Une approche de l’épistémologie dans la licence Sciences et Humanités
p. 215-231
Texte intégral
1À l’heure où j’écris, on compte dix membres du Centre d’Épistémologie et d’Ergologie Comparatives (CEPERC, UMR 7304 du CNRS) d’Aix-en-Provence dans l’équipe pédagogique de la licence Science et Humanités (licence S & H). Notre laboratoire fournit ainsi le contingent le plus important d’enseignants, qu’il s’agisse d’enseignants-chercheurs ou de chercheurs, à ce passionnant projet pédagogique. Les membres du CEPERC, même s’ils n’étaient alors pas aussi nombreux qu’aujourd’hui, ont été significativement présents dès l’origine du projet en œuvrant sensiblement à sa conception et, si je compte bien, à l’étiage, ils n’ont jamais été moins de six à enseigner dans la licence S & H depuis son ouverture en 2012. Cette participation importante invite donc à préciser le rôle et la place de l’épistémologie dans la licence S&H.
2Au cours des nombreuses discussions préalables où le projet fut façonné, certains collègues scientifiques ont formulé le souhait que soient dispensés des enseignements d’épistémologie, consacrés notamment aux auteurs les plus classiques (Karl Popper, Thomas Kuhn, etc.). Une proposition vigoureusement repoussée par les épistémologues. Il n’y a donc pas de cours d’épistémologie dans la licence S&H. Elle y est cependant très présente et elle a contribué de façon décisive à l’orientation des programmes des unités d’enseignements « Systèmes du Monde » (SdM) et « Logique, langage, calcul » et influencé certains des choix retenus dans l’unité d’enseignement « Optique, vision, couleur ».
3Dans ces pages, je me propose de décrire sommairement comment l’épistémologie est introduite, comme en contrebande, au sein des enseignements scientifiques de « Systèmes du Monde ». Pour ce faire, après avoir précisé ce que j’entends par épistémologie, je me place d’abord d’un point de vue contemporain : celui d’Einstein. J’en relève les trois ingrédients qui me semblent les plus essentiels : les rôles de la cosmologie, des mathématiques et de la sensation1. En comparant à cette occasion les vues d’Einstein avec celles de Poincaré je fais apparaître ensuite le trait principal qui distingue l’épistémologie de la science : la liberté dans le choix des principes. Ces éléments de l’épistémologie contemporaine ne peuvent être transmis avec toute leur signification à nos étudiants en raison de difficultés pratiques insurmontables. J’en énumère quelques-unes dans un troisième temps. Ces difficultés pourraient toutes être ramenées à un constat : on ne peut à la fois être dans le présent et hors du présent, être acteur et spectateur. Prenant acte de l’impossibilité pratique d’enseigner l’épistémologie du présent dans toute sa signification, je me tourne vers l’épistémologie du passé. L’histoire de la pensée théorique permet, lorsqu’on la borne à l’examen des rapports de la physique avec la cosmologie, les mathématiques et la sensation, de dégager nettement une pluralité finie, et assez restreinte, de conceptions de ces rapports, une pluralité que le présent tend à nous masquer. L’histoire de l’épistémologie est alors l’expédient pédagogique qui confère aux trois thèmes de la cosmologie, des mathématiques et de la sensation la signification que le présent ne peut lui rendre. Un bref descriptif du contenu des cours proprement dit, illustre enfin cette manière de procéder. L’ensemble de ces remarques permet également de faire apparaître des liens simples et naturels avec les enseignements dispensés dans d’autres UE, notamment avec ceux de LLC2. Il en ressort donc un mouvement obvie vers la transdisciplinarité. Ce point n’est pas anodin car la transdisciplinarité à laquelle invite l’épistémologie n’a pas à être pensée. Elle s’impose d’elle-même et elle conduit à la question de l’unité de la connaissance dont elle n’est que l’une des facettes. C’est sur quoi je conclus.
Qu’est-ce que l’épistémologie ?
4Le marché universitaire propose une quantité foisonnante de conceptions différentes de l’épistémologie. Plutôt que d’en faire un inventaire qui serait vite fastidieux, et inévitablement incomplet, modifions la question en abandonnant le terrain de la définition pour nous orienter vers celui de la fonction. Quelle est la fonction de l’épistémologie ?
5Einstein a proposé, dans une formule célèbre, une réponse à cette question : « L’épistémologie privée de contact avec la science est un projet condamné à la vacuité. La science sans épistémologie - pour autant qu’elle soit concevable - est primitive et embrouillée3. » Ici, le terme épistémologie est la traduction de l’anglais epistemology, lequel correspond à l’allemand Erkenntnistheorie. Sa traduction française devrait donc plutôt être « théorie de la connaissance ». En d’autres termes, Einstein invoque le concours, dans l’activité scientifique, de cette partie de la philosophie que l’on trouve dans les œuvres de tous les grands philosophes de Platon à nos jours. Chacun de ces philosophes, comme on le sait, se met en demeure de répondre principalement à deux questions : qu’est-ce que le Bien ? et qu’est-ce que le Vrai ? L’épistémologie ainsi conçue ne serait donc qu’une moitié de la philosophie dans le sens le plus classique du terme ou, si l’on préfère, ne serait concernée que par la question qui occupe le milieu de la philosophie depuis que celle-ci a ajouté au xviiie siècle qu’est-ce que le Beau ? à son programme. De sorte qu’il ne resterait plus qu’à consulter le répertoire des systèmes philosophiques dressé par l’histoire de la philosophie pour déterminer les épistémologies avérées jusqu’à ce jour. Mais la formule d’Einstein dit, et demande, plus que cela : science et épistémologie ne peuvent aller l’une sans l’autre. Or l’histoire montre sans équivoque que de nombreux systèmes philosophiques délivrent des théories de la connaissance qui n’ont eu aucune incidence sur la science, de même que de nombreuses pratiques scientifiques se sont développées dans une indifférence totale à l’épistémologie.
6Il faut donc changer d’angle de vue pour déterminer les lieux de fonctionnalité de l’épistémologie. Prenons alors un peu de hauteur en délaissant l’histoire de la pensée scientifique et de la philosophie pour adopter la perspective de l’histoire tout court, au sens le plus général du terme :
Trois moments essentiels dans l’histoire de l’humanité : le vie siècle avant Jésus-Christ et dans une moindre mesure le ive ; “le miracle des années 1620” ; le temps qui commence avec les quanta de Planck, les deux formulations de la relativité d’Einstein jusqu’à la première transmutation artificielle de Rutherford (1919) et la mécanique ondulatoire de Louis de Broglie (1923). Le reste, comparé à de telles densités d ’événements, n’est que vulgarisation et littérature4.
7La brutalité de la formule de Pierre Chaunu est assez déconcertante. Apollonius, Diophante, Saint-Thomas, Copernic, les Encyclopédistes, Laplace, Kant, vulgarisation et littérature ? Notons simplement qu’il serait prématuré d’en débattre avant d’avoir soupesé la véracité de la formule. Il est par contre certain que celle-ci doit être amendée et complétée.
8Au cours des années soixante, lorsque l’historien écrivait ces lignes, les questions concernant les fondements des mathématiques et les disciplines chargées de les étudier, la logique mathématique et la théorie des ensembles, n’avaient pas bonne presse en France, ceci notamment en raison de l’influence déplorable de Bourbaki. Il est probable que P. Chaunu ait été une des très nombreuses victimes de ce courant de pensée, ou plutôt de cette absence de courant de pensée. La densité d’événements de ces trois moments essentiels est indiscutablement redevable de l’essor des mathématiques et de la pluralité de leurs conceptions. D’autre part, il ne faut pas réduire les moments essentiels à leur acte de naissance. Il faut prendre également, et surtout, en considération leur acmé. Modifions alors la formule comme il se doit : du vie à la fin du ive pour ne pas oublier Euclide et tout ceux dont il recueille les œuvres ; jusqu’à 1717, date de la publication de la dernière édition de l’Optique de Newton, pour ne pas mettre celui-ci et Leibniz de côté ; jusqu’à 1936 où Alan Turing livre une analyse définitive du concept de calcul, pour se souvenir de Gödel et d’où viennent nos ordinateurs.
9Ces rectifications faites, que constatons-nous dans chacune de ces périodes décisives pour l’essor de la pensée théorique ? La réponse est évidente. Elle est dans la formule d’Einstein donnée plus haut. La science et la réflexion préalable sur la possibilité de son exercice ne font qu’une. Pour banal qu’il soit, ce fait semble avoir été perdu de vue depuis les années qui ont suivi la Seconde Guerre Mondiale. Le titre de l’ouvrage d’où est extraite la citation d’Einstein, Albert Einstein, Philosopher-Scientist, en témoigne. Il vient comme un cheveu sur la soupe dans les intitulés de la collection de la Library of Living Philosophers, dans laquelle il a été publié, où tous les autres volumes sont canoniquement nommés The Philosophy of X, où X désigne un philosophe reconnu comme tel par les professionnels de la philosophie. Il a fallu forger le néologisme de « savant-philosophe » pour désigner ce qui au tournant du xxe siècle était chose commune chez tous les grands savants.
10Donc, pour bien voir le sens de la formule d’Einstein, pour bien voir que la science et la réflexion préalable à l’exercice de la science ne font qu’une, pour enseigner l’épistémologie, sans même en mentionner le terme, aux étudiants de la licence S & H, il ne reste plus qu’à puiser dans les réservoirs des trois moments essentiels de Chaunu que, par commodité, j’appellerai désormais « pics (de la pensée théorique) ».
L’épistémologie dans « Systèmes du Monde »
11Pour présenter les ingrédients principaux avec lesquels est confectionné l’enseignement de l’épistémologie dans SdM, je me placerai du point de vue du présent, du troisième pic. C’est-à-dire que je continuerai à suivre comme fil directeur les conceptions d’Einstein. Ce choix présente un inconvénient, du moins au premier abord. Einstein, à la suite de la formule citée plus haut, ajoute que, contrairement aux épistémologues, qui sont systématiques, les scientifiques, confrontés aux faits de l’expérience, n’ont pour seul choix que d’être des opportunistes sans scrupules. Ils peuvent être réalistes, idéalistes, positivistes, platoniciens, voire pythagoriciens, quand leurs différents plans de l’approche de la nature l’exigent. Cependant, si l’autobiographie intellectuelle d’Einstein paraît se confondre avec le parcours des épistémologies attestées par l’histoire de la pensée théorique, ce n’est pas le cas pour tous ses pairs. Les deux savants dont il a le plus fréquenté les pensées, Henri Poincaré, dans ses années de formation, et Kurt Gödel, dans sa vieillesse, n’ont jamais souscrit à un tel éclectisme et la constance de leurs vues est légendaire, ou du moins devrait l’être. Voilà donc un premier ingrédient pour l’enseignement de l’épistémologie : oui à la vision einsteinienne de l’épistémologie ; non à son éclectisme.
Cosmologie
12Ce n’est peut-être pas une coïncidence : à chacun des pics de la pensée théorique correspond la naissance d’un nouveau cosmos. Les Grecs vivaient au centre d’un monde sphérique. Les hommes de l’Âge Classique habitaient un espace infini dans ses trois dimensions. Depuis Einstein, nous occupons un petit point sur une sphère à trois dimensions5.
13L’un des buts principaux de SdM est de faire comprendre aux étudiants que, lorsqu’on se place du point de vue de la filiation des idées qui conduisent jusqu’à la cosmologie actuelle, il faut distinguer trois types de visions du Monde, de Weltanschauungen comme disent les Allemands, en s’appuyant sur une double opposition. La première relève la différence entre les cosmogonies et les systèmes du monde qui ne sont pas des récits de la création de l’univers, c’est-à-dire, pour reprendre les termes d’Ernst Cassirer6, qui n’identifient pas les temps historique, biologique et physique. La Théogonie d’Hésiode s’oppose ainsi aux cosmologies des Ioniens, pour lesquels les apparences et leurs changements ne s’expliquent pas par une genèse des choses mais par le postulat de l’existence d’une substance unique et de ses transformations. Il semble même qu’avec l’illimité (apeiron) d’Anaximandre cette substance ne soit pas une chose tangible (comme l’eau de Thalès ou l’air d’Anaximène), mais un suprasensible comme l’est notre concept d’énergie. La seconde opposition est interne aux Weltanschaungen qui rejettent les récits de la création. On peut, dans ce cas, soit estimer que la cosmologie est impossible, car elle dépasse notre pouvoir de connaître, soit qu’elle est possible. Einstein adopte la seconde position – rappelons qu’il est à l’origine de la cosmologie du xxe siècle- tandis que Poincaré se range à la première. Pour ce dernier, il ne peut y avoir de théories physiques que pour les systèmes isolés (du reste de l’univers). Pour autant, ajoute-t-il, les physiciens sont incapables de réprimer une tendance irrésistible à s’aventurer sur le terrain de la cosmologie ou de la cosmogonie, lorsque celle-ci est comprise au sens restreint de la genèse de systèmes quasi isolés, comme, par exemple, le Système solaire7. Par ailleurs, exclure la cosmologie du domaine de la physique proprement dite ne revient pas à ignorer les rapports de la cosmologie et de la physique. En effet, pour la physique, la possibilité de répéter la même expérience suppose l’identité complète des conditions de l’expérimentation. Ce qui est matériellement impossible. Par conséquent, lorsqu’on dit avoir exécuté plusieurs fois la même expérience, on postule que l’état de l’univers reste inchangé lors des différentes exécutions d’une même expérience, alors que nous savons que « le monde change et même [qu’]il a toujours changé8 ». On ne doit donc pas considérer que la décision d’écarter la cosmologie des sciences physiques soit le résultat d’une forme d’indifférence. Simplement, principes cosmologiques et hypothèses cosmogoniques ne sont, ni les uns ni les autres, passibles d’une sanction par l’expérience comme le sont les hypothèses des théories physiques proprement dites.
14C’est principalement sur ces deux conceptions anti-cosmogoniques de l’univers que portent les cours de SdM. La présentation de la cosmogonie d’Hésiode étant destinée à bien faire saisir aux étudiants la différence entre cosmogonie et cosmologie et donc à s’interroger sur l’état présent de notre « cosmologie » qui, en vérité, est une cosmogonie, comme le disait d’ailleurs, en toute connaissance de cause, son précurseur, Georges Lemaître9.
15Ce fait, ou plutôt ce double fait, est l’un des ingrédients constitutifs de la construction de l’enseignement de l’épistémologie : les périodes d’épanouissement de la pensée théorique, les pics de Chaunu, sont associées à de nouvelles conceptions du cosmos et, au sein de cette culture cosmologique, certains savants estiment que la cosmologie ne peut relever de la science, tandis que d’autres sont convaincus du contraire.
Les mathématiques de la physique
16Le second but principal de SdM est d’enseigner les bases de la physique mathématique10, et plus particulièrement de la théorie de la gravitation puisque celle-ci, via l’astronomie, est étroitement associée à la cosmologie.
17Les exigences d’intelligibilité des Grecs les ont conduits à mathématiser tout ce qui pouvait l’être, mais ils ne nous ont pas laissé de théorie mathématique du mouvement des corps pondérables, pas de physique mathématique. À l’exception, pourrait-on objecter, de l’astronomie. Mais ce cas particulier s’explique très probablement par le constat du mouvement circulaire et invariable des fixes. Cette donnée, à la fois cosmique et observable, modèle de l’ordre, du kosmos, opposé au désordre, au khaos11, définissait vraisemblablement la méthode et le programme de recherche de l’astronomie grecque : réduire le mouvement des astres errants à des combinaisons de cercles. Ce qui revenait à découvrir dans le Monde des consonances entre les cercles analogues à celles livrées par les nombres dans l’harmonique.
18Dans le cas de la mathématisation des mouvements terrestres, de la gravitation, aucun objet mathématique n’est exhibé par la nature, comme l’est le cercle pour l’astronomie, pour lui servir de fondement. De sorte que surgit une énigme qui a fortement troublé les chercheurs depuis la naissance de la physique mathématique :
Comment est-il possible que la mathématique, qui est un produit de la pensée humaine et indépendante de toute expérience, puisse s’adapter d’une si admirable manière aux objets de la réalité ? La raison humaine serait-elle donc capable, sans avoir recours à l’expérience, de découvrir par la pensée seule les propriétés des objets réels12 ?
19La réponse que donne Einstein à sa question, dans « La géométrie et l’expérience », est très classique. D’abord, il ne faut pas s’étonner d’arriver à des conclusions logiques concordantes, dès lors qu’on s’est mis d’accord sur les axiomes et sur les méthodes de démonstration. Or, les axiomes ne sont que des définitions implicites privées de tout contenu. Par conséquent « Pour autant que les propositions de la mathématique se rapportent à la réalité, elles ne sont pas certaines, et pour autant qu’elles sont certaines, elles ne se rapportent pas à la réalité13 ». L’énigme ne provenait que d’un malentendu sur la nature des propositions de la géométrie qui, avant l’avènement de la méthode axiomatique moderne, n’étaient pas des propositions de mathématiques pures, mais possédaient un certain contenu intuitif.
20Einstein, dans « La géométrie et l’expérience », explique qu’il est parvenu à édifier la théorie de la relativité générale en accordant à la géométrie le statut d’une science naturelle « que nous pouvons en fait considérer comme la branche la plus ancienne de la physique ». Il adopte donc le point de vue, pour reprendre ses propres mots, selon lequel les propositions de la géométrie se rapportent à la réalité et qu’elles ne sont donc pas certaines.
21Comme il l’explique dans le même texte, c’est en s’opposant aux conceptions de Poincaré, qu’il juge logiquement irréfutables, qu’il en est venu à prêter à la géométrie le statut d’une science empirique. Il décrit assez justement les positions du mathématicien français dans les termes suivants. La géométrie (G), science déductive, ne peut rien prédire de la réalité. Ce qui est soumis au contrôle de l’expérience, c’est l’ensemble (G) + (P), où (P) désigne les lois de la physique. De sorte que (G), ainsi qu’une partie importante de (P), peuvent être choisies conventionnellement14 et que, ainsi, l’expérience ne nous contraindra jamais à rejeter une géométrie au profit d’une autre.
22En dépit de cette analyse, très correcte dans ses lignes essentielles, de la position de Poincaré sur les rapports de la géométrie et de la physique, la description d’Einstein laisse toutefois profondément à désirer car, si on se place du point de vue de Poincaré, la conception des mathématiques décrite par le savant allemand, inspirée par le positivisme logique et par les travaux de David Hilbert sur la méthode axiomatique en géométrie, présente deux lacunes importantes.
23Pour Poincaré la première question qui se présente, selon l’ordre de la constitution de la physique mathématique, est celle de la fécondité, et de l’origine, des mathématiques. Or si Einstein explique, du moins en première instance, pourquoi les propositions mathématiques sont certaines, son explication ne permet pas de rendre compte de la fécondité des mathématiques, laquelle est indiscutable puisque ces dernières ne se réduisent pas à une collection de tautologies. Mais c’est effectivement ce qui se produirait si les mathématiques étaient bâties sur des axiomes qui ne soient que des définitions nominales implicites librement choisies, comme le dit Einstein, c’est-à-dire sur des propositions vides de contenu.
24La fécondité des mathématiques, tout comme leur origine, repose sur une faculté générale de l’esprit : la possibilité de répéter indéfiniment une opération une fois que celle-ci a été possible15. L’arithmétique, la plus pure des disciplines mathématiques, dépend de cette faculté, mais ce n’est pas la seule. C’est également le cas de la théorie des groupes et du calcul différentiel et intégral. Ce fait, associé à la nature finie de l’esprit, a deux conséquences importantes. D’abord, « l’infini en acte n’existe pas », car sa connaissance dépasse notre pouvoir de connaître. Ensuite, pour sortir du fini et parvenir à des propositions générales valant pour une infinité de cas particuliers, l’esprit recourt à des jugements synthétiques a priori. Ceux-ci, dans le cas de l’arithmétique, remplissent le même rôle que le principe d’induction dans les théories axiomatiques auxquelles pense Einstein16.
25Seconde lacune : Einstein ne tient pas compte du cas crucial du continu, si important en physique mathématique puisque les fonctions continues y sont d’un emploi constant. Or, on le sait, le problème du continu n’est pas philosophiquement neutre. Poincaré, tirant les conséquences des deux thèses précédentes sur le rôle et la nature de l’esprit, en a donné une caractérisation qui est incompatible avec celle adoptée aujourd’hui dans les traités d’analyse mathématique et dans l’enseignement universitaire. Cette caractérisation, complètement perdue de vue, semble-t-il, revient à ne pas reconnaître la « droite réelle » comme un objet des mathématiques pures, mais comme la superposition de conventions propres à l’opération de mesure sur le continu topologique qui, lui, relève des mathématiques pures17.
26C’est en omettant ces deux questions fondamentales, au sens littéral du terme, des mathématiques, celles de la justification de l’induction et du continu, qu’Einstein a pu adopter sa vision nominaliste des mathématiques, comme l’ont d’ailleurs fait de nombreux mathématiciens et philosophes à la même époque.
27Pour conclure avec ces considérations, il faut noter que c’est au nom d’un même principe que Poincaré affirme que l’infini en acte n’existe pas et que la cosmologie est impossible, à savoir ce qu’il appelle l’infirmité de notre esprit, c’est-à-dire sa finitude.
La sensation
28« Dans l’évolution de la pensée philosophique au cours des siècles la question suivante a joué un rôle majeur : Quelle connaissance la pensée pure peut-elle délivrer indépendamment de la perception des sens ? Y a-t-il une telle connaissance ? Et si non, quelle est précisément la relation entre notre connaissance et le matériau brut fourni par nos impressions sensorielles18 ? » À la seconde de ces questions Einstein répond positivement sans appel.
29L’admiration d’Einstein pour Hume est notoire. Selon ses propres dires, il devrait à l’empirisme critique du philosophe écossais cette disposition d’esprit qu’il manifesta dans la critique systématique des idées newtoniennes, laquelle devait le conduire à l’élaboration de la théorie de la relativité. Cependant, s’il accorde à Hume qu’une pensée ne peut acquérir de contenu matériel qu’à travers les relations qu’elle entretient avec les sens, il ne peut accepter l’idée que toute forme de pensée qui ne serait pas réductible à la sensation ne soit que de la « métaphysique ». Pour accepter une telle thèse, il faudrait dénier leur valeur aux sciences naturelles. Or est-ce simplement possible ? Lorsque, en suivant le sensualisme de Berkeley, on affirme que la vision saisit des événements causalement reliés à la présence des choses, plutôt que les « choses » elles-mêmes, on est bien obligé d’admettre la validité de « la façon physique de penser ». Sinon il n’y aurait aucune raison d’interposer quoi que ce soit entre la chose vue et le sujet voyant dans l’explication de la vision. Bref, le principe de causalité n’est pas une simple croyance métaphysique et même le sensualisme ne peut en faire l’économie.
30Il y a donc une forme de connaissance irréductible aux impressions sensibles. Quelle réponse Einstein donne-t-il alors à sa troisième question sur les rapports de la pensée et de la sensation ? En vérité, il ne répond pas à la question qu’il soulève car il y a, pour lui, un gouffre logiquement infranchissable entre le matériau brut de nos impressions sensibles et le registre de notre pensée. D’un point de vue logique, lorsque nous pensons, nous employons des concepts qui sont inaccessibles à partir du matériau livré par la sensibilité : « Les concepts qui apparaissent dans nos pensées et dans nos expressions linguistiques sont tous des créations libres de la pensée qui ne peuvent être obtenues inductivement à partir des données sensibles ».
31Pour Poincaré, on ne jouit pas d’une telle liberté dans le choix des concepts de la théorie physique. D’abord, les axiomes de l’arithmétique, et donc de toute la mathématique pure, s’imposent à nous. Ensuite, entre le domaine des mathématiques pures et les données brutes des sens, qui sont sollicitées dans toute expérimentation via la lecture des instruments de mesure, vient s’intercaler le cortège des conventions. Celles-ci sont de trois types différents selon qu’elles portent sur les opérations de mesure, sur l’espace et le temps ou sur les principes de la physique. Or, si nous disposons d’un certain choix pour chacun de ces types de conventions, ces choix ne sont pas entièrement libres. Ils sont déterminés par une certaine valeur d’usage, par l’état historiquement donné des théories et, également, par leur convenance avec notre propre nature, c’est-à-dire par ce que Poincaré nomme leur commodité. Par exemple, l’espace, qui est un cadre que nous imposons à la nature, peut être choisi librement dans la liste restreinte des espaces à courbure constante. Mais ce choix est conditionné aussi bien par la simplicité que par sa conformité avec la façon dont nous (les humains) nous représentons l’espace. Pour répondre à cette dernière condition, il faut tenir compte du rôle de nos différentes sensations (visuelles, tactiles et cinesthésiques) et du milieu dans lequel elles s’exercent. Ce qui n’est possible qu’avec le recours de l’esprit, qui ordonne les séries de sensations, et de l’imagination, qui nous permet de nous représenter des séries de sensations. L’analyse critique, proprement épistémologique, de l’origine du concept d’espace repose donc sur un agencement des rôles de l’esprit, de l’imagination et de la sensation. Par conséquent, il n’y a pas d’abîme infranchissable entre la sensation et la formation de nos concepts.
32Enfin, nos sens nous trompent. Ne nous permettant pas de discerner des sensations d’intensité objectivement distinctes19 ils nous conduisent à des paralogismes que l’esprit viendra corriger avec les ressources propres aux mathématiques pures20. Ces chaînons intermédiaires entre l’esprit et la sensation que sont les conventions ne sont donc pas les seuls à être soumis au jeu des facultés de l’esprit ; les sensations elles-mêmes, pour participer à la connaissance, doivent être mises en forme par l’entendement.
33Les lecteurs de Descartes ne manqueront pas d’être frappés par la similitude de la théorie de la connaissance de Poincaré avec celle du savant de l’Âge Classique, lequel emprunte, pour une large part, sa nomenclature à Aristote. C’est donc à bon droit qu’Einstein inscrit dans une tradition millénaire l’épistémologie sans laquelle la science serait impossible.
Épistémologie et histoire des sciences
34Après cette énumération sommaire des ingrédients majeurs des épistémologies d’Einstein et de Poincaré, il resterait, pour l’enseignement, à donner l’exposé synthétique, systématique et complet des conceptions des deux savants. Un tel exposé ne pourrait éviter son véritable corps d’épreuve : la comparaison de leur théorie de la relativité du mouvement. Privé de ce prolongement dans le cœur même de l’activité scientifique, la comparaison des épistémologies d’Einstein et de Poincaré perdrait tout son sens ; elle deviendrait, comme le dit Einstein, « un projet condamné à la vacuité ». Malheureusement, on ne peut même pas songer à inscrire un tel enseignement au programme de la licence S&H. De nombreuses raisons, de différentes natures, s’y opposent.
351) La licence S & H ne dispose pas d’un nombre d’heures suffisant pour former les étudiants de sorte qu’ils puissent assimiler les différences techniques (mathématiques et physiques) entre ces deux formes de la théorie de la relativité.
362) De plus, pour qu’il soit possible d’entreprendre ne serait-ce que l’ébauche de cette synthèse, il faudrait que les passages de témoin entre l’épistémologie et la physique se fassent sans coup férir. Malheureusement, les idiosyncrasies disciplinaires ne disparaissent pas en un jour et on rencontre ici les mêmes difficultés que celles signalées par Gabriella Crocco pour LLC dans l’article ci-contre. Il est donc inutile d’y revenir. Je remarquerai seulement que le cas de la physique est plus compliqué que celui des mathématiques puisque la première hérite des questions épistémologiques des secondes, comme je l’ai indiqué ci-dessus, auxquelles s’ajoutent celles qui lui sont propres, comme le rôle de la cosmologie et de la sensation. La multiplicité des fronts sur lesquels la physique rencontre l’épistémologie rend donc très difficile, pour ne pas dire pratiquement impossible, tout débat ordonné entre physiciens et épistémologues sur le mode d’exposition approprié de leurs rapports.
373) Cette situation regrettable s’explique en partie par le fait que la conception einsteinienne de la théorie de la relativité est devenue comme une seconde nature chez les physiciens et qu’elle a ainsi complètement éclipsé la conception poincaréenne. Ceci bien que Hendrik Lorenz, dans un article célèbre de 192121, ait attiré l’attention des physiciens sur la spécificité et l’importance de l’approche de Poincaré et que, soixante-quinze ans plus tard, des historiens de la physique22 ou des physiciens23 en aient fait de même. Cette imperméabilité actuelle des physiciens aux conceptions de Poincaré fait qu’ils ne sont plus à même de reconnaître les cas où les progrès réalisés dans la compréhension des fondements de la théorie de la relativité sont redevables de la méthodologie scientifique de Poincaré. On peut donner comme exemple l’usage des groupes de symétrie. Ceux-ci occupent une place croissante en physique théorique depuis plusieurs décennies et ils ont permis une plus grande intelligibilité des fondements de la relativité24, comme des autres branches de la physique. Or Poincaré exploite systématiquement les groupes dans son mémoire Sur la dynamique de l’électron, tandis qu’Einstein dans Sur l’électrodynamique des corps en mouvement se borne à signaler à la fin de son exposé de la partie cinématique25 que « [l]es transformations parallèles [employées dans le théorème d’addition des vitesses] forment, comme il se doit, un groupe ». C’est ce rôle primordial attribué aux groupes qui a permis à Poincaré de voir immédiatement quelle devait être la structure de l’espace-temps de la relativité restreinte26.
384) Poincaré n’a pas manqué de souligner qu’il allait de soi que sa méthodologie scientifique devait être associée à son épistémologie. Cependant, aussi bien l’article de H. Lorentz que les travaux récents qui ont tenté de réhabiliter l’approche de Poincaré ignorent cet aspect, lequel explique bien des choses sur ce qu’Olivier Darrigol appelle l’incommensurabilité de ces deux théories.
395) Il n’y a pas actuellement de consensus sur ce que doit être exactement la théorie de la relativité générale (il y a évidemment consensus sur le fait que la loi de la gravitation d’Einstein est correcte) un siècle après qu’Einstein en a donné la première formulation. Cette observation provoque systématiquement la perplexité des physiciens. Il y a pourtant une question préalable qui divise de fait et de droit au sujet de la nature de la relativité générale : le rôle et la place de la cosmologie relativiste. Einstein n’a jamais conçu son cosmos comme une application de la relativité générale aux données observationnelles de l’astronomie. Pour lui, la théorie de la gravitation demeurait incomplète, bancale, et même incohérente, tant qu’elle n’était pas complétée par une solution cosmologique. La cosmologie relativiste n’est donc pas un prolongement ou une application de la relativité générale. Elle doit être l’un des piliers de la théorie. Le choix entre cette dernière possibilité et la solution « application aux données astronomiques » divise de fait les théoriciens, même si, à peu de choses près, on ne trouve qu’Einstein et Gödel dans le premier camp. Comme les équations de la relativité générale sont formellement compatibles avec une infinité de cosmologies, une nouvelle alternative se présente aux membres du premier camp : les équations de la relativité générale doivent-elles être généralisées inductivement à l’ensemble de l’univers ou bien doivent-elles être déduites de postulats cosmologiques ? Einstein qui avait suivi la première voie lorsqu’il a élaboré la théorie s’est finalement rangé, une trentaine d’années plus tard, au point de vue de Gödel qui a proposé la seconde27.
40Bref, l’état de la question est trop confus pour que l’on puisse aujourd’hui établir un programme d’enseignement de la théorie de la relativité qui intégrerait la part d’épistémologie indispensable pour son intelligibilité complète.
41Il faut donc suivre une autre voie pour sensibiliser les étudiants à l’épistémologie, c’est-à-dire pour leur faire comprendre en quel sens les théories physiques sont dépendantes des ingrédients énumérés précédemment (rôles de la cosmologie, des mathématiques et de la sensation) et des choix possibles qui se présentent pour chacun d’entre eux.
42La physique, dans la licence S & H, et dans SdM en particulier, est enseignée selon la voie historique. Par exemple, on présente d’abord les lois de Kepler. Suit la loi de Galilée sur la chute des corps. Puis les Principes de Newton qui rassemblent sous une seule loi les lois précédentes. Il n’y a là rien d’original et il est fort probable que de nombreux enseignants de physique procèdent de même manière. L’important est dans ce fait pédagogique sur lequel il faut insister : l’enseignement de la physique récapitule l’histoire. C’était un trait méthodique des traités de physique il y a encore un siècle. Ce l’est toujours, car bien que la loi de la gravitation de Newton soit un cas particulier de celle d’Einstein, on commence toujours par enseigner la première avant la seconde. Mais, curieusement, au nom d’une discrétion qu’on s’explique mal, ce principe pédagogique est rarement ou insuffisamment affiché.
43La différence entre ce principe pédagogique implicite et celui adopté dans la licence S & H est que nous essayons, avec les moyens qui sont les nôtres et dans des limites raisonnables, de suivre l’histoire avec le plus de scrupules possibles. L’article d’Olivier Morizot, où la gestation des lois de Kepler est minutieusement analysée illustre parfaitement ce choix. On tire de sa lecture une leçon beaucoup plus générale formulée, comme le rappelle O. Morizot, par Gérard Simon : si les ethnologues voulaient s’épargner de longs voyages, ils pourraient se contenter de la lecture des ouvrages du xvie siècle qui garnissent les rayons de nos bibliothèques.
44Cette approche historique de l’enseignement de la physique28 semble concorder parfaitement avec ce que dit Isabelle Koch dans l’article ci-contre : « On dit souvent que l’étude du passé doit “éclairer” le présent. Pourtant, et plus probablement, sa fonction première est plutôt d’éclairer le passé, c’est-à-dire de nous rendre intelligibles des structures de pensée décalées des nôtres là même où, souvent, elles s’énoncent en des termes inchangés ». L’histoire, en fin de compte, est faite d’excursions dans le passé « dont on peut espérer ramener quelque dépaysement fécond de notre regard ».
45J’observerai d’abord que mon impression est l’exact contraire de celle d’I. Koch. Je ne vois plus grand monde affirmer que l’histoire éclaire le présent. Ce mouvement actuel de la pensée, dont Paul Veyne et Foucault ont été les principaux promoteurs, du moins en France, me paraît régner aujourd’hui sans partage. G. Simon, dont les travaux sont les sources de nombreux cours de la licence S & H, tout en reconnaissant que la science est sans doute le seul domaine de l’activité humaine où l’on puisse réellement parler de progrès, en est venu à théoriser cette orientation pour l’histoire des sciences elle-même avec, pour conséquence, la dévalorisation de l’épistémologie29.
46Lorsque nous constatons qu’Aristote condamne le recours à l’arithmétique dans les démonstrations géométriques ou qu’il affirme qu’un nombre est toujours fini ou, encore, qu’il distingue les êtres incomposés des êtres composés, nous ne ressentons pas le moindre dépaysement. De sorte, qu’aux côtés de l’histoire dépaysante, il semble bien qu’il faille continuer d’admettre qu’il existe une histoire qui peut éclairer le présent, c’est-à-dire qui nous révèle l’existence de certains problèmes invariants au cours de l’évolution de la pensée théorique. Ce que sont les nombres, ce qu’ils peuvent et pourquoi ils le peuvent, sont des exemples de ces problèmes que l’on retrouve invariablement dans les pics de la pensée théorique. C’est pourquoi nous pouvons, avec tous les scrupules dus à l’histoire, nous tourner sereinement vers le xviie siècle, ce segment de l’histoire dont nous ne sommes plus les acteurs pour introduire les étudiants aux problèmes épistémologiques du présent dont les ingrédients ont été énoncés plus haut.
Enseignement de l’épistémologie
47L’introduction à cette conception de l’épistémologie s’étale sur 12 heures en première année consacrées à Descartes, 10 heures en deuxième année sur Newton30 et 8 heures en troisième année autour d’Einstein. Ces contraintes imposent donc des restrictions drastiques sur le choix des matières. Le fil conducteur de l’histoire est le premier guide pour déterminer ces choix.
48C’est sur la base d’une critique systématique des concepts newtoniens d’espace, de temps, de mouvement et de masse qu’Einstein élabore la théorie de la relativité. C’est en critiquant systématiquement les idées de Descartes sur ces mêmes concepts que Newton a élaboré les Principes mathématiques de philosophie naturelle. Les modalités de la critique des concepts ne sont sans doute pas soumises à la loi de la double négation, cependant il est permis de supposer qu’il puisse y avoir certaines parentés entre X et Y lorsque Y=critique de (critique de X). Un examen approfondi, qui dépasserait largement le cadre de cet article, montrerait que cette formule, où Y, X et critique de X désigneraient respectivement Einstein, Descartes et Newton, comporte une part de vérité large et inattendue. Cependant cette formule n’a pas de solution unique et il y a, nous l’avons vu sur le cas circonscrit de la théorie de la relativité du mouvement, au moins deux solutions à considérer, la solution Einstein et celle de Poincaré. La différence entre ces deux solutions tient, pour continuer à filer la métaphore, à leur paramétrage épistémologique.
49Comme il ne peut être question de donner ici un résumé de ces trente heures de cours, je me borne à mentionner les principaux thèmes développés dans celles-ci sans tenir compte des ordres didactiques et chronologique de leur exposition.
501) Le postulat de la « logique » de ce développement historique est présenté d’emblée aux étudiants : c’est pour comprendre Einstein que nous étudions les différences entre les pensées de Descartes et de Newton. L’enjeu étant de comprendre laquelle de ces deux pensées semble le mieux répondre aux exigences de notre époque sur la nature des théories physiques.
512) Un aspect important de l’opposition entre les théories de la relativité d’Einstein et de Poincaré peut être, très artificiellement, isolé du corps de ces théories. Il s’agit de la conception de l’espace adoptée par chacune d’elles. Chacune repose sur une critique de ce que l’on nomme habituellement de façon très vague « l’espace absolu de Newton ». On peut décrire sommairement les positions de Poincaré et d’Einstein à ce sujet comme suit.
52Poincaré : L’espace (comme le temps) est un cadre que nous imposons à la Nature ; celui-ci est destiné à circonscrire, comme la scène d’un théâtre, les phénomènes qui doivent être décrits par des lois. Ce cadre n’a aucune existence en dehors de nous. Par conséquent, tant qu’il suffira aux besoins de la physique, nous pouvons conserver l’espace de Newton. Et, évidemment, la physique n’a pas découvert, et ne peut nous faire découvrir, ce qu’est réellement l’espace puisque c’est nous qui l’avons construit. En d’autres termes, la géométrie, science qui décrit la forme des espaces, est une discipline mathématique et ses propositions ne peuvent ni être confirmées, ni être infirmées par l’expérience.
53Einstein : L’espace de Newton est une entité physique qui agit sur les phénomènes sans en subir l’action. Ce qui est contraire à la méthode scientifique. Un concept d’espace conséquent, qui corresponde à la réalité, doit tenir compte de l’influence de la matière sur sa structure. Donc, tout comme chez Newton, l’espace existe en dehors de nous, quitte à devoir le baptiser du nouveau nom de champ métrique, et découvrir sa structure relève de la théorie physique.
54Ce problème de l’espace est le terminus ad quem, en troisième année, des cours d’épistémologie. Les enseignements qui le précèdent en première et deuxième années sont destinés à faire voir que ce problème dépend étroitement des trois ingrédients de l’épistémologie décrits plus haut.
553) Il faut donc que les étudiants comprennent au préalable ce qu’est l’espace de Newton. Pour ce faire, on s’appuie sur un manuscrit que Newton n’a pas publié et que les spécialistes considèrent comme le plus philosophique de ses écrits, le De gravitatione, ainsi que sur certains passages des Principia. Le De gravitatione est une critique systématique des idées de Descartes, que Newton connaissait très bien. Aucune des thèses fondamentales de Descartes comme, par exemple, la distinction de l’âme et du corps, la passivité de la matière (opposée à l’activité de l’esprit) ou même la thèse de la libre création des vérités éternelles, n’échappe à l’inventaire critique de Newton. Mais ce qui domine, dans ce texte, ce sont les critiques, d’une part, de la distinction cartésienne entre infini et indéfini et, d’autre part, de l’identification de la matière et de l’espace. La première critique est une revendication cosmologique : l’espace est infini, alors que pour Descartes il est indéfini, c’est-à-dire qu’on ne peut qu’affirmer que nous, les hommes, n’y voyons pas de limites. La seconde critique vise à justifier l’existence de corps pondérables se mouvant dans un milieu n’offrant aucune résistance. Les deux critiques, prises ensemble, dessinent les traits essentiels de l’espace newtonien. C’est un être suprasensible dans lequel le changement de lieu ne s’explique pas à l’aide des positions relatives des corps matériels mais par les différentes positions qu’occupe un corps matériel au sein de cet être suprasensible.
56Bien que le De gravitatione ait probablement été un manuscrit préparatoire pour les Principia, on ne trouve dans ce dernier ouvrage que très peu de références explicites à Descartes (quatre, exactement). Mais de nombreux passages attaquent délibérément Descartes sans le nommer. À commencer par la Préface, on ne l’a pas assez remarqué, où Newton se livre à une critique en règle de la prédominance, formulée par Descartes dans La géométrie, des courbes géométriques sur les courbes mécaniques.
574) Les critiques de Newton sont bien souvent des pétitions de principes plutôt que des examens analytiques. Mais ce qui compte, c’est que de ses écrits de jeunesse jusqu’à la veille de la publication des Principia, il se soit confronté à la pensée de Descartes et qu’il ait dit noir à chaque fois que Descartes disait blanc, et inversement. Les quelques heures consacrées à Descartes en première année exposent les éléments de sa pensée indispensables pour illustrer ce fait historique. Les rapports de l’infini, du fini et de l’indéfini et comment ceux-ci retentissent dans les mathématiques, la métaphysique et le système du Monde occupent la première place dans cet exposé. Mais ces développements sont intégrés dans la perspective du projet cartésien : constituer une « science générale qui explique tout ce qu’il est possible de rechercher touchant l’ordre et la mesure, sans assignation à quelque matière particulière que ce soit », c’est-à-dire une physique mathématique générale. Dans sa jeunesse, Descartes croyait que cette science, avec sa méthode mathématique ascétique, pouvait se suffire à elle-même. Il a constaté à ses dépens que lorsqu’on fait de la science, on fait toujours de l’épistémologie sans le savoir et que cela conduisait à des difficultés car, comme le dit Poincaré, les hypothèses que l’on fait sans le savoir sont les plus dangereuses. En l’espèce, cette épistémologie était constituée de relents d’aristotélisme, lesquels accordaient une place indue à la sensation, notamment dans la formation des objets de la géométrie. Descartes a donc dû faire de l’épistémologie, ce dont il croyait pouvoir se passer. C’est-à-dire, comme il l’écrit à plusieurs reprises, qu’il a dû donner les fondements de sa physique. Une entreprise qui revient à expliquer pourquoi les mathématiques, qui sont le produit de notre esprit, peuvent s’appliquer aux choses matérielles, qui ne sont certainement pas le produit de notre esprit. Ces fondements de la physique mathématique sont décrits dans les Méditations métaphysiques. Ce qui ne saute pas aux yeux de qui feuillette cet ouvrage pour la première fois. En tout cas, cela ne semble pas avoir sauté aux yeux de Newton. Il est vrai qu’il n’avait pas à se poser ce genre de questions puisque, pour lui, les objets de la géométrie sont déjà tous là à peupler l’espace insensible et à attendre que nous les révélions en traçant sensiblement leurs figures.
58Retenons que métaphysique chez Descartes désigne la même chose que épistémologie chez Einstein, à ceci près que Descartes, ayant eu l’intention de bâtir les fondements de la physique mathématique une fois pour toutes, a dû aller plus au fond des choses que ne l’ont fait ses successeurs.
595) La comparaison des doctrines de Descartes et de Newton s’impose d’elle-même puisque c’est un fait historique qui permet de mieux comprendre ce que sont le temps, l’espace, le mouvement, la masse, la force, la cinématique et les mathématiques newtoniennes. Mais cette comparaison n’est pas un terrain d’élection pour l’épistémologie. Par une curieuse ironie du sort l’imaginaire des physiciens a retenu que Newton, le physicien, avait renvoyé Descartes, le métaphysicien compromis avec les preuves de l’existence de Dieu, aux oubliettes de l’histoire de la physique. Il fallait donc aussi conjurer ce mauvais sort et montrer aux étudiants que, contrairement à ces idées trop facilement reçues, c’est Newton qui compromet la physique avec la théologie puisque pour lui les phénomènes naturels sont des signes déposés par Dieu dans la Nature et que leur déchiffrement ne vise à rien d’autre qu’à nous Le faire connaître. On ne trouve rien de tel dans la métaphysique de Descartes où Dieu désigne l’ensemble des causes dont les effets sont l’existence de ce Monde peuplé, entre autres, de ces créatures, les hommes, qui pensent. Prétendre expliquer l’origine du Monde ou de la pensée, ou d’êtres corporels doués de pensée, reviendrait à oublier les limites de notre esprit qui ne peut embrasser que des séries finies de causes. Progresser dans la connaissance, c’est faire reculer, par l’exercice de la volonté, les limites de ces séries. Croire que l’on puisse outrepasser ces limites indéfinies en s’appuyant sur des raisonnements infinitaires, c’est se prendre pour Dieu, à qui est réservé l’attribut distinctif de l’infini. Poincaré affirmait que l’infini en acte n’existe pas. Descartes jugeait qu’il est réservé à Dieu inconnaissable et créateur de toutes choses.
60La comparaison entre Newton, le dernier des Babyloniens, comme l’a dit en connaissance de cause John Maynard Keynes31, et Descartes, le descendant des Grecs, est donc bancale. Il aurait été préférable, pour l’enseignement de l’épistémologie, de comparer ce dernier à Leibniz. Mais, malheureusement, comme l’a observé l’un de ses interprètes, à peine ce génie était-il enterré qu’on l’avait déjà oublié, de sorte que sa pensée n’a pu jouer dans l’histoire le rôle qui aurait dû être le sien.
Conclusion : l’unité de la connaissance comme perspective de l’épistémologie
61La conception de l’épistémologie présentée succinctement ci-dessus conduit inévitablement à ignorer les frontières entre disciplines instituées (philosophie, physique, mathématiques, histoire des sciences, histoire de la philosophie, histoire des idées, ...) puisque l’épistémologie n’est pas un discours autonome rapporté qui viendrait commenter les résultats et les méthodes de la science, mais une partie propre de l’activité scientifique dont le contenu se recueille dans l’histoire comme dans le présent. L’épistémologie ne peut donc être que transdisciplinaire. Mais de surcroît elle l’est à un second titre. Voici pourquoi.
62Au vu des cas considérés ici, l’épistémologie semble être l’apanage de pensées d’exception (comme celles de Descartes, Newton, Poincaré ou Einstein). On ne doit pas en déduire qu’elle soit réservée aux scientifiques de premier plan. Elle appartient à notre patrimoine intellectuel au même titre que les découvertes scientifiques de ces savants et il est très utile que les étudiants sachent sur quels principes préalables à la science reposent les théories scientifiques. Par contre, ce qui est l’apanage de nos quatre savants, lorsqu’ils font explicitement de l’épistémologie, ce sont leurs interrogations sur la question centrale de l’unité de la connaissance. Or l’épistémologie, associée à l’enseignement des sciences, telle qu’elle est proposée ici, n’est qu’une des facettes de cette réflexion sur l’unité de la connaissance. De sorte que la recherche en épistémologie est affectée d’une tendance naturelle qui donne l’envie à l’épistémologue d’épouser, en mariée aussi obéissante qu’amoureuse, la cause de l’unité de la connaissance. Il faut donc distinguer le praticien de l’épistémologie, qui navigue aux frontières des disciplines par nécessité professionnelle, de l’épistémologue qui fait de l’épistémologie parce qu’il aime ça et qui, pour cette raison, s’éprend de l’idée de l’unité fondamentale des connaissances. Mais que peut-il y avoir de plus transdisciplinaire que la recherche de l’unité de la connaissance ?
63Donc, comme praticien ou comme amoureux, l’épistémologue va inexorablement vers la transdisciplinarité.
64Va pour le praticien. Mais pour l’amoureux ? Aujourd’hui, l’idée d’une unité de la science, et a fortiori celle d’une unité de la connaissance, est battue en brèche par la majorité, sinon la totalité, des épistémologues contemporains. Pour ceux-ci, les lois scientifiques forment un patchwork de connaissances locales et il faut cesser une fois pour toutes de croire à la possibilité d’une mise en ordre des savoirs. Ce serait même le devoir de l’épistémologie de mettre un terme à une telle croyance32. D’ailleurs, l’unité de la science est-elle simplement possible ? Si Aristote ou Descartes pouvaient embrasser toutes les connaissances de leur temps, n’est-ce pas parce que celles-ci étaient très maigres par rapport aux nôtres ?
65Pour répondre à cette dernière objection, il suffit d’observer que la question de l’unité de la connaissance ne doit pas être assimilée à celle de l’omniscience. Quant à l’opposition radicale entre les courants actuels de l’épistémologie et la conception proposée ici, il faut l’apprécier en tenant à l’esprit deux observations.
66D’abord, à l’époque d’Einstein et Poincaré, les scientifiques de premier plan n’étaient pas les seuls à être concernés par la question de l’unité de la connaissance ; celle-ci, comme le rappelle ci-contre G. Crocco, était également au cœur des préoccupations de tous les courants philosophiques importants.
67Ensuite, lorsqu’on préfère un âge où on se demande quelle est la bonne théorie unitaire de la connaissance ? à un autre où on ne se demande même plus pourquoi une théorie unitaire de la connaissance ? on ne fait que tirer par provision la leçon d’un constat dressé par l’histoire : renouveau de l’esprit scientifique et interrogation sur l’unité de la connaissance sont les matières primordiales et indissociables des trois moments essentiels de Chaunu. Or, préférer la situation actuelle de l’épistémologie à celle qui prévalait au début du xxe siècle revient, d’une part, à identifier de façon hasardeuse nouveautés et progrès et, d’autre part, très vraisemblablement, à négliger le fait que les tendances actuelles de l’épistémologie ne peuvent être dissociées de l’état contemporain de la culture, au sens le plus large du terme, et même, plus généralement, de l’état de la civilisation occidentale.
68Adhérer à l’état actuel de l’épistémologie revient donc à faire l’économie d’un diagnostic du présent. De fait, notre époque semble bien, non seulement sur le problème de la nature et l’origine de la connaissance, mais, encore plus, sur l’état de nos disciplines scientifiques, en pleine confusion. Dissiper quelques-unes de ces confusions, en attendant de retrouver des jours meilleurs, est une perspective de recherche et d’enseignement à laquelle l’épistémologie doit prendre sa part. Bien qu’ayant présenté dans les pages précédentes une version trop restreinte des tâches de l’épistémologue, j’ai déjà mis en cause l’une de ces confusions : celle qui consiste à croire que la théorie einsteinienne de la relativité n’est que de la physique. Cesser de prendre de la philosophie pour de la physique est une forme de progrès. Mais la théorie d’Einstein n’a pas partie liée seulement avec la philosophie. Elle l’a également, et inévitablement, avec la cosmologie. Partant de la cosmologie d’Einstein, le xxe siècle est arrivé, au terme d’une suite de comédies des erreurs, à la cosmologie créationniste actuelle, ceci au grand dam du savant (voir la note 5 ci-dessus).
69La cosmologie est donc compromise avec le mythe. Ce n’était pas inévitable mais ce n’est pas très surprenant. Il fallait bien que quelque chose vienne occuper la place laissée vacante par la disparition de la religion dans la culture contemporaine. La confusion du scientifique et du mythique n’est pas une exclusivité de la cosmologie et sur ce plan, que ce soit pour les épistémologues ou pour les autres, il y a sans doute bien du grain à moudre.
Notes de bas de page
1 Il faut avertir le lecteur que, en général, ces ingrédients sont ignorés dans les études einsteiniennes, pourtant si nombreuses.
2 Faute de place, et par commodité, j’ai orienté délibérément mon propos pour faire apparaître les rapports de « Systèmes du Monde » avec « Logique, langage, calcul ». Mais il aurait été possible de faire de même pour « Optique, vision, couleurs ».
3 « Epistemology without contact with science becomes an empty scheme. Science without epistemology is - insofar as it is thinkable at all - primitive and muddled », Albert Einstein, « Reply to criticisms » dans Albert Einstein Philosopher-Scientist, Paul Arthur Schilpp éd., La Salle, Illinois, 1949, p. 683-684.
4 Pierre Chaunu, La civilisation de l’Europe classique, Paris, Arthaud, 1966, p. 399.
5 Vue de la Terre et de ses environs, cette sphère semble être en expansion. Comme on le sait, de cette apparence la cosmologie actuelle conclut que l’Univers existe depuis un temps fini et qu’il a donc une naissance. Einstein qui a constamment exprimé ses réserves face à l’idée d’une naissance de l’Univers rapproche, dans la lettre à Michele Besso du 29 juillet 1953 (in Paul Speziali, Albert Einstein - Michele Besso, Correspondance 1903-1955, Paris, Hermann, 1972) cette conception de la cosmologie de la Genèse.
6 Cassirer Ernst, Philosophie der symbolischen Formen, 2. Band : Das mythische Denken, Berlin, 1925. Trad.fr. par Jean Lacoste, La philosophie des formes symboliques II. La pensée mythique, Paris, Éd. de Minuit, 1972, en particulier p. 163-166.
7 Il est très gênant de ne disposer que d’un seul terme, « cosmogonie », pour désigner les récits de la création du Monde, d’un côté, et, de l’autre, les genèses conjecturales des objets célestes proposées par les astrophysiciens.
8 Henri Poincaré, Leçons sur les hypothèses cosmogoniques, Paris, 1911, p. VI. Ici, Poincaré invoque le second principe de la thermodynamique.
9 Georges Lemaître, « L’hypothèse de l’atome primitif », Actes de la Société helvétique des sciences naturelles, 1945, p. 77.
10 Principalement de la physique newtonienne, de la thermodynamique et de la relativité restreinte
11 Les rapports entre cette interprétation du mouvement des fixes et l’organisation politique de la Cité ont été établis de façon très convaincante par Jean-Pierre Vernant, Les origines de la pensée grecque, Paris, PUP, 1962, ch. VI-VIII. Pour William K. C. Guthrie, A History of Greek Philosophy. Vol. I : The Earlier Presocratics and the Pythagoreans, Cambridge University Press, 1962, p. 306-319, les pratiques ascétiques de la secte pythagoricienne, dans lesquelles il faut inclure les mathématiques, étaient destinées à purifier les âmes des adeptes pour qu’elles se rapprochent de l’âme du Monde et, donc, de son kosmos, lors de leur réincarnation.
12 Albert Einstein, « Geometrie und Erfharung », Königlich Preußische Akademie der Wissenschaften, 1921, p. 124. Trad. fr. « La géométrie et l’expérience » in Albert Einstein, Œuvres choisies, vol 5, Paris, Le Seuil, 1991, p. 71.
13 Ibid., p. 126, p . 73.
14 Il faut noter ici une distinction que les interprètes de Poincaré, à commencer par Einstein, l’un des meilleurs d’entre eux, omettent souvent. Poincaré distingue les principes des lois de la physique. Les principes sont conventionnels au sens où ils ne peuvent être soumis au verdict de l’expérience, tandis que les lois sont soumises à ce verdict. Par exemple, le principe de conservation de l’énergie, qui nous dit qu’il y a quelque chose qui se conserve, ne pourra jamais être réfuté par l’expérience. On l’abandonnera lorsqu’il aura perdu son utilité dans le corps de la théorie physique.
Cependant, lorsqu’Einstein dit qu’une partie importante [c’est moi qui souligne] de (P) peut être choisie conventionnellement, il laisse donc entendre qu’il reste une autre partie qui ne peut pas être choisie conventionnellement et que, par conséquent, il aurait relevé cette distinction entre principes et lois.
15 Une position que, plus tard, Einstein semblera reprendre à son compte dans « Bemerkungen zu Bertrand Russells Erkenntenis-Theorie », accompagnée d’une trad. anglaise, in P. A. Schilpp The Philosophy of Bertrand Russell, La Salle, Illinois, 1944, p. 286.
16 On sait que le principe d’induction arithmétique n’est pas démontrable dans l’arithmétique. Un argument dirimant contre le point de vue d’Einstein puisqu’il estime, avec les néo-positivistes et Hilbert que « Pour l’axiomatique, l’objet des mathématiques est constitué par les seuls éléments logico-formels et non par le contenu intuitif, ou autre, qui leur est associé ».
17 De sorte que « le problème du continu », qui consiste à déterminer combien de points il y a entre 0 et 1 sur la droite réelle, est privé de sens puisque l’existence en acte de ces (ensembles de) points l’est également et que, d’autre part, munir de tels ensembles de points d’une distance relève de différentes conventions ; or, c’est un de leurs traits propres, les conventions échappent à la juridiction du vrai et du faux.
18 Einstein, op. cit., p. 278.
19 On observe qu’un poids A de 10 grammes et un poids B de 11 grammes provoquent la même sensation et qu’il en est de même pour un poids C de 12 grammes et le poids B, mais que les poids A et C produisent des sensations différentes. On a donc A=B, B=C et A<C.
20 Pour plus de détails sur ce point voir l’article de Cédric Chandelier.
21 Hendrik Lorentz, « Deux mémoires de Henri Poincaré », Acta mathematica, t. 38, 1921, p. 293-308.
22 Par exemple, Olivier Darrigol, « Henri Poincaré’s Criticism of Fin De Siècle Electrodynamics », Studies in the History and Philosophy of Modern Physics, n° 1, 1995, p. 1-44.
23 Jean-Pierre Provost et Christian Bracco, « La relativité de Poincaré de 1905 et les transformations actives », Archives for History of Exact Sciences, 60, 2006, p. 337-351.
24 Voir, par exemple, James L. Anderson, Principles of Physics Relativity, Academic Press, 1967.
25 Poincaré, contrairement à Einstein, n’admet pas que la cinématique soit une branche de la physique et qu’il faille, dans l’exposé de l’électrodynamique, la distinguer de la dynamique.
26 Une découverte généralement attribuée à Hermann Minkowski. Einstein a été réticent avant de reconnaître que l’espace de Minkowski permettait d’associer une géométrie à la relativité restreinte.
27 Sur ce point, voir Éric Audureau, « Gödel : From the Pure Theory of Gravitation to Newton’s Absolute », in Kurt Gödel, Philosopher-Scientist, ed. Gabriella Crocco and Eva-Marie Engelen, Aix-en-Provence, PUP, 2016.
28 Illustré également par l’article de Gaëtan Hagel, « Le rayon visuel dans l’Optique de Ptolémée. De l’intérêt d’enseigner une théorie fossile ».
29 Gérard Simon, Science et histoire, Paris, Gallimard, 2008.
30 Dans un semestre, le S3, entièrement consacré à Newton.
31 John Maynard Keynes, “Newton the Man,” The Royal Society of London : Newton Tercentenary Celebrations, Cambridge, 1947.
32 Voir, par exemple, Nancy Cartwright, The Dappled World. A Study of the Boundaries of Science, Cambridge, Cambridge University Press, 1999.
Auteur
AMU, CEPERC, UMR 7304, CNRS
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