Chapitre VII. La raison
p. 143-162
Texte intégral
1Nous avons vu dans le chapitre précédent les déterminations essentielles de la nature dans le système léopardien. Il s’agit maintenant d’examiner celles de l’instance qui constitue son ennemie indéfectible, à savoir la raison. Nous savons déjà que la nature est grande et la raison petite, que celle-ci est aussi la faculté qui donne accès à l’intuition du néant comme fondement de toutes choses. Les paragraphes suivants proposent une analyse de la « raison par soi » (ragione per se) dans son contenu (puissance de vision) comme dans ses effets (folie, barbarie, ennui).
Raison pure et raison naturelle
Réfutation de l’irrationalisme et de la misologie
2La distinction entre une nature vigoureuse, pourvoyeuse de puissantes illusions qui pousseraient à de grandes et nobles actions, et une raison mortifère qui, toute absorbée dans sa contemplation du néant, frapperait d’inanité toute grandeur et réduirait l’être pensant à la « petitesse » (calcul mesquin, scélératesse, torpeur de l’inaction) peut susciter deux contresens sur la pensée léopardienne : l’irrationalisme et la misologie. Le premier a déjà été écarté : le nihilisme léopardien n’est pas un irrationalisme dans la mesure où il nie que la nature, en son sens premier de nature-système, de nature-être, en tant qu’ordre et harmonie, soit inconnaissable. C’est précisément en tant qu’elles font système que la philosophie et la science sont en mesure d’en déterminer rationnellement, quoique sur des modes différents, les principes et les lois. Sur ce point, Leopardi demeure assurément un héritier du rationalisme classique et non un précurseur du mysticisme de l’ineffable. S’il y a bien un « mystère » qui invalide la raison et la frappe de « stupeur » (quelque chose d’arcano e stupendo), c’est celui de la nature en tant qu’« existence universelle et infinie », c’est-à-dire en tant qu’elle s’identifie sur un mode que la raison seule ne peut saisir – celui de la contradiction totale – avec le néant. Si la nature en tant que néant est fondamentalement et totalement contradictoire, la nature en tant qu’être est rationnelle et il n’y a « aucune contradiction en elle ». En sorte qu’on pourrait dire que ce ne sont ni le néant ni l’être qui constituent le véritable mystère pour Leopardi mais le renversement de l’un en l’autre. Encore une fois, la démarche sceptique de Leopardi est proche de celle de Montaigne dans la mesure où il ne peint pas l’être (ni d’ailleurs le non-être) mais leur « passage » au sens du « pur fait réel » de l’advenue (l’« accident » au sens d’ac-cadere, ce qui surgit de façon contingente) du néant comme être, de l’irrationnel comme rationnel, de l’inconnaissable comme ce qui peut être connu.
3Il n’y a pas non plus de misologie au sens d’une haine ou d’un mépris de la raison. La raison n’est, de toute évidence, pas méprisée par Leopardi au sens où elle serait ignorée puisqu’elle constitue factuellement l’une des préoccupations, l’une des lignes de souci les plus constantes du Zibaldone, mais pas non plus au sens où elle serait dévaluée. Certes, dans le domaine moral, la raison est « petite ». Le déploiement de la rationalité (plus exactement de la rationalité pure : Leopardi fait droit à une « raison naturelle » qui n’entrave pas l’action mais au contraire la guide de façon adéquate) conduit à l’hésitation, à l’inaction ou à l’action sans grandeur. Mais cette condamnation est en même temps solidaire de la reconnaissance, dans le champ théorétique, d’une puissance inouïe de la raison. La « raison par soi » (ragione per se) a une valeur et une effectivité incontestables pour Leopardi, c’est ce que met en lumière la pensée des pages [2941-2943], datée du 11 juillet 1823 :
Le principal défaut de la raison n’est pas, comme on le dit, d’être impuissante. En vérité, elle peut beaucoup, et il suffit pour s’en apercevoir de comparer l’esprit et l’intellect d’un grand philosophe à celui d’un sauvage ou d’un enfant, ou à celui de ce même philosophe avant qu’il ne fasse pour la première fois usage de sa raison ; et, de la même façon, de comparer le monde civilisé actuel, tant matériel que moral, au monde sauvage actuel, et plus encore au monde primitif. Que ne peut faire la raison humaine dans la spéculation ? Ne pénètre-t-elle pas jusqu’à l’essence des choses existantes et d’elle-même ? Ne monte-t-elle pas jusqu’au trône de Dieu et ne [2942] parvient-elle pas jusqu’à un certain point à analyser la nature de l’Être suprême ? (Voyez ce que j’ai dit ailleurs à ce sujet1.) La raison n’est donc par soi, et en tant que raison, ni impuissante ni faible, elle est au contraire, en tant que faculté d’un être fini, extrêmement puissante ; mais elle est nocive, elle rend impuissant celui qui en use, et d’autant plus impuissant qu’il en fait grand usage ; et à mesure que croît son pouvoir, celui de qui l’exerce et la possède diminue, et plus elle se perfectionne, plus l’être raisonnant devient imparfait ; elle rend petits, vils et insignifiants tous les objets sur lesquels elle s’exerce, elle anéantit ce qui est grand, ce qui est beau, et pour ainsi dire l’existence elle-même, elle est la véritable mère et la cause du néant, et les choses se rapetissent d’autant plus qu’elle croît ; et plus l’intensité et l’extension de son existence sont grandes plus l’être des choses diminue, se réduit et approche du rien. Nous ne disons pas que la raison voit peu. Car sa vue s’étend presque à l’infini et s’exerce avec une très grande acuité sur chaque objet, mais cette vue a la propriété de faire en sorte que l’espace et les objets apparaissent d’autant plus petits qu’elle s’étend plus loin [2943] et finalement qu’elle voit mieux et davantage. De même qu’elle voit toujours peu et en définitive rien, non parce qu’elle est grossière et courte, mais parce que les objets et l’espace lui manquent d’autant plus qu’elle les embrasse davantage et les distingue minutieusement. De même que le peu et le rien sont dans les objets et non dans la raison (bien que les objets existent et soient grands par rapport à quelque autre chose, excepté par rapport à la raison). C’est pourquoi elle peut très bien voir par soi, mais elle voit d’autant moins en acte qu’elle voit davantage. Elle voit pourtant tout le visible, et ce d’autant plus que celui-ci est et peut être visible à quelque vue que ce soit.
« Mère et cause du néant »
4La raison est « mère » du néant, c’est-à-dire qu’elle le conçoit au sens spéculatif comme au sens physiologique : elle en produit le concept (le « Tout est néant » comme contenu du vrai) et, ce faisant, le met au monde, le fait apparaître dans le monde comme vérité et comme effectivité. La raison est aussi cagione du néant. Le choix de ce terme est significatif dans la mesure où il ne s’identifie pas exactement avec ceux de « cause » ou de « raison ». La cagione italienne est bien une ragione, une raison au sens d’un motif intelligible (ratio), autant qu’une cause productrice (causa), mais elle porte en elle une nuance essentielle : celle d’occasion. La raison est cause occasionnelle du néant au sens où elle est cette faculté à la faveur de laquelle le néant est rendu « visible ». Cette cause relève du hasard (caso), de « circonstances accidentelles et arbitraires » (le devenir des choses est un ac-cadere, un advenir contingent) et ne contient en elle-même aucune nécessité. La raison n’est pas une faculté innée mais acquise (saisie dans le devenir des « choses qui existent », elle peut apparaître, se développer et croître de façon plus ou moins intense, disparaître, etc.) et encore moins un fondement éternel, immuable et nécessaire. Elle n’est ni transcendantale ni transcendante, ni condition de possibilité de l’expérience ni instance d’une nature substantiellement différente de celle des choses existantes. Une objection peut alors apparaître : si la raison est bien, d’une part, la faculté privilégiée du néant, celle qui, détruisant les illusions naturelles de l’imagination, donne accès au contenu de la vérité du « Tutto è nulla » et qu’elle est, d’autre part, essentiellement contingente, cette vérité rationnelle ne devient-elle pas à son tour un simple point de vue ? Que peut bien valoir la vérité délivrée par une faculté qui, de l’aveu même de Leopardi, pourrait aussi bien ne pas être ? Dans cette perspective, parler du néant du Tout ne serait pas plus pertinent ou valide que de parler de sa « beauté » ou de sa « laideur », de sa « petitesse » ou de sa « grandeur », etc. La réponse à cette objection est présente dans cette pensée du 11 juillet 1823 : « le néant est dans les choses, pas dans la raison ». Avant d’être explicitée, cette formule doit être précisée : le néant est dans les choses mais pas dans la raison en tant qu’elle serait autre chose qu’une chose – c’est-à-dire autre chose qu’un « être fini » saisi dans le devenir. En effet, en tant que faculté finie d’« un être fini », la raison n’est pas absolue et nécessaire mais relative et contingente : elle énonce la vérité sur un mode déterminé. Cependant, si cette énonciation est relative (elle se manifeste dans un système déterminé, par exemple celui qui se déploie au fil des pages du Zibaldone, lui-même relatif et compris dans un autre système qu’est la langue italienne, etc.), son contenu, lui, ne l’est pas. Leopardi ne peut soutenir qu’il existerait un statut d’exception de la raison qui la préserverait du néant. Le néant est « dans » la raison tout autant que « dans » les objets. Celle-ci est « faculté » du néant au double sens du génitif : ce qui connaît le néant comme objet extérieur et le néant lui-même qui se manifeste, se rend visible comme vérité du sujet (« ce néant que j’étais moi-même », un nulla io medesimo, [72]).
5Ce que Leopardi affirme, et c’est le point fondamental, c’est que le néant n’est pas une idée de la raison si l’on veut entendre par là une production purement subjective et nominale. Le néant est réel. Il est « dans » l’être, en toute chose qui existe (« raison » incluse) dans la mesure où il en constitue la vérité. La vérité du « Tutto è nulla » ne se dissout pas dans le « Tutto è relativo » car le non-être est immanent, il est le plan de consistance des choses (solido nulla) : ce dont elles « surgissent » (scaturiscono), ce en quoi elles se maintiennent provisoirement (passare) et ce en quoi elles finissent par faire retour (caducità). Toutes les choses sont relatives, toutes les formulations de la vérité sont relatives (même le « Tout est mal », seulement plus « plausible » – sostenibile – que le « Tout est bien » et donc relatif à lui) mais elles le sont pour ainsi dire absolument par rapport au contenu de la vérité rationnelle, à savoir la position du néant comme fondement de l’être.
La raison comme puissance de vision
6Il existe une tension entre l’essence de la raison et ses effets. En elle-même, la raison n’est ni « faible », ni « impuissante » mais au contraire « très puissante » (potentissima). Elle investit l’« être raisonnant » d’une puissance de vision, c’est-à-dire de la faculté de rendre manifeste le néant de la chose sur laquelle porte son examen. Et en même temps, Leopardi qualifie cette puissance de « nocive » (dannosa) dans la mesure où elle rend « impuissant » celui qui en fait l’usage. On retrouve ici les résultats des pages [14-15], la raison fait obstacle à l’action spontanée voulue par la nature : elle plonge dans l’ennui, l’indifférence, l’inaction. Mais Leopardi enrichit ici sa réflexion de la description du curieux mécanisme par lequel la raison parasite son hôte, le sujet connaissant : plus elle croît en lui et plus il perd sa force ; plus elle se « perfectionne » (et il n’est pas contradictoire, dans la pensée léopardienne, de concevoir la raison sur le mode d’une faculté qui devient – non d’une faculté innée et statique qui demeurerait toujours égale à elle-même) et plus l’être raisonnant devient « imparfait ». Sa vigueur naturelle diminue au profit d’une croissance monstrueuse de la raison. Tout se passe comme si celle-ci cherchait à obtenir son autonomie, à s’affranchir progressivement de la nature et devenir raison pure. Leopardi rejette l’idée que le déploiement de la rationalité en l’homme corresponde à son perfectionnement. Si l’on postule avec la tradition philosophique depuis Aristote qu’il existe une vocation théorétique de l’homme (un désir, par nature, de savoir) alors il faut conclure que l’accomplissement de cette vocation s’identifie avec son plus haut degré d’imperfection et de « corruption ». La puissance de vision que confère la raison n’épargne ni l’« être raisonnant » ni l’objet de son examen : plus la raison est forte, plus elle rapetisse et avilit le réel : « les choses rapetissent d’autant plus qu’elle croît ». Plus le néant devient solide plus l’« être des choses » vient « à manquer », comme un air qui se raréfierait. La raison, en tant que faculté de connaître le néant, est décrite par Leopardi comme un parasitisme et une asphyxie, et cette description aboutit à deux contradictions explicites : premièrement, la raison est la puissance de l’impuissance ; deuxièmement, plus elle voit le réel et moins elle le voit (plus elle l’anéantit).
« Dans le dévoilement, seul le néant s’accroît »
7La cartographie est l’activité rationnelle par excellence, elle illustre parfaitement le processus par lequel la raison « rapetisse » les choses qu’elle examine et les fait « approcher du rien ». Leopardi l’évoque aux pages [246-247] en comparant deux façons d’appréhender le monde : selon l’imagination et selon la raison. L’imagination poétique représente le monde sur le mode de la vaghezza, c’est-à-dire d’une beauté et d’une grandeur indéfinie. C’est ce qu’exprime le « peut-être » dans le vers de Pétrarque parlant des antipodes : « e che ‘l di’nostro vola a gente che di là forse l’aspetta » (« Et que notre jour vole vers un peuple qui, là-bas, peut-être l’attend »). Ce « peut-être », écrit Leopardi, « nous laisse concevoir ce peuple et ces contrées comme quelque chose d’immense et d’extrêmement plaisant pour l’imagination » ; il est intensément poétique et « extrêmement plaisant » en raison même de l’indétermination de la réalité qu’il exprime : des terres si lointaines que le poète se demande ou feint de se demander si le soleil s’est déjà levé sur elles… L’imagination en général et la poésie en particulier nous font « concevoir » le monde sur le mode de l’erreur (au sens large que ce terme recouvre chez Leopardi : illusions, leurres, fictions, mythes, etc.) mais cette connaissance illusoire est fondamentalement plaisir. Si l’on considère maintenant la raison, on observe un fonctionnement tout différent. À l’inverse de l’imagination qui porte à l’existence l’indéfini, la raison se caractérise avant tout par un processus d’analyse qui manifeste la volonté de tout réduire au fini : le monde n’est plus chanté sur le mode du faux mais décomposé sur celui du vrai. La raison, pour Leopardi, n’est pas autre chose qu’une mathésis : elle mesure, calcule, délimite, circonscrit. Elle est tout entière tendue vers la définition, au sens littéral, de ce qui est. Dans l’espace fictionnel du vers, les antipodes apparaissaient comme infiniment lointains et mystérieux ; dans l’espace rationnel de la carte, ils apparaissent, nommés et figurés, dans la vérité aride de leur finitude. Certes, comme le souligne Leopardi, ces terres inconnues « n’ont pas rétréci » au moment où elles ont été découvertes mais, dès qu’elles « sont apparues sur une mappemonde », l’idée que l’esprit « s’en faisait » a perdu « toute grandeur », « toute beauté » et « tout prestige ». La raison en tant que faculté du vrai détruit l’imagination en tant que faculté du beau. En ce sens, en effet, elle est extrêmement puissante et sa puissance est bien une puissance de vision. Elle rend visible le monde, le fait apparaître tel qu’il est, c’est-à-dire comme un néant. Elle n’opère pas une simple réduction relativiste du réel (ce qui était infini nous apparaît comme fini, ce qui était grand nous apparaît comme petit, ce qui était noble nous apparaît comme vil et insignifiant, etc.) mais un véritable anéantissement. La raison « annule le grand, le beau, et pour ainsi dire l’existence même » [2942], elle perpètre ce « massacre des illusions » (strage delle illusioni) dont parle Leopardi dans son Discorso sopra lo stato presente dei costumi degl’Italiani et détruit dans le même mouvement cette guise poétique du système de la nature.
8Le paradoxe que Leopardi met en lumière, c’est que la rationalité, dans sa quête effrénée du fini, de la définition ultime de l’être, au moyen de toute la précision, la méticulosité et la rigueur de sa méthode – croyant révéler l’être véritable derrière le non-être des illusions de la nature et des fictions de la poésie – ne parvient finalement qu’à découvrir son autre : le non-être véritable, c’est-à-dire l’infinité du néant. Le déploiement de l’empire de la raison dépeuple le réel. Plus il le sature de la pléthore de ses déterminations objectives et plus ce réel devient désert. Quelle que soit son échelle, le destin de la carte n’est pas seulement de rapetisser le territoire, mais de l’anéantir.
9« Nos songes merveilleux, où s’en sont ils allés ? / Refuges inconnus / D’habitants inconnus » demande Leopardi dans les beaux vers de la canzone ÀAngelo Mai. « Tous, d’un coup, dissipés, / Le monde est figuré dans une brève carte ; / Tout est semblable à tout : dans le dévoilement, / seul le néant s’accroît » (« e discoprendo, / Solo il nulla s’accresce », vv. 91-100). La raison est cette puissance de dévoilement qui ne se contente pas de voir le néant, comme si elle était une faculté abstraite et inoffensive, mais en fait croître l’empire.
La raison naturelle et ses syllogismes
10La raison est « l’ennemie mortelle de la nature » (mortal nemica della natura, [1835]) dans la mesure où elle détruit les illusions, les erreurs et les leurres nécessaires à l’existence, c’est là son extrême puissance. L’opposition entre les deux instances semble totale et irrécusable : la nature est grandeur, choix et action tandis que la raison renvoie à la petitesse, l’indifférence et l’inertie. Et pourtant, il existe bien chez Leopardi une « raison naturelle ». C’est que la raison est avant tout une « faculté », cette détermination essentielle a tendance à être éclipsée par les séries d’oppositions évoquées plus haut. En tant que faculté, elle n’est pas innée mais acquise au fil de l’expérience (« la mère commune de toutes nos idées », la madre comune di tutte le idee, [1339]), elle est liée à l’usage de nos sens et s’acquiert par l’« accoutumance » (assueffazione, [4108]) qui se définit dans le système léopardien comme le rythme sur lequel l’existant plie le devenir à une forme de régularité, d’ordre ou de convenir. À partir de là, il existe différents degrés de rationalité en fonction des différents rapports de convenance ou de disconvenance entre la nature humaine et la nature primordiale. Lorsque l’homme sort « substantiellement parfait des mains de la nature » [407], comme c’est le cas chez le « sauvage » et l’« enfant », c’est cette « raison naturelle » qui le caractérise. Leopardi décrit ensuite le développement de l’esprit humain comme un processus d’autonomisation progressive de la raison (« L’homme s’éloigne de la nature », [441]). Ce parcours s’achève lorsque la raison devient « raison pure », c’est-à-dire lorsqu’elle parvient à s’affranchir complètement de sa dimension naturelle. Ce dernier stade de la raison ne correspond pas à un stade de perfection de l’esprit mais au contraire de suprême imperfection. Lorsque la raison sort des bornes que lui a assignées la nature et prétend étendre sur la totalité du réel son « empire » (impero della ragione, [37]) exclusif et autarcique, elle prend alors la forme de l’ennui, de la folie et de la barbarie. L’ennui est la tonalité qui s’approche le plus d’une expérience pure du néant, la folie est la manifestation cognitive de la raison pure déréglée tandis que la barbarie en est la manifestation sociale et politique.
11La raison comme « véritable mère et cause du néant » (vera madre e cagione del nulla, [2942]) correspond en réalité à un stade tardif du développement de l’esprit. Elle est cette faculté « extrêmement puissante » qui rend « impuissant » celui qui la met en œuvre dans la mesure où elle lui donne accès au contenu de la vérité, à savoir la connaissance du néant comme principe de toutes choses. Autrement dit, la raison pure a pour effet de séparer le sujet de sa capacité d’action. Mais ce n’est pas là une propriété intrinsèque de la raison : dans sa forme originaire, la « raison naturelle » ne fait pas obstacle à l’action mais la rend possible et la guide de façon adéquate. « Les opérations et la vie tout entière de l’homme naturel et des êtres vivants sont parfaitement raisonnables » [447], ce qui ne revient pas à dire qu’elles soient rationnelles. Pour comprendre cette distinction il faut revenir à la pensée des pages [443-444], datée de décembre 1820, qui en éclaire l’origine commune :
Tous les idéologues modernes ont établi que les idées ou les croyances les plus primitives et les plus nécessaires à l’action la plus vitale – et donc toutes les idées ou les croyances à l’œuvre chez l’enfant dès sa naissance (et de la même façon chez tous les autres animaux) ; toutes les idées ou les croyances déterminées ou indéterminées, c’est-à-dire relatives ou non à l’action, ne viennent que de l’expérience et ne sont donc pas autre chose que des conséquences tirées par le moyen d’un raisonnement et d’une opération syllogistique, à partir d’une majeure, etc. (Observez ici la nécessité du raisonnement chez les bêtes brutes.)
Cette expérience, qui doit nécessairement former la base ou, comme nous les appelons, les prémisses du syllogisme – syllogisme sans lequel il n’y a ni idée ni croyance – peut être de deux sortes. L’une dérive des penchants naturels, des émotions, etc. c’est-à-dire de toutes les choses véritablement innées et absolument primitives, quoique beaucoup d’entre elles puissent se développer plus ou moins, ou pas du tout, puissent s’altérer, se corrompre, etc. L’homme qui ressent la faim (et c’est là une expérience) et se sent porté par la nature vers la nourriture (ce n’est pas là une idée mais un penchant), en déduit qu’il doit se nourrir et que la nourriture est une bonne chose. Voici la conséquence, et donc [444] la croyance. Il se détermine et se résout à se nourrir. Voilà la détermination de la volonté engendrée par la détermination préalable de l’intellect, ou plutôt de la croyance. Il s’ensuit le fait de se nourrir, c’est-à-dire l’action qui dérive de la volonté déterminée d’une certaine manière.
L’autre genre d’expérience relève des sens externes. L’un et l’autre genres d’expérience sont les deux seules sources de la connaissance en acte (et non en puissance), les seules sources de la croyance ou du savoir. Cette conséquence se tire ensuite d’une expérience donnée – ce qui est relatif, puisque l’homme naturel en tire une et l’homme social, instruit, etc. une autre et tel animal, d’une espèce différente, une autre encore, et ainsi de suite. Elles sont ainsi relatives et différencient les croyances.
12Cette pensée décrit la fonction de la raison dans la genèse de l’action. Pour Leopardi, l’être naturel est raisonnable dans la mesure où c’est bien un « raisonnement », et pas un instinct, qui rend possible son action. Il identifie ce raisonnement à une « opération syllogistique ». Leopardi opère un curieux montage dans lequel se trouvent liés le lexique de la logique aristotélicienne (« prémisses », « majeure », « conclusion ») et la thèse fondamentale de l’empirisme reprise par les « idéologues » (Destutt de Tracy, Cabanis) selon laquelle toutes nos idées et nos croyances proviennent de l’« expérience ». En son sens premier, la raison n’est donc pas la faculté qui révèle le néant mais celle qui forme des syllogismes (« notre raison n’est absolument pas autre chose qu’un syllogisme », « chaque syllogisme, c’est-à-dire chaque acte et chaque notion de notre raison », [1771-1774]). Mais que signifie au juste « former un syllogisme » pour Leopardi ? Pas autre chose que « tirer des conséquences » sur la base d’une expérience donnée. Peut être nommée syllogisme toute opération de l’esprit qui, à partir de prémisses données correspondant à une « expérience », tire une « conséquence » (ou une « conclusion ») que l’on pourra aussi bien nommer « idée » ou « croyance » et qui permet à la volonté de se déterminer et d’initier l’« action vitale ». L’expérience qui forme la base du syllogisme peut se présenter sous deux formes : celle des sens externes et celle du sens interne. Leopardi ne s’attarde pas sur la première mais développe la seconde en décrivant le processus en cinq temps : 1. J’éprouve le sentiment de faim, voici une esperienza 2. Je désire la nourriture, voici la tendance ou l’inclinazione naturelle. 3. Je déduis de cette inclination qu’il faut se nourrir, que la nourriture est une chose bonne, voici l’idée ou la « croyance ». 4. S’ensuit alors la détermination de ma volonté. 5. Qui me conduit à l’« action » de me nourrir. Le syllogisme intervient ici au troisième moment, pour convertir l’affect (l’« expérience donnée », la data esperienza) en connaissance. C’est l’un des résultats les plus importants de cette pensée que d’établir le lien entre raison et croyance : est appelé raison ce qui, en tant que syllogisme, c’est-à-dire faculté de produire des inférences, génère la croyance (ce que nous appellerions un « jugement de valeur », dans cet exemple : « il cibo è buono ») nécessaire à la détermination de la volonté qui précède l’action.
13Cette analyse a des conséquences qui ne sont pas triviales : premièrement, la raison ainsi comprise échoit nécessairement aux animaux (necessità del raziocinio ne’bruti). Deuxièmement, elle n’est pas une faculté statique, une et toujours identique à elle-même, structurée a priori et de façon définitive. Elle ne naît pas seulement avec l’expérience mais se développe, s’accroît et se métamorphose avec elle. L’expérience, en tant que phénomène originaire, saisit la rationalité dans la logique du devenir. Il n’y a pas à proprement parler de raison mais des « degrés » de rationalité (« ce degré de faculté intellectuelle que l’on appelle raison », quel grado di facoltà intellettuale che si chiama ragione, [3896]). Troisièmement, et c’est sans doute la plus fondamentale : la véritable ennemie de la nature n’est pas la raison mais la science, la « connaissance » (cognizione, [447]). La raison en elle-même est « absolument innocente » : l’homme « à l’état de nature », le « sauvage », détermine son action « en vertu d’un parfait raisonnement ». La faculté d’inférence par laquelle l’être naturel se détermine à agir (recherche ce qui lui semble bon, fuit ce qui lui semble mauvais) sur la base de croyances est la condition de son bonheur. L’être raisonnable trouve son bonheur dans l’action déterminée vigoureusement par la croyance que lui octroie l’opération syllogistique de la raison naturelle tandis que l’être rationnel trouve son tourment dans l’inaction à laquelle le conduisent fatalement l’indifférence, le doute ou l’irrésolution qui sont les effets de la connaissance pure du vrai.
Deux effets de la raison pure : folie et barbarie
Sagesse de la folie
14La pensée léopardienne ne condamne pas la raison quand elle demeure dans sa guise naturelle. Comme telle, elle est une faculté essentielle au vivant. En revanche, elle condamne cette faculté quand elle s’éloigne de la nature et prétend devenir autonome. La raison est originairement parfaite, elle est la faculté de produire les syllogismes vitaux qui permettent aux êtres de déterminer leur action en vue du bonheur, « fin nécessaire, continuelle et perpétuelle de toutes les représentations, de toutes les actions, de toute la vie de l’animal » [2553]. Le devenir de la raison ne peut pas être sans conséquence et son développement ne peut se réduire à un simple changement quantitatif. Connaître davantage le réel, en extension comme en profondeur, c’est le connaître différemment. Lorsque la raison augmente et change « par la seule force d’accoutumances indues et artificielles » [1825], elle cesse d’être le guide naturel de l’être vivant et devient l’instrument de son malheur. C’est dans la pensée de la page [104], datée de janvier 1820, que Leopardi expose sa critique de la raison « pure et sans mélange » (pura e senza mescolanza) comme source de la « folie » :
Je veux noter ici combien la raison humaine, dont nous nous enorgueillissons tant par rapport aux autres animaux et dans le perfectionnement de laquelle nous faisons tenir celui de l’homme, est misérable et impuissante à nous rendre, je n’ose pas dire heureux, mais moins malheureux et surtout impuissante à nous conduire à la sagesse qui semble tenir tout entière dans le plein usage de la raison. Car enfin, celui qui fixerait perpétuellement son esprit sur le sentiment du néant véritable et certain des choses, au point [104] que la succession et la variété des objets et des événements ne parviendraient plus à le détourner de cette pensée, deviendrait par là même absolument fou. Chacun peut d’ailleurs vérifier quelles seraient ses réactions s’il se conformait à cet indéniable principe. Aussi, il est absolument certain que tout ce que nous faisons, nous l’accomplissons en vertu d’une distraction et d’un oubli directement contraire à la raison. Et ce serait pourtant là une véritable folie, mais la folie la plus raisonnable du monde, peut-être même la seule chose raisonnable, la seule sagesse pleine et constante, quand les autres ne le sont que par intervalles. On comprend ainsi combien la sagesse, telle qu’on l’entend communément, et qui est susceptible de servir en cette vie, est plus proche de la nature que de la raison, car elle siège entre les deux, et non pas comme on l’affirme trop souvent, en cette dernière. On voit enfin comment une telle raison pure et sans mélange est, par nature, la source immédiate d’une folie nécessaire et absolue.
15Les premières lignes inscrivent la réflexion dans le cadre d’un appel à la modestie. La fiction de l’humanisme consiste à voir dans la raison l’apanage de l’homme. Perfectionner sa raison reviendrait, pour cet être « privilégié », à réaliser sa nature. Par l’extension du champ des connaissances, par leur approfondissement, par l’élimination des illusions naturelles qui peuplent l’esprit (le motif classique de l’emendatio, de l’amendement de l’intellect), l’homme ne ferait rien d’autre que réaliser la vocation théorétique à laquelle il est destiné. Autrement dit, le déploiement de la rationalité serait la fin de la nature. Le scepticisme léopardien propose une autre analyse. Ce n’est pas la raison qui est la fin de la nature mais le bonheur, et la raison pure et sans mélange est loin de pouvoir servir, ne serait-ce que médiatement, ce but. Nous retrouvons dans cette pensée le résultat de la pensée des pages [2941-2943] sur l’essence contradictoire de cette faculté : la raison est puissance impuissante. Elle est cette faculté qui parasite son hôte, l’être raisonnant, et anéantit en lui toute capacité d’action. Plus elle croît en extension et en force, plus elle devient autonome, et plus l’être qui la met en œuvre s’affaiblit et connaît le malheur. C’est que la raison, par essence, finitise le réel, en établit les limites. Ce faisant, elle détruit tous les obstacles mis en place par la nature pour le rendre méconnaissable, à savoir l’imagination et les illusions qu’elle façonne, la variété, les distractions, etc. La « perfection » de la raison n’accomplit pas la nature mais la détruit point par point. Elle massacre les « illusions », les fait apparaître pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire des leurres pour le désir infini de plaisir. Elle annule la variété de la nature et la fait apparaître dans toute son uniformité, sa monotonie. Ce n’est que superficiellement que la connaissance rationnelle semble mettre au jour sa richesse et sa bigarrure. La multiplication et la prolifération des différences produit une indifférenciation généralisée où « Tout est semblable à tout ». Enfin, elle frappe d’inanité toutes les « distractions » qui occupent notre existence. Le divertissement, le passage rapide de la finitude d’un plaisir à la finitude d’un autre, ne parvient plus à satisfaire un désir que la raison fait apparaître en toute clarté comme indéfini.
16C’est ainsi que l’intuition du « néant véritable et certain des choses » (nulla verissimo e certissimo delle cose) à laquelle donne accès la raison « pure » ou « sans mélange », conduit à la folie. La déraison, pour Leopardi, est moins l’anomalie de la raison pure et sans mélange que son aboutissement logique. L’accroissement de la rationalité ne conduit pas l’homme à la « sagesse » (sapienza qui est inséparablement savoir et morale, connaissance substantielle et vitale, tendue vers le bonheur comme vers sa fin) mais à la démence. Si la raison est bien puissance de vision, le fou est celui qui voit le réel dans sa vérité comme désert, qui fait l’expérience du néant dans les choses comme en lui-même. Habité par la présence du néant, il se tient alors dans une stupeur totale impliquant l’impossibilité de l’action. Le doute, l’hésitation et l’irrésolution ne sont que les prodromes de cet état de paralysie dans lequel le corps et l’esprit conservent tout juste assez de force pour rire. Leopardi est attentif à ce rire du fou qu’il décrit dans la pensée de la page [188], datée du 26 juillet 1820, comme un rire « stupide et creux qui franchit à peine les lèvres » et qui constitue le signe évident d’un désespoir déjà mûr.
17La raison est un risque : celui qui entreprend de la conduire à son dernier degré de perfectionnement court le danger de la folie, c’est-à-dire celui de l’hébétude ou du désespoir, de l’inaction ou du suicide. « Les philosophes », note Leopardi à la page [223], sont convaincus naïvement que le bonheur de l’homme dépend de la raison : « ils pensent que l’homme atteindra le bonheur lorsqu’il ne suivra que la pure raison. Et c’est alors qu’il se tuera ». Le suicide est rationnel dans la mesure où il est la conclusion tirée du syllogisme de la raison pure : nous désirons par nature notre bien, or l’existence est un mal (un déploiement contradictoire du néant comme fondement), donc nous ne pouvons désirer par nature l’existence. La sagesse de Silène est valide : c’est le non-être, en tant que seul bien réel, qui est préférable à l’être. Le suicide est aussi déraisonnable (réprouvée par la raison naturelle) qu’il est rationnel, c’est-à-dire pleinement justifié par la raison pure et sans mélange.
18C’est ainsi que Leopardi peut opérer dans cette pensée le renversement de la folie en sagesse. La seule sagesse « pleine et constante » est la sagesse du fou, celle de l’être qui affirme, dans la contradiction absolue, que le non-être est préférable à l’être. Leopardi oppose à cette sagesse démente de la raison pure la sagesse vitale de la raison naturelle, celle qui « est utile en cette vie » (che possa giovare in questa vita). La première se caractérise par sa parfaite rigueur logique, elle est même si rigoureuse qu’elle anéantit son propre fondement logique (le principe de non-contradiction) dans sa prémisse (foncièrement contradictoire : l’être est non-être) comme dans sa conclusion (le non-être est préférable à l’être). La seconde est un point d’équilibre entre nature et raison. Elle ignore la vérité qui pourrait faire obstacle à son bonheur et, si elle la connaît, déploie toutes ses forces pour conjurer l’hésitation, l’indifférence et demeurer dans l’action. La sagesse de la raison naturelle est celle qui fait droit à l’imagination et aux puissantes illusions vitales qu’elle produit. Loin de les mépriser, elle les considère comme « une composante essentielle du système de la nature humaine » et comme « les rêves de l’homme » (sogni dell’uomo, [51]) qui rendent possible son bonheur.
Barbarie, coutumes et accoutumance
19Si la folie est la conséquence théorétique et individuelle de l’exercice de la raison pure poussé à l’excès (la raison s’anéantit dans l’intuition de son objet et devient cette déraison qui se manifeste sur le mode de l’hébétude, du rire désespéré, du suicide) la barbarie en est la conséquence pratique et collective. Leopardi en donne deux définitions : en tant que jugement et en tant que concept.
20La définition léopardienne de la barbarie en tant que jugement évoque celle de Montaigne, dans son contenu comme dans sa frappe : « Nous appelons généralement barbare ce qui diffère de nos accoutumances » [3883-3884]. Dans l’ordre du discours, la barbarie est toujours celle de l’autre, elle s’enracine dans un préjugé ethnocentriste et une forme d’aveuglement qui trahissent une ignorance manifeste du système de la nature humaine et de l’un de ses rouages fondamentaux (avec l’amour de soi), à savoir l’accoutumance : « tout est accoutumance, aussi bien dans les peuples que dans les individus » [1516]. La coutume procède de l’accoutumance et il en va de même des différentes composantes qui permettent de déterminer ce que l’on nomme une culture : idées, croyances, valeurs, usages, etc. Un peuple, une société, une civilisation ne sont rien d’autre que le produit de ce processus de concrétion du devenir qu’est l’accoutumance. Ils constituent des systèmes relatifs et contingents de convenances. Est-ce à dire que toutes les cultures se « valent » ? Non, car la barbarie possède un contenu positif pour Leopardi, mais il y a loin de la barbarie que dénonce partialement le jugement à son concept. En rigueur, la barbarie est l’effet de la raison pure, non seulement en tant qu’elle s’éloigne de la nature primitive mais aussi en tant qu’elle la déprave, la corrompt, la détruit activement. Autrement dit, est barbare tout ce qui est « contre nature » (contro natura, [3883]). Mais quelle nature ? ». De quelle nature se réclame, au juste, celui qui émet le jugement « ceci est barbare » ? D’une nature considérée comme une norme transcendante, c’est-à-dire absolue, nécessaire et immuable. Autrement dit d’une conception biaisée de la nature qui ignore que celle-ci est à la fois convenir et devenir, système de convenances (croyances, usages, coutumes, etc.) et inscription de ce système dans la temporalité. Toute barbarie est relative, pour Leopardi, non au sens où elle serait vaine et inconsistante mais au sens où elle requiert d’être déterminée par un faisceau de questions qui porte sur les relations entre l’émetteur, le récepteur et l’objet du discours : qui juge ? Qui est jugé ? Au nom de quelle nature ? Le scepticisme léopardien ne disqualifie pas l’idée de barbarie mais la retourne contre celui qui l’énonce dès lors qu’il invoque, dans le tour de passe-passe de l’ethnocentrisme, comme nature première ce qui ne constitue au fond qu’une nature dérivée et pour le coup véritablement corrompue, la « seconde nature » de la rationalité pure.
La barbarie dans la langue
21Leopardi n’oublie pas que la question de la barbarie s’enracine tout d’abord dans le champ linguistique. Le βάρϐαρος, est l’étranger au sens de celui qui, pour le Grec, ne parle pas la langue de la civilisation hellénique, celui dont la langue apparaît dans sa trivialité matérielle comme une pure suite de sons inintelligibles, un véritable charabia. Dans son sens courant, un barbarisme désigne donc un mot qui ne se dit pas, qui choque par son étrangeté, qui détonne précisément en ceci qu’il s’éloigne de l’« usage courant ». Dans la pensée des pages [819-822], datée du 20 mars 1821, Leopardi propose une tout autre définition de ce terme, engageant son système entier :
Qu’est-ce qui est barbare dans la langue ? Serait-ce ce qui s’oppose à l’usage courant ? Une langue ne devient donc jamais barbare, puisque dès qu’elle le devient, cette barbarie ne pouvant résider que dans l’usage courant (sans quoi ce serait une barbarie partielle de telle ou telle chose, et non de la langue), elle ne saurait être barbare en étant conforme à l’usage. Il n’y a donc de barbare dans la langue que ce qui s’oppose à sa forme primitive (et qui y prête attention en conviendra), puisqu’un mot ou un auteur barbare sont le plus souvent conformes à l’usage de leur époque, le suivent et en dérivent, comme cela se produit aujourd’hui dans la langue italienne. De plus, aucune époque ne saurait être, ou ne saurait avoir [820] jamais été barbare pour aucune langue. On pourrait dire tout au plus que telle langue de telle époque fut plus ou moins belle, riche, bonne, etc., en confrontant entre elles les différentes époques d’une même langue, comme on confronte les différentes langues entre elles, et décider si celle-ci ou celle-là est d’une qualité inférieure, mais pas si elle est barbare. On dirait plutôt d’elle qu’elle est barbare si l’on voulait, contre son caractère, l’accorder et l’adapter au développement d’une langue meilleure, plus belle, etc., comme si la langue anglaise avait voulu adopter les formes du grec, etc. Dans une langue, en somme, ni le fait de manquer d’une valeur quelconque ni celui de s’opposer à l’usage courant ne sont barbares. Ce qui l’est, c’est de s’opposer à sa forme primitive pour la conservation de laquelle elle doit se maintenir même en étant d’une moindre valeur, si telle est sa nature, parce que les valeurs étant relatives, ce qui est vicié et laid dans l’une serait vertueux et beau dans l’autre, si l’on oppose à sa nature, qui est la véritable perfection [821] (bien que relative) non seulement d’une langue, mais de tout ce qui existe.
À partir de ces remarques particulières, faciles, claires et sur lesquelles tout le monde s’accorde, passez à une observation plus générale, tout aussi vraie que les précédentes et que l’on ne peut nier si l’on a reconnu et admis celles-ci. Qu’est-ce que la barbarie dans l’homme ? Est-ce ce qui s’oppose à l’usage courant ? Dans ce cas, aucun peuple, aucune époque n’est barbare. N’est barbare que ce qui s’oppose à la nature primitive de l’homme. Or, je demande si nos mœurs, nos institutions, nos opinions présentes, etc. auraient pu être compatibles avec notre nature première. Comment l’auraient-elles été alors que la nature a dressé devant elles tous les obstacles possibles ? Qu’elles ne soient pas compatibles avec notre nature primitive apparaît si manifestement, comme nous pouvons l’observer en chacun de nous, mais aussi chez les enfants, les sauvages, les ignorants, etc., etc., qu’il n’est pas besoin de le démontrer. Si elles ne sont donc pas compatibles, cela signifie qu’elles contredisent notre nature primitive. Alors ? Elles sont barbares. [822] Qu’elles soient conformes à l’usage et à l’habitude ne permet pas plus que les circonstances elles-mêmes d’excuser une époque dont la langue est dépravée. Qu’on les considère comme bonnes absolument, et meilleures que celles qui sont naturelles et primitives, est une opinion qui n’a pas plus de valeur qu’elle n’en a pour la langue, comme je l’ai dit, et, comme pour la langue, c’est là une opinion erronée qui vient en partie d’une habitude erronée, en partie d’une perfection absolue imaginaire alors que tout ce qui s’oppose à la forme et à la nature particulière et primitive d’une espèce est substantiellement imparfait et vicieux, même si la même chose est vertueuse et parfaite dans une autre espèce.
22Le barbarisme ne peut être défini, en rigueur, comme ce qui « s’oppose à l’usage courant » mais comme ce qui s’oppose à la « forme » ou « nature primitive » (indole) de la langue. Comment comprendre cette proposition ? Premièrement en précisant que « barbare » désigne dans la pensée léopardienne un mode d’être, au même titre que le relatif et l’absolu, le possible et le nécessaire. Une chose peut être barbare ou plutôt « devenir barbare » (imbarbarire) à mesure qu’elle s’éloigne de la nature primitive en tant que « maîtresse, norme, reine et guide » (maestra, norma, signora e governatrice, [1010]) des êtres et des choses. Lorsque Leopardi affirme qu’« une langue ne devient donc jamais barbare », cela ne signifie pas qu’elle ne puisse pas le devenir du tout (ou de façon absolue, ce qui ôterait toute positivité à la notion de barbarie) mais que si elle le devient, c’est seulement relativement à cette norme immanente qui s’identifie avec le système de la nature. C’est que la langue est avant tout, et comme partie de la nature, un système mouvant, toujours saisi dans un devenir : des mots et des tournures se maintiennent, d’autres apparaissent, deviennent obsolètes, disparaissent, s’hybrident ou reviennent dans l’usage courant. Les nombreuses pensées que Leopardi consacre, en tant que linguiste et philologue, aux langues particulières témoignent de ce souci constant pour leur histoire et pour leur devenir. Ce qu’on appelle l’usage courant ne désigne rien d’autre que cet état déterminé d’une langue, ce point d’équilibre fragile autour duquel elle vient se stabiliser à « telle époque ». Il peut bien exister ce que Leopardi nomme une « barbarie partielle » de la langue, à savoir l’apparition de transfuges, de termes nouveaux appartenant à des langues étrangères ou des jargons particuliers, mais pas de barbarie totale puisque celle-ci impliquerait une destruction complète de la nature primitive de cette langue. L’usage courant « court » précisément en ceci qu’il devient, mais ne saurait devenir à partir de rien. Il faut plutôt dire que l’usage courant est une habitude ou une accoutumance de la langue à un moment donné de son développement : il en constitue la « seconde nature » qui apparaît comme la variation de son caractère primitif.
23La réflexion de Leopardi, dans cette pensée du 20 mars 1821, semble au premier abord manifester une forme de purisme ou de conservatisme linguistique. S’il n’y a de barbare dans la langue que ce qui s’oppose à sa nature primitive, il suit nécessairement que le barbarisme constitue une forme de corruption ou de dépravation – à la lettre, une dénaturation – dont il faudrait se prémunir par tous les moyens. Mais que veulent dire au juste cette nature et cette opposition ? Pour Leopardi, s’opposer à la nature d’une chose signifie essentiellement exercer sur elle une force hétérogène, une contrainte extérieure qui la fait sortir de son agencement. En somme, dénaturer une chose revient à faire violence à sa nature, à briser son ordre interne, sa « convenance » et sa « perfection ». Le barbarisme n’est pas une simple faute de goût ou une impropriété sans conséquence dans la langue mais une véritable dissonance, une discordance qui en brise l’harmonie. Il substitue à la nature première de la langue une nature seconde et factice. Cependant, il ne suit pas de cette analyse qu’il faille revenir à un état originel de la langue. Un tel retour est impossible dans la mesure où il présupposerait une norme extrinsèque à laquelle devrait se conformer la langue « dépravée ». La nature est bien « norme » chez Leopardi mais pas au sens où elle envelopperait un ensemble de principes éternels, immuables et nécessaires sur lesquels les langues particulières devraient régler leur devenir. La nature primitive est norme immanente, c’est en ce sens qu’une langue déterminée ne « devient barbare » que lorsque elle va « contre son caractère » (contro l’indole sua) et non contre celui d’une langue idéale et absolue qui totaliserait les perfections particulières (beauté, richesse, propriété etc.). Toutes les « valeurs » sont « relatives ». Cette formule ne signifie pas que toutes les langues soient identiques, qu’elles présentent la même beauté ou la même laideur, la même richesse ou la même pauvreté. Le relativisme léopardien est, encore une fois, tout l’inverse d’un relativisme de l’indifférenciation. C’est un relativisme dur, c’est-à-dire une production de différences. C’est précisément en tant que les valeurs linguistiques sont relatives que les langues peuvent être comparées entre elles et que l’on peut distinguer, à l’intérieur d’une même langue, les différents moments de son devenir. Dans la pensée des pages [109-111], datée d’avril 1820, Leopardi oppose par exemple la sécheresse et l’exactitude géométrique de la langue française moderne, toute saturée de « termes » techniques, à la variété et à la liberté de la langue italienne, richement pourvue de « mots » poétiques. L’une ne produit plus que des « squelettes » tandis que l’autre a su conserver, de manière toute relative, ce que Leopardi nomme, d’ailleurs en français, son « embonpoint ». Non pas qu’il s’agisse pour l’une et pour l’autre de propriétés intrinsèques et immuables : le français moderne dont Leopardi blâme l’aridité est devenu barbare et a perdu « le moelleux » (la pastosità) de l’ancien français sous l’effet d’une introduction massive de termes grecs : « Les mots grecs (les mots, non les tournures) dont la langue française s’est tellement encombrée ces derniers temps ne peuvent, dans nos langues, être autre chose que des termes, dotés d’une signification stricte et nue, et d’un aspect technique et géométrique privé de grâce et d’élégance. Plus nous nous enrichirons de ces mots au détriment des nôtres, plus nous ôterons la force et la grâce propre à notre langue ». Et Leopardi de constater et déplorer à la fin de cette pensée le même processus d’appauvrissement à l’œuvre dans la langue italienne, sous l’effet de « mots importés » : « malgré sa richesse en tournures et en mots originels, la langue italienne, pratiquée par tant d’écrivaillons modernes, devient singulièrement pauvre et dissonante ».
« Pellegrino » et « forestiero » : les deux barbarismes
24Est-ce à dire que ce sont les mots étrangers en tant que tels qui constituent la plus grande menace pour la nature primitive d’une langue ? Est-ce parce que la langue française a puisé dans la langue grecque qu’elle est devenue aride et géométrique ? Est-ce parce que la langue italienne a subi de la part de la langue française une influence similaire qu’elle en vient à se géométriser et à perdre sa chair poétique ? Si tel était le cas, la conception léopardienne de la barbarie ne différerait guère du sens premier de βάρϐαρος, et l’on pourrait aussi bien la qualifier de purisme. La réponse à ces questions n’est pas dans la pensée des pages [819-822] mais dans la longue pensée des pages [2500-2523] consacrée à la distinction entre ce que Leopardi nomme le « premier » et le « second barbarisme ». Le barbarisme n’est pas nécessairement un mal de la langue : il « ne s’oppose pas à la nature des langues, des hommes et des choses » et n’est pas contraire aux « principes de l’élégance, du beau ». De fait, les premiers écrivains et « formateurs » d’une langue, les « fondateurs » d’une littérature ne cherchèrent pas à fuir le barbarisme mais au contraire, « le recherchèrent ». Dante « regorge de barbarismes », à savoir de tournures et de mots empruntés au latin ou à d’autres langues et dialectes comme le provençal. Homère « abonde en barbarismes » et des auteurs comme Ennius, Plaute, Térence et Lucrèce, « parangons de l’élégance latine » sont « pleins d’hellénismes ». Faut-il en conclure que la langue dont témoignent leurs écrits ou ceux qui leur sont attribués est « corrompue » et « dépravée » ? Non, car l’emploi de ces termes étrangers n’a pas pour effet de s’opposer à la nature primitive de la langue, il est plutôt ce qui la nourrit et permet d’en déployer le devenir. Cette langue des grands fondateurs et des grands auteurs, tout habitée par la richesse de termes étrangers, est ce que Leopardi nomme la « parole pèlerine » (parlar pellegrino2). La langue d’Homère et la langue de Dante sont des paroles pèlerines au sens où, en elles, le barbarisme n’est pas cette présence hétérogène qui « s’oppose à l’élégance » et « la détruit » mais ce qui en constitue au contraire la « source véritable ». La parole pèlerine est la langue dans toute sa liberté, son invention, sa naturalité vigoureuse et son intensité poétique. Comme telle, elle est productrice d’un puissant sentiment de plaisir (à la lettre, le « plaisir du pèlerin », il piacere del pellegrino, ou plaisir de ce qui est étranger). Le « premier barbarisme » dont parle Leopardi est donc celui qui se rapporte à l’étranger (straniero) comme pellegrino, c’est-à-dire comme puissance positive et vitale de création. Le « second barbarisme » correspond lui à la dénaturation réelle de la langue, au sens d’une dépravation et d’une corruption. Il se rapporte à l’étranger comme forestiero, c’est-à-dire comme cette altérité abstraite que produit la raison seule et non plus la nature primitive. La critique de ce barbarisme par Leopardi est sans équivoque : « il n’est rien de plus vulgaire et ordinaire que ces tournures et ces mots étrangers » (forestieri). Ainsi par exemple de ces « gallicismes d’aujourd’hui si abominables » par laquelle la langue italienne, forçant sa nature, s’oublie elle-même, s’appauvrit et devient inélégante. La vulgarité de cet « italien à la française » introduit et diffusé par de « petits auteurs » ne renvoie pas à la noblesse de l’esprit singulier d’un peuple et ne mérite pas le nom de langue nationale. Elle n’est rien d’autre qu’une langue « barbare et macaronique », c’est-à-dire une caricature de la haute langue vulgaire telle qu’elle fut façonnée par Dante. Face à ce danger du second barbarisme, les scrupules des puristes de la langue italienne ne provoqueront pas les effets escomptés, à savoir un retour à la pureté originelle, mais au contraire l’accentuation de ce devenir barbare. Rien ne peut empêcher le devenir de la langue et il est vain de souhaiter la maintenir dans une hypothétique stase de pureté. La nature primitive de la langue italienne telle que Leopardi la conçoit et l’appelle de ses vœux se trouve dans l’inventivité, la liberté, la « nouveauté judicieuse et appropriée » (la giudizosa e conveniente novità, [783]). L’écriture léopardienne, qu’elle soit poétique ou philosophique, est toujours une activité de création. Elle n’hésite pas à se réapproprier « l’immense trésor de la langue » [782] pour en exhumer les archaïsmes, non par goût du désuet mais par volonté de désigner par d’anciennes paroles des objets tout à fait nouveaux : le mot « zibaldone » en est sans doute l’exemple le plus éloquent. La philosophie léopardienne ne recule pas non plus devant l’usage de néologismes : « ultraphilosophie », « conformabilité », « désaccoutumance », etc. Enfin, elle ne bannit pas le barbarisme comme fondamentalement corrompu mais l’accepte comme un moindre mal : « La nécessité […] nous incite à penser qu’il est bon de s’enrichir des mots étrangers. […] Je répète qu’il faut s’appliquer à enrichir la langue de mots nécessaires, et qu’il faut le faire avec jugement, en regardant les circonstances, la nécessité, pour éviter que la chose ne se produise au hasard et de manière illégitime, c’est-à-dire sans jugement et sans examen préalable, puisque la langue qui ne s’enrichit pas alors que ses objets se multiplient s’écroule inévitablement et va tout droit vers la barbarie » [794].
La raison pure et le destin de l’Europe
25Le second paragraphe de la pensée des pages [819-822] est un élargissement. On passe de la réflexion sur le barbarisme dans la langue à la barbarie « en l’homme ». La barbarie ne peut être ce qui s’oppose à l’usage courant, à l’accoutumance ou à la « seconde nature » puisqu’elle en procède directement. Elle est bien plutôt ce qui s’oppose à la « nature primitive » de l’homme. La prétendue « perfection » de la civilisation provient d’une erreur naturelle, à savoir la croyance en l’existence d’une « perfection absolue imaginaire ». Les mœurs, les institutions, les opinions de la modernité sont authentiquement barbares pour Leopardi dans la mesure où elles viennent contredire la nature première de l’homme. Elles ne sont pas le produit de la raison naturelle mais de la raison pure et sans mélange, c’est-à-dire d’une raison qui prétend s’autonomiser en s’arrachant à la nature. Cette raison n’est pas sagesse mais démence et aliénation : « nous sommes complètement éloignés de la nature » (noi siamo del tutto alienati dalla natura), écrit Leopardi dans la pensée de la page [814], c’est-à-dire que l’accroissement de la raison a rendu l’homme totalement étranger à lui-même. La barbarie ne provient pas d’un défaut mais d’un excès de raison. Contre elle, il n’appelle pas à un impossible retour à la nature première mais à l’établissement d’une « civilisation moyenne » (civiltà media, [404]) qui ne renvoie pas au triomphe de la masse et de la médiocrité mais à l’alliance difficile de la nature et de la raison, cette raison qui éclaire la nature sans l’incendier et se tient à égale distance de la sauvagerie naturelle et de la barbarie de l’intellect. Cet état de civilisation a trouvé sa réalisation historique dans la démocratie athénienne et la république romaine mais il n’y a nul signe, pour Leopardi, que l’Europe moderne « entièrement civilisée » [867] y parvienne à nouveau. Il semble plutôt que l’accroissement et l’autonomisation des forces de la raison pure la fragilisent encore plus et l’exposent à la menace de nouvelles barbaries. C’est ainsi qu’il prophétise, dans la pensée des pages [866-867], datée du 24 mars 1821, comme l’écrit Michel Orcel, « la puissance à venir de l’Allemagne ou de la Russie et la désolation du monde post-moderne3 » :
L’homme puise toutes ses forces dans la nature et les illusions ; parce que la civilisation, la science, et l’impuissance sont d’inséparables compagnes ; parce que la faculté d’agir ne relève que de la nature [de la raison naturelle], non de la raison [pure]. […] Je n’hésite pas à le prédire : l’Europe entièrement civilisée sera la proie de ces demi-barbares qui la menacent du fond du Septentrion […]. Lorsque, plus tard, la civilisation qui se montre aujourd’hui une conquérante avide, puissante, insatiable, n’aura à son tour* plus rien à conquérir, alors ou bien l’on retournera à la barbarie, et s’il est possible à la nature par un nouveau chemin radicalement opposé au chemin naturel, c’est-à-dire celui de la corruption universelle comme à la Basse époque, ou bien… Je ne saurais aller plus loin dans mes prédictions. Le monde entrera alors dans une autre phase, adoptant comme une essence et une existence nouvelles.
L’ennui
26Nous avons vu que le développement autonome de la raison pure, ou raison sans mélange, conduisait d’un point de vue individuel et théorique à la folie, d’un point de vue collectif et pratique à la barbarie. Il s’agit maintenant d’exposer la conception léopardienne de cet affect paradoxal, de cette tonalité rationnelle, qu’est l’ennui.
Vitalité et sépulcralité
27Nous savons déjà que l’affect originaire est l’amour de soi et qu’il s’identifie avec le désir infini du plaisir et du bonheur, toujours vain dans la mesure où il ne peut jamais être absolument satisfait. L’ennui (noia, tedio) mérite un traitement spécial car il en représente l’envers. Dans le système léopardien, ce n’est pas l’égoïsme qui s’oppose à l’amour de soi, puisqu’il en est seulement la variante rationnelle, recroquevillée sur elle-même et tardive, mais l’ennui. C’est dans la mesure où la nature est grandeur, vie et variété que le vivant hait radicalement l’ennui en tant qu’il éclaire l’existence sous les aspects du néant, de la mort et de l’uniformité. L’ennui est l’objet de la haine du vivant car il est contraire à ce que Leopardi nomme, empruntant au Laelius de Cicéron, la « vie vitale » (la vita vitale, [2433]). Cette expression fait évidemment problème : comment l’ennui, en tant qu’affect éprouvé par un être qui demeure, jusqu’à preuve du contraire, vivant, pourrait-il lui aussi ne pas relever de cette vie « vitale » ? Faut-il dire en déduire que l’ennui renvoie à une « vie morte » ? La réponse à cette question se trouve dans la pensée des pages [140-141], datées du 27 juin 1820. Elle présente la particularité de ne jamais faire apparaître explicitement les termes de noia ou de tedio mais est indexée dans le Schedario et l’Index florentin de 1827 à l’entrée « ennui » :
La douleur ou le désespoir engendré par de grandes passions, les grandes illusions ou tout malheur de l’existence, ne saurait se comparer à la sensation d’asphyxie que provoquent le sentiment aigu de la nullité de toutes choses et de l’impossibilité d’être heureux en ce monde, ainsi que l’immensité du vide qui envahit alors notre âme. Les malheurs imaginaires ou réels peuvent bien éveiller le désir de la mort, et même la provoquer, mais cette douleur participe encore de la vie. Bien plus, si elle provient de l’imagination ou de la passion, elle sera pleine de vie, tandis que la douleur dont je parle n’est que mort. La [141] mort même, lorsqu’elle est un effet immédiat des malheurs, est plus vivante. L’autre douleur est plus sépulcrale : sans action, sans mouvement, sans chaleur, presque sans douleur, elle s’accompagne d’une oppression sans bornes, d’une angoisse comparable à celle que suscite chez les enfants la crainte des fantômes ou l’idée de l’enfer. Cet état de l’âme est l’effet des plus grands malheurs réels et d’une grande âme autrefois débordant d’imagination et qui en a été subitement dépouillée, ainsi que d’une vie si évidemment nulle et monotone qu’elle rend tangible la vanité des choses : autrement, le grand choix d’illusions que la nature, en sa miséricorde, nous offre chaque jour, nous masquerait cette fatale et sensible évidence. Et, bien que cet état de l’âme soit parfaitement rationnel4, qu’il soit même le seul à être rationnel, il n’en est pas moins le plus directement contraire à la nature ; et l’on ne connaît que peu de gens qui, comme le Tasse, l’aient réellement éprouvé.
28Dans l’ennui, la vérité du « Tout est néant » est évidence : « fatale et sensible évidence » (fatale e sensibile evidenza). Il ne s’agit pas d’un mystère qui nécessiterait une révélation ou une initiation mais simplement d’une vision rationnelle. Pour saisir que l’existence est cette chose « si évidemment nulle et monotone », il suffit d’ouvrir les yeux. L’intuition du néant présente ce premier paradoxe d’être à la fois pleinement sensible et « rationnel ». C’est la raison, en tant que faculté directement hostile à la nature et destructrice des illusions vigoureuses de l’imagination, qui donne accès à ce « sentiment vif du néant de toutes choses » (sentimento vivo della nullità di tutte le cose). Il n’est pas absurde pour Leopardi d’affirmer qu’un affect puisse être rationnel, l’ennui est même le plus rationnel des affects, si ce n’est le seul, dans la mesure où il délivre l’expérience du néant dans toute sa pureté. Aucune scorie d’illusion ne vient l’entacher et c’est en cela qu’il est sans commune mesure avec la plus intense des angoisses ou le plus sombre des désespoirs. Toute grande passion, même celle qui fait désirer la mort, est encore, pour ainsi dire, trop « pleine de vie ». C’est le second paradoxe de l’intuition du néant : si la mort est vivante dès lors qu’elle est suscitée par des affects puissants, la vie est morte dès lors qu’elle est habitée par l’ennui. La description que Leopardi donne de cet affect dans cette pensée du 27 juin 1820 reprend des éléments déjà évoqués et en précise de nouveaux. L’ennui se présente, d’une part, comme une oppression de l’âme, une « asphyxie » (affogamento). Comme dans la pensée fondamentale de la page [85], elle fait « suffoquer » l’être qui découvre en lui la négativité pure de l’infini, l’« immensité du vide ». L’ennui est, d’autre part, l’expérience d’une mort vécue du vivant de l’être : si la vie mue par de grandes passions est cette « vie vitale » dont parle Cicéron, la vie habitée par l’ennui est cette vie « sépulcrale » décrite par Leopardi comme une torpeur glaciale, « sans action, sans mouvement, sans chaleur ». Elle a tout de cet état de catatonie qu’il évoquait dans sa lettre à Pietro Giordani du 19 novembre 1819 :
Je suis tellement étourdi par le néant qui m’entoure que je ne sais comment j’ai la force de prendre ma plume pour répondre à ta lettre du premier. Si je devenais fou en ce moment, je crois que ma folie consisterait à rester éternellement assis, les yeux dans le vide, la bouche ouverte, les mains entre les genoux, sans rire ni pleurer, sans quitter, sauf par nécessité, l’endroit où je me trouve. Je n’ai plus la force de formuler quelque désir que ce soit, pas même celui de la mort, non que je la craigne le moins du monde, mais parce que je ne vois pas de différence entre la mort et ma vie, où même la douleur ne vient plus me consoler. C’est la première fois que l’ennui, non seulement m’oppresse et m’épuise, mais m’irrite et me déchire dans une énorme souffrance. Je suis tellement épouvanté de la vanité de toute chose et de la condition des hommes, tellement épouvanté de voir que toutes les passions sont mortes, comme elles le sont dans mon âme, que je perds la raison en considérant que mon propre désespoir n’est rien5.
29Le dernier paradoxe de la vision du néant est celui de la douleur. Qu’éprouve au juste l’âme lorsqu’elle ressent cet ennui qui n’est « que mort » ? Il ne s’agit assurément pas de la douceur de l’âme qui naufrage dans l’infini, ni du désespoir que chante la canzone A se stesso. La pensée de Leopardi exprime l’embarras et la difficulté de définir cet ennui qui relève plus d’une forme d’angoisse métaphysique que d’une simple oisiveté : cette « douleur » (dolore6) est « sans douleur ». L’analyse de l’ennui dans cette pensée des pages [140-141] culmine dans l’expression de la contradiction pure d’un affect qui n’est autre que l’anéantissement de tout affect, qu’une sensible insensibilité. L’ennui est cette tonalité qui rive rationnellement l’existant dans le néant comme l’amour de soi le rivait naturellement dans l’être.
« Fils de la nullité » et « père du néant »
30L’ennui est la négativité pure de l’affect, le vide qui habite l’être qui n’a plus la force de désirer ni d’éprouver quoi que ce soit. Il est ainsi une « non-existence » [2434] naturellement haïe par l’existant. L’ennui fait, en quelque sorte, inexister le vivant, il est « la plus stérile des passions humaines » [1815]. Leopardi utilise parfois le terme de tedio (notamment dans ses chants : « Mais le mal dont nous souffrons / Est moins lourd et moins acerbe / Que l’ennui qui nous étouffe », « E pur men grava e morde / Il mal che n’addolora / Del tedio che n’affoga », À Angelo Mai, vv. 70-72) pour désigner cet ennui qui est autant un désœuvrement qu’une lassitude et un dégoût (double sens compris dans le taedium latin). Le tedio est ce désintérêt, cette absence de souci à l’égard du monde et de soi qui détruit tout désir de spéculation et d’action ; il se rapproche peut-être plus, en ce sens, de ce que la tradition chrétienne nomme l’acédie que de l’oisiveté. Il constitue la présence la plus aiguë du néant dans l’être. Leopardi utilise, dans la brève pensée du 30 septembre 1821, une métaphore étonnante qui traduit, si l’on peut dire, cette consanguinité contradictoire et mystérieuse du néant et de l’ennui : « Fils de la nullité, il est le père du néant » (l’ennui en italien est féminin, le texte dit littéralement : « Fille de la nullité, mère du néant », Figlia della nullità, madre del nulla, [1815]). Le néant enfante l’ennui qui enfante le néant. Et Leopardi de renchérir aussitôt dans le développement de cette nature contradictoire : ce fils du néant dont il est en même temps le père est « stérile en soi » (sterile per se). Dans les termes de la méontologie léopardienne, on pourrait dire que l’ennui est le fils du néant en tant que néant (la nullità comme être-néant, « néantité » de ce qui est, c’est-à-dire comme principe : « le néant est le principe des choses et de Dieu même » [1341] et donc aussi de l’ennui qui, en tant qu’affect, est) et le père du néant en tant qu’être (dans la tonalité affective de l’ennui, le monde apparaît dans sa vérité comme non-être intégral : « tout est néant au monde », [72], [85]). C’est ainsi que l’ennui léopardien ne se réduit pas à une stérilité close sur elle-même mais contamine « tout ce à quoi il se mêle et tout ce qui l’approche » [1815]. Le néant est, à la lettre, fastidieux : il produit du dégoût, propage la lassitude du moi au monde. Il révèle leur continuité essentielle et leur appartenance commune à l’uniformité et à la monotonie du rien.
« Le désir du bonheur laissé à l’état pur »
31La pensée des pages [3713-3715] datée du 17 octobre 1823 relie l’ennui à la Théorie du plaisir et permet à Leopardi de proposer une troisième détermination de cet affect. L’ennui est sépulcralité, fils-père du néant et « désir du bonheur laissé à l’état pur » :
L’idée et la nature de l’ennui excluent nécessairement en même temps l’idée du plaisir et celle du déplaisir, et supposent l’absence de l’un et de l’autre. On peut même dire qu’elles dénotent cette double absence, qui est toujours source d’ennui, perpétuellement. [3714] Qui dit absence de plaisir et de déplaisir dit ennui, non que, dans l’absolu, ces deux choses n’en fassent qu’une, mais parce que, dans la nature du vivant (du moins, tant qu’il se sent vivre), l’une ne peut exister sans l’autre. L’ennui ne manque jamais de venir combler le vide que laissent après, dans l’esprit des vivants, le plaisir et le déplaisir ; le vide, c’est-à-dire l’état d’une indifférence sans passions, n’existe pas dans notre esprit, comme, selon les anciens, il n’existait pas dans la nature. L’ennui est comparable à l’air d’ici-bas qui remplit tous les intervalles entre les objets et se précipite pour prendre la place qu’ils quittent lorsque rien ne vient les remplacer. Je veux dire que le vide même de l’esprit humain, l’indifférence, l’absence de toute passion, est ennui – ennui qui est lui-même une passion. Or, pourquoi le vivant, lorsqu’il ne jouit ni ne souffre, doit-il nécessairement s’ennuyer ? Parce qu’il lui est impossible de ne pas désirer le bonheur7, c’est-à-dire le plaisir et la jouissance. Ce [3715] désir, lorsqu’il n’est ni satisfait, ni directement contrarié par ce qui s’oppose à sa jouissance, est ennui. L’ennui est, si l’on peut dire, le désir du bonheur laissé à l’état pur. Un tel désir est passion. Donc l’âme du vivant ne peut jamais véritablement être dépourvue de passion. Cette passion, quand elle se trouve seule, qu’aucune autre n’occupe notre âme, est ce que nous appelons ennui, et c’est là la preuve de la perpétuité de cette passion. Si elle n’était pas telle, l’ennui, au lieu d’apparaître toujours en l’absence des autres passions, n’existerait point.
32Comme nous l’avons vu précédemment, l’ennui ne saurait être saisi tout d’abord comme un affect positif, il est une négation des affects dérivés de l’amour de soi. Il n’est ni agréable, ni désagréable, ni « plaisir », ni déplaisir. Faut-il donc dire qu’il existe un état de parfaite neutralité de l’âme, se tenant à l’écart des extrêmes de la félicité et du malheur ? Pas exactement, puisque la nature du vivant, « tant qu’il se sent vivre », c’est-à-dire tant qu’il a la conscience de son existence et qu’il s’aime lui-même d’un amour qui le porte à désirer son propre bien, se caractérise par sa plénitude. Comme la nature « des anciens », l’esprit a horreur du vide. Cela ne signifie pas que l’esprit puisse se soustraire à l’évidence de l’existence du néant comme principe, mais que, dans la nature comme dans l’esprit (qui n’est qu’une dénomination négative pour désigner la matière, c’est-à-dire une modalité de la nature, [4111]) le néant ou « le vide » ne se juxtapose pas à la matière : le vide ou le néant est dans la matière comme il est dans l’esprit. Lorsque Leopardi affirme qu’un état « d’indifférence sans passion » n’existe pas dans notre esprit, cela ne signifie pas qu’il n’existe absolument pas mais qu’il ne peut exister autrement que sur le mode de l’ennui. Nous retrouvons le résultat de la pensée des pages [140-141] qui définissait l’ennui comme cet état foncièrement contradictoire de « douleur sans douleur » : il apparaît ici comme la « passion » qui est l’« absence de passion ». Comme la comparaison physique avec l’air le suggère, c’est l’ennui qui vient prendre la place lorsque l’esprit n’éprouve ni plaisir ni déplaisir. L’esprit est toujours d’une certaine manière intoné, même par cet affect évanescent qu’est l’ennui. La palette des affects dont nous pouvons faire l’expérience est répartie en différentes nuances de l’être au rien : dans les affects intenses comme les grands tourments et les grandes joies, notre esprit se trouve plus proche de l’être ; dans l’ennui, c’est le néant dans sa pureté qui apparaît. Ceci permet d’éclairer la proposition centrale de cette pensée : « l’ennui est, si l’on peut dire, le désir du bonheur laissé à l’état pur ». L’affect originaire du vivant n’est pas l’ennui mais l’amour de soi. Le mouvement qui anime cet amour est le désir. L’existence est mouvement, inquiétude pour Leopardi. Nous avons même pu définir ce désir comme l’inquiétude matérialisée de l’être qui découvre en soi le néant dans la mesure où ce désir est le désir infini d’un plaisir infini qui ne saurait être rencontré dans les limites du réel tel que nous le concevons (et non tel que nous l’imaginons, l’imagination étant la seule faculté qui puisse, illusoirement, satisfaire ce désir). Les plaisirs particuliers et réels ne sont pas à la hauteur de ce désir qu’ils ne peuvent combler mais les déplaisirs ne le sont pas plus, dans la mesure où ils ne peuvent le frustrer définitivement ou l’anéantir. Dès lors que l’esprit a l’intuition rationnelle du néant de toutes choses – des plaisirs et déplaisirs particuliers et des objets qui les suscitent –, ceux-ci disparaissent et ne laissent derrière eux que l’amour de soi et le désir tournant à vide. Ainsi, on saisit la nature de l’ennui comme « désir du bonheur laissé, pour ainsi dire, à l’état pur » (desiderio della felicità, lasciato, per così dire, puro). Le désir est l’étoffe même du vivant. Il est cette « continuité perpétuelle » qui se distingue de la discontinuité des satisfactions et insatisfactions ponctuelles qui viennent le plier en tout sens. L’ennui est le dernier état de ce désir avant le néant. Dans son dénuement et son uniformité les plus extrêmes, il est en même temps, en tant que pure aspiration au bonheur absolu, « le plus sublime des sentiments humains » (il più sublime dei sentimenti umani8), c’est-à-dire à la fois le plus éthéré et le plus noble.
33Leopardi est amené quelques années plus tard à clarifier cette conception de l’ennui. La pensée des pages [3713-3715] demeure ambiguë sur la question de l’atonalité de l’esprit : d’une part elle affirme qu’elle ne peut exister, d’autre part elle soutient qu’elle existe et que son nom est l’ennui. La question est la suivante : qu’éprouvons-nous en l’absence de tout bien ou de tout mal particulier, lorsque nous ne jouissons ni ne souffrons de quelque chose ? Deux réponses sont possibles : la première est « rien », l’ennui est un pur état atonal, il se tient autant à l’écart du plaisir particulier que de la douleur particulière, du bonheur absolu que du malheur absolu. La seconde réponse est celle vers laquelle s’oriente Leopardi dans l’une des pensées de la fin du Zibaldone, la pensée de la page [4498], datée du 4 mai 1829 : nous ressentons « le malheur originaire de l’être humain » (l’infelicità nativa dell’uomo). En l’absence de tout bien ou de tout mal particulier, de toute satisfaction ou insatisfaction particulière – ce qui constitue, de l’aveu même de Leopardi l’« état le plus ordinaire de notre vie » – ce n’est pas dans une apathie bienheureuse que s’installe notre ennui mais dans la souffrance native de l’existant. L’ennui est donc l’expérience de la contradiction existante délivrée par la raison pure. Expérience que tente d’occulter la nature par la grandeur, la vigueur et la variété des illusions de l’imagination.
Notes de bas de page
1 Aux pages [1627-1628].
2 Schefer traduit cette formule difficile par une périphrase : « façon singulière de s’exprimer ».
3 Italie obscure, Paris, Belin, coll. « L’Extrême contemporain », 2001, p. 124.
4 Schefer traduit « ragionevole » par « raisonnable ». Nous maintenons ici la distinction entre le raisonnable qui relève de la « raison naturelle », se tient du côté de la sagesse et de la vie, et le rationnel, qui relève de la « raison sans mélange » et renvoie à la démence et à la mort.
5 Correspondance, op. cit., p. 384.
6 Schefer traduit peut-être ici dolore par « souffrance » pour atténuer cette contradiction.
7 Il semble que la traduction de Schefer manque ici la négation : « Il lui est impossible de désirer le bonheur » pour « non può mai fare ch’e’non desideri la felicità ».
8 Cette formule n’apparaît pas dans le Zibaldone mais dans les Pensieri, petit recueil posthume de 111 pensées élaborées à partir du matériau zibaldonien. Leopardi y définit l’ennui comme « le plus grand signe de la grandeur et de la noblesse », maggiore segno della grandezza e della nobiltà de l’homme. Voir Poesie e prose (vol. II), op. cit., p. 321.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Existe-t-il une doctrine Menger ?
Aux origines de la pensée économique autrichienne
Gilles Campagnolo (dir.)
2011
Autos, idipsum
Aspects de l’identité d’Homère à Augustin
Dominique Doucet et Isabelle Koch (dir.)
2014
Agir humain et production de connaissances
Épistemologie et Ergologie
Renato Di Ruzza et Yves Schwartz
2021
Sciences et Humanités
Décloisonner les savoirs pour reconstruire l’Université
Éric Audureau (dir.)
2019