Le lexique de la chevelure
p. 19-105
Texte intégral
1Avant d’amorcer ce premier chapitre consacré à l’étude du vocabulaire se rapportant à la chevelure pour la nommer ou la qualifier, il faut reconnaître ce que l’on doit à R. Boulengier-Sedyn qui a élaboré un dictionnaires des termes relatifs à la chevelure illustré par des exemples fort variés1. Amorçant (sur deux pages) une analyse du cliché blond comme or, R. Boulengier-Sedyn fut la première à s’intéresser à la chevelure dans la littérature médiévale et son travail nous a quelque peu débroussaillé le terrain. Une approche lexicologique s’impose effectivement car c’est à travers « l’examen de ses matériaux, l’étude de ses tendances, de son développement, de sa transmission et de sa diffusion, que se révèle une part non négligeable de la littérature médiévale »2. L’analyse du lexique pose donc le soubassement nécessaire aux constructions ultérieures. La comparaison de la fréquence relative des substantifs et la confrontation de leur contexte d’emploi met en évidence le champ d’application et les connotations propres à chacun. Une hiérarchie lexicale s’établit, précisée encore par l’analyse des adjectifs de couleur et d’aspect. Certaines associations étant impossibles, d’autres très fréquentes, se dessine alors un panorama des collocations3 substantif-adjectif qui pose les bases de l’étude stylistique. De même, l’étude approfondie des adjectifs qualifiant la teinte ou la frisure des cheveux déborde largement le cadre sémantique. Un sort particulier sera fait aux cheveux chenus dont la blancheur éclatante signale parfois davantage que la sagesse de l’expérience. Ces réflexions concourent, entre autres, à mettre en évidence les traits de la beauté et de la laideur idéales. Le tableau serait cependant incomplet en l’absence de la mention du voile qui dérobe ordinairement la chevelure aux regards : or, contre toute attente, l’examen des adjectifs eschevele et deslie informe moins sur la coiffure que sur la contrainte des normes sociales. En suivant l’humble chemin du lexique, on s’immisce insensiblement au cœur des textes.
Noms de la chevelure
2Un système descriptif étant « un jeu d’équivalences hiérarchisées : équivalence entre une dénomination (un mot) et une expansion (un stock de mots juxtaposés en liste, ou coordonnés et subordonnés en un texte) »4, il s’agit donc à présent d’étudier le vocabulaire employé tant pour nommer la chevelure que pour désigner son expansion, c’est-à-dire les adjectifs qui la caractérisent. La langue médiévale dispose d’un choix assez large de substantifs propres à désigner la chevelure. Certains, comme cheveux, chevelure ou teste ont pu passer dans la langue moderne tandis que d’autres, comme poil ou crin se sont spécialisés, et que d’autres tels que crine, chief ou come ont disparu tout au moins dans ce sens. Seuls cheveux et crins au pluriel prennent en compte l’individualité de ces poils spécifiques alors que tous les autres termes proposent une vision englobante de la chevelure, la considérant comme un tout5.
Cheveus
3Le latin capillus désignant le cheveu est à l’origine du terme le plus courant dans la langue médiévale pour désigner les cheveux. Sous ses innombrables graphies6, chevel compte en effet à lui seul autant d’occurrences que l’ensemble des autres substantifs avec lesquels il entre en concurrence7. Employé au pluriel, il désigne la masse chevelue comme le montre ce portrait de Fresne :
Si lui a taint les cheveux d’or, | [Nature] a teint d’or ses cheveux |
Dont elle met partie en tresse, | Dont elle tresse une partie |
L’autre a delivre et sans destresse, | Et laisse l’autre flotter librement, |
Galeran de Bretagne8, v. 1234-1236. |
4La description de cette coiffure mi-tressée et mi-lâchée se veut si précise qu’elle s’organise grâce aux mots structurants partie et l’autre qui représentent des sous-ensembles de cheveux d’or du vers 1234. C’est la chevelure dans sa totalité qui se trouve désignée. Au pluriel, cheveux peut également faire référence à une petite quantité, comme par exemple la poignée de cheveux que la reine Guenièvre a laissée dans son peigne9. Employé au singulier, chevel représente le poil spécifique poussant sur le cuir chevelu, l’unité considérée isolément :
Car autant ou plus con li ors | Car le cheveu était clair et ambré |
Estoit li chevox clers et sors. | Autant ou plus que l’or. |
Cligès10, v. 1165-1166. |
5Il s’agit ici du fameux cheveu que Soredamour a cousu en lieu et place d’un fil d’or. À titre de curiosité, notons que le diminutif chevolet11 est employé plus loin pour désigner le même cheveu vénéré par Alexandre :
Quant cele li conte et devise | D’adorer à genoux |
La feiture de la chemise, | […] il se retient à peine |
[…] a grant poinne se retarde, | De la confection de la chemise, |
La ou le chevolet regarde, | Quand elle lui fait le récit détaillé |
Que il ne l’aore et ancline. | Le petit cheveu qu’il y contemple. |
Cligès, v. 1611-1615. |
6Affectif, le diminutif note l’adoration de l’amant pour cet objet métonymique du corps de l’aimée. À la différence du latin, chevel ne s’emploie pas au singulier avec une valeur de collectif ; le seul cas pouvant relever de ce sens reste ambigu car le substantif est au féminin :
Renoars voit la seraine de mer | Dont la chevelure brillait d’une telle clarté |
Cui la chavol reluissoi tant cler, | Rainouart voit la sirène marine, |
C’a molt grant poine la puet on esgarder. | Qu’on pouvait à peine la regarder. |
La Bataille Loquifer12, v. 3976-3978. |
7Ne s’agirait-il pas davantage d’une confusion avec le féminin chevelure ?
8La spécificité de ce terme réside probablement dans sa neutralité et son absence de connotation particulière. Il s’applique aussi bien aux chevelures masculines13 que féminines, laides14 que belles. Face à une telle richesse d’adaptation, il se révèle difficile de formuler des généralités. Cependant, on remarque une certaine prédisposition à apparaître dans les scènes de déploration : le mot cheveux se rencontrera alors beaucoup plus aisément que crine15. Quand il est qualifié – ce qui advient moins fréquemment que pour les autres substantifs16 – l’adjectif le plus fréquent est sans conteste blond17, soit la collocation blond + chevel18 :
Et Marie se fille | Et Marie, sa fille, |
qui avoit blons caveuls, | qui avait les cheveux blonds |
Hugues Capet19, v. 1600 |
il avoit les caviax | il avoit les caviax |
blons et menus recercelés | blons et menus recercelés |
Aucassin et Nicolette20, chapitre ii, l. 12-13. |
9Viennent ensuite, dans l’ordre, les adjectifs sor, beau et long21 qui couvrent avec blond plus de 80 % des emplois. On remarque la rareté de bloi22, par ailleurs bien représenté pour qualifier crins, crine ou chief. On retiendra donc de cheveus qu’il est un mot-caméléon aux connotations peu marquées.
Crins
10Issu tout comme crine du latin crinis désignant soit la chevelure considérée comme un appendice du corps, soit, par analogie, la queue d’une comète, le substantif masculin pluriel crins semble un équivalent parfait de cheveux. La synonymie est telle que les deux termes désignent parfois le même référent et sont alors employés à tour de rôle pour éviter la répétition :
Dallida la malicieuse, [...] | Dalila la perverse, [...] |
Coupa les cheveuls a ses forces, | Lui coupa les cheveux avec des ciseaux : |
Dont il perdi toutes ses forces | Il en perdit toutes ses forces |
Quant de ses crins le despela | Quand elle le dépouilla ainsi de sa chevelure |
Le Roman de la Rose, v. 16681-16685. |
11Suivant l’usage du latin où le terme s’employait majoritairement pour les chevelures féminines, la langue médiévale l’emploie avec une légère préférence pour le sexe féminin. Les crins sont alors généralement qualifiés quant à leur couleur, aspect ou coiffure et il ressort de l’analyse comparée des groupes crins + adjectif que ce substantif appelle en priorité des adjectifs relatifs à la blondeur. Outre beau qui apparaît dans 25 % des groupes étudiés, ce sont les adjectifs sor (25 %), blond (21,5 %) et bloi (18 %) qui dominent :
Si crin si sont tuit auques sor, | Ses cheveux sont tous de couleur ambrée |
Par poi qu’il ne resanblent d’or, | Il s’en faut de peu qu’on les confonde avec l’or |
Blancandin23, v. 567-568 |
Durement li plot a veoir, | Il lui plut beaucoup de constater |
Qu’il avoit les crins biaus et blons, | Qu’il avait les cheveux beaux et blonds, |
A merveille les avoit lons. | Il les portait incroyablement longs. |
Le Fotéor24, v. 106-108 |
Synamonde ma soer, qui tant | Synamonde, ma sœur, qui |
a les crins blois | a les cheveux si blonds |
Batard de Bouillon25, v. 1589. |
12Cette prédominance de la blondeur est certes représentative de la description médiévale de la chevelure mais elle nous indique de surcroît que crins ne sera pas choisi pour désigner d’hideuses chevelures, ce que l’absence d’exemples adéquats dans notre corpus confirme26.
13En effet, quand on sait que crins désigne aussi au Moyen Âge le poil long et rude des animaux (sens analogique créé à basse époque) et concurrence de ce fait soies, tentante est l’hypothèse qui confinerait les emplois de crins aux chevelures crépues ou échevelées. Il n’en est rien et les deux emplois coexistent sans se contaminer. Le substantif s’applique majoritairement au cheval :
De cheval sans come et sans crins ; | De cheval sans crinière et sans poils ; |
Le Livre du Voir Dit27, v. 7076 |
Et sist sor un blanc palefroi ; | Et elle était montée sur un palefroi blanc |
Souef anbloit et sans desroi, | Qui allait l’amble doucement, sans impétuosité ; |
El blanc fu de noir pumelés, | Il était blanc tacheté de noir, |
Ses crins sanbloit estre dorés. | Sa crinière semblait dorée, |
Le Bel Inconnu28, v. 3945-3948. |
14mais peut aussi désigner la crinière du lion :
le lion braire, par mautalant | le lion braire, par colère tirer sa crinière ! |
ses crins detraire ! | Le Roman de Renart, branche Ia29. |
15Habilement, le substantif renvoie au monde animal tandis que le comportement décrit est celui d’un être humain en proie à l’affliction. L’auteur semble ici jouer sur l’ambivalence du terme. Cependant, dans la majorité des cas, l’écart entre les deux significations de crins est tel que les mots apparaissent plus comme des homonymes que comme des acceptions différentes d’un même vocable.
16Si crins a connu un grand succès au pluriel comme équivalent de cheveux, son emploi au singulier collectif comme synonyme de poil, de crine ou de chevelure est resté marginal :
Les deus puceles d’un fil d’or | Les deux servantes d’un fil d’or |
Li ont galoné son crin sor, | Ont entrelacé sa chevelure ambrée, |
Érec et Énide30, v. 1643-1644 |
Sa fille od le crin bloi | Sa fille à la chevelure blonde |
qu’ad le vis bel e cler | et au beau et clair visage |
Voyage de Charlemagne31, v. 402 |
Par la main tent sa fille, | Il tient par la main sa fille, |
ke ad le crin bloie. | qui a la chevelure blonde. |
Voyage de Charlemagne, v. 823. |
17On remarquera simplement le caractère élogieux de ces vers qui associent au substantif les adjectifs sor et bloi. Notons l’hésitation orthographique de la dernière citation entre bloi (masculin, attendu) et bloie (féminin) qui laisse supposer un accord avec crine plus qu’avec crin32.
Crine
18Dérivé roman de crin, crine constitue le plus fréquent des substantifs à valeur générique. L’étymon latin crinis, surtout employé au pluriel (crines, crinium), désignait déjà des cheveux dont les propriétés varient selon les sources. Pour les uns, crinis définirait dès le latin une chevelure de femme et notamment des cheveux épars tandis que pour les autres, il s’agirait d’une coiffure en forme de tresses d’où, par extension, la désignation de toute longue chevelure et de tout objet y ressemblant, comme par exemple la queue d’une comète et, pour le Moyen Âge, la crinière33. Le terme connaît effectivement deux types d’emploi dans la langue médiévale (chevelure et crinière), ce qui pourrait laisser supposer qu’il est péjorativement connoté et utilisé uniquement pour désigner les chevelures hirsutes comme celle de Polyphème dans Le Livre du Voir Dit :
Sa crine locue et diverse | Il peigne avec les grosses dents d’une herse |
Pigne des gros dens d’une herce. | Sa chevelure hirsute et bizarre. |
v. 6760-6761. |
19Or, encore une fois, il n’en est rien et la dépréciation ne résulte pas du mot crine mais de ceux qui lui sont accolés. Loin de se spécialiser dans la peinture des têtes ébouriffées, ce substantif révèle au contraire une propension à qualifier les splendides chevelures féminines, même s’il désigne occasionnellement des chevelures masculines34.
20Par ailleurs, on remarquera que si la chevelure est blonde, le substantif est souvent lié aux adjectifs bloie35 :
Chascune laist dehors pendre | Chacune laisse pendre |
sa crine bloie | hors de son armure sa chevelure blonde |
Le Roman d’Alexandre, v. 765136 |
Yseut, qui a la crine bloie, | Yseut, qui a la chevelure blonde, |
Tristan de Béroul, v. 1546 et 3695 |
21ou blonde :
Ele avoit blonde la crigne | Elle avait la chevelure blonde |
Aucassin et Nicolette, chapitre v, v. 737. |
22En effet, on ne trouve qu’une occurrence de l’adjectif sore et celle-ci intervient en deuxième position, couplée à blonde et préparant la rime avec dore :
si que sa crigne blonde et sore | En sorte que le blond ambré de sa chevelure |
son biau samit inde li dore | Inonda d’or son beau vêtement de soie bleue |
Guillaume de Dole, v. 4725-4726. |
23On peut donc avancer que le substantif qualifiant une chevelure flavescente sera presque immanquablement associé à bloie ou à blonde.
Chief
24Le substantif chief, du latin populaire capum, sert très fréquemment à désigner la chevelure, même si cet emploi n’est pas répertorié dans les dictionnaires. Le sens courant est celui d’extrémité supérieure du corps comme le montre bien l’exemple suivant qui différencie chiefs et crins :
Celes vindrent, lour chiefs enclins, | Elles vinrent, la tête baissée, |
treciez de fil d’or lor crins ; | Les cheveux tressés d’un fil d’or ; |
Le Roman de Thèbes, v. 1030-1031. |
25Les têtes sont baissées par timidité ou modestie et les cheveux parés. Chief offre la particularité de présenter une connotation de noblesse, de discretio38, absente des autres termes disponibles. Voilà pourquoi, dans un contexte solennel, ce nom supplante inévitablement teste :
Tenez, Jhesu, ceste corone, | Tenez, Jésus, cette couronne, |
Car eie est mout bele et mout bone. | Car elle est très belle et très bonne. |
Sus vostre chief la porteroiz | Vous la porterez sur votre tête |
Pour ce que estes des Juis roys. | Parce que vous êtes le roi des Juifs. |
La Passion du Palatinus, v. 939-94239 |
26Cette connotation explique sans doute l’écrasante majorité d’emplois de chief accompagné d’adjectifs mélioratifs et, à plus forte raison, la relative rareté de ce terme pour désigner la tête des animaux. Par un procédé d’extension synecdochique, chief a pris le sens de partie supérieure de la tête et donc de cheveux :
Et son biau col, son chief blont | Et son beau cou, sa chevelure d’un blond brillant |
et luisant, | Chanson douteuse XVII, v. 1440 |
Clef ot crespe, luisant et sor, | Elle avait les cheveux frisés, ambrés et brillants, |
De coulour resambloient d’or | Ils avaient la couleur de l’or |
Le Roman de la Violette, v. 868-869. |
27Les trois adjectifs qualifiant le substantif cief font évidemment référence à la chevelure et non à la forme de la tête. Il est par ailleurs intéressant de noter l’hésitation quant au nombre puisque le verbe ressembler est accordé au pluriel alors que le sujet cief est un singulier à valeur générique. Toutefois, il se révèle parfois plus malaisé de décider la signification exacte du mot sans l’aide du contexte :
N’ot plus bel cief feme ne home. | Aucun homme ni aucune femmen’avait une si belle tête |
Le Bel Inconnu, v. 144. |
28S’agit-il du crâne ou de l’éclat de la chevelure ? Dans la mesure où chief désigne aussi bien la forme harmonieuse du crâne :
Cief a rëont et blonde crine, | Elle avait la tête ronde et la chevelure blonde |
Floire et Blancheflor, v. 2903 |
29que la chevelure elle-même :
La damoisele ot a non Blonde ; | La demoiselle s’appelait Blonde |
Ce fu bien drois, qu’en tout le monde | Ce qui était bien juste, car nulle part au monde, |
Ne porta fame si bel chief. [...] | Aucune femme n’eut une si belle chevelure. |
Il samble que tout si chevoil | Tous ses cheveux semblent |
Soient de fin or reluisant, | D’or fin et brillant, |
Jehan et Blonde, v. 247-25341. |
30il peut s’avérer difficile de deviner le sens que revêt l’expression bel chief. Dans le cas du Bel Inconnu, le contexte immédiat nous aide précieusement puisque l’adjectif est explicité au vers précédent : Bel cief avoit, si estoit blonde (v. 143). Le mot est même parfois employé dans ses deux acceptions à quelques lignes d’intervalle si bien que la distinction sémantique n’est pas aisée :
Em pur son bliaut fu la biele, | La belle n’avait que sa tunique, |
Sans gimple, un chapel d’or el chief ; | Pas de guimpe, une couronne d’or sur la tête ; |
Mais dire vous voel de rechief | Mais je veux vous répéter |
K’encor estoit ses chies plus sors | Que ses cheveux étaient encore plus ambrés |
Et plus reluisans que li ors | Et plus brillants que l’or |
Qui fu el chapiel, che m’est vis. | De la couronne, à ce qu’il me semble. |
Le Roman de la Violette, v. 5007-5012. |
31La première occurrence renvoie plutôt au crâne sur lequel on pose le chapeau tandis que la deuxième, qui attribue à chiés un adjectif de couleur, renvoie à la chevelure proprement dite. En effet, toute attribution d’une couleur permet de trancher quant à l’interprétation, ce qui explique sans doute le succès de tournures associant par exemple les adjectifs beau à blond :
Un autre exemple vous diray de Bersabée, la femme Uries, qui demouroit devant le palais du roy David. Si se lavoit et pingnoit à une fenestre dont le roy la povoit bien veoir ; sy avoit moult beau chief et blont. | Je vous donnerai un autre exemple, celui de Bethsabée, la femme d’Urie, qui se trouvait devant le palais du roi David. Elle se lavait et se peignait près d’une fenêtre d’où le roi pouvait l’apercevoir ; elle avait une très belle chevelure blonde. |
Landry, chapitre lxxvie, p. 15442 |
An halte tour se siet belle Yzabel ; | Sur la haute tour se trouvait belle Isabelle ; |
Son bial chief blonc | Elle fit apparaître sa belle tête blonde |
mist fuers per un crenel ; | entre les créneaux ; |
chanson de toile anonyme, v. 1-243. |
32Les adjectifs exprimant la blondeur sont assez fréquents, ce qui doit être rattaché à la connotation méliorative du substantif. Le partage n’est cependant pas équitable : sur trente-six occurrences ayant trait à la couleur des cheveux, une seule renvoie à la couleur noire :
E le chief neir – n’iert mie blonz –, | Et la chevelure noire – et non pas blonde – |
Le Roman de Troie, v. 5246. |
33et les trente-cinq autres à la blondeur. Avec plus de la moitié des occurrences, blond arrive très largement en tête44, suivi de sor (26,5 %), de bloi (14,5 %) et du groupe prépositionnel d’or (9 %). Cette prédominance de blond se lit d’ailleurs en creux dans la citation du Roman de Troie puisque le poète, qualifiant la chevelure de Néoptolème, sait qu’il s’écarte de la norme et, tout en la refusant, lui fait tout de même un sort. Même nié, l’adjectif blond reste nécessaire.
34Néanmoins, chief est inapte à évoquer la longueur de la chevelure, précisément parce qu’il ne désigne pas uniquement les cheveux mais bien souvent l’ensemble de la tête et de la chevelure. Chief doit donc dans ce cas être complété par cheveux comme dans l’exemple suivant :
Le chief ot bloi, les cheveus lons, | Elle avait la tête blonde, les cheveux si longs, |
Qu’il li passöent les talons | Qu’il dépassent ses talons |
Le Roman de la Violette, v. 5547-5548. |
35En effet, si lons avait été épithète ou attribut du complément d’objet chief, le lecteur aurait imaginé un visage oblong, ce qui n’était visiblement pas l’intention de l’auteur.
36En dernier lieu, notons la fréquence de ce substantif, employé de préférence à tout autre, dans le cadre de la toilette et de l’hygiène. Ce choix paraît cohérent car, à moins d’être chauve, qui se lave le crâne se lave aussi les cheveux ! Les hommes sont également concernés :
Net chief, cheveus bien pigniez | La tête nette, les cheveux bien peignés |
Doit li fins amis vouloir ; | Doit avoir l’amant raffiné ; |
Moniot de Paris, chanson d’amour, v. 31-3245. |
37Pour les personnages féminins, c’est le groupe verbal pigner son chief qui revient avec insistance dans ce type de situation46 :
La dame trovai en sa chambre, | Je trouvai la dame dans sa chambre, |
Car iluecques pignoit son chief, | Où elle était à se peigner, |
Auberee, v. 614-61547 |
Une pucele s’i baingnoit | Une jeune fille s’y baignait |
Et une autre son chief pingnoit ; | Et une autre peignait sa chevelure ; |
Lai de Guingamor, v. 427-42848. |
38En définitive, ce substantif générique – sous ses multiples graphies notant ou non l’évolution phonétique : cief, chef, chief, kief- fait référence à la chevelure ou à la tête dans son ensemble de façon neutre quant à l’épaisseur, la longueur ou la coiffure des cheveux, ce qui explique sans doute son succès pour évoquer la chevelure des deux sexes et les situations où elle fait l’objet de soins d’hygiène. En revanche, sa connotation méliorative ne justifie qu’en partie son mariage avec l’adjectif blond49.
Teste
39En comparaison avec chief, le substantif teste se fait plutôt rare pour renvoyer à l’être humain50. Son étymologie testa n’y est sans doute pas étrangère puisque le mot latin a d’abord signifié pot, récipient en argile avant de prendre par plaisanterie le sens de crâne51. Autant dire que la connotation meliorative reconnue à chief est absente de teste qui a encore dans la langue médiévale les deux acceptions de tesson et de tête. Dès lors, on comprendra que ce mot soit choisi dans les descriptions d’animaux :
La pane qui i fu cosue | La fourrure des bordures qui y était cousue |
Fu d’unes contrefetes bestes | Provenait de bêtes étranges |
Qui ont totes blondes les testes | Qui avaient la tête toute blonde |
Et les cos noirs com une more | Et le cou noir comme une mûre |
Érec et Énide, v. 6786-6789 |
Majers fo qe non es us taurs, | Elle était plus grosse qu’un taureau, |
E sos pels so veluts e saurs, | Son pelage était velu et ambré, |
E-l col lonc e la testa granda, | Elle avait le cou long et la tête épaisse, |
Jaufré, v. 229-231 |
40ou d’êtres pour lesquels une hésitation entre la nature bestiale et la nature humaine se fait sentir :
Je m’aprochai vers le vilain, | Je m’approchai du paysan |
Si vi qu’il ot grosse la teste | Et vis qu’il avait la tête plus grosse |
Plus que roncins ne autre beste, | Qu’un cheval de trait ou qu’une autre bête, |
Chevox mechiez et front pelé, | Les cheveux ébouriffés et le front pelé, |
Le Chevalier au Lion, v. 292-29552. |
41Tout comme chief, ce terme désigne donc le crâne et éventuellement la chevelure, ce qui apparaît avec évidence lorsqu’un adjectif de couleur lui est accolé :
S’aperçut bien Porrus, qui ot la teste auborne, | Porus, qui a les cheveux auburn, |
comprend bien, | |
Le Roman d’Alexandre, v. 3882 |
Antigonon l’apele a la teste quernue. | Le nommant Antigonus à la longue chevelure. |
Le Roman d’Alexandre, v. 4531. |
42On notera la prépondérance de couleurs moins flatteuses avec le retour du blanc dans l’expression teste quernue et l’apparition du roux avec auborne. De plus, teste semble inapte à porter la qualification de belle, tout au moins pour désigner la chevelure53, ce qui explique l’expression presque pléonastique :
Les biaus crins de la teste blonde, | Les beaux cheveux de sa tête blonde |
Le Roman de la Rose, v. 13289. |
43dans laquelle crinz prend la relève pour supporter l’adjectif biaus.
44Bien que synonymes, chief et teste ne connaissent pas les mêmes emplois à cause des connotations diverses qui leur sont attachées. Interchangeables quand ils sont qualifiés par un adjectif de couleur, ils ne le sont pas en revanche dans des expressions telles que :
Marine iert par non apelee, | Elle répondait au nom de Marine, |
N’avoit pas la teste pelee, | Et n’avait pas la tête pelée, |
Le Roman de Claris et Laris, v. 13411-1341254. |
45tant il est vrai que chief dénote la tête – cheveux compris – alors que teste fait référence au crâne, éventuellement chauve, avec une légère nuance dépréciative.
46À titre de curiosité, citons le poème d’Eustache Deschamps intitulé Sur une coiffure de queue de martre qui présente la particularité de s’attacher aux problèmes de la calvitie (d’avant ou d’arrière) tout en proposant au lecteur des solutions. Ce faisant, le poète use, afin d’éviter des répétitions, de toute la palette des substantifs à sa disposition, à savoir teste, cheveulx, hure, crins, chief, cheveleure et cosme55. Eustache Deschamps respecte, pour ces substantifs, les proportions d’emploi que nous avons observées, à cette seule différence que teste est surreprésenté, ce qui s’explique par les connotations négatives liées au sujet traité : la calvitie. L’attention portée à un détail précis de l’anatomie rapproche cette ballade des blasons, mais la vocation étonnamment prescriptive du texte masque peut-être une intention parodique. Cependant, si l’on rapproche ce texte d’une autre ballade d’Eustache Deschamps, « Comment on souloit anciennement moult honourer les saiges et anciens plus que on ne fait au jour d’ui », dans laquelle il dresse une liste des chauves célèbres, il semblerait que la calvitie représente pour le poète la sagesse et l’expérience, même s’il lui apparaît toujours préférable que cette imperfection physique soit cachée sous une coiffe56.
Chevelure
47Ce dernier nom collectif d’usage courant est soit un dérivé roman de chevel, du latin capillus, soit directement issu du bas latin capillatura au sens de « arrangement de cheveux ». Il désigne l’ensemble des cheveux et se révèle à la fois plus rare et plus indéfini en ancien français qu’en français moderne où il suggère une chevelure longue et bien fournie. Cette différence se manifeste lorsque l’auteur, pour souligner la longueur ou l’abondance de la chevelure, se voit contraint de qualifier chevelure par un adjectif :
la vertiz porta haut, | Il portait la tête haute, |
longue ot cheveleure, | avait une longue chevelure, |
fors fu comme jaanz et | Était fort comme un géant et |
hardiz sans mesure, | infiniment courageux, |
Le Roman de Rou, v. 1322-132357 |
Ainz avoit grant cheveleure | Elle avait au contraire une grande chevelure |
Le Roman de Claris et Laris v. 13413. |
48Le sème de longueur est totalement absent puisque le substantif peut aussi être accolé à l’adjectif curte58. Tout comme crine mais à la différence des autres génériques teste et chief, celui-ci ne fait jamais allusion au crâne si bien qu’une expression telle que biauté de cheveleûre ne porte jamais à confusion59. En dernier lieu, si l’on a pu constater la fréquence de certaines associations entre un substantif et un adjectif de couleur, force est de constater que chevelure se plie allégrement à tous les emplois, aussi bien noire60 que blanche61, crespe62 que luisant63, sore64 que bloie65 ou blonde66, sans préférence aucune. Ajoutons que plus de la moitié des occurrences concernent des chevelures masculines, ce qui signale une tendance inverse à la tendance actuelle.
Poil
49Le latin pilus à l’origine du mot présentait déjà les deux sens de poil et de cheveu. Employé au singulier dans la langue médiévale67, il désigne l’ensemble des poils humains et en particulier, par spécialisation, la barbe68 ou la chevelure69. Ce n’est que par analogie que le mot a pu s’appliquer au pelage de l’animal.
50Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer du fait de la disparition actuelle de poil au sens de chevelure, le terme n’est pas connoté négativement et est loin d’intervenir en priorité lors des portraits de personnages hideux :
Vermeil ot le visage et fres, | Il avait le teint rose et frais, |
Nes droit, vers yeux, | Le nez droit, les yeux vifs, |
et le poil blont | et ses cheveux blonds |
Qui li recerceloit amont, | Bouclaient autour de son visage, |
Galeran de Bretagne, v. 1188-1190. |
51Tout comme dans cette fraîche description de Galeran à quinze ans, poil est souvent associé à des adjectifs évocateurs de beauté, blond étant le plus courant. En effet, 38 % des occurrences de poil se rapportant à la chevelure humaine sont accouplées à cet adjectif70, bien loin devant sor71, blanc72, et brun73 qui ne recouvrent chacun pas plus de 5 % des cas. Il s’agit donc de l’expression la plus fréquente, aussi bien pour qualifier la chevelure féminine :
Nicolete est aveuc toi, | Nicolette est avec toi, |
m’amïete o le blont poil. | Ma tendre amie aux blonds cheveux. |
Aucassin et Nicolette, chapitre xxv, v. 3-4 |
Onques el mont nen ot tant bele, | Jamais dans le monde il n’y en eu d’aussi belle, |
Sire, com est ceste pucele. | Seigneur, que cette jeune fille. |
Quant vairez le poil blont et sor, | Quand vous verrez son cheveu ambré, |
Florimont, v. 6001-600374 |
52que masculine :
Lou poil ot blont, menu recercelé, | Il avait le cheveu blond, finement bouclé |
La Bataille Loquifer, v. 3867 (portrait de Chapalu) 75. |
53Il faut cependant reconnaître que sa double application à l’homme et à l’animal prédispose le substantif poil – comme c’était le cas pour crine – à décrire les fourrure et pelage en tous genres. Ainsi la bête sauvage de Jaufré76, le pelage des personnages zoomorphes du Roman de Renart :
Hersens rougist, si ot vergoigne ; | Hersent rougit, elle éprouva de la honte |
Trestout li poils li va levant, | Tout son pelage se hérissa, |
branche Ia, v. 134-135 |
54ou le cheval de Perceval :
Et vostre chevax a si plains | Pourtant votre cheval a les flancs |
Les flans et le poil aplaignié, | Bien garnis et le pelage bien brossé, |
Le Conte du graal, v. 3474-3475. |
55On traduira sans état d’âme poil par pelage dans ces deux derniers exemples. Ce qui est plus difficile dans certains textes qui jouent des ressources du mot et appliquent à la robe du cheval des expressions attendues pour décrire la chevelure :
E munte sur le destrer sor, | Et il monte sur le destrier ambré, |
Dunt li peil luist cume fin or ; | Dont le pelage brille comme l’or fin ; |
Ipomédon, v. 4527-4528. |
56L’adjectif sor associé au verbe luisir et la comparaison avec l’or ne peuvent manquer d’évoquer un humain, d’autant plus que peil joue sur les deux tableaux. L’extraordinaire portrait d’Ourseau dans Perceforest montre le même glissement :
Et sachiés que tout son corps estoit aussi pelu comme un ours, mais tant estoit le poil qu’il avoit sus lui jansne et de couleur reluisant ainsy comme se c’eust esté fin or brunty. | Et sachez que son corps entier était aussi poilu qu’un ours, mais le poil qui le recouvrait était d’une couleur jaune et brillante qui s’apparentait à l’or fin étincelant. |
Perceforest, 4e partie, p. 527, 142d, l. 97-101. |
57C’est en effet aux poils que sont attribués les qualificatifs et comparaisons traditionnellement réservés à la chevelure. Si poil renvoie ici à un humain, il faut cependant considérer que l’onomastique, la comparaison avec l’ours et l’abondance de la pilosité tendent à placer ce personnage à mi-chemin entre l’humanité et l’animalité, tout comme les filles sauvages que la Dame du Lac dans Le Livre du Cœur d’Amour épris a enfermées dans un parc :
Et en icelluy mist encloses pucelles gentes et belles qui sont sauvaiges et couvertes de poil qui ressemble a fin or, | Et dans celui-ci elle enferma des jeunes filles charmantes et belles qui sont sauvages et couvertes d’un pelage qui ressemble à l’or fin, |
Appendice, p. 506, l. 66-6877. |
58Leur beauté étrange tient à la perfection de leur corps et à ce duvet doré qui les recouvre. Pucelles ou bêtes amassées en troppeaulx, le texte se garde bien de lever l’ambiguïté. Il en va tout autrement pour Merlin, recouvert à sa naissance d’un épais duvet qui répugne à sa mère aussi bien qu’aux servantes :
Ensi fu nés cil. Et quant les femes le rechurent se n’i ot cele qui eûst molt grant paour pour ce qu’il le virent plus pelu et plus grant poil avoir qu’eles n’avoient onques veû a nul enfant avoir. | C’est ainsi qu’il naquit. Et quand les femmes l’accueillirent, il n’y en eut pas une qui ne s’effraya en voyant sa pilosité plus fournie qu’elles n’en avaient jamais vu de semblable chez un enfant. |
Merlin, 21, p. 59478. |
59Cette pilosité qui n’a rien de dorée sera le signe avant-coureur de l’étrangeté de l’enfant, l’indice de sa nature hors du commun, de sa participation aux forces surnaturelles.
60À la différence des autres noms collectifs, poil (également graphié pel ou peil selon l’évolution de la diphtongaison) se distingue par une surreprésentation dans les textes lyriques (plus de 20 % des occurrences) et dans certains romans comme Flamenca ou Jaufré qui l’utilisent là où les autres textes choisiraient chevel.
Come
61Ce dernier nom collectif, extrêmement rare, est issu du latin coma, qui signifie chevelure (dans la langue poétique) ou alors crinière. Coma79 provient du grec komê désignant la chevelure puis, par métaphore, la comète qui apparaissait comme un astre chevelu80. L’évolution sémantique du mot se révèle donc parallèle à celle de crine qui a d’abord désigné les cheveux et ensuite, par métaphore, la queue d’une comète. Tout comme crine et poil, come s’est ensuite appliquée par analogie au pelage animal dès la langue médiévale, ce qui explique la coexistence de deux emplois presque opposés. Le premier hérite de la tradition poétique latine et donne au mot une forte connotation laudative :
Lors li respondi la pucele | Alors la statue lui répondit, |
Qui tant ert avenant et bele | Elle qui était si gracieuse et si belle, |
Et tant avoit blonde la come : | Et dont la chevelure était si blonde. |
Le Roman de la Rose, v. 21155-21157. |
62L’adjectif blonde ainsi que le groupe avenante et bele viennent renforcer l’image positive de la chevelure de la jeune fille. C’est à ce type d’emploi élogieux que correspond le chiome de Laure dans la poésie de Pétrarque81.
63A l’opposé, et c’est là le deuxième emploi, ce mot s’appliquera dans la bouche de Polyphème à la crinière du cheval :
J’ai grant cosme que tout le vis | J’ai une longue chevelure |
Aveuc les espaules me coeuvre. | Qui me couvre tout le visage et les épaules. |
Qui bien m’avient. | Ce qui me va bien. |
Car c’est laide euvre | Car c’est un laid spectacle |
De cheval sans come et sans crins ; | Qu’un cheval sans crinière et sans poils ; |
Les oisellés et les poucins | Le plumage doit couvrir entièrement |
Doit couvrir la plume sans faille : | Les oiselets et les poussins : |
Let sont puis que plume leur faille ; | Ils sont laids dès qu’une plume leur manque ; |
Bien avient aus brebis leur laine ; | Leur laine va bien aux brebis ; |
Si est laide chose et villaine | C’est donc une chose laide et vilaine |
Homme sans barbe ; bien m’avient | Qu’un homme sans barbe ; il me sied bien |
Le poil qui en mon cuir se tient, | Le poil qui est planté sur ma peau, |
Qui est long et bien redrecié, | Il est long et bien redressé, |
Ainsi com soies hirecié. | Hérissé comme des soies. |
Le Livre du Voir Dit, v. 7073-7085. |
64Cette justification par le cyclope de l’abondance de sa chevelure présente un grand intérêt à commencer par le rapprochement qui est instauré entre les pelage – plumage et toison – et le système pileux humain, rapprochement à l’œuvre dans l’évolution de la langue puisque les quatre mots que nous avons mis en caractère gras s’appliquent aussi bien aux animaux qu’aux humains. De plus, ce va-et-vient contribue à brouiller la véritable identité de Polyphème puisque, si l’on suit le texte, l’on passe d’une évocation liminaire de ses cheveux à un rapprochement avec les animaux (vers 7076 à 7080) puis à une considération générale (vers 7081 à 7082) suivie d’un descriptif de la chevelure particulière du cyclope (vers 7082 à 7084) qui, pour plus de précision, ne peut pas faire l’économie d’une comparaison avec les soies du porc (vers 7085) ! Polyphème apparaît donc à l’issue de cette justification comme un être hybride, à l’image d’Ourseau et de Merlin dont on décrivait également le poil.
Treces
65Bien souvent, les termes évoqués ci-dessus sont remplacés par des substantifs plus spécifiques contenant à la fois l’idée des cheveux et celle de leur coiffure. Il en va ainsi de treces82 qui précise la façon dont les cheveux étaient noués. L’origine du mot reste très discutée et l’on ne sait s’il doit être apparenté aux verbes latins torquere (tordre), tertiare (multiplier par trois) ou à une forme de latin populaire trichia qui aurait signifié corde de cheveux tressés. Toujours est-il qu’il désigne en ancien français une natte de cheveux portée aussi bien par les femmes que par les hommes :
En sa main tint ses deus seetes, | Il tenait à la main ses deux flèches, |
En l’autre deus treces longuetes. | Dans l’autre deux longues tresses. |
Tristan de Béroul, v. 4423-442483. |
66La violence qui se fait jour dans ce dernier exemple n’est pas inhabituelle : dans 38 % des occurrences de treces relatives à la chevelure féminine, le substantif est en effet intégré dans une expression telle que pendre / tirer par les treces ou couper / trancher les tresses qui décrit la brutalité masculine exercée à l’encontre de la chevelure féminine84. Il semble bien que la tresse, par sa facilité à être maintenue, soit alors l’emblème de la féminité maltraitée :
Sa fame a par les treces prize, | Il a pris sa femme par les tresses, |
Por le trenchier son coutel trait. | Pour tout trancher il sort son couteau. |
La Dame qui fist trois tours entor le moustier, v. 136-13785. |
67De plus, la tresse, unique ou double86, exige et suppose de la femme qu’elle a passé – perdu diraient les moralistes – un certain temps à sa toilette. De là à faire de la tresse le symbole de la coquetterie et de la luxure, il n’y a qu’un pas87. On pense à la magnifique tresse, longue et provocante, d’une reine sculptée dans la cathédrale de Bamberg (datant du xiiie siècle) reproduite dans le cahier d’illustrations, figure 1, p. 34388. Ainsi la demoiselle choisie pour tester l’abstinence d’un ermite est-elle obligatoirement tressée :
li dus prist une soie aconite, | Le duc choisit une de ses maîtresses, |
bele et jonete, simple et cointe, | Belle et jeune, simple te gracieuse, |
si li envoia por savoir | Et la lui envoya pour vérifier |
s’il voldroit de sa char avoir. | S’il prendrait son plaisir avec elle. |
De lui sorprendre ce pena, | Elle s’efforça de le séduire, |
ses tresces devant lui mena, | Elle agita ses tresses devant lui, |
sovent remuoit sa toele | Elle retirait souvent son voile |
por la crine qu’ele avoit bele, | Pour montrer sa belle chevelure, |
La Vie des Pères, v. 10836-1084389. |
68Ce substantif, lorsqu’il est qualifié (ce qui se révèle plutôt rare) est associé à belle et à blonde mais surtout à grosse et longue, deux adjectifs particuliers qui mettent l’accent sur l’abondance et la taille de la chevelure puisqu’il faut considérer que la natte diminue l’épaisseur aussi bien que la longueur des cheveux90 :
Si l’enbelist molt et amende | Son épaisse et longue tresse blonde |
Sa tresce grosse, longue et blonde. | L’embellit beaucoup et rehausse son éclat. |
Lai d’Aristote, v. 294-295 |
la trece fu longue et grosse, | La tresse était longue et épaisse, |
luisant et clere. | brillante et claire |
Lancelot en prose, t. i, iii, 1, p. 1891 |
69Une longue tresse épaisse signale donc une chevelure exceptionnellement longue et fournie, ce qui explique le succès des nattes postiches (dont l’artifice attire les foudres des moralistes92) :
Pour grosses treces recouvrer, | Pour se refaire de grosses tresses, |
Face tant que l’en li aporte | Qu’elle fasse en sorte qu’on lui apporte |
Cheveuls de quelque fame morte, | Les cheveux de quelque femme morte |
Ou de soie blonde bourriaus, | Ou des bourrelets de soie blonde, |
Et boute tout en ses fourriaus. | Et qu’elle mette tout dans ses boudins. |
Le Roman de la Rose, v. 13296-13300. |
70En dernier lieu, il convient de s’interroger sur la distinction que certains textes nous invitent à faire entre la coiffure des demoiselles et celle des femmes mariées. Les jeunes filles porteraient ainsi leurs tresses ramenées devant sur les épaules :
.Ij. damoiseles mout mignotes | Deux demoiselles fort mignonnes, |
Qui estoient en pures cotes | Qui étaient simplement en cottes |
Et trecies a une trece | Et dont les cheveux n’avaient qu’une tresse |
Le Roman de la Rose, v. 75 8-76093 |
avoec lui estoit une damoisele, ses treches | Avec elle se trouvait une demoiselle, les |
par ses espaules. | tresses sur les épaules. |
Lancelot en prose, t. vii, xlva, 1, p. 438 |
71tandis que les femmes mariées les relèveraient en chignon :
Lors leur doit torner comme sage | Elle doit avoir l’habileté de tourner vers eux |
Les beles treces blondes chieres | Les chères belles tresses blondes, |
Et tout le hasteriau darrieres, | Et toute la nuque par-derrière, |
Quant bel et bien drecié le sant : | Quand elle sent que l’édifice est beau et bien dressé : |
Le Roman de la Rose, v. 13580-13583. |
72Or, la grand-mère de Gauvain :
A ce qu’il vit les treces blanches | Quand il vit les tresses blanches |
Qui li pandoient sor les hanches, | Qui lui tombaient sur les hanches, |
Le Conte du graal, v. 8107-8108. |
73(et toutes les femmes que l’on tire par les tresses pour les punir ou les maltraiter) les porte flottantes. La question reste donc ouverte.
74Pour conclure sur les substantifs servant à décrire la chevelure, il est envisageable d’opérer des rapprochements. En premier lieu, cheveux et chevelure s’apparentent par leur neutralité et leur facilité à se plier à toutes sortes d’emplois. On associera crins et crine en raison de leur préférence pour les chevelures féminines, contrairement à la mixité de l’ensemble des autres termes. Si chief et teste renvoient tous deux au crâne, ils s’opposent en revanche lorsqu’ils représentent les cheveux par les connotations laudative et légèrement négative qu’ils diffusent. Il convient en dernier lieu de rapprocher crins, come et poil pour leur aptitude à s’appliquer au pelage animal, particularité qui ne contrarie pas leur propension à évoquer les splendides chevelures, ce que confirme leur collocation avec l’adjectif blond.
Adjectifs de couleur
75Les adjectifs qualifient la chevelure, c’est-à-dire qu’ils la caractérisent en signalant une de ses propriétés. La couleur constitue, en terme de fréquence, le trait essentiel qui va opérer un partage entre la blondeur et les teintes plus foncées – allant du brun au noir en passant par le roux foncé. À cette partition que nous allons maintenant détailler correspondent de puissantes connotations, positives dans le premier cas, plutôt négatives dans le second.
Lumière et blondeur de la chevelure
76La langue médiévale dispose de trois adjectifs très courants pour qualifier une chevelure blonde alors que le latin en avait deux94 et que le français moderne n’en possède plus qu’un : il s’agit donc de mettre en évidence les différences de nuance et d’emploi que connaissent blond, sor et bloi, sans oublier le plus rare jaulne.
Blond
77D’abord apparu sous la forme blund, ce terme reste d’origine incertaine même si certains le font remonter au germanique blunda. Il s’agit en premier lieu d’un adjectif qualifiant toute personne ayant les cheveux d’une couleur proche du jaune, entre le doré et le châtain clair. Cette acception est largement représentée au Moyen Âge avec 26 % des occurrences de notre corpus, aussi bien au masculin95 qu’au féminin :
Sospris sui d’une amorette | Je suis par surprise tombé amoureux |
D’une jone pucelette. | D’une toute jeune fille. |
Bele est et blonde et blanchette | Elle est belle et blonde et blanche |
Plus que n’est une erminette, | Plus que ne l’est une hermine, |
Sospris sui d’une amorette, Colin Muset, v. 1-496 |
Contre l’amour de la bele et la blonde | En échange de l’amour de la belle et la blonde |
Qui a chief sor. | Qui a les cheveux ambrés. |
La Fonteinne amoureuse, v. 945-94697. |
78Apposé, épithète ou attribut, il est généralement complété par d’autres adjectifs ou groupes nominaux relatifs à la beauté du personnage. Guillaume de Machaut en fait un emploi très original en l’affublant, ainsi que crespe d’un diminutif censé exprimer la délicatesse et la mignardise des jeunes coquets :
Car ceste gent dont ci propos | Car ces gens dont il est question |
Furent moult joint et moult poli, | Étaient très élégants et très gracieux, |
Gent, cointe, faitis et joli, | Courtois, aimables, bien faits et jolis, |
Si espincié, si crespelet, | Si bien habillés, si frisés, |
Si bien pingné, si blondelet, | Si bien peignés, si blondinets, |
Si tressaillant, si trés mignot, | Si pleins de vie, si coquets, |
Le Dit dou Lyon, v. 1248-125398. |
79Plutôt rares en général, blondet et blondel sont des dérivés romans de blond :
Les chevous ot blondes et lons, | Elle avait des cheveux longs et blonds, |
Le Roman de la Rose, v. 1004. |
80Ils se révèlent plus usuels en poésie, systématiquement associés à chief99. C’est également dans la lyrique que fleurisssent les suffixes en – ette censés apporter une certaine mignardise à la chanson. Les jeunes bergères, courtisées ou non, n’hésitent pas à émailler leur propos de ces diminutifs :
Jolie ne suis je pais, | Je ne suis pas jolie, |
mais je suis blondette | mais je suis blondinette |
Et d’amin soulette | Et privée d’ami |
Chansonnier d’Oxford, Pastourelles I, pièce xii, v. 29-30100 |
Saige blondette et avenant, boche | Sage et gracieuse blondinette à la riante |
vermoillette riant, vostre oil m’ont tray. | bouche vermeille, vos yeux m’ont trahi. |
Chansonnier d’Oxford, Pastourelles I, pièce xvi, v. 16101 |
Doce jonete, | Douce jeunette, |
Blondete, | Blondinette, |
Sadete, truis toute seulete | Doucette, je vous trouve toute seulette |
Sans pastor. | Sans berger. |
Chansonnier Mp, Pastourelles III, pièce xci, v. 9-13102. |
81Blondette cohabite alors avec soulette, vermoillette, jonete ou seulete mais la systématisation du procédé interdit de s’attarder sur une analyse approfondie du sens de blondette.
82L’adjectif a pu être substantivé par l’ajout d’un déterminant (dans 22 % des occurrences de notre corpus), procédé qui tend à concentrer les caractéristiques physiques du personnage sur la seule couleur de ses cheveux. Le terme est alors toujours mélioratif, comme le soulignent les expressions qui le complètent :
Aucassins li biax, li blons, | Aucassin le beau, le blond, |
li gentix, li amorous, | Le noble et l’amoureux, |
Aucassin et Nicolette, chapitre xxvii, v. 1-2 |
Et Robins s’avance, | Et Robin s’avance, |
S’ait deguerpie la dance ; | Après avoir quitté la danse ; |
La blonde laissait, | Il quitta la blonde, |
pastourelle anonyme, v. 37-39103. |
83La substantivation de blond(e) est surreprésentée dans la poésie ce qui laisse à penser qu’il s’agit là d’un trait de genre.
84La poésie champêtre va jusqu’à faire de blonde un synonyme de bergère104, tradition qui s’est d’ailleurs conservée dans ce registre105. On opposera à ces emplois celui, tout moral, de la Vie des Pères :
Mex valt une nainne contrete | Mieux vaut une naine difforme |
qui de mal ce garde en cest monde | Qui évite le péché dans ce monde |
que l’aligniee, que la blonde | Que la svelte, que la blonde |
qui aime le deable et sert | Qui aime le diable et le sert |
tant que le regne Deu en pert | Au point de perdre le royaume de Dieu |
et s’en vet danpnee en l’ordure | Et finit damnée dans les immondices |
d’enfer ou toz jors art et dure. | De l’enfer où elle demeure et brûle. |
v. 10885-10891. |
85La blonde est ici désignée comme la femme luxurieuse par excellence, la pécheresse non repentie, le suppôt de Satan106. La couleur de la chevelure, comme un étendard, devient l’emblème du mal107. Néanmoins, dans la majorité des cas, elle est positivement connotée et a pu devenir une épithète de nature – toute homérique – venant s’accoler au nom des personnages tels Jurfaleu le Blond dans La Chanson de Roland, Sadoc li Blons dans le Tristan en prose, Sarduc le Blont ou Tanaguin le Blond dans le Lancelot en prose... la liste est loin d’être exhaustive108. Pour la gent féminine, on pense aussitôt à Iseut la Blonde, ainsi dénommée par exemple dans Cligès, Le Bel Inconnu, L’Escoufle, Galeran de Bretagne, Floriant et Florete, ou encore la Première Continuation de Perceval109. Plus rare est la réunion d’un autre prénom à ce qualificatif plutôt réservé à la femme de Marc :
Jaquette la Blonde et Flourette, | Jacquette la Blonde et Florette, |
L’Enqueste, p. 118110 |
ele a non Rosete la Blonde, | Elle porte le nom de Rosette la Blonde, |
Didot-Perceval, p. 190, l. 842111 |
86En revanche, on dénombre en poésie plusieurs jeunes femmes appelées Blonde ou Blondette – apostrophes flatteuses plus que véritables prénoms – comme cette bergère interpellée en ces termes :
Blonde, se vos ne m’amez, | Blonde, si vous ne m’aimez pas, |
Jamais mes cuers joie n’avra. | Jamais plus mon cœur ne connaîtra la joie. |
Chansonnier U, pièce xlvii, v. 36-37112 |
87ou cette demoiselle tendrement chérie :
Blondette plainne d’onour, | Blondette très honorable, |
De leaul cuer par amour | D’un cœur amoureux et loyal |
Vous servirai nuit et jor. | Je vous servirai nuit et jour. |
Jepert tot lou sant de moi, v. 20-22113. |
88ou encore l’héroïne éponyme de Jehan et Blonde dont le portrait vise à expliciter le prénom :
Ne porta fame si bel chief. | Aucune femme ne porta si belle chevelure. |
Or ne vous soit d’escouter grief | Ne craignez pas de vous ennuyer |
Se je de li un poi paroil : | En m’écoutant si je vous en fais le portrait : |
Il samble que tout si chevoil | Tous ses cheveux semblent |
Soient de fin or reluisant, | D’or fin et brillant ; |
Et si lonc sont qu’en deduisant | Ils sont si longs qu’ils font facilement |
Li vont deus tours entor la teste. | Deux fois le tour de sa tête. |
Bien devroient mener grande feste | Elles devraient être bien heureuses |
Les oreilles qui ce soustiennent ; | Les oreilles qui soutiennent une telle chevelure ; |
Jehan et Blonde, v. 247-257. |
89L’onomastique se voit amplement justifiée par une démonstration reposant sur les deux qualités de la chevelure de la jeune fille : couleur et longueur exceptionnelles. « Blonde » grâce à ses connotations avantageuses, convoque et réunit en un seul mot différents aspects de la beauté capillaire. N’oublions pas non plus la fameuse Blonde Esmeree que Guinglain finira par épouser dans Le Bel Inconnu, fameuse par le décalage entre son nom évoquant une blondeur extrême et son portrait qui occulte la description de la chevelure114. Certes, la vouivre se donne à voir comme un concentré d’or et de lumière qui ne manque pas de rappeler au lecteur le nom de l’héroïne115.
90Si blond a d’abord qualifié, si l’on en croit les dictionnaires, une personne aux cheveux blonds, il s’est ensuite appliqué par métonymie aux cheveux de cette couleur : 52 % des occurrences de notre corpus relèvent de ce type d’emploi. Voici les substantifs les plus fréquemment associés à blond : cheveux (38 % des cas), chief (24 %), crins (10 %), trece (10 %) et crine (8 %). On remarque la forte représentation de chief que l’on avait déjà notée lors de l’étude du substantif116.
91Quand on s’intéresse aux adjectifs les plus fréquemment coordonnés à blond, on est frappé par l’écrasante majorité de beau/belle (53 % des cas) :
par ces espaules ot jetee sa crine | Elle avait jeté sur ses épaules sa chevelure |
qe ele avoit bele et blonde et trecie(e). | Qu’elle avait belle, blonde et tressée. |
Raoul de Cambrai, v. 5387-5388. |
92La fréquence de cette association établit sans ambiguïté la relation entre la blondeur et la beauté. Cependant, la vigueur de ce couple n a pas manqué de provoquer des interférences entre les deux mots si bien que blond n’indique pas simplement une couleur de cheveux mais connote de surcroît la beauté du personnage. L’interaction conduit à des équivalences : si celui qui est blond est beau, celui qui est beau est obligatoirement blond. Outre la couleur, cet adjectif connote donc la perfection esthétique, ce qui justifie sa courante association avec chief, le plus noble des termes pour évoquer la chevelure. Cette connotation avantageuse permet également de justifier l’association de blond à sor dans 16 % des cas. Loin de frôler le pléonasme, le rapprochement des deux adjectifs permet de préciser la couleur exacte des cheveux, à savoir roux-châtain (ce qui ne correspond pas à notre conception actuelle de la blondeur) tout en insistant sur leur beauté grâce aux connotations attachées à blond :
De celi qui a blonde et sore | De celle qui a fait à sa chevelure |
La bele treche sor la crine | Une belle tresse d’un blond ambré |
L’Escoufle, v. 3144-3145. |
93L’adjectif blond fait le lien entre la couleur sore (un peu trop foncée pour l’esthétique médiévale) et l’affirmation de beauté (impliquant une chevelure claire). Blond joue donc sur les deux tableaux.
94Quant aux autres adjectifs associés à blond, ils restent trop peu habituels pour en tirer des conclusions ; signalons simplement l’absence de bloi mais on peut supposer que les deux renvoient à la même nuance et que, d’autre part, leur association sonore ne serait pas heureuse. Précisons toutefois un emploi inédit de l’adjectif comme épithète de paupières dans la Farce du Faulconnier de ville :
Blondes paupières, blondz sourcilz, | Claires paupières, clairs sourcils, |
Large fronc, petit nés traictifz, | Front large, petit nez régulier, |
v. 286-287117. |
95Que peut signifier cette locution sinon la clarté de la carnation des paupières ? Cela tendrait à faire de blond l’opposé de brun dans un système binaire antithétique clair versus foncé118. Notons que le substantif blondor ne se rencontre guère que dans le portrait de Lancelot dans le roman en prose, où il présente la particularité d’être distingué de soret119.
96L’adjectif blond présente donc, pour résumer, une forte représentation dans les textes, avec cette caractéristique particulière que la poésie lui accorde toutes ses faveurs en jouant de sa suffixation et de sa substantivation. Blond fait preuve d’une grande facilité à être substantivé, à se transformer en nom propre et offre un faisceau de connotations positives ayant trait à la beauté et à la clarté.
Sor
97Cet adjectif provient du francique saur120 (brun tirant sur le jaune), lui-même issu soit du moyen néerlandais soor (séché) soit de la racine latine saur à l’origine de saurien (lézard). Il désigne une couleur à dominance de lustré, de brillant que l’on peut traduire par roux, fauve, châtain foncé, voire brun. Il s’applique donc à la robe alezane d’un cheval :
Il siet sor un grant cheval sor, | Il se tenait assis sur un grand cheval ambré, |
Durmart le Galois, v. 2054121. |
98ou, en fauconnerie, à un oiseau de proie de taille adulte mais qui n’a pas encore mué et possède donc ce plumage fauve caractéristique.
99Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, cet adjectif peut qualifier la blondeur puisqu’il se trouve régulièrement lié à bloi :
Qui voit sa crigne bloie, | Quiconque voit sa chevelure blonde |
Que samble qu’el soit d’or, | Croit qu’elle est d’or, |
Et son col qui blanchoie | Et son cou qui montre sa blancheur |
Desouz le biau chief sor !... | Sous les beaux cheveux ambrés !... |
La Douce Pensee, v. 15-18122 |
100et à blond :
Les crins ot sors et blons | Elle avait les cheveux plus ambrés et blonds |
c’ors fins reluisans | que l’or fin étincelant |
La Chanson des Saisnes, rédaction AR V, v. 120123. |
101Ces associations illustrent la conception élargie que le Moyen Âge avait de la blondeur et tendent à établir un rapprochement entre des nuances que nous aurions tendance à opposer, châtain et blond. Il faut donc supposer que cette couleur sore tire davantage sur le roux clair que sur le brun. Plutôt que de se perdre en conjectures sur la teinte exacte124, il nous semble préférable de considérer qu’avec blond et bloi, sor entre dans la sphère des couleurs positivement connotées, à la différence de rous125 ou de noir par exemple. Il existe cependant une différence avec blond dans la mesure où sor n’appelle pas en priorité le substantif chief126 et que l’adjectif beau n’est presque jamais coordonné à sor : l’adjectif ne comporte donc pas de valorisation particulière, si ce n’est sa propension à appeler une comparaison avec l’or.
102En effet, il se trouve rimer avec or, ce qui explique probablement son succès dans les textes versifiés où, lorsque sor est placé à la rime, il rime avec or dans près de 80 % des cas. L’adjectif est alors le plus souvent associé à (re)luisant :
Quant ele estoit escavelee | Quand elle ne portait pas de voile |
Si cheveil resambloient d’or, | Ses cheveux semblaient d’or, |
Tant estoient luisant et sor ; | Tant ils étaient brillants et ambrés ; |
Le Prestre et le Chevalier, v. 64-66127 |
Les chevialz ot crespez et sors | Elle avait les cheveux frisés et ambrés, |
et reluisans comme fins ors, | Brillants comme de l’or fin, |
Richars li biaus, v. 141-142128. |
103C’est donc autant la brillance que la couleur qui justifient le rapprochement avec l’or ; la richesse de ce mot, choisi de préférence à un autre pour sa rime toute trouvée, réside sans doute davantage dans ses sonorités que dans la couleur exacte qu’il représente.
104La nuance de blond doré que Soredamour instille à l’adjectif résulte par conséquent d’un jeu de signifiants, à moins que l’on ne considère que la ressemblance sonore ait influencé le sens de l’adjectif. L’accent est mis par l’auteur lui-même sur l’onomastique129, annonçant ainsi la suite de l’histoire dans laquelle le cheveu d’or sera plus resplendissant que le fil d’or.
105Le diminutif soret présente le même sens avec un capital sonore fascinant qui en fait un compromis entre les adjectifs sor et doré :
chevex que venz baloie | Ses cheveux que le vent balaie |
avoit sorez et blons. | Étaient d’un blond ambré. |
Chansonnier Mp, pièce cxix, v. 15-16130, | |
repris dans Guillaume de Dole, v. 4582-4583 |
Et Flurie au biau chief sore, | Et Fleurie aux beaux cheveux ambrés, |
Qui plus est blonde que fin ors. | Plus blonds que l’or fin. |
Galeran de Bretagne, v. 5198-5199 |
Mais quant il vint as armes, si com vous orrés, si li canjerent de la naturel blondor et devindrent soret et moult les ot tous jors crespés et cleirs par mesure et moult plaisans. | Mais quand il eut l’âge de prendre les armes, comme vous allez l’entendre, ils perdirent leur blondeur naturelle et devinrent légèrement ambrés et il les avait toujours frisés et modérément clairs et très plaisants. |
Lancelot en prose, t. vii, ixa, 4, p. 73. |
106Si les cheveux de Lancelot foncent en vieillissant, ce qui serait une preuve de maturité, l’auteur insiste bien sur la permanence de leur clarté (tousjors [...] cleirs), signe et indice de leur beauté (moultplaisans), au-delà même de leur teinte exacte.
107Enfin, soulignons la difficulté de sor à devenir un nom commun, ce qui le différencie très nettement de blond ou de bloi. Ne parlons pas du nom propre Sor, uniquement porté par le Sor de Montescler dans Le Bel Inconnu (v. 5506). On peut vraisemblablement supposer qu’il s’agit là d’un trait caractéristique du style de Renaut de Beaujeu. Cet adjectif se révèle donc généralement inapte à se substantiver et se trouve généralement accolé à un substantif : sor ne qualifie pas habituellement une personne mais uniquement sa chevelure, à de très rares exceptions près, à savoir li sors Gueris dans Raoul de Cambrai131 et la Sore Pucelle dans la Première continuation de Perceval132. L’adjectif ne s’est certes pas transformé en nom propre puisqu’il nécessite la présence du substantif Pucelle mais il faut reconnaître l’originalité d’un tel emploi. On retiendra donc de cet adjectif l’idée de brillance et de lustre qui justifie, au même titre que ses sonorités, son rapprochement avec l’or.
Bloi
108Le germanique blaco est à l’origine du synonyme le plus proche de blond : bloi, considéré comme une ancienne forme de bleu, qui va d’ailleurs le supplanter. Sa fréquence d’emploi la plus grande selon R. Boulengier-Sedyn se situe en effet entre la seconde moitié du xiie siècle et le premier quart du xiiie siècle133 et il disparaît ensuite, remplacé dans cette acception par blond. Cet adjectif, plus rare que blond et que sor, signale la pâleur aussi bien que la couleur bleu-vert. Il se traduit par blond s’il qualifie un substantif désignant la chevelure134. C’est là son emploi habituel puisque, à la différence de blond, il répugne à désigner directement des personnes (à l’exception des noms propres) ; les deux seules occurrences de notre corpus concernent Le Roman de Troie qui décrit Briseïda en ces termes flatteurs :
Plus esteit bele et bloie e blanche | Elle était plus belle, plus blonde et plus blanche |
Que flor de lis, ne neis sor branche, | Que la fleur de lys ou la neige sur la branche, |
v. 5277-5278 |
109très proches de ceux qui s’appliquent au fils d’Andromaque :
Laudomata ot non li uns, | Il s’appelait Laodamas, |
Qui ne fu leiz ne neirs ne bruns, | Il n’était pas laid, mais très beau et très aimable ; |
Qui blans e blois e genz e biaus | Son teint n’était pas foncé mais clair, |
Et sa chevelure non pas brune mais toute blonde : | |
E flors sor autres damaisiaus. | C’était le plus bel enfant du monde ! |
v. 15271-15274. |
110L’équivalence qui s’établit entre la beauté et la clarté à la fois du teint et des cheveux signale une esthétique de l’éclat, une harmonie radieuse et immaculée au sein de laquelle s’inscrit sans peine la douce et pâle blondeur raffinée que dénote bloi. Cette beauté éthérée renvoie à une perfection intérieure toute aristocratique, annoncée par genz.
111Ordinairement épithète, l’adjectif bloi montre une nette préférence pour crine135 qui est employé deux fois plus souvent que cheveux, ce qui inverse les proportions habituellement observées :
la crine avoit bloie ; | Elle avait la chevelure blonde ; |
Chansonnier U, pièce xlv, v. 39136. |
112Outre crine, chief est extrêmement bien représenté137 avec plus d’emplois que cheveux, ce qui tend à prouver la valeur avantageuse conférée à bloi, employé de préférence avec les deux substantifs les plus positivement connotés.
113Contrairement à sor, bloi entre très régulièrement dans la composition de noms propres, toujours valorisants : Yseut la bloie bien sûr (Folie de Berne, v. 497 et Tristan en prose, t. IX, 150, p. 225138) et, son clone – malheureusement non décrit – Criseuz la Bloie (Seconde Continuation, v. 25052139) mais également Imeine la bloie (Ipomédon, v. 3754), Helains li Blois (Lancelot en prose t. VIII, LIa, 8, p. 39), Persowis la bloie (Le Roman de Partonopeu de Blois, v. 8443), Rosete li Bloie (Didot-Perceval, p. 190, l. 878) mais aussi des personnages masculins : le Bloi Chevaler aussi appelé li Blois (Protheselaus, v. 4585 et 4658140) et Artus li Blois (Tristan en prose, t. V, 112, p. 273, l. 50-51141). Ce dernier est suivi, dans la liste des quêteurs, par Brunor li Noirs, juxtaposition qui crée un contraste mettant en évidence la blancheur et la clarté attribuées à bloi.
Jaulne
114Issu du latin galbinus, dérivé de galbus désignant la couleur jaune – vert pâle, jaulne est peu prisé dans la langue médiévale pour qualifier la chevelure. Il faut reconnaître qu’il s’applique davantage à un visage malade ou fatigué ainsi qu’à une altération d’autres couleurs, ce qui explique aisément le peu d’engouement des auteurs à l’employer pour décrire une admirable chevelure ! À partir du xive siècle, il faut croire que ces connotations négatives tendent à disparaître puisque l’adjectif commence (timidement) à s’appliquer aux cheveux, notamment à ceux de la belle Synamonde dans la chanson de geste Batard de Bouillon. Sauf erreur, c’est pour cet adjectif la première acception méliorative :
Li chevel sont plus ganne | Ses cheveux sont plus jaunes |
que fins ors qui resplent. | que l’or fin qui brille. |
Pas n’estoit couronnee de | Elle n’était pas couronnée d’une |
couronne d’argent, | couronne d’argent, |
Ains estoit de fin or, | Mais d’or fin, |
faite tant gentement ; | réalisée avec une parfaite élégance ; |
Bâtard de Bouillon, v. 2333-2335. |
115La comparaison avec l’or confirme et couronne la récente valorisation du qualificatif. Achevé entre 1337 et 1344, Perceforest nous offre deux emplois positivement connotés, notamment pour le premier grâce à la coordination avec clers et à la comparaison avec l’or :
les cheveulx tout aval plus clers et plus | Les cheveux tombants, plus clairs et plus |
jausnes que fin or. | jaunes que l’or fin. |
2e partie, t. ii, 205, p. 110, l. 7142 |
les pucelotes avoient les cheveulx plus | les jeunes filles avaient les cheveux plus |
gausnes que n’avoient les jouvenceaulx | jaunes que ceux des jeunes hommes |
2e partie, t. ii, 440, p. 233-234, l. 20-21. |
116Si l’on date la chanson de geste Hugues Capet des années 1360, voici le troisème emploi valorisant :
Sy cheviel ly estoient plus | Ses cheveux étaient plus |
gaune que laiton. | jaunes que le laiton. |
Hugues Capet, v. 4663. |
117Il est probable que ce soit l’assonance en on de la laisse qui ait dirigé la comparaison vers le laiton. Vers 1480, on note une occurrence dans le Monologue des perrucques de Guillaume Coquillart fils :
Affin qu’il aient leurs cheveulx jaunes. | Afin qu’ils aient les cheveux jaunes. |
p. 331143. |
118Fait encore remarquable, même si le texte date de la fin du xve siècle, il qualifie de jolis cheveux dans le Roman de Jehan de Paris, ceux des jeunes pages du duc d’Orléans et ceux du héros144 :
cent jeunes pages que merveilleusement estoient beaux, car ilz avoient les cheveux aussi jaulnes que fin or. | Cent jeunes pages d’une extraordinaire beauté, car ils avaient les cheveux aussi jaunes que de l’or fin. |
p. 25, l. 26-30145 |
Lors dit le page : « Ma damoiselle, regardez la en bas, celuy qui porte ung petit baston blanc en sa main et ung colier d’or au col. Regardez comment il a les cheveulx jaulnes, l’or de son colier ne luy change point la couleur de ses cheveulx. » Si fut moult joyeuse la pucelle des parolles que le page luy disoit. | Le page lui dit alors : « Mademoiselle, regardez là en-bas, celui qui porte une baguette blanche à la main et un collier d’or au cou. Regardez comme il a les cheveux jaunes, l’or de son collier ne dépare pas la couleur de ses cheveux. » La jeune fille se réjouit beaucoup des paroles du page. |
p. 65, l. 24-30. |
119Le rapprochement de l’adjectif avec l’or fin l’élève au rang des sor, bloi et blond. À la différence de ces derniers, jaulne présente donc la spécificité d’être affublé de connotations dépréciatives qui lui interdisent pendant plusieurs siècles de caractériser des chevelures obligatoirement resplendissantes puisque blondes. La fin du Moyen Âge oublie l’héritage étymologique de jaulne et lui offre une chance même s’il faut bien reconnaître la rareté de ses emplois ; cette évolution du négatif au positif ne se rencontre pas pour les autres qualificatifs de couleur.
120Plusieurs remarques s’imposent concernant les adjectifs relatifs à la blondeur en ancien français : leur nombre tout d’abord, trois fois supérieur à celui du français moderne, traduit la prépondérance de cette couleur dans la culture médiévale146 et si on peut avancer que des nuances chromatiques existent entre sor (brillant et un peu foncé), blond (du jaune au châtain) et bloi (plus clair), l’essentiel demeure leur charge affective147. Blond et bloi se rejoignent alors par leur haute valorisation, signifiée par les adjectifs qui les accompagnent ou par les substantifs nobles qu’ils qualifient. La forte représentation de bloi au sein d’illustres noms propres confirme sa connotation aristocratique, légèrement différente de la valorisation esthétique affectée à blond. Sor joue de ses ressources sonores pour inaugurer des comparaisons avec l’or tandis que jaulne ne jouit d’un semblant de faveur qu’à la fin du Moyen Âge. Rappelons que ces conclusions ne concernent que le bon jaune, celui qui renvoie dès l’Égypte Antique au soleil, au miel et à l’or, à la chair imputrescible dont étaient faits les dieux148. Il s’agit ici du versant positif et divin de la couleur, qui s’oppose au mauvais jaune du soufre et de la flamme dévorante. Ce dernier renvoie à l’exclusion, à la marginalité et à l’infamie. Les juifs devaient en effet au Moyen Âge arborer sur leurs vêtements une rouelle de couleur jaune pour les distinguer du reste de la population. Nous le verrons, c’est le roux, nuance malfaisante du jaune, qui reprendra à son compte ces connotations négatives.
À la brune...
121À l’éclat solaire de la blondeur s’oppose l’obscurité de la nuit tombante correspondant à la couleur brune. La hiérarchie des couleurs, qui octroie des degrés de beauté proportionnels à la clarté des cheveux, est infiniment redevable au symbolisme solaire. Au blond diurne, éblouissant et toujours rayonnant de beauté succède le brun plus obscur et plus commun, avant les ténèbres profondes, mystérieuses et inquiétantes de la nuit noire.
122La couleur brune, du latin brunus, représente l’éventail chromatique le plus large puisqu’il englobe toutes les nuances entre le roux et le noir. Elle correspond également à la couleur de cheveux la plus courante dans la France médiévale149, ce qui, rapporté aux textes, explique sa relative pénurie : la littérature n’a-t-elle pas le devoir de présenter des personnages extraordinaires, rares et singuliers150 ? C’est pourquoi les auteurs redoublent de précautions lorsqu’ils emploient l’adjectif brun pour qualifier leurs héroïnes. Des adjectifs comme cler soulignent la proximité avec la blondeur :
Ele fu une clere brune, | Elle avait les cheveux brun clair |
Le Roman de la Rose, v. 1237, |
123plaisant met l’accent sur le charme :
Allegez-moy, doulce plaisant brunette, | Allégez-moi, douce et plaisante brunette, | |
Allegez-moy ! | Allégez-moi ! | |
Farce nouvelle d’ung savetier nommé Calbain, p. 143151, |
124tandis que sade et acemee soulignent la grâce :
Je suis sade et brunete | Je suis gracieuse et brunette |
Chansonnier N, pièce lxi, v. 9152. |
La garce joine ot riant l’ueil | La très jeune fille avait l’œil rieur, |
et fu brunete et acemee. | Elle était brunette et gracieuse. |
Vie des Pères, v. 880-881. |
125Ces derniers exemples optent de surcroît pour un suffixe en – ette qui atténue la portée de brun, qu’on traduira alors par un peu brun ou tirant sur le brun. Régulièrement employé en apostrophe, cet adjectif tend à se substantiver :
LE MARY : Ouvrez l’huys, | LE MARI : Ouvrez la porte, | |
ma doulce brunette. | ma douce brunette | |
C’est le chappelain. Venez tost. | C’est le chapelain. Venez immédiatement. | |
Mari jaloux qui veut éprouver sa femme, v. 326-327153. |
126Sa vocation est alors davantage affective que descriptive. Ce type de diminutif abonde en poésie où il côtoie les Blondette154 :
Si li dis : « Brunete, | Je lui dis alors : « Brunette, |
Douce baisselete, | Douce jeune fille, |
Dites moi une cosete | Dites-moi une petite chose |
Par un tres bel jour de mai, v. 28-30155 |
Je suis sade et brunete | Je suis gracieuse et brunette |
Et joenne pucelete, | Et très jeune fille, |
S’ai color vermeillete, | J’ai le teint vermeil |
Euz verz, bele bouchete ; | Les yeux changeants, une belle petite bouche ; |
pastourelle anonyme, v. 9-12156. |
127Dans le cas où l’ajout du diminutif ne suffit pas à effacer la connotation négative de l’adjectif, les auteurs le font précéder de la locution adverbiale un poi :
Cele fee dont je devis | Cette fée dont je parle |
Estoit trop bien faite de vis, | Avait le visage extrêmement régulier, |
Un poi brunete, trop plaisanz, | Un peu brunette, très agréable, |
Mais ele ert si deduisanz, | Et elle était si charmante, |
Si savoureuse et si sadete | Si savoureuse et si gracieuse |
Et si cointe et si joliete, | Si élégante et si jolie, |
Escanor, v. 15767-15772157 |
Li castelainne de Nïor, | La châtelaine de Niort, |
C’on apieloit Alïenor, | Qu’on appelait Alïenor, |
Molt estoit cointe, un poi brunete, | Était fort élégante, un peu brunette, |
Le Roman de la Violette, v. 136-138. |
128En multipliant les atténuations et en répétant à l’envi l’agrément et la séduction des jeunes filles brunes, les auteurs parviennent à créer une impression très favorable de leurs personnages, en dépit de cette nuance moins flatteuse. Précisons tout de même qu’il s’agit là moins de beauté que d’attrait et de grâce, comme l’indiquent les adjectifs jolie, cointe, sade, avenant ou plaisant. Cette différence procède parfois d’une distinction sociale qui attribue une chevelure brune aux personnages subalternes :
La dameisele ot non Lunete | La demoiselle s’appelait Lunete |
Et fu une avenanz brunete, | Et c’était une accorte brunette, |
Mout sage, et veziee, et cointe. | Fort intelligente, avisée et aimable. |
Le Chevalier au Lion, v. 2417-2419. |
129La blondeur étant une caractéristique aristocratique, il est possible d’expliquer la couleur de la chevelure de Lunete par sa qualité de servante. « Si Chrétien a fait de Lunete une brune, c’est qu’il a pensé sans doute à un contraste entre la beauté de la suivante et la beauté de la dame immuablement blonde en vertu de l’idéal esthétique de l’époque »158 : dans ce portrait, Lunete accède d’une certaine manière à la plus haute beauté accessible à une servante car jamais Chrétien n’a choisi cette couleur de cheveux pour ses héroïnes.
130Comme véritable nom propre, Brun semble simplement signaler une notation physique, sans dévalorisation particulière. Outre l’ours Brun159, on rencontre ainsi Galehot le Brun, Segurant le Brun, Hestor le Brun (son père) ou encore Brun Branda-lis160. À la différence des précédents, Brun sans Pitié161 se caractérise par la noirceur de son tempérament mais c’est davantage son surnom qui porte la connotation négative. Chez les personnages féminins, on pense à Brune la corneille dans Le Roman de Renart162 mais surtout à Brunissen, châtelaine de Monbrun :
E-l vergier es d’una piucela | Le verger appartient à une jeune fille |
Qe a num Brunissens la bela, | Qui s’appelle Brunissen la belle, |
E sus castels a num Monbrun. | Et son château a pour nom Monbrun. |
Jaufré, v. 3059-3061. |
131Si le portrait de Blonde Esmerée occulte sa blondeur163, celui de Brunissen escamote la description de la chevelure brune attendue pour proposer à la place une blondeur canonique, déjouant ainsi l’horizon d’attente forgé sur l’onomastique :
E siei cabel delgat et saur | Et ses fins cheveux blond ambré |
Son gent estreit d’un filet d’aur ; | Sont gracieusement noués d’un fil d’or ; |
Jaufré, v. 7137-7138. |
132Ses fins cheveux blonds orientent Brunissen vers la masse indéterminée des blondes héroïnes quelque peu statufiées, au grand regret du lecteur qui se préparait à lire – enfin ! – la description d’une belle brune, à l’instar de cette jeune demoiselle :
Ele ot brun poil, s’est plus blanche, | Elle a la chevelure brune, le teint est plus blanc |
que fee, | que fée, |
Droit nes, blans danz con est la flors | Le nez droit, les dents blanches comme la fleur |
en pree, | des prés, |
Vairs euz rianz, | Les yeux changeants et rieurs, |
boichette encoloree, | la bouche colorée, |
Front blanc et cler, | Le front blanc et clair, |
tendre come rosee ; | tendre comme la rosée ; |
Gente de cors, de membres acemee, | Le corps gracieux, les membres souples, |
Ainz plus bele ne fu de mere nee. | Jamais il n’exista sur terre une telle beauté. |
Bel m’est li tens, v. 4.1-4.6164. |
133Ce portrait multiplie les originalités en ne respectant pas l’ordre canonique et surtout en proposant une couleur brune165 aussi inattendue que les comparaisons innovantes avec la fée ou la fleur au pré. Colin Muset vise ici à surprendre son auditoire mais l’on ajoutera simplement que cette liberté est rendue plus facile dans la lyrique pour la simple raison que, par convention, les jeunes filles courtisées par les poètes dans ces chansons légères sont bergères et non pas reines : comme Lunete, elles peuvent être brunes sans que cela leur porte préjudice.
134Il reste en dernier lieu à évoquer le cas d’un bel chevalier brunet166, Lancelot, qualifié à la fois de beau et de brun tout au long du tome iv, et dont la couleur de cheveux devient un signe distinctif167. Le choix d’une telle nuance pour le personnage principal laisse songeur168. Sachant qu’il est également précisé dans le tome vu que les cheveux de Lancelot foncent avec l’âge169 et même si le texte s’évertue alors à souligner l’harmonie de cette couleur brune associée à la blancheur rosée de la peau :
Il fu de moult bele charneure, ne bien blans ne bien bruns, mais entremellés d’un et d’autre : sel puet on apeleir cleirs brunés. Il ot le viaire enluminé de naturel color vermelle, si par mesure que visaument i avoit Diex assise la compaignie de la blanchor et de la brunor et del vermel, que la blancor n’estoit estainte ne enpirie pour la brunor, ne la brunor por la blanchor, ains estoit atenprés l’une de l’autre, et la vermelle color qui par desus estoit enluminoit et soi et les autres colors melees, si que rien n’i avoit trop blanc ne trop brun ne trop vermel, mais igal melleure de .III. ensamble. | Il était d’une magnifique carnation, ni vraiment blanche ni vraiment brune, mais entremêlée de l’une et de l’autre couleurs : de cette teinte qu’on pourrait appeler le brun clair. Il avait le visage illuminé par une couleur vermeille mais avec tant de juste mesure qu’il semblait que Dieu y eût réussi la parfaite alliance du blanc, du brun et du vermeil. Car le blanc n’était pas éteint ni dégradé par le brun, ni le brun par le blanc, mais l’un tempérait l’autre, et la couleur vermeille, qui était posée par-dessus sans excès, s’illuminait et illuminait les deux autres couleurs mêlées, si bien qu’il n’y avait rien de trop blanc, de trop brun ou de trop vermeil, mais un égal mélange des trois couleurs ensemble. |
Lancelot en prose, t. vii, ixa, 3, p. 71-72. |
135il n’en reste pas moins que ce brun clair – brun tout de même – signale peut-être une âme entachée dont la faute secrète rejaillirait sur la physionomie. Stigmate corporel d’un péché charnel ? Témoignage involontaire de sa liaison avec la femme d’Arthur ? Empreinte indélébile de sa déloyauté ?
136Les auteurs usent donc avec parcimonie et prudence de cette teinte brune si insignifiante. Il s’agit pour eux de la rapprocher de la blondeur ou bien de forcer les conceptions admises en la qualifiant de charmante. Lancelot demeure le seul héros doté d’une telle couleur de cheveux. Le brun de l’âge adulte ayant recouvert le blond innocent de l’enfance, la chevelure porte la trace évidente de sa condition de pécheur et fait de lui un héros accessible partageant le sort commun.
Noirceur
137Rarissime, la chevelure noire est laide et se voit associer les termes les plus infamants. Ainsi ce portrait des Bédouins brossé par Joinville explicite-t-il par une relation causale la disgrâce de ces étrangers :
De touailles sont entorteillees leur testes, qui leur vont par desous le menton, dont ledes gent et hydeuses sont a regarder, car les cheveus des testes et des barbes sont touz noirs. | Leurs têtes sont entortillées de linges qui leur passent par-dessus le menton, ce qui les rend très laids et hideux à regarder, car les cheveux de leur tête et les poils de leur barbe sont tout noirs. |
Vie de saint Louis, § 252, l. 2-5 |
138De même, Benoît de Sainte-Maure, avant de faire l’éloge de la beauté du fils d’Andromaque, esquisse un portrait antithétique des attributs hideux que ne peut posséder Laodamas, à savoir des cheveux foncés170. Cette teinte qui ne réfléchit pas la lumière (divine ?) se charge de connotations morales négatives, en vertu d’une association immémoriale du mal, du péché et de la couleur noire, dans l’antiquité païenne aussi bien que chrétienne. C’est par excellence la couleur des diables171 :
Il estoient noirz aussi come Ethyopiens et lez et hisdeus, et si avoient granz piez et desmesurez, et iols vermeuz, molt espoentables, de poor pleins et d’oribleté. Lor cheveus estoient noir, qi de testes q’il avoient noires et cornues lor issoient, et si estoient si lons q’il covroient toz lor cors. | Ils étaient aussi noirs, laids et hideux que des Éthiopiens, et ils avaient les pieds démesurément grands ; leurs yeux vermeils, tout à fait épouvantables, exprimaient la peur et l’horreur. Leurs cheveux noirs sortaient de leur tête noire et cornue et, de leur longueur, couvraient entièrement leur corps. |
La Vie SeintMarcel de Lymoges, p. 67, l. 701-706172. |
139Comme dans la Vie de Saint Louis, la couleur foncée de la peau des Africains, aux antipodes des canons occidentaux de l’époque, est qualifiée de laide et de hideuse. La chevelure noire des diables, qui les couvre entièrement et ne laisse voir que des pieds démesurés et des yeux rouges comme les flammes de l’enfer, témoigne de leur nature satanique. Merveilleuse, la vieille femme dont voici le portrait l’est à plusieurs titres ; sa laideur extraordinaire parvient à faire oublier l’amour, et sa physionomie, qui tient plus de l’animal que de l’humain, fascine autant qu’elle terrifie :
Les crins avez plus noirs que cramillie, | Vous avez les cheveux plus noirs |
[qu’une crémaillère, | |
Visaige d’ours, langue desordonnée, | Un visage d’ours, la langue inconvenante, |
Baveuse aussi, janglant | Baveuse également, bavarde |
comme une pye, | comme une pie, |
Bras cours et gros, | De gros bras courts et |
pance de bran enflée ; | la panse gonflée d’ordure ; |
Sote chançon en balade d’une vielle merveilleuse, v. 11-14. |
140Face à une créature aussi monstrueuse, la réaction médiévale la plus courante reste de repousser le monstre hors de l’humanité en l’associant à la figure du Malin :
Se Lucifer n’avoit femme espousée, | Si Lucifer n’avait pas pris femme, |
A lui vous doing, | Je vous donnerais à lui, |
cil vous ara moult chier, | il vous estimerait beaucoup, |
Car nul fors li vouldroit | Car personne à part lui ne voudrait |
a vous touchier ; | vous toucher ; |
Sote chançon en balade d’une vielle merveilleuse, v. 25-27173. |
141Ce rapprochement était en germe dans la couleur noire – quasi diabolique – des cheveux et la comparaison avec la crémaillère, sans cesse léchée par les flammes (infernales ?). Notons cependant que la couleur noire des cheveux ne constitue qu’une des ignobles particularités de la vieille femme et que c’est bien l’ensemble du portrait qui oriente l’interprétation. Cependant, cet exercice d’école auquel se livre Eustache Deschamps en prenant systématiquement le contre-pied du portrait de la beauté idéale n’en démontre pas moins que noir est considéré comme l’exact opposé de blond.
142Le latin niger, à l’origine de neir/noir, était déjà employé au physique comme au moral, ce qui peut expliquer les emplois abstraits négatifs qui se font jour au xiie siècle174. C’est pourquoi cette couleur – associée au deuil – annonce un danger ou un malheur. La demoiselle à la mule fauve qui arrive à la Cour d’Arthur symbolise la fin d’une époque heureuse pour Perceval qui, après avoir écouté le message délivré par la jeune fille, connaîtra les conséquences de son silence lors de sa visite au Roi Pêcheur. Les grosses tresses noires de la messagère constituent déjà un mauvais augure quant à la nouvelle qu’elle apporte :
Une dameisele qui vint | Une demoiselle qui arriva |
Sor une mule fauve, et tint | Sur une mule fauve, et qui tenait |
An sa main destre une escorgiee. | De la main droite un fouet. |
La dameisele fu treciee | La demoiselle était coiffée |
A deus treces grosses et noires, | De deux épaisses tresses noires |
Et, se les paroles sont voires | Et, s’il faut en croire |
Tex com li livres les devise, | Les termes du livre qui rapporte ces faits, |
Onques riens si leide a devise | Jamais il n’y a eu de créature |
Ne fu neïs dedanz enfer. | Si absolument laide, même en enfer. |
Le Conte du graal, v. 4611-4619. |
143La couleur fauve de la mule de même que l’allusion à l’enfer ne font que renforcer l’angoissante impression produite par la messagère. On rapprochera ce portrait de celui d’une autre demoiselle tout aussi hideuse rencontrée dans la forêt et présentant des caractéristiques similaires :
Car saciés qu’ele avoit le col et le viaire et les mains plus noires que fers, et si avoit toutes les jambes tortes et si ouel estoient plus rouge que feus, et si avoit par vreté entre deus yels plainne paume. Et por voir vos puis je bien dire que il n’en paroit sor l’arçon plus de plain pié, et avoit les piés et les jambes si croçues qu’ele ne les pooit tenir es estriers. Et estoit trecie a une trece, et saciés que li trece estoit corte et noire, et miels resambloit a estre li keue d’un rat que autre cose ne fist. | Sachez donc qu’elle avait la peau du cou, du visage et des mains plus noire que le fer, ses deux jambes étaient tordues et il y avait en vérité la largeur d’une main entre ses deux yeux plus rouges que le feu. Et je peux bien vous affirmer qu’elle ne dépassait pas de plus d’un pied l’arçon de la selle car elle avait les pieds et les jambes si ccourts et si tordus qu’elle ne pouvait les maintenir dans les étriers. Elle était coiffée d’une tresse et sachez que sa tresse était courte et noire, et qu’elle ressemblait plus à la queue d’un rat qu’à autre chose. |
Didot-Perceval, l. 822-830. |
144Ce monstre noir de peau comme de chevelure porte également une tresse, comme si l’essentiel se jouait dans cette caractéristique sur laquelle convergent les deux portraits. Tordue par le tressage, la chevelure très foncée signifierait alors le manque de droiture de l’esprit, son caractère tortueux et fondamentalement fourbe. À moins que cette coiffure ne soit la transposition humaine d’un objet composé de lanières de cuir tressées : le fouet, ce qui tendrait à faire du personnage un instrument de torture. Tel est bien le rôle que joue la demoiselle à la mule fauve dans la vie de Perceval qu’elle va emplir de remords.
145Chez les personnages masculins, les cheveux noirs ne sont pas tressés mais hirsutes, ce qui amplifie l’impression négative produite par leur couleur. L’allégorie de Danger cumule ainsi le désordre hérissé des cheveux et la noirceur :
Granz fu et noirs et hericiez, | Il avait le teint noir et le poil hérissé, |
Le Roman de la Rose, v. 2920175. |
146On pense aussi à la monstrueuse rencontre que fait Aucassin :
Tote une viés voie herbeuse cevaucoit, s’esgarda devant lui en mi le voie, si vit un vallet tel con je vos dirai. Grans estoit et mervellex et lais et hidex. Il avoit une grande hure plus noire q’une carbouclee, et avoit plus de planne paume entre deus ex, et avoit unes grandes joes et un grandisme nés plat et unes grans narines lees et unes grosses levres plus rouges d’une carbounee et uns grans dens gaunes et lais ; et estoit cauciés d’uns housiax et d’uns sollers de buef fretés de tille dusque deseure le genol, et estoit afulés d’une cape a deus envers, si estoit apoiiés sor une grande maçue. | Comme il chevauchait au long d’un vieux sentier envahi d’herbe, il regarda devant lui au milieu du chemin et vit un jeune homme que je vais vous décrire. Il était grand, affreusement laid et horrible. Il avait une hure énorme et plus noire que le charbon des blés. Entre ses deux yeux il y avait plus de la largeur d’une main ; il avait de grosses joues et un immense nez plat, des narines énormes et larges, de grosses lèvres plus rouges qu’un bifteck et d’affreuses longues dents jaunes. Il portait des jambières et des souliers en cuir de bœuf que des cordes en écorce de tilleul lui maintenaient autour de la jambe jusqu’au-dessus du genou, une cape sans envers ni endroit, et il était appuyé sur une énorme massue. |
Aucassin etNicolette, chapitre xxiv, l. 13-24. |
147Outre le voisinage de la hure noire et des adjectifs lais et hidex, contiguïté qui instaure une nouvelle fois une équivalence entre noirceur et laideur, on soulignera l’influence du portrait du vilain brossé par Chrétien dans Le Chevalier au Lion. La disgrâce physique y est également rapportée à l’animalité rustique, nécessairement noire ou rousse, couleurs remplissant des fonctions répulsives identiques. Toute évocation d’un être étrange et différent engendre donc un horizon d’attente qui intègre cette coloration foncée, que ce soit les Bédouins pour Joinville ou bien Priande dans Perce-forest, cette jeune sauvage découverte par Estonné :
Et sachiez qu’elle n’avoit oncques eu les cheveulx coppez, ainçois luy gisoient sur les espaules estenduz, nompas noirs, mais tiroient sur le blanc pour le soleil, car elle ne sçavoit que c’estoit que de chapperon. | Et sachez que ses cheveux n’avaient jamais été coupés mais se déployaient au contraire sur ses épaules, non pas noirs mais tirant sur le blanc à cause du soleil, car elle ne connaissait pas l’usage du chaperon. |
Perceforest, 2e partie, 10, p. 6, l. 17-21. |
148De même que le début du portrait de Laodamas176 proposait, comme sur un négatif photographique, un double inversé du jeune homme avant de rétablir la vérité sur son physique, la description de Priande commence par faire référence à la couleur noire des cheveux, la plus probable chez un être étranger à la société courtoise. Appelée à devenir une héroïne puisqu’elle épousera Estonné, Priande devra nécessairement se plier aux canons esthétiques en vigueur. Or, elle est encore une sauvageonne au moment où la découvre le lecteur qui s’attend à ce que la chevelure ait la couleur noire caractéristique des sauvages. L’effet de surprise que produit la blondeur est renforcé par un trait à vocation réaliste : les cheveux blonds de Priande – la grecque ! – sont si décolorés par le soleil qu’ils en paraissent blancs. Même en l’absence de chevelure foncée, la description d’une sauvageonne réclame donc la mention de la couleur noire.
149Néanmoins, certains chevaliers, y compris dans la prestigieuse liste des quêteurs du Graal fournie par le Tristan en prose, unissent Noir tel un étendard à leurs noms : Brunor li Noirs, Faron li Noirs, Ganemor li Noirs ou encore Meliadus li Noirs177. Il serait sans doute abusif d’attribuer une valeur symbolique à cette couleur de cheveux dans la mesure où la liste joue des contrastes entre blond et noir, mais aussi entre petit et grand, beau et laid. D’autre part, le lecteur ne connaît généralement rien d’autre sur ces chevaliers que leur nom. Parmi ceux qui portent ce qualificatif, un seul, Belyas le Noir, l’ennemi des meilleurs, est de façon catégorique mis au ban de la société courtoise :
Belyas li Noirs abati mon signor Gauvain | Belyas le Noir tua monseigneur Gauvain |
et monsignor Yvain | et monseigeur Yvain, |
Lancelot en prose, t. v, xciii, 34, p. 140. |
150Autrement dit, on est en droit de se demander si les critères physiques du chevalier idéal ne se modifient pas au cours du Moyen Âge. Déjà, la première exception aux considérations précédentes concernait Le Roman de Troie – précurseur à bien des égards – qui, pour ce qui est de la teinte des cheveux, aime à s’écarter des sentiers battus178 bien que Benoît connaisse parfaitement les canons esthétiques : le refus d’attribuer à Néoptolème-Pyrrhus179 la chevelure blonde attendue traduit-il la fidélité aux sources ou un souci de réalisme au cœur de ce monde méditerranéen ? Toujours est-il que Télamon partage également cette particularité180. Les autres entorses à la loi de la blondeur concernent des textes des xive et xve siècles. À commencer par le Chevalier Doré de Perceforest – dont le surnom ne fait pas référence à la chevelure mais probablement à l’armure – qui, fait singulier, se voit qualifié de beau en dépit de ses cheveux noirs :
Il avoit le viaire bien fait et meslé de bonne couleur entre blanche et brune et une chiere hardie et noire chevelure. [...] et dist en elle mesmes que oncques n’avoit veu plus beau chevallier | Il avait les traits réguliers, une belle carnation qui mêlait le blanc et le brun, un air hardi et une chevelure noire. [...] elle se dit en son for intérieur qu’elle n’avait jamais vu de plus beau chevalier |
Perceforest, 3e partie, xi, p. 97, l. 374-385. |
151Ce portrait ne peut manquer de susciter l’étonnement du lecteur dont on bouleverse les codes de lecture, surprise teintée d’admiration devant la hardiesse et la splendeur du contraste instauré entre le noir et l’or. À la fin du xive siècle, le bel Ysaïe a également les cheveux noirs et crêpus :
Moult fu Ysaye plains de grant beauté, fors, grans, apers et hardis par samblanche. Et ot .XI. piés de loing et s’estoit cras et membrus a l’avenant, les cheveulx noirs et creppés et les yeulx vairs, grande bouche et rousse barbe, les bras plas et ossus et puins quarrés et jambe vautiche, et avoit sy crueux regart c’a mervelles, et non pourquant rioit volentiers par nature. | Ysaïe était extrêmement beau, fort, grand, il avait l’air courageux et franc. Il mesurait onze pieds et était agréablement gras et membru. Il avait les cheveux noirs et frisés, les yeux changeants, une grande bouche et une barbe rousse, les bras plats aux os forts, les poings carrés et les jambes cambrées. Son regard était incroyablement cruel, et pourtant il était de nature rieuse. |
Ysaïe le Triste, 27 (a), 18v, p. 43181. |
152Le retour régulier quoique assez rare de portraits de chevaliers méritants dotés d’une chevelure noire laisse songeur. Un idéal chevaleresque parallèle se dessine sous nos yeux, se superposant – sans toutefois les effacer – aux portraits blonds d’un Cligès ou d’un Keu. D’ailleurs, Cedric Edward Pickfordd, en étudiant le manuscrit B.N.fr. 112, constate lui aussi que « vers la fin du Moyen Âge, à l’époque où la chevalerie historique est en décadence, surgit un nouveau type de chevalier idéal »182. Ce manuscrit datant de la fin du xve siècle livre, dans Guiron le Courtois183, le portrait du Bon Chevalier Sans Peur, Brunor le Noir :
Il estoit de moult belle taille moyenne, ne trop grant ne trop petit, si estoit brun hom, et avoit cheveux a planté moult noirs, li visages doulx et paisible, lez yeulx groz et rons, le nez avoit bien fait et compassé, et barbe avoit assés, la bouche petite et rougete, et belle a merveilles, les espaules droictes et larges, les bras longs et gros, et la main moult grosse et bien nouee. | Il était de taille moyenne, parfaite, ni trop grand ni trop petit, et c’était un homme brun, qui avait une abondante chevelure très noire, le visage doux et paisible, les yeux gros et ronds, le nez assez bien dessiné et régulier, la barbe en abondance, la bouche petite et un peu rouge, incroyablement belle, les épaules droites et larges, les bras longs et gros et la main très forte et noueuse. |
Guiron le Courtois, ms B.N.fr. 112, II, ff. 182b-c. |
153La profusion de cheveux noirs s’impose ici comme une caractéristique du personnage ; associée à la matité de la peau du visage, elle rapproche le roi d’Estrangorre du Chevalier sarrasin Palamède connu pour sa fidélité exemplaire :
Il est de moyenne stature. Il a le visage brun, avecques noire chevelure, et moult estoit bien barbé. | Il est de moyenne stature. Il a le visage brun, encadré d’une chevelure noire et d’une barbe bien fournie. |
Guiron le Courtois, ms. B.N.fr. 112, II, fol. 117c. |
154La proximité des deux portraits est d’autant plus saisissante qu’elle s’oppose aux considérations esthétiques de Joinville citées plus haut. Même si elle reste relativement peu représentée, cette mutation esthétique révèle une évolution morale : « Palamède et le Bon Chevalier Sans Peur [...] représentent un aspect plus sévère de la chevalerie arthurienne. Pour eux la chevalerie n’est pas un simple sport, ni un divertissement »184. Ces portraits de héros ténébreux signalent la naissance d’un idéal chevaleresque parallèle, plus austère et plus rigoureux que celui que représentait Gauvain le galant. À la courtoisie légère succède un investissement plus grave et plus sérieux185.
155Les cheveux noirs restent généralement associés dans les textes médiévaux à une impureté de l’âme, à une malveillance presque démoniaque. Ils ne sont alors qu’un reflet de la noirceur du cœur. Une tendance opposée, concentrée à la fin de l’époque médiévale, associe toutefois la chevelure noire à l’âpre détermination d’un chevalier d’un genre nouveau qui, par son comportement, révèle que la « violence et [la] cruauté ne sont que l’autre face de la justice, [que] l’implacabilité accompagne nécessairement la générosité, [et qu’] amour et infidélité vont de pair »186. Cette émergence d’un nouveau canon esthétique, lié à une rénovation morale, reste strictement liée aux personnages masculins afin de souligner leur fureur guerrière ou leur âpreté au combat : la chevelure noire de la femme ne peut en aucun cas se charger de connotations positives.
Taches de rousseur
156Dans un panorama capillaire offrant une place de choix à la blondeur, la rousseur fait tache aussi bien par sa rareté que par les implications dévalorisantes contenues dans les adjectifs rous, falve et auborne.
Rous
157À l’image de Renart le goupil187, assurément roux médiéval le plus fameux, les personnages roux ont généralement mauvaise réputation. Ce dérivé du latin russus (signifiant rouge, fauve) a d’abord désigné une chevelure rouge orangé188 avant de s’appliquer par métonymie à une personne ayant les cheveux de cette couleur189. Les connotations offensantes affectées à rous sont explicitées par Hersent :
« Renars, fait elle, li piaus le doit | « Renart, dit-elle, votre poil indique |
Que soiés fel et deputaire. | Que vous êtes pervers et vil. |
Le Roman de Renart, branche ix, v. 200-201. |
158voire par le narrateur lui-même190. Fourberie, perfidie et ruse sont données comme l’apanage des roux. Cette teinte entre le rouge et l’ocre évoque invariablement à l’époque médiévale les flammes de l’enfer191 : si les diables ont le poil sombre, les damnés ont le poil roussi par le feu infernal. Le traître, comme Judas192, sera ainsi doté d’une pilosité de cette couleur flamboyante, signe et indice de sa duplicité193. L’association de rous aux qualificatifs les plus injurieux n’a donc rien d’extraordinaire :
« Rus enrievre de pute lei, | Méchant rouquin de mauvaise nature, |
congié vous doigne que vous facez | Je vous donne la permission de faire |
trestouz les mals que vous purrez, [...] » | Tout le mal que vous pourrez, [...] » |
Le Roman de Thèbes, v. 9530-9532 (Daire) 194. |
159Dans le Merlin de Robert de Boron, l’enchanteur est sommé de donner des explications à Vertigier sur sa tour qui s’écroule, tâche dont Merlin s’acquitte en lui racontant le combat de deux grands dragons souterrains. L’un est blanc, l’autre roux et li blancs ocirra le rous. Contraint d’éclaircir ses propos, Merlin élucide l’énigme en précisant que le dragon blanc représente le fils de Constant, l’héritier légitime, tandis que le roux figure Vertigier, l’imposteur195. À la rousseur le mal, la déloyauté et la traîtrise196, à la blancheur l’innocence et le bon droit. Du fait de sa rareté, cette couleur suscite un trouble inquiétant, une fascination toute contenue. « Dans l’état actuel de nos connaissances », précise Michel Pastoureau, « il semble malaisé d’expliquer cette défaveur de la chevelure rousse autrement que par la notion d’écart différentiel : dans les cultures du bassin méditerranéen, le roux c’est celui qui n’est pas comme les autres »197. La rousseur suggère l’étrangeté de l’autre, toujours menaçante ; ainsi cet écuyer belliqueux rencontré par Gauvain :
Les chevox ot merlez et ros, | Il avait les cheveux roux, emmêlés, |
Roides et contremont dreciez | Raides, dressés vers le haut |
Come pors qui est hericiez, | Comme une hure de sanglier, |
Et les sorcix ot autretés, | Et les sourcils du même genre, |
Que tot le vis et tot le nes | Car ils lui couvraient tout le visage |
Li covroient jusqu’as grenons | Et tout le nez jusqu’aux moustaches |
Que il avoit tortiz et lons. | Qu’il portait longues et bouclées. |
Le Conte du graal, v. 6988-6994. |
160Les adjectifs merlez et roides présentent une antithèse parfaite aux coiffures apprêtées, d’où s’échappent artistiquement quelques fines boucles ondulées. En effet, la laideur de l’écuyer se voit ici amplifiée parce que ses cheveux roux ne sont ni peignés ni mis en ordre. Les comparaisons n’ont ici d’autre but que de dévaloriser le personnage en le reléguant au rang d’animal, comme en témoigne le choix de la comparaison avec le pors hericiez198. La concentration des remarques sur l’abondance du système pileux tendent également à rapprocher cet être velu199 du règne animal. Repoussé aux limites de l’humanité, l’écuyer roux cesse enfin de troubler. Inquiétant à cause de sa différence et de son altérité200, le roux l’est effectivement bien davantage quand il qualifie un homme ordinaire.
161On ne compte plus les noms propres stigmatisant cette dissemblance. Certes, ces surnoms pointent l’écart mais ils jouent néanmoins un rôle intégrateur dans la mesure où ils confèrent une identité humaine et sociale au roux, à la différence du portrait de l’écuyer à la triste mine. On citera par exemple Rousselet l’Écureuil, Le Roux du Pin, Simon le Roux, Esclados le Roux, Bertelai le Roux, Cahot le Roux, Argrodas le Roux, Malruc le Roux, Anchisés le Roux ou Marigart le Roux201 en signalant l’absence de demoiselles portant un tel surnom. Simples notations physiques, ces noms peuvent se charger d’implications morales, tels Marc le Roux ou Roux de la verde montaigne202 ou tel le Roux Chevalier ayant tué par traîtrise l’excellent Brun Brandalis203.
162À l’opposé de ces rousseurs entachées de vices, on rencontre quelquefois des portraits incluant des cheveux roux dans une description élogieuse :
Ab tant us cavaliers repos, | Alors un seigneur, |
C’om apela Simon lo Ros, | Du nom de Simon le Roux, |
Bels e fortz, e mals e sobrers, | Beau et fort, hautain et farouche, |
E meravilos cavalers | Et merveilleux cavalier |
Jaufré, v. 3321-3324 |
Alixandre fu uns toseals, | Alexandre était un jeune garçon, |
Et si sachez qu’il fu molt beals. [...] | Et sachez qu’il était très beau. [...] |
Granz fu et forz et vigurous, | Il était grand, fort et vigoureux, |
chere out guavarde et le chief rus ; | Il avait le visage épanoui et les cheveux roux ; |
Le Roman de Thèbes, v. 10911-10928 |
Menelaus n’iert granz ne petiz ; | Ménélas était de taille moyenne ; |
Ros iert e biaus, prous e ardiz. | Il était roux, beau, preux et courageux. |
Le Roman de Troie, v. 5153-5154204. |
163Comment une dépréciation injurieuse du roux sous les traits de Daire205 et une valorisation du roux en la personne d’Alexandre peuvent-elles coexister dans une même œuvre telle que le Roman de Thèbes ? Les propriétés morales attachées à la rousseur des cheveux oscilleraient en fait entre un versant négatif, celui de la traîtrise, et un versant plus positif prenant en compte la ruse, l’astuce, l’engin, ainsi que le développe Benoît dans sa description du fameux prince troyen Énée :
Les iolz ot neirs, le vis joios ; | Ses yeux étaient noirs, son visage souriant ; |
De barbe e de cheveus fu ros. | Sa barbe et ses cheveux étaient roux. |
Mout ot engin, mout ot veisdie | Il était très rusé, plein d’astuce |
E mout coveita manantie. | Et très avide de richesses. |
Le Roman de Troie, v. 5469-5472. |
164Bien qu’appartenant à la conjuration des traîtres, Énée est ici présenté de façon ambivalente : sa rousseur porte à la fois témoignage de sa déloyauté – sur laquelle insiste veisdie – et de son ingéniosité. Ces portraits de héros roux sont néanmoins limités en nombre et dans le temps puisqu’ils ne concernent que le début du xiie siècle et le xve siècle :
sa cher estoit blanche comme lis, | Sa chair était blanche comme lys, |
et les yeulx vers et amoureux ; | ses yeux vifs et amoureux ; |
ses cheveux roux comme fin or | ses cheveux roux comme l’or fin |
Pierre et Maguelonne, p. 26206. |
165Le portrait de Pierre présente l’intérêt d’assurer la promotion de la couleur rousse grâce à la comparaison de celle-ci avec l’or tandis que les romans de Jaufré et de Troie précédemment cités proposent le qualificatif de beau.
166À la fin du xiie siècle, Wace laisse encore poindre la rousseur dans son portrait de Richard I mais le mot connaît déjà des emplois défavorables, comme le souligne la conjonction adversative mez :
Cheveleûre out bloie, | Il avait les cheveux blonds, |
mez a rousor troubla. | mais mêlés de roux. |
Le Roman de Rou, v. 266. |
167Ce substantif rousor est unique dans notre corpus. La blondeur de Richard Sans Peur tire sur le roux : elle est impure, mêlée à une rousseur qui le désavantage, comme le montre le verbe troubler dont les emplois sont plutôt dévalorisants207. Bien que secondaire par rapport à bloie aux connotations flatteuses, le substantif entache néanmoins le portrait du duc de Normandie, qu’une tradition tardive reconnaît comme fils de Robert le Diable. Toujours est-il que cette rousseur, que Wace signale en évoquant une séance d’exorcisme, associe le personnage au surnaturel.
Faulve
168Si la beauté médiévale relève pour une large part de la blondeur, la laideur est logiquement associée aux teintes plus foncées :
Sire cumpain, ci en vient une, | Seigneur compagnon, en voici une, |
mes el n’est pas falve ne brune ; | Qui n’est ni fauve ni brune ; |
ceo’st la plus bele de cest mund, | C’est la plus belle du monde, |
Lai de Lanval, v. 605-607. |
169En ébauchant un portrait antithétique de ce que serait la disgrâce d’une chevelure rousse ou brune, Marie de France met en valeur par contraste la beauté de la fée. La couleur fauve se donne comme le summum de la laideur. Comme preuve que son amour pour Lidoine ne concerne pas l’apparence physique de la demoiselle mais bien sa courtoisie, voici ce que Méraugis rétorque à son rival Gorvain Cadruz :
Einsi com vostre amor s’adrece | Alors que votre amour ne prend en compte |
A amer sanz plus sa beauté, | Que sa beauté, |
Vos di je sor ma lëauté | Je vous avoue loyalement |
Que ge l’aim sanz plus | Que je ne l’aime pas que |
por ce, voire. | pour ces raisons, vraiment. |
Que s’ele estoit baucens ou noire, | Si elle était variolée, noire, |
Ou fauve – que vos en diroie ? – | Ou rousse – que sais-je encore ? – |
Ja por ce mains ne l’ameroie, | Je ne l’en aimerais pas moins, |
Ne ja n’en seroie tornez. | Et je ne me détournerais pas d’elle. |
Méraugis de Portlesguez, v. 576-583. |
170Le rejet de fauve, son association aux adjectifs baucens (tavelée) et noire ainsi que l’incidente exclamative traduisent le sentiment du personnage d’avoir atteint là le comble de l’horreur. L’adjectif fauve, emprunté au bas latin falvus (d’un jaune tirant sur le roux) est relativement rare pour qualifier la chevelure, en partie sans doute à cause de sa polysémie : par extension sémantique consécutive à la dévalorisation des roux, fauve signifie aussi hypocrite et déloyal. C’est probablement l’orange cuivré, couleur des flammes de l’enfer, qui répugne à la mentalité médiévale. En effet, la bonne estime du roux clair de sor contraste avec la dépréciation du roux foncé de fauve ou d’auborne. Chrétien associera cette couleur à un présage malheureux, même s’il ne s’agit que de la couleur d’une mule :
Une pucele l’anbleüre | Une jeune fille arriver sur une mule fauve |
Venir sor une fauve mure, | Marchant à l’amble, |
Le Chevalier de la Charrette, v. 2786-2788208. |
171La jeune fille ainsi montée va en effet demander la tête de l’Orgueilleux de la Lande. Ces mules fauves annoncent d’une certaine matière le personnage éponyme du roman de Gervais du Bus, Fauvel. La robe de ce cheval, incarnation de tous les vices, ne peut qu’être fauve :
Aussi Fauvel, se Diex me sauve, | Ainsi Fauvel, que Dieu me garde, |
Ne doit avoir colour fors fauve, | Ne peut être que de couleur fauve, |
Ne sus le dos, ce dois savoir, | Et sur son dos, tu dois le savoir, |
Ne doit il noire roie avoir. | La raie creuse ne doit pas être noire. |
Teil coulour vanité denote : | Une telle couleur dénote la vanité : |
A vaine beste vaine cote. | À bête vaniteuse, robe vaniteuse. |
Le Roman de Fauvel, v. 219-224209. |
172Le texte se charge d’expliciter l’onomastique en convoquant le sens figuré de l’adjectif fauve, hypocrite et déloyal. Le recours à une étymologie fantaisiste faus/vel) et au principe de l’acrostiche concourant à faire de Fauvel la personnification de la Flatterie, de l’Avarice, de la Vilennie, de la Variété, de l’Envie et de la Lâcheté confortent l’idée que cette couleur orangée est l’emblème de tous les abaissements210.
Auborne
173Il convient finalement de s’attarder un peu sur le dernier et le plus rare adjectif qualifiant la rousseur. Bien qu’il dérive du latin albus renvoyant très favorablement à la couleur blanche et à la pâleur, auborne a pris dans l’ancienne langue le sens actuel de châtain cuivré, c’est-à-dire d’un roux foncé proche de celui de falve dont il partage les emplois désavantageux. C’est ainsi la couleur des cheveux du rebelle Porrus dans Le Roman d’Alexandre :
S’aperçut bien Porrus, qui ot la teste auborne, | Poms aux cheveux auburn |
[comprend bien, | |
v. 3882. |
174Le Roman de Troie, qui prise davantage la rousseur, applique cet adjectif aux beaux cheveux d’Achille, personnage certes ambigu :
Crespes cheveus ot, s’iert aubornes. | Ses cheveux auburn étaient bouclés |
v. 5161, |
175et Jean Renart l’utilise dans le portrait de son héros éponyme :
– Ce rest uns trop biaus chevaliers, | – Un très beau chevalier : |
a un dur piz, a uns forz bras, | poitrine solide, bras vigoureux, |
a un chief crespe et aubornaz, | tête bouclée et auburn, |
a un biau vis, lonc et tretiz. | Beau visage long et régulier. |
Guillaume de Dole, v. 1425-1428. |
176Ces emplois valorisants, qui distinguent ici auborne de falve toujours dépréciatif, procèdent probablement de l’étymologie latine évoquant les mêmes connotations de pâleur que celles attachées à bloi. Un des manuscrits d’Amadas et Ydoine propose en effet auburnes comme synonyme de blunz, de bloi et de sor dans une comparaison avec l’or qui renverse la hiérarchie des couleurs habituellement observée :
Mut deugez et beaus les crins, | Les cheveux très beaux et très fins, |
Quo par une perent orins, | Qui tous ensemble paraissent dorés, |
Auburnes, blunz, ne bloi, ne sor, | Ils ne sont ni auburn, ni blonds, ni ambrés, |
Ne resemblent cum fil de hor, | Mais ressemblent à des fils d’or, |
Amadas et Ydoine, texte de v, v. 149-152. |
177Aussi bien dévalorisant qu’éminemment mélioratif, cet adjectif nous frappe par sa flexibilité.
178Marginale, la rousseur ne manque pas de susciter le désarroi dans la culture médiévale qui en fait l’insigne du mal et de la duplicité. Il s’agit là d’un héritage culturel puisque, dans l’Égypte ancienne, l’adversaire d’Osiris n’était autre que Typhon, le monstrueux dieu roux211. Or, « le christianisme médiéval paraît accentuer encore au fil des siècles cette aversion pour la chevelure rousse, y compris dans les régions germaniques, scandinaves et anglo-normandes où pourtant cette couleur de cheveux est fréquente »212. Seul un rapprochement possible avec l’or rachète la rousseur213. Rares dans les textes, les trois adjectifs la désignant oscillent entre des emplois parfaitement outrageux et quelques occurrences (dans les romans antiques notamment ou dans certains textes du xve siècle) qui les promeuvent comme équivalents de bloi ou de blond grâce à la comparaison avec l’or.
179Avant de conclure, signalons l’hapax que constitue l’emploi de indes pour qualifier la couleur des cheveux de Lorete dans Le Roman du Comte de Poitiers :
Vestue estoit d’uns dras roiaus, | Elle était vêtue d’un drap royal, |
S’ot les cevex indes et biaus, | Et avait de beaux cheveux violacés, |
v. 1334-1335. |
180Cet adjectif dérivé de indicum renvoie à la couleur violette, dont les pigments sont importés d’Inde. Lorete a-t-elle des cheveux noirs aux reflets violacés ? On remarque simplement que la coordination de indes à biaus ne laisse aucun doute sur la connotation positive attachée à cette couleur rare et précieuse.
181Toutes les nuances allant du roux foncé au noir sont donc largement dévalorisées par rapport à la blondeur. L’opposition du clair et du foncé est si prégnante que l’on peut avancer que la beauté relève de la pâleur des couleurs plus que de la blondeur telle que nous la concevons aujourd’hui. En effet, il existe deux portraits où l’adjectif blond attendu est évincé au profit de blanz :
Les cheveuz blanz recercelez | Les cheveux bouclés et clairs |
Comme s’il fussent tuit dorez, | Comme s’ils étaient entièrement recouverts d’or, |
Floriant et Florete, v. 745-746. |
182Lapsus ou choix délibéré de mettre en évidence la beauté éthérée et l’innocence du jeune garçon ? Nous n’en saurons définitivement rien mais il est indéniable que la clarté de la peau et des cheveux reste le critère de beauté suprême. Suivant en cela les traducteurs Annie Combes et Richard Trachsler qui proposent brillants pour rendre blanz, nous pensons que cet adjectif a pour but de souligner la pâleur extrême des cheveux. Tel un enfant du Nord, Floriant se signale par sa blondeur à la fois claire et dorée, qui n’est d’ailleurs pas sans évoquer la chevelure de Priande que le soleil a décolorée214. Le second portrait dans lequel blanc semble remplacer blond provient d’une pastourelle de Giles de Vies-Maisons qui façonne, sur le modèle du blondette poétique, un blanchete relatif non au teint comme à l’accoutumée, mais à la chevelure :
la crigne qui fu blanchete | La chevelure qui était blanche |
reflambiot | Étincelait |
quant li solaus flambiot | Quand le soleil jetait ses éclats |
vi, v. 11-13215. |
183La blanche beauté de Floriant, de Priande ou de l’amie du poète signale que la teinte des cheveux importe moins que sa clarté et sa lumière. Une hiérarchie des couleurs s’instaure donc au détriment des cheveux foncés. « En effet la perfection de la beauté n’allait pas sans la blondeur ; une héroïne de roman [mais aussi de poésie] se devait d’être blonde »216. Aux cheveux blonds l’éloge démesuré, aux cheveux roux ou noirs le blâme hyperbolique. « Comme juste antithèse de l’éloge, le blâme participe du genre épidictique. [...] La laideur en soi suppose donc une connotation morale défavorable et définit un comportement régi par le mal. De fait, elle est condamnée comme nuisible et s’avère le miroir d’une âme entachée de turpitude »217. Cette opposition de la beauté et de la laideur physiques relève d’une conception manichéenne dans la mesure où le Moyen Âge formule l’adéquation du beau et du bien, de l’extérieur et de l’intérieur. Cependant, le critère discriminant reste surtout d’ordre sociologique ; l’aspect physique n’est jamais que le reflet de la place occupée dans la société féodale :
Perinis, li franc, li blois, | Périnis, le noble, le blond, |
Tristan de Béroul, v. 2761 |
Et li meillor sont li plus sor. | Et les meilleurs sont les plus blonds. |
Cligès, v. 968. |
184L’aspect physique se révèle donc étroitement lié à la naissance218. L’examen d’expressions récurrentes permet d’approcher une esthétique qui se rattache à des conceptions morales et métaphysiques, à un ordre du monde.
Bonheur de la blancheur
185Il convient à présent de s’intéresser à la couleur blanche qui, à la différence des précédentes, n’est pas donnée à la naissance219 mais s’acquiert presque inévitablement au cours de la vie. La rareté des portraits de femmes âgées explique la modestie de notre corpus et autorise les incursions dans les portraits masculins afin d’y repérer les problématiques en jeu et de mettre au jour les différences fondamentales entre chevelures féminine et masculine. En effet, les connotations liées à la blancheur diffèrent sensiblement selon le sexe des personnages. La blancheur de la chevelure est-elle simplement valorisée à cause du crédit accordé à la vieillesse par la société médiévale ? Cette hypothèse mettrait en balance la chevelure blanche avec la peau ridée ou le fléchissement de la silhouette. À moins que l’on ne considère le blanchiment de la chevelure non comme une dégradation mais davantage comme une sublimation permettant aux valeurs morales de rejailllir sur le corps.
Blanc
186L’adjectif de couleur blanc – issu du germanique blank qualifiant ce qui est brillant et clair – a éliminé les deux adjectifs latins albus et candidus si bien qu’il demeure le seul en ancien français apte à qualifier toute réalité de couleur blanche. Il demande cependant à être accolé à un substantif afin d’éviter toute équivoque quant à l’attribut ainsi qualifié : habit, peau ou chevelure. C’est ainsi que la mère d’Arthur est désignée à la fin du Conte du graal par l’appellatif la reïne as blanches treces (v. 8207) qui met d’abord l’accent sur son grand âge et ensuite sur sa féminité par la mention des tresses. Lors de la première apparition de ce personnage, Gauvain en ignore l’identité mais le lecteur est instruit du raisonnement intérieur de Gauvain par le biais de la focalisation interne220. La construction argumentative est claire : c’est sa chevelure qui rend la reine reconnaissable. L’insigne royal se loge-t-il dans la longueur, la blancheur ou bien dans le tressage des cheveux ? La mère d’Arthur étant la plus âgée du château, il est probable que c’est sa chevelure blanche qui l’identifie aussitôt221. La formulation reste néanmoins suffisamment générale pour que l’on puisse considérer la longue chevelure immaculée comme un emblème de la sagesse inhérente à la fonction royale.
Chenu
187L’adjectif blanc est cependant supplanté quand il s’agit de renvoyer aux cheveux par l’adjectif chanu/chenu dérivé du latin canutus, lui-même dérivé de l’adjectif poétique canus s’appliquant dès l’antiquité aux cheveux avec le sens propre de blanchi de vieillesse et le sens figuré de vénérable. Ce dernier adjectif présente deux intérêts : le premier est de synthétiser les concepts de chevelure et de blancheur – ce qui explique sa fréquence – et le deuxième d’offrir une connotation positive de respectabilité. Toujours dans le Conte du graal, la mère d’Arthur se voit en effet appelée quelques centaines de vers plus loin la reïne chenue (v. 8726), nom qui lui octroie une aura de respectable sagesse. Le terme s’est en effet dès l’origine chargé d’une connotation positive de bonification due au temps222. On peut s’en convaincre en lisant le portrait que le poète du Roman d’Énéas brosse de Sibylle lorsque son héros éponyme se rend à Cumes afin de demander l’aide de laprophetiseresse, Sebilla, la saigeprestresse223 :
Elle seoit devant l’entree, | Elle était assise devant l’entrée, |
Toute chanue, eschevellee ; | Toute chenue, échevelée, |
La face avoit toute palie | Elle avait le visage tout pâle |
Et la char noire et froncie. | Et la peau blême et ridée. |
Le Roman d’Énéas, v. 2352-2355. |
188Si la chevelure en désordre fait signe vers la fureur divine qui habite Sibylle, les rides et la blancheur des cheveux évoquent inévitablement le grand âge et subséquemment la sagesse du jugement de l’enchanteresse, qualité d’ailleurs rappelée quelques vers plus haut. La connotation positive inhérente à l’emploi de chenu se voit précisément explicitée dans cette liste des personnages (masculins) invités à un mariage :
Manda les anciens chenuz, | Il invita les anciens, qui avaient la tête chenue, |
Cels que il savoit plus senez | Ceux qu’il savait être les plus sages |
Le Vair Palefroi, v. 690-691224. |
189Les cheveux blancs sont de la sorte les indices de la justesse du jugement225. Signalons au passage l’existence du substantif correspondant kenissure, rarement employé. De même que chenu, il renvoie nécessairement à la blancheur des cheveux (et non de la peau comme pourrait le faire blanc) et connote la sagesse. Chez les vieux et pacifiques messagers arrivant à la cour royale, la blancheur extrême de la chevelure (tout blanc de kenissure) est relayée et soulignée par la blancheur des vêtements226.
190Parmi les diverses transformations physiques dues à l’âge, le blanchiment des cheveux constitue la marque la plus aisément rapportée, la moins honteuse et la plus heureuse : elle ne dénature pas la beauté de la chevelure mais lui accorde, en fin de vie, un attrait nouveau, un charme certes plus spirituel que charnel. L’adjectif chenue tend donc à remplacer, plutôt avantageusement, la mention de la vieillesse227. C’est le terme que choisit Belangier afin de repousser les avances de Sibylle sans toutefois la vexer :
– Et jou sui, fait ele, sans ami et et sans mari, dont jou voel que vous me prendés a feme. | – Et, fait-elle, je n’ai pas d’ami ni de mari, c’est pourquoi je veux que vous me preniez pour femme. |
– Dame, fait Bielengiers, çou ne puis jou refusser, et se jou seusse vo pensé, ne vous refusaisse jou pas por nule riens, car assés estes biele et cointe, combien ke vous soiiés un poi kenue. | – Ma dame, répond Belangier, je ne peux pas vous refuser cela, et si j’avais connu vos pensées, je ne vous l’aurais refusé à aucun prix car vous êtes très belle et élégante, malgré vos cheveux blancs. |
Les Prophesies de Merlin, chapitre xlii, 5. |
191Par ce simple mot, Sibylle est abruptement renvoyée à ses charmes fanés et à l’étio-lement de son pouvoir de séduction. Cette demoiselle à l’âge avancé n’est pas sans parenté avec celle que rencontre Méraugis de Portlesguez alors qu’il est parti à la recherche d’un cheval :
Q’en diroie ? Bele ot esté | Que vous en dire ? Elle avait été belle |
E mout se tint noblete e cointe. | Et conservait un maintien noble et élégant. |
Se viellece ne l’eûst pointe, | Si la vieillesse l’avait épargnée, |
Ce fust la plus cointe a devise. | C’eût été certainement la femme la plus distinguée. |
Desloiee fu par cointise, | Par souci d’élégance, elle ne portait pas de voile, |
S’ot un cercle d’or en son chief. | Mais un diadème d’or sur la tête. |
Mes itant i ot de meschief | Malheureusement, |
Au cercle metre que li crin | Sous le diadème, les cheveux |
Estoient blanc de regaïn | Étaient blancs à la racine |
Mes de ses jors biau se portot. | Mais elle portait bien ses années. |
Méraugis de Portlesguez, v. 1439-1448. |
192L’emploi du passé ot au vers 1439, l’hypothétique du vers 1441 et la double coordination anaphorique en mes traduisent cette hésitation entre la reconnaissance du charme inhérent au personnage et l’impossibilité de passer sous silence les signes de sa déliquescence. Le poète oscille entre l’éloge de la grâce et le constat d’une harmonie perdue, résumée par les cheveux blancs à la racine. L’élégance de la femme, qui la pousse à délaisser le voile pour le diadème d’or, dévoile sa vieillesse et creuse l’écart avec les jeunes filles dont la chevelure dorée éclipse l’éclat du diadème. D’où l’effet de réel de cette notation descriptive qui, d’une certaine façon, détruit le cliché de la chevelure plus dorée que les accessoires de coiffure. Loin de rehausser le chatoiement de la chevelure, le diadème révèle à la fois le déclin d’une beauté qui se fane et le refus de vieillir.
193Bien que synonymes, les deux adjectifs blanc et chenu sont parfois employés conjointement pour qualifier un personnage :
ung moult bel chevalier a pié, tout chenu et tout blanc, et si estoit vestu d’une robe toute blanche. | Un très beau chevalier à pied, très vieux et tout blanc, qui était tout de blanc vêtu. |
Le Conte du Papegau, § 51, l. 54-55228. |
194Cette apparente redondance s’explique par la résonance méliorative de chenu qui se traduirait alors par vieux, ancien, sage tandis que blanc se contenterait de traduire une couleur229. Si l’un est plus spirituel que corporel, l’autre demeure purement physique.
195Le même adjectif est d’ailleurs employé ici pour qualifier les cheveux et l’habit ; la blancheur du vêtement redouble celle de la chevelure.
196Notons l’existence d’un dérivé de chenu, présent dans notre corpus pour désigner des personnages masculins :
j. chevaliers gros et corsus, | Un grand et puissant chevalier, |
A chevolz bloiz entrechenus, | Aux cheveux blonds et grisonnants, |
Le Roman de Partonopeu de Blois, v. 7765-7766 (texte de B)230. |
197Le préfixe, qui exprime une idée de médiation, atténue le procès – en l’occurrence ici le blanchiment – en précisant qu’il n’est qu’à moitié accompli, ce que confirme la juxtaposition de l’adjectif bloiz au même vers.
Meslé de chenes
198Il existe une autre expression en ancien français pour désigner la teinte poivre et sel prise par une chevelure blanchissante : meslé de chenes. L’étymologie de chanes/ chenes/chaines/caines/chienes (selon les graphies) est identique à celle de chenu mais l’expression n’a pas survécu à l’ancienne langue, probablement à cause de son homonymie avec l’arbre. Aucune occurrence de notre corpus ne renvoie à une chevelure féminine. Tout comme entrechenu, cette expression présente un processus inachevé231 si bien que l’auteur peut facilement préciser la couleur d’origine de la chevelure :
il me dist ke vous, ki Biertous estes apelés, | Il m’a dit que vous, qui vous appelez |
estiiés uns brunés mellés de caines ; | Biertous, étiez un brun aux cheveux |
blanchissants ; | |
Les Prophesies de Merlin, chapitre vi, 4, p. 21. |
199Le procès peut éventuellement être mené à son terme, ce que signale alors la mention de la couleur finale de la chevelure, blanche :
si avoit il nonante anz d’aage, si avoit mult longue barbe et si estoit toz blans de chennes. | Il avait alors quatre-vingt-dix ans, portait une très longue barbe et sa chevelure était entièrement blanchie. |
L’Histoire des moines d’Egypte, p. 129, l. 3-5232. |
200Chrétien de Troyes, afin de rendre compte de l’âge des serviteurs du château des reines, propose d’ailleurs une gradation de couleurs dont mesloient de chenes constitue le moyen terme :
Vaslet servirent plus de cent | Des serviteurs, plus d’une centaine, |
Au mangier, don li estoient | Assuraient le service du repas ; certains d’entre eux |
Tuit blanc, et li altre mesloient | Avaient les cheveux tout blancs, d’autres |
De chenes, et li autre non, | Grisonnaient, et les autres non, |
Le Conte du graal, v. 8236-8241. |
201On soulignera la construction active du verbe, surprenante pour désigner un procès indépendant de la volonté du sujet. Cette construction n’est cependant pas la plus fréquente, y compris sous la plume de Chrétien233. L’importance du personnage, le Roi Pêcheur, est manifestée par sa prestance (il est qualifié de bel prodome) et par sa chevelure grisonnante, signe tangible de sa sage maturité. Autre figure paternelle, autre tête chenue :
Uns chevaliers auques d’ahé [...] | Un chevalier d’un certain âge […] |
Et s’estoit de chienes meslez. | Il avait les cheveux grisonnants. |
Le Chevalier de la Charrette, v. 1655-1659. |
202Le vieux chevalier du pré aux jeux se caractérise par sa prudence puisqu’il donne par la suite des conseils avisés à son fils présomptueux. En les dotant d’une chevelure blanchissante, Chrétien accorde aux figures paternelles une aura de respectabilité et d’expérience234. Libre aux fils de profiter ou non des conseils. Il semble donc que l’expression meslé de chenes partage avec chenu les mêmes connotations positives de sagesse vénérable235. Précisons que l’expression peut se simplifier en se réduisant à l’adjectif meslé236 comme dans cette évocation des méfaits successifs de la vieillesse sur Narcisse :
De sa forme li est avis, | Quant à son apparence, il lui semble |
Que li chevoz soient meslé ; | Que les cheveux grisonnent : |
Molt ont perdu de lor beauté. | Ils ont beaucoup perdu de leur beauté. |
Floris et Lyriopé, v. 1710-1712237. |
203Cet extrait présente l’intérêt rare et singulier de souligner la perte de la beauté inhérente au blanchiment de la chevelure. La louange des cheveux poivre et sel est donc loin d’être unanime ! En poète didactique, Robert de Blois cherche probablement à convaincre ses destinataires – des femmes principalement – de la nécessité de jouir des bienfaits que la jeunesse leur offre.
Gris
204L’adjectif gris, qui traduit lui aussi le mariage des cheveux bruns et des cheveux blancs demeure plus rare. Issu du francique gris, il est d’abord le nom désignant la fourrure de l’écureuil (le petit-gris) avant de s’appliquer à la couleur de la barbe ou d’un vêtement. Le sème initial de poil d’animal s’est donc peu à peu transposé sur les poils de la barbe et sur la chevelure grisonnante. La seule occurrence de notre corpus est tardive : il s’agit d’un texte de Villon dans lequel la Belle Heaumière, le front ridé, les cheveux griz, /Les sourciz cheux, lesyeulx estains, (Testament, LIV, v. 509-510238) se revoit jeune. Tout comme Deschamps dans Sur une coiffure de queue de martre239, Villon se livre à un exercice d’école en livrant un double portrait de son personnage : à la beauté blonde de sa jeunesse répond la chevelure grise et laide de ses vieilles années. L’adjectif se trouve donc très négativement connoté du fait du contexte. L’ensemble du portrait se cantonne à une description physique des ravages du temps.
205À ce stade de l’analyse, on distinguera les adjectifs tels que blanc et gris traduisant une teinte de la gamme chromatique, des adjectifs chenu et mellé de chenes transcrivant également une couleur mais surtout une nuance de respectabilité, d’autorité morale, d’ascendance due à l’âge – connotation déjà présente dans le canus latin. Ces adjectifs à haute valeur ajoutée suffisent à prouver le crédit accordé au Moyen Âge à la parole et aux pensées de la personne âgée, et plus particulièrement à l’homme. Les portraits de femmes blanchissantes demeurent en effet si rares qu’il convient de se demander si la coutume voulait qu’elles se teignent ou se voilent la chevelure à partir d’un certain âge240, à moins que ces lacunes ne traduisent la volonté d’occulter la femme vieillissante du panorama romanesque. Ne profitant pas, à quelques exceptions près241, des retombées positives du vieillissement de sa chevelure, la femme blanchissante tendrait en effet à incarner la décrépitude physique, voire à figurer allégoriquement la mort. Cette tendance encore embryonnaire à la fin du Moyen Âge se vérifiera à la Renaissance où son portrait servira de repoussoir afin de convaincre, à la manière d’un Ronsard, de la nécessité pour les jeunes femmes de profiter du temps présent. Le portrait de la vieille femme aura alors pour fonction majeure de présenter « une perspective menaçante destinée à inviter au carpe diem un auditoire féminin »242.
Fiori
206Outre les qualificatifs étudiés plus haut, l’adjectifflori intègre une métaphore passée dans la langue243, celle qui assimile la chevelure244 à un pré en fleurs. Sa plus grande fréquence se situe dans les chansons de geste, pour qualifier des personnages masculins, et en premier lieu bien sûr, l’empereur à la barbe fleurie, Charlemagne :
Li emperere od la barbe flurie | L’empereur à la barbe fleurie |
Vasselage ad e mult grant estultie ; | Est bien vaillant et d’une grande témérité ; |
La Chanson de Roland, v. 2605-2606245. |
207L’adjectif flori est réguièrement complété par une ou plusieurs autres expressions relatives à l’avancement de l’âge telles que vilz chenuz, vesqui tant, blanc ou vielz246. La chanson de geste, genre parfois qualifié de conservateur, multiplie les héros aux cheveux blancs, valorisant ipso facto la vieillessse. Par ailleurs, la couleur blanche est celle qui revient le plus fréquemment dans la chanson de geste lorsqu’il s’agit de décrire la beauté féminine : la blancheur de la peau figure en tête des attributs féminins loués. Sans doute doit-on y voir la trace aristocratique d’un mépris pour le travail assorti d’une célébration de l’oisiveté féminine, signe du statut nobiliaire. L’étude de la couleur blanche dans la chanson de geste reste donc à faire.
208La métaphore flori, issue de la chanson de geste, nécessite hors de ce cadre un développement explicitant le rapprochement. L’outil comme permet alors de mettre en place une comparaison classique entre un comparé, la chevelure, et un comparant, la fleur :
Toute la teste ere chenue | Sa tête était toute chenue et blanche |
Et blanche, com s’el fust florie. | – On aurait dit qu’elle était fleurie. |
Le Roman de la Rose, v. 346-347 (portrait de Vieillesse) |
Environ li estoit se crine, | Autour d’elle flottait sa chevelure, |
Tant blance conme flor d’espine. | Aussi blanche que la fleur d’aubépine. |
La Vie de sainte Marie l’Égyptienne, version T, v. 844-846247. |
209Dans les deux cas, la motivation de la figure réside dans la couleur, exprimée grâce au même adjectif blanche. D’autre part, il nous paraît intéressant de noter l’absence (hors de la chanson de geste) de l’adjectif métaphorique flori relativement à un personnage masculin, comme si les genres hagiographique et romanesque se l’étaient approprié pour en faire un usage féminin inédit. L’image est même tellement ancrée dans les esprits qu’une simple suggestion suffit à la convoquer – même sans lien avec une chevelure blanche – comme au moment où est révélée à Lancelot l’identité de celle qui a oublié son peigne :
Que les chevox que vos veez, | Car les cheveux que vous voyez, |
Si biax, si clers et si luisanz, | Si beaux, si clairs et si brillants, |
Qui sont remés antre les danz, | Qui sont restés entre les dents du peigne, |
Que del chief la reïne furent : | Viennent de la chevelure de la reine : |
Onques en autre pré ne crurent. | Ils n’ont certaienement pas poussé |
Dans un autre herbage. | |
Le Chevalier de la Charrette, v. 1420-1424. |
210Une nouvelle fois, Chrétien préfère, par l’emploi de pré248, suggérer le rapprochement en laissant au lecteur-auditeur le choix de développer ou non la comparaison. Originale est la comparaison des chevelures des guerriers de tous âges, désespérés, avec la laine :
Environ pleure | Tout autour l’armée pleurait |
[l’ost une loëe plaine ; | [sur plus d’une lieue : |
La veïssiés pasmer quatre mil en | On en voyait quatre mille s’évanouir sur |
[l’araine | [le sable, |
Et tirer maint cheveul noir et | S’arracher les cheveux, noirs ou |
[blanc comme laine. | [blancs comme la laine. |
Le Roman d’Alexandre, v. 2415-2417. |
211La rime seule ne saurait justifier le rapprochement et l’innovation. Matière moins précieuse mais tout aussi chaude que la fourrure d’hermine, la laine correspond davantage aux habitudes des guerriers : le comparant s’adapterait ainsi au contexte immédiat.
212Il faut en dernier lieu faire un sort à la comparaison avec la neige. Fort courant pour évoquer la blancheur de la carnation d’une demoiselle249, ce rapprochement est plutôt rare quand il s’agit de chevelure vieillissante :
Desouz cele fontainne avoit.ii. omes seanz, plus blans de chevels e de barbe que n’est nois negiee | Sous cette fontaine deux hommes se tenaient debout, les cheveux et la barbe plus blancs que la neige qui vient de tomber |
Perlesvaus, branche xi, p. 387 |
Et sy estoient les cheveulx aussy blancs comme neige et sy estoient sy netz et sy desmellez qu’il sembloit qu’on peust les cheveulx compter | Les cheveux étaient aussi blancs que la neige, si propres et si parfaitement démêlés qu’il semblait qu’on aurait pu les dénombrer |
Perceforest, 1re partie, p. 414, l. 12461-12465. |
213Ces deux descriptions de preudomes mettent l’accent, parmi toute autre caractéristique physique, sur la couleur immaculée de la chevelure – et des poils de la barbe – symbole de la perfection morale de celui à qui Dieu a fait don de cette couleur. La précision negiee souligne l’absence de toute dégradation et de toute salissure sur la neige, à l’image de ces êtres purs, exempts de tout péché. C’est alors qu’apparaît la richesse de la comparaison avec la neige, phénomène simple et naturel, à l’image de la vie de ces sages.
214Pour clore ce tour d’horizon des différents adjectifs susceptibles de qualifier une chevelure blanche, il convient de préciser qu’ils ne sont pas – bien que synonymes – interchangeables. Dans le dernier extrait cité, chenu serait inadapté du fait des connotations morales qu’il concentre, si bien que seul blanc était envisageable par le poète souhaitant mettre l’accent sur la couleur uniquement. Distinguons d’autre part ces deux derniers adjectifs de meslé de chenes, entrechenu et gris qui traduisent quant à eux l’inachèvement du processus de blanchiment de la chevelure. Une différence chromatique s’instaure donc entre ces deux groupes, à laquelle s’ajoute sans se superposer une distinction sémantique qui oppose blanc et gris à chenu, entrechenu et meslé de chenes, ces trois derniers étant positivement connotés.
Beauté immaculée
215La blancheur de te chevelure des personnages d’âge mûr s’interprète donc habituellement au Moyen Âge comme un signe de sagesse. Cette caractéristique physique est toutefois davantage représentée chez les hommes que chez les femmes et plus particulièrement chez l’ermite, souvent qualifié de prodome. Sa sagesse, sa piété et son dévouement trouvent leur équivalent physique dans la couleur immaculée des cheveux. Tout se passe comme si, au terme du cheminement spirituel, la chevelure blonde ou brune subissait une (bien) heureuse métamorphose signalant physiquement la pureté intérieure acquise au fil des ans.
216Signalons ainsi le chenuz prodom qui apprend à Lancelot la naissance de Galaad, l’hom viex et anciens et tout blanc chanu et [...] vestuz comeprestres du cortège du Graal250 ou encore l’ermite désigné dans Girart de Roussillon par le raccourci on ne peut plus expressif : li sainz canuz251. Plutôt que de multiplier les exemples, on se reportera au travail de Paul Bretel qui a déjà souligné que la blancheur de la chevelure et de la barbe interviennent « parmi les traits descriptifs des religieux, comme le [trait le] plus régulièrement évoqué. S’il est vrai que le vêtement blanc est signe des hautes valeurs spirituelles de la vie monastique, la teinte prise par la chevelure et par la barbe des ‘preudomes’ a les mêmes connotations positives. Il s’agit, dans tous les cas, d’une beauté acquise, toute ‘spirituelle’ et non charnelle »252. Effectivement, c’est de beauté dont il s’agit et le même adjectif biax253 s’emploie indifféremment pour qualifier une séduisante demoiselle ou un ermite sans âge :
si vient a la fontainne et esgarde le vessel de plonc et i voit une teste d’ome blanche et toute chanue et ot le vis aussi vermel com se ce fust li plus biax hom del monde. | Il arrive alors à la fontaine, regarde le récipient de plomb et y voit le reflet d’une tête d’homme blanche et toute chenue, son visage était aussi rose que s’il était le plus bel homme du monde. |
Lancelot en prose, t. v, xciii, 5, p. 120 |
e voit.i. des plus biax homes seoir qu’il eust veû de son aage ; e estoit vestuz com hermites, e avoit la teste blanche e la barbe chanue, e tenoit sa main a sa messele, | Et il voit s’asseoir un des plus beaux hommes de cet âge-là qu’il lui fut donné de voir ; il était habillé comme un ermite, il avait la tête blanche et la barbe chenue et tenait un missel à la main, |
Perlesvaus, vol. i, branche v, p. 89. |
217Si, dans le Lancelot en prose, la beauté de l’ermite est donnée comme absolue notamment grâce à la précision spatiale del monde, elle est en revanche dans le Perlesvaus rapportée à l’âge du personnage. La blancheur de la teste y est relayée par celle de la barbe et de l’habit, ce qui tend à assimiler l’ermite à un ange. Il faut donc accepter la coexistence de plusieurs idéaux physiques parallèlement célébrés même si certains traits demeurent récurrents :
Après regarda le roy et ses compaignons au passer qu’il fist qu’il avoit sy grant plenté de cheveulx qu’il en estoit tout vestu par derriere, et sy estoient sy longz qu’ilz luy venoient rez a rez des talons et en avoit sy grant foison, car ceulx de devant qui luy venoient par derriere descendans se rassambloient par les costez a la barbe qui l’acouvroit par devant, sy l’acouvroient sy plainement qu’on ne veoit de tout son corps de nu que le viaire et les bras qui couvers estoient d’unes manches larges et blanchet et les piez qu’il avoit aussy blancs que neige. Et sachiez tous certainement que sa barbe et ses cheveulx qui luy acouvroient le corps estoient aussi netz et aussi desmellez que chacun poil fust ung fil d’argent brun, et estoit advis a ceulx qui le regardoient qu’on les oist fourmier entour luy ou il aloit, et estoient sy blancz a tous lez que ce sembloit de luy chose celestielle. | À son passage, le roi et ses compagnons remarquèrent qu’il avait une telle abondance de cheveux qu’il en était tout couvert par derrière, et ils étaient si longs qu’il lui arrivaient à côté des talons et ils étaient si nombreux que ceux de devant qui tombaient sur son dos rejoignaient la barbe qui le couvrait par devant si bien qu’il en était si pleinement recouvert qu’on ne voyait de tout son corps nu que le visage, les bras couverts de larges manches blanches et les pieds aussi blancs que neige. Sachez tous qu’en vérité la barbe et les cheveux qui lui recouvraient le corps étaient si propres et si bien démêlés que chaque poil semblait un fil d’argent brillant, et ceux qui le regardaient croyaient les entendre bruisser autour de lui. Ils étaient si blancs de tous côtés qu’on aurait dit qu’il était un être céleste. |
Perceforest, 1re partie, p. 254, l. 6751-6767. |
218C’est ainsi que l’abondance des cheveux (sy grant plenté / sy grant foison), leur longueur extravagante (rez a rez des talons), leur bonne tenue (aussi netz et aussi desmellez), leur couleur claire (sy blancz) caractérisent aussi bien les chevelures des charmantes demoiselles que les impressionnantes toisons des moines solitaires. Ajoutons qu’à chaque type de beauté correspond une comparatio flatteuse : ici, pas d’association avec l’or mais avec l’argent bruni : que chacun poil fust ung fil d’argent brun. L’intérêt d’une comparaison avec un métal précieux n’est pas clairement évident, sauf si l’on considère cette expression comme un calque de l’image canonique assimilant la blondeur à l’éclat de l’or. Cette imitation traduit la volonté d’exprimer la brillance des cheveux blancs et leur rayonnante beauté, au moins égale à celle des chevelures féminines séculaires. La figure rhétorique suggère même une rivalité entre la toison capillaire et la resplendissante chevelure blanche, image du rayonnement spirituel de ces prodomes dont le corps témoigne de leur intimité avec Dieu. Dans la mesure où ces stéréotypes linguistiques constituent un gage de beauté, le romancier les fait siens (après les avoir ajustés à son propos) afin de signaler l’éclat du vieil homme. Aussi longue que blanche, la chevelure argentée couvre la nudité du personnage à la manière d’une aube liturgique, ample et immaculée. La chevelure traduit physiquement la paix intérieure de celui qui la porte, elle fait signe vers sa sainteté.
219Ce genre de beauté éthérée demeure cependant inaccessible aux religieuses qui, une fois entrées au couvent, sont vouées à l’enlaidissement. La disgrâce, nécessaire au cheminement spirituel, est présentée comme consécutive aux vœux : le cloître ne saurait se résumer au lieu d’asile des demoiselles désavantagées et dédaignées par la gent masculine. Quand la demoiselle entre en religion, elle est belle et louée à l’unanimité. Le processus d’enlaidissement s’enclenche alors :
Si esfacie est ja sa face | Sa face est déjà si ternie |
Et ses clers vis si deperiz | Et son visage clair si endommagé. |
Ne samble mais l’empereriz | Elle ne ressemble plus à l’impératrice |
Qui tant iert bele et tant iert blonde | Si belle et si blonde |
C’on en parloit par tout le monde. | Dont on parlait partout dans le monde. |
De la bonne enpereris qui garda loiaument sen mariage, v. 2416-2420254 |
Encuntre raisun de nature | À l’encontre de ce que veut nature, |
Vis li change e chevelure. | Se transforment son visage et sa chevelure. |
Le vis li chet, la culur mue, | Son visage s’affaisse, il change de couleur, |
La bealté li est chaue, | Sa beauté s’est évanouie. |
La face clere li est frunçue | Son visage clair s’est ridé, |
La teste bloie est chanue. | Sa tête blonde a blanchi. |
Saint Modwenna, v. 575-580255. |
220Le contraste est donc parfait entre les ermites et les moniales : si pour les uns la beauté résulte de la blancheur des cheveux, pour les autres le blanchiment des cheveux blonds est associé au ternissement de la peau devenue ridée, stigmates de la vieillesse et signes évidents d’une perfection perdue : La bealté li est chaue. Pour les religieux, la beauté passe par la sublimation d’un corps devenu blanc éclatant. Paradoxalement, la beauté possible des religieuses âgées constitue un tabou. La beauté féminine ne saurait-elle donc exister que dans le siècle ? « Ainsi, alors que les ermites hommes progressent presque uniformément vers une beauté candide, les femmes converties, même si leurs cheveux blanchissent, perdent, sur le chemin de la perfection, leur beauté ‘terrienne’, qui aurait fait obstacle au salut de leur âme »256.
221Or, dans le texte hagiographique La Vie de sainte Marie l’Égyptienne, l’accent est mis sur une métamorphose emblématique du renouveau spirituel de l’ancienne débauchée, à savoir la transformation avantageuse de sa longue et blonde chevelure en chevelure chenue :
Coulor mua se bloie crine, | Sa blonde chevelure changea de couleur |
Blanche devint com une hermine. | Elle devint blanche comme l’hermine. |
La Vie de sainte Marie l’Egyptienne, version T, v. 629-630257. |
222Quelques centaines de vers plus loin, le portrait de Marie lors de sa rencontre avec le moine Zosime souligne à nouveau la blancheur des cheveux dont l’auteur précise qu’ils sont fins et excessivement longs :
Environ li estoit se crine, | Autour d’elle flottait sa chevelure, |
Tant blance conme flor d’espine. | Aussi blanche que la fleur d’aubépine. |
Li blanc cavel et li delgiés | Ses délicats cheveux blancs |
Li avaloient dusc’as piés ; | Lui descendaient jusqu’aux pieds ; |
El n’avoit altre vestement, | Elle ne portait pas d’autre vêtement, |
Quant ce li soslevoit le vent, | Quand le vent soulevait celui-là, |
Dessous paroit le char bruslee | Paraissait en dessous sa chair brûlée |
Del soleil et de le gelle. | Par le soleil et le gel. |
La Vie de sainte Marie l’Égyptienne, version T, v. 841-848. |
223Le choix des comparationes – l’une avec l’hermine et l’autre avec la fleur – oriente l’interprétation vers un amendement de la chevelure de la pécheresse258. Si blonde et séduisante qu’elle était auparavant, elle n’approchait pas la beauté de sa blancheur récente. La couleur immaculée suggère donc ici l’accession de la sainte au rang des femmes vénérables ; ainsi métamorphosée, elle se rapproche des ermites qui peuplent la littérature médiévale et dont on vante la longue chevelure blanche. Cette similitude avec les ermites masculins est patente dans la description de sa dépouille puisque ses cheveux font alors office de linceul259 :
Ses mains croisa seur sa poitrine | Elle avait les mains croisées sur la poitrine |
Et s’envolepa en se crine | Et était enveloppée de sa chevelure |
La Vie de sainte Marie l’Égyptienne, version T, v. 1297-1298 |
Se crine avoit seur sen viaire, | Son visage était recouvert de sa chevelure, |
Ele n’avoit altre suaire. | Elle n’avait pas d’autre suaire. |
La Vie de sainte Marie l’Égyptienne, version T, v. 1377-1378. |
224Autrement dit, l’accession de la pécheresse repentie à la dignité s’incarne dans la présentation avantageuse du blanchiment de sa blonde chevelure, décoloration traitée sur le même mode pour les ermites masculins.
225La chevelure – et peut-être davantage la chevelure blanche – loin d’être décrite pour elle-même, est constamment frappée d’interprétations. Blanche, elle fait signe vers la maturité et symbolise sans grand risque d’erreur la sagesse, l’autorité aussi bien que la justesse du jugement. Se retrouve donc ici le lien indissoluble de la description avec le genre épidictique, ayant pour but la louange ou le blâme260, lien qui dote la chevelure blanchissante de connotations extrêmement favorables. Or, la même chevelure se voit parfois fustigée : la vieille femme recherchant les attentions propres aux demoiselles est ridicule ; le blanchiment des cheveux des religieuses ne saurait être considéré – au même titre que la chevelure des moines – comme une bonification physique traduisant un amendement moral mais participerait simplement à un processus d’enlaidissement. Ces exceptions, toujours féminines, notifient la difficulté du poète médiéval à peindre la femme blanchissante, la femme perdant sa chevelure flamboyante, la femme dépouillée de sa féminité...
Adjectifs d’aspect
226Si la couleur demeure la précision la plus aisément rapportée sur la chevelure des personnages, elle est fréquemment associée à des adjectifs mettant l’accent sur l’éclat, l’aspect, la finesse ou l’ondulation des cheveux. Comparativement aux adjectifs de couleur, leur nombre reste relativement restreint, ce qui nous conduit à penser que la couleur demeure la caractéristique primordiale d’une chevelure ; cela se vérifie d’ailleurs par la rareté de précisions sur la texture non assorties d’indications chromatiques. Néanmoins, une différence s’instaure entre d’une part des chevelures simplement blondes et belles et d’autre part des chevelures qui allient à la blondeur des qualités de brillance, de souplesse, de finesse et de légère ondulation.
Luisant et reluisant
227Ces participes présents adjectivés, préfixés ou non, se révèlent assez fréquents. Issus du verbe latin lucere traduisant la brillance, ils ne sont presque jamais employés seuls pour qualifier la chevelure261 mais se trouvent généralement coordonnés à des adjectifs relatifs à la couleur (blonde, évidemment) :
Cief ot crespé, luisant et sor, | Ses cheveux étaient d’un blond ambré, |
[brillants et frisés, | |
Le Roman de la Violette, v. 868 |
Les crins ot blons et reluissans | Elle avait les cheveux blonds et brillants |
Le Bel Inconnu, v. 1545 |
228ou éventuellement a la clarté :
ses cheveux qu’elle avoit | Ses cheveux, qu’elle avait |
clers et reluisans, | clairs et brillants, |
Le Conte du Papegau, § 17, l. 46-47. |
229La fréquence des adjectifs luisant et reluisant est encore plus grande si l’on se penche sur les comparaisons de la chevelure avec l’or puisqu’ils constituent la clef de voûte de certaines formulations262. En effet, absolument toutes les comparationes de supériorité signalant l’éclat commun au comparant et au comparé emploient pour ce faire un mot de la famille du verbe luire263, choix qui se justifie pleinement par les points communs à l’or et à la chevelure, à savoir principalement la couleur et la brillance.
230Cette dernière se constitue donc en critère de beauté. Elle signale une chevelure régulièrement lavée, soigneusement et quotidiennement coiffée, activités auxquelles la femme aux longs cheveux devait consacrer beaucoup de temps. Ces soins se voyaient donc réservés à une élite oisive si bien que ce critère de beauté se calquait sur une hiérarchie sociale, au même titre que la blancheur du teint par exemple.
Delgié
231Plus rarement, la finesse du cheveu est soulignée grâce à l’adjectif delgié/dongié/ delié, issu du latin delicatus :
Chevels ont bloies, longes et dolgiez, | Leurs cheveux sont blonds, longs et fins, |
Le Roman de Thèbes, v. 1058 |
Quant une dame i vint o blois | Quand arriva une dame aux fins |
cheveus dongiez, | cheveux blonds, |
Florence de Rome, v. 6355264. |
232D’une certaine façon, la finesse du cheveu manifeste de façon métonymique la délicatesse du personnage, sa fragilité et son raffinement. Le cas de Marie l’Égyptienne diffère sensiblement puisque la sainte subit une métamorphose emblématique de son cheminement spirituel ; la finesse de sa chevelure demeure l’unique vestige de sa beauté passée265. On ajoutera que cette particularité du poil capillaire est incompatible avec une carnation très mate ce qui, une fois encore, prouve que l’idéal esthétique médiéval se rattache au type européen, voire nord-européen266.
Ondoiant
233Il s’agit du participe présent adjectivé du verbe ondoier, formé à partir du latin unda désignant dans le langage poétique l’eau mobile, les flots. L’adjectif s’applique donc à une chevelure ayant l’apparence sinueuse des ondes avec une notation de mouvement et de lumière. Ce rapprochement avec l’eau – élément féminin par excellence – ne manque pas d’intérêt tant il entre en résonance avec l’alliance de la chevelure flamboyante et d’un autre élément : le feu267. La chevelure tisserait alors des liens entre les éléments terrestres et s’inscrirait au sein d’un réseau de correspondances... Malheureusement, le terme ondoiant traduit simplement une ondulation des cheveux sans que celle-ci n’annonce le champ lexical de la mer268. De plus, on n’en trouve des occurrences que sous la plume de Jean Renart qui utilise très régulièrement cet adjectif lorsqu’il décrit la chevelure de ses personnages :
s’ont chevex ondoianz et sors, | Elles ont les cheveux ambrés et ondulés, |
chapelez d’or a clers rubiz. | Des diadèmes d’or ornés de rubis éclatants. |
Guillaume de Dole, v. 198-199 |
s’ot flocelez aval le vis | Ses beaux cheveux ondulés tombaient en boucles |
de ses biaus chevex ondoianz. | Le long de son visage. |
Guillaume de Dole, v. 4738-4739. |
234La souplesse du mouvement de la coiffure de l’héroïne est réactualisée à chaque nouveau portrait grâce au participe présent (adjectivé ou non) impliquant la comparaison avec les vaguelettes de l’eau. Si Jean Renart peut faire de ce trait un caractère distinctif de Liénor par rapport aux autres femmes, c’est que la souplesse des cheveux ne constitue pas un élément conventionnel des portraits féminins. On retrouve cependant les mêmes vocables dans L’Escoufle à la lecture du portrait de Guillaume et de celui de son épouse :
Si cavel sont et crespe et sor, | Ses cheveux ambrés et frisés |
Ondoiant tot delés la face. | Ondulent en frôlant son visage. |
L’Escoufle, v. 2972-2979 |
Ceste ert de totes la plus bele : | Celle-ci était la plus belle de toutes : |
Sa bloie crine li cercele | Sa blonde chevelure |
En ondoiant tot lés le vis. | Ondule en boucles le long de son visage. |
L’Escoufle, v. 3303-3305269. |
235Le mouvement des cheveux exprimé par ondoiant est amplifié par les termes recercele et cercele convoquant la forme circulaire, par flocelez désignant des touffes frisées et par crespe renvoyant à l’ondulation. Remarquons que la longueur de la chevelure n’est plus mentionnée mais simplement le fait qu’elle retombe aval / lés le vis, ce qui suppose que la frisure est si compacte qu’une chevelure atteignant la taille n’est plus envisageable. L’idéal esthétique de Jean Renart se dissocie donc quelque peu de la masse des demoiselles aux cheveux souples et longs.
Cercelé et recercelé
236Comme on vient de le voir, des termes exprimant l’ondulation des cheveux viennent parfois comme compléments descriptifs. C’est le cas du verbe cerceler, souvent préfixé en recerceler, dérivé du latin circus, qui traduit la formation de petits cercles270 et signifie que les cheveux retombent en boucles, en anglaises, comme dans les deux exemples précédemment cités271. Or, excepté dans les portraits de Jean Renart qui se plaît à présenter des héroïnes bouclées, le verbe ne s’applique pas à des personnages féminins. Bien au contraire, ce trait caractérise en priorité des cheveux masculins, comme Saint Éloi, Énée, Polynice, Jason, Vivien, Narcisse, le Petit Chevalier, Déduit personnifié, Chapalu (un horrible chat redevenu humain), ou Galeran adolescent272. La chevelure bouclée en anglaises reste donc au Moyen Âge un attribut principalement masculin273. C’est ce que nous allons préciser par l’étude d’un autre adjectif relatif à l’ondulation.
Cresp et crespé
237L’adjectif crespé est un dérivé roman de cresp, lui-même issu du latin crispus, d’abord appliqué à la chevelure puis à tout objet rappelant des cheveux frisés. Les deux mots survivent dans les dérivés crépu (qualifiant la chevelure des africaines noires en particulier) et crêpé (se rapportant à une chevelure artificiellement frisée) mais l’on est obligé de considérer que ces adjectifs avaient un sens plus large dans la langue médiévale puisqu’ils s’appliquaient à des chevelures souvent blondes et naturellement ondulées. Ce qui distinguerait alors crespé du participe passé adjectivé recercelé serait alors la taille des boucles : très serrées et compactes dans le premier cas, plus amples dans le second. Or, une occurrence qui associe les deux vient contredire cette interprétation :
Caviaus crespés, recercelés, | Les cheveux frisés, bouclés, |
Lai de Narcisse, v. 95274. |
238Comment expliquer alors les différences de traitement entre ces deux derniers adjectifs puisque, contrairement à recercelé, cresp et crespé qualifient fréquemment des chevelures on ne peut plus féminines, à savoir la fée dans le Lai de Lanval, la narratrice dans Le Livre de la mutacion de Fortune, la fille du roi de Frise dans Richars li biaus, une femme dans La Fonteinne amoureuse, Euriaut dans Le Roman de la Violette, la dame aimée dans les Poésies lyriques de Guillaume de Machaut275 ou dans Le Confort d’ami :
Et ses crins d’or, crespes et longs | Et ses cheveux d’or, frisés et longs |
Qui li batent jusqu’aus talons, | Qui lui battent les talons, |
v. 2160-2164276, |
239Joïe dans La Manekine :
les cavex a crespes et lons | Elle a les cheveux longs et frisés |
v. 1580, |
240et enfin le dieu d’Amour – dont la description souligne la grâce, la délicatesse, en un mot l’allure efféminée – dans Le Dit de la panthère :
En li de messeant n’a point, | En lui rien de malséant, |
Blons, crespres, blanc et dous en chiere ; | Blond, frisé, blanc et l’air doux ; |
v. 233-234. |
241Les adjectifs coordonnés, relativement variés, nous informent sur le sens de crespé. La blondeur étant souvent évoquée, on ne peut imaginer une chevelure crépue. Si long est envisageable, crespé ne peut renvoyer à une chevelure densément frisée puisque celle-ci n’atteint jamais la taille, a fortiori les talons ! Nous sommes alors dans l’obligation de considérer que crespé qualifie une chevelure ondulée, c’est-à-dire un léger mouvement, beaucoup plus ample et atténué que celui suggéré par recercelé.
242En revanche, et c’est là le point commun entre ces deux adjectifs, tous deux s’appliquent communément à des personnages masculins, ce qui tend à prouver que toute frisure – serrée ou non – de la coiffure masculine correspondait à un canon esthétique :
Biaus chevaliers fu a merveille : | C’était un chevalier incroyablement beau : |
Crespes et blons fu, ce m’est vis ; | Il était blond et frisé, à ce qu’il me semble ; |
La Continuation de Perceval, v. 6588-6589277. |
243L’ondulation, qu’elle soit naturelle ou artificielle, contribue indéniablement à rehausser la beauté des personnages. Il en va ainsi de la chevelure crespee de Lancelot adulte qui apparaît comme un signe distinctif du personnage, presque une marque de fabrique278.
244Malheureusement, toutes les femmes et tous les hommes ne naissaient pas frisés et c’est pour pallier cette injustice que nombre de coquets et coquettes avaient recours aux services des barbiers et barbières. Cet artifice, au même titre que la coloration des cheveux ou l’épilation, est bien évidemment fustigé par les moralistes279 dont le discours est ici placé dans la bouche d’Ysaïe :
Leurs aguilles et leurs miroirs | Leurs aiguilles et leurs miroirs |
Seront convertiz en plouroirs ; [...] | Laisseront place aux mouchoirs ; […] |
Pour la cheveuleure crispine | En échange de leur chevelure crêpée |
Avront chauve teste sanz crine ; | Elles auront la tête chauve sans un cheveu ; |
Le Miroir de Mariage, v. 5927-5934280. |
245Le substantif crispine désigne une parure de crêpe, étoffe dont l’ondulation serrée rappelle celle des cheveux mais le mot semble ici avoir valeur d’adjectif et on le traduira simplement par crêpée. La calvitie punira donc, selon le prophète, la femme dépravée ayant eu recours à la frisure artificielle.
246La beauté d’une chevelure, aussi bien masculine que féminine, n’est pas uniquement redevable à sa couleur ou à sa longueur mais également à sa brillance et à l’aspect du poil capillaire, c’est-à-dire à sa texture et à son ondulation plus ou moins serrée. Ces caractéristiques amendent le portrait dans son ensemble et participent à la valorisation du personnage.
Masculin et féminin
247Force est alors de s’interroger sur l’existence d’une beauté sexuée au Moyen Âge. Les critères sont-ils identiques pour les hommes et les femmes ? La littérature médiévale dispose d’une panoplie d’amants-jumeaux qui se ressemblent autant qu’ils s’aiment. Les caractéristiques physiques des héros masculins semblent alors se rapprocher des critères de la beauté féminine. On peut ainsi mettre en relation les deux portraits de Floire et de Blancheflore qui clôturent le roman du même nom281. En effet, même si l’expression varie un peu, les caractéristiques physiques sont similaires : à Cief ot bien fait et crigne bloie, répond Cief a rëont et blonde crine, à la car blance con flors de le lis répond La car avoit assés plus blance / que n’est nule flors sor la brance et l’on pourrait ainsi multiplier à l’envi les exemples. Manifestement les deux portraits se font écho, comme si l’harmonie amoureuse des personnages devait également se lire dans leur apparence282. Les canons esthétiques semblent donc dépasser la distinction de genre, comme si l’amour uniformisait les corps et visages283. Or, dans un pareil cas, personne n’ira imaginer que Blancheflore puisse avoir l’air viril, en revanche, si Floire lui ressemble autant, on pensera qu’il a des traits féminins. C’est d’ailleurs la tendance que relève Joan M. Ferrante dans Aucassin et Nicolette284, décrits eux aussi en des termes identiques. Le poète ne se borne pas à pointer les ressemblances physiques des deux amants mais va jusqu’à reproduire mot pour mot leur description. Miroirs l’un de l’autre, les personnages perdent en singularité ce qu’ils gagnent en gémellité. Impossible de différencier le visage d’Aucassin :
il avoit les caviax blons et menus recercelés et les ex vairs et rians et le face clere et traitice et le nes haut et bien assis. | Il avait les cheveux blonds et très bouclés, les yeux vifs et rieurs, le visage allongé et lumineux, le nez haut et bien planté. |
Aucassin et Nicolette, chapitre ii, l. 12-14 |
248de celui de Nicolette :
Ele avoit les caviaus blons et menus recercelés, et les ex vairs et rians, et la face traitice, et le nes haut et bien assis, | Elle avait les cheveux blonds et très bouclés, les yeux vifs et rieurs, le visage allongé et le nez haut et bien planté, |
Aucassin et Nicolette, chapitre xii, l. 20-22. |
249Ces cheveux blons, menus recercelés ont fait couler beaucoup d’encre, notamment parce que le vers Blont ot le poil menu recercelé apparaît déjà dans Girart de Vienne (v. 3389), appliqué à la belle Aude, ainsi que dans une chanson de toile (« Quant vient en mai, que l’on dit as lons jors », vers 27285), appliqué au comte Renaud. Selon Edmond Faral, la reprise d’un vers épique dans une chanson de toile visait à restituer un glorieux climat, à parer Renaud d’une aura épique286. Michel Zink va plus loin en suggérant que « l’auteur d’Aucassin et Nicolette [est] allé volontairement chercher une expression qui apparaît, soit dans le poème viril qu’est la chanson de geste, mais appliquée à une femme, soit appliquée à un homme, mais dans une chanson de femme » afin de brouiller les pistes, de dessiner « un héros, qui est censé être doté de toutes les qualités chevaleresques, mais qui, en réalité, a encore la tendresse et la mollesse d’une extrême jeunesse »287. Si séduisante que soit cette hypothèse, elle ne saurait suffire à établir la féminité d’Aucassin. Bien au contraire, comme on l’a déjà montré288, la chevelure bouclée (recercelée) ou frisée (crespée) était au Moyen Âge un attribut principalement masculin289 et les exemples abondent pour le prouver290.
250Autrement dit, ce n’est pas Aucassin qui possède des attributs féminins mais plutôt le contraire291. C’est donc davantage la reprise de formules conventionnelles dans les chansons de geste – qui a valu à Aude des qualificatifs généralement réservé aux hommes, acteurs principaux de ces textes – qui est à interroger. Selon Arnoldo Moroldo, la pratique consistant à ne pas dissocier portraits féminin et masculin serait en effet issue de la chanson de geste292 dans laquelle aucune différence n’est pratiquée dans le lexique utilisé pour décrire les personnages des deux sexes. Il est vrai que la description de Vivien pourrait aussi bien se rapporter à une femme :
Lou chef ot blont, menu recercelé, | Ses cheveux étaient blonds, finement bouclés, |
Les iolz ot vars comme faucons mué ; | Et ses yeux vairs comme un faucon mué. |
Blanche ot la char | Il avait la peau blanche |
comme flor en esté ; | comme une fleur en été ; |
Les Enfances Vivien, v. 875-877293. |
251Si l’on suit toujours l’analyse d’Arnoldo Moroldo, ces formules héritées de la chanson de geste se trouvent par la suite récupérées par le roman courtois où elles servent plus particulièrement la description de la dame. C’est pourquoi « le modèle pour le portrait féminin doit être recherché dans les plus vieilles chansons de geste »294 dans lesquelles seuls apparaissaient des portraits d’hommes. Cette indistinction du masculin et du féminin dans l’élaboration de la beauté idéale se ressent dans les portraits de Floire et d’Aucassin, jouant dans ces descriptions un rôle unificateur en permettant la réunion des deux amants selon un même type physique.
252La présence d’images généralement attachées aux femmes fait toutefois courir un risque de féminisation des héros : « pour célébrer la beauté masculine d’une autre manière que les auteurs des chansons de geste, nos premiers romanciers sont souvent embarrassés ou réticents car ils sont amenés, dès qu’ils veulent faire preuve d’une relative précision, à user d’éléments descriptifs qu’ils emploient par ailleurs pour célébrer la beauté féminine »295. Les comparaisons canoniques s’imposent presque automatiquement sous la plume des auteurs, qu’ils décrivent un homme ou une femme. Les textes regorgent en effet de portraits masculins utilisant les mêmes comparaisons que leurs équivalents féminins :
Si chevol resanbloient d’or | Ses cheveux semblaient de l’or |
Et sa face rose novele | Et son visage une rose qui vient d’éclore |
Cligès, v. 2758-2759296 |
Caviaus crespés, recercelés, | Des cheveux frisés, bouclés, |
Qui plus luisent c’ors esmerés. | Qui brillent plus que de l’or le plus pur. |
Lai de Narcisse, v. 95-96297 |
253et les poètes se sentent parfois contraints de préciser la virilité de leur héros :
Vairs ot les uels, jolis et gais, | Il avait les yeux vifs, jolis et gais, |
Beal front, bele boche et beal nez, | Un beau front, une belle bouche et un beau nez, |
Les chevelz blons recercelés. | Les cheveux blonds ondulés. |
Plus estoit clers que nule gemme, | Il était plus resplendissant |
[qu’aucune pierre précieuse, | |
Et si n’ot pas bealté de feme ; | Mais il n’avait pas une beauté de femme ; |
Durmart le Galois, v. 108-112. |
254Le risque est même si grand de féminiser le portrait que la langue, en un lapsus révélateur, dévoile l’implicite du discours lors de l’entrée triomphale du héros entouré de cent pages :
Ilz estoient merveilleusement beaux et blondes, et bien en point, mais sur tous estoit le roy le plus beau et le plus parfaict, car bel et grant homme estoit. | Merveilleusement blonds, ils étaient d’une extraordinaire beauté, éclatants de vigueur, mais, de tous, c’était le roi qui était le plus beau, la perfection faite homme, car il était à la fois grand et beau. |
Le Roman de Jehan de Paris, p. 27 (l. 1-7). |
255La féminité transparaît jusque dans l’accord de l’adjectif attribut blondes avec son sujet ils. « Si la description physique d’un homme prête à caution, c’est parce qu’elle implique l’utilisation de moyens stylistiques propres à représenter la beauté féminine. La beauté porte la marque de la féminité, de même qu’en français, le féminin de l’adjectif belle est marqué, par opposition au masculin non marqué beau »298. Les critères de la beauté idéale sont donc globalement les mêmes pour les deux sexes299, d’où un certain trouble quant aux catégories de genre.
256Le cas de Lancelot est symptomatique de cette intime ambiguïté. Chevalier vaillant, amant sensible et fidèle, il n’en est pas moins décrit comme un être hybride créant l’alchimie du masculin et du féminin300. Comme l’a souligné Michèle Gally, alors que le portrait tend à s’amenuiser dans la prose, « le conteur du Lancelot ne se lasse pas de décrire ses charmes et de détailler ses perfections, alors que ses héroïnes sont uniformément belles et bien faites sans que rien n’accroche ces épithètes à un trait, une qualité particulière »301. La beauté masculine, si étroitement dépendante des canons esthétiques féminins, reste effectivement à inventer à la fin du xiie siècle, reprenant à son compte certaines caractéristiques et se démarquant pour d’autres302. En ce qui concerne plus particulièrement la chevelure soignée de Lancelot, elle « le rapproche des canons de la beauté féminine et de l’émotion érotique attachée aux cheveux que les femmes dissimulent sous leurs voiles ou découvrent, tressent ou déploient dans les moments d’intimité »303. Cette nouvelle beauté, jeune et vigoureuse, demeure toutefois androgyne. N’oublions pas que Lancelot est confondu de nuit avec une femme et embrassé par un chevalier304.
257Ce n’est pas la mode des couronnes masculines qui rétablira la distinction des genres. « Tant que durèrent les cheveux longs [pour les hommes] on plaça volontiers directement sur la chevelure un chapel ou cercle de tête »305. À la cour, de riches barons n’hésitent pas à en porter :
Gens ont les cors et fiers les vis, | Ils ont le corps gracieux et le visage fier, |
Chapiax d’or fin ont en lor chiés, | Des couronnes d’or fin sur leur tête, |
Les chevex ont blons et tranchiés, | Les cheveux blonds et coupés courts, |
Les barbes ont blans et chenues, | Les barbes blanches et chenues, |
Ne samblent pas gens esperdues. | Ils ne semblent pas désespérés. |
Guillaume de Palerne, v. 2580-2584306. |
258Keu non plus307 et c’est même devenu une habitude pour Lancelot de porter – fust estés ou fust ivers – un capel de roses freches et vermeilles sor ses chevex308. Le soin que ces personnages masculins apportent à leur coiffure rivalise avec la légendaire coquetterie féminine.
259On ne s’étonnera donc pas de la facilité avec laquelle les personnages se travestissent sans pourtant être découverts. Aussi les jumeaux Floris et Florie échangent-ils facilement leur place pour que le jeune Floris puisse se rendre à la cour comme demoiselle de compagnie à la place de sa sœur. Celle-ci, contrainte d’accepter, aide même son frère dans son entreprise :
Un pigne d’ivoire ai porté | La sœur a porté un peigne d’ivoire |
La suer por son frere pignier. | Pour peigner son frère. |
Apertemant et sanz targier | Il est de nouveau adoubé |
Est cil de noveal adoubez. | Habilement et sans tarder. |
Bien est en pou d’oure muez. | On le métamorphose en très peu de temps. |
Or ains fu il, or est il elle | Il était lui avant, il est elle à présent |
Et damoiseaux la damoisele. | De jeune homme il est devenu jeune fille. |
Floris et Lyriopé, v. 873-879. |
260Cette scène de toilette inversée met l’accent sur le rôle de la chevelure quant à la féminisation de l’apparence. Seuls l’habit et la coiffure distinguent le masculin du féminin309. On peut donc conclure à une globale androgynie de la beauté médiévale.
De l’autre côté du miroir...
261Notre corpus se réduit comme une peau de chagrin dès lors qu’il est question de laideur si bien que les choix des auteurs pour qualifier la chevelure hideuse n’en sont que plus significatifs. À l’agréable chevelure ondulée s’opposent ainsi les cheveux plats sans aucun relief. Jaufré présente un portrait intéressant de nain cumulant les disgrâces physiques, y compris l’aplatissement des cheveux310. Ce trait physique renvoie à un trait de caractère dans la mesure où il illustre la platitude du personnage, sa simplicité mentale. Le dieu des songes, après un séjour sous l’eau, présente une chevelure tordue et désordonnée qui l’enlaidit considérablement :
Plus tors avoit les cheveus et locus | Il avait les cheveux plus tordus et ébouriffés |
C’une cordelle. | Que de la ficelle |
La Fonteinne amoureuse, v. 661-662. |
262Les adjectifs tors (participe passé adjectivé du verbe tordre) et locus ainsi que la comparaison finale avec la cordelle confortent et amplifient cette vision tourmentée et tortueuse.
263Quant à locu – probablement issu du néerlandais locke désignant une boucle de cheveux – on le retrouve sous la plume de Guillaume de Machaut pour qualifier la chevelure ébouriffée de l’horrible géant Polyphème :
Sa crine locue et diverse | Sa chevelure étrangement hirsute, |
Pigne des gros dens d’une herce. | Il la peigne avec les grosses dents d’une herse. |
Le Livre du Voir Dit, v. 6760-6761. |
264L’auteur aurait pu user du terme hure pour désigner la tête de ce monstre sanguinaire puisque, avant de faire référence à des humains, la hure renvoyait à la tête hirsute d’un bœuf sauvage ou à celle d’un sanglier. C’est justement l’adjectif huree, dérivé de hure, qui signale la merveille qu’est le Bossu de Suave, Chevalier des Pays-Bas, rattaché à la cour de Perceforest :
un chevalier monté a cheval s’embaty illecq mervilleux a regarder, car il estoit boussut et contrefait et avoit la teste huree et entremeslee de cheveulx chenus. | Alors se précipita à cet endroit un chevalier monté étonnant à regarder, car il était bossu et malformé et car il avait la tête hérissée et ébouriffée de cheveux blancs. |
Perceforest, 4e partie, I, p. 62, l. 1857-1861. |
265À l’infirmité de son corps répond la difformité de sa coiffure. D’une certaine façon, l’esthétique médiévale rejette les deux extrêmes que sont les chevelures très raides sans volume ou, à l’opposé, crépues et hirsutes, pour ne s’intéresser qu’à l’éventail couvrant les chevelures souples et faciles à dompter. En effet, la chevelure désordonnée suggère un état animal, sauvage, fou311, une inaptitude évidente au raffinement.
266Le danger commence là où la chevelure devient crinière. Les personnages féminins ne sont-ils pas évoqués en train de se peigner, au moment même où la culture discipline la nature ? La chevelure hérissée, dressée, provoque la crainte et ce n’est pas une surprise si cette caractéristique revient dans les portraits allégoriques de Danger, de Pauvreté ou de Meseûr (Malheur)312, tous trois réputés inspirer l’effroi. En revanche, la vieille femme rencontrée par Jaufré dans la forêt et qui cumule toutes les manifestations de la laideur essaie tant bien que mal de dissimuler sa chevelure hérissée sous un voile de filoselle :
E tot entorn sun cap lïada | Et noué tout autour de sa tête |
Saven’ ac prima d’un folleil | Elle portait un voile léger de filoselle |
Ab qe sun estreit sei cabeil | Qui lui enserrait les cheveux |
Qe l’estan en sus erissat, | Tout hérissés par-dessus. |
Jaufré, v. 5224-5227. |
267Le hérissement des cheveux, demeurés indomptés, constitue en conséquence une caractéristique capillaire suffisante pour conclure à la dévalorisation du personnage décrit. La tentative de justification que place Guillaume de Machaut dans la bouche de Polyphème ne modifie pas les données dans la mesure où elle se fonde sur une comparaison avec le règne animal313.
268Au même titre que le cyclope anthropophage, le paysan rencontré par Calogrenant fait figure d’autre, de barbare, à tel point que, pour aider l’auditeur à se le représenter, le poète multiplie les comparaisons animales314. Sa chevelure hirsute, en mèches folles, rappelle le crin d’un roncin jamais étrillé. La laideur s’apparente dès lors à l’horreur que provoque la rencontre de l’inconnu, de la différence, de l’altérité. Aussitôt classé et recensé comme une sous-espèce animale, l’être esquissé perd de son aura et cesse en partie d’effrayer. Pour reprendre le parallèle établi par Danielle Régnier-Bohler entre le corps poilu et les étoffes du costume, « les catégories qui désignent l’envers des qualités du vêtement – le velu, le mal soigné, l’hirsute – font que l’apparence civilisée apparaîtra plus tard comme ce qui, de la nature devenue exubérante et mal contrôlée, sera domestiqué, rogné, poli et finalement revêtu d’un produit travaillé de la main de l’homme (l’étoffe) qui ne provient donc plus de ce que le corps secrète lui-même »315. Le passage au tissu signale l’avènement de la civilisation, à laquelle ne sont justement pas rattachées les ignobles créatures velues et hérissées.
269Il apparaît avec évidence que les canons médiévaux intègrent l’ondulation des cheveux comme un surcroît de beauté, probablement davantage chez les personnages masculins que féminins, ce qui s’expliquerait par l’impossibilité matérielle de cumuler frisure et longueur extrême de la chevelure. D’autre part, même si certains auteurs emploient régulièrement et avec plaisir les mêmes qualificatifs, il se révèle impossible de déterminer une période exaltant tel ou tel aspect particulier de la chevelure. En dernier lieu, il faut insister sur l’apport significatif des portraits de personnages hideux qui nous informent, par symétrie, sur les critères esthétiques en cours. Si la chevelure hérissée concentre toutes les attaques, c’est qu’elle signale avant tout un manque de soin manifeste, une volonté de ne pas civiliser sa coiffure. Voilà pourquoi la plupart des qualités capillaires retenues telles que la brillance ou l’ondulation – plus ou moins naturelles – révèlent a contrario une chevelure soignée témoignant d’une détermination à assouplir la nature, à la dompter, à la discipliner. L’esthétique traduit avant tout un souci éthique.
L’art de délier les guimpes
270La chevelure subit quotidiennement les contraintes les plus diverses – brossage, coiffage, mise en forme, nattage, tressage – à tel point qu’on la voit rarement libre et naturellement éparse. D’où l’intérêt des deux adjectifs négativement préfixés eschevele – qui signale un désordre dans la chevelure – et deslie qui suppose l’abolition d’un lien. Quelle place faut-il leur accorder parmi les multiples qualificatifs relatifs aux cheveux ; s’inscrivent-ils en complète opposition à tous les autres ou bien les complètent-ils ? Nous verrons que, tel Protée, eschevele se prête à toutes les métamorphoses et endosse les significations les plus variées. Après avoir élucidé le(s) sens de chacun, nous nous pencherons sur leurs circonstances favorites d’apparition et sur les cas où ils deviennent synonymes afin de tirer un enseignement sur les contraintes sociales imposées à la femme par l’entremise de sa chevelure.
Eschevele
271Eschevele, usité à partir du xie siècle, dérive de chevel est le participe passé du verbe escheveler. La valeur originelle du verbe (priver de ses cheveux) a été évincée par le sens de mettre la chevelure de quelqu’un en désordre316, valeur également assumée par le verbe decheveler (décoiffer) qui peine à s’implanter en raison de sa synonymie avec escheveler. Cependant, ce désordre reste soumis à l’appréciation toute subjective de celui qui l’énonce puisque l’adjectif caractérise aussi bien un personnage dont la chevelure pend librement, c’est-à-dire sans coiffure particulière, qu’un personnage dont les cheveux ne sont pas recouverts d’un couvre-chef, principalement la guimpe. Autrement dit, sont qualifiées d’eschevelees des femmes à la chevelure soignée mais libre sur le dos ou à la chevelure désordonnée ou encore à la tête nue. On note au passage que l’adjectif s’applique aux seuls personnages féminins. À ceci, plusieurs raisons :
- les femmes portent majoritairement les cheveux longs qui, quand ils sont en désordre, attirent davantage l’attention ;
- à la différence des personnages masculins, elles jouissent de la possibilité d’attacher leurs cheveux de multiples façons ;
- elles sortent habituellement voilées317 afin de ne pas exposer outre mesure leur chevelure aux regards de convoitise.
272La variété des sens du mot ne doit pas faire oublier sa connotation a priori négative. Comme l’indique le préfixe, il ne peut s’agir de la mise ordinaire des cheveux, à tel point que ce type de coiffure décoiffée ne peut relever que de circonstances particulières, exceptionnelles, laissant voir la chevelure apparemment dépourvue d’artifice318 et, pourrait-on avancer, à l’état sauvage.
Deslie
273L’usage voulait que la femme respectable lie sa guimpe319 – fichu en toile légère qui couvre la tête, passe sous le menton et encadre le visage – de manière à masquer la chevelure et même parfois le bas du visage320. Lier sa guimpe signifie donc nouer les extrémités de la pièce de tissu sur le sommet du crâne pour la fixer321, comme on pouvait le pressentir en rapportant le verbe à son étymologie latine ligare (attacher, entourer, fixer)322. Le verbe antonyme formé par préfixation, deslier323, désigne bien sûr l’action de détacher les liens afin de retirer la guimpe. La fréquence d’utilisation de cette acception concrète du verbe explique la possibilité d’omettre le complément d’objet sans altérer pour autant la compréhension de la phrase. Ainsi, lorsque Jaufré ramène au foyer la fille d’Augier soigneusement voilée, le père se précipite pour deslier sa fille (le terme guimpe reste implicite324) afin de la reconnaître :
Ab tant el la va deslïar, | Il va alors lui ôter sa guimpe. |
E Augier la pren a garar | Augier la regarde |
E a la sempre connoguda. | Et la reconnaît. |
Jaufré, v. 6763-6765325. |
274Ce simple extrait suffit à prouver que la guimpe masquait aussi une partie du visage puisque le père ne reconnaît sa fille qu’après l’avoir dévoilée. Le participe passé du verbe, parfois adjectivé, signifie donc simplement l’absence de guimpe, comme le montre la tournure suivante, presque pléonastique :
Et fu sans guimple desl[i]ie | Elle avait dénoué sa guimpe |
Hunbaut, p. 82326. |
275On se gardera donc de traduire fu desliee par « elle avait les cheveux libres, détachés »327 et on évitera également de confondre ce participe passé avec son homonyme, l’adjectif delgie qui exprime la finesse et la délicatesse du cheveu328. Dans son ouvrage329, R. Boulengier-Sedyn propose une tout autre acception du participe passé, à savoir l’action de défaire les tresses, mais elle n’en présente qu’une seule occurrence, que voici :
lors encontre une damoisele tote chenue qui chevalchoit molt cointement et estoit tote deslie, ses treces par ses espaules comme pucele et avoit en son chief.I. chapel de roses, kar c’estoit entor la Saint Johan. | Il rencontre alors une demoiselle aux cheveux tout blancs qui chevauchait très élégamment, elle ne portait pas de voile, avait les tresses sur les épaules comme une jeune fille et était coiffée d’une couronne de roses, car c’était aux environs de la Saint Jean. |
Lancelot en prose, t. ii, l, 5, p. 228. |
276La coiffure de cette femme se différencie en effet de celle attendue chez une personne âgée, à savoir les tresses non pas tombantes mais enroulées en chignon ou en macarons. Or, cette vieille demoiselle porte ses tresses libres sur le dos et n’a pas noué de guimpe, suivant en cela l’usage en vigueur pour les jeunes filles. Rien ne justifie à nos yeux une interprétation inhabituelle de deslie dans ce contexte dans la mesure où, si les tresses étaient défaites, le personnage n’aurait plus de tresses sur les épaules ! En revanche, cet extrait nous informe du lien entre la coiffure et l’état matrimonial de celle qui la porte.
277Si les femmes revêtent habituellement la guimpe, seules les jeunes filles ont la possibilité de laisser leurs cheveux visibles, éventuellement maintenus loin des yeux par une couronne ou un diadème appelés chapel ou chapelet. Aussi, sous son riche chapeau, la Pucelle aux Blanches Mains peut-elle se permettre de montrer ses longs cheveux galonnés :
Par deriere ot jeté ses crins | Elle avait rejeté en arrière ses cheveux |
Plus reluisans que nus ors fins. | Plus brillants que l’or le plus pur. |
Sans guinple estoit ; a un fil d’or | Elle ne portait pas de guimpe ; un fil d’or |
Ot galonné son cief le sor. | S’enroulait dans ses cheveux ambrés. |
Le Bel Inconnu, v. 3979-3982. |
278La jeune fille jouit de plus de liberté pour arranger sa chevelure. L’écrivain qui souhaite offrir une description flatteuse des cheveux de son héroïne la présentera de toute évidence sans guimpe ; il va de soi que Blanchefleur, si elle avait été couverte du front au menton, aurait exercé sur Perceval une séduction bien moindre :
Deslïee fu, et si ot | Elle ne portait pas de guimpe et avait |
Les chevox tex, s’estre poïst, | Les cheveux tels, chose incroyable, |
Que bien cuidast qui les veïst | Que l’on aurait dit à les voir |
Que il fussent tuit de fin or, | Qu’ils étaient entièrement composés d’or fin, |
Le Conte du graal, v. 1810-1813. |
279Bien que l’auteur signale ici que l’héroïne est dévoilée, il faudra considérer cette notation comme tacite chaque fois que le portrait s’attardera sur l’évocation des cheveux, impossible dans le cas contraire330.
Deux emplois spécifiques de eschevele
280Attardons-nous à présent sur deux situations singulières, à savoir le deuil et la toilette, qui permettent à la chevelure de se libérer du carcan dans lequel elle est constamment maintenue.
La chevelure en deuil
281Dans la majorité des cas, l’adjectif eschevele renvoie à une chevelure décoiffée par les gestes offensants que s’impose un personnage en proie à une vive affliction, notamment à la suite d’un deuil331. Ce mot suffit alors à mettre l’accent sur les conséquences physiques de la mortification que s’inflige le personnage accablé :
il virent une damoisele qui venoit encontre euls a pié et toute eschevelee et faisoit si grant duel que nus ne la veïst qui n’en deûst pitié avoir. | Ils virent une demoiselle qui venait à pied à leur rencontre, elle était toute échevelée et menait un si grand deuil que quiconque en la voyant aurait éprouvé de la pitié. |
Tristan en prose, t. vii, Appendices, II, 2, texte du ms O (fol. 268), p. 437, l. 241-243. |
282L’adjectif eschevelee, souligné par l’adverbe toute, constitue dans cet extrait l’unique notation visuelle en rapport avec la détresse émotionnelle du personnage et fait pendant à l’expression abstraite si grant duel. Il offre une synthèse de l’ensemble de la scène de deuil. Une chevelure libre de tout lien était en effet, dès l’antiquité, un signe de deuil. Sans anticiper sur l’analyse du motif de la déploration, ajoutons simplement que la chevelure défaite – c’est-à-dire dépourvue de ce qui la civilise – peut s’associer à d’autres signes tout aussi inquiétants tels que la pâleur du visage :
et vint corant contre le cors, | Et court vers le cadavre, |
eschevelee et toute pale. | Échevelée et toute pâle. |
Le Roman d’Énéas, v. 6323-6324 |
Sa femme, eschevelé et pale, | Sa femme, échevelée et pâle, |
vint acorant par mie la sale ; | Vint en courant dans la salle ; |
par mie la sale, eschevelé, | Dans la salle, échevelée, |
acourt come femme desvee. | Elle accourt comme une insensée. |
Le Roman de Thèbes, v. 1945-1948. |
283La reine devant le corps de son fils et la femme de Tydée, échevelées et livides, figurent aussi bien la démence par leur coiffure que la mort par leur pâleur cadavérique. Le trajet de la femme de Tydée dans la salle du palais, répété en chiasme, s’apparente à celui d’un animal fou. Sa chevelure en broussaille – deux fois mentionnée – devient dès lors l’expression visible de son désarroi intérieur.
284On accède même à une dimension symbolique avec ce groupe de femmes rassemblées sur un champ de bataille en vue d’empêcher la guerre. Afin de rallier les hommes à leur cause pacifique, les femmes recourent à divers signes extérieurs de tristesse :
Un jour, que les grans osts ja furent | Un jour où les grandes armées se trouvaient |
En champ et assembler se durent, | Dans un champ et devaient combattre, |
La royne a toutes ses femmes, | La reine et toutes ses suivantes |
Ou moult y ot de belles dames, | Dont beaucoup de belles dames |
Sault hors, si en y ot d’enceintes, | Surgirent – certaines étaient enceintes ; |
Et ja enfanté orent maintes, | Beaucoup venaient d’accoucher, |
Leur enfens ont en bras portez ; | Et portaient leurs enfants dans leurs bras. |
A visages desconfortez, | Le visage désolé, échevelées, |
Viennent en champ eschevellees ; | Elles arrivent dans le champ |
Lors, en plourant comme adoulees, | Alors, en pleurant comme des femmes affligées, |
Se fichent des osts ou millieu, | Elles se plantent au milieu des armées, |
Le Livre de la mutacion de Fortune, t. iii, v. 18639-18649. |
285Dans ce tableau censé apitoyer les guerriers, l’accent est mis sur la présence de jeunes enfants, nés ou à naître, portés avec ostentation par des femmes éplorées, à tel point que se dessine en filigrane la figure de pietà auxquelles les hommes ne sauraient imposer de souffrances supplémentaires. Comment ne pas superposer à cette image celle de la Vierge aux cheveux dénoués, suppliante et pitoyable, devant le cadavre de son fils unique ?
286Les scènes d’affliction ostentatoire dessinent donc un hors-temps au cours duquel le désordre de la chevelure est accepté, voire attendu. La femme est hors d’elle-même332 et sa coiffure matérialise son état psychologique. Eschevelee, la chevelure mène le deuil et fonctionne comme un étendard de la douleur du personnage.
À proximité d’un miroir
287Par défaut de brossage, toute longue chevelure est sujette aux noeuds et se retrouve très tôt ébouriffée, voire hérissée. Les chevelures des héroïnes médiévales n’échappent pas à cette règle, loin s’en faut, et si les auteurs, qui répugnent ordinairement à laisser voir leurs personnages sous un jour défavorable, font le choix de les montrer décoiffées, c’est uniquement parce que cette option sert l’économie du passage narratif. On peut alors exceptionnellement entrevoir des personnages escheveles. Ainsi, afin de créer pour le lecteur l’effervescence et l’agitation qui embrasent la communauté féminine lors de la visite de Gauvain au château, le narrateur ne ménage pas sa peine. Il use des ressources de l’énumération et de l’irréel du passé – cher à l’épopée – et réussit à brosser un tableau d’ensemble tout en faisant un sort à quelques personnages afin de mettre en scène les multiples va-et-vient qui rythment le tableau vivant :
Lors veïssiez par la meson | Vous auriez alors vu dans la maison |
Venir dames et damoiseles | Circuler dames et demoiselles |
Et la roïne et ses pucelles ; | Ainsi que la reine et ses suivantes ; |
L’une i cort toute eschevelee, | L’une court, toute échevelée, |
L’autre toute desafublee, | L’autre, sans manteau, |
Première Continuation de Perceval, v. 18280-18284333. |
288Les femmes sont décoiffées par la course et la précipitation à moins que ce ne soit l’agitation ambiante qui ait retardé le moment de la toilette. La mention d’une demoiselle toute eschevelee ne peut rester inaperçue et contribue, par l’image inattendue qu’elle suscite, à l’effet de réel visé.
289Entrevoir dans ces circonstances une femme décoiffée, c’est presque entrevoir la scène – évincée, manquante – de la toilette dans laquelle se dévoilerait son intimité334. C’est, pour un homme, voir plus qu’il ne devrait335. Ainsi, dans Le Livre de Caradoc, la mère reproche-t-elle hypocritement à son fils d’être entré à l’improviste dans sa chambre et de l’avoir découverte eschevelee :
Je ne me donnoie regart | Je ne me préoccupais pas |
Que vos ore venissiez ça, | De votre venue, |
Que je ne vos vi mes pieç’a ; | Car je ne vous avais pas vu depuis longtemps ; |
Venuz estes ça a celee. | Vous êtes entré ici en cachette. |
Trové m’avez eschevelee, | Vous m’avez trouvée toute échevelée, |
Car un po pignier me voloie | Parce que je voulais un peu me peigner |
Première Continuation de Perceval, v. 9900-9905336. |
290Ce passage suffirait à prouver que la vue de la chevelure décoiffée était habituellement réservée à la chambrière. Rompre ce contrat implicite revient à commettre un affront et à humilier la femme ainsi dérangée. Il va de soi que la situation présente diffère puisque la mère de Caradoc prétend qu’il l’a interrompue alors qu’elle l’attendait pour lui faire subir la ruse de son père et enchanteur Eliavrés. Celui-ci avait en effet caché un serpent venimeux dans l’armoire. Néanmoins, le discours de la mère se fonde sur une convention admise par tous : eschevelee, la femme n’est pas visible337.
291Seul le temps alloué au deuil ou à la toilette permet à la chevelure féminine d’être désordonnée. Qu’en est-il alors des nombreuses autres occurrences du mot eschevele ? Pour revenir à la citation du Bel Inconnu donnée en introduction, il faudrait sans doute préciser que la fée rend visite à Ginglain de nuit et que le contexte nocturne d’une chambre ne peut manquer d’évoquer l’intimité naissante des deux protagonistes. On peut ainsi interpréter l’apposition eschevelee soit comme un doublon sémantique du groupe nominal prépositionnel sans guimple (c’est le choix de R. Boulengier-Sedyn338), soit comme une information supplémentaire précisant le charmant désordre de la chevelure :
Sans guinple estoit, eschevelee, | Elle venait sans guimpe, tête nue, |
Et d’un mantiel fu afublee | Vêtue d’un manteau |
D’un vert samit o riche hermine ; | De soie sergée verte doublée de luxueuse hermine ; |
Le Bel Inconnu, v. 2395-2397. |
292Le manteau qui couvre richement le corps contribue autant que l’absence de guimpe (qui laisse la chevelure visible) à la beauté de cette apparition nocturne339. C’est justement sur ce point qu’il faut s’attarder : l’absence de couvre-chef tend à devenir un élément de séduction. Bien sûr, il ne suffira pas à un laideron de montrer sa chevelure pour se métamorphoser en parangon de beauté mais le choix de ne pas couvrir sa chevelure – de se présenter eschevelee – dénote une certaine liberté. Dans cette acception, eschevelee devient synonyme de desliee et il nous paraît pertinent de lier dorénavant l’étude des deux adjectifs, aussi bien pour éviter les répétitions que pour confronter leurs spécificités.
Le dévoilement interdit
293Pour saisir l’empire que peut exercer la chevelure féminine sur un héros masculin, il faut garder à l’esprit la mode qui était en vigueur au moment où les auteurs rédigeaient leurs textes. À partir du xiiie siècle, « la coiffe devient si nécessaire que l’arrangement des cheveux se nommera désormais ‘coiffure’. L’idée de cacher les cheveux nous est venue d’Orient, et a passé de la religion juive dans la morale chrétienne, dès les premiers siècles »340. Valère Maxime, fort lu au Moyen Âge, relate d’ailleurs l’exemple de Gaius Sulpicius Gallus qui a répudié sa femme pour le motif qu’elle s’était trouvée la tête découverte hors de chez elle : Nam uxorem dimisit, quod eam capite aperto foris uersatam cognouerat341. Dans le christianisme, c’est l’apôtre Paul342 qui a préconisé le voile féminin avant que Tertullien ne le systématise dans son traité De virginibus velandis. La beauté du corps ne devant pas être un piège à capturer les hommes, ce Père de l’Église interdit aux femmes, qu’elles soient mariées, nonnes et même vierges343, de montrer leur chevelure, reconnaissant par là-même son pouvoir érotique. « Selon lui, les vierges qui renoncent publiquement au mariage doivent être voilées comme les autres femmes. Leurs habits doivent montrer les vertus liées à la foi. C’est à cette période, c’est-à-dire au iiie siècle, que l’expression ‘sponsa Christi apparaît et Tertullien fut d’ailleurs le premier à l’utiliser »344. La cérémonie de prise de voile emprunte d’ailleurs au rituel du mariage345. Si la postulante à la vie monastique renonce au monde extérieur et à soi-même pour l’amour de son divin époux346, il en va de même pour la jeune mariée qui s’offre corps et âme à son tout terrestre époux. La vie monacale fut ainsi assimilée à la vie matrimoniale si bien que le voile de la femme mariée rejoint dans sa symbolique celui de la nonne. De ce fait, il était de mise pour une femme mariée de se couvrir la tête dès qu’elle désirait quitter l’espace domestique. Sortir découverte était une preuve d’impudeur et d’indécence et seul l’époux se réservait jalousement le droit de contempler la chevelure de son épouse.
294Quelles que soient les modes, les cheveux demeurent ainsi cachés sous une ou deux épaisseurs de tissu347 jusqu’au règne de François Ier. Au xiiie siècle, « un touret légèrement évasé et légèrement ondulé, bandeau de linge de 8 à 10 centimètres de large, doublé d’une bande empesée »348 est posé sur le voile. Dans le dernier quart du xiiie siècle, « les tresses sont ramenées au-dessus des oreilles et y forment deux saillies accentuées sous le couvrechef, d’où s’échappent souvent deux petites mèches frisées garnissant les tempes »349. Enserrée comme en un sac par la résille, la chevelure est donc invisible. Qui plus est, « généralement, un voile se plaçait sur cette coiffure, et le cercle de tête se posait sur le voile pour le fixer »350. Si la mode change au xive siècle puisque les deux macarons remontent des oreilles vers le sommet de la tête351, le principe de confection reste identique et consiste « à envelopper soigneusement toute la chevelure dans une coiffe entourée elle-même d’une résille »352. La mode de la guimpe est d’ailleurs si suivie que le port du voile simple attire l’attention353.
295On imaginera en conséquence un espace public presque dépourvu de cheveux féminins, cachés qu’ils étaient sous la guimpe et le voile. Leur invisibilité ordinaire explique aisément le succès de leur inhabituel dévoilement au cœur des œuvres, lors de la scène de la toilette par exemple. Présente et néanmoins absente car masquée, la chevelure profite de cette ambiguïté dans la littérature médiévale. Nous verrons ce qui se joue au moment où le voile s’efface, lors du passage de l’absence à la présence, lors du dévoilement de la chevelure.
Un nouveau canon de beauté ?
296Dès lors qu’on a saisi la multiplicité des sens de eschevele, on ne s’étonnera plus de le trouver au cœur de portraits féminins conventionnels. Il faudra évidemment l’entendre dans son sens second, c’est-à-dire dépourvu de couvre-chef tel que la guimpe354. Cela ne signifie pas pour autant – on l’aura compris – que la femme soit décoiffée ni même qu’elle soit en cheveux355 :
Nue et sans guimple | Elle va tête nue, sans guimpe |
a son chief sor] | [sur ses cheveux ambrés, |
S’est dessainte et eschevelee : | Dénoués et flottants, |
D’une cercle non guaires lee, | Qu’elle retient d’un mince diadème |
Ouvree a pierres et a flours, | Ouvré de pierres et de fleurs |
D’or et d’asur et de couleurs, | D’or, d’azur et de diverses couleurs, |
Tient les cheveux, ce m’est advis, | Afin, me semble-t-il, |
Qu’il ne lui voisent vers le vis, | Qu’ils ne tombent pas sur son visage |
Mais desus les a sans destresse ; | Mais ondulent librement. |
Par les espaules va la tresse ; | La tresse descend sur ses épaules, |
Si les a couvers d’un brun voil | Et elle s’est couvert la tête d’un voile brun |
Qui bien li siet sur le blont poil, | Bien assorti à sa blondeur, |
Galeran de Bretagne, v. 2010-2020. |
297Loin d’être négligée, la toilette et la coiffure de Fresne se révèlent hautement sophistiquées : la tête est ornée d’un cercle ouvragé (fine couronne se portant à la manière d’un bandeau) qui maintient la chevelure en arrière tandis que, sur leur longueur, les cheveux sont tressés et recouverts d’un voile. En quoi cette demoiselle est-elle alors eschevelee (vers 2011) puisque ses cheveux sont ordonnés et couverts d’un fin voile ? Sans doute faut-il comprendre que la chevelure n’est pas intégralement cachée comme elle le serait sous l’épais voile monacal de la guimpe. Même dotée d’une coiffe, beaucoup plus couvrante que le cercle, la jeune fille reste encore eschevelee :
La dameisele ad avisé | [Mélandre] avise la demoiselle |
Sanz guimple, tut eschevelé, | Qui était sans guimpe, tête nue, |
Fors qe une coife el chef posee, | À l’exception d’une coiffe de bonnet |
De benet a fin or listee ; | Garnie d’un liseré d’or pur, posée sur la tête ; |
Si fu a Melander avis | Il lui semble |
Que unc ne vit en nul païs, | Qu’il n’a jamais vu nulle part, |
En nul empire, en nul regne | En aucun royaume, ni en aucun empire, |
Fors Medea si bele femme. | Une si belle femme, à l’exception de Médée. |
Protheselaus, v. 9873-9880. |
298Signaler l’absence de guimpe, c’est implicitement louer la beauté de la femme. Cette curieuse hypothèse se voit précisément validée une centaine de vers plus loin puisque l’adjectif eschevelee, amplifié par l’adverbe tute, arrive en tête d’une liste de quatre caractéristiques de la beauté féminine, à savoir la blancheur de la peau, l’éclat des yeux et la largeur du front :
Sire, el est tute eschevelee, | Seigneur, elle va tête nue, |
Asez est plus blanche que fee, | Son teint est plus blanc que celui d’une fée, |
Les oilz ad bels e large front. | Elle a de beaux yeux et un large front. |
Protheselaus, v. 10033-10035. |
299La mention de la blondeur, de la longueur ou de la brillance des cheveux est évincée au profit de ce simple adjectif qui paraît synthétiser toutes ces qualités.
300La haute fréquence des têtes voilées justifie sans doute l’émerveillement des poètes devant une chevelure qui se donne à voir. De la même façon que l’absence de manteau laisse deviner l’harmonie du corps, le retrait de la guimpe focalise inévitablement l’attention sur la chevelure qui, d’intime, devient publique. La jeune Énide, emmenée sur le cheval de son futur époux à la fête de l’épervier au cours de laquelle chaque chevalier défend la supérieure beauté de sa dame, se montre aux passants sans guimpe356 et sans manteau, comme le souligne d’emblée Chrétien :
Deslïee et desafublee | La demoiselle sans gimpe ni manteau |
Est la pucele sus montee, | Monta sur le cheval |
Qui de riens ne s’an fist proier. | Sans se faire prier. |
Érec et Énide, v. 739-741. |
301En effet, afin de forcer le lecteur-auditeur à s’imaginer l’incomparable beauté d’Énide, le poète, après avoir brossé un portrait élogieux de la fille du vavasseur et après avoir traduit la séduction qu’elle exerce sur Érec choisit de rapporter les propos enthousiastes des passants au sujet du jeune couple :
Cist anploiera bien sa painne, | Ce ne sera pas en vain ni à tort |
Cist doit bien desresnier par droit | Que celui-ci soutiendra |
Que ceste la plus bele soit. | Qu’elle est la plus belle. |
Érec et Énide, v. 756-758. |
302Or, si Énide avait eu le corps recouvert d’un épais et large manteau et la tête voilée, une telle unanimité au sujet de ses charmes aurait été inconcevable, ou totalement invraisemblable357. C’est bien l’absence de guimpe qui justifie les vœux de succès lors du concours. Tel est finalement l’intérêt de la guimpe : elle sert à cacher ce qui est trop séduisant. Son retrait ou son absence dévoilent la beauté de la femme358.
Indice de disponibilité
303Seule la jeune fille pouvait découvrir ses cheveux sans pour autant être accusée d’impudeur359. Potentiellement à la recherche d’un époux, elle arborait ainsi ses divers atouts, à l’instar des filles du roi de Thèbes présentées dans une intention matrimoniale à des chevaliers étrangers :
Li reis fait ses filles lever, | Le roi fait lever ses filles, |
apareillier et conreer, | Les fait apprêter et parer, |
et demonstrer as chevalers : | Pour les montrer aux chevaliers : |
tient que les avront a moilliers. | Il tient à ce qu’ils les prennent pour épouses. |
Celes vindrent, lour chiefs enclins, | Elles vinrent, la tête baissée, |
treciez de fil d’or lor crins ; | Les cheveux tressés de fils d’or ; |
lor bliauz furent d’aucassins, | Leurs tuniques étaient en soie, |
lour peliçons desouz hermyns. | Et les pelisses qu’elles portaient dessous, |
[fourrées d’hermine. | |
Toutes nues piez, eschevelies, | Nu-pieds, tête nue, |
par la sale vindrent lez fees ; | Les belles jeunes filles entrèrent dans la salle ; |
car monstrer voloient lor cors | Car elles voulaient montrer leur corps |
as chevaliers qui sount defors. | Aux chevaliers étrangers. |
Le Roman de Thèbes, v. 1026-1037. |
304Le contexte exclut l’éventualité de princesses se présentant les cheveux en désordre ; bien au contraire, elles se montrent ici sous leur meilleur jour. D’ailleurs, comment expliquer la subite rougeur qui colore leurs visages360 autrement que comme une soudaine prise de conscience de la sensualité de leur apparence ? Regardées, admirées, elle se surprennent elles-mêmes comme l’objet d’un désir dont leur honte avoue l’atteinte. Leur pudeur est le signe visible d’une jouissance qui ne peut se dire361. Ces très jeunes filles n’assument pas encore totalement le désir qu’elles peuvent inspirer. De même que l’absence de chaussures laisse voir la blancheur et la finesse de leur peau, l’absence de couvre-chef dévoile la beauté de leur chevelure.
305Les auteurs nous donnent parfois à voir des héroïnes plus conscientes de leurs atouts et résolues à en jouer. La séduisante sœur de Guillaume de Dole sait parfaitement le pouvoir de sa chevelure sur l empereur qui, rappelons-le, ne l a pas encore vue. C’est en ces termes que le prétendant royal formule sa demande en mariage au frère et tuteur de la belle orpheline :
De la menor de ses biautez | La moindre de ses grâces |
seroit une autre feme liee. | Remplirait de joie toute autre femme. |
Quant ele par est deslïee, | Quand son voile ne dissimule pas ses cheveux, |
tot par a ele lors passé. | Elle éclipse tout le reste. |
Guillaume de Dole, v. 3048-3051. |
306La séduction exercée par Liénor passe donc d abord par la chevelure qui, dévoilée, éclipse toute autre beauté, comme la clarté du soleil surpasse celle des étoiles. Ces quelques vers annoncent subtilement l’arrivée triomphale de Liénor, savamment coiffée à la heaumière et dont l’échafaudage de cheveux s’écroulera au moment de saluer l’empereur362. Autrement dit, eschevelee ou desliee, la jeune fille signale sa disponibilité pour le mariage. L’absence de guimpe agit ainsi comme un signal indiquant que le cœur de la jeune fille est à prendre.
307Plus frappante et plus retorse que Liénor est la Demoiselle au miroir, résolue à captiver Gauvain par un stratagème mis à jour par Chrétien :
Qui son mantel lessié avoit, | Elle avait laissé son manteau, |
Et sa guinple, a terre cheoir | Et sa guimpe, tomber à terre |
Por ce que l’an puisse veoir | Pour que l’on puisse voir |
Sa face et son cors a delivre. | Son visage et son corps à loisir. |
Le Conte du graal, v. 6832-6835. |
308Éminemment consciente de ses attraits, la jeune séductrice théâtralise le dévoilement de son corps, de son visage et bien sûr de sa chevelure. Elle se donne à voir telle une actrice devant un parterre de spectateurs hypnotisés. Ne serait-elle pas l’inspiratrice d’une autre demoiselle tout aussi lucide sur sa capacité à aimanter les regards ?
La damoisele fu de grant bialté ; si vint devant le roi molt acesmee, et ot cote et mantel de molt riche drap de soie et fu trecie a une trece et la trece fu longe et grosse, luisant et clere. Et quant li chevalier le voient venir, si li font voie, ne il n’i a si haut baron qui en estant ne soit saillis, et cuide chascuns qui la voit que ce soit la plus haute dame del monde. Et quant ele vint devant le roi, si sache sa guinple hors de son chief dont ele estoit encore envolepee et la gete par desos li a la terre. Et il fu assés qui la recueilli, kar ele avoit avec li grant sieute des suens et des autres. Et quant ele fu desvolepee, si s’esmerveillent tuit cil qui la virent de la grant bialté qui en li estoit | La demoiselle était d’une grande beauté ; elle se présenta en superbe toilette devant le roi : elle portait une tunique et un manteau coupés dans un très luxueux drap de soie et était tressée d’une épaisse et longue tresse, brillante et claire. Quand les chevaliers la voient arriver, ils lui ouvrent un passage, et il n’y eut aucun haut dignitaire qui ne se soit levé, et chacun pense que c’est la plus noble dame du monde. Quand elle arriva devant le roi, elle retira alors la guimpe qui lui enveloppait la tête et la jeta à terre. Il y eut du monde pour la ramasser, car elle était venue accompagnée d’une grande suite de ses proches et d’autres personnes. Et quand elle eut la tête nue, tous ceux qui la virent s’émerveillèrent de sa grande beauté. |
Lancelot en prose, t. i, iii, 1-2, p. 18-19. |
309La messagère de la fausse Guenièvre venue à la cour d’Arthur pour accuser la reine ne ménage pas ses efforts pour subjuguer les courtisans. Comme face à une apparition, tous se lèvent et se préparent à boire ses paroles. Savamment théâtralisé, le dévoilement des cheveux – inutile voire inapproprié en présence royale – entre dans une stratégie rhétorique qui vise avant tout à séduire le public afin de le rallier ensuite à sa cause. Le geste de dénouer sa guimpe, véritable provocation charnelle, se révèle profondément chargé de sens, à tel point que l’attitude des deux demoiselles nous fait songer à un effeuillage en règle. C’est dire le pouvoir érotique de la chevelure, probablement aussi – voire plus – connotée sexuellement au douzième siècle que la poitrine féminine au vingt-et-unième, vraisemblablement parce qu’elle était davantage dérobée aux regards. La libération de la guimpe ou du manteau est aussitôt assimilée à un affranchissement sexuel dans la mesure où ces vêtements enferment la femme sur elle-même en dressant une barrière entre son corps et le monde extérieur. Le souhait d’annuler cet écran ne peut être motivé que par la volonté de livrer son corps à toutes les débauches... Le délié du manteau ou de la guimpe renvoie à une sensualité débridée et reste l’apanage des séductrices. À l’exception de ces femmes aventureuses dont la liberté n’a d’égal que l’attrait qu’elles exercent sur les chevaliers errants, aucune dame n’oserait sortir tête nue :
une dame moult cointement achesmee de palefroi et d’autre ator ; et fu vestue d’un samit vermeil, cote et mantel a pene d’ermine ; si fu toute desliie et estoit de merveilleuse biauté | une dame très noblement parée depuis le palefroi jusqu’aux autres atours ; elle était vêtue de soie vermeille, la tunique et le manteau en fourrure d’hermine ; elle avançait tête nue et était d’une merveilleuse beauté. |
Lancelot en prose, t. vii, xxxiiia, 6, p. 385. |
310Leur dédain des règles sociales et leur indépendance apparentent par ailleurs ces créatures sylvestres aux fées, disponibles et libres, usant de leur corps selon leurs désirs propres. Telle la jeune fée rencontrée par Désiré au coin d’un bois :
Quant il erra vers la chapele, | Tandis qu’il chevauchait en direction de la chapelle, |
garda, si vit une peucele | Il regarda et aperçut une jeune fille |
vestue d’une purpre bise | Vêtue d’une étoffe grise |
e d’une mut bele chemise. | Et d’une magnifique chemise. |
La colur ot blanche e rovente, | Elle avait le teint blanc et frais, |
e de cors fu ben faite et gente ; | Elle était bien faite et agréable de corps ; |
sanz guimple esteit echevelee | Elle ne portait pas de guimpe et restait tête nue |
e nu pez feu pur la rosee. | Et pieds nus pour profiter de la rosée. |
Lai de Désiré, v. 133-140. |
311Aussitôt après l’avoir vue, le chevalier essaie de profiter d’elle363, ce qui nous laisse songeur. Quels signes auraient pu signaler à ce héros par ailleurs civilisé qu’il avait affaire à une demoiselle émancipée sinon le manque de couvre-chef ? L’acte sexuel est ici désigné comme la conséquence inévitable de l’absence de guimpe. Néanmoins, Dietmar Rieger prend la défense de Graelent en soulignant le désir de la fée, plus tard avoué, d’être violée364. La nudité des cheveux et des pieds invite alors à la sensualité partagée ; elle fonctionne comme un indice de la réciprocité du désir, correctement interprété par le chevalier. Autrement dit, cette coiffure signale ostensiblement la disponibilité sexuelle365.
312La chanson, dans sa crudité, amalgame spontanément l’absence de guimpe et le désir physique, dans un raccourci saisissant mais néanmoins très révélateur de ce qui se joue dans le port du voile :
Elle est deslieie, | Sans guimpe, |
Molt fu embelie ; | Elle était beaucoup plus belle ; |
La crine avoit bloie ; | Elle avait les cheveux blonds ; |
N’a jusqu’ a Pavie | Il n’existe aucun moine en abbaye |
Moine en abaïe | D’ici jusqu’à Pavie |
N’en eust envie. | Qui n’en aurait pas eu envie. |
Chansonnier U, Pastourelles II, pièce xlv, v. 37-42. |
313L’allusion à la religion – qui laisse sous-entendre une abjuration des vœux de chasteté – verse dans la paillardise et associe rétroactivement absence de guimpe et perversité. La guimpe n’aurait finalement pour effet que de contenir le désir masculin. Elle serait une digue contre laquelle viendrait achopper la marée de la concupiscence. C’est ce que confirme le comportement de Renart avec Hersent encore parturiente :
Novelement iert acouchie, | Elle venait juste d’accoucher, |
Mais n’avoit pas son chief covert. [...] | Mais elle ne portait pas de voile. [...] |
Renars en demainne grant joie | Renart en manifeste une grande joie |
Et va avant, si l’a baisie ; | Et s’avance pour la baiser ; |
Le Roman de Renart, branche ix, v. 180-181 et v. 246-247 |
314Du voile qui fait défaut à la luxure, il n’y a alors qu’un pas, franchi par la nièce d’un ermite qui a été auparavant séduite par un moine et que son oncle recherche à travers la ville :
Por la queste fu en grant peine, | Il eut beaucoup de difficultés à la trouver, |
tant qu’a une rue foreine | Jusqu’au moment où, dans une rue écartée, |
l’aperçut tote eschevelee | Il l’aperçut tête nue, |
et a luxure abandonee. | Abandonnée à la luxure. |
Vie des Pères, v. 14964-14967. |
315L’absence de tout couvre-chef alors même que la demoiselle arpente seule366 un espace public suffit à informer son oncle de son état de prostituée367. L’adjectif renvoie donc à une lacune, il désigne le manque du couvre-chef.
316En conclusion, seules les jeunes filles, futures épousées en puissance, et les femmes débauchées peuvent se permettre de quitter la guimpe. A contrario, les épouses se doivent de porter ce symbole d’appartenance et d’indisponibilité de même que les religieuses expriment par le port du voile leur abandon de toute vie sexuelle. « Pour une femme mariée, le fait de couvrir, de natter ou de cacher ses cheveux par tout autre moyen [...] était une façon pudique de signifier qu’elle n’était pas disponible et de conjurer ce qu’une chevelure libre pouvait avoir de suggestif, usage que résume sans ambages l’auteur d’un opuscule sur les mérites des femmes en l’an 1526 : se couvrir coupait court au désir »368. Comparables aux femmes hindoues ajoutant à la suite de leur mariage une marque rouge sur la raie du milieu369, les femmes médiévales signalent par leur coiffure leur état matrimonial. Il en va de même dans la religion musulmane370 dans laquelle « le voile témoigne aussi d’un droit des femmes mariées. Il signale une appartenance. Il protège la femme qui est attachée à une maison par son mariage. Lorsque la femme se voile, elle signale son changement de statut. Le mariage lui accorde une dignité et le voile lui rappelle la permanence de son lien à Dieu au sein même de la consécration du mariage »371. Tout comme dans la Grèce antique où « l’accès à l’espace public donnait lieu au port coutumier d’un voile de tête, sorte de prolongement de la clôture du gynécée »372, la femme musulmane dissimule ses atours, menaçants et tentateurs, hors de l’espace domestique afin de protéger l’homme373. « Dans l’ordre de la pratique et de l’éthique, le hjâb374 structure donc les rapports généraux entre la sphère privée et la sphère publique ainsi que les rapports particuliers de la femme aux hommes »375. Quelle différence avec la guimpe ? Si, dans le monde musulman, c’est l’invisibilité du corps féminin qui délimite la frontière entre l’intérieur et l’extérieur, l’intime et le public, dans le monde chrétien médiéval, c’est l’invisibilité de la chevelure – emblème du corps – qui remplit ce rôle.
317Avec ses acceptions variées, l’adjectif eschevele connaît une évolution remarquable. Désignant étymologiquement la privation des cheveux, il devient synonyme de deslie et signifie alors l’absence de guimpe [...] comme si la guimpe se substituait aux cheveux sur la tête des femmes376 (hypothèse qui se vérifie visuellement puisque la guimpe recouvrait entièrement la chevelure). De plus, ses connotations dépréciatives liées au désordre, au trouble, au manque d’apprêt cohabitent au fil des siècles avec une acception très avantageuse qui associe le terme à un canon de beauté. On peut rester perplexe devant la coexistence de deux, voire trois sens aussi antagonistes mais ce serait oublier le poids du contexte dans la compréhension d’un texte et il va de soi que chaque acception est associée, dans l’esprit du lecteur-auditeur averti, à une situation particulière, aisément identifiable. Peut-on finalement imaginer que cet adjectif signifie pour la chevelure la libération du carcan quotidien ? Nous pensons avoir montré qu’il n’en était rien.
318Bien plus qu’une coiffure, la guimpe s’institue dans une société morale et religieuse comme l’emblème de la femme tentatrice, pécheresse, à la fois consciente de ses fautes et désireuse de se racheter. Contrairement à ce que l’on aurait pu imaginer, les cheveux dénoués, déliés, ne signalent la dépravation que dans la mesure où ils ne sont pas voilés. Plus que la coiffure, c’est la guimpe qui fixe la limite de la décence. Toute coiffure, qu’elle soit tressée, ornée, échafaudée ou faussement naturelle377, est susceptible d’être condamnée dès lors que la chevelure reste apparente, donc tentatrice. Il s’agit toujours de la contenir afin de tempérer son pouvoir de séduction.
319Pour dresser le bilan de cette approche du vocabulaire, qui va au-delà de la simple analyse lexicologique, nous mettrons l’accent sur trois points primordiaux. En premier lieu, la profusion des substantifs et l’existence des quatre adjectifs sor, blond, jaulne et bloi propres à qualifier la blondeur informent à la fois sur l’intérêt général porté à la chevelure et sur l’ascendant de la couleur blonde en particulier. Oscillant entre le blond pâle et le roux clair, cette teinte focalise les louanges et tend à éclipser toutes les autres. Un schéma manichéen se met donc en place, opposant la perfection de la couleur claire à la laideur du roux ardent et du noir, le brun – nuance la plus commune – étant non marqué. Il va sans dire qu’à cette opposition physique correspond un antagonisme moral et social qui voit dans la blondeur une manifestation de la largesse divine à l’endroit des meilleur(e)s. La chevelure est le reflet de l’âme. C’est pourquoi, avant même la couleur blonde, c’est la pâleur des cheveux qui est recherchée en tant qu’elle exprime la pureté de l’âme.
320D’autre part, si la comparaison des occurrences en fonction du genre du texte d’accueil se révèle peu féconde – on aura tout de même relevé l’abondance de formes suffixées en – ette et la plus large représentation de têtes brunes en poésie – on constate en revanche que sur certains points le traitement de la chevelure diffère selon les sexes. Ainsi, les substantifs crins et crine s’appliquent majoritairement aux chevelures féminines tandis que l’ondulation exprimée par les adjectifs cercelé, recercelé, cresp et crespé concerne prioritairement les coiffures masculines. Aux femmes les longs cheveux souples, aux hommes les têtes bouclées. En revanche, la laideur est mixte. La différence est bien plus nette quand il s’agit de chevelure vieillissante : chez l’homme, la blancheur fait signe vers la sagesse inhérente à l’expérience, chez la femme, elle participe du processus inéluctable d’enlaidissement dû à l’âge. La femme blanchissante demeure rare car elle interroge le poète sur l’essence de la féminité.
321Ajoutons aussi que, si la femme doit être voilée à l’extérieur, l’homme n’est soumis à aucun impératif de ce genre.
322En effet, l’examen des adjectifs eschevelé et deslie en dit long sur les conventions que la société impose à la chevelure féminine. La décence commence quand la chevelure s’efface derrière un voile ou une guimpe. Dès lors que sa chevelure est visible, la femme court le risque de l’impudeur. Les mêmes conclusions s’imposent après le passage en revue des portraits de personnages hideux ; ils trahissent la hantise de la coiffure hérissée en tant qu’elle représente la chevelure à l’état naturel, en l’absence de soins esthétiques voire simplement hygiéniques. Elle évoque l’animalité et la suprématie de l’instinct sur la maîtrise de soi. C’est pourquoi elle fait peur et doit être domptée. Il s’agit de discipliner378 la chevelure, de la faire entrer dans le cadre des coiffures socialement et moralement acceptables. L’esthétique renvoie ici à un souci éthique.
323Au fil de notre étude des termes relatifs à la blondeur, nous ne nous sommes volontairement pas attardés sur une figure de style très fréquente qui instaure une comparaison entre la couleur ou la brillance des cheveux et celles de l’or. Il est temps de lui consacrer l’attention qu’elle mérite.
Notes de bas de page
1 Le vocabulaire de la coiffure en ancien français étudié dans les romans de 1150 à 1300, Bruxelles, Palais des Académies, 1970.
2 Claude Buridant, « Lexicographie et glossographie médiévales. Esquisse de bilan et perspectives de recherche » dans La Lexicographie au Moyen-Age, Lexique 4, Lille, Presses Universitaires de Lille, 1986, p. 9.
3 La collocation se distingue de la cooccurrence qui, elle, peut être simplement relative à un texte, à un auteur ou encore à un corpus particulier. Si la cooccurrence se rapporte à un voisinage ponctuel, la collocation en revanche renvoie à des faits récurrents, à des usages linguistiques uniformes (François Gaudin & Louis Guespin, Initiation à la lexicologie française, Paris, Duculot, 2000, p. 228-229).
4 Philippe Hamon, Du descriptif, Paris, Hachette, 1994, p. 127.
5 Qu’elle soit abondante ou non, contrairement à ce qu’avance Alice Colby : « Both the very common term cheveus and its synonym crins call attention to the individual hairs on a person’s head without telling the reader whether they are few or great in number, whereas crine, cheveleure, and poil all treat the hair as a single unit and imply that it is abundant. » (The Portrait in Twelfth-Century French Literature, An Example of the stylistic originality of Chrétien de Troyes, Genève, Droz, 1965, p. 32). Cette connotation implicite n’est pas prouvée par les textes. Il s’agit simplement d’une différence de perception, particulière ou collective, de la chevelure.
6 On a relevé les nombreuses formes suivantes : cevels, cevols, kavel, keviel, cavex, caviaus / caviax, cabels, cabeil, caubeylls, caveuls, cheveux, cheveus / chevex, cheveuls, cheveulx, chevox, chavol, chaviax, chivax, cheveil, chevoils, chevels, chevol, chevolz, chevous, cheveax, chevialz.
7 Quantitativement, on pourrait établir un classement des substantifs utilisés pour désigner la chevelure, cheveux viendrait en tête, suivi de crins, puis de chief, de poil, de crine, de chevelure, de teste et pour finir de come.
8 Galeran de Bretagne, éd. Lucien Foulet, Paris, Champion, 1925.
9 Voir Le Chevalier de la Charrette, v. 1419-1424 (Chrétien de Troyes, Lancelot ou le chevalier de la charrette, éd. Daniel Poirion, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1994, p. 504-682).
10 Cligès, éd. Philippe Walter, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1994, p. 171-336.
11 Voir aussi l’emploi qu’en fait Jean Froissart : « Car corps ot gent, cevelés blons ; » (Pastourelles dans The Lyric Poems of Jehan Froissart, éd. Rob Roy Mc Gregor Jr, Chapel Hill, North Carolina Studies in the Romance Languages and Literatures, 1975, Pastourielle XX, v. 57) ou dans le Paradis d’amour : « Ensi sui je ja ferus / D’uns cevelés blons » (Le Paradis d’amour & L’Orloge amoureus, éd. Peter F. Dembowski, Genève, Droz, 1986, P 1147-1148, p. 68) ou encore : « Chevelés blons, un petit sors, » (Le Joli Buisson de Jonece, éd. Anthime Fourrier, Genève, Droz, 1975, v. 759).
12 La Bataille Loquifer, dans Le Cycle de Guillaume d’Orange, éd. Dominique Boutet, Paris, Lib. Gén. Fr., 1996, p. 447-489.
13 Par exemple celle de Keu dans Le Conte du graal (Chrétien de Troyes, Perceval ou le Conte du graal, éd. Daniel Poirion, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1994, p. 683-911, v. 2795-2798) ou de Jaufré (Jaufré, roman arthurien du xiiie siècle en vers provençaux, éd. Clovis Brunel, Paris, SATF, 1943, 2 vol. , v. 532).
14 Par exemple celle de Faim dans Le Roman de la Rose (Guillaume de Lorris & Jean de Meun, Le Roman de la Rose, éd. Armand Strubel, Paris, Lib. Gén. Fr., 1992, v. 10169) ou du vilain dans Le chevalier au Lion (Chrétien de Troyes, Yvain ou le chevalier au lion, éd. Karl D. Uitti & Philippe Walter, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1994, p. 337-503, v. 292-295).
15 Pour une analyse détaillée du motif, se reporter à la page 172 et aux suivantes.
16 Cela contribue à faire de chevel le terme pratique par excellence, celui qui est employé sans visée particulière, simplement pour désigner les poils du crâne.
17 Plus de 30 % des occurrences de cheveux + adjectif.
18 Voir aussi Clériadus et Méliadice (Clériadus et Méliadice, éd. Gaston Zink, Genève, Droz, 1984, chapitre xxviii, l. 1599-1601).
19 Hugues Capet, chanson de geste du xive siècle, éd. Noëlle Laborderie, Paris, Champion, 1997.
20 Aucassin et Nicolette, éd. Philippe Walter, Paris, Gallimard, 1999.
21 Respectivement 26 %, 23 % et 17 % des occurrences concernées.
22 Voici les seules occurrences de notre corpus : « Chevels ont bloies, longes et dolgiez, » (Le Roman de Thèbes, éd. Francine Mora-Lebrun, Paris, Lib. Gén. Fr., 1995, v. 1058), « Les cheveus avoit blois e sors, » (Benoît de Sainte-Maure, Le Roman de Troie, éd. Emmanuele Baumgartner & Françoise Vielliard, Paris, Lib. Gén. Fr., 1998, v. 5449) et « A chevolz bloiz, entrechenus, » (Le Roman de Partonopeu de Blois, éd. Olivier Collet & Pierre-Marie Joris, Paris, Lib. Gén. Fr., 2005, texte de B, v. 7766).
23 Blancandin et l’Orgueilleuse d’amour, roman d’aventure du xiiie siècle, éd. Franklin P. Sweetser, Genève, Droz, Paris, Minard, 1964.
24 Le Fotéor, dans Nouveau recueil complet des fabliaux, éd. Willem Noomen & Nico Van Den Boogard, Pays-Bas, Assen, Van Gorcum, 1991, t. vi, p. 51-75.
25 Le Batard de Bouillon, Chanson de geste, éd. Robert Francis Cook, Genève, Droz, 1972.
26 À la seule exception de ce portrait d’une vieille dame hideuse : « Les crins avez plus noirs que cramillie, / Visaige d’ours, langue desordonnée, » (Balades, Mccxvi, v. 11-12 dans Œuvres complètes d’Eustache Deschamps, éd. Queux de Saint-Hilaire, Paris, Firmin Didot, SATF, t. vi, 1889, p. 210-211).
27 Guillaume de Machaut, Le Livre du Voir Dit, Paris, Lib. Gén. Fr., 1999.
28 Renaut de Beaujeu, Le Bel Inconnu, éd. Perrie Williams, Paris, Champion, 1967.
29 Il s’agit d’une variante des vers 377-378 : « Quant braire oirent lor signor. Par maltalent la teste drece, » (Le Roman de Renart, éd. Armand Strubel, avec la collaboration de Roger Bellon, Dominique Boutet & Sylvie Lefèvre, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1998).
30 Chrétien de Troyes, Érec et Énide, éd. Peter F. Dembowski, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1994, p. 1-169.
31 Le Voyage de Charlemagne à Jérusalem et à Constantinople, éd. Paul Aebischer, Genève, Droz, 1965.
32 Hésitation de genre à rapprocher de l’orthographe du mot crine en occitan : « E vi, a l’intrar del molin, / Una femma qe rom sa crin, » (Jaufré, v. 215-216). Le substantif est féminin mais est orthographié comme un masculin.
33 Voir à titre d’exemple dans La Chanson des Saisnes : « Au cheval aplanoie le costé et la crine » (Jehan Bodel, La Chanson des Saisnes, éd. Annette Brasseur, Genève, Droz, 1989, rédaction AR, lxxiv, v. 1703).
34 Voir l’évocation de la laideur de Caradoc : « Qu’ainz por la noirté de son vis, / Por sa barbe ne por sa crine, / Ne l’ot an vilté la meschine ; » (Première Continuation de Perceval (Continuation-Gauvain), texte du ms. L, éd. William Roach, et trad. Colette-Anne Van Coolput-Storms, Paris, Lib. Gén. Fr., 1993, v. 11388-11390) ou le récit de la tonsure de Tristan : « Tondre a fait sa bloie crine ; » (Folie Tristan de Berne, dans Tristan et Iseut Les poèmes français, La saga norroise, éd. Philippe Walter, Paris, Lib. Gén. Fr., 1989, p. 277-305, v. 130) ou encore l’appellatif de l’amant d’Hermeline dans Le Roman deRenart : « De Poincet a la crine bloie / Dont elle a eu corte joie. » (branche Ic, v. 3080-3081).
35 Dans 39 % de ses emplois, la crine est qualifiée de bloie et dans 25 % de blonde.
36 Alexandre de Paris, Le Roman d’Alexandre, éd. E. C. Armstrong et al., trad. Laurence Harf-Lancner, Paris, Lib. Gén. Fr., 1994. Voir aussi Le Roman d’Énéas (Le Roman d’Énéas, éd. Aimé Petit, Paris, Lib. Gén. Fr., 1997, v. 6998), Guillaume de Dole (Jean Renart, Le Roman de la Rose ou de Guillaume de Dole, éd. Félix Lecoy, Paris, Champion, 1979, v. 695), Floire et Blancheflor (Robert d’Orbigny, Le Conte de Floire et Blanchefleur, éd. Jean-Luc Leclanche, Paris, Champion, 2003, v. 2849), Le Roman de la Violette (Gerbert de Montreuil, Le Roman de la Violette ou de Gérard de Nevers, éd. Douglas Labaree Buffum, Paris, Champion, SATF, 1928, v. 3944-3945) et Ipomédon (Ipomédon, poème de Hue de Rotelande (fin du xiie siècle), éd. A. J. Holden, Paris, Klincksieck, 1979, v. 2233).
37 Voir aussi Raoul de Cambrai (Raoul de Cambrai, éd. Sarah Kay & William Kibler, Paris, Lib. Gén. Fr., 1996, v. 5387-5388), Le Roman du Comte de Poitiers (Le Roman du Comte de Poitiers, Poème français du xiiie siècle, éd. Bertil Malmberg, Etudes romanes de Lund, Lund, 1940, v. 951) ou Guillaume de Dole (v. 3707).
38 D’où des formules exclamatives telles que « Par mon chief » (Lancelot en prose, t. iv, lxxviii, 8) qui affirment avec solennité. L’édition de référence est : Lancelot, Roman en prose du xiiie siècle, éd. Alexandre Micha, Paris-Genève, Droz, 1978, t. i et ii, 1979, t. iii et t. iv, 1980, t. v, t. vi et t. vii, 1982, t. viii, 1983, t. ix.
39 La Passion du Palatinus, mystère du xive siècle, éd. Grace Frank, Paris, Champion, 1972.
40 Chansons attribuées au Chastelain de Couci (fin xiie – début xiiie s.), éd. Alain Lerond, Paris, PUF, 1964.
41 Philippe de Rémi, Jehan et Blonde, roman du xiiie siècle, éd. Sylvie Lécuyer, Paris, Champion, 1984.
42 Geoffroi de la Tour Landry, Le Livre du Chevalier de la Tour Landry pour l’enseignement de ses filles, éd. Anatole de Montaiglon, Paris, P. Jannet, 1854.
43 Dans ce vers, chief jouit de ses deux acceptions en désignant aussi bien la chevelure (blonde) que la tête couronnée de cheveux apparaissant au créneau (Chansons des trouvères, Chanter m’estuet, éd. Samuel N. Rosenberg & Hans Tischler avec la collaboration de Marie-Geneviève Grossel, Paris, Lib. Gén. Fr., 1995, p. 110).
44 Dans la poésie, c’est l’expression chief blondet qui domine.
45 Chansons des trouvères, p. 834.
46 Voir aussi La Seconde Continuation (The Continuations of the Old French Perceval of Chretien de Troyes, vol. iv, The Second Continuation, éd. William Roach, Philadelphie, American Philosophical Society, 1971, v. 29292) et Bouciquaut (Le Livre des fais du bon messire Jehan le Maingre, dit Bouciquaut, mareschal de France et gouverneur de Jennes, éd. Denis Lalande, Genève, Droz, 1985, iv, vii, l. 74). Pour une analyse du motif de la toilette, voir page 235 et suivantes.
47 Auberee, dans Nouveau recueil complet des fabliaux, t. i, p. 161-312.
48 Le Lai de Guingamor, dans Lais féeriques des xiie et xiiie siècles, éd. Alexandre Micha, Paris, Flammarion, 1992, p. 62-103.
49 La rime facile entre « teste » et « beste » peut également expliquer la connotation négative.
50 Exceptionnellement, le roman Clériadus et Méliadice fait une place de choix à teste avec sept occurrences contre trois pour chief, ce qui inverse les proportions habituellement observées. Pour expliquer ce phénomène, on pourrait avancer que la date tardive de rédaction du texte (milieu du xve siècle) correspond à une perte de la connotation légèrement péjorative de teste. Or, ce phénomène ne se vérifie pas systématiquement dans les textes des xive et xve siècles même s’il est vrai que le mot teste (sans connotation négative) finit par s’imposer au xvie siècle.
51 Rappelons que les Gaulois « décapitaient » les amphores de vin lors des festins et regroupaient ces tessons avec les crânes des animaux mangés.
52 Voir aussi le portrait du nain arrivant à la cour dans Durmart le Galois : « La teste ot grosse et plat le nes » (Durmart le Galois, roman arthurien du treizième siècle, éd. Joseph Gildea, O.S.A., t. i, Villanova, The Villanova Press, 1965, v. 4471) ou l’évocation des Bédouins dans la Vie de saint Louis : « ledes gent et hydeuses sont a regarder, car les cheveus des testes et des barbes sont touz noirs. » (Joinville, Vie de Saint Louis, éd. Jacques Monfrin, Paris, Dunod, 1995, § 252, l. 2-5).
53 Une bele teste renverra plutôt à l’harmonie des traits.
54 Der Roman von Claris und Laris, in seinen beziehungen zur altfranzôsischen artsepik des xii. und xiii. jahrhunderts, éd. Martin Klose, Halle, verlag von Max Niemeyer, 1916.
55 Œuvres complètes d’Eustache Deschamps, éd. Queux de Saint-Hilaire, Paris, Firmin Didot, SATF, vol. v, 1887 ; vol. v, balade dccclxxiv, p. 55-56.
56 Balade dccclxvii (v. 1-8 et v. 25-30) dans Œuvres complètes d’Eustache Deschamps, vol. v, p. 46-47.
57 Il s’agit plus précisément du portrait de Guillaume Longue Espee, qui suit Le Roman de Rou (Wace, Le Roman de Rou, éd. A. J. Holden, Paris, A. & J. Picard & Cie, 1970 (t. i), 1971 (t. ii).
58 « Mut out fiere la regardeûre / E out curte la chevelure, » (Ipomédon, v. 2971-2972).
59 « C’est une chose mout plesant / Que biautez de cheveleûre. » (Le Roman de la Rose, v. 13584-13585).
60 Voir par exemple le portrait du chevalier Doré dans Perceforest : « Il avoit [...] une chiere hardie et noire chevelure. » (Perceforest, troisième partie, éd. Gilles Roussineau, t. i, Genève, Droz, 1988, xi, p. 97, l. 374-377).
61 Voir le portrait de l’ermite Darnadon dans Perceforest : « il le recongneu a sa cheveleure qui couvroit tout son corps, qui estoit blanche comme noix. » (Perceforest, quatrième partie, éd. Gilles Roussineau, t. I, Genève, Droz, 1987, p. 537, l. 25-29).
62 Voir « Car cheveleure crespe ot » dans Le Livre du dit de Poissy (Christine de Pizan, Le Livre du Dit de Poissy, Œuvres poétiques, éd. Maurice Roy, t. ii, Paris, Firmin Didot, SATF, 1891, v. 1094).
63 Voir le portrait de l’héroïne éponyme dans Philomena : « Plus estoit luisans que fins ors / Trestoute sa cheveleûre » (Pyrame et Thisbé, Narcisse, Philomena, trois contes du xiie siècle français imités d’Ovide, éd. Emmanuèle Baumgartner, Paris, Gallimard, 2000, v. 140-141).
64 Voir le portrait de Lancelot dans Lancelot en prose, t. iv : « Ele resgarde ses ieulz qui li samblent.II. cleres esmeraudes et voit son front bel et sa cheveleure crespe et sore dont li chevoux sambloient d’or et voit en lui tant de biauté qu’ele ne cuidoit pas qu’en paradis eust nul si bel ange. » (lxxvi, 2, p. 134).
65 Voir le portrait de Richard I dans Le Roman de Rou de Wace : « Cheveleûre out bloie, mez a rousor troubla. » (v. 266) ou celui d’Ipomédon dans le roman du même nom : « Il out bloie la chevelure / E si duce la regardure, » (v. 401-402).
66 Voir le Blason de la belle fille de Pierre Danche : « Clere de vis, de couleur proprement. / Menton fourchu, la chevelure blonde, » (Blasons du corps féminin, éd. Jean-Clarence Lambert, Paris, Union Générale d’Éditions, 1996, p. 112, v. 7-8) ou le portrait de la fée, future épouse de Mélion dans Le lai de Mélion : « Gent cors e bele espauleûre, / s’ot blonde la cheveleûre, » (Le Lai de Mélion, dans Lais féeriques des xiie et xiiie siècles, éd. Alexandre Micha, Paris, Flammarion, 1992, p. 256-291, v. 91-92).
67 Lorsque le mot est employé au pluriel, il désigne alors le poil ou le cheveu considéré isolément : « tout li cavel li caoient de la teste et tout li poil de la barbe » (Lancelot en prose t. vii, xliva, 1, p. 434). Écartons de cette considération le roman occitan Flamenca qui présente la particularité d’utiliser « pels » comme équivalent exact de « cabels » et, de ce fait, l’emploie toujours au pluriel, contrairement à l’usage du français médiéval.
68 Voir dans La Estoire de Seint Aedward Le Rei : « L’eveske Gunnolf, ki s’i fie, / La barbe chanue planie, / Dunt un peil embler hi vout, / Mes de la barbe saker nel pout. » (La Estoire de Seint Aedward Le Rei, attributed to Matthew Paris, éd. Kathryn Young Wallace, London, Anglo-Norman Text Society, 1983, v. 4645-4648) ou encore dans Le Roman de la Rose : « Si n’avoit barbe ne grenon, / Se petiz pauz volages non, / Car il iere joenes damoisiaus. » (v. 816-818).
69 Parfois les sourcils (et les cheveux des tempes et du front) : « Sy demanda pourquoy on luy faisoit cette grant douleur, et l’ange lui respondoyt que c’estoit pour ce qu’elle avoit affaitié ses sourciz et ses temples, et son front creu, et arrachié son peil pour soy cuidier embellir et pour plaire au monde, et qu’il convenoyt que en chascune place et pertuis dont chascun poil avoit esté osté, que chascun jour continuellement y poignist l’alesne ardant. » (Landry, chappitre liie, p. 109) et parfois les poils pubiens : « revestu d’une riche toyson / De fin poil d’or en sa vraye saison » (Blason du [...] de la pucelle de Claude Chappuy, v. 7-8, dans Blasons du corps féminin, p. 87).
70 Blont, éventuellement sous sa forme blondet, est alors épithète ou attribut du sujet.
71 Voir Rassa de Bertran de Born : « pel saur ab color de robina / blanca pel cors com flors d’espina » (couplet 4, v. 14-15 dans Terre des troubadours, xiie-xiiie siècles, anthologie de Gérard Zuchetto, Paris, Les éditions de Paris, 1996).
72 Voir le portrait de Charles dans Girart de Roussillon : « Tot ai flori le peil e blanc con nei. » (La Chanson de Girart de Roussillon, éd. Micheline Combarieu du Grès et Gérard Gouiran, Lib. Gén. Fr., 1993, clxxxvii, v. 3126).
73 Voir dans la chanson Bel m’est li tens : « Ele ot brun poil, s’est plus blanche que fee, » (Les chansons de Colin Muset, Textes et mélodies, éd. Christopher Callahan & Samuel N. Rosenberg, Paris, Champion, 2005. v. 31).
74 Aimon de Varennes, Florimont, éd. Alfons Hilka, Göttingen, Max Niemeyer, 1932. Voir aussi : « e-l fresca colors e-l pel blon » (Raimon de Miraval, Ar’ab la forsa del freis, couplet 6, v. 40 dans Terre des troubadours), « Si les a couvers d’un brun voil / Qui bien li siet sur le blont poil, » (Galeran de Bretagne, v. 2019-2020).
75 Voir aussi : « Les sorciz noirs et le poil blont ; » (portrait de Blancandin dans Blancandin, v. 480) et « Lo pel ac blon, cresp et undat, » (portrait de Guillaume dans Flamenca, Les Troubadours, éd. René Lavaud et René Nelli, Paris, Desclée de Brouwer, 1960, v. 1583).
76 Voir les vers 229-231.
77 René d’Anjou, Le Livre du Cœur d’Amour épris, éd. Florence Bouchet, Paris, Lib. Gén. Fr., 2003.
78 Merlin, dans Le Livre du Graal, éd. Irène Freire-Nunes & Anne Berthelot, Paris, Gallimard, La Pléiade, 2001, t. i, p. 569-805.
79 Voir à titre d’exemple le portrait de Gwendolene dans la Vita Merlini : « Gloria vernalis sola radiabat in illa, / Sidereumque decus geminis gestabat ocellis / Insignesque comas auri fulgore nitentes. » (Geoffroi de Monmouth, Vita Merlini, dans La Légende arthurienne, études et documents, par Edmond Faral, Première Partie : Les plus anciens textes, t. i à iii, Paris, Champion, 1993, v. 176178). Traduction proposée par Isabelle Jourdan dans La Vie de Merlin : « Elle renfermait dans ses yeux toute la splendeur des astres et sa chevelure extraordinaire brillait comme de l’or » (Marseille, Climats, 1996).
80 Come et comète dérivent du même mot komê.
81 Voir par exemple « Dico le chiome bionde, e’l crespo laccio » (Sonnet clxv, v. 9) ou « Le crespe chiome d’or puro lucente, » (Sonnet clii, v. 5) dans Les sonnets amoureux de Pétrarque (éd. Jacques Langlois, Paris, Marc Artus, 1936). Ce vocable, qui entre en concurrence avec capelli, capei, crino et pelo, trouve là sa « forme la plus poétique et noble, ornementale », et, tout comme la comète, devient « susceptible de briller avec l’éclat le plus intense, et susceptible aussi de laisser une trace, une traînée somptueuse, entre terre et ciel en quelque sorte » (Jean Lacroix, « Splendeur et misère de la chevelure de Laure » dans La Chevelure dans la littérature et l’art du Moyen Age, p. 221).
82 Sous ses différentes graphies : treche, tresce, tresche, trecce, trecche.
83 Il s’agit des tresses du traître (Béroul, Tristran et Iseut, Poème du xiie siècle, éd. Herman Braet & Guy Raynaud de Lage, Paris, Peeters, 1999, 2 tomes). Voir aussi : « Absalon o ses treces sores, / Ou Paris filz le roi de Troie, » (Le Roman de la Rose, v. 13874-13875) et le portrait d’un geôlier : « Et Lancelot le prent par lez treches et dist qu’il li fera ja la teste voler jus des espaulles. » (Lancelot en prose, t. vii, lxxia, 37, p. 479). Voir aussi les tresses de Keu : « N’ot plus bel chevalier el mont, / Et fu treciez a une tresce. » (Le Conte du graal, v. 2795-2801), qui tendent à féminiser le personnage, féminisation qui passe aussi par la langue de vipère, caractéristique que les auteurs misogynes attribuent aux femmes.
84 Se reporter à l’étude du motif de la toilette page 235 et suivantes.
85 La Dame qui fist trois tours entor le moustier, dans Nouveau recueil complet des fabliaux, t. v, p. 337-57.
86 Plus souvent double même si la tresse unique n’est pas rare : « Si biau cevel erent espars, / Lascement mis a une trece. » (Jehan et Blonde, v. 4716-4717), « fet cele qui la trece ot sore et blonde sor le blanc bliaut. » (Guillaume de Dole, v. 1200-1201), « Lors fiche ses dois en sa treche », (Le Roman de la Violette, v. 3944), « Sur les espaules la tresse des cheveux, » (Regnault et Jehanneton, éd. M. Quatrebarbes, Paris, Edme Picard, 1849, t. ii, p. 110).
87 Voir le rapprochement qu’opère la jeune Oiseuse dans Le Roman de la Rose entre s’amuser et se tresser : « Car a nule rien je n’entens / Qu’a moi joer et solacier / Et a moi pignier et trecier. » (v. 586-588).
88 Voir Jacques Le Goff, Un Moyen Age en images, Paris, Hazan, 2000, p. 170. Reproduite en première de couverture du livre de Jacques Le Goff & Nicolas Truong, Une histoire du corps au Moyen Age, Paris, Liana Levi, 2003 et voir dans le cahier d’illustrations la figure 1, p. 343.
89 La Vie des Pères, éd. Félix Lecoy, Paris, Picard et Cie, t. i, 1987 et t. ii, 1993.
90 D’un point de vue très pratique, il faut une chevelure au moins aux épaules pour envisager de la tresser, si bien qu’on peut considérer que l’adjectif longue renvoie à une chevelure allant jusqu’au milieu ou plus probablement jusqu’au bas du dos.
91 Henri d’Andeli, Le Lai d’Aristote, éd. Maurice Delbouille, Paris, Les Belles Lettres, 1951.
92 « Mais le nécessaire recours [...] à ce que les auteurs appellent des « cheveux morts », fait passer à un stade supérieur de la sophistication et d’une séduction assimilée à une pratique diabolique de dénaturation. » (Noëlle Lévy-Gires, « Se coiffer au Moyen âge ou l’impossible pudeur » dans La Chevelure dans la littérature et l’art du Moyen Age, p. 284).
93 Dans les deux occurrences, l’accent est mis – par l’emploi du verbe trecier – sur l’action de coiffer, sur la réalisation des tresses. Malgré la répétition que cela implique, l’auteur préfère insister sur la mise en ordre de la chevelure, contribuant ainsi à placer la coiffure sur le même plan que la parure. L’ordonnancement du naturel crée l’artifice.
94 Il s’agit des adjectifs flavus, a, um (éventuellement préfixé en subflavus, a, um) qualifiant une chevelure blonde et de rufus, a, um renvoyant à un blond ardent tirant sur le roux. La préséance du blond sur toute autre teinte ne date pas de l’époque médiévale comme on le voit dans cet extrait où un amant explique qu’il n’a pas trompé son aimée car sa beauté était parfaite puisqu’elle est blonde : « Frons et gula, labra, mentum / dant amoris alimentum ; / crines ejus adamavi, / quoniam fuere flavi. » (Lingua mendax, v. 33-36, Poésie lyrique latine du Moyen Age, éd. Pascale Bourgain, Paris, Lib. Gén. Fr., 2000, p. 326-327).
95 Voir la description du dieu d’amour dans Le Dit de la panthère (Nicole de Margival, Le Dit de la panthère, éd. Bernard Ribémont, Paris, Champion, 2000, v. 235-236) ou le portrait de Guiomar dans la Suite post vulgate du Merlin (Les Premiers Faits du roi Arthur, éd. Irene Freire-Nunes, Philippe Walter, Anne Berthelot & Philippe walter, dans Le Livre du Graal, Paris, Gallimard, La Pléiade, 2001, t. i, 564, p. 1360).
96 Les chansons de Colin Muset.
97 La Fonteinne amoureuse dans Œuvres de Guillaume de Machaut, éd. Ernest Hœpffner, t. 3, Paris, Fimin-Didot, 1921.
98 Le Dit Dou Lyon, Œuvres de Guillaume de Machaut, éd. Ernest Hœpffner, t. 2, Paris, Fimin-Didot, 1911. Ce type d’emploi annonce les « blondins » du xviie siècle fustigés par Molière dans ses comédies.
99 Voir : « Et quant je vis son chief blondet » (Colin Muset, Volez oïr la muse Muset ?, v. 2.7), « La damoisele au chief blondet » (Colin Muset, En mai, quant li rossignolez, v. 4.1), « Por la belle a chief blondel, » (Colin Muset, Ancontre le tens novel, v. 3.11. Ces trois citations se trouvant dans Les chansons de Colin Muset, Textes et mélodies éditées par Christopher Callahan et Samuel N. Rosenberg) et « Trouvai gentil pastorele, les euz verz, le chief blondel, » (anonyme, L’autrier quant je chevauchoie, v. 2), « S’a le chief blondet com li ors en boucele, » (anonyme, Pour moi renvoisier ferai chançon nouvele, v. 11), « Ele ot euz verz, un chief si blondet, » (Richart de Semilli, Nous venions l’autrier de joer, v. 19. Ces quatre citations se trouvent dans Poèmes d’amour des xiie et xiiie siècles, éd. Emmanuele Baumgartner et Françoise Ferrand, Paris, Union Générale d’éditions, collection 10/18, 1983).
100 Romances et pastourelles françaises des xiie et xiiie siècles, éd. Karl Bartsch, Leipzig, F.C.W. Vogel, 1870.
101 Ibid.
102 Ibid.
103 Chansons des trouvères, p. 176.
104 Et de bergère on glisse vers petite amie. L’expression la blonde de quelqu’un est d’ailleurs encore usitée au Canada.
105 Voir la chanson populaire « Auprès de ma blonde ».
106 Faire la blonde signifie prendre soin de soi, se parer (expression attestée à partir du xvie siècle).
107 Mary Trasko rapporte que « Messaline, épouse de l’empereur Claude, fréquentait les lieux de débauche affublée d’une perruque blonde, attribut obligé des prostituées romaines. [...] L’origine de cette mode reste mystérieuse, mais les plus respectables matrones elles-mêmes ne jurèrent plus que par les cheveux blonds, provoquant une certaine confusion ! » (Histoire des Coiffures extraordinaires, Paris, Flammarion, 1994, p. 23). Le fait est rapporté par Juvénal : « Sed nigrum flauo crinem abscondente galero » (Satire vi dans Satires, éd. Pierre Labriolle & François Villeneuve, trad. Olivier Sers, Paris, Les Belles Lettres, 2002, p. 88).
108 Voir aussi, pour les femmes, « Lïenors as blons chevouls » (Guillaume de Dole, v.826) et la Dame aux Cheveux Blonds du Conte du Papegau.
109 « Ysolt la Blonde » (Cligès, v. 5252), « N’Isexs la blonde, ne Biblis, » (Le Bel Inconnu, v. 4346), « Li aporta d’Yseut la blonde » (Jean Renart, L’Escoufle, roman d’aventure, éd. Franklin Sweetser, Paris, Droz, 1974, v. 582), « Ou Lavine ou Ysolt la blonde, » (Galeran de Bretagne, v. 6869), « Siet Tristans et Yseult la Blonde » (Floriant et Florete, éd. Annie Combes & Richard Trachsler, Paris, Champion, 2003, v. 911), « Icil qui por Yseut la blonde / Ot tant d’anui et tant de honte. » (The Continuations of the Old French Perceval of Chretien de Troyes, The First Continuation, Redaction of Mss EM Q U, éd. William Roach & Robert H. Ivy, Philadelphie, American Philosophical Society, vol. ii, 1950, manuscrit E, v. 1041-1042).
110 Guillaume Coquillart fils, L’Enqueste, Œuvres, éd. Charles d’Héricault, Paris, P. Jannet, 1857, t. ii, p. 73-143.
111 Pseudo-Robert de Boron, The Didot-Perceval, According to the Manuscripts of Modena and Paris, éd. William Roach, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1941.
112 Pastourelles II, Textes des chansonniers de Berne, de l’Arsenal, de la Bibliothèque Nationale, éd. Jean-Claude Rivière, Paris, Droz, 1975.
113 Poèmes d’amour des xiie et xiiie siècles, Textes suivis d’exemples musicaux et traduits, éd. Emmanuèle Baumgartner & Françoise Ferrand, Paris, Union Générale d’éditions, 1983, p. 370.
114 Voir les vers 3261 à 3273.
115 Voir les vers 3127 à 3131.
116 Voir pages 23 à 26.
117 Recueil de farces françaises inédites du xve siècle, éd. Gustave Cohen, Cambridge, The Mediaeval Academy of America, 1949.
118 L’opposition subsiste en français moderne avec les couples bière brune / blonde, tabac brun / blond, pain brun / blond, vache brune / blonde, etc.
119 Lancelot en prose, t. vii, ixa, 13, p. 73. Cette citation sera analysée plus loin, p. 44.
120 Graphie conservée en occitan : « E-us cabels que son lonc e saur, / Que per ma fe sembleron d’aur, » (Peire Guillem de Tolosa, Lai on cobra dans Nouvelles courtoises occitanes et françaises, éd. Suzanne Méjean-Thiolier & Marie-Françoise Notz-Grob, Paris, Lib. Gén. Fr., 1997, v. 101-102).
121 Voir aussi Le Bel Inconnu, v. 5550 ou Ipomédon, v. 4527-4528.
122 Il s’agit d’un poème de Gautier de Dargies, cité dans Poèmes d’amour des xiie et xiie siècles, p. 170.
123 Nous pourrions aussi prendre en compte les nombreux cas où la chevelure des personnages est qualifiée de blonde puis de bloie, et enfin de sore à des dizaines de vers d’écart, ce qui accréditerait la thèse de la synonymie exacte.
124 Pour la différence de nuance de ces adjectifs, voir Alice Colby, op. cit., p. 33-34.
125 Cependant, sans doute influencé par le tempérament problématique du personnage, William Kibler traduit « li sors Gueris » dans Raoul de Cambrai par « Guerri le Roux » (v. 202, 983, 8525), comme si sors renvoyait dans ce contexte à un blond très cuivré. Traduire ainsi le texte, c’est déjà proposer une interpération défavorable du personnage (voir page 49 et suivantes les valeurs de la rousseur médiévale). Faudrait-il au contraire, en traduisant par « Guerri le Blond », supposer que Guerri soit comme « racheté » par sa blondeur ? Ou alors, considérer, qu’à l’instar de Keu, son physique attirant ne corresponde pas à son âme entachée de vice ? Le même problème de traduction se pose dans Le Bel Inconnu où « li Sors [...] de Montescler » (v. 5495 et 5506), vaillant combattant du tournoi de Valedon, est rendu par « Roux de Montescler » dans l’édition de Michèle Perret et Isabelle Weill. Rien dans le texte ne permet pourtant de préjuger négativement du personnage. Il nous semble donc, même si la nuance à laquelle renvoie sor oscille entre notre blondeur et notre rousseur actuelles, qu’il serait plus judicieux de le traduire par blond du fait des connotations négatives rattachées à la couleur fauve dans la société médiévale.
126 Sor est en effet épithète de tous les substantifs, sans aucune préférence.
127 Le prestre et le chevalier, dans Nouveau recueil complet des fabliaux, t. ix, p. 67-123.
128 Richars li Biaus, roman du xiiie siècle, éd. Anthony J. Holden, Paris, Champion, 1983.
129 Voir Cligès, v. 965-982. Pour une analyse détaillée, se reporter p. 292 et suivantes.
130 Pastourelles III, Textes des chansonniers de la Bibliothèque Nationale (suite) et de la Bibliothèque vaticane, Motets anonymes des chansonniers de Montpellier et de Bamberg, éd. Jean-Claude Rivière, Paris, Droz, 1976.
131 Voir les vers 202, 983 et 8525.
132 « Et s’i est la Sore Pucelle / Qui molt est avenanz et belle » (v. 5469-5470).
133 Op. cit., p. 21.
134 Rappelons cependant que sa polysémie lui permet de s’appliquer à d’autres réalités, comme dans ce portrait d’Andromaque qui prend le risque d’employer deux fois « bloi » dans le même vers avec des sens différents : « Andromacha fu bele et gente, / E plus blanche que n’est flors d’ente / Blois fu ses chiés e bloi si oill » (LeRoman de Troie, v. 5519-5521). Si le premier se traduit par blond, le deuxième en revanche signifie pers.
135 42 % des occurrences de substantif + bloi.
136 Pastourelles II. Voir aussi le Tristan de Béroul, v. 1546, laFolie de Berne, v. 130, Le Roman d’Énéas, v. 6998, Floire et Blancheflor, v. 2849, Guillaume de Dole, v. 695, Le Roman de la Violette, v. 645, Le Roman de Renart, branche Ic, v. 3080, Ipomédon, v. 2234 et v. 5797.
137 25 % des occurrences de substantif + bloi. Voir par exemple : « Le chief ot bloi, les cheveus lons, » (Le Roman de Troie, v. 5547), « Por la bele franche au chief bloi, » (Tristan de Béroul, v. 3532), « La damoisele o le cief bloi » (L’Atrepérilleux, v. 1744-1745), « Lou chief ot bloi, et plain lo front », (Le Chevalier a l’espee, v. 641).
138 Le Roman de Tristan en prose, t. ix, La fin des aventures de Tristan et de Galaad, éd. Laurence Harf-Lancner, Genève, Droz, 1997.
139 The Continuations of the Old French Perceval of Chretien de Troyes, vol. iv, The Second Continuation, éd. William Roach, Philadelphie, American Philosophical Society, 1971, p. 230.
140 Hue de Rotelande, Protheselaus, éd. A. J. Holden, t. i et ii, Londres, Anglo-Norman Text Society, 1991.
141 Le Roman de Tristan en prose, t. v, De l’arrivée des amants à la Joyeuse Garde jusqu’à la fin du tournoi de Louveserp, éd. Denis Lalande & Thierry Delcourt, Genève, Droz, 1992.
142 Perceforest, deuxième partie, éd. Gilles Roussineau, Genève, Droz, t. i, 1999 et t. ii, 2001.
143 Œuvres, éd. Charles d’Héricault, Paris, P. Jannet, 1857, t. ii.
144 C’est ainsi qu’on peut lire, à la même époque, dans le Sermon joyeux de bien boyre, au début de la pièce : « Les parolles cy proposées [...] Si furent jadis / Escriptes d’or en lettre jaune, / Sur ung tonneau de vin de Beaune » (Ancien Théâtre Français, éd. Viollet-le-Duc, Paris, P. Jannet, 1854, t. ii, p. 5-20, v. 3 et v. 6-8), ce qui indique la proximité chromatique de l’or et de la couleur jaune telle qu’elle était alors entendue.
145 Le Roman de Jehan de Paris, éd. Édith Wickerscheimer, Paris, Champion, 1923.
146 De même que les esquimaux disposent d’une dizaine d’adjectifs pour qualifier la blancheur. Il semblerait que cette prédilection pour la blondeur soit héritée de la Grèce antique : « chez les Grecs, le trait le plus frappant n’est ni le style de coiffure, ni l’ornementation, mais l’amour des cheveux blonds. Leur littérature est la première à marquer cette préférence. La blondeur symbolisait l’innocence, un statut social supérieur, et enfin le désir, peut-être en raison de la rareté de cette couleur, la majorité des Grecs étant bruns. [...] les teintes les plus recherchées étant le doré, l’argenté ou encore le roux. » (Mary Trasko, Histoire des Coiffures extraordinaires, Paris, Flammarion, 1994, p. 21-22).
147 « [Les] adjectifs qui pourraient posséder une réelle valeur descriptive, comme ceux de forme et de couleur, [...] tendent à perdre leur absolue neutralité, leur qualité intrinsèque de descriptif, au profit d’une connotation positive, liée à une culture et à une époque. » (Catherine Croizy-Naquet, Thèbes, Troie et Carthage. Poétique de la ville dans le roman antique au xiie siècle, Paris, Champion, 1994, p. 183).
148 « Ce qui favorise l’emploi du jaune comme mauvaise couleur à partir du xiie siècle et surtout à la fin du Moyen Âge, c’est l’irruption soudaine et quantitative de l’or et du doré dans tous les domaines de la création artistique et, partant, dans la plupart des systèmes de valeurs et de représentation. » [...] « Au Moyen Âge, tous les jaunes sont mauvais, celui qui tend vers le vert comme celui qui tend vers le rouge ; le bon jaune, c’est l’or. » (Michel Pastoureau, Couleurs, images, symboles, études d’histoire et d’anthropologie, Paris, Le Léopard d’or, 1989, p. 51 et p. 78).
149 Voir dans Les Prophesies de Merlin la condamnation des teintures visant à masquer cette couleur trop commune : « Mais jou voel bien que eles sachent vraiement que se eles ne s’en prendent garde, que li anemi d’Ynfier metront en lor faces pour eschange de blanc la pices et pour le viermel feu espris. Et tele en serra faite la vengance de celes ki quident faire ymage de femme çou que Chius ne vaut faire, ki le fist a sa fourme. Car se la femme estoit un poi brunete, celi devroit iestre mout biel, que je vous di apiertement que la brune coulours ne se change pas de si legier comme fait la blanche, et de la viermelle vous di jou que ele vient souvent sans nul malisse et sans nule enluminure. » (Les prophesies de Merlin, (ms. Bodmer 116), éd. Anne Berthelot, Genève, Fondation Martin Bodmer, 1992, chapitre xci, 13). Il ne serait pas impossible que brunete renvoie également au teint mais l’allusion à la malisse supposée de la couleur vermeille oriente l’interprétation vers la teinte des cheveux (blancs, roux et bruns).
150 D’où le refus explicite de cette teinte qui manque de beauté : « Sire cumpain, ci en vient une, / mes el n’est pas falve ne brune ; / ceo’st la plus bele de cest mund, / de tutes celes ki i sunt. » (Lai de Lanval, dans Lais de Marie de France, éd. Laurence Harf-Lancner & Karl Warnke, Paris, Lib. Gén. Fr., 1990, v. 605-608).
151 Ancien théâtre françois, éd. Viollet Le Duc, Paris, P. Jannet, 1854, t. II, p. 140-157. Il s’agit d’une chanson que Calbain se met à chanter quand sa femme lui réclame une nouvelle robe.
152 Pastourelles II. Voir aussi : « ne sade plaisans brunette » (chanson de rencontre anonyme, v. 6, dans Chansons des trouvères, p. 202).
153 Recueil de farces (1450-1550), éd. André Tissier, t. ix, Genève, Droz, 1995.
154 Pour des précisions, voir p. 33-34.
155 Les poésies du trouvère Jehan Erart, éd. Terence Newcombe, Paris-Genève, Droz, 1972.
156 Chansons des trouvères, p. 146. Voir aussi : « En non Deu, j’ai bel amin, / Coente et jolif / Tant soie je brunete. » (chansonnier C, pièce xxxiv, v. 10-12, refrain de la chanson, dans Pastourelles II ). On opposera ainsi, presque terme à terme, cette déclaration un rien orgueilleuse à la plainte d’une blonde : « Je suis belle et blonde, se n’ai point d’amin. » (chansonnier C, pièce xxxii). Voir aussi : « La jonete fu brunete : / « De brun ami j’aati : / Je suis brune / S’avrai brun ami aussi ». (Trois sereurs seur rive mer, v. 1-6 dans Poèmes d’amour des xiie et xiiie siècles) ou « [J’]ain la brunette sans orguel /Ki est doucette. » (rondeau anonyme, v. 1-2, Chansons des trouvères, p. 318).
157 La multiplication des diminutifs sur des adjectifs aussi divers que brune, sade et jolie laisse croire qu’ils sont tous également connotés méliorativement. Girart d’Amiens, Escanor, roman arthurien en vers de la fin du xiiie siècle, éd. Richard Trachsler, Genève, Droz, 1994, 2 t.
158 Jean Frappier, Étude sur Yvain ou le Chevalier au Lion de Chrétien de Troyes, Paris, Société d’édition d’enseignement supérieur, 1969, p. 163.
159 Voir par exemple : « Bruns li ours » (Le Roman de Renart, branche Ia, v. 430), « Brun l’ors » (branche ii, v. 483 et v. 925).
160 Respectivement dans Les Prophesies de Merlin, chapitre vii, 13 et xviii, 10, dans les chapitre xxvi, 17, lxxvi, 15, et dans le chapitre lxxvii, 3. Enfin dans Perlesvaus (Le Haut Livre du Graal, Perlesvaus, éd. William A. Nitze & T. Atkinson Jenkins, vol. i, Phaeton Press, New-York, 1972, branche i, p. 25).
161 Lancelot en prose, t. vii, xxxva, 6, p. 396.
162 « Brune la corneille » (branche xviii, v. 1396) et plus généralement « Brune » (branche xviii, v. 1480).
163 Voir p. 281 et suivantes.
164 Les Chansons de Colin Muset, p. 169-170.
165 Qui plus est, dans une construction grammaticale particulière, unique dans notre corpus, qui fait de brun l’épithète d’un substantif désignant la chevelure, non pas la personne.
166 Lancelot en prose, t. iv, lxxi, 7, p. 17.
167 « ’— Dame, il ert.I. des plus beaux chevaliers del monde et ert un poi brunez.’ Si l’an dist tant que la roine set bien que ce est Lanceloz ». (Lancelot en prose, t. iv, lxxv, 9, p. 132).
168 D’autant plus qu’elle disparaît quelques pages plus loin dans le portrait brossé en focalisation interne par la demoiselle enamourée quand la couleur dorée est nécessaire pour justifier le coup de foudre : « Et ele resgarde Lancelot tout adés tant com il menja et vit sa bouche vermeille ; si en a tel anvie qu’ele ne set qu’ele poïst faire, car onques mais a son esciant dame ne damoisele ne vit si bel. Ele resgarde ses ieulz qui li samblent.II. cleres esmeraudes et voit son front bel et sa cheveleure crespe et sore dont li chevoux sambloient d’or et voit en lui tant de biauté qu’ele ne cuidoit pas qu’en paradis eust nul si bel ange. » (Lancelot en prose, t. iv, lxxvi, 2, p. 134).
169 Voir Lancelot en prose, t. vii, ixa, 4, p. 72-73.
170 Le Roman de Troie, v. 15271-15272.
171 Voir aussi : « Meintenant issi li deables fors de l’ymage et fu devant eus tous droiz en estant, en samblance d’un enfant noir et hisdeus. Grant plenté avoit de cheveus noirs, et tres q’a piez li venoient. » (p. 82, l. 1186-1189).
172 Wauchier de Denain, La Vie Seint Marcel de Lymoges, La Vie Seint Marcel de Lymoges, éd. Molly Lynde-Recchia, Genève, Droz, 2005.
173 Œuvres complètes d’Eustache Deschamps, vol. vi, p. 210-211.
174 Voir par exemple la description du serpent maléfique caché par Eliavrés dans l’armoire : « Un serpent molt orible et noir / Et felon et de mal afaire / Vos metrai la en cel armaire. » (Première continuation de Perceval, v. 2614-2616). L’adjectif noir qualifie la couleur de l’animal mais n’est-il pas influencé par les termes moraux du vers suivant ?
175 Il est impossible de savoir si l’adjectif noirs s’applique uniquement aux cheveux, à la peau, ou encore aux deux.
176 Le Roman de Troie, v. 15271-15274.
177 Tristan en prose, t. vi, xvii. 112, p. 273.
178 Voir également le traitement qui y est fait de la rousseur page 49 et suivantes.
179 Le Roman de Troie, v. 5246.
180 Voir le vers 5193 du Roman de Troie : « Neir chief aveit recercelé. »
181 Ysaïe le Triste, roman arthurien du Moyen Age tardif, éd. André Giacchetti, Rouen, Publications de l’université de Rouen, 1989.
182 L’Évolution du roman arthurien en prose vers la fin du Moyen Age d’après le manuscrit 112 du fonds français de la Bibliothèque Nationale, Paris, Nizet, 1959, p. 217.
183 Également appelé Palamède, notamment par Cedric Edward Pickford. Pour les deux portraits cités, se référerer aux p. 218 et 220 de son ouvrage.
184 Cedric Edward Pickford, op. cit., p. 231.
185 Comment interpréter les chevelure et barbe noires de Saint Paul dans La Vie de saint Rémi : « Saint Pol a grant escheuveûre / Et a noire cheveleûre / Et grant barbe noire et pandant. » (La Vie de Saint Rémi, poème du xiiie siècle par Richier, éd. W. N. Bolderston, Londres-Rennes, Oxford University Press, 1912, v. 5875-5877) ? Soit on les considère comme les vestiges de sa vie avant sa conversion : la noirceur des poils traduit la vilenie de ses actions passées puisque Saûl pousuivait les chrétiens pour les martyriser. Soit on considère qu’émerge un nouvel idéal de beauté et que la couleur foncée des cheveux représente la rigueur et la détermination de Paul dans sa foi. On peut aussi considérer qu’il s’agit simplement d’un trait réaliste prenant en compte l’origine méditerranéenne de Paul.
186 Michelle Szkilnik, « Passelion, Marc l’Essilié et l’idéal courtois », The Court and Cultural Diversity, Woodbridge, Suffolk & Rochester, New-York, D. S. Brewer, 1997, p. 137.
187 Régulièrement dénommé « Renart le rous », notamment par ses détracteurs. Voir dans Le Roman de Renart, branche Ib, v. 1832 ou encore branche ii, v. 44.
188 Voir par exemple dans Le Jeu de la Feuillée d’Adam de la Halle la réplique de Dame Douche à Rainelès : « Tien. Honnis soit te rousse teste ! » (Adam de la Halle, Le Jeu de la Feuillée, éd. Jean Dufournet, Paris, Champion, 1983, v. 271).
189 Voir par exemple dans Le Roman de Renart branche Ic : « Un rous garçon de pute part, » v. 2409.
190 Voir : « Ice vous di ge bien de voir, / Que rous doit bien anui avoir. / Rous est puans et venimeus ; / Rous est traîtres, si est feus / Et de tous les maus nices plains. » (Le Roman de Renart, branche xiv, v. 2251-2255).
191 Le rapprochement est parfois explicite : « Renars li rous (que mal feus arde !) » (Le Roman de Renart, branche ii, v. 467) ou encore « Et voit Renart, que maus feus arde ! / Il le connut bien au poil rous » (branche viia, v. 666-667). D’autre part, Camille Enlart remarque, au sujet des traités de Tertullien De virginibus velandis et De Habitu muliebri que, dans l’édition de Froben, Bâle, 1562, le commentateur Beatus Rhenanus n’hésite pas à comparer les cheveux blonds et roux, surtout artificiels, aux flammes de l’enfer qu’ils symbolisent pour lui. » (Manuel d’archéologie française depuis les temps mérovingiens jusqu’à la Renaissance, Paris, Auguste Picard, 1916, t. iii : Le Costume, p. 179 n. 1).
192 « C’est dans la seconde moitié du ixe siècle, à l’époque de Charles le Chauve, qu’apparaît puis se diffuse dans les images la chevelure rousse de l’apôtre félon. [...] Et à partir du xiiie siècle, cette chevelure, souvent associée à une barbe de même couleur, devient dans la panoplie emblématique de Judas le premier et le plus récurrent de ses attributs. » (Michel Pastoureau, op. cit., p. 69-70).
193 Cela s’applique également aux barbes rousses : « On expliquait autrefois ainsi l’origine des barbes rousses. Lorsque Moïse surprit les Israélites adorant le veau d’or, il le fit mettre en poudre, mêla cette poudre dans de l’eau et la fit boire au peuple. L’or s’arrêta sur les barbes de ceux qui avaient adoré l’idole et les fit reconnaître ; car toujours depuis, ils eurent la barbe dorée. » (Dictionnaire infernal publié en 1863 chez Henri Plon par J. Collin de Plancy et cité par Xavier Fauche & Lucien Rioux dans Rouquin, rouquine, Paris, Éditions Ramsay, 1985, p. 41).
194 Voir aussi : « Quant Renars, cils rous, cils puans, / Cils ors lichieres, cils garçons, » (Le Roman de Renart, branche ix, v. 314-315).
195 Merlin, roman du xiiie siècle, éd. Alexandre Micha, Genève, Droz, 1979, 73, p. 643 et 77, p. 647-648.
196 C’est aussi la duplicité qui caractérise Marc le Roux dans Ysaïe le Triste car son apparence séduisante masque un tempérament déloyal : « My chier ami, fait Siasaries, je tieng et compare Marc nostre maistre a le mousque, car il estoit beaus et faitis et gentis par samblanche, et se vestoit de drap d’or et de soye reluisans, et s’avoit malvais coraige et volenté fausse et traittre. » (137 (a), 72, p. 114).
197 Michel Pastoureau, op. cit., p. 50.
198 À rapprocher du portrait du paysan dans Le Chevalier au Lion (v. 292-295).
199 On pense aussi à l’abondante pilosité brune de Merlin à sa naissance (Merlin, 21, p. 594).
200 La rousseur du personnage peut aussi renvoyer à une origine étrangère, plus précisément irlandaise : « [Q]ue le personnage appartienne au domaine celtique, un élément de son portrait est susceptible de le confirmer : ses cheveux roux, emmêlés, raides et hérissés comme des poils de sanglier qui rappellent, et très précisément, la tignasse d’un Fer Caille, d’un Conall Cernach ou encore celle de Cuchulainn, le héros suprême de l’Irlande, qui, lors de ses fameuses contorsions guerrières, devient « piquante et semblable à un faisceau d’épines dans le trou d’une haie ». » (Antoinette Saly, « La Demoiselle Hideuse dans le Roman Arthurien », Travaux de Littérature 7 (1994) p. 27-51, rééd. in Mythes et Dogmes. Roman Arthurien. Épopée Romane, Orléans, Paradigme, 1999, p. 35).
201 Respectivement : « Rosseles li escuirues » (Le Roman de Renart, branche Vc, v. 1806), Perceforest, première partie (Le Roman de Perceforest, première partie, éd. Jane H. M. Taylor, Genève, Droz, 1979, p. 210, l. 5182-5183), Jaufré (v. 3514), Le Chevalier au Lion, v. 1972 (l’origine surnaturelle du mari de Laudine est évoquée par Philippe Walter qui fait de la rousseur le vestige et le signe de son appartenance à l’Autre Monde celtique dans Essai de mythologie sur Yvain de Chrétien de Troyes, Paris, SEDES, 1988, p. 73), Suite post-vulgate du Merlin (500, p. 1297), Perlesvaus, branche iii (p. 70) et branche vii (p. 149), Lancelot en prose (t. ii, xlix, 34, p. 223), Lancelot en prose (t. ii, lv, 8, p. 303 et iii, lviii, 3, p. 345), Méraugis de Portlesguez, (Raoul de Houdenc, Méraugis de Portlesguez, éd. Michelle Szkilnik, Paris, Champion, 2004, v. 3920-3921) et Lancelot en prose (t. ii, lxvii, 19, p. 397).
202 Marc le Roux est l’ennemi d’Ysaîe car il a tué son père (Ysaïe le Triste, 127(a), 67v, p. 109). Roux de la Verde montaigne est le quatrième fils de Desraes le Malois dans Ysaïe le Triste, (33(a), 22, p. 48).
203 « li Rous Chevaliers de la Parfonde Forest, qui le lion maine, mauvaisement e en traîson » (Perlesvaus, branche x, p. 356).
204 Voir aussi dans Le Roman de Troie les vers 5271-5274.
205 Voir les vers 9530-9532 et 9743-9744 déjà cités.
206 L’ystoire du vaillant chevalier Pierre filz du Conte de Provence et de la belle Maguelonne, éd. Régine Colliot, Senefiance no 4, Paris, Champion, 1977.
207 Le deuxième sens de troubler est d’ailleurs violer (une promesse par exemple).
208 Voir aussi par la messagère qui vient annoncer à Perceval l’étendue des malheurs dont il est responsable (Le Conte du graal, v. 4611-4619). L’allusion à l’enfer ne fait que renforcer la sinistre impression qu’elle produit.
209 Gervais du Bus, Le Roman de Fauvel, éd. Arthur Langfors, Paris, Firmin Didot, 1914-1919.
210 « Aussi par ethimologie / Pues savoir ce qu’il senefie : / Fauvel est de faus et de vel / Compost, quer il a son revel / Assis sus fauseté velee / Et sus tricherie meslee. / Flaterie si s’en derrive, / Qui de nul bien n’a fons ne rive./ De Fauvel descent Flaterie, / Qui du monde a la seignorie, / Et puis en descent Avarice, / Qui de torchier Fauvel n’est nice, / Vilanie et Variété, / Et puis Envie et Lascheté. / Ces siex dames que j’ai nommees / Sont par Fauvel signifiees : / Se ton entendement veus mestre, / Pren un mot de cescune letre. » (Le Roman de Fauvel, v. 239-256).
211 Ces informations sont fournies par Xavier Fauche & Lucien Rioux, op. cit., p. 16.
212 Michel Pastoureau, op. cit., p. 50.
213 « À partir du xiiie siècle, l’or c’est aussi le bon jaune. Tous les autres jaunes sont mauvais, non seulement le jaune orangé comme dans la chevelure de Judas, mais aussi son contraire, le jaune qui tend vers le vert, celui que nous appelons aujourd’hui « jaune citron ». [...] « Mais, si tous les jaunes sont mauvais, le jaune-roux semble bien représenter la pire nuance du jaune, parce qu’il tire celui-ci du côté du sombre et du dense, du côté des ténèbres et de l’opacité de l’enfer. Sans le roux, il n’y aurait ni jaune sombre, ni jaune saturé avant d’entrer dans la gamme – pauvre à l’époque médiévale – des bruns. Le roux est ainsi un or négatif. » (Michel Pastoureau, op. cit., p. 51 et p. 78).
214 Voir Perceforest, 2e partie, 10, p. 6, l. 17-21, citation déjà analysée p. 47.
215 Romances et pastourelles françaises des xiie et xiiie siècles, éd. Karl Bartsch, Leipzig, F.C.W. Vogel, 1870, III, 10, p. 240.
216 Jean Frappier, « Le thème de la lumière de la Chanson de Roland au Roman de la Rose », dans Tradition et originalité dans la création littéraire, le Thème de la lumière dans la littérature française, Littérature française et cinéma, Cahiers de l’Association Internationale des Études Françaises, n° 20, Paris, Les Belles Lettres, mai 1968, p. 112.
217 Catherine Croizy-Naquet, op. cit., p. 159.
218 Un épisode du Roman du Comte d’Anjou (Jehan Maillart, Le Roman du Comte d’Anjou, éd. Mario Roques, Paris, Champion, 1974, v. 4631-4653) illustre cette conception médiévale : l’héroîne se voile la chevelure et le visage quand elle se rend aux distributions de vivres, de peur qu’on ne devine sa noble naissance à la beauté de ses cheveux et de son visage.
219 Le seul cas de chevelure blanche chez un enfant est celui déjà évoqué de Floriant à sept ans.
220 « Et ses cuers li dit et devine / Que ce estoit cele reïne / Dom il avoit oï parler. / Mes asez le puet deviner / A ce qu’il vit les treces blanches / Qui li pandoient sor les hanches, » (v. 8103-8108).
221 De même, la barbe blanche de Charlemagne devient l’insigne de sa noblesse et de sa royauté.
222 Voir aussi dans Berte aus grans piés : « Le bon roi de Hongrie qui ot le poil chenu » (Adenet le Roi, Berte aus grans piés, Les Œuvres d’Adenet le Roi, éd. A. Henry, t. 4, Paris, Presses Universitaires de France, 1963, cxxiii, v. 3029). Dans Le Roman de Renart toutefois, le pelage blanc d’Isengrin (« Ysangrins qu’ot le poil chanu », branche xxiii, v. 124) semble davantage relever d’une simple opposition chromatique dont l’œuvre aime à jouer (voir par exemple : « Et Noire et Blanche et Roussete » (branche Ia, v. 300). À moins que l’on ne considère que son statut de cocu, posé d’emblée, ne le fasse accéder à la classe des vieux barbons.
223 Le Roman d’Énéas, v. 2342-2343. Il en va de même pour la vieille femme anonyme entendue par hasard dans les rues de Palerme, et qui révèle à Floriant la vérité de sa situation, à savoir l’abandon de la chevalerie après trois ans de mariage : « Oï unne vielle chanue / Dire [...] » (Floriant etFlorete, v. 6656). La perspicacité du jugement de l’inconnue ne laisse aucun doute puisqu’il sert d’événement déclencheur au départ en aventure (Floriant et Florete, v. 6621-6626).
224 Huon le Roi, Le Vair Palefroi, dans Nouvelles courtoises occitanes et françaises, éd. Suzanne Méjean-Thiolier & Marie-Françoise Notz-Grob, Paris, Lib. Gén. Fr., 1997, p. 504-577.
225 On ne s’étonnera donc pas de la couleur des cheveux du Roi Pêcheur, figure selon certains du Père, voire de Dieu pour le jeune Perceval : « Uns cevaliers grans et membrus, / De bel aage, un poi canus. » (Première continuation de Perceval, v. 7261-7262). Dieu lui-même est d’ailleurs doté d’une blanche chevelure lors d’une apparition nocturne à un compagnon de Rémi : « Saint Pere crespe et viel chenu » (La Vie de saint Rémi, v. 5873).
226 « Et en che que li rois mengoit, es vous par laiens entrer.XII. hommes qui tout estoient vestu de blanc samit. Et estoient tout li houme viel et anchiien et tout blanc de kenissure, et portoit chascuns en sa main un rain d’olive par senefiance d’amour. » (La Suite du Roman de Merlin, éd. Gilles Roussineau, Genève, Droz, 1996, 43, l. 22-24).
227 Voir aussi la demoiselle chenue dans Lancelot en prose, t. II, L, 5, p. 228, passage qui sera analysé plus loin, p. 75. L’âge du personnage y est donné indirectement par l’expression tote chenue, à tel point que, si l’on ôtait cette expression, le portrait se fondrait dans la masse indéterminée des portraits de demoiselles rencontrées en chemin par les chevaliers.
228 Le Conte du Papegau, éd. Hélène Charpentier & Patricia Victorin, Paris, Champion, 2004.
229 Voir aussi « .iii. chevaliers blans et chenus, » (Perlesvaus, branch viii, p. 166), « lo blanc romeu chanut, » (Girart de Roussillon, dclxvi, v. 9821) et « Einz seroie chenuz et blans, / Pucele, que je me recroie / De vos servir, ou que je soie. » (Le Conte du graal, v. 5604-5606).
230 Voir aussi Le Bel Inconnu, v. 5509-5512.
231 « Les chevols ot meslez de chenes. » (Le Roman de Thèbes, v. 5486).
232 L’Histoire des moines d’Égypte, éd. Michelle Szkilnik, Paris, Droz, 1993.
233 « Un bel prodome seoir vit, / Qui estoit de chenes meslez ; » (Le Conte du graal, v. 3086-3087).
234 Voir aussi le vavasseur, père d’Énide : « Biax hom estoit, chenuz et blans, » (v. 377) ou le Roi Lac, père d’Érec : « De son pere le viel chenu » (Érec etÉnide, v. 6518). Ce n’est cependant pas si simple puisque le maître d’armes de Clamadeu, qui soutient les extravagances de son poulain est « Uns chevaliers auques chenuz » (Le Conte du graal, v. 2396).
235 Pour davantage d’exemples d’ermites chenus, se référer à l’ouvrage de Paul Bretel, Les Ermites et les moines dans la littérature française du Moyen Age (1150-1250), Paris, Champion, 1995, p. 486-489.
236 Voir aussi : « Devant un vieillart les chadele, / Qui molt avoit le poil mellé. » (Blancandin, v. 1150-1151).
237 Robert de Blois, Floris et Lyriopé, éd. Paul Barrette, Berkeley, Los Angeles, University of California press, 1968.
238 Dans François Villon, Œuvres, éd. Auguste Longnon, Paris, Honoré Champion, 1992.
239 Voir page 27.
240 Voir l’article de Geneviève Dumas, « Le soin des cheveux et des poils : quelques pratiques cosmétiques (xiie-xvie siècles) dans La Chevelure dans la littérature et l’art du Moyen Age, p. 129-141.
241 Telles que la mère d’Arthur ou la Sibylle.
242 Dominique Luce-Dudemaine, « La vieille femme, l’amour et le temps perdu », dans Vieillesse et vieillissement au Moyen Age, Senefiance no 19, Aix-en-Provence, CUER MA, 1987, p. 223.
243 Le cas est semblable à celui de l’adjectif doré. Voir page 114 et suivantes.
244 Ou la barbe : « La barbe avoit florie et blanche » (Blancandin, v. 409).
245 La Chanson de Roland, éd. Cesare Segre & Madeleine Tyssens, Genève, Droz, TLF, 2003. Pour Charlemagne, voir aussi la réponse de Ganelon à l’empereur qui propose d’aller au secours de Roland : « Ja estes vus veilz e fluriz e blancs ; » (v. 1771) ainsi que les vers 116-117. Il faut ajouter que le seul adversaire digne de s’opposer à Charlemagne, à savoir l’émir Baligant, est doté d’une même chevelure blanche signalant sa sagesse et sa maturité (v. 3161-3164). Bien que païen, Baligant se révèle un chevalier hors pair et un meneur d’hommes remarquable. Sa chevelure et sa barbe blanche (v. 3172-3173 et v. 3520-3521) signalent sa parenté avec l’empereur chrétien. Seule la religion les sépare.
246 Voir, par exemple : « avant en vient li vilz chenuz floriz : » (Garin le Loherenc, éd. Anne Iker-Gittleman, Paris, Champion, t. i, 1996, t. 2, 1996, t. 3, 1997, v. 17797), « puis vesqui tant qu’ill ot le poil flori » (Raoul de Cambrai, v. 28 [Taillefer, père de Raoul de Cambrai]), « Tant es vielz e floriz que terre flaire. » (Girart de Roussillon, dxvi, v. 7398).
247 La Vie de sainte Marie l’Égyptienne, versions en ancien et en moyen français, éd. Peter F. Dembowski, Genève, Droz, 1977.
248 On pourrait aussi penser que le pré fait référence à l’abondance de la chevelure, par l’image d’herbe verte et drue qu’il convoque. Ce vers 1424 n’est pas sans évoquer aussi l’usage du mot regain au sein de la description des cheveux blancs de la vieille femme dans Méraugis de Portlesguez, le regain étant la repousse de l’herbe : « li crin / Estoient blanc de regaïn » (v. 1446-1447).
249 Voir par exemple : « Blonde com or. Et la char blanche / Avoit com nef qui chiet sur branche ; » (madame Gente dans Galeran de Bretagne, v. 15-16), « Plus esteit bele et bloie e blanche / Que flor de lis, ne neis sor branche » (Briseïda dans Le Roman de Troie, v. 5277-5278), « Bras ot cras, mains blances con nois, » (Floire dans Floire et Blancheflor, v. 2865), « Desoz un yf an un prael / Trova une pucele sole, / Qui miroit son vis et sa gole, / Qui plus estoit blanche que nois. » (Demoiselle Orgueilleuse dans Le Conte du graal, v. 6676-6679), « Ele est plus blance ke [n’est] noif sor gelée, » (Aélis, nièce de Guillaume – Aliscans, dans Le Cycle de Guillaume d’Orange, éd. Dominique Boutet, Paris, Lib. Gén. Fr., 1996, p. 305-445, v. 2853).
250 Espectivement Lancelot en prose, t. v, xcill, 33, p. 139 et Lancelot en prose, t. v, xcvill, 41, p. 268. Voir aussi, pour le même personnage, sa désignation dans la Première continuation de Perceval comme « un biau prodome auques chanu » (Guiromelant i, 7, v. 3712).
251 Dxix, v. 7439.
252 Paul Bretel, op. cit., p. 486.
253 Il est ici impossible de comprendre biax selon une acception affective ; il s’agit nécessairement de beauté physique.
254 Gautier de Coinci, De la bonne empereris qui garda loiaument sen mariage, éd. Erik v. Kraemer, Helsinki, 1953.
255 Saint Modwenna, éd. A. T. Baker & A. Bell, Oxford, Anglo-Norman Text Society, 1947.
256 Paul Bretel, op. cit., p. 488.
257 On retrouve la même métamorphose dans la version V, avec la perte des tropes caractéristique de la mise en prose : « Ses blons cheveux furent tous blans et se alongierent, si que jusquez aux piés le couvrerent. » (l. 8-9, p. 45).
258 L’adjectif delgiés, fréquemment associé à la blondeur, signale la beauté mais surtout la légèreté de la chevelure qui devient allégorique de l’immatérialité de l’âme.
259 Les ermites sont en effet parfois recouverts de leur simple chevelure au moment de la mise en bière. Paul Bretel précise que certains « avaient les cheveux si longs qu’ils s’en enveloppaient le corps et s’en faisaient comme un vêtement » (op. cit., p. 490). Il cite à l’appui Onuphure : « Ne vault onque puis vestement / Fors de ses cheveux proprement. » (v. 91-92) et Paul premier ermite : « Lor chevox les covroient jusque a terre, ne n’avoient autre vesture. » (p. 2, l. 24) dans la note 57 de la page 492.
260 Voir Philippe Hamon, Du Descriptif, p. 11 : « La description, dans ses origines, aurait donc partie liée avec l’Institution, et tiendrait toujours de la louange, du remerciement, de l’action de grâces, serait par conséquent une sorte de contredon sémiologique, sous forme d’un texte, dû par la collectivité qui délègue le descripteur pour ce faire, et rendu à quelque donateur de bienfait (roi, nature, Dieu, etc.) ».
261 Voir cependant dans Le Conte du graal : « et si parurent lor chief luisant et lor gent cors » (v. 7169). Il s’agit des jeunes filles qui regardent Gauvain de la fenêtre du château des merveilles. Il faut préciser que cette édition se fonde sur la copie de Guiot (ms. BN fr. 794) et que l’on trouve « defors » à la place de « luisant » dans l’édition du manuscrit 354 de Berne (par Charles Méla) : « Issi as fenestres seoient / Les puceles, si aparoient / Li chief defors et li gent cors, / Si que l’an les vit par defors / Des les ceintures en amont. » (v. 7167-7171).
262 L’étude de l’adjectif doré s’intégrera dans une analyse de la comparaison avec l’or. Nous la réservons donc pour plus tard.
263 Pour l’analyse d’exemples, se reporter au chapitre ii.
264 Florence de Rome, chanson d’aventure, éd. A. Wallenskôld, Paris, Firmin-Didot, t. i, 1909, t. ii, 1907.
265 Voir les v. 843-844 (La Vie de sainte Marie l’Egyptienne, version T), déjà analysés précédemment.
266 Contrairement à ce que l’on pourrait supposer, la chevelure de Marie l’Égyptienne est blonde et non pas brune avant son blanchiment...
267 Ou avec le soleil, boule de feu.
268 « Et voit les biaus crins blondoianz / Comme ondes ensamble ondoianz, » (Le Roman de la Rose, v. 21139-21140).
269 Il s’agit d’un gérondif et non d’un adjectif mais la juxtaposition de ces occurrences souligne l’importance de ce terme dans les textes de Jean Renart.
270 À la manière du corps du serpent recroquevillé sur lui-même : « La keue avoit recercelee / Qui toute estoit envenimee », (Le Roman du Comte de Poitiers, v. 679-680).
271 L’Escoufle, v. 3303-3305 et Guillaume de Dole, v. 695-696.
272 Respectivement : « Et recherchelés les caviaus, » (Miracles de Saint Eloi, ch. xi, p. 31), « le chief ot blont recercellé, » (Le Roman d’Énéas, v. 651), « Polinicés est genz et granz, / chevels ad blois recercelanz » (Le Roman de Thèbes, v. 818-819), « Cheveus recercelez e sors » (Le Roman de Troie, v. 1266), « Lou chef ot blont, menu recercelé, » (Les Enfances Vivien, v. 875), « Caviaus crespés, recercelés, » (Lai de Narcisse, v. 95), « Cheveux ot blons recercelez, » (Seconde Continuation, v. 29365), « Chevous et blonz, recercelez. » (Le Roman de la Rose, v. 808), « Lou poil ot blont, menu recercelé, » (La Bataille Loquifer, v. 3867), « Vermeil ot le visage et fres, / Nes droit, vers yeux, et le poil blont / Qui li recerceloit amont, » (Galeran de Bretagne, v. 1188-1190).
273 À la seule exception du portrait de Nicolette calqué sur celui d’Aucassin et étudié p. 69.
274 Pyrame et Thisbé, Narcisse, Philomena, trois contes du xiie siècle français imités d’Ovide, éd. Emmanuèle Baumgartner, Paris, Gallimard, 2000.
275 Respectivement : Lai de Lanval (v. 573), Le Livre de la mutacion de Fortune (Christine de Pizan, Le Livre de la mutacion de Fortune, éd. Suzanne Solente, Paris, A & J Picard, 1964, t. i à iii, v. 862865), Richars li biaus (v. 141-142), La Fonteinne amoureuse (v. 1584), Le Roman de la Violette (v. 868), Poésies Lyriques de Guillaume de Machaut (éd. V. Chichmaref, Paris, Champion, 1909, t. ii, p. 393, v. 133-134).
276 Guillaume de Machaut, Le Confort d’Ami dans Œuvres de Guillaume de Machaut, éd. Ernest Hœpffner, t. 3, Paris, Firmin-Didot, 1921.
277 Il s’agit de la continuation de Gerbert de Montreuil (éd. Mary Williams, Paris, Honoré Champion, t. i, 1922, t. ii, 1925, éd. Marguerite Oswald, Paris, Honoré Champion, t. iii, 1975).
278 Voir pages 43-44 une analyse détaillée.
279 Ainsi, en 692, lors du concile de Constantinople, l’Église avait menacé de frapper d’excommunion ceux et celles qui avaient les cheveux bouclés ou teints. Le concile de Tours à la fin du xive siècle condamne également la teinture et la frisure en tant qu’elles portent atteinte à la nature donnée par Dieu.
280 Eustache Deschamps, Le miroir de Mariage dans Œuvres complètes, éd. Queux de Saint-Hilaire, Paris, Firmin Didot, SATF, vol. ix, 1894.
281 Voir les vers 2845-2868 pour Floire et les vers 2871-2912 pour Blancheflore.
282 « Floire and Blancheflor are similarly one by nature and by choice. The mirror image is even stronger in this romance than in Piramus : the two children are begotten on the same night, born on the same day, Palm Sunday, and named for that day, although he is pagan and she is Christian. They are cared for by the same woman, they live together and study together; they are alike in beauty and learning. When they are separated, and the girl is sent away, it is their physical ressemblance that leads the boy to her. At every stage of his journey, strangers note the ressemblance and send him after her. When he finds her, in a harem, the similarity leads to an interesting confusion. Hiding in her room, he is mistaken for a girl. In other words, the identity of the two is so strong that even sexual distinctions are blurred » (Joan M. Ferrante, Woman as Image in Medieval literature. From the Twelfth Century to Dante, New-York, University Press, 1975, p. 78).
283 Voir aussi Guillaume et Aélis : « Qui les eûst par tot eslis / Ne trovast il.ij. si pareus / De vis ne de bouche ne d’ex. » (L’Escoufle, v. 1944-1946).
284 « The man is so wrapped up in his love that he takes on the characteristics of a woman, or at least fails to act like a man. In Aucassin, the lovers are described in similar, if conventional, terms at the beginning » (Joan M. Ferrante, art. cit., p. 78).
285 Cité par Michel Zink dans Belle, essai sur les chansons de toile, Paris, Champion, 1978, p. 93 : « Li cuens R[aynaut] en monta lo degré, / gros par espaules, greles par lo baudre, / blond ot lo poil, menu recercelé : / en nule terre n’ot si biau bacheler. » (v. 25-28).
286 « C’est que sans doute l’auteur a voulu évoquer le climat épique, les prestiges du « tens anciennor ». Il en a recherché les moyens, non seulement dans l’application [...] dans l’emploi de lieux communs et de formules de style en usage dans l’épopée. » (« Les chansons de toile », Romania, Paris, n° 69, 1946-1947, p. 451).
287 Michel Zink, op. cit., n. 41, p. 175.
288 Voir page 67 et 68 l’étude de recercelé et crespé.
289 Camille Enlart le répète à l’envi : « Quant aux cheveux [des hommes], [à partir de 1180 environ] on les raccourcit légèrement et on les ondula savamment. Ceux du sommet de la tête furent courts, ramenés en avant, et formant sur le front une frange frisée qu’on appelait dorelot. Quant à ceux de derrière la tête et des côtés, ils retombent verticalement, en décrivant une ondulation pour dégager l’oreille, puis leur extrémité se relève à mi-hauteur du cou pour former un bourrelet ou boudin dont la tranche décrit deux volutes sous les oreilles. Ces courbes ne pouvaient s’obtenir qu’au fer chaud ou par d’autres artifices : la chevelure était dorelotée, c’est-à-dire frisée et ondulée par l’art du barbier. » et « au xive siècle, cette mode se perpétue, mais le visage s’encadre de longues boucles tournées sur un bâton à friser et le bourrelet terminal tend à faire place à une retombée plus naturelle » (op. cit., p. 132 et 133).
290 Voir La Bataille Loquifer (v. 3867), Durmart le Galois, (v. 110), La Seconde Continuation (v. 29365), Le Roman de la Rose (v. 808) et Galeran de Bretagne (v. 1188-1190).
291 Dans la mesure où le portrait masculin précède le portrait féminin, on peut même considérer que le deuxième imite le premier.
292 Voir Arnoldo Moroldo, « Le Portrait dans la Chanson de geste », Moyen Age, 1980, n° 86, p. 387 : « Notre étude du portrait dans la chanson de geste du xiie siècle a pour but de montrer que dès la Chanson de Roland nous nous trouvons en présence d’expressions conventionnelles qui sont la manifestation d’une tradition poétique bien établie ».
293 Les Enfances Vivien, dans Le Cycle de Guillaume d’Orange, éd. Dominique Boutet, Paris, Lib. Gén. Fr., 1996, p. 239-269.
294 Voir Arnoldo Moroldo, art. cit., p. 32.
295 Aimé Petit, Naissances du roman, Les techniques littéraires dans les romans antiques du xiie siècle, Paris, Champion, 1985, p. 515.
296 Dans le Cligès en prose, il est même précisé que les cheveux de Cligès rappellent ceux de sa mère : « Ses crins estoient tieulx conme ceux de sa mere » (Mise en prose (1454) de Cligès, éd. W. Foerster, Halle, 1884, p. 281-338, chapitre xxxi, p. 105).
297 Voir aussi le portrait de Pierre dans Pierre et Maguelonne (p. 26).
298 Catherine Croizy-Naquet, op. cit., p. 177.
299 Joan M. Ferrante, art. cit., p. 4 : « The fusion of male and female characteristics is illustrated by a confusion of male and female characters in literature and in art. The ideals of male and female beauty in the high Middle Ages seem to have been quite similar ».
300 Lancelot en prose, t. vii, ixa, 3 et 4, p. 71-72.
301 Dans « Sous le feu des regards ou la beauté captive » dans Lancelot, sous la direction de Mireille Séguy, Paris, Autrement, collection Figures mythiques, 1996, p. 51.
302 « What does it mean to say that Lancelot has the mouth, neck and hands of a lady, while also asserting that he has the hips and stance, the chest and shoulders of the perfect knight? What kind of hybrized sexual and social status is suggested here? We have certainly moved well beyond the temporary cross-gendered identities staged in Floris et Lyriope. » (Jane E. Burns, Courtly Love Undressed, Reading Through Clothes in Medieval French Culture, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2002, p. 144).
303 Mireille Séguy, art. cit., p. 52.
304 « Il estoit sanz espee et sanz armeure, si se fu tost despoilliez et se couche errant delez Lancelot et se trest pres de lui et l’acole et le conmance a baisier, car il cuidoit vraiement que ce fust sa fame. » (Lancelot en prose, t. iv, lxxviii, 16, p. 183).
305 Camille Enlart, op. cit., p. 134.
306 Guillaume de Palerne, roman du xiiie siècle, éd. Alexandre Micha, Genève, Droz, 1990.
307 Durmart le Galois, v. 9414-9417.
308 Lancelot en prose, t. vii, xva, 22, p. 188.
309 Voir aussi la légende selon laquelle sainte Marguerite aurait quitté son mari la nuit de noces, avant la consommation du mariage, se serait coupé les cheveux puis serait entrée au monastère en tant que moine : « Et celle nuyt, elle se garda de son mari. Et a mynuyt, elle se commanda a Dieu, et osta ses cheveulx, et se mist en habit d’omme, et s’en fouit loing a ung moustier de moynes, et se fist appeller frere Pelagien, » (La légende de sainte Marguerite (légende 146) dans La Légende dorée (Jacques de Voragine, La Légende dorée, éd. Dominique Donadieu-Rigaut, Paris, Gallimard, La Pléiade, 2004, p. 967).
310 « E ac lo cap gran, e-ls pels platz » (v. 1386).
311 Le fou est en effet représenté soit avec les cheveux tondus, soit, à partir du xve siècle, avec la chevelure hérissée. D’un extrême à l’autre, la chevelure du fou signale son incapacité à être disciplinée, policée.
312 « Granz fu et noirs et hericiez, », « Les chevelz a touz hericiez, » (Le Roman de la Rose, v. 2920 et v. 10169) et « Hericié chief et maupigné, » (Le Livre de la mutacion de Fortune, v. 1814). Le sens de l’adjectif hericiez est même amplifié par la présence de l’adverbe touz ou par la coordination avec maupigné qui met l’accent sur le manque d’hygiène et de soin.
313 Le Livre du Voir Dit, v. 7073-7085. Passage cité et analysé p. 30.
314 Le Chevalier au Lion, v. 292-295. Passage cité et analysé p. 25.
315 « Le corps mis à nu. Perception symbolique de la nudité dans les récits du Moyen Âge », Europe n° 654, Paris, octobre 1983, p. 56.
316 Voir la querelle des deux soeurs au sujet de Gauvain lors du tournoi de Tintagel : « Et por ce ma suer m’apela / Fole garce et eschevela, » (Le Conte du graal, v. 5401-5402). L’aînée a littéralement crêpé le chignon de la cadette.
317 « On se couvrait assez rarement la tête avant l’époque romane ; on le fit davantage au xiie et plus encore au xiiie siècle ; enfin, depuis le milieu du xive, on eut la tête couverte presque toujours à l’extérieur, souvent à l’intérieur. » (Camille Enlart, op. cit., p. 142).
318 Tel est le cas de la reine assassine menée au bûcher dans une toilette et un vêtement sommaires : « L’estat de la dame entendeis : / les poinz lïez, les euz bendez, / en chemise et eschevelee / fu devant l’ermite amenee. » (La Vie des Pères, v. 13196-13199).
319 Cette coiffure, rare au début du xiie siècle, devient très usuelle à partir de la fin du xiie siècle (Camille Enlart, op. cit., p. 178). La guimpe (tout comme la ceinture) était d’un coût élevé, comme le prouve le portrait des trois cents ouvrières captives dont l’indigence émeut Yvain : « Mes tel povreté i avoit / Que deslïees et desceintes / En i ot de povreté meintes ; » (Le Chevalier au Lion, v. 5200-5202).
320 La partie de la guimpe passant sous le menton pouvait être relevée et cacher le bas du visage. C’est ainsi qu’agit Énide, ne souhaitant pas être reconnue de Keu : « Et la dame par grant veidie, / Por ce qu’ele ne voloit mie / Qu’il la coneùst ne veïst, [...] Mist sa guinple devant sa chiere. » (Érec et Énide, v. 3981-3986).
321 Le nœud se trouve donc sur le dessus du crâne et non sous le menton. Un autre voile, le couvre-chef proprement dit, se pose ensuite sur le premier voile, l’ensemble étant éventuellement surmonté d’un cercle ou chapel. « La réunion de la touaille et du couvrechef encadre complètement le visage et l’on pouvait aussi faire cet encadrement d’une seule pièce, c’est ce qu’on nomme la guimpe ou guimple. [...] La guimpe d’une seule pièce était plus austère ; c’était l’atour des femmes sur le retour, des veuves, des béguines. » (Camille Enlart, op. cit., p. 183. fig. 184).
322 Voir à titre d’exemple Liénor se préparant avant sa rencontre avec le roi : « Que q’ele se ceint et lia / de sa guimple et de sa ceinture, » (Guillaume de Dole, v. 4381-4382).
323 Que l’on trouve également graphié desliier, deslïer ou delier.
324 Il va de soi que le père ne délie pas la ceinture de sa fille dans le but de la reconnaître.
325 Voir aussi : « Cil ont la biele desliie / Ki li traisent sa cape fors. » (L’Escoufle, v. 6110-6111).
326 The Romance of Hunbaut : an arthurian poem of the thirteenth century, éd. Margaret Winters, Leden, Lugduni Batavorum E. J. Brill, 1984.
327 En effet, ce n’est pas deslie qui est employé lorsque les cheveux pendent librement. Voici un aperçu des expressions employées dans ce cas : « Si lui a taint les cheveux d’or, / Dont elle met partie en tresse, / L’autre a delivre et sans destresse » (Galeran de Bretagne, v. 1240-1242), « E sun estiratz sei cabeil / Qe lusisun cun clar soleil » (Jaufré, v. 5675-5676), « Chascune laist dehors pendre sa crine bloie, » (Le Roman d’Alexandre, v. 7651), « Sor les haubers tresliz safrez / Sunt lor biaus crins toz detreciez, » (Le Roman de Troie, v. 23468-23469), « ses cheveux épars sur ses épaules, » (Chronique de Jacques de Lalain, éd. J. A. Buchon, collection des Chroniques Nationales de France, Paris, Verdière, 1825, chapitre lxxvii, p. 274), « ces cheveux assez bloncs soulz une couronne ressemblant fin or ilz estoient deliez sans tresse pignez a point cheans fur les blanches espaules (traduction française en prose de la Théséïde de Boccace, Chantilly, Musée Condé, ms 601, f. 138v). De plus, « au xiiie siècle, la coiffure des femmes se transforme : la double tresse ramenée sur le devant persiste rarement ; les jeunes filles et les reines portent souvent les cheveux flottants sur les épaules ; les femmes mariées et parfois aussi les jeunes filles commencent à cacher leurs cheveux. » (Camille Enlart, op. cit., p. 178).
328 Voir p. 66. C’est le cas dans le portrait d’Ydoine par exemple : « Et delïés et blons les crins, » (Amadas et Ydoine, éd. John R. Reinhard, Paris, Champion, 1974, texte de P, v. 132).
329 Op. cit., p. 126.
330 Dans la très grande majorité des cas en effet, l’écrivain ne signale même pas que son personnage est sans guimpe.
331 Voir par exemple : « C’est la premiere qu’an la chambre est entree ; / Plorant, criant, trestoute eschevelee, / Por ses anfans a grant dolor menee. » (Ami et Amile, v. 3184-3186).
332 On peut aussi penser à Sibylle, qui doit sortir d’elle-même pour se rendre disponible aux forces surnaturelles et qui se montre à Énée « toute chanue, eschevellee » (Le Roman d’Enéas, v. 2353), ou encore à la chevelure toujours défaite des Gorgones dans la mythologie grecque.
333 The Continuations of the Old French Perceval of Chretien de Troyes, vol. ii, The First Continuation, Redaction of Mss E M Q U, manuscrit E, t. ii.
334 D’où les sages recommandations du Chevalier de la Tour Landry à ses filles : « Sy se doit toute femme cachier et céleement soy pingner et s’atourner, ne ne se doit pas orguillir, ne monstrer, pour plaire au monde, son bel chef, ne sa gorge, ne sa poitrine, ne riens ne doit tenir couvert. » (Le Livre du Chevalier de la Tour Landry pour l’enseignement de ses filles, chapitre lxxvie, « Cy parle de soy pingnier devant les gens », p. 155).
335 Rappelons-le, les cheveux étaient souvent tressés pour la nuit (puis recouverts d’un bonnet) si bien que la toilette reste le seul moment où la chevelure n’est pas arrangée.
336 The Continuations of the Old French Perceval of Chretien de Troyes. Voir aussi le motif de la toilette page 217 et suivantes.
337 Voir aussi p. 310 et suivantes l’analyse de l’anecdote de Sémiramis cessant de se coiffer à l’annonce d’émeutes et se donnant à voir à ses sujets à moitié tressée et à moitié détressée (eschevelee).
338 Op. cit., p. 135.
339 Il en va de même dans la description de la cousine du duc de Clarence : « Et maintenant esgarde li dus et voit ouvrir l’ui d’une chambre et en voit issir une dame de molt grant biauté et ot vestu.I. soercot d’un drap de soie foré de menu vair et ot a son col.I. mantel de cel mesme drap, et estoit toute eschevelee et n’ot desous son sorcot vestu fors sa chemise qui molt estoit blance et delie. Et li dus voit la dame bele a grant mervelle » (Lancelot en prose, t. iii, xi, 4, p. 122).
340 Camille Enlart, op. cit., p. 179. Voir aussi l’interprétation donnée par Robert de Blois du châtiment divin à l’encontre d’Ève : « Dex em prist vanjance si grief / Qu’encor porte covert le chief / Fome por la honte qu’ale ot, / C’obedïanz estre ne vot. » L’enseignement des Princes (Robert de Blois, Son œuvre didactique et narrative, L’Enseignement des Princes, Le Chastoiement des Dames, éd. John Howard Fox, Paris, University of London Publication Fund, 1950, v. 451-454).
341 Actions et paroles mémorables, éd. Pierre Constant, Paris, Garnier, 1935, livre 6, 3, 9.
342 Voir la première épître de Paul aux Corinthiens (ch. 11, v. 13-14). Selon lui, la chevelure aurait été donnée à la femme en guise de vêtements. En soustrayant les cheveux aux regards en signe de pudeur, le voile prolongerait la chevelure.
343 « sine dubio ab ea aetate lex uelaminis operabitur, a qua potuerunt filiae hominum concupiscentiam sui adducere et nuptia pati » (Tertullien, Le Voile des vierges [De virginibus velandis]), Paris, Éditions du Cerf, 1997, xi, 4, p. 165-166. Traduction proposée par Paul Mattei : sans aucun doute la loi du voile s’imposera dès l’âge où les filles des hommes pourraient susciter le désir et seraient mûres pour le mariage.
344 Camille Enlart, op. cit., p. 103.
345 Lire à ce propos le chant Virgines caste à la gloire des jeunes vierges se dévouant à leur divin époux dans Poésie lyrique latine du Moyen Age, édition de Pascale Bourgain, Paris, Librairie Générale Française, Le Livre de Poche, 2000, p. 50-61.
346 Le vêtement de la nonne forme en effet une barrière entre son corps et le monde : « Vest une robe cameline / Et s’atorne comme beguine. / Et ot d’un large cuevrechief / Et d’un blanc drap couvert le chief. » (Le Roman de la Rose, v. 12049-12052).
347 Voir par exemple la superposition de la guimpe et du chaperon sur la tête de Fresne qui part pour le mariage de Galeran avec Fleurie : « D’une blanche guymple ausques lee / Lie son chief tout environ, / Et dessur met son chaperon, / Pour ce qu’aucuns ne la congnoisse. » (Galeran de Bretagne, v. 6704-6707). De même, dans l’exemple suivant, la préposition en leu de signale en creux la mise habituelle (une guimpe recouverte d’un voile) : « D’un chaperon en lieu de voile / Seur sa guimple ot couvert sa teste. » (Le Roman de la Rose, v. 12394-12395).
348 CamilleEnlart, op. cit., p. 180 et fig. 181, 182, 183 et 184 p. 181-183.
349 Camille Enlart, op. cit., p. 182. « Couvrechef » s’entend chez cet historien dans le sens de voile mince et transparent. Voir la fig. 183 p. 182.
350 Camille Enlart, op. cit., p. 183 et fig. 184 p. 183.
351 Camille Enlart, op. cit., p. 209.
352 Camille Enlart op. cit., p. 209. Voir fig. 70 p. 84 et fig. 212 p. 200.
353 Voir le portrait de Honte dans Le Roman de la Rose : « Si ot.i. voile en leu de guimple » (v. 3562).
354 Voir par exemple : « Les crins ot blons et reluissans, / Come fin or reflanboians ; / D’un fil d’argent fu galonnee, / Si cevaucoit escevelee ; » (Le Bel Inconnu, v. 1545-1548) et « Quant ele estoit escavelee / Si cheveil resambloient d’or, / Tant estoient luisant et sor ; » (Le prestre et le chevalier, v. 64-66). Si l’on passe outre le souci de la versification, desliee aurait dans ces exemples exactement le même sens.
355 Il est intéressant de remarquer la confusion lexicale entre les cheveux détachés et les cheveux non voilés, aussi bien en ancien français que dans la coutume juive : « Des textes juifs montrent que les hommes étaient sensibles à l’appel érotique que constituait une belle chevelure féminine. Étaler ses cheveux, les faire flotter sur ses épaules, c’était avoir « la tête découverte », attitude si inconvenante qu’une femme mariée sortant ainsi dans la rue pouvait être immédiatement répudiée. » (A. Jaubert, Les femmes dans l’Écriture, Paris, Cerf, 1992, p. 84).
356 Nous pensons que la traduction de ce vers donnée par Peter F. Dembowski dans l’édition de La Pléiade, à savoir « sans ceinture ni manteau » n’est ni recevable ni justifiée par le contexte puisque l’absence de ceinture n’entraîne en aucun cas des louanges esthétiques.
357 Voir aussi le portrait de Fresne se rendant à l’église pour son mariage et se laissant admirer : « Fresne qui son chief a sans guimple / Se fait regarder a merveille ; / Qu’ell’est de rose plus vermeille, / Et s’est d’un fil d’or gallonnee. » (Galeran de Bretagne, v. 7694-7697).
358 Voir à ce propos le portrait de Fénice dans lequel une lumière semble émaner de la chevelure et du visage nus : « Tant s’est la pucele hastee / Que ele est el palés venue, / Chief descovert et face nue, / Et la luors de sa biauté / Rant el palés plus grant clarté / Ne feïssent quatre escharboncle. » (Cligès, v. 2728-2733).
359 Et encore... Voir l’habillement que choisit jalousement Pygmalion pour son œuvre : « Autrefoiz li met une guimple / Et pardesus.i. cuevrechiez / Qui cuevre la guimple et le chief ; » (Le Roman de la Rose, v. 20956-20958). Recouverte de deux épaisseurs successives d’étoffe, la chevelure finit par perdre son pouvoir érotique. Ainsi caparaçonnée, la statue-jeune fille gagne en décence ce qu’elle perd en beauté.
360 Voir les vers 1040-1041 : « vergoigne orent, n’en est merveille : / la face lour devint vermeile. »
361 Ces deux phrases reprennent les mots de Charles Méla au sujet de la reine dans La Reine et le Graal, La conjointure dans les romans du Graal de Chrétien de Troyes au Livre de Lancelot, Paris, Seuil, 1984, p. 57.
362 Voir les vers 4716-4729.
363 Voir les vers 144 à 149 : « Li chevalers n’ert pas vileins ; / a pié desent, si l’a saisie, / il en vodra fere s’amie ; / sur la freche herbe l’ad cochee, / jo quid qu’il l’eûst asprisvee / quant ele li cria merci ».
364 « La fée n’est pas seulement ici le contraire de la dame courtoise ; comme dans beaucoup de poésies du moyen âge, elle est plutôt putain que sainte, souvent obsédée sexuelle, se moquant des tabous. Graelent nous le démontre : une femme honnête ne doit pas être violée alors que ce tabou n’existe plus pour une fée attrayante, incarnation de la luxure. Car celle-ci veut être violée. Elle est l’incarnation féérique de cette obsession masculine que la tradition misogyne – avant et après le Roman de la Rose de Jean de Meung – s’efforce de voir s’accomplir dans la réalité de la femme. Le lai est l’endroit où la nostalgie d’une rupture des normes restant sans conséquence peut se réaliser dans la liberté du contre-univers créé par opposition à la cour. » (Chanter et dire, Études sur la littérature du Moyen Age, Paris, Champion, 1997, p. 139). Voir aussi, du même auteur : « Le motif du viol dans la littérature de la France médiévale, entre norme courtoise et réalité courtoise », Cahiers de civilisation médiévale, xxxi, 1988, p. 241-267.
365 François Garnier parvient aux mêmes conclusions en étudiant les images. Une peinture de l’église d’Agùero présente une femme à la longue chevelure noire qui met les mains sur les hanches et se penche sur le côté pour qu’on admire sa chevelure dénouée, dans une posture qui se retrouve dans les danses lubriques médiévales Le Langage de l’image au Moyen Age, Signification et Symbolique, Paris, Le Léopard d’Or, 1982, t. i, p. 137, et dessin p. 77 (figure 52) du tome II. Le rapprochement avec la culture sud-asiatique est intéressant : « Social control, after all, is primarily sexual control, and the controlled hair of social individuals symbolizes their participation in the socially sanctioned structures for sexual expression, especially marriage » (Patrick, Olivelle, « Hair and Society : Social Significance of Hair in South Asian Traditions » dans Hair, Its Power and Meaning in Asian Cultures, Albany, State University of New York Press, 1998, p. 20-21).
366 C’est-à-dire non accompagnée de ce que nous appelerions aujourd’hui un chaperon.
367 On peut penser aux longs cheveux épars de Marie-Madeleine telle qu’elle est habituellement représentée, à moins que cette coiffure ne signale plutôt son entier abandon à Dieu.
368 Mary Rogers, « The decorum of women’s beauty : Trissino, Firenzuola, Luigini and the representation of women in sixteenth-century painting », Renaissance Studies, vol. 2, n° 1, Oxford University Press, Society for Renaissance Studies, 1988, p. 62. Cité par Mary Trasko, op. cit., p. 29.
369 Jean-Luc Legras, Cheveux : mythes et symboles, thèse de médecine sous la direction de Lucien Colonna, Rouen, 1989, p. 29.
370 Le voile musulman est tout à fait comparable à celui qui était porté au Moyen Âge. Celui de Maguelonne fait d’ailleurs davantage songer à la burqa’ (en arabe) ou au châdar (en persan), simplement ajourés au niveau des yeux : « et se abilla de ses abillemens royaulx ; et si mist les voilles comme avoit a coustume de porter ; dont on ne luy veoit si non les yeulx et ung petit du nés et dessoubz elle avoit ses beaulx cheveulx quelz alloient jusques a terre. » (L’ystoire du vaillant chevalier Pierre filz du Conte de Provence et de la belle Maguelonne, chapitre xxxix, p. 54). Impossible d’ailleurs de reconnaître la femme aimée ainsi couverte : « Et quant le noble chevalier Pierre de Provence vit sa dame et amye Maguelonne sans voylles, il congneut tantost que c’estoyt sa douce Maguelonne, laquelle il avoit si longuement desiree. » (chapitre xl, p. 55).
371 Marie-Claude Lutrand & Behdjat Yazdekhasti, Au-delà du voile, Femmes musulmanes en Iran, Paris, L’Harmattan, 2002, p. 77.
372 Ibid., p. 79.
373 Christèle Dedebant souligne la puissance sexuelle vigoureuse que l’islam originel accorde à la féminité. Cette force vitale – sexuelle et génésique – représentant une menace dans l’imaginaire musulman masculin. Des dispositifs tels que le voilement se sont alors mis en place pour neutraliser les effets de cette puissance. (Le voile et la bannière, L’avant-garde féministe au Pakistan, Paris, CNRS éditions, 2003, p. 53).
374 En arabe, voile couvrant la tête et les épaules. Désigne également au plan mystique le rideau entre le visible et l’invisible.
375 Marie-Claude Lutrand & Behdjat Yazdekhasti, op. cit., p. 127-128.
376 Et inversement : la chevelure de Marie-Madeleine qui essuie les pieds du Christ ne se transforme-t-elle pas en tissu ? Voir par exemple la Plainte de Marie-Madeleine de Gautier Châtillon : « Transfixis pedibus quos fletu laveram, / quos tersi crinibus, ore lambueram, / non his ulterius hanc eddam operam. / Quid infelicius ? O me jam miseram ! » (v. 5-8, Poésie lyrique latine du Moyen Age, p. 94).
377 Voir l’article de Noëlle Lévy-Gires, « Se coiffer au Moyen Âge ou l’impossible pudeur » dans La Chevelure dans la littérature et l’art du Moyen Age, p. 279-290.
378 Terme que l’on rencontre encore aujourd’hui dans le langage publicitaire.
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