Un monde d’oiseaux de proie. Quelques exemples de figuration animalière du discours sur nature et norreture
p. 179-192
Texte intégral
1Les « noms d’oiseaux » ont une longue tradition derrière eux. À côté des coqs de village, des oies blanches, des pigeons et autres dindes, les rapaces ont une place de choix. Si l’on ne sait plus guère ce qu’est un hobereau, les buses sont encore légions, les faucons impitoyables, et il n’est jamais agréable de s’entendre dire qu’on n’est pas un aigle1. Baudoin van den Abeele a montré comment l’univers médiéval de la chasse au vol sert un discours sur les caractères, mais aussi sur la hiérarchie des êtres et des conditions2. Autant qu’une pratique cynégétique, elle est un indice concret de distinction aristocratique3 et un réservoir de métaphores qui permettaient aux médiévaux de donner une forme expressive à un certain nombre de leurs conceptions sociales et morales. On examinera ici quelques occurrences qui véhiculent, à l’usage de l’aristocratie (laquelle compose le gros du public des œuvres littéraires), le point de vue de cette aristocratie elle-même sur sa propre origine, sa raison d’être et les fondements de sa distinction4. On verra que les notations cynégétiques permettent un discours sur la nature en relation avec la nourreture (l’éducation et même la culture au sens large), c’est-à-dire sur la question de l’innéité ou de l’acquisition des caractères conçus comme propres à une personne ou à un groupe social5. Cette question – naît-on ou devient-on noble ? – est fondamentale dans la définition de la noblesse en tant que concept éthique et en tant que classe, sujet particulièrement débattu au Moyen Âge6.
2Baudoin van den Abeele relève nombre de locutions qui décrivent des héros épiques ou chevaleresques en recourant à des comparants empruntés au domaine de la volerie7. Par exemple, chez Adenet le Roi, Cléomadés est l’aigle qui terrorise les autres oiseaux à sa première apparition sur le champ de bataille
C’est li aigles des chevaliers ;
Puis ne volera volentiers
Faucons le jour k’aigle ait veüe (…)
Pour ce est l’aigle comparee
A lui, car sa tres grant value
Est par tot le monde seüe.
(v. 8733-42)
3D’autres comparaisons mettent en parallèle deux personnages assimilés chacun à deux oiseaux de qualités différentes. Le Roman de Silence utilise ainsi une métaphore canonique :
Forment vault miols de gargherie, (…)
Et l’ostoirs de falcon muier,
Et li falcons miols de bruhier.
(v. 91-96)
4Les rapaces font l’objet d’une hiérarchie qui concrétise le degré de prouesse des comparés. Le bruhier, c’est-à-dire la buse ou le busard, est un comparant toujours dévalorisant, car cet oiseau est inapte à la chasse8. Il en va de même pour l’escoufle (une sorte de milan de petite taille, semble-t-il). Ces oiseaux présentent une parenté morphologique avec les rapaces nobles, mais ils sont conçus comme différents en nature. L’infortune de la buse est confirmée par des proverbes fréquemment invoqués par les romanciers, qui opposent explicitement oiseaux nobles et non nobles9. La forme la plus fréquente est L’en ne puet faire de buisart espervier (n° 1514) ou encore A poines fat on de bouson faucon (n° 865). La buse, le busard, le milan ou le chat-huant sont ainsi opposés à l’autour, à l’épervier et à divers faucons. Ces derniers oiseaux sont gentils, terme technique de la volerie qui caractérise un rapace bien proportionné et bien afaitié c’est-à-dire bien dressé, voire un oiseau qui chasse d’instinct10. On trouve ainsi des faucons gentius dans les dons proposés au Bel Inconnu, à côté de tous les biens typiques du style de vie noble :
Vos arés ciens, bos, praieres,
Bonnes roubes, bieles rivieres,
Hostoirs, espreviers et gerfaus,
Faucons gentius et bons cevals.
(v. 3573-3576)
5L’usage est moins clairement technique chez Marie de France, dans Yonec, où l’on peut lire : Gentil oisel ad en ostur (v. 122). On parle aussi d’oisiax de gentil aire ou de bone aire, c’est-à-dire debonaire, « de bonne naissance », l’aire désignant proprement le nid du rapace. Oisiaux debonaire par soi s’afaite, dit un autre proverbe (n° 1434) : « l’oiseau de bonne naissance se dresse tout seul ». Ces exemples posent tous la question de l’innéité de la gentillesse ou de la vilenie. À l’innéité s’opposent les qualités acquises par le biais de l’éducation (l’afaitage des oiseaux). Corrélativement, se pose la question de la possibilité pour l’individu de sortir de sa condition sociale, entendue comme une condition naturelle si l’on suit les proverbes qui opposent le busard aux oiseaux nobles. Une dernière variante exprime d’ailleurs la ferme croyance en l’innéité de la noblesse : Ja de ni de busart n’istra esprevier (n° 865 var.)
6Il est intéressant de confronter ces occurrences, essentiellement romanesques, avec la vaste littérature didactique consacrée à la noblesse. Ce corpus, parfois peu connu, comprend aussi bien d’arides traités de morale que des manuels de savoir-vivre comme les Facets, ou encore des monuments savants comme le Roman de la Rose11. On y rencontre le débat entre nature et nourreture et parfois un proverbe ou une comparaison aviaire. Ajoutons qu’on peut lire le roman médiéval, qui adopte souvent la forme du roman d’éducation dans une perspective didactique : les premières pages de l’Yvain de Chrétien de Troyes offrent un tableau de la vie de cour.
7Plusieurs discours sur la noblesse coexistent au Moyen Âge, qu’on peut réduire, en simplifiant à l’extrême, à deux courants. En premier lieu, un courant “égalitaire”, qui proclame l’origine commune de l’humanité (Tous sommes d’Eve et d’Adam neis) et le fondement de la noblesse dans la seule vertu acquise : Nobilitas sola est atque unica virtus proclamait déjà Juvénal (Satires, VIII, 20), dans une sentence souvent reprise au Moyen Âge. Cette position (celle des clercs et de la littérature savante, pour l’essentiel) ne nie pas les barrières sociales, mais montre qu’elles sont un fait de culture et non de nature. En second lieu, un courant « conservateur », plutôt laïque, qui oppose radicalement vilains et gentils ainsi que nature et nourreture, et dont témoignent de nombreux proverbes comme le célèbre Mieus vaut un cortois mort qu’un vilain vis (Morawski, n° 1255), voire Villain tousdis pourquiert abaissier gentillesse (n° 2487)12. L’innéité de la noblesse et l’intangibilité des barrières sociales ont pour corollaire l’idée que la noblesse est un fait de nature et une évidence. Même occultée, elle réapparaîtra en fin de compte au grand jour : Gentillesse se monstre la ou ele est (n° 805). Savoir lequel l’emporte, de nature ou de nourriture, est très discuté ; cependant, la leçon des proverbes se prononce massivement pour le primat de nature : Meulz vaut nature que nurreture (n° 1273), Nature ne puet mentir (n° 1327), Nature passe norreture (n° 1328), ou Plus trait nature que cent beufs (n° 1655), lit-on fréquemment13. Une fable de Marie de France, L’Autour et le hibou, montre de même comment Sa nature peot hum guenchir,/mais nul n’en put del tut eissir14.
8L’usage métaphorique des oiseaux de proie dans la didactique aristocratique est généralement conforme à cette dernière position, mais il existe des contre-exemples. On relèvera ci-après quelques illustrations du débat dans diverses œuvres plus ou moins célèbres.
9Robert de Blois est l’auteur (dans le deuxième tiers du xiiie siècle) d’un Enseignement des princes15, en réalité un “miroir du chevalier”, qui propose l’interprétation allégorique des pièces de l’équipement guerrier. Robert met en garde son lecteur contre la traïson, imputable avant tout au serf à qui le seigneur accorderait une confiance excessive :
Cui nature veut abaisier
Nus frans hom nu doit essaucier ;
Qui veut contre nature faire,
Bien tost empire son esfaire.
On dist, et voirs est, de nature :
Suelt adés passer norreture.
Bien sout nature qu’ale fist
Quant ele si fait non li mist.
Serf sont por ce que servir doient.
(v. 685-693)
10et quelques vers plus loin, à propos des mêmes :
Ainz ne vi faire de buison
Bon espervier ne bon faucon.
(v. 697-698)
11Le proverbe vient clore la démonstration de l’innéité de la vilenie. Le poète renchérit sur la véracité de l’adage – on dit, et voirs est – qui rend la nature supérieure à la norreture. La loi de la nature fonde l’ordre social que le serf veut pervertir. Nature est clairement allégorisée, sous la forme traditionnelle de l’entité créatrice et ordonnatrice. Le nom qu’elle attribue elle-même à sa création exprime sa puissance à travers une sorte de cratylisme social : l’étymologie « démontre » que la distinction est un fait de nature. En dépit d’une parenté apparemment renforcée par la rime buison/faucon et l’appartenance commune des deux oiseaux à la famille des rapaces, il est clair que l’inversion des rôles entre serf et seigneur va contre nature.
12Les dits moraux de Baudouin de Condé et de son fils Jean16 (dont l’activité conjointe s’étend de 1240 à 1340 environ) manifestent une véritable obsession pour la définition de la vraie noblesse et la déchéance des mœurs aristocratiques. Ils sont très représentatifs de ce vaste courant médiéval de réflexion sur l’idée d’aristocratie, écrit par et pour des aristocrates. Dès le premier dit du recueil, Li conte dou Pel, l’imagerie de la chasse au vol est liée au couple nature – nourreture :
Li gentil devienent lanier
Et ont cangie lor nature
Pour lor mauvaise noureture (…)
Li cuer sont tout desnaturé,
Ki soloient estre escuré
Et net et plein de bones teces (…)
Cil s’asentoient as viertus,
Aussi con fist li rois Artus,
Qui fu larges et despendans
Et en toute honour descendans.
(v. 83-130)
13Si l’adjectif lanier signifie dans l’absolu « lâche », « pusillanime », « paresseux », il faut rappeler qu’il est emprunté au domaine de la fauconnerie : le faucon lanier est un petit oiseau dont la réputation est peu flatteuse, parce qu’il ne chasse pas d’instinct et hésite à tuer des proies plus grosses que lui. Les traités de fauconnerie le qualifient volontiers de vilain, par opposition au faucon gentil17. On remarquera ici l’usage explicite du mot viertus, ainsi que le recours au roman arthurien comme modèle. La leçon de morale, d’inspiration savante, est amenée dans un contexte qui appelle la connivence du public aristocratique.
14La nature (sous toutes ses formes) est partout présente sous la plume du père comme du fils. Le Dis de l’aigle compare les devoirs du haut home au vol de l’aigle, le plus noble des oiseaux, en recyclant des données issues des bestiaires et des encyclopédies18. Dans les Vers de drois de Baudoin, le lanier, en ces temps de décadence, est susceptible de surpasser le gruier, l’oiseau suffisamment puissant pour chasser la grue19. Le Dis des vilains et courtois, s’il ne comporte pas de métaphore aviaire, se consacre néanmoins à la question de l’innéité de la distinction, en posant l’origine commune de l’humanité, tout en justifiant l’évidence et la nécessité des barrières sociales. Le Dis de gentillesse de Jean défend, à grand-peine, un nécessaire équilibre entre les deux : l’aristocrate n’est rien sans la naissance, mais il doit, par sa norreture, veiller à ne jamais déchoir. Dans nombre de ses formulations médiévales ou modernes, l’idéologie aristocratique a rencontré ce paradoxe. Baudoin et Jean de Condé exposent le point de vue aristocratique, mais ils éprouvent les plus grandes difficultés à faire la part respective de nature et de nourreture. L’équilibre n’est obtenu qu’au prix d’un recyclage assez improbable de la doxa aristocratique en matière de naissance et de vertu.
15Bien plus habile est un autre traité, plus ancien, d’une importance toute particulière dans la didactique médiévale : le Traité d’amour courtois d’André le Chapelain20. La comparaison avec la traduction versifiée donnée par Drouart la Vache est souvent instructive, car ce dernier texte, tout en restant fidèle à sa source latine, en transpose le contenu dans le vocabulaire et les conceptions de l’aristocratie médiévale tels que les figure le discours romanesque21. Le chapitre VI du livre I d’André est un manuel de conversation mondaine22 et même un tractatus de nobilitate : une série de huit dialogues, ordonnés en fonction des rangs et de la naissance23, donnés en modèles à tout amant pour courtiser sa bien-aimée, et à toute amante pour refuser poliment les avances. La codification sociale n’a d’égale que la virtuosité rhétorique des interlocuteurs, qui retournent sans vergogne des arguments plus ou moins interchangeables en fonction des conditions sociales impliquées. Cet intérêt affiché pour la naissance est en contradiction avec la conception de l’amour comme seul vrai ferment de noblesse :
Il amène un homme grossier et sans éducation à briller par son élégance ; même à un homme de basse naissance, il peut donner la noblesse de caractère.
(trad. Buridant, I, IV, p. 50)
16Pour rendre l’amour possible, poursuit André, il ne faut tenir compte « ni de la beauté, ni de l’élégance ou de la naissance », mais des
vertus de l’âme qui accordent à un homme sa véritable noblesse (…) puisque nous sommes tous des rejetons d’une même souche et que, naturellement, nous avons tous la même origine (ibid.)
17On reconnaît ici la position savante sur la noblesse acquise par la seule vertu, soutenue par la proclamation de l’origine commune du genre humain. Et pourtant, quoique injustifiables, les hiérarchies existent. Au sommet de l’échelle, les clercs, qui sont « plus nobles que quiconque », parce qu’ils remplacent la naissance par l’élection divine. La question de la naissance et de la vertu est ici un lieu commun, au sens rhétorique de « topique commune à tous les orateurs et tous les sujets de discours ». On verra même la roturière défendre le point de vue aristocratique, face au soupirant noble qui prône avec opportunisme l’égalité des conditions24 ! Le débat est particulièrement serré entre le roturier et la femme de petite noblesse, celle-ci refusant énergiquement l’argument de la vertu comme seule noblesse :
Y a-t-il audace plus grande (…) [que] de brouiller les différences sociales établies depuis l’Antiquité ? Car ce n’est pas inutilement et sans raison que celles-ci existent depuis les temps les plus reculés, c’est afin que chacun se maintienne dans les limites de sa propre classe, que là il se contente de ce qu’il a, et qu’il n’ait jamais l’audace de s’arroger ce que la nature a réservé à une classe supérieure25.
(I, VI, dialogue B, p. 62)
18La dame plaide pour un strict fixisme social, alors même que le roturier avait pris la précaution d’ouvrir le débat en fondant en nature – il emploie le mot26 – l’égalité en amour. Mais la dame est habile :
Un busard a-t-il jamais pu, par son courage, triompher d’une perdrix ou d’un faisan ? C’est une proie pour les faucons et les autours, eux que ne doit guère inquiéter la pusillanimité des milans. Ta fatuité mérite donc bien des blâmes, car tu cherches l’amour dans une classe supérieure à la tienne alors que tu en es indigne.
(p. 63)
19Le texte de Drouart multiplie les oiseaux et en affine la hiérarchie :
Une pertris ou uns faisans
Devroient estre molt dolans
Se une cercele, volans,
Les avoit par sa force pris ;
Mais ç’afiert as oisiaus de pris,
Car faucon doivent avoir joie
Et esprevier de tele proie,
Non pas escoufles ne aloe.
On te devroit faire la moe,
Quant fame de noble linaige
Osas amer en ton coraige.
(v. 1428-1438)
20Face aux faucons et aux éperviers, la cercele (c’est-à-dire le faucon crécerelle) est dévaluée par sa petite taille, l’escoufle est proverbialement dégénéré et l’aloe n’est pas un oiseau de proie. On notera surtout l’expression on ne peut plus explicite d’oisiaux de pris. Suit une réfutation impitoyable par la dame de tout l’argumentaire antérieur du roturier. Mais celui-ci relève le gant et se lance dans une contre-réfutation fondée sur le primat de la vertu sur la naissance. Il revient sur l’exemple aviaire. Ici, le texte de Drouart est remarquablement développé. Il commence par déplacer l’argumentation sur la taille des oiseaux :
Domques vous di ge bien por voir,
Qu’oisiaus de proie la grandesse
Ne fait pas chiers, mais hardiesse.
D’autre part, nous veons aucons
Grans espreviers, ostoirs, faucons,
Qui doutent si les passeriaus,
Qu’il n’osent aprochier vers aus ;
Mais uns petiz oysiaus les chace
Et les fait fuïr de la place
Et voler ou li venz les soufle.
21Puis il apporte un exemple inverse :
S’il avient dont que .I. escoufle,
Ou uns autres oysiax petis
Est si loirrés et si faitis
Et plains de si hardy coraige
Qu’il folingne de son lynaige,
On le doit a la perche mestre,
Ou li esprevier doivent estre,
Et chevaliers porter les doivent
Sor lor poinz, ou il se deçoivent.
Se je sui dont de bas linaige
Et je sui nobles de coraige.
S’au viel escoufle me volez
Comparer, si com vos solez,
Je sai bien que grant tort arez ;
Mais au faucon me comperez,
Si ferez bien et cortoisie,
Et, por Dieu, ne refusez mie
La proesse, dont qu’elle viengne.
22Les remarques techniques sur le dressage (la perche, le leurre) sont du cru de Drouart, de même que le verbe forligner, terme consacré de la transgression sociale, qu’affectionnent également Baudouin et Jean de Condé, entre autres27. Mais il figure ici à contre-emploi, et la comparaison cynégétique sert à affirmer la possibilité de l’ascension sociale contre la loi de la nature, et non à dénoncer une dérogeance. Si l’argumentation n’est pas traditionnelle, les termes du débat – l’inné et l’acquis – le sont pleinement. La spécificité du Chapelain réside en fin de compte dans son approche ludique et discursive de l’amour courtois28. Le débat sur la noblesse y est un outil rhétorique et la volerie, sport aristocratique, est mise au service de la casuistique amoureuse savante. Le lecteur de ce sixième chapitre ne peut s’empêcher de penser que la discussion des valeurs aristocratiques y prend même le pas sur l’analyse du sentiment amoureux
23Un autre texte fondamental pour la figuration de la nature est le Roman de la Rose de Guillaume de Lorris et Jean de Meun29. Chez ce dernier, Nature tient un discours de près de trois mille vers, qui est une définition de sa propre fonction dans le plan divin. Chambriere, voire connestable et vicaire de Dieu (v. 16785-6), chargée comme son nom l’indique de la perpétuation des formes de vie, elle en forge sans cesse des pieces singulieres (v. 15908) ou examplaires (v. 16020), aussitôt poursuivis par la mort et la dégradation. De considérations cosmologiques et astrologiques qui témoignent de sa puissance universelle, Nature passe à un long exposé sur le libre-arbitre accordé aux hommes par Dieu pour limiter le déterminisme naturel, puis à des questions d’optique, prétextes à une réflexion implicite sur l’apparence et l’essence, enfin à un mythe des origines de la noblesse et des inégalités sociales (v. 18610-1891830), avant d’en revenir à la cosmologie et à la théologie. Enfin, Nature se plaint de l’être humain qui néglige « les œuvres de nature ».
24Dans ses récits des origines de l’inégalité, Jean de Meun n’affiche aucune bienveillance à l’égard de l’aristocratie héréditaire. La noblesse de naissance estpure apparence : une imposture rendue nécessaire par les circonstances. À l’Âge d’Or où le travail, la souffrance et la guerre n’existaient pas, succède un âge où les inégalités procèdent de l’invention de la propriété privée. Pour assurer la sécurité des biens et des personnes, les hommes élisent pour roi le vilain le plus ossu et corsu de tous (v. 9614-15). On lui adjoint des seconds couteaux – c’est-à-dire les chevaliers – chargés du maintien de l’ordre, entretenus sur les deniers de chacun. L’origine de l’aristocratie est donc le monopole de la violence et des richesses qui, seules, se transmettent aux descendants, alors que la vertu n’est ni innée ni héréditaire (v. 18599-18638) :
Noblesse vient de bon corage,
Car gentillece de lignage
N’est pas gentillece qui vaille
Por coi bontez de cuer i faille31. (v. 18623-26)
25Dans ce système passablement iconoclaste, le sens aristocratique du mot nature – la naissance – disparaît complètement. Ailleurs dans le Roman de la Rose, lorsque Nature n’est pas un personnage allégorique, elle est réduite à la pulsion sexuelle. Nul ne peut échapper à sa puissance, ni les moines ni les femmes, dont la Vieille explique ainsi, respectivement, les écarts charnels et l’inconstance, car « Nature ne puet mentir » (v. 14021) et parce que « (…) toute creature/Veut retourner a sa nature », ce qui doit « mout Venus escuser » (v. 14031-6). Or, « Trop est grant force que nature/Qu’el passe neïs nourreture » (v. 14041-4). Un tel discours était déjà présent dans le personnage de Raison qui, pour dissuader l’Amant, assimile l’amour naturel à un instinct bestial (v. 5759-5790). D’où la résurgence du discours animalier : malgré ses contradictions internes, un ouvrage qui accorde une place si importante à la nature ne pouvait ignorer l’inévitable référence aviaire. Chez Guillaume de Lorris d’abord, lorsque Honte reproche à Danger le vilain son aménité envers l’Amant : on retrouve alors le proverbe qui oppose le busard à l’épervier32. Chez Jean de Meun ensuite, sous la forme surprenante – mais absolument cohérente avec le discours de Jean sur la nature – d’une violente critique de la fauconnerie. Son premier instigateur,le dieu Jupiter, est accusé d’avoir mis fin à l’Âge d’Or en opposant la mort et la déréliction à la puissance vivifiante de Nature :
Cist donta les oisiaus de proie
Par malice, qui genz aproie.
Assauz mist en lieu de batailles,
Entre espreviers, perdris et kailles
Et fist tornoiemenz es nues
D’otoirs, de faucons et de grues ;
Et les fist au loirre venir (…)
Ainsi, tant fist li damoisiaus,
Est hom sers as felons oisiaus
Et s’est en leur servage mis
Pour ce qu’il erent anemis,
Comme ravisseurs orribles,
As autres oisillons paisibles
Qu’il ne pot par l’air aconsivre,
Ne sanz leur char ne voloit vivre
Ainz en voloit estre mengierres,
Tant ert delicieus lechierres.
(v. 20149-69)
26La fauconnerie est perverse parce qu’elle manifeste la déchéance, à la fois concrètement et symboliquement : elle assujettit à l’homme des prédateurs sanguinaires, à des fins ludiques ou bassement alimentaires, et à l’usage de la seule aristocratie corrompue. Pis encore, c’est l’homme lui-même qui se soumet à l’oiseau, pour satisfaire sa gourmandise : Ainsi (…) est hom sers as felons oisiaus (v. 20159-60). La question de la hiérarchie et de la distinction revient donc au-devant de la scène et connaît sous la plume de Jean de Meun un traitement aussi virtuose que cynique : quelle noblesse reste-t-il à ceux qui s’adonnent à une activité symbolisant leur propre bassesse ? Jean de Meun adopte la position de l’intellectuel hostile à l’aristocratie, dont l’existence même va contre l’ordre naturel, au même titre exactement que la chasse au vol, l’une de ses pratiques favorites et l’un de ses indices distinctifs par excellence.
27Le Roman de la Rose est à la fois un ouvrage didactique et un roman au sens moderne du terme. De fait, à en juger par la récurrence de l’opposition nature/nourreture dans la littérature narrative de fiction, les points de passage entre didactique et récit romanesque sont nombreux. On n’envisagera, là encore que quelques exemples parmi les plus représentatifs.
28L’un des plus connus est sans doute le Roman d’Alexandre33. À la fin du récit, la description du tombeau d’Alexandre et le rappel de ses vertus contient une occurrence explicite du proverbe du busard et de l’épervier immédiatement reliée aux considérations canoniques sur la supériorité de Nature. Le narrateur chasse les mauvais de son auditoire en s’écriant :
Fous est qui d’esprevier cuide faire buisson
Ne de ronci destrier, ne de levrier gaignon.
Nature et norreture demainent grant tençon,
Mais au loing vaint nature, ce dist en la leçon.
(IV, 73, v. 1659-62)
29Ces vers évoquent la mort d’Alexandre, victime d’une trahison. Mais on peut y lire aussi une leçon de morale aristocratique : c’est de naissance qu’Alexandre était appelé à l’excellence et à la domination universelle. Il incarnait l’aristocrate, celui à qui échoit par nature la tâche de gouverner les hommes parce qu’il est le meilleur (aristos). La sous-estimation de Nourreture n’est pourtant qu’apparente : au début de la branche III, on avait vu Aristote dispenser ses conseils de bon gouvernement, en commençant par rappeler qu’Alexandre avait été franchement nourris (III, 3, v. 52) et devait se montrer digne de son éducation aristocratique. À noter que ces conseils sont donnés au jeune prince de retour du deduit des faucons, où le philosophe l’a accompagné (III, 2, v. 16). On retrouve, au sein d’une même œuvre, l’insoluble paradoxe déjà mentionné : l’idéologie aristocratique ne veut renoncer ni à la naissance, ni à la vertu acquise par l’éducation et la pratique. L’aristocratie est tenue de se dire à la fois comme fait de nature et fait de culture. Elle penche cependant avec insistance en faveur de l’innéité et de la nature.
30L’interaction entre traités de noblesse et matière romanesque est patente. Dans l’ensemble, lorsque le genre romanesque aborde les questions de l’innéité et de l’acquisition des vertus aristocratiques, il privilégie le point de vue le plus conservateur, le plus proche de l’idéologie de ses lecteurs privilégiés. C’est même un principe narratif, par exemple avec le motif de la noblesse occultée puis révélée, ou encore celui de la prouesse mise en question puis rétablie, qui fournit une part considérable des micro-récits emboîtés des grands cycles en prose du xiiie siècle34. La discussion romanesque la plus aboutie de cette topique se lit dans le Guillaume d’Angleterre attribué à Chrétien de Troyes35. Deux fils de roi y sont recueillis et élevés par des vilains, mais Nature veille… Dans des pages célèbres, le narrateur proclame hautement l’impuissance de nourreture à étouffer l’innéité aristocratique :
Tex com li nature est en l’ome,
Tex est li hom : çou est la some (…)
Mais Nature a si boine orine,
Si les aprent et endoctrine
Qu’il ne daignent mauvaistié faire ;
Ne pueent as vilains retraire,
Por norreture qu’il en aient ;
A lor gentillece retraient,
Si s’aficent par aus meismes.
(v. 1365-81)
31Les métaphores aviaires sont absentes ici, mais on en reconnaît l’esprit : « l’oiseau gentil qui s’afaite de lui-même » et « la noblesse qui se montre toujours où elle est ». Tous les personnages aristocratiques de ce roman connaissent d’ailleurs un déclassement social, suivi d’une reconquête de leur rang.
32Nombre de romans, qu’on pourrait qualifier de « roman de l’aristocratie », explorent cette problématique. Il faut, bien sûr, mentionner L’Escoufle de Jean Renart36, dont l’argument principal est le vol de l’anneau d’amour par le rapace éponyme. L’intrigue comporte toute la palette des interrogations aristocratiques : la différence de rang, les mauvais conseillers d’origine servile, la mise à l’épreuve de l’excellence, le déclassement temporaire des personnages principaux, le triomphe de la noblesse occultée. On sait que Guillaume retrouve une position sociale grâce à ses qualités de fauconnier37. Quant à Aélis, ses talents de brodeuse lui valent la fréquentation de la haute société :
Or est ententive la bele
De faire quanqu’a gens doit plaire,
Car on dit qu’oisiax debonaire
Par lui tot seul s’afaite et duit.
Son afaitement, son deduit
Prisent molt cil qui l’ont hantee.
(v. 5532-7)
33Le vocabulaire de la volerie entretient d’étonnantes affinités avec celui de la courtoisie. Le verbe afaitier, dont on a vu qu’il cristallisait une part du débat sur nature et nourreture, signifie dans l’absolu « améliorer », mais aussi « éduquer » et même « plaire par son apparence et ses qualités ». L’afaitement désigne expressément, dans le vocabulaire courtois, les « bonnes manières » et même la « distinction » et ces vers de l’Escoufle jouent de façon évidence de la polysémie du terme : l’afaitage de l’oiseau appelle, à deux vers de distance, l’afaitement de l’héroïne, qui est un deduit pour ceux qui la fréquentent. Ce dernier vocable désigne la sociabilité comme un plaisir et une pratique exclusivement aristocratique, comme un art auquel on accède par ses qualités innées (par lui tot seul s’afaite et duit) autant que par une éducation soignée, comme un jeu enfin, pourvu de règles propres auxquelles il faut être ententive38.
34Achevons cette courte revue du domaine romanesque en mentionnant Erec et Enide, où apparaît la figure de Nature allégorisée39. Elle met toute son habileté à former en Enide l’exampleire (v. 419) de la plus belle jeune fille au monde. Son travail est récompensé, puisque la distinction d’Enide se révèle d’elle-même, malgré une apparence misérable, dans le célèbre épisode du chainse (v. 405-413) qui laisse entrevoir sa beauté :
Povre estoit la robe defors
Mais desoz estoit beax li cors.
Mout estoit la pucelle gente
Que tote i avoit mise s’entente
Nature qui faite l’avoit.
(v. 409-413)
35Faut-il rappeler que le prix de l’épreuve de beauté et de prouesse qui oppose Erec à Yder est… un épervier ? Un motif qu’on retrouve dans le Bel Inconnu et un certain nombre d’autres œuvres médiévales.
36Le discours médiéval sur les oiseaux de proie n’est pas fait seulement d’anecdotes pittoresques, mais l’observation de la nature permet un discours sur la Nature, qui lui-même informe une classification sociale et morale. Les rapports précis entre discours didactique et discours romanesque restent encore à explorer en grande partie ; il faut cependant leur supposer, dans la plupart des cas, un public commun, et en tout cas une communauté de références, dans la sagesse proverbiale par exemple. Mais les points de vue exprimés sont extrêmement divers, parfois contradictoires. André le Chapelain fait triompher le relativisme, car les rapaces y servent toutes les positions. Jean de Meun, pousse le point de vue de l’intellectuel jusqu’à l’outrance. Jean Renart propose un point de vue aristocratique tempéré, témoin de la difficulté à définir la vraie noblesse : l’oiseau est la cause et le symbole du déclassement des personnages, mais il les oblige aussi à faire la preuve de leur vertu pour reconquérir leur rang. Ces quelques exemples montrent à quel point le deduit d’oiseaux est aussi un jeu littéraire, dont l’enjeu était pourtant on ne peut plus sérieux aux yeux des lecteurs médiévaux, pour qui la distinction était une réalité sociale nécessaire.
Notes de bas de page
1 Cf. Baudoin Van den Abeele, « Mauvais merles et faucons exemplaires : ambivalence dans la symbolique des oiseaux au Moyen Âge », L’oiseau. Entre ciel et terre, éd. par Michel Mazoyer, Jorge Perez Rey, Florence Malbran-Labat, René Lebrun, Paris, L’Harmattan, 2005, p. 331-351.
2 Cf. Baudoin Van den Abeele, La fauconnerie dans les lettres françaises du xiie au xive siècle, Louvain, Leuven UP, 1990.
3 Cf. la description célèbre du vavasseur qui reçoit Calogrenant dans l’Yvain de Chrétien de Troyes, v. 199 : Sor son poing un ostor mué. Cette image, hautement valorisée, traverse toute la culture médiévale. Cf. B. van den Abeele, « Le faucon sur la main. Un parcours iconographique médiéval », La chasse au Moyen Âge. Société, traités, symboles, éd. par A. Paravicini Bagliani et B. van den Abeele, Florence, 2000, p. 87-109.
4 Sur la diffusion de l’idéologie aristocratique dans et par la littérature, cf. par exemple l’ouvrage d’Aldo Scaglione, Knights at court. Courtliness, Chivalry and Courtesy from Ottonian Germany to the Italian Renaissance, Berkeley, U. of California Pr., 1991.
5 Pour une approche similaire, cf. Laurence Bobis, « Chasser le naturel… L’utilisation exemplaire du chat dans la littérature médiévale », L’animal exemplaire au Moyen Âge, ve-xve siècles, pub. sous la dir. de Jacques Berlioz et Marie-Anne Polo de Beaulieu, PUR, 1999, p. 225-240. Curieusement, l’importante notion de nature (ou Nature, sous forme allégorique) dans les lettres médiévales françaises n’a pas connu de synthèse récente. Cf. cependant Heinrich Gelzer, Nature. Zum Einfluss der Scholastik auf den altfranzösischen Roman, Halle, Niemeyer, 1917, qui fournit un très utile répertoire d’occurrences. Le couple nature/norreture a été abordé sous l’angle des théories de l’éducation : cf. Doris Desclais Berkvam, « Nature and Norreture : A Notion of Medieval Childhood and Education », Mediaevalia, 9, 1983, p. 165-180 ou Philippe Walter, « Nature et norreture dans le Conte du Graal. Philosophie et imaginaire de l’éducation au xiie siècle », Historia, Educaçao e Imaginario, éd. par A. F. Araujo, J. Machado de Araujo, Braga, Universidade do Minho, 2003, p. 11-29. Cf. également Patricia Victorin, « Le nu et le vêtu dans Le Roman de Silence : métaphore de l’opposition entre nature et norreture », Le nu et le vêtu au Moyen Âge (Senefiance 47), Aix-en-Provence, 2000. En dehors du domaine français : Natur und Kultur in der deutschen Literatur des Mittelalters. Colloquium Exeter 1997, hsg. von Alan Robertshaw, Tübingen, Niemeyer, 1999, Bernhard Waldmann, Natur und Kultur im höfischen Roman um 1200. Überlegungen zu politischen, ethischen und ästhetischen Fragen epischer Literatur des Hochmittelalters, Erlangen, Palm, 1983 et G. D. Economou, The Goddess Natura in Medieval Literature, Cambridge, Harvard UP, 1972.
6 On considère généralement le début xiiie siècle comme le berceau de la noblesse « moderne », par suite de la fusion entre la chevalerie et l’ancienne classe des notables. Cf. entre autres les ouvrages de J. Flori (par exemple, Chevaliers et chevalerie au Moyen Âge, Paris, Hachette, 1998, p. 65-85), M. Keen, Chivalry, New Haven, Yale UP, 1984 ou très récemment D. Barthélémy, La chevalerie. De la Germanie antique à la France du xiie siècle, Paris, Fayard, 2007. Sur le débat entre naissance et vertu, cf. la synthèse de V. Honemann « Aspekte des “Tugendadels” im europäischen Spätmittelalter », Literatur und Laienbildung im Spätmittelalter und in der Reformationszeit. Symposion Wolfenbüttel, 1981, hrsg. von Ludger Grenzmann und Karl Stackmann, Stuttgart, Metzler, 1984, p. 274-288.
7 Cf. B. van den Abeele, op. cit., p. 194-247.
8 Cf. B. van den Abeele, op. cit., p. 194.
9 Cf. B. van den Abeele, op. cit., p. 202-205. On citera d’après Joseph Morawski, Proverbes français antérieurs au xve siècle, Paris, Champion, 1925, avec le numéro correspondant dans la classification de l’éditeur.
10 Cf. B. van den Abeele, op. cit., p. 204.
11 Ces ouvrages théorisent des questions auxquelles la fiction prête une forme narrative : l’origine et la définition de la noblesse (cf. la Disciplina clericalis de Pierre Alphonse), ses mœurs, ses rituels et ses symboles (cf. L’ordene de chevalerie), son idéal de vie et son éthique (cf. la Formula honestæ vitæ de Martin de Braga et ses traductions, ou le Livre de Philosophie et de Moralité d’Alard de Cambrai). Pour un répertoire et une approche synthétique de cette» didactique aristocratique », cf. Claude Roussel, « Moyen Âge », Bibliographie des traités de savoir-vivre en Europe, pub. sous la dir. d’A. Montandon, PU de Clermont-Ferrand, 1995, p. 331, et « Le legs de la rose. Modèles et préceptes de la sociabilité médiévale », Pour une histoire des traités de savoir-vivre en Europe, pub. sous la dir. d’Alain Montandon, PU de Clermont-Ferrand, 1994, p. 1-90.
12 Cf. encore Ne set vilains que esperon valent. (n° 1359), Nus n’est vilains se de cuer ne li muet. (n° 1418) et Villain que villain. (n° 2484).
13 Par souci d’équité, signalons cependant le n° 1399 : Nourreture passe nature.
14 Marie de France, Fables, éd. par Ch. Brucker, Louvain, Peeters, 1991, fable 79 : l’autour élève les petits du hibou, qui souillent le nid, ce qui inspire à l’oiseau cette morale discriminante. Cf. un dit évoqué par Jean Batany, « L’apologue social des strates libidinales : Dui chevalier vont chevauchant… », Le récit bref, Actes du colloque des 8 et 9 mai 1988, Amiens-Paris, éd. par D. Buschinger et W. Spiewok, Amiens, 1989, p. 129-151 (dans le locus amoenus, le chevalier se distrait avec distinction ; le vilain y défèque). Du même auteur, « Animalité et typologie sociale »,Épopée animale, fable, fabliau. Actes du VIe colloque de la Société Internationale Renardienne, Evreux, 7-11 sept. 1981, pub. sous la dir. de G. Bianciotto et M. Salvat, Paris, PUF, 1984, p. 39-54.
15 Robert de Blois, son œuvre didactique et narrative. Étude linguistique et littéraire de l’Enseignement des Princes et du Chastoiemens des Dames, éd. par J. H. Fox, Paris, Nizet, 1950.
16 Dits et contes de Baudoin de Condé et de son fils Jean de Condé, pub. par Auguste Scheler, Bruxelles, Devaux, 1866-7, 3 vols, et Jehan de Condé, a cura di S. Mazzoni Peruzzi, Florence, Olschki, 1990, 2 vols.
17 Sur la mauvaise réputation du lanier et l’usage possible du mot sous sa forme adjective avec un sens péjoratif, mais détaché du contexte cynégétique, cf. B. van den Abeele, op. cit., p. 197-199.
18 Par exemple l’image de l’aigle qui met ses petits à l’épreuve et rejette du nid les moins combatifs Car pour desnaturés les tient (Li dis de l’aigle, v. 69) : de même, l’homme de bien ne doit retenir autour de lui que ceux qui en valent la peine et rejeter couars et laniers (v. 75).
19 Li vers de droit Baudoin de Condé, v. 115-117 : Uns jours vanra que li laniers / Voleront plus haut que gruyer / S’on ne fait leur penne alentir (dans une strophe condamnant les haus homs qui admettent les villains à leur table).
20 On citera d’après la traduction française : André le Chapelain, Traité de l’Amour courtois, intr., trad. et notes par Cl. Buridant, Paris, Klincksieck, 2002 (1re éd. 1974). Sur la provenance et la diffusion (controversées) de ce texte, cf. entre autres Alfred Karnein, « La réception du De Amore d’André le Chapelain au xiiie siècle », Romania, 1981, 102, 3, p. 324-351, et, Romania, 1981, 102, 4, p. 501-542.
21 Li livres d’Amours de Drouart la Vache, éd. par R. Bossuat, Paris, 1926 et du même auteur : Drouart la Vache, traducteur d’André le Chapelain, Thèse de Lettres, Paris, 1926.
22 R. Bossuat, Drouart la Vache, traducteur…, p. 8.
23 Roturier et roturière, roturier et femme de petite noblesse, roturier et femme de haute noblesse, noble et roturière, noble et femme de la noblesse, grand seigneur et roturière, grand seigneur et dame de petite noblesse, grand seigneur et dame de haute noblesse. Cf. Douglas Kelly, « Courtly Love in Perspective: the Hierarchy of Love in Andreas Capellanus », Traditio, 24, 1968, p. 119-147.
24 Traité de l’Amour courtois…, I, VI, Dialogue D, p. 76.
25 Cf. le texte de Drouart : Ce n’est pas sans raison provee / Que distincion fu trovee / Entre hommes au commencement, / Ains fu trovee vraiement, / Por ce que chascun si requiere / Compaigniee de sa maniere, / Et que nus n’ait de chose cure / Qui n’apartient à sa nature. (v. 1409-16) On peut relever le terme distincion, suffisamment rare au Moyen Âge, au moins avant la fin de la période, pour que sa présence ici mérite d’être notée.
26 Traité de l’Amour courtois…, I, VI, p. 61 : « Je sais fort bien que l’amour n’a pas l’habitude de différencier les hommes par des titres (…) L’amour est en effet calqué sur la nature, donc les amants eux-mêmes ne doivent pas accorder plus d’attention aux différences entre les hommes que l’amour ne le fait lui-même (…) [ils] ne doivent pas porter intérêt aux différences de classes. »
27 Cf. Baudoin de Condé, op. cit., éd. Scheler, Li conte de gentilleche, v. 1-3 : Tout adiés doit li hons gentius/A gentillece estre ententius, / Se de nature ne forligne. On trouve même fornaturer dans Li contes du mantiel, v. 6-9 : Par nature ensi bons devient / Fius de preudome, et de tel pere / S’il avient c’a l’oir biens n’apere, / Dire puet on qu’il fornature.
28 Cf. Rüdiger Schnell, « L’amour courtois en tant que discours courtois sur l’amour », Romania, 1989, 110, p. 72-126 et p. 331-363.
29 Guillaume de Lorris et Jean de Meung, Le Roman de la Rose, éd. et trad. par A. Strubel, Paris, 1992.
30 Ce mythe originel doit être mis en relation avec un autre récit étiologique, dont il prend la suite : la description par Ami de l’Âge d’or et de sa fin, aux v. 9497-9683.
31 On retrouve, quelques vers plus bas (v. 18639-18680), la proclamation de la noblesse suprême des clercs.
32 Guillaume de Lorris, v. 3688-3701 : Vilains qui est cortois enrage, / Ice oi dire en reprovier ; Ne l’en ne puet faire esprevier/En nulle guise de busart.
33 Alexandre de Paris, Roman d’Alexandre, ed. by E. C. Armstrong, 1937-1976, trad. par L. Harf-Lancner, Paris, LGF, 1994.
34 Cf. O. Linder, Le jeu sérieux. La représentation idéalisée de l’univers aristocratique dans le roman de Tristan en prose, Thèse, Université de Nancy-2, 2006.
35 Citation d’après Chrétien de Troyes, Œuvres complètes, prés. et trad. par P. F. Dembowski, Ph. Walter, D. Poirion et A. Berthelot, Paris, Gallimard, (Bibliothèque de la Pléiade), 1994.
36 Jean Renart, L’escoufle, éd. par F. Sweetser, Genève, Droz, 1974.
37 Au service d’un riche bourgeois fasciné par le mode de vie aristocratique et qui l’a engagé pour l’afaitage de ses oiseaux, Guillaume capture un escoufle et, pris de rage, lui arrache le cœur pour le manger. L’épisode prélude à la récupération de son rang et de sa bien-aimée. Sur les informations relatives à la société aristocratique qu’on peut tirer de l’Escoufle et de l’œuvre de Jean Renart en général, cf. John W. Baldwin, Aristocratic Life in Medieval France. The Romances of Jean Renart and Gerbert de Montreuil, 1190-1230, Baltimore, John Hopkins UP, 2000.
38 Le motif du rapace ravisseur du gage d’amour sera repris par un poète alsacien anonyme. Der Bûzant (« Le busard ») comporte en outre une séquence de folie et de retour à la vie sauvage à l’instar d’Yvain chez Chrétien de Troyes. On trouve dans diverses œuvres médiévales la même trame, qui relie réflexion sur nature et culture, étiologie de la noblesse, motifs aviaires ou animaliers, folie temporaire et déclassement du personnage principal. Chez Jean de Condé, un Dis dou levrier raconte ainsi la ruine d’un jeune seigneur trop conciliant envers les exigences de sa dame, qui le trahit sans vergogne en épousant un parti plus avantageux. Il ne conserve de son ancien statut qu’un faucon et un lévrier. Le second lui manifestera l’indéfectible fidélité dont la femme s’est montrée incapable, le sauvera de la folie, lui permettra de retrouver son rang et d’accomplir sa vengeance.
39 Chrétien de Troyes, Erec et Enide, éd. par J.-M. Fritz, Paris, LGF, 1992.
Auteur
Lycée Saint-Exupéry – Blagnac
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