas estre veu d’ome qui a esté en charete, si com tu as. – Quiels que je sois, fet il, tote voie le verrai je. [...] Cil le fet a molt grant paine, mais totes voies l’otroie a force ; si le maine al perron, si li baille le pigne. Et cil le regarde si dolcement que tos s’en oblie ; puis a levé le pan de son hauberc, si le fiche en son sain et les chevels avec et dist al chevalier que tos quites s’en aille, kar assés richement s’est raiens. Et cil en est molt liez et si s’em part. » (Lancelot en prose, t. ii, xxxvii, 16-17 et 20).
154 Le chevalier joue le même rôle que la demoiselle qui convoitait le peigne. Celle-ci est d’ailleurs présente mais ses paroles sont inversées : au lieu de dire par délicatesse au chevalier qui s’est évanoui qu’elle s’est approchée de lui parce qu’elle voulait prendre le peigne pour elle, elle lui dit ici qu’elle venait lui donner le peigne. Lancelot lui demande alors de le conserver pour lui.
155 Tel le cheveu d’Iseut, transmis par Marc à Tristan.
156 À moins que l’on ne considère avec Ollivier Errecade cette maladie comme annonciatrice de la déchéance à venir de Lancelot : « Cet épisode de perte doit se lire parallèlement au songe d’Arthur qui soigna que tout li cavel li caoient de la teste et tout li poil de la barbe (t. vii, p. 434). Ce songe préfigure la chute d’Arthur et la perte de son royaume. » (« [...] il ne li est remés [...] chevel en teste La calvitie de l’amant de Guenièvre dans le Lancelot en prose », dans La Chevelure dans la littérature et l’art du Moyen Age, p. 147).
157 Voir page 224 et suivantes.
158 La mise en caractère gras est de notre initiative.
159 Eustache Deschamps a beau citer une liste de chauves célèbres, il n’en conseille pas moins à ses lecteurs chauves d’acheter un postiche.
160 Art. cit., p. 149.
161 Ibid., p. 150.
162 Ibid., p. 148.
163 « De ce point de vue, la calvitie du personnage s’inscrit alors dans une logique du péché et du châtiment propre à susciter une interrogation religieuse et au-delà une certaine crainte mystique. » (ibid., p. 151). C’est une interprétation opposée que propose Mireille Demaules : « En revenant à la vie [après son empoisonnement], il subit une mue qui évoque les récits de saints ou de martyrs. Ces reliques de lui-même adressées à Guenièvre apparaissent dès lors comme le signe d’une purgation accomplie, l’avertissement à la dame que son destin obéit à une injonction plus mystérieuse que celle de la passion humaine, car en perdant sa peau, ses ongles et ses cheveux, Lancelot perd du même coup les attributs de sa séduction, comme si toute jouissance lui était désormais interdite. Le château du Graal n’est en effet pas très loin. » (« Lancelot et l’envenimement : une rêverie tristanienne », dans Lancelot, sous la direction de Mireille Séguy, Paris, Autrement, 1996, p. 88). À notre avis, si les saints revêtent peu à peu une apparence qui exprime leur cheminement intérieur, la métamorphose subite du corps de Lancelot ne signifie pas que son âme soit libérée de ses démons.
164 Mireille Demaules rapproche également « la lèpre factice qui tuméfie le visage de Tristan, déguisé en lépreux pour approcher Yseut incognito » de la maladie de peau de Lancelot. (art. cit., p. 90).
165 « Le traitement courtois du thème des Amazones d’après trois romans antiques : Enéas, Troyes et Alexandre », Le Moyen Âge, n° 89 (1983), p. 83-84.
166 Paul Valéry, Poésies, Paris, Gallimard, 1929, p. 33.
167 Sur la vogue des références à Valère Maxime à la fin du Moyen Âge, se reporter à l’article de Florence Bouchet « Les jeux littéraires avec l’autorité de Valère Maxime aux xive et xve siècles » dans Les Autorités : Dynamiques et mutations d’une figure de référence à l’Antiquité, éd. Didier Foucault et Pascal Payen, Paris, Jérôme Millon, 2007, p. 297-312.
168 « Assyriorum regina, cum ei circa cultum capitis sui occupatae nuntiatum esset Babylona defecisse, altera parte crinium adhunc soluta protinus ad eam expugnandam cucurrit ; nec prius decorem capillorum in ordinem quam urbem in potestatem suam redegit. Quocirca statua ejus Babylone posita est ilio habitu, quo ad ultionem exigendam celeritate praecipiti tetendit. » Sémiramis, reine d’Assyrie, était occupée à sa coiffure, lorsqu’on l’informa de la révolte de Babylone. Aussitôt, avec une partie de ses cheveux encore dénoués, elle courut l’assiéger et ne voulut point achever s’arranger sa chevelure qu’elle n’eût replacé la ville sous son autorité. C’est pourquoi on lui éleva à Babylone une statue qui la représentait telle qu’elle était au moment où elle s’était précipitamment élancée pour punir la rébellion. (Actions et paroles mémorables, t. ii, ix, ch. 3, ext. 4, p. 312-313). L’anecdote est reprise – dans une intention politique cette fois – par Alain Chartier dans Le Quadrilogue invectif : « Semiramis de Babiloine laissa bien a moicyié ses cheveulx a peigner, quant en les peignant on lui denonça la rebellion de sa cité, et demoura l’atour de son chief demy a point et demy desordonné jusques a ce qu’elle eust par povoir d’armes sa cité mise en subjection. » (éd. E. Droz, Paris, H. Champion, 1923, p. 14).
169 Diodore de Sicile, Bibliothèque Historique, Paris, Les Belles Lettres, 2003, éd. Bernard Eck, t. ii, livre II, IV, 3-4.
170 Ctésias, Histoires de l’Orient, Paris, Les Belles Lettres, 1991, p. 33.
171 Beauté devenue proverbiale au Moyen Âge comme le montre cet extrait de Floris et Lyriopé de Robert de Blois : « Sa beauté briemant vos devis. / Florance ne Semiramis, / Se croire volez verité, / N’orent andui tant de beauté. » (v. 350-353).
172 Ctésias, op. cit., p. 34 et Diodore de Sicile, op. cit., t. ii, livre ii, iv, 5.
173 Ctésias, op. cit., p. 36 et Diodore de Sicile, op. cit, t. ii, livre ii, vii, 1.
174 Ctésias, op. cit., p. 36-40.
175 « Haec, libidine ardens, sanguinem sitiens, inter incessabilia et stupra et homicidia, cum omnes quos regie arcessitos, meretricie habitos, concubitu oblectasset occideret, tandem filio flagitiose concepto impie exposito inceste cognito priuatam ignominiam publico scelere obtexit. » dont voici la traduction de Marie-Pierre Arnaud-Lindet : « Brûlante de désir, assoiffée de sang, au milieu de la succession sans fin des débauches et des meurtres, alors qu’elle tuait tous ceux qu’elle avait séduits dans sa couche, après les avoir mandés à la manière d’un despote et traités à la manière d’une courtisane » (Histoires contre les païens, Les Belles Lettres, Paris, 1990, t. i, livre i, 7).
176 Selon la légende rapportée par Orose (op. cit., t. i, livre ii, 3, 1).
177 Voir Ctésias, op. cit., p. 38.
178 Quand Christine de Pizan reprend l’anecdote relatée par Guillaume de Machaut dans La Cité des dames, juste avant de s’intéresser aux Amazones (Le Livre de la Cité des dames, éd. Thérèse Moreau et Éric Hicks, Paris, Stock, 1986, à partir du vers 17642), elle se contente d’évoquer une statue militaire qui tenant une épée et aux cheveux à moitié tressés. Cette statue est faite de cuivre doré si bien que les cheveux de Sémiramis trouvent là une blondeur dont il n’était pas question chez Guillaume de Machaut.
179 Voir p. 247-248.
180 Voir par exemple le folio 312 du manuscrit FR 22532 représentant une sirène (buste de femme et queue de poisson) à la longue chevelure tenant à la main un peigne et un miroir (Barthélemy l’Anglais, Livre des propriétés des choses).
181 Voir page 235 et suivantes.
182 Anecdote citée par Valère Maxime dans Actions et paroles mémorables, livre 4 : « elle a renoncé à la beauté exceptionnelle de son corps en l’échangeant contre une allure virile à laquelle elle se plaisait. C’est qu’elle a coupé ses cheveux, elle s’est habituée à monter à cheval et à porter les armes pour partager plus aisément ses fatigues et ses dangers ».
183 Aimé Petit, art. cit., p. 65.
184 Aimé Petit, art. cit., p. 75-76.
185 Aimé Petit, art. cit., p. 83.
186 Voir l’ouvrage de Catherine Croizy-Naquet : « À la suite de l’enseignement dispensé dans les écoles, les Artes distinguent deux paramètres antithétiques : l’éloge et le blâme. Or, dans les romans antiques, une nouvelle catégorie est instaurée, celle de l’insolite à travers le portrait de créatures extraordinaires, humaines le plus souvent, sans qu’aucun jugement moral explicite n’accompagne toujours ces descriptions. » et « » Dans les deux romans, la description des Amazones se distingue nettement de celle des héroïnes plus classiques, où seul l’éloge de la beauté créait la dynamique descriptive. À l’intention élogieuse se juxtapose l’intention d’émerveiller. » (Thèbes, Troie et Carthage, p. 163-164).
187 « Vers l’ost chevauchoit la meschine ; / cheveuls ot blois jusqu’a ses piez, / a .I. fil d’or furent treciez. » (Le Roman d’Enéas, v. 4095-4097).
188 Pour un autre exemple de remplacement de la blondeur manquante par un accessoire doré, on se reportera avec profit à la description dans Le Roman de Ponthus et Sidoine d’une vieille demoiselle portant « un large chasle d’or sur son chef gris » (p. 54). Le châle confère alors l’illusion de la blondeur et donc de la jeunesse à la femme.
189 Œuvres complètes, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1991, t. ii, p. 1013.
190 La Chevelure dans la littérature et l’art du Moyen Age, p. 239-254.
191 Contribution à l’étude des fabliaux. Variantes, remaniements, dégradations, Neuchâtel-Genève, Droz, 1960, t. I, p. 96-98.
192 « Lors l’a mise hors de l’osté » (vers 152).
193 « Ne gerroiz mais lez mon costé ! » (vers 151).
194 « Lors l’a la dame as cheveus pris / et fait senblant que bien le tiegne » (vers 126-127).
195 « Jadis avint qu’uns chevaliers / Preuz et cortois et beaus parliers / Ert saiges et bien entechiez ; » (vers 1-3).
196 Le singulier « la trece » du vers 227 est imputable à une correction de la rime imparfaite entre un nom au singulier et un autre au pluriel. L’ensemble du texte fait cependant référence à deux tresses.
197 Le verbe « honnir » insiste sur cet aspect dans la première version : « Et quant dou battre fu lassez, / Ne li fu mie ancor asez : / Son cotel prist isnelement, / Puis a juré son sairement / Que il la honniroit dou cors. / Lors li tranche les treces fors, / Au plus pres qu’il pot de la teste. » (Les Tresces I, v. 168-173). Voir aussi : « Je vos cuidai bien toute voie / Avoir honie a touz jors mais / Et les treces cospees pres, » (Les Tresces I, v. 255-257).
198 La référence à la mort est encore plus nette dans la première version : « Et de ses treces ot tel duel / Morte vossist estre a son vueil. » (Les Tresces i, v. 184-185).
199 Pour comparaison, on lira dans Perlesvaus l’épisode du château des barbes qui met en évidence l’attachement jusqu’à la mort du chevalier à sa longue barbe : « Et por ce a il non issi, q’il covient chascun chevalier qui par devant trespasse lessier sa barbe ou chalengier. Si i chalegé la moie, fait le chevalier, en tel maniere que je en criem morir. – Par mon chief, fait Lanceloz, ce ne tien je pas a coardise, puis que vos fustes hardiz de vostre vie metre en aventure por vostre barbe chalengier. » (branche vi, p. 190). La longue barbe, symbole de virilité, équivaudrait sentimentalement à la longue chevelure féminine. Le roi Rion des Îles se compose un manteau de toutes les barbes des rois qu’il a conquis ; il aimerait achever son manteau en y ajoutant au col celle d’Arthur (Voir la Suite post vulgate du Merlin, 298, p. 1101 et 727, p. 1537).
200 C’est le sens de la promesse à l’amie trompée, cacher le meschief aux curieux : « Mais la dame jure et afiche / Qu’a toz jorz mais la fera riche, / Ne ja douter ne li estuet / Des tresces – se trouver les peut – / Que si bien ne li mete el chief / Que ja n’en savra le meschief / N’ome ne feme qui la voie. » (v. 237-243).
201 « Si a coupé a un cheval / La queue, au meillor de l’estable. [...] / Ainsi la dame a escorté / Le cheval, si a aporté / La queue au chevez son seignor. » (v. 264-271).
202 « Maintenant le coissin sozlieve, / Mais a poi li cuers ne li crieve / Quant il a trovee la queue. » (v. 383-385).
203 « ’Dame, fait il, ne prenez pas / A mon forfet ne a mes diz : / Ge vos en cri por Dieu merciz ! » (v. 404-406).
204 Françoise Laurent, art. cit., p. 242.
205 Dès les vers 15 à 17 : « Il ot feme de grand paraige, / Qui avoit mis tot son coraige / A un chevalier du païs. »
206 « Maintenant la dame en envoie / Son ami a grand aleûre ; / Puis saut et deslie la mure, » (v. 130-132).
207 « Un tel engig avoit trové : / Ja mes n’orroiz parler de tel ! / Quar el s’en voit a un ostel / Ou une borjoise menoit, / Qui en beauté la resanbloit ; » (v. 160-164).
208 « Lors a sa mein au chavez mise : / Les treces trueve, ses en trait. […] / Ainsi la dame a escorté / Le cheval, si a aporté / La queue au chevez son seignor. » (v. 258-271).
209 Ibid., p. 241.
210 « Sire, voez vos a Vendosme » (vers 412).
211 Françoise Laurent, art. cit., p. 241.
212 Voir le vers 164.
213 Françoise Laurent, art. cit., p. 243.
214 « Puis saut et deslie la mure, / Si l’a par les oreilles prise / Et por mielz entreprise / Li boute en la cuve la teste. » (vers 132-135). Cette posture évoque d’ailleurs l’attitude de l’autruche refusant de voir ce qui est manifeste.
215 « Et vient a la chanbre aval, / Si a coupé a un cheval / La queue, au meillor de l’estable. » (vers 263-265).
216 « Si li a coupee la trece, / Dont el a au cuer grand destrece, / Si que ses plors entroublia. / Tant a ploré qu’afebloia / Le cuer, que par poi ne li part. » (v. 227-231).
217 La mule est en effet issue de l’accouplement adultérin d’un âne et d’une jument. De plus, cet animal stérile, qui prend la place de l’amant dans la cuve, illustre bien la recherche du plaisir pour lui-même, sans intention fécondante. On peut aussi penser au paradis des mulets où se reposera Renart, sans doute entouré d’autres prestigieux trompeurs : « L’ame en ira a reculons / En paradis o les mulons, / Illuec o les asnes iront / Quant de cest siecle partiront. » (Le Roman de Renart, branche xviii, v. 994-997). La mule symbolise donc à la fois la luxure et la tromperie, bien digne en cela de l’héroïne des Tresces.
218 Françoise Laurent, art. cit., p. 244.
219 Histoire des animaux, éd. Jules Tricot, Paris, Vrin, 1987, vi, 18 (572 b), cité par Françoise Laurent, art. cit., p. 244.
220 Brunetto Latini, Li Livres dou Tresor, éd. Francis J. Carmody, University of California Press, Berkeley and Los Angeles, 1948, 1.1, ch. clxxxvi, p. 163, cité par Françoise Laurent, ibid., p. 244.
221 Guillaume au faucon, dans Nouveau recueil complet des fabliaux, publié par Willem Noomen & Nico Van Den Boogard, Pays-Bas, Assen, Van Gorcum, 1994, t. viii, v. 605.
222 « La queue et le cheveu » dans La Chevelure dans la littérature et l’art du Moyen Age, op. cit., p. 199.
223 Le Chevalier de la Charrette, v. 725-729.
224 Françoise Laurent, art. cit., p. 244.
225 Voir les vers 1 à 14.
226 Pour une transformation similaire de l’amant raffiné en brute violente, voir dans Le Conte du Papegau : « Quant le Chevalier du Papegau vist qu’il pot faire du tout a sa voulenté de la Dame sans contredit, il la preist par maltalant par les tressez a deux mains, et l’a a terre gectee, puis luy dist : « Maulvaise putain, plaine de toute maulvaistié, or tenez ! c’est le service que vous ay promis ; car je vous ay promis hui a servir pour tout le pire chevalier qui soit en tout le monde. » [...] Lors la traïne par les tressses par toute la chambre, batant la et defoulant aux piez, […] Et quant le chevalier l’ot bien batue et defoulee, il la lassa », (p. 35).
227 Michelle Houdeville, « La queue et le cheveu », p. 197.
228 Michelle Houdeville, ibid., p. 197.
229 « Si a coupé a un cheval / La queue, au meillor de l’estable. [...] / Ainsi la dame a escorté / Le cheval, si a aporté / La queue au chevez son seignor. » (v. 264-271).
230 Françoise Laurent, art. cit., p. 248.
231 On pense aussi à la dame dans Guillaume au faucon, trompant son mari par la parole (« Bien l’a la dame deceû ! », v. 570), avant de le tromper physiquement. Dans le fabliau, la femme est essentiellement manipulatrice, de la parole et des êtres.
232 Françoise Laurent, ibid., p. 250.
233 Michelle Houdeville, art. cit., p. 200.
234 Françoise Laurent, art. cit., p. 240.
235 Françoise Laurent, ibid., p. 251.
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