Walking on the MOOC
p. 179-183
Texte intégral
“Giant steps are what you take
Walking on the moon
I hope my legs don’t break
Walking on the moon […]”
Sting, 1979
À l’origine
1Le MOOC « Le langage entre Nature & Culture » a été conçu par une équipe composée de trois enseignant-chercheurs et d’une rédactrice et gestionnaire, à la demande du comité AMIDEX d’Aix-Marseille Université1. Cette demande a été formulée au cours de l’année 2013, elle a été discutée en assemblée par les enseignants de la licence Sciences et Humanités, dont beaucoup ont exprimé leurs craintes quant à la pertinence et la faisabilité d’un tel projet. Une seule équipe pédagogique a accepté de se lancer dans cette opération : celle qui intervient dans l’unité d’enseignement « Le Langage entre Nature & Culture » proposée au premier semestre de la première année de la licence. La conception du MOOC a débuté au printemps 2014, et les contenus ont été mis en ligne et rendus accessibles aux internautes inscrits le 1er juin 2015.
2Même s’ils peuvent revêtir des formes très diverses, la plupart des MOOC ne sont pas des cours dispensés en présentiel devant des étudiants, filmés puis déposés sur le net. Il s’agit le plus souvent de conceptions innovantes qui mettent à profit les outils des nouveaux moyens de communication. Cette forme d’enseignement très particulière possède ses opportunités et contraintes pédagogiques : elle oblige à penser les contenus de manière diverse, toujours accessible, esthétique et digeste. En effet, les personnes qui s’inscrivent aux MOOC sont des internautes auxquels nous ne pouvons pas délivrer de diplôme et dont la motivation repose essentiellement sur le désir d’apprendre et la curiosité. Ce public « non captif » peut se montrer versatile, d’où la nécessité de faire des efforts pédagogiques semaine après semaine.
Opérationnalisation : contraintes, risques, choix et solutions
3Les cours du MOOC se déroulent durant cinq semaines. En chaque début de semaine, les contenus articulés autour d’un thème précis sont rendus accessibles aux internautes. Parce que ce MOOC est le produit de la licence Sciences et Humanités, il a été élaboré en accord avec le principe fondateur de cette licence : la transdisciplinarité. Il ne s’agit pas de nier l’intérêt des disciplines mais de les rassembler pour l’étude d’un objet commun comme, ici, le langage, pour les enrichir mutuellement. Ainsi, chacune des disciplines, forte des concepts, lexiques, méthodes et outils d’analyses qui lui sont propres, est à même d’éclairer l’objet commun sous une lumière différente. Et chacune est à même, avec le temps, d’adopter des idées et des angles de vue exogènes, provenant des autres disciplines. L’ensemble de ces éclairages, lorsqu’ils sont accessibles à tous, rend l’objet en question beaucoup plus intelligible. Pour réussir ce passage vers la transdisciplinarité, on ne peut faire l’économie d’une période d’incompréhension initiale, d’ajustements, tout d’abord grossiers, puis de plus en plus fins pour qu’enfin, des spécialistes de différents horizons finissent par se comprendre, s’accorder, s’opposer et toujours s’émerveiller de la richesse des autres points de vue, sans avoir eu, à aucun moment, à simplifier leur propos. À l’issue de ce processus, il devient possible d’élaborer ensemble de nouvelles idées, plus complexes, plus riches et plus intéressantes que celles provenant des disciplines isolées.
4La conception du MOOC n’a pas dérogé à la règle : elle s’est faite sur le mode de la transdisciplinarité. Ainsi, chacune des semaines de cours, y compris celles qui relèvent plus spécifiquement d’une discipline ou l’autre, est le fruit d’une étroite collaboration entre Marie Montant pour la biologie et les sciences cognitives, Baptiste Morizot pour la philosophie, Cristel Portes pour la linguistique et Sara Ploquin Donzenac pour la critique constructive, le lissage et la mise en forme. Parce que le MOOC est une version raccourcie des enseignements dispensés en présentiel, ses contenus ont été entièrement repensés afin d’assurer la cohérence de l’ensemble. Cette refonte a été réalisée par l’ensemble des membres de l’équipe, à l’issue de maintes séances de discussion au cours desquelles de nouvelles idées ont vu le jour. Ces discussions ont porté tout autant sur les contenus eux-mêmes que sur la manière de les présenter. Notre défi était le suivant : comment répondre aux exigences du net en termes d’intelligibilité des contenus, sans tomber dans une simplification qui porterait atteinte à l’essence même des idées que nous tentons de porter et de tansmettre ? La solution a émergé au fil des semaines et des compromis, entre exigence académique et exigence pédagogique, après de nombreux aller-retours entre les membres de l’équipe et également par l’usage des outils et de l’interface mis à notre disposition par la plateforme FUN qui héberge le MOOC. Ces compromis n’ont pas abouti à une uniformisation de surface de nos disciplines. Au contraire, leurs particularités persistent dans le produit final : les argumentaires philosophique et linguistique demandent plus de développements textuels que les sciences cognitives qui, elles, tendent plutôt à décrire des mécanismes et à les illustrer. Ces différences ne peuvent pas être aplanies sans perdre en substance. Elles participent aussi de la richesse de ce MOOC.
5Nous avons répondu à l’exigence pédagogique de ce média très particulier qu’est l’Internet grâce à la contribution décisive de Sara Ploquin Donzenac qui, en sa qualité d’ancienne rédactrice en chef de divers supports de presse, a pu nous orienter en matière de forme et format de cours. Elle a appliqué au MOOC les pratiques journalistiques qu’elle enseigne dans la licence Sciences et Humanités en troisième année dans l’Unité d’Enseignement intitulée « Écrire & Penser ». Sa contribution est détaillée ci-après.
La forme et le fond : adapter des contenus statiques (format papier) à un support dynamique (Internet)
6Les principales contraintes pédagogiques et techniques de ce projet sont liées à la nature du support de cours en tant que tel, ainsi qu’au type de public auquel le cours s’adresse.
7Les contenus du MOOC « Le langage entre Nature & Culture » ont été pensés autour d’un noyau central de textes qui représentent près de 70 % des ressources d’apprentissage. Les textes sont donc la colonne vertébrale de ce cours, les autres contenus multimédia (vidéos, Prezi, films d’animation) venant souligner, mettre en lumière, des éléments contenus dans le corpus de textes. Il était donc essentiel de faire en sorte que cet important volume de textes soit accessible, lisible et compréhensible sur un média tel qu’Internet, où l’image prend souvent le pas sur les formes textuelles. En parallèle se pose le problème du transfert d’une page de traitement texte (statique) à une page internet (dynamique) : un texte pur risque, s’il n’est pas édité, d’être dénaturé, dans la forme, au moment de son transfert.
8La seconde contrainte pédagogique à laquelle nous avons été soumis concerne l’utilisateur lui-même : l’apprenant. Sur un MOOC, à la différence des cours présentiels, les apprenants sont « non captifs ». Ils peuvent suivre tout ou partie du programme, le cours n’étant pas qualifiant. Il est donc essentiel de captiver leur attention en équilibrant la cohérence des contenus (le fond) et en soignant l’ergonomie de leur présentation (la forme).
9Certaines contraintes techniques nuisent à la lisibilité de textes longs sur internet. Le rétro-éclairage : À la différence du support imprimé, l’écran d’ordinateur produit sa propre lumière, qui perturbe la lecture et fatigue l’œil. Le lecteur doit faire deux opérations en une : compenser le fort contraste généré par le rétro éclairage et déchiffrer les contenus proposés. Lire à l’écran génère une fatigue visuelle, qui ralentit la vitesse de lecture. Un même texte sera donc lu 25 % plus lentement sur un écran que s’il était imprimé. Pour compenser cette mauvaise perception du texte à l’écran, il faut réfléchir sur la forme permettant de rendre le texte le plus lisible possible. Cela implique de porter un soin particulier à la façon dont le texte apparaît à l’écran en choisissant les typographies les mieux adaptées. À titre d’exemple, les typographies communément utilisées pour le texte imprimé, qui comportent des « empattements », comme le Times New Roman, sont à proscrire sur Internet. Les typographies dites « en bâtons » comme le Helvetica offrent un confort de lecture nettement supérieur. Il s’agit également, toujours pour apporter un confort de lecture optimal, de veiller à l’espacement entre les lignes. Les blocs de textes compacts brouillent la lecture et augmentent l’effort nécessaire pour déchiffrer le texte. Pour les mêmes raisons, certaines mises en forme sont à utiliser avec parcimonie (mise en gras, usage de couleurs), d’autres sont à proscrire (blocs de textes majuscules illisibles, soulignements assimilés à des liens hypertextes).
10Homogénéiser. Dans la forme, un texte élaboré à plusieurs mains se caractérise souvent, au début, par des défauts de cohérence qui touchent plus spécifiquement la présentation et la hiérarchie des informations, ainsi que la mise en page des citations et des illustrations. La première étape consiste donc à homogénéiser les différentes parties de textes pour en faire un tout cohérent. Étant donné que transfert au format HTML efface toute mise en forme préalable effectuée par les traitements de texte, il convient, en accord avec les auteurs, de créer une ossature, une charpente commune à l’ensemble des contenus (niveaux hiérarchiques des titres, sous-titres, intertitres, citations, etc.).
11Perte des repères spatiaux. Le « scrolling », la fonction qui permet de naviguer verticalement sur une page, permet (en théorie) de présenter dans un espace restreint en largeur un livre entier. Cependant, cette fonction implique une perte de repères. Sur un texte imprimé, des éléments concrets et fixes permettent de se souvenir de l’emplacement d’un contenu (numérotation des pages, emplacement des paragraphes, position de l’idée dans la page, prise de notes, etc...). Sur une page Internet, il n’y a plus de repères, la notion recherchée peut de façon aléatoire se retrouver en début, en milieu ou en fin d’écran. Il devient très complexe de retrouver l’emplacement du texte recherché quand la longueur de la page est trop importante.
12Pour aider l’internaute, il est nécessaire d’insérer des ruptures de rythme dans le texte, qui viennent compenser la perte de repères dans un volume de texte indéterminé. Elles relancent l’envie de lire la suite et la compréhension de ce qui vient d’être énoncé. Les paragraphes jouent ce rôle en permettant naturellement d’aérer le texte, et sont mieux compris lorsqu’ils ne contiennent qu’une seule idée. Il faut parfois, en accord avec les auteurs, en recréer artificiellement, en veillant à sous titrer les paragraphes supérieurs à 1 500-2 000 signes. D’autres ruptures de rythme permettent d’améliorer la lisibilité, comme l’insertion de listes à puces en lieu et place des énumérations linéaires, la mise en exergue de citations du texte, etc... Enfin, l’insertion d’images contribue à relancer l’attention. Les images permettent de « respirer », de se resituer dans le texte, et apportent des éléments d’information supplémentaires permettant de mieux synthétiser l’information.
13Une question de taille. Pour un même nombre de caractères, un texte rédigé sur Internet est deux fois plus long qu’au format papier, du simple fait de son passage à l’écran. Par conséquent, il est conseillé de diviser par deux le contenu à publier sur Internet par rapport au contenu initial. Dans le cas présent, une correction attentive de texte, qui consiste à « écrire court », en simplifiant la syntaxe, ne peut excéder un gain de 15 % sans nuire au contenu initial. Nous avons donc opté pour des astuces d’édition permettant d’alléger la lecture à l’écran, sans dénaturer le propos de l’enseignant. Cela a consisté à remplacer certaines parties, notamment les illustrations de concepts, par des exemples sous forme de liens « hypertextes », ou déplacer d’autres parties, proposées à l’internaute sous forme de contenus additionnels permettant d’approfondir tel ou tel point du cours, tout en allégeant le corps principal du cours. Enfin, une version imprimable de l’ensemble du contenu a été élaborée et mise à disposition en téléchargement.
14Par conséquent, l’accompagnement éditorial consiste à optimiser les contenus sans les dénaturer, afin qu’ils ne soient pas négativement impactés par leur transfert vers Internet. Un MOOC, à la différence d’autres types de contenus internet, ne vise à pas informer ou à divertir, mais à transmettre du savoir. Les apprenants s’y inscrivent par choix et pour apprendre. Il est donc possible de conserver des formats de texte longs, nécessitant un effort intellectuel important, à condition de veiller à leur lisibilité et à leur accessibilité.
De l’enseignement à la recherche transdisciplinaire
15Les nombreux débats et brassages d’idées qui ont précédé et participé de l’élaboration du MOOC nous ont donné envie d’aller plus loin et de monter un projet de recherche commun, transdisciplinaire. Au fil de nos discussions, nous avons réussi quelque chose de suffisamment rare pour être consigné : nous nous sommes accordés et enrichis mutuellement, malgré nos différences disciplinaires. Nous avons assimilé les concepts des autres disciplines et embrassé différemment des idées que l’on croyait pourtant bien familières, à la lumière de divers angles de vue, ceux-là moins habituels. Ce dialogue, cette gymnastique intellectuelle, ont abouti à l’émergence de nouvelles idées que nous voulons transformer en projet de recherche commun, transdisciplinaire, et dont la meilleure illustration est fournie par la dernière semaine de cours du MOOC, celle consacrée à la métaphore. La métaphore est un objet linguistique, un objet philosophique et un objet cognitif. La combinaison de ces diverses approches donne à cet objet une toute autre dimension, et lui confère un rôle majeur : celui de générer de la pensée, la structurer ; celui de donner à la pensée sa capacité de représentation du réel et sa capacité de nous orienter dans l’expérience. En somme, celui de rendre le monde plus intelligible.
Notes de bas de page
1 https://www.fun-mooc.fr/courses/amu/38003/session01/about
Auteurs
AMU, LPC, UMR 7290, CNRS
AMU, Licence Sciences et Humanités
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