Introduction
p. 7-18
Texte intégral
De l’intuition à la conviction : la chevelure est plus qu’une masse de poils
1Quoi de moins naturel que cet attribut physique ? Si le poil, commun à la plupart des mammifères, renvoie dans l’imaginaire à l’animalité, parfois à la sauvagerie, le cheveu – poil particulier par sa longueur, sa finesse, sa couleur, son implantation – est différemment envisagé du reste du système pileux, ce que confirme l’existence de substantifs spécifiques pour le désigner, isolément ou collectivement. La chevelure demeure toutefois entachée de sa ressemblance avec les toison, crinière ou fourrure, amalgame qui accroît la méfiance vis-à-vis de cette partie du corps supposée moins humaine et moins évoluée, qui suscite une peur ancestrale.
2Ce soupçon est amplifié par les innombrables transformations qu’elle connaît. Tout d’abord, la chevelure présente la particularité d’être une et multiple à la fois : multiple parce que composée d’un nombre incalculable d’unités, une parce que cette multitude s’ordonne en une configuration unique. D’autre part, la nature variée des cheveux – crépus, bouclés, ondulés ou lisses – associée à la quantité infinie de coiffures possibles – en flots, en chignon, en queue, en natte, etc. – offrent un tableau bigarré et quotidiennement renouvelé : la chevelure permet à la femme d’être plusieurs en une. Par surcroît, l’usage des rubans et bijoux de cheveux, le port de couronnes, chapeaux et voiles ou encore le recours au subterfuge des postiches et des teintures livrent à nos regards fascinés l’image d’une chevelure protéiforme.
3Voilée, tressée, fleurie, précieusement ornée, courte ou somptueusement échafaudée, la chevelure se prête au jeu des métamorphoses et, culturelle par nature1, se fait vêtement, parure, bouquet, chef-d’œuvre. Elle relève donc de l’artifice, se pliant aux canons de la mode et à l’appétit de séduction. Voilà pourquoi on la découvre au cœur d’un portrait élogieux tout aussi bien qu’au détour d’un traité de morale. Glorifiée ou blâmée pour sa sensualité, la chevelure reste incontestablement la partie du corps féminin la plus sujette aux controverses.
4Quoi de moins étonnant puisque la chevelure, c’est la femme. « Métonymie du corps dans ce qu’il a de plus sensuel »2, la chevelure tend à concentrer l’essence de la féminité, se distinguant en cela des autres qualités de corps ou de visage également célébrées telles que l’harmonie des courbes, la noblesse des traits ou la blancheur de la peau. Le cheveu oublié convoque la femme dans son intégralité. Aussi l’étude du sort que les auteurs font à la chevelure féminine informe-t-elle indirectement sur les représentations de la femme du xie au xve siècle.
5Certes, l’homme peut être loué pour la beauté de ses cheveux mais il n’en reste pas moins qu’ils caractérisent en premier lieu la grâce féminine3 et sont conçus comme un signe de différenciation sexuelle. Chez l’homme, les cheveux sont dégagés des nécessités de la séduction et revêtent plus aisément une signification spirituelle ou symbolique. Voilà pourquoi cette étude se focalisera sur la chevelure féminine, sans toutefois exclure a priori les chevelures viriles qui serviront au besoin de comparaison ou de contrepoint.
Mouvance du texte médiéval
6Ne pas restreindre le corpus à une période ou à un genre donné relève de la volonté ambitieuse de ne pas compartimenter les œuvres afin d’examiner si les constantes repérées dans un genre s’observent dans un autre. Inauguré par La Vie de Saint Alexis et La Chanson de Roland, notre corpus se borne chronologiquement aux onzième et quinzième siècles. L’hagiographie et la chanson de geste sont largement représentées même si le roman fournit la très grande majorité des occurrences puisqu’il consacre l’émergence des rôles féminins dans la littérature non religieuse. Cependant, la confrontation des exemples romanesques avec les lais, les fabliaux, les traités de morale, les chroniques, les œuvres poétiques ou encore le théâtre (religieux et profane) ne peut qu’enrichir l’analyse. Des incursions dans la littérature en langue d’oc offrent des comparaisons séduisantes. Laissons toutefois de côté les ouvrages à vocation scientifique qui abordent la chevelure d’un point de vue organique ainsi que les traités d’esthétique qui conçoivent le cheveu comme un matériau à travailler4. Impressionnant par sa taille autant que par sa variété, notre corpus présente l’avantage d’entremêler des analyses portant sur des genres traditionnellement cloisonnés : sur une occurrence précise, il met en relation une chanson avec un fabliau, sur une autre, l’étude d’un lai s’entrelace avec celle d’une vie de saint. Au-delà des différences, nous percevons la persistance d’un cliché, le retour de certains motifs, modifiés pour s’adapter à leur contexte d’accueil. Par le chemin transversal emprunté, nous guettons les interférences entre les types de textes et les variations imputables au genre ou au siècle. La question des frontières des genres sera donc esquissée.
7Dès les premières lectures, se fait jour une impression de déjà-lu, l’intuition de redites. Toute nouvelle description des cheveux paraît se couler dans le moule des évocations antérieures, comme si l’écriture était modélisée par des expressions héritées. La littérature médiévale est en effet fondée, pour une large part, sur la réécriture de thèmes et de motifs attendus. C’est ce que souligne Michael Riffaterre : « Ainsi compris, la production du sens dans l’œuvre littéraire résulte d’une double démarche de lecture : d’une part la compréhension du mot selon les règles du langage et les contraintes du contexte, et d’autre part la connaissance du mot comme membre d’un ensemble où il a déjà joué ailleurs un rôle défini »5. La prise en compte de l’intertextualité6 se révèle nécessaire, et même indispensable dans le cas de l’œuvre médiévale, foncièrement ouverte à des influences aussi variées que nombreuses. La notion de mouvance que l’on doit à Paul Zumthor polarise ces caractéristiques inhérentes au texte médiéval : « La ‘littérature’ médiévale, dans cette perspective, apparaît comme faite d’un enchevêtrement de textes, dont chacun revendique à peine son autonomie. Des contours flous le cernent imparfaitement ; des frontières mal pointillées, souvent incomplètes, l’unissent à d’autres textes, plutôt qu’elles ne l’en séparent. Et, d’un secteur à l’autre de ce réseau, les communications ne sont jamais coupées ; le courant inter-textuel passe partout. Dans chaque texte se répercute l’écho de tous les autres textes du même genre [...] sinon, par figure contrastive ou parodique (et parfois sans dessein déterminable), l’écho de textes de genres différents »7. La création littéraire se définit donc moins par un désir d’invention ou d’originalité que par la variation infinie sur des schémas hérités, le matériel roulant dont parle Gaston Paris.
8Or, « témoigner du goût en littérature pour le matériau des redites, pour la source des répétitions – le lieu commun qui, manifestant le plus fortement dans chaque œuvre particulière son appartenance à un genre qui la dépasse, tend justement à la nier comme œuvre – ne va pas sans quelque paradoxe »8. Comment en effet concilier la conception de l’œuvre unique avec l’idée qu’elle puise à la fois sa matière et l’expression de cette matière dans le corpus déjà existant ? Un tel principe ne manque pas de choquer le lecteur contemporain. Pourtant, la richesse du texte médiéval devient accessible si l’on fait l’effort de se replacer, artificiellement, dans le contexte de réception de l’époque, afin de goûter au plaisir « que les médiévaux puisaient dans les récits de leur époque, [plaisir qui] a peu de points communs avec celui que nous goûtons désormais à ces mêmes textes. Nous devons donc nous détacher de notre expérience de lecteurs pour avoir quelque chance de reconstruire le narrataire auquel le poète médiéval s’adressait. Plaisir du conteur et plaisir de l’auditeur semblent en particulier se rencontrer à la faveur d’une topique où passe quelque chose de l’ordre de la jouissance. »9 La reprise du même, loin de constituer une défaillance du texte, prouve au contraire la maîtrise du poète qui répond aux attentes du public, sachant qu’il sera jugé sur son habileté à la variation. La notion de banalité est en effet étrangère à la conscience médiévale. Bien au contraire, l’accord sur les valeurs reste le garant de leur validité. La littérature médiévale s’oppose en cela point par point à la recherche romantique de l’originalité et de la singularité10, lui préférant le respect de la tradition, de l’autorité et de la norme sociale. Rappelons-nous que la critique à l’égard des expressions communes et figées ne prend son essor qu’au xixe siècle.
9On le voit, le thème de la chevelure, bien que riche et attrayant, n’est donc pas ici étudié pour lui-même mais dans la mesure où il s’inscrit au cœur d’une problématique stylistique d’écriture-réécriture du stéréotype. L’étude – qu’on pourrait qualifier de myope tant la portion de chacun des textes concernés est mince – du traitement des stéréotypes laisse transparaître le travail stylistique et se révèle en définitive une voie royale d’accès à la poétique propre à chaque auteur.
Myopie et convergences
10S’intéresser d’un point de vue stylistique à la chevelure dans les textes médiévaux, c’est entrer dans les textes par la petite porte, se concentrer sur des détails et sur un sujet si restreint qu’on suppute au départ qu’il n’y aurait pas beaucoup à dire. Paradoxalement, c’est aussi se retrouver face à un corpus de citations si étendu qu’il est difficile de savoir par où commencer. Il va de soi que l’exhaustivité dans un tel sujet constitue un idéal – auquel nous ne prétendons pas – et qu’il sera toujours possible de trouver un exemple qui infléchisse certaines analyses ou se pose en exception. Cependant, devant l’impossibilité matérielle de lire toutes les œuvres, notre parti pris fut celui du dépouillement patient de celles qui nous paraissaient représentatives, à tort ou à raison, et qui, du fait de leur rayonnement, étaient susceptibles de constituer un échantillon recevable. Loin de chercher à recenser toutes les œuvres médiévales où se rencontre une allusion à la chevelure, il s’agissait de dégager des constantes et de les étudier.
11L’étude approfondie de ces œuvres représentatives permet d’élaborer une liste des termes les plus fréquents ayant trait à la chevelure, liste qui autorise ensuite la recherche dans les bases de données ou, le cas échéant, dans les concordanciers. Le recours aux index11 s’avère décevant du fait des restrictions de genre et de temps qui étaient les leurs12 et de l’absence de fondement théorique stable13. Les glossaires sont de peu d’utilité dans la mesure où ils répertorient rarement le lexique de la chevelure.
12Une fois la liste des mots caractéristiques établie (dans notre cas : tresces, chevels, poils, teste, crins, couper, tondre, peigner, tirer, or, (re)luisant, sor, blois, blont, lons, piez, chenu), il s’agit de relever les syntagmes voire les unités textuelles où ils sont intégrés. Des lignes de force se dessinent, opposant les simples notations descriptives insérées ou non dans un portrait aux plus longs développements centrés sur la chevelure telles que les scènes de déploration, de toilette ou encore les violences perpétrées à l’encontre des femmes.
13Il convient alors de repérer les constantes propres à chacun des groupes en confrontant leurs diverses réalisations. Ce travail permet d’en définir les contours mais il faut admettre que le choix initial de placer une occurrence dans un ensemble plus que dans un autre relève de la subjectivité. De même, la mise au rebut de certaines occurrences très atypiques risque d’amoindrir la portée de l’analyse. La démarche réclame un appui méthodologique et demande de « recourir à des méthodes d’analyse de la signification aptes à décrire et à interpréter ces stéréotypes »14. Deux démarches méthodologiques se complètent : la première répertorie les critères nécessaires et suffisants qui décident de l’appartenance ou non d’une occurrence à une catégorie15 et la seconde, dite méthode du prototype16, trouve l’« exemplaire qui résume les propriétés typiques ou saillantes de la catégorie »17. Les exemples sont dans ce cas rangés dans une catégorie en fonction de leur degré de ressemblance avec le prototype. La combinaison des deux méthodes permet de définir le stéréotype en choisissant le meilleur exemplaire dont on répertorie les propriétés typiques, les « attributs saillants »18.
Du stéréotype, entre écriture et imaginaire
14Une fois les stéréotypes répertoriés, leur analyse comparée pose un problème terminologique de taille : peut-on appeler du même nom la reprise de formulations au niveau syntagmatique (par exemple, l’expression stéréotypée reluisant com fin or) et le retour d’éléments constitutifs identiques au niveau du paragraphe (par exemple dans le don de cheveux entre amants) ? Parce qu’il semble que non, un examen des différents termes disponibles s’impose. À commencer par le thème : si le sujet de ce travail – ce dont il traite – est bien la chevelure, elle n’est néanmoins pas le thème commun aux différents stéréotypes rencontrés. Le Dictionnaire des termes littéraires précise en effet que « le thème est abstrait à partir des motifs concrets qui déterminent le déroulement de l’action ou la situation »19. Jean-Jacques Vincensini précise que le thème « n’a pas d’attache nécessaire avec les « propriétés venant du monde extérieur » : il se caractérise par un investissement sémantique abstrait. Sa formulation est uniquement conceptuelle »20. Et l’auteur de citer en exemple les thèmes de la bonne foi, de la bonté, du silence21, pouvant chacun s’exprimer diversement au sein de motifs donnés. Si la chevelure n’est pas un concept, la déploration en est un. Autrement dit, nous emploierons désormais le mot thème uniquement dans le sens très fonctionnel de « contenu sémantique minimal de nature conceptuelle », et nous userons de sujet pour désigner ce dont on traite.
15Quant aux topoi koinoi (ou lieux communs), ils sont, dans la rhétorique aristotélicienne, des « catégories formelles d’arguments ayant une portée générale »22 qui s’opposent aux lieux spécifiques, propres à un domaine précis. Dès l’Antiquité, cette méthode pour raisonner se mue en une taxinomie de thèmes, en un réservoir de pensées et de preuves concernant n’importe quel sujet. Formes vides au départ, les topoï se remplissent et deviennent des développements typiques. En analysant quelques lieux parcourant la littérature de l’époque, tels le locus amoenus ou la représentation de la vieille femme et de la jeune fille, Ernst Robert Curtius ouvre la voie aux études sur la topique médiévale, qu’il présente ainsi : « Parmi les antiques bâtiments de la rhétorique, la topique constitue le magasin. On y trouve les idées les plus générales, celle que l’on pouvait utiliser dans tous les discours, dans tous les écrits »23. De la généralité à la banalité, le topos devient dans le courant du xviie siècle une idée rebattue, courante, triviale. Sa répétition et sa rigidité expliquent sa dépréciation. « Dotés d’un contenu, et plus ou moins détachés de leur rôle argumentatif, les lieux communs sont devenus l’objet du soupçon, précisément parce qu’ils font l’accord du plus grand nombre : ils désignent non plus les sources communes du raisonnement, mais les idées devenues trop communes, et rejetées comme telles »24. L’ampleur de ses applications associée à la dévaluation de son acception contemporaine nous poussent à rejeter le terme de topos, y compris dans le sens très intéressant de « motif lié à des formules constantes, mais non absolument figées, susceptibles de légères variations » que lui donne Jean Frappier25. Cette dernière définition fait en effet référence au motif pour déterminer le sens du topos, ce à quoi nous nous refusons.
16Le cliché partage aujourd’hui avec le topos une valeur franchement péjorative, due en partie à son origine. C’était en imprimerie une plaque qui portait, gravée en relief, le négatif d’une image ou d’un texte et qui permettait d’en tirer de nombreux exemplaires26. Il s’agissait donc d’une méthode de reproduction typographique à l’identique d’un original. De là dérive son sens figuré d’idée ou de phrase sans originalité inlassablement rebattue. « Les clichés correspondent en particulier à des expressions marquant l’intensité, fondées sur des comparaisons (beau comme un dieu, une fièvre de cheval, une patience d’ange), ou des métaphores figées (rouler à tombeau ouvert) »27. De ce point de vue, la comparaison canonique de la chevelure avec l’or est une figure aisément repérable, fréquente, dénuée de hardiesse autant que de singularité et pourrait être qualifiée de cliché. Néanmoins, « le cliché n’est pas défini seulement comme une formule banale, mais comme une expression figée, répétable sous la même forme »28, une « unité immuable dans sa formulation littérale »29. Or, la réalisation concrète de la comparaison des cheveux avec l’or ne se laisse pas enfermer dans une formulation unique, ce que nous nous efforcerons de montrer plus tard. Autrement dit, l’acception linguistique du cliché ne convient pas à notre étude, nous voilà a priori contraints de forger une nouvelle définition. Cependant, le texte médiéval ne procède pas du même mode de diffusion que le texte imprimé et c’est pourquoi il est ici utile de reprendre à notre compte la notion de variance empruntée à la philologie. En étudiant ainsi les variations30 entre les différents manuscrits d’un même texte, Keith Busby31 émet l’hypothèse que le scribe procède à des ajustements tout personnels au fur et à mesure de sa copie. Il distingue ainsi le remanieur – qui entend réécrire l’œuvre selon son optique particulière32 – du scribe qui se contente d’opérer ponctuellement des variantes si légères qu’elles passaient généralement inaperçues33. Contrairement aux variantes motivées d’un brouillon de Flaubert ou de Proust, les multiples et infimes modifications du manuscrit médiéval ne portent pas nécessairement à conséquence et participent de la mouvance du texte34 : instable, mobile, définitivement temporaire, le texte médiéval ne peut prétendre à une quelconque immuabilité. À une époque où la graphie était fluctuante, la déclinaison instable et la notion même de norme grammaticale inexistante, la formulation même était sujette à variation35. La variance du texte médiéval est inhérente à son mode de diffusion : de même que la transmission orale d’une chanson par un trouvère la modifie nécessairement, la copie manuelle d’un roman par un scribe le transforme inévitablement36. De ce fait, si la diffusion massive de textes imprimés est concomitante à la prise de conscience du cliché en tant qu’expression figée dans sa formulation littérale, on se doit d’accepter les multiples et infimes modifications auxquelles sont soumis les clichés médiévaux, nécessairement mouvants. Désormais, le cliché se définit donc comme une expression caractérisée par sa fréquence et par la présence de l’élément catalyseur. Dans le cas qui nous intéresse, le cliché n’est pas actualisé en l’absence de référence à l’or. Même si la formulation varie, un archétype du cliché a néanmoins tendance à se dégager.
17Le motif se distingue du cliché par son champ d’application plus large, il serait au récit ce qu’est le cliché à la phrase. Le Dictionnaire des termes littéraires le définit comme un « élément de sens récurrent dans une œuvre ou une série d’œuvres »37, une unité sémantique susceptible de subir des variations d’un texte à l’autre. « Unité élémentaire de la narration », il est « intégrable à une unité supérieure, le type des folkoristes, par exemple, ou plus généralement à un segment narratif englobant »38. Précisons toutefois qu’une unité textuelle ne se constitue en motif que si elle peut se rattacher à d’autres unités présentant des caractéristiques similaires. Ainsi, la perception du motif, tout autant que du cliché, est déterminée par la culture du lecteur, ses connaissances intertextuelles et ses attentes. D’ailleurs, un certain nombre de motifs tels que le cœur mangé, le philtre d’amour ou la voile noire sont issus d’œuvres célèbres inlassablement reprises par les poètes. De son sens étymologique, le motif conserve l’idée de mouvement, voyageant d’un texte à l’autre, mobile dans sa formulation. Les fluctuations auxquelles le motif est sujet dans son expression l’apparentent donc au cliché. On définit ainsi le motif comme un lieu commun du récit, un topos narratif, un « stéréotype de diégèse »39 mais il faut admettre que certains médiévistes tendent à employer ce terme sans en définir les composantes. Il se présente comme une configuration40 isolable reposant sur une base (le thème, abstrait) et dont les attributs stéréotypés – ou figures41 – renvoient à des éléments concrets42. Le motif englobe donc le thème. Cette définition offre prise aux analyses transversales et se révèle opératoire pour l’étude des motifs dans n’importe quel texte. Nous y recourrons au besoin.
18Nous opterons toutefois pour une terminologie mixte dont l’intérêt premier sera de mettre l’accent sur les points communs au cliché et au motif : nous parlerons ordinairement de stéréotype. Tout comme le cliché dont il est synonyme à l’origine, le stéréotype est un terme d’imprimerie et qualifie ce qui est imprimé à l’aide de flans, cartons prenant l’empreinte de la forme typographique souhaitée, sur lesquels on coulait du plomb. Or, ce mot a évolué différemment du mot cliché et, s’il désigne encore un rapport au langage dénué de recul et empreint de banalité, il renvoie aussi à un schéma collectif figé, à un modèle culturel simplifié. « Le stéréotype, c’est le prêt-à-porter de l’esprit »43. Cette dimension quasi sociologique du terme nous séduit dans la mesure où elle établit un rapport entre le retour insistant de certaines formulations et les « représentations toutes faites » à l’aide desquelles tout un chacun « filtre la réalité ambiante »44. En cela, le stéréotype dévoile la relation du texte avec la norme sociale, il divulgue l’impensé sous-jacent au discours. La répétition inlassable des mêmes structures de phrase ou de narration nous informe indirectement sur les rapports de l’auteur à son œuvre et à celles de ses confrères45. Ainsi, « une piste féconde s’ouvre devant le critique : mettre au jour les significations des narrations médiévales en les comprenant comme confluences, plus ou moins harmonieuses, de motifs légués par la mémoire culturelle »46. L’étude des stéréotypes ouvre donc les portes de l’imaginaire médiéval.
19D’autre part, le terme de stéréotype établit un lien d’analogie entre nos différents niveaux d’analyse (la phrase, l’épisode narratif, l’œuvre entière) et souligne leurs similitudes de fonctionnement. Dans la suite de notre propos, nous parlerons de cliché ou de stéréotype linguistique pour désigner le retour fréquent d’expressions voisines en la présence du terme catalyseur, avec la possibilité toutefois de formulations variables ; le motif ou stéréotype narratif correspondra à une configuration composée d’un thème conceptuel et de figures concrètes logiquement organisées, un « récit défini dans ses contours et son poids thématique stéréotypé »47. Il concerne des fragments textuels plus conséquents, de l’ordre du paragraphe voire plus. Certaines œuvres d’ailleurs – et non des moindres – se déploient ainsi à partir d’un stéréotype linguistique ou narratif s’élargissant à la taille d’une large portion de texte. Agissant comme une chambre de résonance, le stéréotype filé amplifie la portée d’un stéréotype donné, saturant le texte de sa présence.
20Si le stéréotype peut être à l’origine d’un épisode complet, « il s’inscrit généralement dans une œuvre plus large. Que reste-t-il alors de ses invariants quand il se greffe sur les histoires qui le reçoivent, chacune porteuse d’une signification originale ? »48. La question mérite d’être posée car le stéréotype est une entité virtuelle impossible à retrouver dans sa pureté abstraite. Il s’implante en un contexte et, « comme un choriste qui changerait d’ensemble ou de répertoire, il fait entendre sa voix distinctive, quels que soient les morceaux qu’il chante »49. Incorporé à une narration, le stéréotype n’y perd donc pas son âme. Bien au contraire, il s’enrichit des interférences qui se créent entre son environnement et ses caractéristiques propres. Il féconde le texte qui l’accueille pour être en retour comme resémantisé par lui ; de fait, il informe moins sur lui-même que sur l’œuvre qui l’accueille. « Grâce à sa souplesse et à sa « ventriloquerie », ce « matériel roulant » a suscité peu de véritables redites dans l’ensemble pourtant volumineux des narrations médiévales »50. Sans renoncer à son identité propre, le stéréotype recouvre, au sein d’œuvres disparates, des significations multiples51. Pénétrant dans l’atelier du poète tout occupé à l’assemblage des mots, nous assistons à la fabrique de l’œuvre.
Du mot à l’œuvre
21Une approche sémantique s’impose dans un premier temps afin de poser les bases lexicologiques de notre travail. L’ancienne langue fourmille de substantifs référant à la chevelure (chef, crin, poil, cheveus pour ne citer que les plus usuels) et leur étude comparée permet déjà de mettre en évidence une hiérarchie lexicale, que vient compléter ou préciser l’analyse des adjectifs de couleur et d’aspect. Là aussi, rien n’est égal : la teinte des cheveux aussi bien que leur degré de frisure importent, et pas uniquement par motivation esthétique. La chevelure laisse transparaître la pudeur, la morale, la noblesse d’âme de celle qui l’arbore. L’approche de la synonymie des termes – toujours imparfaite – et du calcul des fréquences d’apparition des combinaisons fait émerger un panorama des adjectifs et substantifs fréquemment mariés. Les possibilités se révèlent presque infinies si bien que l’on constate que les formules ne sont pas aussi figées qu’on pourrait l’imaginer au préalable. Certaines combinaisons restent toutefois impossibles. L’impression qu’a le lecteur d’une norme qui présiderait au choix des termes demande donc à être approfondie. L’analyse classée du lexique, loin de se réduire à un simple préliminaire, favorise indubitablement l’entrée dans les textes et fournit un cadre à l’analyse stylistique. Ainsi l’analyse des couleurs – y compris celle de la blancheur qui concerne surtout les textes hagiographiques – ouvre des perspectives qui dépassent largement le cadre sémantique. Il en va de même pour l’examen des adjectifs eschevelé et deslie qui informent bien davantage sur les conventions que la société fait peser sur la chevelure que sur la coiffure elle-même. L’ensemble de ces réflexions aboutit à la mise en évidence des traits idéaux de beauté ou de laideur. En empruntant la voie étroite de l’étude lexicale, on est de la sorte entré de plain-pied dans l’analyse des textes.
22C’est évidemment au sein du portrait que l’évocation de la chevelure prend sa véritable ampleur. Voilà pourquoi on ne saurait étudier la chevelure sans faire référence aux principes régissant le portrait. Morceau codifié, il poursuit un but argumentatif en puisant dans un réservoir d’images. Pour la chevelure se dégage une image consacrée, courante, attendue : la comparaison de la blondeur et/ou de la brillance avec l’or. Le foisonnement des formulations ne peut occulter la prégnance de cette image particulière dont il faudra circonscrire les limites et analyser la structure. Ce stéréotype linguistique présente l’intérêt d’associer le métal le plus précieux à l’attribut physique incarnant le mieux la féminité. Éminemment visuelle, cette comparaison consacre la picturalité des portraits médiévaux en permettant aux reflets de la chevelure d’éclairer l’ensemble du tableau. Quelques poètes refusent néanmoins de se couler dans ce moule et manifestent leur créativité en opérant des variations de comparant, en remotivant la comparaison ou enfin en améliorant son intégration textuelle. En effet, dès le xiie siècle, les poètes rompus à la répétition des clichés s’ingénient à respecter la tradition tout en s’en démarquant, non sans talent. Le recul critique vis-à-vis de la comparaison avec l’or n’est pas seulement le fait des poètes du Bas Moyen Âge : dès le xie siècle, certains auteurs ont joué des possibilités de variation du stéréotype et ces jeux relèvent davantage du talent propre à chacun que d’une évolution historique du stéréotype. Rien de chronologique en conséquence dans ce renouvellement. Cette précision est de taille car le traitement de la chevelure à la fin du Moyen Âge présente quelques particularités : si la blondeur constitue l’idéal esthétique des xiie et xiiie siècles, elle tend à être supplantée ensuite par la longueur de la chevelure, mutation dont témoignent les œuvres. De plus, la description physique des personnages s’estompe progressivement pour laisser place à celle du costume, à tel point que, menacé de mort, le stéréotype linguistique se métamorphose pour s’adapter aux circonstances. La chevelure parvient donc à survivre à la disparition du portrait et tend même à s’imposer même comme unique élément physique décrit.
23Étudier la chevelure, c’est donc s’attacher aux multiples variations, parfois insensibles, que l’auteur fait subir au stéréotype. On s’intéressera autant aux cas où la description de la chevelure semble relever d’une répétition mécanique qu’aux cas, beaucoup plus fréquents, où le poète se fait fort, tout en répondant aux attentes du public, de transformer de l’intérieur la formulation héritée. Pour cette raison, il faudra mettre en lumière tout déplacement significatif par rapport à l’horizon d’attente, témoignant d’un choix poétique du conteur. Tout en se pliant au canon traditionnel, celui-ci laisse poindre un trait nouveau qui suffit à laisser paraître, en même temps que sa maîtrise du modèle, son originalité de créateur. Une frontière se dessine ainsi entre ceux qui retranscrivent mécaniquement les clichés et ceux qui, virtuoses, prennent du recul vis-à-vis des mécanismes d’écriture et mettent en place une véritable poétique du stéréotype linguistique, le faisant éclater pour en offrir au lecteur toute la saveur : « le style n’est [d’ailleurs] pas autre chose qu’une stratégie, ou un ensemble de stratagèmes, d’adaptation au cliché »52. Écrire, c’est donc jouer avec le stéréotype. Tout dispositif de contournement constitue une pierre d’attente posée là avec l’espoir qu’un lecteur ou un auditeur attentif saura en reconnaître la richesse.
24Quand on quitte l’observation du cadre restreint de la phrase pour s’intéresser au paragraphe voire aux paragraphes, on relève de nombreux épisodes centrés sur la chevelure. Elle n’y est plus uniquement décrite en vue de célébrer ses qualités esthétiques mais pour le rôle qu’elle joue dans la narration. Un développement nécessaire à l’économie de l’œuvre se substitue à la rapide allusion descriptive. Fréquents, similaires, ces épisodes se laissent circonscrire en motifs dont l’analyse précise les limites et les enjeux. Le motif, ce court « récit défini dans ses contours et son poids thématique stéréotypé »53 se signale, tout autant que la comparaison avec l’or, par le poids de la convention, à tel point que d’aucuns considèrent la littérature médiévale comme une combinaison renouvelée d’un nombre limité de motifs et de personnages54. La scène de déploration, stéréotype narratif développé dans la chanson de geste, se caractérise par l’importance accordée au traitement des cheveux, aussi bien pour les hommes que pour les femmes. Tirés, arrachés, ils subissent une dégradation à la mesure du désespoir du personnage. La chevelure constitue effectivement une proie facile pour les violences en tout genre : elle offre une bonne prise pour traîner la femme qu’on malmène ainsi par le biais de ce qu’elle a de plus précieux. La privation des cheveux, violence plus intime, représente un sacrifice inestimable : ils sont coupés en signe d’entrée en religion ou comme punition de l’infidélité. En revanche, la fidélité à l’être aimé se manifeste par le don non contraint de cheveux, emblèmes de la beauté de l’amante et symboles de sa loyauté. La chevelure s’intègre donc dans un système de valeurs complexe fortement redevable aux représentations mythologiques et bibliques. Entre Ève et Marie-Madeleine, la chevelure oscille continûment entre la tentation de la pureté et les abîmes du péché.
25Chacun de ces stéréotypes narratifs est caractérisé par son thème particulier et ses traits saillants. La mise en évidence du stéréotype narratif prototypique se heurte à cette difficulté première : le motif, macro-structure héritée se mouvant dans un contexte discursif donné, n’échappe pas à l’influence de ce dernier. Bien plus, ils s’interpénètrent l’un l’autre à tel point que l’œuvre s’enrichit de la résonance du stéréotype narratif, tout comme celui-ci se renouvelle du fait des aménagements que la singularité du texte où il est enchâssé lui imposent. Autrement dit, le stéréotype narratif n’apparaît jamais dans sa prétendue nudité originelle, si bien que le critique se livre à un défrichage en règle afin de séparer les attributs indispensables des composants contingents et superficiels. Un tel formatage se révélerait parfois aride si les auteurs ne se plaisaient constamment, en réécrivant les motifs, à les réinterpréter par un jeu de variantes et d’échos. « D’où la pluralité des usages que fait du lieu commun la pratique littéraire. Intégration pure et simple à la structure et au tissu du discours. Retournement ironique, au contraire, inversant la relation attendue entre ce que l’on dit et ce qu’en disant l’on signifie [...] Ou bien encore une dilatation parodique enfle le lieu commun jusqu’à l’éclatement »55.
26La dilatation du stéréotype constitue un procédé de choix pour le poète désireux de répondre aux attentes de son public tout en faisant œuvre personnelle. Loin de réduire le cliché à un ornement gratuit et le motif à une technique de remplissage, l’auteur conçoit le texte comme un écrin au rayonnement du stéréotype, qui se répercute inévitablement sur l’économie narrative. Le lieu commun devient alors le socle de l’œuvre, son fondement. L’intrigue entière en dépend. Il faut toutefois distinguer les narrations profondément marquées par l’évocation de la chevelure de celles dont seul un épisode relativement long lui est consacré. De surcroît, quelques œuvres prennent le stéréotype au pied de la lettre si bien que le texte n’est plus qu’une expansion magistralement mise en scène d’un cliché ou d’un motif. Dotés d’une force évocatoire nouvelle, humoristiquement hypertrophiés ou ironiquement renversés, les stéréotypes sont manipulés par le poète qui s’en sert comme support à sa création.
Notes de bas de page
1 « L’homme est un être culturel par nature parce qu’il est un être naturel par culture. » (Edgar Morin, Le paradigme perdu : la nature humaine, Paris, Seuil, 1979, p. 222).
2 La Chevelure dans la littérature et l’art du Moyen Age, études réunies par Chantal Connochie-Bourgne, Actes du 28e colloque du CUER MA, Senefiance no 50, Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, 2004, introduction p. 7.
3 « La beauté constituant le principal objet des descriptions, ce sont surtout les femmes qu’il conviendra de décrire : c’est la règle que pose Matthieu de Vendôme (I, 67) ; c’est la règle que les auteurs ont observée. » (Edmond Farai, Les Arts Poétiques du xiie et du xiiie siècle, Paris, Champion, 1923, p. 77).
4 On se reportera à l’article de Geneviève Dumas « Le soin des cheveux et des poils : quelques pratiques cosmétiques (xiiie-xvie siècles) » dans La Chevelure dans la littérature et l’art du Moyen Age, p. 129-141.
5 « L’intertexte inconnu » dans Intertextualités médiévales, revue Littérature, Paris, Larousse, 1981, no 41, p. 6.
6 Pour la définir, reprenons ces deux phrases de Paul Zumthor : « Le texte, pas plus que le discours, n’est clos. Il est travaillé par d’autres textes, comme le discours par d’autres discours. » (« Intertextualité et mouvance » dans Intertextualités médiévales, p. 8).
7 « Intertextualité et mouvance » dans Intertextualités médiévales, p. 15.
8 Jean-Pierre Martin, Les motifs dans la Chanson de Geste, définition et utilisation, thèse de doctorat de troisième cycle soutenue devant l’Université de Paris III, Centre d’Études médiévales et dialectales, Université de Lille III, 1993, p. 9.
9 Michèle Gally, « Variations sur le locus amœnus. Accords des sens et esthétique poétique », revue Poétique, no 106, Paris, Seuil, avril 1996, p. 161.
10 Victor Hugo, par exemple, clame son refus des clichés : « Je massacrai l’albâtre, et la neige, et l’ivoire, / Je retirai le jais de la prunelle noire, / Et j’osai dire au bras : Sois blanc tout simplement. » (« Réponse à un acte d’accusation », Contemplations, I, 7).
11 Principalement au Motif-Index of Folk-Literature de S. Thompson (Copenhage, Rosenkilde and Bagger, 6 vols, 1955-1958), à l’Index des motifs narratifs dans les romans arthuriens français en vers (xiie-xiiie siècles) d’Anita Guerreau-Jalabert (Genève, Droz, 1992), au Index of Themes and Motifs in Twelfth-Century French Arthurian Poetry d’E. H. Ruck, (Cambridge, D. S. Brewer, Arthurian Studies no 25, 1991) et à l’article de Francis Dubost « De quelques motifs merveilleux rattachés à la Catalogne dans les Otia Imperialia et leur traitement dans le Thesaurus informatisé (équipe MA-REN-BAR) », (Languedoc-Roussillon-Catalogne, état, nation, identité culturelle régionale (des origines à 1659), Actes du colloque 20-22 mars 1997, édition de Christian Camps & Carlos Heusch, Université Paul Valéry, 1997, p. 123-142).
12 À titre d’exemple, l’Index des motifs narratifs dans les romans arthuriens français en vers (xiie-xiiie siècles) répertorie uniquement (pour une période particulièrement faste en ce qui concerne ce sujet) les huit motifs suivants : « F 521.1 Man covered with hair like animal. / F 1041.21.6 Tearing hair and clothes from excessive grief. / G 219.4 Witch with very long hair / H 106.3 (G) Plait of hair as proof of slaying, of victory. / K 1821.2.1 (B) Blackened face and hair as disguise / K 1821. 10 Disguise by cutting off hair. / T 59.3 (B) Lock of hair as token of love. / H 1213.1 Quest for princess caused by sight of one of her hairs droped by a bird. » (p. 419).
13 Certes, ces index n’ont pas pour but de définir le motif en soi mais de servir de base fonctionnelle à des travaux ultérieurs ; il faut reconnaître que l’empirisme (avoué) de leur méthode amoindrit l’efficacité de l’utilisation qui peut en être faite. Ainsi, le Motif-Index of Folk-Literature précise que « quand le terme « motif » est employé, c’est toujours dans un sens très flottant » (1955, p. 19) et l’Index des motifs narratifs dans les romans arthuriens français en vers (xiie-xiiie siècles) surenchérit en affirmant l’impossibilité d’une définition objective du motif : « Le découpage d’une chaîne narrative structurée en éléments de taille variable, qu’un résumé squelettique, de un à quelques mots, transforme en motif, ne peut et ne pourra jamais résulter que d’une pratique totalement empirique, qui repose avant tout sur le « sentiment personnel » de l’auteur du découpage. L’indexation d’un même texte par deux lecteurs ne donne donc lieu, le plus souvent, ni à des séquences identiques, ni à une interprétation similaire du contenu des séquences et de leurs rapports avec l’index de référence, ni par conséquent à une semblable liste de motifs. » (p. 6). Le motif y est alors conçu a minima comme la partie la plus élémentaire d’un récit qui a le pouvoir de se maintenir dans la tradition.
14 Jean-Jacques Vincensini, Motifs et thèmes du récit médiéval, Paris, Nathan, 2000, p. 48.
15 Ibid., p. 49. Cette méthode présente l’inconvénient de supposer que la définition d’une classe s’applique uniformément à tous les exemplaires de cette classe, ce qui ne sera évidemment pas le cas dans notre étude du motif.
16 Ibid., p. 50. Le prototype correspond à une sous-catégorie représentant de manière exemplaire la catégorie : le moineau est ainsi l’oiseau prototypique, il correspond à l’image mentale que l’on se fait de l’oiseau, il est le meilleur représentant de sa catégorie. « À ce titre, il peut y avoir plusieurs prototypes pour une même catégorie : le moineau et l’aigle se partagent les propriétés typiques de l’oiseau, comme la banane, la pomme ou l’orange, celles du fruit. » (Ruth Amossy & Anne Herschber g Pierrot, Stéréotypes et clichés, Paris, Nathan, 1997, p. 93).
17 Ruth Amossy & Anne Herschberg Pierrot, op. cit., p. 93.
18 Jean-Jacques Vincensini, op. cit., p. 54.
19 Dictionnaire des termes littéraires, publié sous la direction de Hendrik van Gorp, Paris, Champion, 2001, p. 478.
20 Jean-Jacques Vincensini, op. cit., p. 68.
21 Voir le travail de Daniele James-Raoul : La Parole empêchée dans la littérature arthurienne, Paris, Champion, 1997.
22 Ruth Amossy & Anne Herschberg Pierrot, op. cit., p. 15.
23 Ernst Robert Curtius, La Littérature européenne et le Moyen Age latin, Paris, Presses Universitaires de France, 1956, p. 149.
24 Ruth Amossy & Anne Herschberg Pierrot, op. cit., p. 20.
25 « La douleur et la mort dans la littérature française des xiie et xiiie siècles », Il Dolore e la morte nella spiritualità dei secoli xii e xiii, Convegni del Centro di studi sulla spiritualità medievale, V, 7-10 ottobre 1962, Todi, Presso l’accademia tudertina, 1967, p. 71.
26 Voir le Dictionnaire des termes littéraires, p. 100.
27 Ruth Amossy & Anne Herschberg Pierrot, op. cit., p. 88. Voir aussi ce qu’en dit Michael Riffaterre : « Il importe de bien souligner que la stéréotypie à elle seule ne fait pas le cliché : il faut encore que la séquence verbale figée par l’usage présente un fait de style, qu’il s’agisse d’une métaphore comme fourmilière humaine, d’une antithèse comme meurtre juridique, d’une hyperbole comme mortelles inquiétudes, etc. » (Essais de stylistique structurale, Paris, Flammarion, 1971, p. 163).
28 Ruth Amossy & Anne Herschberg Pierrot, op. cit., p. 12.
29 Ruth Amossy, « Du cliché et du stétéotype. Bilan provisoire ou anatomie d’un parcours », dans Le Cliché, textes réunis par Gilles Mathis, Presses Universitaires du Mirail-Toulouse, 1998, p. 22.
30 « Le terme de variations réfère, dans mon idiolecte, à l’axe horizontal de la hiérarchie des textes. Il déclare que la variabilité est un caractère essentiel de tout texte médiéval. » (Paul Zumthor, « Intertextualité et mouvance » dans Intertextualités médiévales, p. 12).
31 Codex and Context, Reading Old French Verse Narrative in Manuscript, 2 vols, Amsterdam-New-York, Rodopi, 2002.
32 « The declineation between scribe and remanieur is not always entirely clear, although a working distinction might be to reserve the term remaniement for a process and end-result requiring., forethought and careful planning; scribal activity is taken here to mean that which occurs during the actual copying. » (ibid., p. 70).
33 Il pouvait s’agir de modifications par synonymie : « One of the features of E2’s treatment of his model is the substitution of synonyms or near-synonyms. For example, he writes pucelles at l. 267 where C (and all the other witnesses) have fees, mangier at l. 349 for souper, courtoise for vaillant at l. 360, ennuit for poist at l. 362, pourtaste for tastone at l. 391, esbaie for ennoie at l. 414, oïrent for entendirent at l. 471, musarde for vileine at l. 478, widier for delivrer at l. 571, and so on. » (ibid., p. 70), d’adverbes et de conjonctions : « Substitution of adverbs and conjunctions at the beginning of lines is also common : Or for Bien at l. 268, Or for Mes at l. 269, Si for Puis at l. 300 and l. 352, Que for Car at l. 399, Si for Et at l. 579, and so on. » (ibid., p. 70) ou de changement dans l’ordre des mots, à cette condition que la rime n’en soit pas affectée : « Variation in word-order is common, particularly in the first part of the line » (ibid., p. 71) et « In fact, it is clear that metre and rhyme form the parameters of this kind of variance, and where a variant has consequences for the metre, adjustement has to be made. » (ibid., p. 71).
34 La notion de mouvance doit sa paternité à Paul Zumthor : « Le terme d’« œuvre » ne peut donc être pris tout à fait dans le sens où nous l’entendons aujourd’hui. Il recouvre une réalité indiscutable : l’unité complexe, mais aisément reconnaissable, que constitue la collectivité des versions en manifestant la matérialité ; la synthèse des signes employés par les « auteurs » successifs (chanteurs, récitants, copistes) et de la littéralité des textes. La forme-sens ainsi engendrée se trouve sans cesse remise en question. L’œuvre est fondamentalement mouvante. » (Essai de poétique médiévale, Paris, Seuil, 1972, p. 73).
35 « This kind of surface variance may not even have been regarded as variation by scribes in the second half of the thirteenth century. The widespread occurrence of both orthographical diglossia and morphological variants in these ‘mirror copies’ stems partly from the obligation scribes felt to retain the dialect of their model at the rhyme and where metre depended on it, partly from a real flexibility and instability in Old French spelling, morphology, and syntax. » (Keith Busby, op. cit., p. 85).
36 « La variance de l’œuvre médiévale est son caractère premier, altérité concrète de la mobilité discursive » (Bernard Cerquiglini, Éloge de la variante, Histoire critique de la philologie, Paris, Seuil, 1989, p. 111).
37 À la page 313.
38 Francis, Dubost, « Un outil pour l’étude des transferts de thèmes : le Thésaurus informatisé des motifs merveilleux de la littérature médiévale », dans Transferts de thèmes, transferts de textes, Mythes, légendes et langues entre Catalogne et Languedoc, études réunies par Marie-Madeleine Fragonard, Barcelone, PPU, 1997, p. 23.
39 Jean-Pierre Martin, op. cit., p. 20.
40 Jean-Jacques Vincensini, op. cit., p. 59.
41 « Combinaison de traits de sens qui trouvent des expressions correspondantes mais variables au niveau du monde naturel, dans « ce que le langage ordinaire entend par « acception », « sens particulier » d’un mot ». (Jean-Jacques Vincensini, ibid., p. 60).
42 « Le motif est une entité virtuelle (les récits en offrent des manifestations variables). Il naît de la jonction de deux attributs invariants, soigneusement définis : ses figures, organisées en parcours ; son thème constant qui, plus profond que le niveau figuratif porte un investissement sémantique abstrait. » (Jean-Jacques Vincensini, ibid., p. 78).
43 Ruth Amossy, Les idées reçues, Sémiologie du stéréotype, Paris, Nathan, 1991, p. 9.
44 Ruth Amossy & Anne Herschberg Pierrot, op. cit., p. 26.
45 « Le lieu commun universalisait un contenu. Forme codée de l’intertextualité, il renvoyait globalement à un déjà-dit instaurant le particulier à la dignité du typique : mais un typique qui était un fait de culture, un texte hors-texte. Lieu commun : scène langagière où tous reconnaissaient l’image, à peine grimée, de ce qu’ils savaient d’eux-mêmes, miroir tendu au siècle par les phrases de son idéologie. » (Paul Zumthor, « Tant de lieux comme un », Études françaises, Montréal, avril 1977, no 30, p. 9).
46 Jean-Jacques Vincensini, op. cit., p. 109.
47 Ibid., p. 109.
48 Ibid., p. 109.
49 Ibid., p. 110.
50 Ibid., p. 110.
51 C’est ce que Jean-Jacques Vincensini nomme sa « polyphonie externe ».
52 Jean-Jacques Lecercle, « Du cliché comme réplique », dans Le Cliché, p. 130.
53 Jean-Jacques Vincensini, op. cit., p. 109.
54 Charles Méla & Emmanuèle Baumgartner, Précis de littérature française du Moyen Age, Paris, Presses Universitaires de France, 1983, p. 111.
55 Paul Zumthor, « Tant de lieux comme un », Études françaises, Montréal, avril 1977, no 30, p. 8.
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