Chapitre I. Zibaldone : système-rhizome
p. 19-40
Texte intégral
1Toute pensée philosophique authentique manifeste une forme singulière d’ordre : ainsi, par exemple, l’ordre géométrique de l’Éthique spinoziste, l’ordre dialectique de l’Encyclopédie des sciences philosophiques hégélienne, l’ordre positif du système comtien, etc. Qu’en est-il maintenant pour Leopardi ? Si l’on veut prendre au sérieux l’assomption léopardienne de la systématicité (il mio sistema) et non la considérer comme une simple velléité ou une tentative que l’inachèvement prétendu du manuscrit rendrait caduque, il ne s’agit pas de s’interroger seulement sur le contenu du système léopardien mais aussi sur sa forme. Y a-t-il un ordre dans le Zibaldone et, le cas échéant, quel est-il ? Et quels sont les rapports de convenance qu’entretiennent les éléments, les pensées particulières, qui le constituent ?
Ordre et date
Un ordre rhizomatique
2Leopardi n’est pas Pascal, qui, comme le souligne à juste titre Carlo Ossola, « tire un supplément de vérité de l’absence de dispositio en laquelle il laisse ses Pensées, afin de souligner la vanité de tout ordre humain : “J’écrirai ici mes pensées sans ordre [...]. Je ferais trop d’honneur à mon sujet, si je le traitais avec ordre, puisque je veux montrer qu’il en est incapable”. Leopardi, en revanche, affirme résolument, dès 1820, et après avoir, précisément la veille, examiné et discuté la prose de Pascal, que “l’amour de l’ordre, ou l’idée de la nécessité de l’ordre, autant dire de l’harmonie et de la convenance, est une idée innée, absolue, universelle, car elle est la base du raisonnement et le principe de la connaissance ou du jugement vrai ou faux”, [376-3771] ». Mais Leopardi de préciser aussitôt que, si cet amour de l’ordre est absolu et ne fait qu’un avec la nature du vivant, l’idée d’ordre, en revanche, est soumise au devenir : « l’idée d’un tel ordre est variable, dépendante de l’habitude, de l’opinion, etc. Elle est relative et particulière ». Il n’existe pas d’ordre transcendant auquel l’existant devrait se soumettre, c’est à lui de générer l’ordre qui lui est adéquat. Il peut bien y avoir un désir d’ordre pour Leopardi mais il s’agira toujours d’un ordre singulier et relatif, pas d’un ordre absolu et universel. Le devenir est la vérité du convenir et non l’inverse.
3Notre question initiale persiste : de quel ordre parle Leopardi ? Quel sera l’ordre à même d’épouser la forme mouvante de son système ? Il faut approfondir ici la suggestion de Mélinda Palombi qui, dans une thèse en littérature italienne sur la parenté entre Leopardi et Calvino, propose l’idée que l’œuvre de ces deux grands auteurs et leur pensée elle-même sont structurées en rhizome2. Pour notre part, nous limiterons l’application de ce concept au Zibaldone et nous en proposerons une définition plus explicite. Il est possible en effet de considérer le système qui se déploie dans le Zibaldone comme un vaste rhizome dans la mesure où il constitue, dans sa forme comme dans son contenu, une multiplicité de pensées connectées les unes aux autres de manière hétérogène et discontinue. S’il y a bien un ordre véritable dans le système léopardien, il ne saurait être autre chose qu’un ordre rhizomatique. Le rhizome se définit comme un système non-hiérarchique et acentré : on ne peut pas dire que tel élément se subordonne à tel autre ni isoler une de ses parties comme constituant un centre. Et en effet, il n’y a pas de centre dans le système léopardien, pas plus qu’il n’y a de commencement solennel ou d’achèvement grandiose. Il suffit d’ouvrir le Zibaldone pour faire l’expérience d’une pensée qui semble toujours être au milieu d’elle-même. Une pensée qui, de la page 1 à la page 4526 du manuscrit, semble pousser par le milieu. Lorsque Leopardi affirme que le néant est « principe » il s’agit moins d’une réhabilitation du centre dans le système que de l’enregistrement de sa disparition. Dans la logique arborescente de la tradition philosophique le multiple était pensé à l’aune de l’Être et de l’Un ; dans la logique rhizomatique du système léopardien le multiple est pensé en tant que tel : chacune des pensées singulières qui compose le Zibaldone obtient une autonomie et une teneur propre qui rendent possible sa connexion avec n’importe quelle autre. Et c’est précisément ce que fait Leopardi lorsqu’il date ses pensées, indique en marge du manuscrit un renvoi à une pensée antérieure ou ultérieure, propose une indexation multiple et systématique de son grand journal. Le Zibaldone n’est pas une totalité close sur elle-même mais une œuvre mouvante qui propose un entrelacement et une série de parcours discontinus. Le journal n’est pas d’emblée système et rhizome mais se fait système de pensée au fur et à mesure qu’il se rhizomatise. Il n’y a pas à opposer une mauvaise systématicité qui serait celle des systèmes arborescents à la bonne systématicité rhizomatique. Comme on l’a vu, Leopardi ne cesse pas de mobiliser de grandes dichotomies qui rappellent celles des systèmes-arbres de la tradition (nature et raison, anciens et modernes, être et non-être etc.) mais la force de sa philosophie consiste aussi à interroger tout ce qui se passe entre ces grandes distinctions : comme l’indiquent bien Deleuze et Guattari « l’arbre impose le verbe “être” mais le rhizome a pour tissu la conjonction “et” ». La philosophie de Leopardi, en relativisant la place de l’être, invite le lecteur à porter toute son attention sur la fécondité théorique de ce « et » qui conduit à la découverte de la contradiction à l’œuvre dans l’existence : le non-être est (principe) et l’être (le tout) est non-être.
4Ainsi le système-rhizome léopardien consiste en l’entrelacement de deux ordres contradictoires, celui de la nature et celui de la raison. Le Zibaldone est dans, sa forme comme dans son contenu, le lieu de l’alliance difficile entre nature et raison. Le premier ordre est l’ordre de la nature en tant que temporalité vivante, il appartient à la forme du journal. Il est celui qui se déploie dans le temps d’une existence, c’est l’ordre de succession des pensées dans la variété de leur contenu, le plaisir de leur écriture, de leur lecture et de leur relecture. Cet ordre, minimal et si évident qu’on en viendrait presque à l’oublier, est essentiel dans la mesure où il nous éclaire sur la nature même de l’œuvre : le Zibaldone constitue un flux de pensée, un pur fragment de devenir, une cosa di fatto dont chaque élément, chaque pensée particulière, vient s’arracher au néant pour s’affirmer dans toute l’autorité de son existence de fait, une existence contradictoire qui oscille entre contingence extrême et parfaite nécessité. Comme toute chose existante en tant qu’elle est soumise au néant comme fondement, le Zibaldone « est ainsi parce qu’il est ainsi » (le cose stanno così perchè così stanno, [1339]), et non parce qu’il existerait une forme préexistante à son écriture à laquelle il devrait se conformer pour être effectivement achevé. Le Zibaldone est le lieu du système en tant qu’il manifeste la perfection relative de l’agencement de ses parties saisies dans le devenir. Son essence est postérieure à son existence : il n’est rien d’autre que ce qu’il devient – tantôt carnet érudit, tantôt journal d’une âme, tantôt laboratoire d’un esprit, etc. – au gré d’une temporalité où le flux de pensée se nourrit de matériaux extérieurs et de sa propre substance, s’accroissant et se complexifiant par ses bords externes (le nouveau feuillet, la fiche d’indexation) et internes (la marge, l’interligne). C’est peut-être la raison pour laquelle il résiste à toute tentative de synthèse et de reconfiguration. Il n’est pas cette œuvre involontaire et inachevée qui attendrait de trouver son agencement définitif sous la forme plus canonique d’un discours, d’un traité ou d’une encyclopédie. La systématicité n’y existe pas à l’état latent et c’est en vain que l’historien de la philosophie chercherait à le recomposer. On ne recompose pas un rhizome. Le temps de la nature vivante, ce temps de l’existence avec ses intensités variables, ses vitesses et ses lenteurs, fait ordre dans le Zibaldone : il suffit de le briser en analysant les pensées dans un ordre non-chronologique pour s’apercevoir qu’il n’en constitue pas une dimension accidentelle mais substantielle. Le Zibaldone existe tel quel, dans la concordance de sa composition avec les principes du système de l’existence dont il est le lieu.
5Mais que les pensées se succèdent dans leur variété, au rythme des travaux et des jours, ne saurait suffire à faire du Zibaldone un rhizome. L’ordre de la pensée léopardienne n’est pas seulement l’ordre naturel du temps de l’existence mais aussi l’ordre rationnel ou philologique qui lui est indissociablement lié. En effet, Leopardi ne se contente pas de livrer à la postérité ce manuscrit volumineux, ce smisurato scartafaccio, en laissant le soin à ses lecteurs et exégètes d’en percer à jour le sens, au risque de les laisser s’y perdre. Il s’efforce au contraire, tout au long de sa rédaction, de lui donner une forme précise, un ordre déterminé, et ce, au moyen d’un certain nombre de techniques expérimentées, remaniées, au besoin abandonnées, qui renvoient toutes au savoir-faire de l’ami du logos en tant que matière écrite, en tant que texte : le savoir-faire du philologue, au « plus hault sens » que Rabelais, qui en fut l’inventeur, donna à ce nom. L’une des singularités de la pensée léopardienne est sans doute cette union étroite et substantielle de la philosophie, de la poésie et de la philologie qu’elle ne cesse de réaliser. Nous ne parlons pas ici de la philologie comme contenu de la pensée orienté ou sous-tendu par une conception philosophique déterminée (le fait, par exemple, que c’est en matérialiste que Leopardi propose telles analyses étymologiques, telles lectures des textes de la tradition antique, telles traductions, tels établissements de leçons, de corrections, de notes érudites, etc.) mais comme discipline dans l’écriture, la lecture et le souci d’intelligibilité de son propre texte. Tout se passe comme si Leopardi se rapportait, par une sorte de surformation (plutôt qu’une déformation) professionnelle3, à son propre manuscrit comme à un texte ancien dont il voudrait éclairer le sens. Leopardi redonne à la philologie sa signification première d’amitié ou de compagnonnage avec le texte en tant que document. Le philologue est l’ami du logos au double sens de discours rationnel et de pensée en tant qu’elle se présente sous la guise matérielle du texte. L’ordre naturel de la vivacité, de l’intuition et de l’inspiration ne peut se suffire à lui-même et l’œuvre de génie ne peut faire l’économie de l’ordre de la raison. Elle doit réaliser, une fois encore et sous un nouvel angle – celui de l’agencement de la pensée en train de s’écrire, de se lire et se relire – la difficile alliance de ces ennemis irréductibles que sont la nature et la raison. Cet ordre rationnel ou philologique se décline dans le Zibaldone sous diverses formes, mouvantes – dont les plus significatives sont la datation, la liaison réticulaire et l’indexation. Ces procédés, qui permettent au système de faire rhizome, sont ceux que nous allons examiner.
La datation
6Pour que le système existe comme rhizome encore faut-il que les pensées qui le constituent aient des bords, des nœuds ou des bouts. Quel meilleur moyen que la date pour connecter deux éléments quelconques ? La date joue un rôle essentiel dans le Zibaldone dans la mesure où elle est une première forme de circonscription rationnelle du flux de pensée. La première date du Zibaldone apparaît à la fin du troisième fragment de la première page : « Juillet ou août 1817 ». La critique génétique a pu déterminer, par l’analyse de l’encre utilisée, que cette date a été ajoutée a posteriori en janvier 18204, au moment où Leopardi commence à dater ses pensées le jour même de leur écriture. La première date contemporaine de la pensée à laquelle elle se rapporte apparaît donc à la page [100], à la fin d’un développement consacré à la différence entre l’art antique et l’art moderne : « 8 janvier 1820 ». Dans un premier temps, cette datation est erratique : la seconde, du même jour, apparaît à la page [102] ; la suivante le 20 janvier, puis une autre le 15 avril, le 31 mai, le 5 et le 6 juin. Durant ces quelques mois, Leopardi semble encore dater ses pensées de manière spontanée, sans attribuer à la date une fonction autre que celle de marqueur temporel. À partir du 7 juin, la datation prend un nouveau rythme et Leopardi semble lui accorder une valeur plus importante. En témoigne la journée d’écriture du 7 juin, qui s’étend de la page [114] à la page [116], composée de quatre pensées de taille variable (trois paragraphes et un aphorisme : « La barbarie n’est pas tant dans le défaut de la raison que celui de la nature ») tournant autour d’un même thème, celui de la distinction et des rapports entre nature et raison, et où chacun des fragments est daté (à la fin de la pensée, entre parenthèses). La journée d’écriture du 9 juin apporte une nouveauté. Leopardi écrit trois pensées portant sur sa lecture des Considérations sur les causes et la grandeur des Romains et de leur décadence de Montesquieu et la date n’apparaît qu’une seule fois, à la fin de la dernière pensée, comme pour signer la fin d’une journée de réflexion portant sur le même sujet. Cette méthode sera appliquée à de nombreuses reprises et marque un changement progressif dans le rôle de la datation au sein du manuscrit du Zibaldone. Celle-ci n’est plus erratique mais n’est pas encore systématique, elle a pour tâche de marquer la fin d’une séquence de pensées aux contenus connexes. Cacciapuoti a raison de suggérer que la date devient comme l’indication d’un chapitre dont les pensées seraient les paragraphes, une sorte de titre, non initial mais terminal. La date n’est plus juste un marqueur temporel mais opère une forme d’agrégation conceptuelle, comme c’est le cas, par exemple, pour les pensées du 18 septembre 1820. Les trois pensées de cette journée d’écriture semblent porter sur des thèmes différents mais « conservent en réalité une continuité logique et une séquence thématique qui justifie l’apposition de la date à la fin du dernier fragment5 » : la première [245, 2] évoque la poésie lyrique comme forme la plus élevée de la poésie ainsi que la position française à ce propos ; la seconde [246, 1] retranscrit une observation de Lady Morgan sur le français et sur le sublime ; la troisième [246, 2] concerne la théorie du plaisir et souligne l’incompatibilité des mathématiques avec celui-ci. Ces pensées du 18 septembre font séquence en ce qu’elles s’ordonnent autour de la distinction entre l’indéfini et le fini. La poésie est plaisir dans la mesure où elle met en contact son lecteur avec l’indéfini (ou l’infini relatif). Elle comble, sur le mode de la fiction de l’imagination, son désir infini de plaisir. Et parmi les différents genres de la poésie, le genre lyrique est le plus enclin à produire cet effet. Cela étant dit, la langue française est, comme ne cesse de le répéter Leopardi tout au long du Zibaldone, une langue « aride et géométrique » [863], incapable de saisir l’indéfini et donc le poétique. Les mathématiques sont fondamentalement opposées au plaisir dans la mesure où elles se meuvent dans l’analyse, c’est-à-dire dans la délimitation. Le plaisir ne peut résider dans une activité qui termine le réel, c’est-à-dire lui assigne des limites. Ainsi, ces trois pensées qui semblent au premier abord ne pas avoir de lien constituent comme les paragraphes d’un même chapitre portant sur la distinction, implicite mais traversant chacune d’elles, entre fini et indéfini. Cet exemple révèle la modalité de l’engendrement de la pensée dans le Zibaldone, par dérivations et approfondissements successifs. La datation ne convertit pas le flux de pensée en une juxtaposition de fragments mais en un rhizome de séries discontinues de pensées.
7La première datation rigoureuse correspondait au franchissement d’une masse critique : celle de la centaine de pages. Un second temps est inauguré avec le changement d’année. En effet, à partir de janvier 1821, soit un an après l’insertion de la première date, toutes les pensées, ou presque, sont datées, chacune devenant alors comme un petit développement autonome. En juillet la datation revêt une systématicité6 dont elle ne se départira plus que dans les deux dernières centaines de pages du Zibaldone, postérieures à l’établissement de l’Index florentin7.
8Avec l’accroissement du manuscrit, la datation en vient même à s’enrichir de nouvelles déterminations, comme le lieu (la pensée du « Tout est mal » des pages [4174-4175] s’achève ainsi : « Bologne, 19 avril 1826 »), la célébration d’une fête du catholicisme (« 10 décembre, jour de la venue de la Sainte-Maison de Lorette », « 2 février 1824, fête de la purification de Marie », « Bologne 3 mai 1826, fête de la Sainte-Croix, veille de l’Ascension »), d’un événement personnel (« 29 novembre 1823, anniversaire de la mort de ma grand-mère », « 29 juin 1824, fête de la saint Pierre, jour de ma naissance »), et encore, quoique de façon très rare, l’indication d’un phénomène parfaitement contingent (météorologique, par exemple, comme à la fin de la pensée de la page [4056], portant sur la pérennité du système physique de Newton : « 4 avril 1824. Dimanche de la Passion. Il neige. »).
9C’est en ce sens que Carlo Ossola peut parler, à propos du Zibaldone, d’un « livre d’heures ». Les indications religieuses accompagnant la date ne manifestent pas une résurgence de la foi léopardienne mais plutôt le consentement réfléchi de l’écriture à une temporalité traditionnelle, accoutumée, qui traduit bien le désir d’un ordre mais d’un ordre relatif et particulier, dépendant, comme l’indiquait déjà la page [376], « de l’habitude et de l’opinion » : « cet ordre se manifeste, avant tout, dans l’ascèse laïque quotidienne selon laquelle [Leopardi] répartit ses heures et thèmes de travail. Tandis que tintent les cloches du dimanche à Recanati, il s’adonne quant à lui, avec une régularité mélancolique et presque obsessionnelle, aux exercices d’étymologie, cherchant dans le dictionnaire ce “mémorial” que l’on célèbre juste à côté dans le sacrifice : ainsi sa lecture de l’Encyclopédie méthodique, sur la primauté de la langue grecque, le “24 décembre 1828, veille de Noël” ; les “diminutifs positivés” compulsés, en espagnol et en français, le “23 décembre 1824, avant-veille de Noël” ; ou bien ses réflexion sur la vie et les vivants le “8 septembre 1823, fête de la Naissance de la Très Sainte Vierge Marie”8 ». On peut même parfois identifier un rapport de contrepoint entre le contenu de la pensée et l’indication liturgique. Ainsi par exemple de la pensée de la page [4280] où éclate l’opposition ironique entre la haine naturelle de tout être pour son semblable, soulignée par Leopardi, et la commémoration du Vendredi saint, de la Passion du Christ soufferte pour les hommes et par amour pour eux :
Se voir dans un miroir et imaginer qu’il existe une autre créature semblable à soi excite chez l’animal une fureur, une agitation, une souffrance extrêmes. [...] Cette réaction se rencontre aussi chez nos enfants. Voir Roberti, Lettere di un bambino di sedici mesi. Ah ! le grand amour que la nature nous a donné pour nos semblables ! (Recanati, le 13 avril 1827, Vendredi Saint).
10Ce consentement du Zibaldone au rythme du calendrier liturgique, qui ne cesse de s’affirmer avec obstination au fil des pages, ne correspond pas, comme le remarque Ossola, au « simple respect de l’ancienne tradition du livre d’heures9 », mais renvoie de façon plus profonde à l’union du sublime et du populaire dans l’institution de la célébration des saints, comme l’indique explicitement la pensée des pages [1438-1448], datée du 3 août 1821, consacrée à la question de la fête et dont voici les premières lignes :
Magnifique institution que celle du christianisme, qui consacre chaque journée à la mémoire de l’un de ses héros, ou à l’un de ses moments marquants, en faisant célébrer solennellement par tout le monde ces journées liées au souvenir des fastes les plus importants de l’Église universelle, en particulier celles qui concernent un héros dont le souvenir se rattache à tel ou tel lieu en particulier, etc. etc. De là viennent les seules fêtes populaires que nous avons encore. Et l’influence de ces fêtes populaires sur les nations est considérable, elle se prête parfaitement aux calculs des politiques, est fort utile pour réveiller les esprits et les mener vers une idée de la gloire, grâce au souvenir, à la célébration publique et solennelle de ces grands exemples que l’on nous propose, etc.
11Au fond, ce qui se joue dans la multiplication des determinations qui viennent progressivement enrichir la parenthèse finale de la datation léopardienne (lieu, célébration des temps forts du catholicisme, commémoration personnelle, observation), c’est le surgissement du plaisir et de la poésie dans l’écriture. Plaisir poétique de noter un petit fait aussi contingent qu’extraordinaire, telle la tombée de la neige au printemps ; plaisir poétique de la petite illusion de l’anniversaire10 ; plaisir poétique des mots mystérieux de la liturgie qui font ressurgir les souvenirs d’une enfance passée dans la piété, etc.
12On mesure ainsi toute l’importance et la richesse de la signification de la date dans l’écriture léopardienne. Elle constitue au départ un simple repère temporel, un marqueur qui vient scander, au jour le jour, et tout d’abord erratiquement, le rythme du Zibaldone. Elle devient ensuite, aux côtés de la pagination et de la différenciation par paragraphes, un véritable instrument de délimitation du flux de pensée, un moyen de donner aux pensées singulières une unité et une autonomie relative à l’ensemble du système. Enfin, la date dépasse son caractère strictement mémoriel et instrumental pour ménager un espace à la poésie et au plaisir qui l’accompagne intrinsèquement, celui du surgissement de la factualité pure, de la contingence de l’existant au cœur de la désolation de la raison.
13« L’an de grâce 1654, Lundi 23 novembre, jour de saint Clément pape et martyr et autres au martyrologe ». C’est par cette date que commence le Mémorial, ce manuscrit que Pascal porta avec lui dans la couture de son vêtement. Le Zibaldone fut lui aussi un texte privé, un texte intime, toujours auprès de son auteur. Il accompagna Leopardi dans son existence en exil, de Recanati à Naples, en passant par Rome, Florence, Pise et Bologne, mais il est un tout autre mémorial. Il n’est pas le mémorial du croyant et de l’apologiste de la religion mais le mémorial-rhizome du philosophe sceptique et du philologue. Il ne se place pas sous le signe d’une fulguration unique et nocturne mais d’une croissance patiente, quasi végétale, au fil des jours. Le Mémorial pascalien est celui du feu de la foi et de la transcendance tandis que le Zibaldone est le mémorial de la lumière de la raison et de l’immanence. Dans l’un, la révélation immédiate de Dieu ; dans l’autre, l’intuition sans cesse redéployée et réticularisée du néant de toutes choses.
Réticularisation
Dérivation génétique et réticularisation
14Ce qui rend possible le système-rhizome léopardien c’est le va-et-vient permanent dans le Zibaldone entre lecture et écriture. Le Zibaldone est avant tout une affaire d’écritures et de lectures. Non seulement parce qu’il constitue le registre des lectures de Leopardi, au contact desquelles nous voyons s’élaborer sa pensée – des documents comme les Elenchi di letture (« Listes de lectures ») témoignent avec précision de leur ampleur et de leur variété11 – mais aussi parce que cette pensée se nourrit de sa propre substance. Leopardi est platonicien sur ce point : la pensée se définit plus que jamais, pour lui, comme un dialogue de l’âme avec elle-même. En effet, la relecture occupe une fonction spéciale dans le processus d’écriture léopardien et est à l’origine d’une véritable méthode de rhizomatisation de la pensée. Les lectures et relectures d’anciennes pensées inspirent Leopardi dans la composition de nouvelles, suivant une technique de dérivation génétique : les pensées dérivent les unes des autres dans le Zibaldone au sens où elles se prolongent par approfondissement, correction, association d’idées autour d’un ou plusieurs nœuds sémantiques, que les différents index s’efforcent, de leur côté, de déterminer sous la forme de lemmes. Mais les lectures et relectures successives permettent aussi à Leopardi d’introduire un nouvel ordre dans son texte, au moyen d’un système de renvois et de rappels se présentant sous la forme d’un ou plusieurs numéros de pages placés au début, dans le corps ou en conclusion de la pensée, voire parfois dans les interlignes ou les marges de la page. Ces renvois et rappels sont d’une précision variable : tantôt Leopardi se contente d’indiquer la référence de façon allusive (« voir ce que j’ai dit ailleurs… », a quello che ho detto altrove…), tantôt il indique la page, le paragraphe, voire la ou les lignes auxquelles se rapporte la pensée. Telle pensée pourra ainsi être liée, par après, à telle ou telles autres, antérieures et postérieures, pour former des parcours ou des séries discontinues dans le flux linéaire de la pensée écrite au jour le jour. Au départ, il semble que les temps de relectures surgissent au hasard, inspirant immédiatement une nouvelle pensée par dérivation, puis des temps de pauses apparaissent dans l’écriture, durant lesquels Leopardi n’écrit plus rien pendant quelques jours pour se consacrer à l’inscription de ces renvois et rappels qui constituent progressivement la mise en rhizome de sa pensée. La relecture, dans le Zibaldone, est au fondement d’un processus de réticularisation de la pensée. Les rapports, les relations, la convenance ou l’harmonie entre les pensées n’existent pas a priori mais sont établis dans le temps de la relecture. Nous avons affaire à un texte construit par la lecture en tant qu’habitude, méthode et nécessité. L’ordre naturel ou chronologique se trouve donc enrichi de l’ordre rationnel ou philologique qui vient ressaisir telle thèse ou contracter telle pensée pour la lier à d’autres qui la complètent ou la corrigent. L’ordre philologique créé par l’appareil de renvois et de rappels fait donc signe vers une rhizomatisation de la pensée léopardienne. Le Zibaldone ne se présente pas d’emblée comme système, mais se systématise dans son contenu comme dans sa forme à mesure de sa réticularisation. La logique qui préside à son déploiement est celle d’une complexification interne. Elle tient liées de façon toujours plus forte les dimensions contradictoires de la nature et de la raison, du devenir et du convenir, du flux de pensée indéfini et des séquences de pensées circonscrites par la datation, la réticularisation et l’indexation. Le Zibaldone est donc un texte au sens strict, c’est-à-dire un tissu, un entrelacement de lignes, de séries discontinues se déployant réticulairement au gré des opérateurs fondamentaux de la pensée léopardienne (nature-raison, possibilité-nécessité, illusion-vérité, anciens-modernes, etc.). Il ne s’agit pas d’une structure fixe, mais d’un agencement mouvant de pensées qui entretiennent des rapports de convenance à travers un réseau de renvois et de rappels constitué au fil du temps.
Un exemple de formation rhizomatique : la page [3927]
15L’établissement d’un système de renvois et de rappels au cœur de la pensée arrache celle-ci à sa dimension diachronique pour la faire accéder à une dimension synchronique. Prenons par exemple la page [3927], où vient se conclure la pensée, initiée à la page [3921], portant sur la comparaison de l’amour de soi et de la vitalité chez différentes espèces animales :
Il faut avoir une grande expérience et une grande habileté pour appliquer les principes généraux aux effets les plus singuliers et les plus éloignés, et pour découvrir, reconnaître et approfondir les rapports les plus obscurs, les plus cachés et les plus lointains. Déclaration qui s’applique à tous les autres principes et à toutes les parties de mon système de la nature. Voir p. 3936, 3977.
L’existence peut être plus intense sans que la vie le soit. On peut dire que l’existence du lion est plus intense que celle de l’homme. Mais pour sa vie, c’est exactement le contraire. L’existence et la vie du lion l’emportent à la fois sur celle de l’huître, de la tortue, de l’escargot, du mulet, du poulpe. La vie du lion est supérieure à celle des plantes, même les plus grandes, à celle des sphères célestes, etc. Pour son existence, c’est l’inverse.
Voyez à propos de cette pensée les p. 3905-6. (27 novembre 1823.) et la p. 3929, ligne 11-12.
16Ces quelques lignes insèrent quatre renvois à d’autres pensées, l’une antérieure et trois postérieures, initiant ainsi quatre parcours ou séries de réflexions connexes.
17La première série se prolonge par le renvoi à la pensée de la page [3936], datée du 28 novembre 1823, liant le thème de la page [3927] à celui de la civilisation et faisant apparaître immédiatement un autre renvoi : « la civilisation, rendant par essence l’homme, pour ainsi dire, tout esprit (p. 3910, sq.), et accroissant infiniment par là même la vie proprement dite et l’amour de soi, accroît aussi au plus haut point le malheur de l’homme et de la société ». On constate que les rappels et renvois ne sont pas nécessairement situés à la fin du paragraphe ou de la pensée mais peuvent survenir dans le corps même de la réflexion. Ainsi de ce rappel à la longue pensée des pages [3910-3920], datée du 26 novembre 1823, qui développe le thème de la « spiritualisation du monde humain », c’est-à-dire de l’accroissement des forces de l’esprit au détriment de celles du corps, à l’œuvre dans le procès de civilisation.
18La deuxième série se prolonge par la pensée de la page [3977], datée du 12 décembre 1823. Celle-ci précise la remarque de la page [3927], d’ordre général et méthodologique, qui soulignait la difficulté d’appliquer les principes généraux du système de l’esprit à la multiplicité des phénomènes singuliers du système de la nature : « Cette multiplicité incalculable des causes et des effets, etc., dans le monde moral ne doit ni sembler absurde ou difficile à admettre, ni étonner si l’on considère qu’elle existe de façon aussi évidente, infinie, incalculable dans le monde physique ». Deux renvois marginaux la prolongent : « Voir la page suivante », « Voir p. 3990 ». La page suivante, soit la page [3978], datée du même jour, précise le fonctionnement des sciences : « Les sciences et les systèmes ne peuvent fonctionner que par paradigmes et par exemples ». La pensée de la page [3990], datée du 17 décembre 1823 développe la complexité du lien entre théorie et pratique du point de vue de la science médicale en citant « les vrais et bons médecins, et en particulier Hippocrate ».
19La troisième série, la plus longue, se prolonge à la pensée des pages [3905-3906], datée du 24 novembre 1823. Celle-ci, portant sur le thème de l’« ivresse » s’ouvre immédiatement sur un rappel de la page [3835], datée du 5 novembre 1823, où Leopardi indique que les « liqueurs, la nourriture, ou tout autre phénomène accidentel (non morbide) » entraînent un accroissement de l’amour de soi et donc du désir de bonheur qui ne fait qu’un avec le plaisir. Cette pensée renvoie en marge à la pensée des pages [3842-3843], du 6 novembre 1823 présentant une variation sur l’idée principale : « Dès que l’homme pense, il désire, car il pense autant qu’il s’aime », et renvoie à son tour, en marge, à la pensée des pages [3846-3848], du 7 novembre, qui énonce la conclusion suivante : « l’homme, comme tout être vivant, sera d’autant moins malheureux qu’il sera plus distrait du désir de bonheur, grâce à son activité, à ses occupations ou à ses pensées, comme je l’ai expliqué ailleurs. Distraction ou léthargie : voilà les seules possibilités de bonheur dont disposent et dont aient jamais disposé les êtres vivants ». Et Leopardi de conclure par un renvoi : « Comme je l’ai expliqué ailleurs », c’est-à-dire aux pages [172-173] et [1580-1581].
20Ce rappel de la pensée de la page [3835] nous ayant quasiment mené aux premières pages du Zibaldone, il s’agit d’examiner le reste de la pensée des pages [3905-3906] qui détermine le thème de l’ivresse sous trois aspects : celui du plaisir, de l’assoupissement et de l’excès. En effet, l’ivresse est « généralement agréable, car en suspendant ou en atténuant le sentiment de la vie au moment même où elle accroît la force, l’énergie, l’intensité, le degré et la vitalité de l’existence, elle suspend, atténue, rend moins sensible, voire annihile entièrement l’action, l’effet, le rôle, la réalité de l’amour de soi, et donc le vain désir du bonheur ». Et Leopardi de renvoyer, encore une fois, à la Théorie du plaisir (« comme le montre ma Théorie du plaisir »), sans préciser la page. L’évocation de l’ivresse comme « assoupissement » renvoie en marge à la pensée de la page [3931] qui décrit avec précision la condition de « l’homme ivre ». Enfin, c’est de l’ivresse comme « excès » – qui finit par annuler, à force de l’augmenter, le sentiment de l’existence – dont il est question, d’où le renvoi de Leopardi à la maxime générale, véritable ritournelle du Zibaldone : « comme je l’ai dit ailleurs, le trop est le père du rien ». Comme précédemment pour la Théorie du plaisir, le renvoi est vague, mais correspond aux pensées des pages suivantes, répertoriées par l’Index florentin à l’entrée « Troppo è padre... » : [714], [1176], [1260], [1653-4], [1777], [2278].
21La quatrième série se prolonge avec la pensée de la page [3929], datée du 27 novembre 1823. La précision de l’indication léopardienne est ici remarquable puisqu’elle va jusqu’à indiquer les lignes concernées. Il s’agit des lignes 11 et 12 qui affirment que des affects contradictoires comme l’amour et la haine du semblable « se manifestent chez l’être vivant de mille façons et sous des aspects très différents, particulièrement chez l’homme, qui est le plus vivant de tous ».
22Le schéma suivant illustre ce processus de dérivation génétique par lequel un ordre réticulaire est progressivement mis en œuvre dans le Zibaldone :

« Mettre de la liaison » : Leopardi et Condillac
23La méthode d’écriture de Leopardi, dans sa double dimension de dérivation génétique et de système réticulaire de renvois et de rappels, est la mise en œuvre concrète (sans doute spontanée au départ, mais devenant sans cesse plus rigoureuse et consciente) du principe de liaison des idées que Condillac, dans son Essai sur l’origine des connaissances, place au fondement de sa métaphysique (comprise comme théorie de la connaissance) et considère comme « la première opération de l’âme ». Pour saisir ce rapprochement entre les deux philosophes, il faut partir de la thèse soutenue dans la section intitulée « De l’opération par laquelle nous donnons des signes à nos idées » : les idées ne nous apparaissent que par la médiation de leurs signes, à savoir les mots. Le signe arbitraire, loin d’habiller l’idée, vient lui donner corps – affirmation à laquelle souscrit explicitement Leopardi lorsqu’il soutient qu’on ne peut former aucune idée sinon « en lui donnant corps » (incorporendola, [1389]). Nous pouvons très bien percevoir une pépite d’or sans disposer du mot « or », mais nous ne pouvons avoir l’idée d’or, c’est-à-dire l’image mentale d’un ensemble de qualités sensibles (couleur jaune, malléabilité, dissolution dans l’eau régale) sans disposer du signe qui lie ensemble ces qualités. Ainsi, pour Condillac, la liaison des signes et des idées conditionne la liaison des idées entre elles : « Les idées se lient avec les signes, et ce n’est que par ce moyen […] qu’elles se lient entre elles ». Le principe de « liaison des idées » est donc, en toute rigueur, un principe de liaison « des signes et des idées » qui se retrouve effectivement dans l’agencement du texte léopardien. Ainsi par exemple, la réflexion sur le plaisir qui s’y déploie ne peut se distinguer d’une rhapsodie de pensées ponctuelles et isolées (et ne peut donc exister comme élément d’un véritable système philosophique) qu’en tant qu’elle est tout d’abord désignée comme telle par un syntagme déterminé (par exemple : « ma Théorie du plaisir »), puis constituée par une ou plusieurs séries de pensées liées par leur appartenance à ce que l’indexation déterminera comme un lemme commun. Nous le savons déjà, il n’existe pas, pour Leopardi, de connaissance philosophique sans système et la systématicité n’est pas autre chose que l’établissement d’un ordre, d’une convenance entre une multiplicité d’éléments (l’idée de système, « c’est-à-dire d’harmonie, de convenance, de correspondance, de relations, de rapports », [1089]). L’ordre chronologique et naturel du journal dissimule la cohérence du système léopardien, d’où la nécessité de « mettre de la liaison* », pour reprendre la formule très condillacienne de la page [4326], c’est-à-dire d’introduire un ordre rationnel au moyen de signes institués (mots ou expressions-clés, dates, formules de renvois et de rappels) entre les pensées qui le constituent. La datation et l’établissement d’un réseau de renvois et de rappels au sein du flux de pensée sont donc deux gestes essentiels pour réaliser cette liaison des idées, mais celle-ci ne trouve son plus haut point d’achèvement que dans le dispositif d’indexation multiple mis en place par Leopardi.
Un système d’indexation multiple
24L’indexation revient pour Leopardi à introduire dans son manuscrit un ordre, l’ordre de la raison qui vient ressaisir par après le contenu de la pensée et établit un lien, une convenance, entre les mots et les idées. Mais cet ordre rationnel du convenir est lui-même intimement lié à l’ordre naturel du devenir. En effet, il n’existe pas une mais six indexations léopardiennes qui correspondent autant à des perfectionnements successifs qu’à des essais, des tentatives à chaque fois singulières de cartographier le système à différents stades de son développement rhizomatique.
Le premier index des Pensées de philosophie variée et de belle littérature
25Le premier index léopardien correspond au cent premières pages d’un manuscrit dont Zibaldone n’est pas encore le nom. Il est l’occasion pour Leopardi de nommer son journal pour la première fois : Pensées de philosophie variée et de belle littérature. Cet index se présente sous la forme d’une liste numérotée de deux cents entrées qui synthétisent, tantôt sur le mode d’un résumé fidèle, tantôt sur celui d’une abstraction plus libre, les pensées (à l’exception de sept fragments, dont le célèbre incipit poétique : « Palazzo bello. Cane di notte dal casolare, al passar del viandante… ») de cette première centaine de pages dans leur ordre de rédaction (de 1817 à 1819). Ainsi, par exemple, la première entrée de cet index (« 1. Mot d’esprit. ») correspond à cette pensée de la première page du manuscrit :
Une dame d’un certain âge demanda à un jeune homme de lui faire lire quelques unes de ses compositions regorgeant de mots anciens. Après les avoir lues, elle lui dit qu’elle n’y entendait rien, car ces mots n’étaient pas en usage à son époque. Le jeune homme répondit : – J’aurais pourtant cru qu’ils l’étaient, car ils sont fort anciens.
26Certaines entrées sont très courtes et condensent en quelques mots un long développement (« 24. Sur les articles de Lodovico di Breme à propos du romantisme » renvoie à la pensée des pages [15] à [20] qui constitue la matrice du Discours d’un Italien sur la poésie romantique), d’autres, beaucoup plus longues, en ressaisissent de façon presque exhaustive le mouvement et opèrent une véritable reformulation sui generis. Notamment cette entrée correspondant à la pensée des pages [76-79] :
171. Douleur antique. Très différente de la moderne. Si les poètes et les artistes doivent ou peuvent traiter convenablement des sujets anciens où les passions dominent. La sensibilité ne fut pas propre aux anciens ; c’est un effet naturel des circonstances modernes, mais qui n’est pas inné en nous ; c’est un remède que la nature miséricordieuse a si l’on peut dire préparé pour soigner notre malheur présent, mais qui n’est pas naturel. Il est absurde d’accuser poètes et écrivains antiques de manquer de sentiments, et de mépriser les anciens parce qu’ils en manquèrent. Car ils ne manquaient pas de passions belles et douces, ni d’autres grands plaisirs de l’esprit, dont nous manquons. La consolation des anciens ne résidait pas dans le malheur même, comme c’est en quelque sorte le cas pour nous.
27D’autres sont quasiment identiques au contenu qu’elles synthétisent : l’entrée « 75. Plus on tient compte du temps et moins on a l’impression d’en avoir, plus on le néglige et plus on a l’impression qu’il nous en reste » indexe la pensée de la page [43] : « Plus on tient compte du temps, plus on désespère d’en avoir assez, plus on s’en moque, plus il semble qu’on en ait ». La différence entre l’entrée et la pensée qu’elle résume est ténue, elle porte surtout sur leur frappe : la pensée du manuscrit, dans la musicalité de son jeu de rimes internes, sonne comme un dicton (Quanto più del tempo si tiene a conto, tanto più si dispera d’averne che basti, quanto più se ne gitta, tanto par che n’avanzi) tandis que l’entrée a une tonalité plus plate et descriptive : Più si fa conto del tempo e meno ci pare di averne, più si trascura e più pare che ce ne avanzi. La perte de musicalité de l’entrée par rapport à la pensée est ici minime, mais il arrive parfois que ce soit l’entrée qui éclaire la pensée et en constitue une micro-interprétation, comme c’est le cas de cette entrée : « 162. Tout est néant, jusqu’au désespoir qui naît de la connaissance et du sentiment de cette vérité, et jusqu’à la douleur » qui détermine le contenu de la pensée fondamentale de la page [72] non comme affect mais comme vérité. L’idée que le « Tutto è nulla » est une vérité métaphysique et non un simple point de vue, présente à l’état latent dans cette pensée, devient manifeste dans son indexation.
28Cet index est donc la première tentative de Leopardi pour s’approprier ces cent pages d’écriture et en faire un matériau utilisable. Il écrit en ce sens, dès 1819, dans une lettre du 19 février à Pietro Giordani :
En ce qui concerne la prose italienne en général, les quelques pensées que j’ai conçues sont encore indigestes et désordonnées, de sorte que je ne pourrai les mettre sur papier sans travail, comme j’ai l’intention de le faire en vue d’un traité. Un traité sur la condition présente des lettres italiennes, qui devrait être le fondement et la norme de tout ce que j’envisage de composer par la suite12.
29À ce stade, les Pensieri constituent encore une forme de continuum d’écriture et de pensée à l’intérieur duquel Leopardi éprouve la nécessité de pouvoir s’orienter s’il veut mener à bien son projet : tentation du traité, c’est-à-dire du livre-racine, au détriment du rhizome. C’est à la raison philologique qu’il appartient de circonscrire et délimiter ce continuum, sans le morceler, au moyen d’une indexation par synthèse. D’où le dispositif de ce premier index, dont l’autographe n’est pas daté mais que la critique génétique (par l’analyse des encres, du papier et de l’écriture) permet d’attribuer à l’année 1820. Celle-ci voit naître une prise de conscience et un nouveau rapport de Leopardi à son texte, puisque c’est au même moment qu’il se met à le dater et à l’indexer : l’index des Pensieri s’achève en effet sur l’entrée 200 qui condense la pensée de la page [100] portant sur la simplicité et le naturel de l’art poétique grec. Cette pensée est la première à être datée précisément et le jour même de son écriture : « 8 janvier 1820 », à la différence de la datation a posteriori de la toute première page, faisant office de balise temporelle approximative : « Juillet ou août 1817 ».
30Cet index par synthétisation n’est pourtant par poursuivi. La raison en est évidente : il s’agit d’un dispositif trop disparate et trop rigide dans la mesure où il reste tributaire de l’ordre naturel et chronologique des pensées. Il ne peut constituer tout au plus qu’une forme condensée, un double parfois redondant des Pensieri qu’il se donne pour tâche de circonscrire et d’ordonner. Le premier index est donc abandonné car trop peu fonctionnel. La raison philologique doit donc trouver un autre ordre, un autre convenir entre les mots et l’idée qui épouse de façon plus adéquate toute la richesse et la complexité d’une pensée en devenir.
Le deuxième index : « Malheur de connaître son âge »
31Le deuxième index léopardien, connu sous le nom de sa première entrée, à savoir « Malheur de connaître son âge » (Danno del conoscere la propria età), est le fruit du dépouillement de 4118 pages du Zibaldone en vue de l’écriture des Operette morali. Il est daté de l’été 1824 et se présente sous la forme d’une séquence de 58 phrases ou lemmes suivis des numéros de page correspondant ainsi que du paragraphe. En voici les cinq premiers :
Malheur de connaître son âge : 102, 1.
L’amitié entre deux jeunes gens est aujourd’hui impossible : 104, 1.
(a) Pensées satiriques isolées. 106, 1. 307, 1. 334, 1. 352, 2. 364, 1. 1075, 2. 1085, 1. 1362, 2. 1537, 1. 1583, 2. 1607, 1. 1926, 2. 2396, 2. 2481, 1. 2611, 1. 2653, 3. 3000, 1. 3891, 1. 3990, 2. 4023, 1, [2]. 4044, 8. 4062, 1. 4068, 9. 4075, 3. 4090, 2. 70, 1. 4095, 2, 3. 4103, 6.
(b) Pensées philosophiques isolées. 112, 3. 183, 2. 276, 1. 280, 3. 319, 1. 375, 2. 479, 1. 527, 1. 646, 1. 676, 2. 703, 2. 829, 1. 975, 1, [2]. 1011, 1. 1044, 2. 1175, 1. 1328, 1. 1521, 2. 1715, 1. 1970, 2. 2607, 1. 2686, 1. 2803, 1. 3029, 1. 3040, 1. 3432, 1. 3975, 3. 51, 4. 58, 2. 62, 3. 73, 2.
Pourquoi l’on éprouve du plaisir à la lecture des hauts faits. 124, 113.
32Les différences avec l’index précédent sont notables. Premièrement, l’indexation s’arrache à l’ordre de rédaction chronologique des pensées sans que la succession des lemmes ne semble obéir à un ordre déterminé (alphabétique ou thématique). Deuxièmement, elle gagne en précision : le premier index s’en tenait au numéro de page, Leopardi peut désormais retrouver l’idée lemmatisée au paragraphe près. Troisièmement, elle gagne considérablement en extension puisque ce ne sont plus cent pages mais plus de quatre mille qui sont indexées, sur une période allant de 1817 à septembre 1824. L’ordre de succession des numéros de page permet même de suivre le processus léopardien de lemmatisation. Ainsi, on remarque que celle-ci commence toujours après la page [100] et qu’une fois le dépouillement jusqu’aux pages 4100 effectué, elle revient au cent premières pages. C’est particulièrement évident pour les « Pensées philosophiques isolées » présentes dans l’échantillon reporté ci-dessus, dont la première occurrence est à la page [112], se termine à la page [3975], pour revenir ensuite à [51], [58], [62] et [73]. Tout se passe comme si ce second index mettait de côté momentanément le premier pour s’appuyer ensuite sur lui et l’intégrer dans sa logique. Quatrièmement, et c’est le changement le plus considérable, l’indexation n’est plus ici seulement synthétique mais aussi fortement sélective et intentionnelle. Certes, tous les index léopardiens répondent à cette même exigence de réalisation d’un projet et le premier, en dépit de sa quasi exhaustivité, ne fait pas exception. Mais c’est véritablement avec ce second index qu’apparaît en toute clarté l’exigence de tailler dans la masse brute du continuum de matériau que constitue ce que l’index le plus abouti, l’index dit « florentin », nommera enfin le Zibaldone. La question qui se pose dès lors est la suivante : une fois l’œuvre réalisée (ici, les Petites œuvres morales), que faire de la somme considérable des pensées restantes ? Le processus d’indexation s’est découvert, dans le premier index, comme opération de synthèse exhaustive, et s’est enrichi, dans le second, au détriment de la complétude, d’une double dimension de précision et de sélection. Il reste donc encore à la raison philologique de proposer un autre ordre qui permettrait d’unir ces différents aspects.
Le « Schedario »
33C’est l’objet du troisième index, connu sous le nom de « Fichier » (Schedario). Celui-ci ne se présente plus sous la forme linéaire d’une liste mais d’un ensemble de 555 petites fiches sur lesquels Leopardi a consigné des mots ou des phrases suivis des pages et paragraphes correspondants. L’ordre retenu est désormais alphabétique, de A (« Abito di attività materiale del corpo, si comunica all’animo : e così d’altri abiti materiali », 1719, 1. ») à Z (« Zappi, 28, 1. ») – ou du moins, potentiellement alphabétique, puisque les fiches, de par leur séparation matérielle, peuvent être classées ou lues dans n’importe quel ordre. L’analyse des encres et de la graphie permet de dater la composition du Schedario entre 1820 et 1827. La critique génétique distingue plus précisément trois encres, une grise, une marron et une rougeâtre, qui correspondent respectivement à trois périodes de rédaction : la première allant de 1820 à 1823, la seconde s’inscrivant dans les années 1823-1824 (la majeure partie des fiches) et la dernière en 1827, au moment de la révision générale qui donnera lieu à l’Index florentin. Le Schedario témoigne donc d’un travail continu dans le temps et devient pour Leopardi un instrument fondamental d’élaboration de champs sémantiques permettant le repérage dans la masse sans cesse croissante des pensées. L’indexation y atteint un niveau de précision extrême : le nombre d’entrées est près de dix fois supérieur à celui du second index ; les noms propres et les termes en langues anciennes (notamment en grec) font leur apparition ; une abréviation indique si le numéro de page cité renvoie à un ajout marginal (par exemple : « Dante. 21, 2. 151, 2. […] 3291. 3479, 1. 3507-8. 3552, marg. 3561-2. 3719, marg. 3884, 1. 3964, 5. 4214, 3. ») ; des séries de lemmes peuvent apparaître sur une même fiche au gré d’une association thématique signifiante (« Démons, anges, demi-dieux, âmes humaines, apothéoses, etc., etc. 3944, 2. 4048, 3. 4050, 2. 4076, 3. 4094, 2. 4110, 3. 4117, 114. ») ; on retrouve les synthèses explicatives du premier index (« Douleur, Consolations ostensibles de la douleur, chez les anciens, les sauvages, les paysans ; combien elles sont utiles, voulues par la nature prévoyante, et stupidement bannies par la civilisation et la philosophie. 4234, 815. ») ainsi que les lemmatisations révélant une détermination latente de la pensée (l’entrée « ennui », par exemple, renvoie à une série de vingt pensées dont la seconde [140, 1] ne mentionne jamais explicitement le terme – « noia » –, ni même un synonyme – « tedio » –, et pourtant, la douleur sépulcrale, sans action, sans mouvement et sans chaleur qui y est décrite correspond bien, dans le système léopardien, à la tonalité de l’ennui) ; enfin, et il s’agit certainement du gain le plus significatif de ce troisième index, plusieurs fiches peuvent être consacrées à des variations autour d’un même lemme fondamental (accompagnées d’une courte explicitation, voire d’un renvoi à un thème connexe inséré dans la série des pages). Ainsi de l’amour, qui ne mobilise pas moins de dix fiches :
Amour de la vie. Sa définition métaphysique, etc. 4127, 9.
Amour de la communauté [amor di corpo]. 149, 1.2. 150, 2.3. 151, 2. 457, 1. 872, 1. 1715, 2.
Amour partisan [amor di parte]. 113, 3. 299, 1. 872, 1. 1606, 1. 2156, 1.
Amour de la patrie [amor patrio]. 67, 4. 123, 2. 133, 1. 148, 2. 150, 2.3. 151, 1.2. 457, 1. 540, 1. 542, 1. 872, 1. 923, 1. 1361, 3. 1715, 2. 1723, 1. 2574, 1. 2628, 1. 2677, 1. 3029, 1.
Amour de soi [amor proprio]. 57, 4. 133, 1. 390, 1. 507, 2. 516, 2. 610, 1. 646, 2. 822, 1. 872, 1. 958, 1. 960, 2. Voir Plaisir, etc. 1100, 1. 1164, 1. 1201, 1. 1382, 2. 1431, 1. 1545, 1. 1723, 1. 2153, 2. 2204, 2. 2219, 2. 2315, 1. 2410, 1. 2493, 2. 2495, 1. 2496, 1. 2499, 1. 2736, 1. 3107, 1. 3291, 1. 3471, 1. 3773, 1. 3813, 1. 3842, 2. 3846, 2. 3921, 1. 4037, 6. 4127, 9. 4242, 1.
Amour. 59, 1.2.3. 69, 2. 496, 2. 666, 1. 668, 1. 676, 3. 678, 1. 1017, 1. 1083, 1. 1319, 1. 1356, 1. 1434, 1. 1882, 1. 1885, 1. 1880, 1.2.3. 2481, 2. 3301, 1. 3443, 1. 3596, 1. 3955, 1. 4293, 2.
un étranger ou une étrangère, dans les mêmes circonstances, est plus aimable et pourquoi. 4293, 2.
Amour des semblables. 133, 1. 536, 1.2. 540, 1. 542, 1. 591, 1. 1688, 1. 1823, 1. 1847, 1. 2043, 1. 2429, 2. 3928, 5.
Amour universel. 872, 1. 923, 1. 1710, 1. 1823, 1. 2759, 2. 4104, 4.
Amour envers les animaux. 1823, 1.
Amour citoyen [amor di municipio], envers la province, etc. 2628, 116.
34Le Schedario réussit donc à unir les qualités des deux premiers index, l’exhaustivité synthétique d’une part et la précision sélective de l’autre, tout en y adjoignant une plasticité et une fonctionnalité accrues. Le procédé par fiches permet à Leopardi de compléter cet index au jour le jour, au fil de l’écriture et des relectures des pensées, ce qui fait de lui l’instrument adéquat à la composition du dictionnaire philosophique à la manière de Voltaire que lui demande son éditeur milanais, Antonio Fortunato Stella. Leopardi évoque ce projet dans la lettre du 13 septembre 1826 :
Quant au Dictionnaire philosophique, je vous avais écrit que j’avais rassemblé certains matériaux, ce qui est vrai ; mais le style, qui est la chose la plus difficile, y manque complètement, puisqu’ils ont été jetés sur le papier avec des mots et des phrases à peine intelligibles, sauf pour moi. En outre, ils sont dispersés dans des milliers de pages, contenant mes pensées ; et pour pouvoir extraire celles qui appartiendraient à un article donné, il faudrait que je relise toutes ces pages ; puis, une fois repérées celles qui conviendraient, que je les dispose, les mette au point, etc., autant de choses que je ferai quand vous jugerez bon que je m’applique à rédiger ce Dictionnaire, mais que je ne puis faire pour le moment, ou uniquement pour un ou deux articles17.
35Leopardi ne composera jamais ce Dictionnaire philosophique, mais ce qu’il laisse à la postérité n’en constitue pas pour autant l’ersatz. Il semble au contraire que les « milliers de pages » de son manuscrit, accompagnées de leurs index successifs, dans l’entrelacement des ordres chronologique et philologique, restitue sur le seul mode vraiment adéquat l’esprit d’une systématicité en mouvement. Comme Montaigne, Leopardi s’attache moins à peindre l’être que le passage, et la forme rigide du dictionnaire, dans son ordre strictement alphabétique, n’aurait pu qu’occulter ce devenir de la pensée. Une philosophie authentique de l’existence comme la philosophie de Leopardi ne peut exister qu’ainsi, ainsi parce qu’elle est ainsi, et non parce qu’elle devrait se conformer à la forme préexistante du dictionnaire voltairien. Elle existe dans sa factualité pure, tenant ensemble les dimensions contradictoires du devenir et du convenir, à la fois comme matériau brut – « à peine intelligible » et chaotique seulement au premier abord – et comme matière ciselée, pensée méticuleusement datée, réticularisée et indexée. Ce n’est pas le dictionnaire philosophique jamais réalisé qui dit la vérité des Pensées léopardiennes comme œuvre inachevée ; ce sont ces Pensées qui, dans la grande vitalité de leur ordre rhizomatique, disent la vérité du dictionnaire comme forme inadéquate. Il ne reste donc plus à Leopardi qu’à continuer la voie ouverte par le Schedario et à la parfaire dans l’Index florentin, établi un an plus tard, qui donnera son nom, ou plutôt l’un de ses noms, au Zibaldone.
L’Index florentin
36Le quatrième index léopardien est le plus abouti. Il constitue la mise au propre linéaire des fiches du Schedario, dans un ordre strictement alphabétique et sur près de 84 pages d’une écriture élégante et serrée. Sur le fond, l’Index enrichit le fichier de nouvelles entrées et corrige certaines erreurs de numérotation. La nouveauté est que certaines entrées, correspondant à des thèmes fondamentaux de la pensée léopardienne, renvoient à un cinquième index, les Polizzine richiamate (ou « Thèmes mentionnés dans l’index ») : par exemple « Plaisir. Théorie du. Voir Polizzine intitulée Plaisir. Théorie du plaisir18 ». Mais le point le plus important est sans doute que cet Index apparaît dans l’écriture même du Zibaldone qu’il nomme ainsi pour la première fois. En effet, on peut lire à la page [4295], entre la pensée du 14 octobre 1827 portant sur la compagnie la plus adéquate à une conversation agréable et celle du 25 octobre de la même année, qui retranscrit dans une traduction française une citation de Benjamin Franklin, délimité par deux traits horizontaux :

37Aussi important fût-il, le geste d’indexation demeurait jusqu’à présent extrinsèque au flux de pensées. Il trahissait sa soumission au devenir, à la temporalité naturelle, à travers ses tentatives et ses remaniements successifs. Avec cette indication décisive du 14 octobre 1827, c’est l’ordre philologique, le convenir instauré par la raison entre les pensées lemmatisées, qui fait irruption dans le devenir de l’écriture. L’Index florentin n’est certes pas définitif, puisqu’il sera complété par deux autres fichiers (les Polizzine richiamate et non richiamate) mais il termine une séquence de pensée, et ce au sens strict du mot, c’est-à-dire qu’il la circonscrit, lui donne un terme et une limite, en même temps qu’il la nomme : Zibaldone di pensieri. Ce nom est aussi riche que le contenu auquel il se rapporte et synthétise les trois dimensions fondamentales de l’œuvre léopardienne : il est philologique dans la mesure où il renvoie à l’instrument de travail de l’érudit, philosophique en tant qu’il désigne un recueil bigarré de réflexions, un mélange d’essais et, surtout, intensément poétique en ce qu’il déjoue toutes les appellations rationnelles qui tenteraient d’en fixer définitivement l’essence. Ni tout à fait journal intime, ni carnet de bord, ni registre de citations, ni encyclopédie personnelle, mais Zibaldone. Mot énorme et truculent, mot de plaisir, mot enfantin et gigantesque, mot pantagruélique, où les consonnes glissent et bondissent tandis qu’éclatent en leur sein ses voyelles chatoyantes. Un mot-rhizome aux contours indistincts, résistant à toute analyse exhaustive et dont on ne soulignera jamais assez la vaghezza, pour parler de façon léopardienne, c’est-à-dire la beauté propre à ce qui fait signe vers l’infini. C’est tout le paradoxe de cette indication du 14 octobre 1827, qui donne un nom, non sans une certaine forme d’autodérision19, à l’innommable.
Les « Polizzine » et les dernières pages non indexées
38La longue entreprise d’indexation léopardienne s’achève avec les Polizzine chiamate et non richiamate, c’est-à-dire les thèmes mentionnés et non mentionnés dans l’Index florentin. Elles se présentent sous la forme de fiches sur lesquelles sont consignés des lemmes associés à d’imposants blocs de chiffres (parfois plusieurs centaines). Les entrées des Polizzine richiamate renvoient soit à des notions philosophiques (« Civilisation », « Perfectibilité », « Plaisir. Théorie du plaisir », « Romantisme ») soit, en majorité, à des notions linguistiques et philologiques (« Continuatifs latins », « Diminutifs positivés », « Français », « Fréquentatifs, diminutifs, etc., italiens », « Grecs. Leur langue, leur caractère, etc. », « Latine (langue). Observations grammaticales, archéologiques, etc. », « Participes en us des verbes neutres ou actifs », etc.). Les Polizzine non richiamate méritent une attention particulière dans la mesure où elles ne font pas apparaître seulement des lemmes (« Langues ») mais de véritables titres d’œuvres potentielles qui, dans leur frappe, ne sont pas sans évoquer certains traités philosophiques de l’Antiquité et de la modernité. Le Zibaldone devient ainsi la matrice d’au moins cinq œuvres : un Manuel de philosophie pratique dont le titre rappelle le Manuel d’Epictète, que Leopardi connaît pour en avoir réalisé une traduction ainsi qu’une préface. Cette polizzina fait apparaître dans sa numérotation trois renvois à l’Index :
Manuel de philosophie pratique. 65, 1. 76, 1.3. 112, 3. 172, 1. 191, 3. 248, 1. 255, 1. 255, 2. 268, 1. 298-9. 302, 4. 302, 4. 303, 1. 304, 1. 304, 2. 345, 1. 351, 2. 369, 1. 460, 1. 461, 1. 324, 4. 496, 2. 532, 1. 614, 1.2. 618, 1.2. 633, 1. 636, 1. Voir Exercices physiques, vigueur physique, Vin, etc. 43, 2. 666, 2. 678, 3. 684, 2. 717, 3. 1075, 2. 1085, 1. 1328, 1. 1400, 1. Voir Consolation, etc. 1464, 1. 1573, 1. 1580, 1. 1583, 2. 1651, 1. 1653, 1. 1655, 1. 1792, 1. 1826, 1. 1866, 2. 1988, 3. 1998, 1. 2017, 3. Voir Résignation, Désespoir. 2415, 1. 2493, 1. 2495, 1. 2526, 1. 2599, 1. 2661, 1. 2673, 3. 2683, 3. 2702, 1. 4041, 7. 4160, 10. 4167, 12. 4185, 2. 4188, 8. 4190, 3. 4194, 1. 4201, 10. 4239, 5. 4234, 8. 4249, 5. 4254, 4. 4259, 5. 4266, 1. 4274, 2. 4281, 3. 4286, 6.
39Les quatre autres œuvres sont : De la nature des hommes et des choses (qui évoque Lucrèce), un Traité des passions, des qualités humaines (dont la thématique renvoie à des penseurs comme Descartes, Spinoza, Locke et surtout Hume20), une Théorie des arts et des lettres comportant une « partie pratique, historique » et une « partie spéculative », et enfin les Mémoires de ma vie. Mais les Polizzine ne constituent pas encore exactement l’achèvement du processus d’indexation léopardien. En effet, il reste encore, entre la datation de l’indexation florentine du 14 octobre 1827 et la fin du Zibaldone à la page [4526] datée du 4 décembre 1832 à Florence, un peu plus de 200 pages qui ne sont pas indexées. Leopardi ne les délaisse pas pour autant et poursuit sa méthode de datation (de façon moins systématique) et de réticularisation par renvois et rappels (elle, très abondante) mais va surtout implémenter une forme inédite d’indexation, la lemmatisation interne au texte. Durant cette période, Leopardi n’utilise ni fiches ni index mais insère les lemmes au commencement du paragraphe d’écriture. Ainsi la dernière pensée de la page [4518] sur la question des plaisirs et de leurs fins commence par ces deux lemmes-titres empruntés aux Polizzine non richiamate : « Manuel de philosophie pratique. Mémoires de ma vie. Les plaisirs, comme je l’ai noté ailleurs, ne nous comblent que s’ils ont une fin située en dehors d’eux-mêmes. Il en est de même de la vie… ». De même, le lemme « Pour un discours sur l’état actuel de la littérature » qui ouvre la pensée du 6 mars 1829 peut renvoyer à la Théorie des arts et des lettres. Partie pratique et historique.
Une « Encyclopédie des choses inutiles et que l’on ignore »
40On le voit donc, Leopardi n’abandonne pas, même à un stade avancé de rédaction de son manuscrit, l’idée d’ordonner ce flux de pensée produit de façon de plus en plus irrégulière. L’indexation devient dès lors complètement homogène et immanente au texte. Cet ordre rationnel à même le texte témoigne de la permanence d’une décision méthodologique qui s’est élaborée et consolidée avec le temps. Leopardi continue, sous l’effet d’une longue accoutumance contractée sur plus d’une dizaine d’années, son dialogue avec les auteurs et avec lui-même, comme s’il s’agissait pour lui de terminer un cycle en liant jusqu’au bout ses pensées au système auxquelles elles appartiennent. Volonté d’achèvement qu’il évoque à propos des Anciens dans cette pensée du 12 avril 1829 :
Sur les connaissances encyclopédiques des anciens (surtout des Grecs) et leur façon d’écrire sur chaque domaine du savoir – ce dont j’ai parlé ailleurs –, les écrits de Cicéron (parmi ceux qui restent et ceux qui sont perdus) sont susceptibles de nous éclairer et de nous en apporter un exemple, puisqu’il imite les Grecs en cela comme en tant d’autres choses. Dans beaucoup de ses œuvres (philosophiques, rhétoriques, etc.), il fut poussé non point par quelque inspiration ou ὁρμὴ particulière, par quelque impulsion, par un attachement envers ces arguments, ou par ces vues particulières sur le sujet, mais uniquement par l’envie et le désir (que la mort et les affaires l’empêchèrent de satisfaire) d’achever le cycle (mot employé par Niebuhr à propos des oeuvres d’Aristote) de ses écrits sur chaque doctrine encyclopédique.
41Leopardi semble lui aussi avoir le projet de composer une encyclopédie. Il l’évoque, toujours dans une lettre à son éditeur Stella, datée du 13 juillet 1827, soit un peu moins d’un an après la lettre concernant le Dictionnaire philosophique : « Maintenant je suis en train d’organiser les matériaux de l’Encyclopédie. J’espère que ce sera une Œuvre qui sera nécessairement lue par toutes sortes de personnes21 ». L’organisation en question est celle de l’Index florentin, commencé le 11 juillet. Le projet gagne en ampleur : il ne s’agit plus d’un simple dictionnaire mais d’une encyclopédie à laquelle Leopardi n’hésite pas à attribuer un titre dont il se méfie pourtant, celui d’« Œuvre » (Opera). Il est difficile, à vrai dire, d’évaluer ici son intention. La tonalité de la phrase y est paradoxalement prudente (Spero) et curieusement affirmative (une œuvre lue « nécessairement », – littéralement « par force » : per forza). Un mois plus tard, Leopardi confirme dans la lettre à Stella du 23 août : « je suis toujours occupé par l’Encyclopédie, et je m’ingénie à la rendre la plus populaire possible, jusque dans le style22 ». Le projet restera inachevé, comme celui du Dictionnaire voltairien, mais l’idée réapparait en 1829 dans le document intitulé Disegni letterari23. Il s’agit pour Leopardi de composer une Enciclopedia delle cose inutili e che non si sanno ; o supplemento di tutte le Enciclopedie, c’est-à-dire une Encyclopédie des choses inutiles et que l’on ignore ; ou supplément à toutes les Encyclopédies. La tonalité polémique et ironique de ce titre est évidente. Il est en effet peu probable que Leopardi considère le contenu philologique ou philosophique de son Zibaldone comme inutile. Si c’est le cas, l’inutilité des connaissances qui y sont exposées désigne, en un renversement fidèle à l’esprit de sa philosophie24, ce qui est suprêmement utile. Il en va de l’utile et de l’inutile comme du vrai et du faux, du bon et du mauvais, du beau et du laid : des valeurs frappées du sceau de la relativité propre à ce qui relève du domaine de l’être. De ce point de vue, le Zibaldone peut bien être considéré comme une encyclopédie inutile aux yeux de :
Ce siècle vaniteux
Hostile à la valeur, curieux de bavardages,
Qui de vaines espérances se nourrit,
Cet âge sot qui réclame
L’utile, et ne voit pas
Que la vie devient toujours plus inutile25.
42Il n’en demeure pas moins que le Zibaldone constitue, aux yeux de Leopardi et du lecteur qui saisit la systématicité qui s’y déploie, dans le plaisir de la variété qu’il procure et la consistance des connaissances qu’il dispense avec une prodigalité proprement dantesque (qu’on pense, sur ce point, aux premières pages du Convivio), non pas simplement un ajout, un « supplément » (des paralipomènes, pour reprendre un terme cher à son auteur) mais une véritable anti-encyclopédie. Les Lumières sont un point d’ancrage pour Leopardi, un moment décisif de la pensée dont l’esprit et l’héritage doivent être intégrés, non pour être prolongés servilement, mais renversés. Le Zibaldone est l’Encyclopédie des choses inutiles et que l’on ignore, non pas en puissance, comme un matériau qui attendrait une nouvelle mise en ordre, mais en acte et, pour ainsi dire, tel quel, dans son indéfinition et son inachèvement constitutifs. En sorte que deux renversements de l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers voient le jour en Europe, au même moment, prenant toutes deux en charge, et chacune à leur manière, les problèmes fondamentaux de la systématicité, de la contradiction et de l’existence : l’Encyclopédie des sciences philosophiques de Hegel et le Zibaldone di pensieri de Leopardi. C’est dans l’ordre dialectique que la première trouve sa vérité ; le second, dans l’ordre rhizomatique.
Notes de bas de page
1 Carlo Ossola, « Un livre d’heures : le Zibaldone », in La Conscience de soi de la poésie, sous la direction de Yves Bonnefoy, Colloques de la fondation Hugot du Collège de France (1993-2004), Paris, Seuil, 2008.
2 Mélinda Palombi, Giacomo Leopardi et Italo Calvino, Constellations croisées. Multiplicité, dualité et vide en hypertexte. Thèse de doctorat en études italiennes soutenue le 7 décembre 2016 à l’Université d’Aix-Marseille, sous la direction de Perle Abbrugiati, p. 29.
3 Sergio Solmi parle, à juste titre, de l’« habitus philologique » de Leopardi, Études léopardiennes, op. cit., p. 33.
4 Voir sur ce point Fabiana Cacciapuoti, Dentro lo Zibaldone, Il tempo circolare della scrittura di Leopardi, Roma, Donzelli, coll. « Saggi. Arti e lettere », 2010, p. 49.
5 Ibid., p. 64-65.
6 Voir par exemple la journée d’écriture du 2 septembre, particulièrement prolifique puisque composée de dix pensées, chaque fois datées du jour, du mois et de l’année.
7 Notamment à partir de 1829, où la datation devient plus lâche. Leopardi n’indique parfois plus que le jour et le mois de rédaction, quand il ne s’en dispense pas tout à fait – voir par exemple la pensée de la page [4505-4506] sur la faculté de ressentir la douleur, ou encore la série de quatre courtes pensées, page [4525], situées entre le 6 janvier 1832 et le 16 septembre de la même année.
8 Carlo Ossola, op. cit., p. 710.
9 Ibid.
10 Voir sur ce point la pensée de la page [60] portant sur « la belle illusion des anniversaires ».
11 Ces « Elenchi » se présentent sous la forme de neuf listes numérotées en chiffres romains et de compositions diverses. Certaines sont datées avec précision (jour, mois, année, comme la I et la II), d’autres ne font apparaître que le mois et l’année (la III et la IV), d’autres aucun repère temporel (V à IX). Ces dates permettent de suivre l’arc des lectures de Leopardi du 24 février 1819 (la première liste se compose de 15 titres écrits et numérotés en grec – le jeune érudit inscrit même la date de composition dans cette langue !) à mars 1830. Les références qui y sont consignées sont, elles aussi, plus ou moins précises : tantôt une indication bibliographique en bonne et due forme, faisant apparaître l’auteur, le titre, au besoin le curateur ou le traducteur, le lieu, la date et la maison d’édition, le volume ou le tome concerné, voire parfois les pages (« Demophili Similitudines, seu vitae curatio, ex Pythagoreis, et sententiae pythagoricae : aliae Similitudines et Sententiae ex stobaeo et aliis : Aurei versus Pythagoreorum : Symbola Pythagorica. In Opusc. Graecor. Vett. Sententios. Et moral., cur. Jo. Conr. Orellio. Lips. 1819-21. t. 1. p. 1-76. 413-437. 659. 664. ») ; tantôt la simple indication du nom de l’auteur (« Galilei »). Voici un aperçu de quelques références philosophiques majeures revenant au cours de ces elenchi : Platon et Epictète (les deux figures les plus présentes : plus de la moitié des dialogues de Platon sont mentionnés, dans l’édition grecque et latine de Friedrich Ast, dont le Théétète, le Sophiste et le Phèdre ; l’Enchiridion est lui mentionné quatre fois dans diverses éditions), Aristote, Lucrèce, Cicéron, Castiglione, Botero, Machiavel, Descartes, Fontenelle, Beccaria, Locke, Pope, Hume, Montesquieu, Helvétius, Condillac, D’Alembert, Rousseau, Sulzer, Buffon, Madame de Staël, Cabanis, Volney, etc. Voir Poesie e prose (vol. II), op. cit., p. 1221-1243.
12 Correspondance, op. cit., p. 289-290.
13 Zibaldone, op. cit., p. 2101.
14 Zibaldone, op. cit., p. 2110.
15 Ibid., p. 2111.
16 Ibid., p. 2105.
17 Correspondance, op. cit., p. 1290.
18 Zibaldone, op. cit., p. 2159.
19 C’est ce que souligne par exemple Emanuele Severino. La critique léopardienne n’a pas fait preuve, selon lui, de beaucoup d’« esprit de finesse » (en français dans le texte) en prenant au sérieux et « à la lettre » le nom Zibaldone. Cette expression est « profondément ironique » et correspond à un procédé fréquent chez Leopardi, celui de l’antiphrase, comme lorsqu’il nomme, par exemple, « chansonnette » (canzoncina) le grand poème du Chœur des morts, lugubre et tragique, qui ouvre le Dialogue de Frédéric Ruysch et de ses momies. C’est du reste la raison pour laquelle Severino, dans ses deux volumes consacrés à la philosophie léopardienne, refuse d’employer le terme Zibaldone et lui préfère systématiquement celui de Pensieri. Voir Cosa arcana e stupenda, op. cit., p. 11-12.
20 Que Leopardi connaît par le biais de traductions françaises, comme l’atteste l’« elenco di letture » (la « liste » de lectures) mentionnée en annexe par Fabiana Cacciapuoti, op. cit., p. 187.
21 Correspondance, op. cit., p. 1401.
22 Ibid., p. 1424.
23 Littéralement : les « Projets littéraires ». La 11e section de ce texte, datée de février 1829 indique une liste de différents titres d’œuvres rappelant sans doute possible les lemmes des Polizzine non richiamate. Leopardi accompagne ces titres de brèves annotations, tantôt sérieuse et révélatrice de la valeur qu’il accorde à ces œuvres (« De la nature des hommes et des choses. J’y exposerai ma métaphysique, ou philosophie transcendante, mais intelligible par tous. Il devrait s’agir de l’œuvre de ma vie » ou encore « Traité des passions et des sentiments humains. La science de l’intellect et des idées, a été cultivée abondamment et avec fruit durant les deux derniers siècles. Elle est désormais adulte. Mais celle des sentiments, qui importe au moins autant, n’a pas fait, d’Aristote à nos jours, en tant que science, le moindre progrès. En sorte qu’elle est encore enfant, voire même à créer absolument. »), tantôt d’un humour acerbe (« L’art d’être malheureux. L’art d’être heureux est un art rance, enseigné par des milliers de gens, connu de tous, pratiqué par une poignée, et effectif pour aucun. »). Poesie e prose (vol. II), op. cit., p. 1219.
24 « Tout est folie, si ce n’est une folle existence. Tout est dérisoire, si ce n’est rire de tout. Tout est vanité, si ce n’est les belles illusions et les douces frivolités », [3990], 17 décembre 1823.
25 « Questa età superba, / Che di vote speranze si nutrica, / Vaga di ciance, e di virtù nemica ; / Stolta, che l’util chiede, / E inutile la vita / Quindi più sempre divenir non vede », La Pensée dominante, in Canti, op. cit., vv. 59-63, p. 184-185.
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