À l’écoute des Confessions : l’oiseau de saint Augustin
p. 139-152
Texte intégral
1Ni chronologiques, ni excessivement circonstanciées, les Confessions1 de saint Augustin, rédigées dans les toutes dernières années du ive siècle (397-401), retracent, en réalité, les étapes et les aléas d’un cheminement intérieur. Augustin l’Africain y apparaît à l’écoute de sa propre voix mais en même temps, et très progressivement, à l’écoute de celle de Dieu.
2Dix ans après deux événements majeurs de sa longue vie d’octogénaire ou peu s’en faut, ces Confessions sont d’abord à lire en fonction de ce double décret, si décisif à ses yeux : la mort de sa mère Monique, qui tient une si grande place dans son autobiographie spirituelle et son tardif baptême, au point que les deux événements en question se trouvent associés dans le titre du livre IX, livre-charnière on le verra : « le baptême et le deuil ». Mort et renaissance, ce condensé tout symbolique de vie, du berceau au tombeau, constitue l’intérêt majeur, à nos yeux, d’une volonté de retour aux sources, celle de renaître autrement. Titre par conséquent caractéristique de la tension constante de l’ensemble de la démarche des treize livres, soit largement plus de cinq cents pages pour le seul texte de la traduction en français, édition non-bilingue récemment rééditée sur les bases, certes revues et corrigées, de la vielle traduction du xviie siècle d’Arnauld d’Andilly2.
3Telles se présentent donc ces « confessions » de nature intimiste, au premier chef, qui se proposent, au travers de nombreuses difficultés de remémoration comme la transcription, de retracer l’itinéraire d’une âme chrétienne longtemps dévoyée, et qui vise au rachat, de soi d’abord.
4Dans le cadre exceptionnel de ce tête-à-tête avec soi qu’en treize livres saint Augustin entreprend de narrer, à la cinquantaine approximativement, il est pour le moins paradoxal qu’une autre voix amie, intime, confidente et complice, en retrait mais aussi bien au premier plan de ce lent et patient travail d’élucidation, puisse trouver place ; une voix intermédiaire en quelque sorte entre la créature à la recherche du vrai Dieu, en mal de vérité, et la Divinité à laquelle, implicitement ou non, ce travail d’élaboration s’adresse : cette voix est celle de l’oiseau dont la présence d’abord discrète, en filigrane, intermittente se fera, chemin faisant, plus insistante et qui finira par devenir, avec l’abondant livre XIII, le livre de la synthèse finale, capitale et symphonique.
5C’est pourtant ce qui advient au gré de différentes phases qui n’excluent nullement des retours en arrière de l’économie de l’ouvrage et en fonction du stade de l’écriture-thérapie tributaire d’une genèse portant sur plusieurs années, beaucoup moins cependant que celle d’une autre œuvre majeure, tardive et infiniment plus extravertie, la Cité de Dieu (423-424).
L’oiseau de la prédestination
6La première forme dans laquelle apparaît l’oiseau des Confessions est, de toute évidence, celle de la prédestination.
7C’est en effet, de la Création qu’il faut partir avec saint Augustin3 ; c’est ce à quoi celle-ci invite préalablement son lecteur : la figure d’un Dieu créateur de toutes choses :
« Je vous rends grâces, « mon Dieu » », confesse celui-ci au chapitre XXXII du troisième et dernier livre d’un ouvrage qui en comporte trente-huit au total, « je vous rends grâces de tous les ouvrages merveilleux que vous avez faits »,
8renvoyant ainsi, sous cette louange finale, en apothéose, au tout premier signe de reconnaissance devenu, par la suite, au fil des chapitres et des livres, un vrai leitmotiv (ex. I, II, p. 26) :
9« Le Dieu véritable qui a créé le ciel et la terre », autrement dit une préfiguration de ce qui constituera, au début du xiiie siècle, en Italie, l’hymne rédigé par saint François d’Assise et dont le premier vers de son Cantique des Créatures proclame :
« Loué sois-tu, mon Seigneur, pour toutes les créatures… »
10Une manière, ici, de rappeler que, bien avant la création de l’Ordre des Frères Mineurs, Augustin fut aussi celui qui fut considéré comme le fondateur de la vie cénobitique en Occident, organisant les clercs de son église en communauté conventuelle.
11C’est dans ce contexte primordial, celui de la Création telle que nous la livre la Genèse, que paraît l’oiseau, l’oiseau des origines. C’est avec la Lumière, celle de la création du monde, que cet oiseau augustinien paraît. Disons d’emblée que c’est dans la Lumière encore que celui-ci disparaîtra aussi bien à la fin des Confessions jusqu’à la fin de la Cité de Dieu.
12Or, en revenant aux sources, la recherche, ce mot-clé de l’entreprise d’investigation de saint Augustin, se radicalise pour mieux pouvoir se sublimer4 ; on pourra s’en apercevoir plus loin, avec le livre III ; on s’en aperçoit déjà, de bonne heure, lorsque Dieu est défini par cette formule « Deus creator omnium » (XI, XXVII, p. 62).
13Dans cette perspective ontologique, on comprendra, dès lors, combien est importante, chez Augustin, la notion d’écoute : celle-ci, en effet, surgit dans les tout premiers livres (I, II et IV) qui, par ailleurs, sont exempts du référent « oiseau », à commencer par le chapitre liminaire, l’un des plus longs de l’ouvrage : une quarantaine de pages. Notons-le d’emblée : l’oiseau futur des Confessions, n’apparaîtra que peu à peu : il ne figure point au tout début de l’histoire d’une conversion telle que nous la relate l’évêque d’Hippone, celui que Pétrarque, dans son dialogue imaginaire avec celui-ci, le Secretum, appelle Augustin l’Africain.
14Si l’on considère que cette phase préliminaire, de prédestination de l’oiseau, qui correspond, chez Augustin, à un apport culturel de sa part, peut être au départ de l’itinéraire de la conversion sans adhésion explicite au credo qui en découle (c’est là le hiatus que sa lucidité de repenti décèle en premier) ; si l’on considère donc que cette phase intéresse les neufs premiers livres, on enregistrera, à leur sujet, le constat suivant : pas de mention concernant l’oiseau dans les tout premiers chants (I, II et IV), cela a déjà été noté, à la différence de ce qui se passe dans la Cité de Dieu où, au contraire, l’oiseau paraît d’emblée, dans les tout premiers chants : d’abord au livre II (chap. XXII, p. 105) avec ces bêtes fétiches de la spiritualité pharaonique ; puis, au livre IV, avec le cygne de Jupiter (chap. XXVIII, p. 192) et avec les oiseaux de la divination que sont le corbeau et la corneille (chap. XXX, p. 195) ainsi qu’au livre V avec, cette fois, les oiseaux de la dévoration si proches de ceux de la peinture moderne, celle d’un Bernard Buffet par exemple (chap. VII, p. 215).
15Rien de tout cela dans les Confessions qui, par ailleurs, ne désigneront à aucun moment, tel oiseau plus particulièrement identifié et jamais non plus, ces oiseaux au négatif qui propagent le mal.
16Le constat du référent « oiseaux » dans les Confessions, porte à souligner une seule figuration de l’oiseau aux livres III, puis VI, VIII et IX. Font toutefois exceptions, les livres intermédiaires V et VII dans lesquels l’oiseau paraît, dans chacun à trois reprises tout de même.
17Mais précisément, sous quelles formes apparaît l’oiseau de saint Augustin ainsi distribué, fût-ce parcimonieusement, lors de cette première phase ?
18Il est tout à fait symptomatique que les quatre façons d’apparaître de l’oiseau dont il va être question et qui commandent par la suite une poétique plus nourrie et plus approfondie de l’oiseau avec ses composantes, ses attributs ou sa fonction, dérive en droite ligne de l’apologie plus haut soulignée de Dieu créateur du ciel et de la terre et maître absolu de toutes les créatures, et, en autres précisions (VI, p. 35) de celui qui préside aux destinées de toutes les choses mobiles et passagères (VI, p. 35) auxquelles appartient bien évidemment l’oiseau qui vole dans le ciel. Autant dire, sans qu’il soit effectivement nommé, qu’est inclus cet oiseau qui vit de et dans l’instant que définit Marie-Madeleine Davy dans son ouvrage5, oiseau de la mouvance autant que de la permanence.
19Quatre formes, avons-nous dit :
20– l’oiseau augustinien en ses prémices apparaît, d’abord (première forme), au sein de l’ensemble des corps célestes, mais à part des bêtes ainsi nommées de façon générale et après elles en quelque sorte : catégorie flottante, instable, pour ainsi dire insaisissable mais comme animal essentiellement doté d’une vue à nulle autre égale, animal voyant par conséquent : « les oiseaux voient aussi comme nous » écrit Augustin (III, p. 153).
21Ce parallèle premier, pionnier, établi entre l’oiseau évoluant entre ciel et terre, et l’homme, sur terre, est à retenir pour la suite de notre examen. Il conditionne, en effet, toute la démarche heuristique augustinienne.
22– Une seconde forme d’apparition, celle du générique « oiseau » ou si l’on préfère, du simple paramètre (« comme un oiseau ») surgit deux livres plus loin (livre V) en compagnie des poissons-de-la-mer qui, cependant, dans l’échelle des créatures vivantes et dans l’ordre d’apparition selon la Genèse, virent le jour en premiers. Bien loin d’être une éventuelle tautologie, l’expression « comme des oiseaux qui volent dans l’air » est au contraire, un très réel et éminent acte de naissance, un programme évolutif, dynamique qui définit tout à fait, exceptionnellement, l’animal ailé bien visible qui, naturellement d’abord, évolue tout en haut et au-dessus de toutes les autres créatures terrestres : ce « haut d’où Dieu crie », écrira encore Augustin au livre XI (p. 131) à l’opposé d’autres créatures condamnées à ramper (les reptiles) ou au secret de l’enfermement, comme les poissons confinés entre deux rives et dans les abysses.
23Or, cette primauté de l’oiseau, créature seconde dans l’ordre d’apparition des espèces, mais première puisque libre par excellence, est également à retenir : elle va dès lors, et après le tournant constitué par le livre IX, jouer un rôle capital dans la figuration de l’oiseau et dans sa signification en vue du salut ou du rachat. Cet oiseau-là, et dès le livre III, a déjà commencé à passer en tête, c’est-à-dire sous la plume d’Augustin, avant « les bêtes et les serpents » (III, p. 154).
24– Survient alors, par contiguïté et comme par juxtaposition immédiate, une troisième forme, beaucoup plus métaphorique que dans les deux premières formes examinées ci-dessus : c’est celle de l’oiseau signe ou indice de joie comme il le sera au paradis dantesque6 et ce, malgré tout, en totale opposition à la créature humaine trop souvent et généralement tributaire d’un enlisement dans l’argile :
« j’avais peine à en avoir de la joie parce que c’était comme un oiseau qui s’envolait de mes mains presque auparavant que je le puisse tenir. »
25En somme, il est tout à fait significatif qu’il n’aura fallu que cinq livres, soit point encore le milieu de l’itinéraire augustinien de repentance et de résipiscence, pour ériger l’oiseau comme paradigme de la jubilation et même comme affirmation d’une liberté et d’une autonomie supérieure. Ce même processus de décantation de l’oiseau comme référence d’une Création d’essence divine, redisons-le, se retrouvera aussi chez un autre enquêteur du « voyage de la vie », Dante qui fera de l’oiseau le parangon d’une éthique de l’épuration à quatre reprises dans le Purgatoire et autant au Paradis (Purg. XXIII, 3 ; XXIX, 64 ; XXVIII, 13-15 et Par. XVIII, 75 ; XXIII, 1-9 ; XXVII, 13-15 et XXIX, 118-120).
26– Reste donc une quatrième et dernière forme essentielle d’apparition de l’oiseau des Confessions : promesse d’avenir comme plus tard, chez Dante encore, (trois fois sur quatre au Paradis) et comme chez Pétrarque, une vingtaine d’années après la Divine Comédie, dans son dialogue de Secretum de 1342, avec Augustin justement, où il est autant question des Confessions et de la Cité de Dieu7 que de l’Africa, l’épopée latine, œuvre de toute une vie chez Pétrarque : cette quatrième forme est celle du petit oiseau, de l’oisillon, devenu synonyme de précoce recherche de la vérité. Celui-ci apparaît à l’avant-dernier livre des Confessions, le XIIe et dans deux chapitres, XXVII et XXVIII, mais de façon différente :
27La première mention, celle du premier des deux chapitres (XXVII, p. 129) dit exactement ceci :
« de plus, que ce petit oiseau qui n’a point encore de plume, ne soit pour le reporter dans son nid, afin qu’il vive et qu’il y demeure jusqu’à ce qu’il puisse voler. »
28En somme, un oisillon à la recherche de la maturité et de la plaine autonomie, un oisillon vu dans sa phase de « puberté et d’apprentissage ».
29Comparons cette figuration « adolescente » avec la suivante, celle du chapitre qui suit immédiatement le précédent (XXVIII, p. 129). Voici comment nous le présente Augustin cette fois :
« Quant aux autres pour qui ces paroles ne sont plus un nid, mais un jardin tout couvert d’arbuste frustres, ils volent avec joie de branche en branche. »
30Avec ceux-ci, en revanche, une étape a été franchie ; un stade dépassé, celui de la pause et du refuge dans l’espace étroit et protégé du nid ; un autre espace infiniment plus grand, plus libre, a été conquis, totalement propice au vol désormais ; le vol devenant la preuve manifeste de l’autonomie de l’oiseau et dont le tout dernier livre, le XIIIe, se fera le généreux interprète.
31En définitive, cette quatrième forme d’apparition nous révèle un oiseau porteur de résurrection, agent d’une maïeutique inscrite dans le temps à venir (cf. autres mentions préalables : I, 219 ; III, 222-223) ; rien de mieux que cet oiseau « grandi » et porteur d’espérance pour les générations futures.
32On l’aura constaté : beaucoup moins d’une dizaine de livres des Confessions auront permis à Augustin de considérer l’oiseau comme un vivant modèle d’un processus de transfiguration en cours ; ce qu’au chapitre XVII du livre VII, ce même Augustin a si joliment nommé « la vérité des choses qui sont sujettes au changement » (p. 246).
33Ce qui signifie qu’au cours du déroulement de l’histoire intime d’Augustin, de ces neuf livres par conséquent, le VIIe acquiert une résonance toute particulière ; en effet, en complétant la réévocation de la totalité de la Création animale, l’oiseau ou plutôt les oiseaux, c’est-à-dire l’une des espèces ou familles animales y est, y sont tantôt évoqué(s) et placé(s) bien en vue, en tête, au premier plan de ladite création, tantôt en revanche, replacé(s) au sein d’un autre ordre8, soit au cœur d’une succession où il n’est, alors, qu’un maillon parmi d’autres dans la continuité dynamique des espèces animales.
34Deux illustrations de ce schéma idéologique peuvent en être données :
35– le premier positionnement, élitiste, est celui du livre IX (p. 237-239) qui étalonne ainsi la revue des espèces animales :
« des oiseaux, des bêtes et des serpents ».
36On notera, à cet égard, le rejet, in fine, de l’éventuel aspect reptilien de l’oiseau dont parle Marie-Madeleine Davy dans son ouvrage sur la symbolique de l’oiseau9, c’est-à-dire, dans la perspective toute négative de l’oiseau de malheur ; l’oiseau de mauvais augure dont on a dit qu’il était totalement absent de la pensée augustinienne, celle des Confessions du moins ; à la différence de Dante qui, dans l’Enfer, il est vrai, et uniquement dans le royaume de la damnation, en a fait l’oiseau de la tempête et de la monstruosité.
37– À l’opposé de ce type de positionnement, on citera un second type, inverse du précédent, celui du chapitre XVI, p. 245 et puis du chapitre XVII, p. 246 où, dans les deux cas, les oiseaux passent en dernière position, et juste avant les vers et les vermisseaux, de la manière suivante :
« les bêtes, les reptiles et les oiseaux ».
38Que constate-t-on à la suite de ces observations méthodologiques qui affectent le classement des espèces animales ? Qu’aucun a priori contraignant, sous la plume d’Augustin, ne vient conditionner la suite de l’examen, celui des livres II et III notamment, que rien de doctrinal de trop rigide manière ne s’énonce en fin de compte, du moins jusqu’au livre IX où l’œil, la puissance oculaire est déjà mise en évidence dans et par l’oiseau.
39L’œil est tout : Augustin y insiste dès le premier des treize livres ; il sera bientôt celui de l’Oiseau, œil souverain de cette éminente créature divine et messagère céleste du Divin sans que jamais cet oiseau des Confessions, à la différence de ce qui se passe chez Dante, soit le roi des oiseaux, l’Aigle, oiseau favori du roi des dieux, Jupiter. Certes, Augustin lui préfère, et de très loin, l’œil intérieur qu’il nomme à plusieurs reprises, comme une prise en charge de son propre rachat, œil de la foi (1. III, chap. XI, p. 110). Car c’est l’homme intérieur 1. VIII, p. 271 « nu et à découvert ») qui doit savoir exercer « l’œil de mon âme » (1. VII, chap. V, p. 238) pour débusquer toute trace infernale et qui deviendra, un peu plus loin (1. VII, chap. X, p. 240), « l’œil de l’intelligence » ou encore, de façon plus intimiste et égocentrique « les yeux de mon âme », au pluriel pour l’occasion (ibidem, chap. XIX).
40En bref, à ce stade préparatoire des Confessions, et pour mieux s’affranchir de la « pesanteur peccamineuse » (M.-M. Davy), l’oiseau, déjà participe à sa manière, avant d’autres métamorphoses, de cette quête augustinienne si exigeante.
L’oiseau de l’élévation
41De la prédestination à l’élévation, il n’y a là qu’une suite logique. C’est le dernier terme de la dernière étape (1. III, fin chap. VI, p. 72) avant la sacralisation, stade final à proprement parler.
42Il est tout à fait significatif que jusque-là, mais depuis le début des Confessions, l’humilité est de rigueur dans le jugement qu’Augustin porte sur l’homme dont la première auto-définition, celle du livre I (chap. I, p. 25) désigne :
« une si petite partie de vos créatures. »
43et dont une autre définition, par oiseau interposé cette fois-ci, celle du livre III (chap. XXX, p. 539), déclare l’homme à l’image de Dieu semblablement à ce qu’est l’oiseau, faisant ainsi partie « de tous les petits animaux ».
44La voix, de ce fait, qu’avait captée dès le début l’auto-confesseur et thérapeute, Augustin (livre I, chap. VI) :
« comme une voix qui m’a annoncé la vérité. »
45écrit-il, est à nouveau présente au temps de l’élévation ; une voix qui, ici et maintenant, atteint les « oreilles intérieures ».
46L’élévation est double : elle est d’abord celle de Dieu, « élevé au-dessus de toutes choses » comme il est dit au livre VII (chap. XVIII, p. 248) ; puis elle est celle de celui qui veut définitivement s’abstraire de tout ce qui est terrestre et bas, autrement dit, de tout ce qui s’inscrit, expression récurrente sous la plume d’Augustin, « dans la voie large du siècle ». Dans ce schéma téléologique, l’oiseau, émanation, comme toutes les autres créatures de Dieu, et, en même temps, accessible à « l’œil et l’oreille de l’âme » comme à ceux de l’intelligence, joue un rôle d’intermédiaire dans l’élévation à laquelle aspire ardemment Augustin dans son patient et même douloureux examen de conscience.
47En réalité, et après les neuf premiers livres, étape préparatoire de la venue sur le devant de la scène de l’oiseau, les trois livres suivants (X, XI et XII) sont franchement décisifs quant aux réelles métamorphoses d’un oiseau nouveau sous la plume de saint Augustin. En effet, ces trois livres X, XI et XII, justifient amplement leur notoriété lorsqu’on évoque l’itinéraire spirituel des Confessions.
48Le premier chronologiquement, le Xe qui, brutalement fait passer le nombre de chapitres de 13 (1. IX) à 43, fait de celui-ci, et de très loin, le plus nourri en séquences narratives de toutes les Confessions ; par rapport au nombre de pages, même constat : en effet, l’on passe d’un livre IX qui, comme tous les précédents ou presque, comptait une trentaine de pages en moyenne, au double et même davantage puisque ce livre X compte soixante-douze pages dans l’édition de référence.
49C’est dire assez l’importance de ce tournant dans la biographie spirituelle augustinienne qui vaut le sous-titre dans l’édition bilingue des Belles Lettres : « une nouvelle phase des Confessions ». D’entrée, en écho obsédant, le verbe connaître associé à Dieu, résonne chez lui, et en même temps, déclare être une « énigme » et vouloir se dégager plus que faire se peut, « de la glu de la concupiscence », image dérivée de la capture des oiseaux (§ 42) tout en s’avouant, bien avant, tributaire d’une mémoire qu’il partage avec les bêtes et les oiseaux en particulier (§ XVII) et si désireux de rejoindre, au-delà de toutes les autres bêtes :
« Celui qui m’a séparé des animaux et m’a fait plus sage que les oiseaux du ciel. » (Ibidem)
50Rappelons également que l’importance de ce livre X n’avait point échappé à l’attention de Pétrarque lors de l’ascension du Ventoux lorsque celui-ci, parvenu non sans de grands efforts au sommet de cette montagne, avait éprouvé le besoin d’en faire une lecture à haute voix à son frère chartreux qui l’accompagnait : preuve éclatante d’une autre « élévation » réussie, enthousiaste, et relatée dans une célèbre lettre de sa correspondance (lettre du 13 avril 1336 adressée à un autre religieux, Donato de Bergo San Senpolcro de Malaucène).
51Quant aux deux livres suivants (XI et XII), constitutifs, avec le précédent, d’une nouvelle phase de la « renaissance » de saint Augustin, n’ont-ils pas fait l’objet d’une parution sélective, et limitée, des Confessions sous le titre séduisant de « la création du monde et le temps »10 ; et ce, indépendamment du fait qu’ils sont, l’un comme l’autre, avec le premier livre et avec le tout dernier livre (livre XIII), les livres les plus développés et riches en informations de ces Confessions avec une bonne quarantaine de pages chacun ?
52Mais surtout, et au regard cette fois de leur portée morale et philosophique beaucoup plus affinée, ces trois livres de la fin de la biographie spirituelle augustinienne peaufinent :
53– l’aile et le vol tout d’abord.
54Autant dire, à ce stade, que ce sont là, l’instrument et la manifestation d’une liberté, le gage d’une autonomie. Ils ont partie liée entre eux.
55L’émergence de l’une comme de l’autre dans le cours des Confessions, au livre VII déjà (« des ailes pour s’envoler au ciel », p. 278), puis réaffirmée au livre IX où Augustin fait l’éloge du vol impétueux (chap. X, p. 320), trouve sa pleine confirmation au livre X (chap. IV, p. 337), celle qui donne tout son sens à ces Confessions :
« sous l’ombre favorable de vos ailes (sub alis tuis). »
56Telle est la formule-sésame qui sonne comme l’énoncé d’un credo de la part de celui qui se dit demandeur de la manière suivante :
« je l’ai demandé à l’air et il m’a répondu aussi bien que tous ses oiseaux. »
57Mieux même : l’oiseau est devenu, à trois livres de la fin, l’intercesseur privilégié de celui qui a reçu comme un baptême qui l’assimile à cette créature messagère :
« et je vole en quelque sorte avec la pensée. »
58Plus loin, c’est la parole, après la voix après l’œil, qui profitera de ce vol médian, tout comme chez Dante dans l’ultime phase paradisiaque « terrestre » (Purg. X, p. 25 ; Purg. XIII, p. 28 ; et Purg. XXXII, p. 83).
59En réalité, beaucoup plus que dans les Confessions, c’est dans la Cité de Dieu qu’il convient d’aller chercher, d’une part, pleine et entière l’adhésion de la parole au vol, et, d’autre part, l’authentique fusion entre l’aile et la personne proprement divine d’un dieu : ce sera, en l’occurrence, le cas du dieu Mercure au livre VII (chap. XIV, p. 301), créature divine doublement ailée à la tête et aux pieds, ce qui lui valut, lui le dieu du commerce et des voyageurs, souligne saint Augustin, le surnom de Messager qui sait également colporter, dans ses vastes pérégrinations, la parole :
« et les ailes qu’on lui met à la tête et aux pieds, sont les emblèmes de la parole qui vole par les airs. »
60Rien de tel, en matière d’une semblable osmose entre l’aile et la divinité, dans le cadre des Confessions. Simplement, s’exprime une manière de s’affranchir du terrestre et de se délivrer de toute pesanteur tout comme Dante, si proche du salut, déclarera « se sentir pousser des ailes » (Purg. XXV, p. 123) allant même jusqu’à parler de « son » aile au Paradis (XXII, p. 105), quitte à confesser la valeur heuristique limitée de ces ailes, tout à la fin de son périple (Par. XXXIII, p. 139).
61Augustin, lui, proclame la valeur efficiente croissante des ailes, et ceci, encore au livre XII (chap. XI, p. 90) où, par deux fois, est prononcée la portée sacramentelle et quasi initiatique des rémiges salvatrices :
« sous l’ombre de vos ailes (sub alis tuis). »
62Pareillement au livre XIII, le dernier des Confessions, Augustin récidive : une sorte d’apothéose de la double puissance du vol et des ailes tout comme cela sera dit, encore, au dernier chapitre (chap. XXII) de la Cité de Dieu où le ciel est déclaré dernière étape d’un « ordre hiérarchique » dont s’est rendu maître, l’oiseau avec ce privilège exorbitant du vol au-dessus du terrestre (livre XXII, chap. VI, p. 313).
63Or, la Cité de Dieu est largement postérieure aux Confessions, d’une quinzaine d’années environ ; la concordance, à cet égard, quant à la prééminence de l’oiseau, est flagrante ; l’identité de vues remarquable entre une formule comme celle des Confessions (livre XIII) « ces oiseaux qui volent sous le firmament » et non plus seulement « sur terre », et cette autre formule, celle de la Cité de Dieu, qui évoque « celui qui a donné aux corps terrestres des oiseaux de s’élever dans l’air d’un vol léger », fournissant ainsi plus qu’un prétexte pour divulguer désormais le cliché des « oiseaux du ciel », dont le chant est comme le signe de ralliement et d’harmonie de tout l’univers ; un oiseau qui a pouvoir de vaticiner en quelque sorte. Dans le long examen de conscience effectué, livre après livre, au tournant du ive et du ve siècle, la voix – on l’a déjà souligné – mais le cri également, ont une importance primordiale, dans cette seconde phase surtout.
64– la voix et le cri ensuite :
65Ils sont essentiels donc dans cette étape où ils ne vont point l’un sans l’autre, et où « élévation » comprend au moins trois significations ; outre les deux significations signalées plus haut, celle de l’homme, créature raisonnable au-dessus de toutes les autres créatures animales, et celle de l’homme par rapport à Dieu, entre en jeu également, à présent, une troisième signification : celle de l’homme par rapport à lui-même, capitale désormais chez celui qui est appelé à éliminer en lui ce qui de trop corporel et de trop terrestre, l’alourdit et l’empêtre exagérément.
66L’ensemble des Confessions (avec leurs treize livres) tout comme l’ensemble de la Cité de Dieu plus amplement structurée (avec ses vingt-deux livres) développent la nécessité de l’écoute de cette voix régénératrice et de ce cri nouveau, littéralement inouï. Écouter et comprendre, voilà une première et urgente nécessité, souligne Augustin au livre XI (chap. II, p. 17-19) ; mais parallèlement, écouter l’Évangile, ce qu’il crie aux hommes, ce qui se fait entendre du haut des nuées, c’est là aussi, ce que précise, aussitôt, Augustin (même livre, chap. VI et VIII, p. 22 et 26).
67Or, l’oiseau justement, avec son chant, émanation du créé, un chant porteur de joie, de jubilation, est en quelque sorte, prédisposé à satisfaire pareille exigence ; crier recoupe créer (même livre XI, chap. XV, p. 40) ; crier n’est paradoxalement, du reste, nullement contradictoire avec un impérieux besoin de silence revendiqué plus d’une fois, au livre IX par exemple (chap. VIII, p. 311) puis au livre X (chap. II, p. 333 ; chap. VIII, p. 344) : un silence qui est une condition essentielle pour écouter la parole céleste (livre II, p. 61), pour capter du Haut la parole de Dieu qui crie, est-il rappelé au livre XI (p. 131). C’est dans ce contexte qu’intervient une expression particulièrement chère à Augustin, « les oreilles du cœur », expression tôt usitée, dès le livre IV, chap. XV, p. 143 des Confessions.
68Mais c’est aussi dans ce contexte qu’Augustin confesse, chez l’homme désireux de rachat, et au-delà de son cas personnel, l’urgence de s’élever « au-dessus des oiseaux du ciel » (livre X, p. 359).
69L’oiseau devient, de ce fait, appel à dépassement ; l’oiseau n’est donc plus seulement un moyen ou un but ; il symbolise un au-delà.
70Ce qui clairement signifie le double rôle assigné dès lors à l’oiseau, et c’est là le troisième aspect de cette phase dite d’élévation : d’une part, se laisser guider par l’oiseau-messager et c’est ce qui ressort à l’évidence des neufs premiers livres des Confessions ; mais, d’autre part, et ceci à partir du livre X, une invitation au dépassement pour répondre concrètement au message prodigué par l’oiseau du ciel et à l’invite de son chant. Le livre VIII (chap. XI, p. 347) a pu décrire, à ce sujet, qu’il appartient à la gent ailée de satisfaire à ce besoin supérieur, déjà détentrice plus que n’importe quelle autre espèce, du miracle de la vitesse et de l’ubiquité.
71Or, c’est bien cette espèce bénie de Dieu qui est particulièrement désignée pour aider l’homme à se dégager de la terre, lui qui est appelé dans les Confessions (livre VII, p. 85) « le plus bas degré de l’être » ; c’est, pareillement, bien là le sens final de l’éloge qu’adresse Augustin à l’oiseau du miracle dans la Cité de Dieu (livre XIX, chap. XXIII, p. 136), qui est, par ailleurs, la plus complète de toutes les créatures ; conjuguant vol, vent, aile, plume, elle mérite bien par conséquent de figurer, à titre tout à fait exceptionnel (seule espèce mentionnée), dans le tableau d’apothéose cosmique qui est celle des splendeurs du monde créé au dernier livre de la Cité de Dieu (1. XXII), à quelques chapitres de la fin (chap. XXIV, p. 340).
72À destin exceptionnel, celui de l’homme susceptible de rédemption, moyens exceptionnels, ceux procurés par la présence assidue de l’oiseau-messager devenu oiseau du Futur, d’oiseau de l’instant qu’il était jusqu’à alors. Ainsi s’impose cet oiseau de la manne céleste à fonction angélique puisque c’est bien cette fonction-là que mettent en évidence, les dernières pages de Confessions, d’intercession providentielle entre Dieu et les créatures au nombre desquelles, au premier plan, se trouve l’Homme :
« et les oiseaux ne laissent pas de se multiplier sur la terre » ;
73ainsi s’exprime, sur un ton quasi prophétique, le dernier livre des Confessions (XIII, chap. XXI, p. 521). On a presque envie de compléter la formule de bénédiction augustinienne par une autre formule universalisante : « sur la terre comme au ciel ». Glorification plus éclatante, il ne peut y avoir, dont cet oiseau-là gratifie les hommes de bonne volonté, à commencer par le signataire des Confessions.
L’oiseau de glorification
74De l’élévation à la glorification, étape finale et couronnement de la totalité de la démarche des Confessions, la corrélation est plus qu’évidente ; comme l’étaient déjà la prédestination et l’élévation.
75L’ensemble des Confessions constitue, en effet, une lente redécouverte de Dieu au travers de tentations ou de déviances idéologiques qui ont nom Donatistes, Pélagiens, Manichéens ; autant d’obstacles et de luttes âpres ayant retardé le processus de purification jusqu’au baptême tardif, signe de la conversion.
76De la musique initiale que par son chant, tout du long de la pratique introspective qui est celle des Confessions, l’oiseau pouvait rappeler, saint Augustin retourne à la vertu purgative musicale qui est celle des cantiques. En bref, le processus de la régénération11 opéré par celui-ci, l’a conduit à sortir de la nuit, comme dix siècles plus tard, le fera Dante12, en l’An 1300, justifiant ainsi la mention de ce même Augustin lorsque, au tout début de la Cité de Dieu, soit au livre I (chap. IX, p. 44), il en vient à évoquer :
« ces hommes voyageurs en ce monde, guidés par l’espérance de la céleste patrie. »
77Ce que Dante, pour son compte, a confié au néologisme verbal inciela (Par. III, p. 97-98), lui-même indissociable d’un autre néologisme verbal infuturarsi (Par. XVII, p. 98).
78Tout au long du parcours chaotique des Confessions comme, du reste, tout au long de l’itinéraire plus polémique et plus extraverti de la Cité de Dieu, l’oiseau aura servi de miroir au sens propre de la résurrection d’Augustin13. L’oiseau est alors devenu, sous la plume de ce dernier, soit un emblème tel que l’héraldique peut le révéler comme, par exemple, l’aigle à deux têtes des Habsbourgs ou encore celui des Scaliger de Vérone ou des Da Polenta de Ravenne, deux nobles familles de l’Italie du nord, padane, dont Dante fut l’hôte sur les chemins de l’exil (Par. XVII, p. 72 ; Inf. XXVII, p. 41) ; soit, tout le contraire d’une franche illustration iconographique, tout juste un indice voire une trace, celle, lumineuse d’une transcendance dont put bénéficier le pécheur repentant, Augustin, à la fin du ive siècle, Dante au début du xive siècle.
79Mais seule demeure toutefois, chez l’évêque d’Hippone, le signe lumineux de transcendance qu’est devenu l’oiseau dans son essence ; et d’aigle, en revanche, on l’a souligné et on le répète, il ne sera nullement question chez lui.
80Or, ce même saint Augustin, dont les deux œuvres majeures, à quelque quinze, vingt ans de distance, ont vanté les vertus exceptionnelles : liberté, vitesse, autonomie et légèreté, a, au fil des livres des Confessions et de la Cité de Dieu, effectivement allégé la créature pécheresse de sa pesanteur coupable, de tout ce qui avait pu constituer une séduction, une attraction pour le péché.
81Augustin, quant à lui, a su en montrer, au stade ultime de la progression et de la métamorphose avérée, tout le prestige, en fixer toute la fascination immobile, tant le livre XIII, livre ultime des Confessions que dans le livre XXII, livre ultime de la Cité de Dieu.
82L’oiseau souverain, avec le poisson, animal de choix de la Création finit, au bout des treize livres de la première des œuvres citées, par s’abolir et se magnifier dans le chant et dans l’azur : « dans le ciel des ciels », écrit saint Augustin. C’est là le point d’aboutissement de cet oiseau augustinien, oiseau de la mutabilité et de la permanence qui, porteur d’idéologie au-dessus de tout le règne animal, s’est mu en oiseau de l’intelligible et du spirituel (livre XII, chap. VIII, p. 86).
83Pour celui à qui il a d’abord indiqué la trajectoire de l’En-Haut, dont il a été rapidement plus que l’accompagnateur, le confident, le conseiller, il aura pu être en fin de compte, ce signe du divin, indispensable à une quête laborieuse mais concluante. Au point que le saint Augustin devenu plus qu’un interlocuteur de choix pour Pétrarque, dans son Secretum déjà cité, renversement idéologique symptomatique, renvoie au poète de l’Africa, l’image des « ailes du génie » ; seule mention sectorielle, minimale, de l’oiseau dans ce dialogue philosophique d’une autre nature, dans cette autre biographie spirituelle écrite six ans après l’ascension du Mont Ventoux, sous les auspices des Confessions augustiniennes14 ; une expérience vécue de l’En-Haut sur une montagne provençale au nom significatif si aérien.
Conclusion : l’oiseau de sainteté
84Les Confessions mais aussi la Cité de Dieu beaucoup plus tardive, ont clairement montré, chez Augustin, la place de choix, éminente même, qu’occupait l’oiseau, créature divine par excellence qui était déjà, dans l’Antiquité païenne, celle mise en évidence chez certains dieux ou certaines déesses : la chouette de Minerve, le paon de Junon et, par-dessus tout, l’aigle, roi des oiseaux du maître des dieux, Jupiter, créature présente fût-elle partiellement chez des créatures ailées comme Mercure.
85L’oiseau de saint Augustin, oiseau de la sainteté, et dans le cadre de sa biographie spirituelle, est tout naturellement et progressivement passé par trois paliers qui sont ceux que nous avons distingués : prédestination, élévation, glorification. En d’autres termes, trois étapes ou mieux trois degrés de la métamorphose de l’oiseau du ciel qui vole sur la terre mais également sous le firmament.
86Cet oiseau-là, exceptionnel, le plus en vue de toutes les créatures de Dieu n’est, en réalité, point l’apanage du seul évêque d’Hippone ; à la même époque, par exemple, il est aussi l’ami d’Ambroise de Milan, un familier d’Augustin, qui le privilégie à l’occasion ; et postérieurement également, cet œil de Dieu, aile voyante souveraine entre le ciel et la terre, séduit également des poètes, deux de ses plus grands admirateurs, italiens, et héritiers à leur manière, des modes de pensée et du message de saint Augustin : Dante et Pétrarque ; le premier qui, par trois fois, le met en scène en le nommant au début et à la fin du Paradis (Par. X, p. 120 ; XII, p. 130 et XXXII, p. 35) ; le second qui en fait un intime interlocuteur dans sa vie (le Ventoux) comme dans ses écrits (Secretum).
87Pour tous, contemporains ou successeurs, l’oiseau a, sinon la faculté de tout voir, du moins celle d’être un œil ailé comme l’atteste l’un des symboles les plus anciens, égyptien pharaonique15, on a eu l’occasion de le constater.
88Tout voir serait peut-être trop dire, mais aussi bien tout dire, ou du moins tout suggérer ; un langage extensible aux quatre horizons ; c’est bien là ce qui distingue, en définitive, l’oiseau du poisson, première espèce apparue au jour de la Création, mais animal condamné au mutisme, en dépit de ce qu’en dit Le prêche aux poissons (1654) du poète portugais du xviie siècle, Antonio Vieira16.
Notes de bas de page
1 Serge Ancel, Saint Augustin, Paris Fayard, 1999, 792 p. L’auteur a fort bien montré en quoi il s’agissait d’une biographie spirituelle.
Voir également P. Courcelle, Recherches sur les Confessions de saint Augustin, nv. Édition, 615 p., 24 pl., 1968.
2 Saint Augustin, les Confessions (intégrale des 13 livres) uniquement traduction française, Paris, Gallimard, Folio n° 2465, 600 p., 2001.
Saint Augustin, les Confessions, coll. des Universités de France, G. Budé, texte établi et traduit par Pierre de Labriolle en 2 tomes, t. I (1. I à VIII), 201 p. ; t. II (1. IX à XIII), Paris, Les Belles Lettres, 408 p., 1961.
3 Notre étude : « La paix ailée de l’évangéliaire de saint François d’Assise : les oiseaux du franciscanisme », Reinardus, n° 14, Amsterdam, John Benjamins and Co, 2001. Actes du colloque international de la SIR (Société internationale renardienne), 1999, p. 153-172.
4 Cf. Livre XI, chap. XXII, p. 50, « que personne ne me trouble dans cette recherche ».
5 Marie-Madeleine Davy, L’oiseau et sa symbolique, Paris, Albin Michel, 1992 ; réédition 1998, coll. « Espaces libres », 250 p.
6 Notre étude : « “Sous le signe ambigu de l’aile” : les oiseaux d’outre-tombe de la Pâque 1300 », Mélanges José Guidi, revue Lacs, Italies, n° 12, 2008, « Arches de Noé » (I), Université de Provence, Aix-en-Provence.
7 Saint Augustin, la Cité de Dieu, trad. du latin de Louis Moreau (1846), revue par J.-Cl. Eslin, 3 volumes (I : I à X ; II : XI à XVII ; III : VIII à XXII). Éditions du Seuil, Paris, mai 1994. Sa 77, coll. Points/Sagesse.
8 Oiseau en tête : 1. ix, chap. VII, p. 23 ; 1. XI, chap. XXIX, p. 50. Oiseau en n°2 ou plus : 1. XIV, chap. ii, p. 146 ; et 1. XV, chap. XXVI, p. 246.
9 Marie-Madeleine Davy, op. cit., p. 15.
10 Saint Augustin, La création du monde et le temps (livres XI et XII des Confessions), Paris, Gallimard, Folio, trad. du latin Arnauld d’Andilly, établie par Odette Barenne, 141 p., 2005.
11 Notre étude : « Comment régénérer le monde en l’an 1300 : les adverbes de la Divine Comédie », Mélanges Noboru Harano, Société d’études françaises, université d’Hiroschima (Japon), 1 vol. de 658 p., n° 24, 2006.
12 Notre étude : « “Le voyage au bout de la nuit” de Dante : les nuits du Purgatoire », Revue des langues romanes, (dir.) Gérard Gouiran, université Paul-Valéry-Montpellier iii, t. cx, p. 379406, n° 2, 2006.
13 Notre étude : « Pétrarque et la littérature spéculaire : le miroir de saint Augustin », Mélanges à Francis Dubost, par F. Gingras, Fr. Le Nan, Fr. Laurent et J.-R. Valette, Paris, Champion, 750 p., n° 6, 2005.
14 Édition italienne : Fr. Petrarca, Il mio segreto (monolingue), trad. e nota di Enrico Carrara, Firenze, Sansoni, coll. « la Meridiana », 139 p., nos 20-21, 1943. Édition française (monolingue), Pétrarque, Mon secret, trad. du latin et présenté par F. Dupuigrenet Desroussilles, Paris, Rivage, Poche, Petite bibliothèque, n° 52, 2005.
15 Saint Augustin, la Cité de Dieu, 1. II, chap. XXII, p. 105, à propos des oiseaux d’Égypte : « la superstition des Égyptiens adorateurs de bêtes et d’oiseaux » (cf. Horus, Ibis etc.). Saint-John Perse, Amers, suivi d’Oiseaux, Paris, NRF, Gallimard, coll. Poésie, p. 236, 1963 : « ils gardent parmi nous quelque chose du songe de la création » ; c’est la dernière phrase de la section 13 d’Oiseaux.
16 A. Vieira, Sermon de saint Antoine aux poissons, édit. bilingue présentée par H. Didier, librairie portugaise, Paris, édition Chandeigne, série lusitane, 107 p. (suivi d’une chronique biographique), 1998.
Deux ouvrages de très récente parution, et dans deux ordres d’idées différents, peuvent enrichir la problématique examinée dans cette étude et résumée brièvement dans notre conclusion :
– d’une part, au sujet des études augustiniennes, les actes d’un colloque de 2001 consacré à « Saint Augustin et à la modernité : Jacques Derrida – Saint Augustin, Des Confessions », trad. de l’anglais par P.-E. Dauzat, Paris, Stock, 498 p., 4e trim. 2006.
– d’autre part, l’ouvrage consacré par Catherine Chalier, disciple d’Emmanuel Lévinas, à la mystique juive : Des anges et des hommes, Paris, Albin Michel, coll. « Spiritualités », 2007 en ce qui concerne la notion de « messager » ailé semblable à ce qu’est l’oiseau.
Auteur
Université Paul-Valéry – Montpellier III
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