Le peigne de la reine dans l’épisode de la Charrette1 (Chrétien de Troyes, Lancelot en prose et Prosa-Lancelot)
p. 365-383
Texte intégral
1La chevelure est l’un des attributs de la personne. Elle est également, autour du thème de la femme et de l’amour, à la fois symbole de beauté et signe du corps. Aussi est-elle un thème poétique par excellence : le poète y recourt pour exprimer une forme de sensualité, soulignant son aspect mouvant (qui figure les vagues, les ondulations du désir et du plaisir), brillant (elle est dorée, lumineuse, moirée), notant son abondance, sa douceur au toucher, la noblesse qu’elle confère à la personne qui en est parée : la puissance évocatrice de la chevelure couvre le domaine visuel, tactile et esthétique. Mais au-delà du sensoriel, et parce que la chevelure entre dans la représentation que le sujet se fait de l’être désiré ou aimé, le thème touche, comme dirait Chrétien de Troyes, au « panser2 », à la mémoire, signes et sens proches et divers que l’auteur du Prosa-Lancelot rassemble dans le terme gedencken3, qui est à la fois souvenir, pensée présente et projection dans l’avenir.
2Dans l’histoire de la Charrette, racontée par Chrétien dans un poème en vers (dernier quart du 12e siècle4), puis reprise (entre 1221 et 1225) dans un épisode intégré à l’ensemble du Lancelot en prose et adaptée à peine quelques années plus tard outre-Rhin dans le Prosa-Lancelot, la reine a été enlevée par le fils du roi de Gorre, Meleagant, ce qui met toute la cour du roi Arthur en émoi. Le héros du poème, un chevalier, dont nous n’apprenons le nom, chez Chrétien, qu’au vers 3360, Lancelot, sur le chemin de sa quête, trouve sur un perron5, près d’une fontaine, un peigne empli des cheveux d’une femme dont il apprend par la demoiselle qui l’accompagne qu’ils appartiennent à la reine, l’épouse du roi Arthur. Le peigne et les cheveux, abandonnés peut-être intentionnellement par elle qui a grand besoin d’être secourue, témoignent de son passage et sont mémoire du corps, un corps qui n’a pas encore été possédé à cet endroit du récit. Ces deux objets, peigne et cheveux, que nous appellerons « objet double », parce qu’ils forment un tout dont il reste à appréhender les parties, sont la trace matérielle du passage de la reine, trace apparemment dérisoire, infime, mais en fait essentielle, car leur présence dévoile la direction dans laquelle le chevalier doit s’engager pour délivrer la reine qui est, en même temps, la dame de ses pensées : ils sont donc un élément crucial de la quête.
3L’objet double va s’avérer porteur de plusieurs sens que le comportement du triple Lancelot nous aidera à déchiffrer. Il s’inscrit dans le tissu narratif de l’histoire en ce qu’il comporte une dimension temporelle qui relie le héros au passé et lui promet des espérances à venir. Au bout de la quête, en effet, après l’aventure surhumaine au Pont de l’Epée, Lancelot connaîtra le bonheur charnel dans les bras de la reine et la joie d’amour, annoncés par l’intimité du signe.
4L’analogie du thème de la « charrette » et du « peigne de la reine » apparaissant dans les trois textes ne doit pas masquer leur diversité. Le premier, celui de Chrétien, est écrit en vers. Le second se situe, dans le Lancelot en prose, entre le Galehaut et les Suites de la Charrette et le troisième figure dans le Prosa-Lancelot, dans un épisode intitulé Der Karrenritter, soit « Le Chevalier de la Charrette ». Ces trois épisodes, différents de par l’époque à laquelle ils ont été rédigés (un demi-siècle environ sépare le premier du troisième), de par leur facture (vers et prose) et de par leur langue (ancien français et moyen haut allemand) comportent des similitudes et des divergences auxquelles nous allons nous attacher. Une étude des textes, que nous limiterons ici à leurs éléments faisant sens, entend dégager sur ces points la spécificité de chacun tout en soulignant la richesse intertextuelle qui préside aux rapports entre les différentes rédactions et éclairer certains aspects de la figure « Lancelot » telle qu’elle se présente face au double objet que sont les cheveux de la reine sur son peigne, signifiants métonymiques l’un et l’autre à la fois du corps de la reine, du désir de Lancelot de ce corps et son « amour » pour elle.
5Dans l’épisode de la Charrette, la partie que nous avons intitulée « le peigne de la reine » est due à Chrétien de Troyes. Au delà de Chrétien on ne peut remonter qu’à un probable « conte d’aventure », dû à la tradition orale6. De l’avis général, le passage en vers est beaucoup plus réussi que sa correspondance dans le Lancelot en prose, où, comme le souligne par exemple Lot-Borodine : « [...] on se demande ce que vient faire ici ce peigne, abandonné comme « péage » par la reine, tandis que, dans le Conte de la Charrette, il a été oublié sur le perron d’une fontaine7. » Elle porte ensuite un jugement assez sévère sur la façon dont le prosateur français l’a adapté8 :
Toute cette scène est très écourtée chez le romancier, on pourrait même dire étranglée : il glisse et sur l’émotion, presque douloureuse à force d’intensité de Lancelot, et sur son adoration devant la relique d’amour. Nous remarquerons aussi l’omission complète de la profonde rêverie du héros, dépeinte si complai-samment à deux reprises par le poète.
6Si nous considérons que l’auteur du Prosa-Lancelot, qui a adapté le Lancelot en prose en général et ce passage en particulier, et sachant que cette adaptation n’est pas une « traduction » pure et simple, mais un travail de restitution du texte qui laisse une place, sinon à ce que l’on pourrait appeler de la « création », mais du moins à un remaniement qui en fait, une fois le travail d’adaptation terminé, une œuvre différente, l’auteur du Prosa-Lancelot procède dans ce passage, « le peigne de la reine », à plusieurs interventions par rapport à la prose française, qui donnent à penser que cette dernière n’était pas sa seule source.
7La première différence d’importance, quant à ce passage, entre, d’une part, le texte de Chrétien et, d’autre part, les deux textes en prose, consiste en ceci que, dans ces deux derniers, le thème du peigne de la reine est relié au thème général de l’épisode ou du conte : à savoir à celui de la « charrette », alors qu’il n’en est rien chez Chrétien. Chez Chrétien le peigne a été oublié sur un perron, près d’une fontaine, par une inconnue (Lancelot le voit et le prend), il n’y a pas trace de chevalier insultant. Dans la prose française et allemande, en revanche, un chevalier armé garde un passage où Lancelot arrive en compagnie d’une demoiselle9. Le chevalier invective Lancelot, lui demande où il compte se rendre, et, après que Lancelot lui a répondu, il l’insulte et réclame un péage pour le laisser passer. L’insulte (Lancelot est un chevalier déshonoré, traîné dans une charrette comme un voleur) est une façon pour le prosateur d’introduire des liens à l’intérieur de son récit.
8Pour Lancelot, les insultes du chevalier qui garde le passage ne sont pas un obstacle. Sa réponse est claire : Si honiz comme je sui, irai je outre, répond le Lancelot de la prose française. Le Lancelot allemand, quant à lui, déclare : Wie ich sy, ich muß daruber, « Quel que je sois, je dois le franchir. » Soulignons l’addition introduite par le prosateur allemand qui, à travers l’emploi du verbe « muß » (« devoir »), modalise10 l’action de Lancelot non pas « décidé », mais « poussé » à transgresser l’interdit11, ce qui revient pour Lancelot à obéir à une pulsion (cette « obéissance » est liée à la soumission de Lancelot à l’endroit de sa dame, la reine). La pulsion entraîne la précipitation : Lancelot alors hurt darwert, c’est-à-dire, « fondit dans cette direction ». Nous retrouvons trace de ce vécu pulsionnel, dans la suite du passage à plusieurs reprises, en particulier dans le passage capital (qui précède l’épisode du peigne), où Lancelot dit, avant de monter sur la charrette : « je dois monter dessus ! », (so) muß ich daruff ! La conséquence est la même : « puis il sauta immédiatement sur la charrette12 ». On pourrait dire à propos du Lancelot allemand qu’il est « une force qui va », mais la force qui le pousse à aller est, dans ce cas, une force intérieure générée par son amour, de même que, dans d’autres cas, la même force pourra être générée par son sens de l’honneur et/ou de la prouesse, mais aussi par son côté « fier-à-bras » qui fait de lui, sinon un chevalier sans reproche, du moins un chevalier sans peur.
9Dans la prose, le thème du peigne et des cheveux, au moment où le chevalier insultant s’interpose entre Lancelot et le but de sa quête, n’est pas encore introduit dans le récit pour autant : c’est du roi Artus13 qu’il est d’abord question et ce, à propos du péage dont Lancelot doit s’acquitter pour pouvoir poursuivre sa route. Le gardien du passage dit que, tout roi qu’il est, Artus devrait, pour passer, laisser un pfant, soit une « garantie » et un zoll, un paage, un « péage ». Alors seulement survient la mention du personnage de la reine, le chevalier ajoutant alors en substance : « comme son épouse l’a fait ce matin même14 » (« hier15 » dans le Prosa-Lancelot), c’est-à-dire en abandonnant son peigne. Juste après la mention de la reine commence la description du peigne et des cheveux qui se trouvent dans les trois textes sur un perronlsteyn.
10Bien que ce peigne soit « le plus beau... » (cette mention, dans la prose, est faite par le narrateur et non par Lancelot lui-même), il est réduit à sa fonction de signe. Car, derrière l’objet se profile non sa valeur esthétique, encore moins marchande : comme la reine et sa reconquête se situent dans l’avenir du récit, c’est la dimension relationnelle qu’il évoque qui va d’abord primer.
11Nous pouvons considérer le perron et l’objet double comme une manière de triptyque dont les éléments qui le composent, thèmes croisés, vont être, soit abandonnés (le perron, le peigne), soit conservés (les cheveux). Le perron (support de l’objet double) et le peigne (support des cheveux), en tant que matières inertes, se distinguent de ce qu’ils portent, ou contiennent (le peigne, dans les trois textes, est garni de cheveux). Les cheveux, bien que séparés de celle « dans la prairie de laquelle ils ont poussé » (Chrétien16), lui appartiennent encore assez pour déclencher, chez Lancelot, et dans les trois textes, une réaction extrême. Quelles que soient la beauté ou la richesse du peigne, les cheveux sont, face à la matière, signe de vie. Ils sont partie du corps. Le corps est unique, et, dans les deux textes en prose, il est d’emblée précisé que les cheveux sont ceux de la reine. Cette distinction fondamentale étant établie, examinons les détails de la description du perron et de l’objet double.
12La description du perron ne présente pas un grand intérêt. Les perrons qui se trouvaient alors aux carrefours, indiquaient une direction. Dans ce cas, la fonction du perron est d’être une borne sur le chemin de la quête du héros. Si le perron n’est pas décrit, il n’en va pas de même du peigne, de sa situation et de sa facture. Chez Chrétien, il y a près d’une source un perron sur lequel se trouve un peigne. L’existence du perron et du peigne (ainsi que la description rapide de ce dernier) est opérée en quatre vers17. « Un » peigne y a été « oublié » par quelqu’un, mais Chrétien, maître dans l’art du suspense et du dévoilement tardif, dit qu’il ne sait pas par qui18. Quelques vers plus loin, Chrétien entretient le mystère sur cette femme « qui s’était peignée avec19 ». Pas de mystère en revanche dans la prose : le peigne, qui a été laissé au chevalier en péage, appartient, dans la prose française, à la fame du roi Arthur. Tout le monde comprend qu’il s’agit de la reine, mais le texte français en prose ne le dit pas. En revanche le texte allemand atteste : die konigin sin wip, « la reine, sa femme », ce qui est une addition que l’on ne s’explique pas a priori. Mais, si l’on compare directement la prose allemande au texte de Chrétien qui suit, nous relevons une concordance entre les deux passages, à savoir la mention de la reine : cist peigne [...] fu la reine jel sai bien20. Or, cette « reine », Chrétien dit qu’elle est la femme le roi Artu21, propos tenus par la demoiselle qui mentionne les deux éléments, soit « reine » et « fame », termes attestés dans la prose allemande sous une forme où les deux dénominations séparées l’une de l’autre, chez Chrétien, par une dizaine de vers sont réunies ou contractées en une seule : die konigin sin wip, qui rend le « fame » de la prose française. L’adaptateur allemand est donc mu, soit par un sens plus aigu de la hiérarchie que le rédacteur français (il insiste sur l’appartenance sociale de la « femme »), soit par un besoin de précision qu’il nourrit en consultant un autre texte que celui que l’on considère généralement comme sa source directe.
13Un autre trait commun au texte en vers de Chrétien et à la prose allemande apparaît dans la description du peigne lui-même. Dans les deux textes en prose, le peigne est « le plus beau22 ». L’adaptateur ajoute : den myn ougen ie gesahen, « que mes yeux eussent jamais vu ». Or, dans la description du peigne chez Chrétien, nous lisons : onques, des le tens Ysoré,/ne vit si bel ne sages ne fos23. La concordance des deux leçons gesahen/vit, d’une part, et, d’autre part, ielonques, est patente. L’Allemand ajoute en outre deux détails qui soulignent sa richesse, absents de la prose française : le peigne est von helffenbeyn (« d’ivoire ») et mit gold gemalet « orné d’or », exactement comme chez Chrétien où le peigne est, d’une part, en ivoire, d’autre part, il y est orné d’or : c’est (un peigne) d’ivoire incrusté24 d’or25. Ainsi relevons-nous ici une double concordance aisée à interpréter. En effet, le peigne chez Chrétien et chez l’Allemand est plus précieux que chez le prosateur français. Les matières qui le constituent ou qui l’ornent renvoient clairement à la condition sociale de son propriétaire : un tel objet ne peut qu’appartenir à une reine. Ou encore, si une reine avait un peigne, c’est ainsi que l’on s’imagine qu’il serait. Cette addition va dans le sens de la précédente (die konigin -sin wip), qui souligne, de même, que le peigne appartient à une « reine ». En outre, l’association « objet »/« matières qui le constituent » suggère la représentation de la valeur de l’objet. L’ivoire était en effet, au Moyen Age, une matière précieuse. Il parvenait en Europe généralement via Alexandrie. Quant à l’or, c’est le matériau précieux par excellence : dans l’orfèvrerie égyptienne, il était gage d’éternité. Au peigne ainsi décrit s’ajoute donc une valeur symbolique : l’or n’est pas premier dans l’objet, il est une valeur ajoutée. Il signifie un surplus de richesse, un renvoi à l’excellence, au prestige, au pouvoir. Chrétien et l’adaptateur allemand rivalisent donc dans la surenchère, alors que la leçon française en prose correspondante s’en tient, simplement, à la mention de l’objet, au pingne.
14Cela dit, si le peigne est un objet de luxe (c’est-à-dire plus ou moins précieux), il ressortit aussi au paraître (il a une valeur marchande26), et les cheveux qui l’ornent, en revanche, sont du côté de la matière vivante, de l’être. La description des cheveux nous guide en effet de l’objet au sujet, à la reine. Ce qui est remarquable, c’est que la description des cheveux, dits chez Chrétien et dans la prose française « beaux », ce que l’on peut considérer comme un topos27 (l’adaptateur allemand ne sacrifie pas à ce détail), commence, dans les trois textes, non par leur qualité (l’ivoire et l’or chez Chrétien et chez l’Allemand), mais par leur quantité28. Les cheveux, en effet, sont nombreux : chez Chrétien les « dents du peigne » en contiennent « une bonne demie poignée29 », chez les deux prosateurs elles en sont « emplies », vol30.
15La description des dents du peigne est différente dans les trois textes : chez Chrétien, elles ne sont pourvues d’aucun qualificatif, dans le texte allemand elles sont dites « grandes ». Le prosateur français, quant à lui, est plus disert : le peigne comporte des « grandes dents » et des « petites », ce qui n’est pas, en soi, d’un grand intérêt. Quant aux cheveux, c’est Chrétien qui les décrit avec le plus de détails, de façon hyperbolique31, et en sacrifiant à sa coquetterie de conteur. En effet, après avoir longuement fait la liste de leurs mérites qui dépassent l’imagination du commun des mortels, il clôt son propos ainsi : « Et que feroie ge lonc le conte32 ? », « Mais à quoi bon allonger mon récit ? ».
16Par ailleurs, s’agissant de la mention des cheveux restés sur le peigne, l’adaptateur allemand nous dit que les grandes dents du peigne en sont « garnies » : vol irs hares von irm heupt, littéralement « de ses cheveux de sa tête » (le génitif singulier a valeur ici de partitif), expression dans laquelle le même possessif (mentionné deux fois : irs/irm) marque l’appartenance des cheveux. La préposition von, dans von irm heupt, indique l’origine des cheveux ou l’élément auquel ils étaient attachés et dont ils ont été séparés, « la tête ». Cette tournure étrange, « de ses cheveux de sa tête », dont on pourrait relever le caractère redondant, voire aberrant (d’où donc pourraient venir les cheveux sinon de la tête et, s’il s’agit de sa tête, les cheveux peuvent-ils être autre chose que les siens ?), ne l’est pas en allemand. Sur ces « har », le contexte nous a déjà éclairés : il est évident qu’il s’agit de « cheveux ». Or, si l’on connaît le sens de « har » en allemand, qui signifie « poils », on comprend que la précision qui suit, soit « de sa tête », est en quelque sorte automatique, en tant que mention d’un détail anatomique dont la localisation vient naturellement sous la plume parce que c’est ainsi que l’on parle, en allemand, des cheveux. Mais, si nous mettons de côté la dénomination par la langue de ce détail anatomique, nous observons que l’adjonction de (vol) irs hares von irm heupt de la part de l’Allemand, en réalité, fait sens si l’on regarde le texte de Chrétien. Alors que la demoiselle y décrit les cheveux de la reine qui « sont restés entre les dents33 », elle dit que ces cheveux n’ont pas poussé ailleurs que sur la tête de la reine34 et précise : del chief la reïne furent. La concordance entre la leçon de Chrétien et celle de l’adaptateur (irs hares von irm heubt) n’est probablement pas une coïncidence. Et la précision insiste encore sur la relation à la reine, mais, dans ce cas, ce n’est pas seulement l’aspect social qui est souligné, c’est aussi l’aspect charnel. En effet, et pour clore le thème du double aspect, à savoir quantité et origine des cheveux, notons un détail, présent dans le seul texte allemand, qui montre que les cheveux « de la tête de la reine » forment un tout, un ensemble indissociable, qui, en tant que partie de la tête, et la tête étant partie du corps, renvoient, double métonymie (plus précisément, double synecdoque), au corps tout entier : lorsque, plus loin dans le texte allemand, Lancelot retirera les cheveux du peigne, il les prendra « tous », allesampt. Il n’en laissera pas un seul, car un tel oubli serait faire injure au corps dont ils sont le symbole. Ainsi, et bien que la description des cheveux de la reine, dans les deux textes en prose, soit bien pâle si on la compare à celle que Chrétien nous en a donnée35, l’auteur allemand nous délivre explicitement le sens profond de ce passage. Les parties pour le tout, sous leurs formes métonymiques, sont en fait un tout pour le tout, un véritable « corps à corps », image apparemment hardie, mais dont le sens sera confirmé dans la suite du texte allemand dont les additions et les modifications vont dans ce sens.
17Les cheveux sur le peigne de la reine se réunissent soudain en un faisceau de signes, qui forment une constellation : la relation du sujet Lancelot à la reine passe par l’objet double qui soudain exerce son empire sur lui : il renvoie à la situation sociale de la reine (à sa place dans la société, en haut de la hiérarchie) à sa situation, en outre, familiale (elle est l’épouse du roi Artus). Elle est « sa dame », c’est-à-dire qu’il s’est engagé envers elle à la servir. Elle est, dans le Prosa-Lancelot, la dame de ses « pensées », de son « gedenken36 », ce qui est une façon de caractériser une forme d’amour. La fidélité à l’endroit de la reine, celle du cœur et celle du corps, vient d’être montrée par l’épisode de la demoiselle qui s’est vue éconduite lorsqu’au château étrange elle lui a proposé de partager son lit. Le cœur et le corps de Lancelot sont donc déjà, à cet endroit du récit, totalement engagés dans la fidélité à la « frauw », la « dame », qu’il dénomme « mynfrauwe », « ma dame ».
18Venons-en maintenant à l’attitude de Lancelot face au peigne et aux cheveux. Le chevalier de Chrétien (qui ignore encore à qui le peigne appartient), déclare qu’il n’en a jamais vu d’aussi beau que celui-ci37. Il se baisse, prend le peigne, le regarde « un long moment » et contemple les cheveux38, attitude qui provoque le rire de la demoiselle39. Le chevalier s’étonne de la voir rire et montre soudain un vif intérêt : il veut connaître la cause de cette réaction. Est-ce à dire qu’il suppose que le peigne et les cheveux appartiennent à la reine ? Le texte ne le dit pas. Contrairement au chevalier, la demoiselle sait que le peigne est celui de la reine, aussi la curiosité contemplative du chevalier la confirme-t-elle quant à la nature de la passion qu’il éprouve pour la reine et quant à sa fidélité d’amant. La demoiselle satisfait à sa demande, après s’en être fait un peu prier, et lui révèle qu’il s’agit des cheveux de la reine. Or, dès que le chevalier de Chrétien est sûr qu’il s’agit des cheveux de la reine, il s’appuie sur l’arçon de sa selle, car il manque de forces : il est en fait près de défaillir40. Mais il a déjà en main le peigne41, ce qui n’est pas encore le cas dans les deux textes en prose où le peigne se trouve toujours sur le perron. Dans la prose, Lancelot le voit. L’idée des forces qui trahissent le héros (chez Chrétien) réapparaît dans les deux textes en prose où la vue du double objet rend Lancelot incapable de s’en emparer : il n’en a ni le pooir (pouvoir) ni la macht42 (id.). Or, immédiatement après, l’adaptateur allemand ajoute un élément qui ne se trouve ni chez Chrétien, ni chez son homologue français. En effet, face au peigne, Lancelot, d’abord, s’immobilise : er blieb schon halten, en proie à une sorte de tétanie qui l’empêche de s’en saisir, ce qui traduit la violence de l’effet produit. La réaction de Lancelot s’apparente à un phénomène psychosomatique. Il s’agit là de la combinaison d’un événement affectif et de la représentation qui l’a déclenché. Lancelot capitule sous le choc. Le texte allemand nous fournit une explication : si Lancelot « n’avait pas assez de force pour le prendre de dessus le perron », c’est parce qu’il est frappé d’une perte de la raison : « tant il avait perdu la raison » ou « la tête », so was er verdort43. L’auteur allemand attribue donc à la perte de la raison le coup d’arrêt (er blieb schon halten), ce qui dévoile un Lancelot allemand frappé par la brutalité du phénomène. La pulsion l’a entraîné dans un néant où plus rien ne peut se passer. Par exemple, il ne ressent pas de souffrance, comme le chevalier de Chrétien, qui est le seul des trois textes à parler ensuite d’une « douleur », dolor, éprouvée par Lancelot à la vue du peigne, douleur que Chrétien relie explicitement au mal d’amour, au cuer44, ce qui fait perdre au chevalier la parole et ses couleurs45. Le texte en prose française, quant à lui, reprend la mention de la perte de parole dont il donne comme cause l’ébahissement de Lancelot à la vue du peigne : ainz est del veoir si esbahis que mot ne dist, sans mentionner sa pâleur, mais en signalant que Lancelot en est aveuglé au point de ne plus savoir où il se trouve46. Il serait tombé à terre si la demoiselle ne l’avait pas soutenu. Le Lancelot allemand est également empêché de choir par la demoiselle, mais, détail absent du texte en prose française, il s’appuie sur elle « un bon moment », ein gute wil47, alors que dans la prose française, on ignore combien de temps il reste pâmé : on y apprend que Lancelot revint de pasmoison, c’est tout. Pendant que le Lancelot allemand reste appuyé sur la demoiselle, comme mis entre parenthèses, une certaine durée s’écoule donc. Or, si l’on regarde le texte de Chrétien, on lit que la perte de la parole et des couleurs du chevalier durent « un grand moment », une grant pièce48, de même qu’il avait fait regarder à son héros le peigne molt longuemant49. Le prosateur allemand, en contact avec le texte de Chrétien, aurait donc rétabli la continuité temporelle liée à la fascination exercée par la contemplation de l’objet double et par l’impossibilité de s’en saisir, continuité absente de sa source française en prose.
19La désorientation du Lancelot (prose française) et l’état de folie (prose allemande) dans lequel il se trouve « arrêté » nous amènent à expliciter ce que nous appellerons « l’acte de préhension » de l’objet double. La représentation de l’être désiré (produite par la vue de l’objet qui y renvoie) suspend (prose française) et bloque (prose allemande) l’accès à l’objet double qui la symbolise. Le désir a trouvé un point de fixation. Par une sorte de magie de contiguïté, les cheveux ont transféré au peigne un magnétisme que la reine exercerait à distance ou qui s’opérerait à distance. La toute puissance du désir passe par la pensée symbolique qui glisse du symbole au signe, de la partie au tout dont le héros se souvient et qui restent à rejoindre et à prendre. A cet égard, trois verbes utilisés, par exemple dans la prose allemande, sont révélateurs du processus simple qui consiste à voir (seht), prendre (nam50) et posséder (cf. infra : haben). Le peigne et les cheveux sont en fait comme un objet magique qui insère le héros rendu fou (verdort) dans le jeu de la puissance et de l’impuissance. Mais pourquoi la « puissance » (macht) fait-elle défaut au héros allemand et, en quelque sorte, le pétrifie? La force évocatrice de l’objet double induit l’intrusion de l’interdit qui joue un rôle d’anti-médiateur. Elle donne à évaluer la dimension du désir, mais elle aliène le corps désirant en le privant, et de ses forces physiques et de sa conscience. L’interdit n’est pas une interdiction, mais une des exigences du code social (de la loi) qui refreine et réprouve la jouissance du sujet s’il s’y soumet. La liberté absolue est imaginable, mais elle est impossible si elle s’inscrit dans le cadre de la loi culturelle. La transgression (même symbolique dans le cas de Lancelot lorsqu’il mettra, ensuite, à travers les cheveux, le corps de la reine contre sa peau) donne à la jouissance ou à l’espoir de jouissance sa vraie dimension : elle est l’expression même du désir. Méla, à propos de Chrétien, parle fort justement d’« une éthique du désir51 ». Aussi le sujet, Lancelot par exemple, n’est-il soumis à la loi qui s’exprime à travers l’interdit que pendant un temps, plus ou moins long, où il devient muet, immobile, ou fou. Si l’interdit se limitait à l’interdiction, l’histoire du héros qui en est frappé s’arrêterait : ce serait la mort du désir. En l’absence de médiateur (à cause de l’interdit) il faut un intercesseur pour tirer Lancelot de son état, faute de quoi l’histoire devrait se terminer et la quête de la reine être annulée. C’est à la demoiselle que, dans la prose, est dévolu ce rôle. Alors que, chez Chrétien, c’est Lancelot qui prend le peigne pour le donner à la demoiselle52, dans la prose, c’est la demoiselle qui le prend et qui le donne à Lancelot. Aussi, lorsque la demoiselle alors propose son aide à Lancelot, il l’accepte et l’en remercie : « Je vous voloie, fait ele, baillier cel pigne, car vous le voliez prendre, ce m’e[s]t avis » Et il dist grant merciz./» Seht hien diβen kamp, herre », sprach sie, « mich duncket das irn haben wolt », soit : « Voyez ce peigne, sire », dit-elle, « il me semble que vous voulez l’avoir ». Or, haben, ce n’est pas « voir » (comme chez Chrétien et dans la prose française), c’est « avoir », c’est « posséder ». La demoiselle se mue donc pour lui en médiateur opérationnel entre le monde réel (l’impuissance) et le monde imaginaire (le désir), devenant le trait d’union qui dirige l’amant vers l’objet de son désir, l’aimée lointaine, mais violemment présente à travers ses cheveux. L’aide de la demoiselle est capitale. Lancelot qui, dans la prose, était prêt à se battre pour obtenir l’objet double (à payer de sa personne pour « voir53 »), est incapable, dans le texte allemand, de rompre, sponte sua, le charme qui l’empêche de saisir l’objet double. En lui proposant de le lui donner elle-même, la demoiselle délivre le Lancelot de la prose de son impuissance passagère, certes, mais qui s’est prolongée et l’a conduit à fuir dans l’inconscient. Nous songeons à la théorie de Sartre, pour qui l’évanouissement est une fuite devant le réel, une façon de gommer l’insupportable. Lancelot a dépassé le seuil du supportable en le niant. Pour Lancelot, entrer dans l’inconscience, c’est montrer son désir: impuissance face à ce désir. Nous ne parlerons pas de « fuite » dans ce cas, pour Lancelot, mais d’effacement, le fuite est ailleurs : c’est la solution qui l’arrache à l’immobilité de l’effacement. La fuite le mène vers l’horizon du désir (le corps de la reine) qui « conduit à » mais « est » déjà jouissance. Réaction: se débarrasser du peigne, garder les cheveux et prendre la fuite.
20Grâce au geste de la demoiselle, désormais, Lancelot peut donc agir. Le passage à l’action signifie, pour Lancelot, libération et restauration de l’espoir d’accomplissement. Le désir d’accomplissement charnel, exprimé clairement par son geste, est la réponse à l’inhibition de ce que d’autres commentateurs, comme Frappier, à propos du chevalier de Chrétien, ont appelé « l’extase », mais, si extase il y a, elle est invalidante. Car l’extase (en grec : ek-stasis) c’est aussi « sortir de soi », donc ne plus être soi-même. La prise de possession de l’objet double a délivré de l’interdit invalidant. C’est alors que le héros entre en contact avec les cheveux, mais sa façon de le faire est différente suivant les textes.
21Dans la prose française, Lancelot prend le peigne et en retire les cheveux : si en tret les chevex hors, leçon traduite dans le texte allemand mot à mot à un détail près. En effet, Lancelot les prend « tous », allesampt: er nam die hare allesampt uβ. Nous avons déjà évoqué ce point, mais ajouterons ici que, outre l’entité totale qui renvoie à l’ensemble corps de la reine, cette prise « totalitaire », un peu brutale, situe dans un registre bien différent le geste du Lancelot allemand par rapport aux deux autres. Chez le prosateur français, l’acte de préhension des cheveux est neutre, il les « tret [...] hors ». Chez Chrétien, où la composante érotique est également présente, il les traite avec une délicatesse qui révèle l’adoration que le chevalier éprouve envers sa dame : « Comme il veut bien qu’elle (la demoiselle) ait le peigne, il lui en fait don, mais il prend soin d’en retirer les cheveux avec des doigts si doux qu’il n’en rompt pas un seul. On ne verra jamais à rien accorder tant d’honneur. L’adoration commence : à ses yeux, à sa bouche, à son front, à tout son visage, il les porte et cent et cent mille fois. Il n’est point de joie qu’il n’en fasse : en eux son bonheur, en eux sa richesse54 ! ». Chrétien rend les précautions attentives de l’amant pour qui la relation au corps de la reine est délicatesse extrême, il veille en effet à n’en point entamer l’intégrité. Dix vers55 sont consacrés chez Chrétien à ce passage: est-il possible que l’adaptateur allemand, qui ajoute « allesampt »/« tous » (terme qui, à lui seul, correspond au « pas un seul », si soëf que nul n ‘en deront, du texte en vers) ait ainsi résumé en un mot la longue période, si riche et si caractéristique du style de l’auteur champennois? Quoi qu’il en soit, et une fois le peigne « pris », le fait d’« ôter » (an trait – Chrétien –, en tret [...] hors – prose française et nam uβ – prose allemande) les cheveux du peigne est un acte d’appropriation qui renvoie à d’autres gestes de signification identique. Un premier exemple de ce type se trouve dans le passage du début de l’épisode où Meleagant (le ravisseur de la reine et le concurrent de Lancelot), à qui la reine a été amenée, lui demande d’ôter sa guimpe pour s’assurer de son identité. Oter sa guimpe signifie pour la reine dévoiler son visage et, sans doute, une partie de ses cheveux. Vouloir voir cette partie du corps, considérée alors comme assez intime pour être cachée, revient à vouloir « prendre ». Les cheveux sont un élément de la femme qui ne se montre pas puisque la culture d’alors les fait disparaître sous une guimpe (Meleagant demande à la reine qu’elle « se dévoile », ents-toppte). Une fois le visage et sans doute une partie des cheveux exposés, il s’ajoute à leur « prise de vue » un autre sens que celui de la vérification d’une identité. Dans l’épisode du peigne, la réalité des cheveux est exhibée aux yeux de tous, au carrefour de plusieurs routes, sorte d’invite à voir et à prendre alors que la vocation des cheveux est d’être soustraite à la vue de la société. Provocant ? Le fait d’exhiber une partie de son corps a un sens. Voir ce qui est ex-posé est un acte symbolique d’appropriation, un début de possession. La reine, que Meleagant désire faire sienne, se trouve comme éclatée en plusieurs références (guimpe, visage, peigne, cheveux, et même bride56) qui sont autant de signes du désir de ses prétendants. Lancelot, également, doit d’abord « ôter » la reine des mains de son ravisseur pour ensuite la « prendre », deux stades de sa reconquête et de sa conquête puisqu’au bout du compte, il la « prendra » et Meleagant enragera.
22A ce stade du récit de la Charrette, c’est-à-dire au moment où les trois Lancelot « prennent » les cheveux, il est clair que l’enjeu est amoureux, charnel et érotique, ce qui va se confirmer dans la suite des trois textes, confirmation assortie des nuances que nous allons examiner.
23Dans les trois textes, une fois les cheveux pris, le héros les met entre sa chemise et sa char (Chrétien), encontre sa char (prose française) et nehste syner hut (prose allemande), ce qui, littéralement, signifie « au plus près de sa peau », donc « sur sa peau nue ». L’aspect charnel est assez souligné par les termes même des textes pour qu’il ne soit pas besoin de les commenter. Notons toutefois le crescendo dans la proximité des cheveux et du corps qui s’instaure à l’occasion du passage de la prose française à la prose allemande, où le terme « nehste » est un superlatif, ce qui correspond à une surenchère de l’adaptateur. La leçon allemande « nehste », dont le sens est « tout près de/au plus près de » est, par ailleurs, très proche du texte de Chrétien où est attesté au même endroit de l’épisode : près del cuer57, ce qui revient à enregistrer une convergence supplémentaire, cette fois, non pas textuelle, mais de sens, entre le texte en vers et la prose allemande. Un autre rapprochement entre Chrétien et l’Allemand, cette fois, textuelle, porte sur le verbe qui décrit l’action consistant à rapprocher les cheveux du corps. Alors que, dans la prose française, Lancelot les met (les cheveux), dans l’allemande il les stieβ58, soit les « fait entrer dans », leçon très proche de celle du texte en vers, où l’on lit : les fiche. Enfin, troisième concordance du même type dans ce bref passage, le Lancelot allemand met les cheveux, outre à même la peau, « dans son sein », in syrien busert59, leçon identique à deux leçons attestées dans le texte en vers: an son soing60 (la première), leçon reprise un peu plus loin (la seconde), au moment où le chevalier éprouve des transports de joie61 : et cil se delite et deporteles chevox qu’il a en son saing.
24Ce geste (ôter les cheveux du peigne et les mettre au contact de sa peau) est un acte à double entente. C’est un acte de séparation, qui dissocie support (peigne) et supporté (cheveux), signifiant et signifié. Or la dissociation tranche: Lancelot se sépare de la moitié de l’objet double pour ne garder que ce qu’il porte. Il se défait de la matière morte, opte pour la matière « vivante » : car, même si les cheveux de la reine ont été laissés là depuis peu, ils vivent encore en ce qu’ils sont partie de son corps vivant. Par la disjonction du peigne et des cheveux, l’effet « écran » généré par le peigne disparaît dès que les cheveux sont au contact de la chair. Ils redonnent vie au désir. L’acte est en soi primordial, car il relance l’espoir de jouissance, qui, dès lors, devient possible. Il est positif dans une perspective d’avenir. Il est négatif s’il reste immobilisé dans le présent. C’est dans cette force qu’est contenu le prolongement du désir, étendu dans le temps par la fuite en avant, vers la reine (en direction de l’endroit où il espère pouvoir retrouver la reine, objet ultime de son désir). Cette observation est corroborée par le fait que, une fois donné à la demoiselle, le peigne disparaît du récit, car il a rempli sa fonction de médiateur entre les cheveux de la reine et la peau (hut) de Lancelot. Ainsi, chez l’Allemand comme chez Chrétien, le peigne, dégarni de ses cheveux ne revêt qu’une fonction transitoire. Seul le texte allemand pousse au plus loin la scission de l’objet double: non seulement Lancelot prend tous les cheveux du peigne, mais en faisant don du peigne à la demoiselle, il se défait en même temps du support du signe, pour ne conserver que (toute) la partie du corps auquel le signe renvoie. Seul subsiste ce vers quoi pointait le signe. Ainsi lorsque Lancelot remet le peigne à la demoiselle et le confie en sa garde comme s’il s’agissait d’une relique62, il témoigne par là de son caractère sacré, mais il ne s’en défait pas moins, levant ainsi l’ambiguïté du couple. Alors Lancelot a choisi: c’est non la partie sacrée du couple qu’il garde, c’est la partie « animée », humaine, qui renvoie à la composante érotique. Alors que, dans le fétichisme, c’est l’objet qui est caressé comme s’il était lui-même objet sexuel (il est alors objet érotique par excellence), le peigne, dans ce cas, n’est pas objet érotique, ce sont les cheveux qui remplissent cette fonction63.
25De même que la vue du peigne « immobilise » Lancelot et fait écran entre le désir et sa réalisation, lorsque Lancelot se défait du peigne pour le remettre à la demoiselle, comme s’il le gênait, Lancelot évacue l’écran au profit des cheveux qui confèrent la joie : ce n’est pas la joie éprouvée par la vue du peigne, mais la joie éprouvée par la vue des cheveux qui ouvre à Lancelot la perspective de retrouvailles intimes. Alors que la prose française parle bien de « joie », mais de manière générale, la prose allemande fait mention du caractère sacré de l’objet, rétablissant le caractère de « relique » (disparu de la prose française) dont parle Frappier à propos du sens que le peigne a, chez Chrétien, pour le chevalier64.
26Dans nos trois textes, le déplacement est opéré par un substitut censé exprimer la déviation : là, l’objet est un objet double, dont les deux faces sont complémentaires dans la mesure où elles touchent à la fois à l’animé et à l’inanimé (le champ du fétiche est donc totalement occupé): l’objet inanimé, qui est ici en relation avec la personne (la reine) est le peigne (le sien), l’objet « animé » est ici une partie du corps (du corps de la reine) qui est par son appartenance à la personne en relation avec elle. Les deux objets sont, en l’espèce, isolés du corps, et, en même temps, le symbolisent. Ainsi les cheveux de la reine sont bien l’expression d’un déplacement d’une zone corporelle, objet partiel qui s’isole du tout et le symbolise, tout en provoquant chez l’autre (Lancelot) une réaction éro tique, d’abord violemment rejetée (à cause de l’interdit), puis assumée (proximité du corps), enfin sublimée (dans la joie). En effet, une fois la séparation effectuée, Lancelot jouit de l’aspect fusionnel à distance qui le lie aux cheveux : les trois textes disent que Lancelot en éprouve de la « joie », mais le texte allemand en mentionne la cause : das dete er umb die große freude die er des hares hett, « cela, il le fit à cause de la grande joie que lui causaient les cheveux ». Ainsi, encore une fois, le texte allemand rejoint le texte de Chrétien, où, au même moment du récit, l’on peut lire : et cil se delite et deporte les chevox qu’il a en son saing65. Lancelot est inféodé à un désir dont les cheveux sont une forme accidentelle, ponctuelle. La joie, quant à elle, prend des formes diverses en ce qu’elle recouvre des moments différents de la quête amoureuse, mais elle reste permanente d’une début à l’autre de la quête, de la reconquête, et de la conquête. Chez Chrétien, la joie que le chevalier ressent face aux cheveux de la reine, se double d’une « foi » en eux66. La joie exprime une forme de permanence. Et, lorsque Lancelot possédera la reine physiquement, c’est la mention du même sentiment qui revient. Cette joie, qui n’est pas une joie partagée par la société, est une grâce intime que n’éprouvent que les amants, elle est « mystique » au sens où ce terme signifie « caché ».
27Dans ce passage, « le peigne de la reine », se profile pour Lancelot implicitement le désir, non point de reconquérir la reine pour la rendre à son époux, le roi Arthur, mais de la reconquérir pour lui, ce qui sera le cas, puisque, à l’issue de la quête de la reine, Lancelot délivrera la reine, officiellement pour son époux et pour le peuple de Gorre, officieusement et intimement, pour lui-même. Là encore, cette interprétation n’est pas annoncée dans le texte, mais elle est justifiée a posteriori par la fin du récit de la Charrette, moment où Lancelot parvient au sommet de sa gloire (il possède la reine et est fêté par le roi Arthur et par tous, double consécration, intime et sociale). Le double objet est inscrit matériellement dans l’itinéraire de la quête : il en est en effet un passage obligé.
28Nous avons étudié les dimensions du symbole incarné dans la matière morte du peigne de la reine et la matière vivante de ses cheveux. Le symbole fait corps autour d’un noyau à la fois virtuel et présent par les signes qu’il envoie. L’approche intertextuelle que nous avons entreprise a montré la richesse des nuances d’un texte à l’autre. Certes, il est difficile de s’appuyer sur des sources dont on ignore si elles ont été celles qui, in fine, ont permis à notre adaptateur de raconter l’histoire du peigne de la reine au public allemand qui la recevait. Mais s’engager sur des sables parfois mouvants est un exercice dont les résultats permettent, malgré tout, d’approcher la façon dont les « écrivains » de cette époque percevaient leur source.
Notes de bas de page
1 Les textes utilisés dans cette étude sont les suivants : 1) Le chevalier de la Charrete, édité d’après la copie de Guiot par Roques, Mario, Paris, Champion, 1970, v. 1344-1499, 2), pour le Lancelot en prose, cf. l’édition de Hutchings, Gweneth, Le Roman en Prose de Lancelot du Lac, Le conte de la charrette, Genève, Slatkine Reprints, 1974, p. 36-37, d’après le ms. K, ms. d’Oxford, Bibliothèque Bodléienne, Rawlinson Q.b.6, et 3), pour le Prosa-Lancelot, l’édition de Kluge, Reinhold, Berlin, Akademie Verlag 1948, p. 612-613, d’après le Ms. de Heidelberg, Pal. Germ. 147.
2 Cf. v. 1362.
3 Le gedencken est un thème récurrent dans le Prosa-Lancelot, présent également sous la forme du « panser » dans le Lancelot en prose. Il est la reprise du même thème chez Chrétien.
4 Roman rédigé entre 1177 et 1179, cf. Méla, Charles, 1992, Chrétien de Troyes, Le Chevalier de la Charrette, Paris, Lettres gothiques, Librairie Générale Française, Préface et 4e de couverture.
5 « Perron », ici « gros bloc de pierre ».
6 Cf. Frappier, Jean, Le chevalier de la charrette (Lancelot), Paris, Champion, 1970, p. 10. Cet ouvrage est une traduction de l’œuvre de Chrétien.
7 Cité par Hutchings, op. cit., p. 391.
8 Id., ibid.
9 Rappelons que cette demoiselle est la damoiselle « séductrice » ou « entreprenante » d’un passage précédent au début de la Charrette. Elle avait demandé au chevalier (Lancelot) de la rejoindre dans son lit, ce qu’il fit (il le lui devait, car il était lié par un serment), mais, pour le reste, elle avait été gratifiée d’une fin de non recevoir, ce qui lui avait permis de s’assurer qu’il s’agissait bien du chevalier de la reine, dont elle voulait confirmer l’identité.
10 muß/irai-je
11 irai-je outre/daruber
12 und sprang zuhant off den karch.
13 Prose française : neïst li rois Artus ; prose allemande : der konig Artus selb.
14 Et sa fame le paia hui matin.
15 [...] noch gestert.
16 V 1418 : onques en autre pré ne crurent.
17 Cf. v. 1348-1351.
18 [...] avoit oblïé ne sai qui.
19 V. 1350: celi qui s’an estoit paignee.
20 Cf. v. 1411-1412.
21 Cf. v. 1423.
22 Prose française : le plus biau pingne ; prose allemande : (einen) den schönsten kamp.
23 Cf. v. 1352-1353.
24 Cf. Méla, Charles, op. cit., p. 125 (Frappier traduit « doré », Le chevalier de la charrette (Lancelot), op. cit., p. 57).
25 Cf. v. 1351.
26 Chez Chrétien, la demoiselle, dès que le chevalier a vu le peigne et a dit que, jamais, il n’avait vu de peigne aussi beau, lui demande de lui en faire don. Le peigne est là désiré par elle, pour sa beauté, certes, mais aussi pour sa valeur marchande, probablement. Le peigne envoie donc à la demoiselle le message de sa valeur (v. 1386-1390), augmentée par le fait qu’elle sait qu’il est celui de la reine. Nous verrons plus loin l’importance de ce détail.
27 Dans la prose française, les cheveux sont « beaux », ses biax chevex, mais ils ne sont pas qualifiés dans la prose allemande, où il n’est question que de « ses cheveux », irs hars. L’Allemand a surenchéri sur la beauté du peigne, mais a escamoté l’aspect esthétique des cheveux.
28 Les cheveux de la reine, même s’ils sont abondants sur les dents du peigne, ne peuvent être réduits à la notion de « coiffure ». Ils ont pour caractéristique de ne pas être soumis à une mode. Alors que la mode est le signe d’un temps, ils sont, là, le signe de l’être. Et, au-delà de l’être, ils sont le signe d’une relation. Alors que l’idée renvoie à une notion aléatoire (la coiffure est forme changeante), marquée au sceau du temps dont elle subit les variations, les cheveux de la reine renvoient, au moins, et d’abord dans le texte, à l’amour que Lancelot éprouve pour elle : l’on apprendra plus tard que cet amour est partagé.
29 Cf. v. 1354-1356 : Es danz del peigne ot des chevos/celi qui s’en estoit paigniee/remés bien demie poignee.
30 Prose française : « Certes le plus biau pingne, emplies les grosses dens et les menues de ses biax chevex. » : prose allemande : und die großen zene waren als vol irs hares von irm heubt.
31 Cf. v. 1487-1494 et Frappier, op. cit.: ([...]ces cheveux. Quelle était donc leur si rare mérite? On me tiendra pour un menteur et pour un fou, si j’en dis la vérité. Imaginez le foire du Lendit à l’heure où battant son plein elle rassemblera le plus d’avoir : soyez sûrs que le chevalier refuserait le tout, s’il lui fallait n’avoir pas trouvé ces cheveux. Me pressez-vous de ne rien vous cacher? L’or purifié cent fois et cent fois affiné au feu serait plus obscur que la nuit auprès du jour le plus brillant de cet été si l’on regardait côte à côte et l’or et les cheveux. » A propos de l’or, Méla, Charles, dans la « Préface » de Chrétien de Troyes, Le Chevalier de la Charrette, op. cit., p. 21, écrit: « Langage précis, bien au fait des techniques de l’or dont l’alchimie fait métaphore. Il prouve à qui en douterait que l’Œuvre du Soleil se parfait en silence dans la longue nuit d’un coeur épris d’amour. » et il poursuit « Le nom même, au passage, du géant Ysoré [v. 1352] (la Tombe-Issoire), conjoint au souvenir d’Yseut la dorure précieuse de Soredamor dans Cligès, car rien n’est laissé au hasard chez le grand maître champenois : “Amour lui est au cœur enclose”, lit-on dans Cligès (v. 870). “Je ne sais où ma dame est enclose”, dit en écho le Chevalier de la Charrette (v. 2138). »
32 Cf. v. 1495.
33 Cf. v. 1416 : [...] qui sont remés antre les danz.
34 Cf. v. 1413-1417 [...] et d’une chose me creez / que les chevox que vos veez, I si biax, si clers et si luisanz, I qui sont remés antre les danz, I del chief la reine furent : / onques en autre pré ne crurent.
35 Cf. v. 1414-1415 : (que) les chevox que vos veez, /si biax, si clers et si luisanz [...]. Cf. également, supra, la n. 31.
36 Cf., sur ce point, supra.
37 Cf. v. 1386-1388 : « Onques certes, don moi soveigne, / fet li chevaliers, mes ne vi I tant bel peigne con je voi ci. »
38 Cf. v. 1391 – 1393 : Et lors s’abeisse, et si le prant. I Quant il le tint, molt longuemant /l’es-garde et les chevox remire.
39 Cf. v. 1294 : et cele comança a rire.
40 Cf. v. 1424-1432 : Quant cil l’ot, n’a tant de vertu / que tot nel coveigne ploier : / par force l’estut apoier I devant a l’arçon de la sele. I Et quant ce vit la dameisele, I si s’an mervoille et esbaïst, I qu’ele cuida que il cheïst; / s’ele ot peor, ne l’en blasmez, I qu’ele cuida qu’il fust pasmez.
41 Cf. v. 1391 : Et lors s’abeisse, et si le prant.
42 Cf. la prose française : si n ‘a mie tant de pooir que il le preigne et la prose allemande : hete so viel macht nit das ern von dem stein genommen hett, soit « et il n’avait pas assez de force pour (pouvoir) le prendre de sur le perron ».
43 Da er zum steyn kam und den kamp nemen solt, er bleib schon halten und het so viel macht nit das ern von den stein genommen hett, so was er verdort.
44 Cf. v. 1435 : qu ‘il avoit au cuer tel dolor.
45 Cf. v. 1435-1436: il avoit au cuer tel dolor I que la parole et la color I ot [...] perdue.
46 Et li oil il esbloissent si qu ‘il oublie tout ou il est.
47 L’absence dure donc un long temps pendant lequel Lancelot reste appuyé contre la demoiselle qui donc le soutient. Seul, il serait tombé de cheval.
48 Cf. v. 1437.
49 Cf. v. 1392.
50 C’est la demoiselle qui « prend », nam, le peigne, pour Lancelot à sa demande.
51 Méla, op. cit., Préface, p. 12. « Il (Chrétien) sait très bien, comme le répètent les théoriciens médiévaux, tel André le Chapelain dans son traité Sur l’amour, que l’amour est une passion qui procède de la vue, devant la beauté de l’autre sexe, ainsi que de l’obsédante pensée qui en résulte, mais, s’il faut parler d’amour vrai, qu’on sache que la vérité en amour, pour contradictoires qu’en soient les termes, se soutient seulement dans une éthique du désir, qui consiste à aller jusqu’à l’extrême du manque qu’on porte en soi, sans se leurrer ni se satisfaire d’un quelconque bien trouvé en chemin [...]. »
52 La demoiselle désire l’objet pour d’autres raisons (pour sa valeur marchande seulement, car elle ne peut, munie de l’objet, se faire passer pour une reine), ce dont elle est certainement consciente.
53 Le « prix » pour « voir » est le combat que Lancelot remporte sur le chevalier insultant.
54 Cf. v. 1457-1467, et Frappier, Jean, op. cit., p. 59-60.
55 Cf. la n. précédente.
56 Lorsque, Meleagant emmène la reine dans son pays, Key les suit pour se battre avec lui. Lancelot, qui s’était caché dans la forêt, s’approche et voit la reine, il arrête Key et « saisit (son cheval) par la bride », begreiff yn mit dem britele, car il doit affronter Meleagant. Là encore, c’est la reine que Lancelot retient à travers la bride du cheval de Key, dont il prend possession pour empêcher l’irréparable, ce qui est encore un acte symbolique d’appropriation. Ensuite, alors que Key et Meleagant se dirigent vers l’endroit où ils vont se battre, c’est Meleagant qui prend « la reine par la bride » (métonymie éclairante) : Meleagant nam die konigin mit dem britel und sprach das sie mit im qweme, sie wer gefangen (Kluge, op. cit., p. 602) : « Melagant prit la reine par la bride (de son cheval) et dit qu’elle le suive, qu’elle était prisonnière ».
57 Cf. v. 1488.
58 Stôzen (dans le texte : stieß) est un verbe qui exprime le fait de « mettre » (fourrer, ficher, faire entrer dans, enfoncer), mais, la plupart du temps, avec une connotation de « heurt », soit avec une certaine énergie, voire une certaine brutalité. Nous sommes loin de la douceur avec laquelle le chevalier de Chrétien prend les cheveux de la reine.
59 Il n’est pas possible de faire une allusion plus intime au corps de la reine, dont les cheveux deviennent une promesse d’extase non plus symbolique, mais physique : de même que le peigne et les cheveux qui s’y trouvent ont fait fonction de signe (vers l’endroit où la reine a été emmenée, ce qui permettra à Lancelot de le reconquérir), de même les cheveux, seuls, mis contre le corps de Lancelot (busen, hut + synen, « son », syner « sa » qui soulignent l’individualité et la demande charnelle de celui à qui ils appartiennent) sont à eux seuls l’anticipation des retrouvailles des corps, fusion physique qui aura lieu, telle une récompense inouïe, inespérée et suprême, une fois l’aventure du Pont de l’Epée remportée avec succès et le ravisseur Meleagant battu.
60 Cf. v. 1468.
61 Cf. v. 1498 et 1499.
62 En effet, en donnant le peigne à la demoiselle, Lancelot lui recommande de le garder pour lui par loyauté envers Dieu et envers elle-même : und haltent mirn zur gottes truwen und zur ure !
63 L’objet double fétiche est symbole du corps de la reine, premier degré, charnel, et, deuxième degré, symbole de la personne, domaine du souvenir, de la pensée et de la relation amoureuse (la relation érotique allant de l’une à l’autre face du double objet fétiche). Il a pour fonction de faire retrouver au sujet une réalité perdue (à travers la représentation de la reine) et de lui faire miroiter un espoir à venir.
64 Le fait que le chevalier soit près de défaillirfait dire à Frappier que Lancelot est « un parfait amant ». Cf. Frappier, Jean, Chrétien de Troyes, Hatier, 1968, p. 127 : « Ce parfait amant qu’est Lancelot, d’une fidélité absolue, est préservé des tentations de la chair par la grâce de l’amour et la pensée de sa dame, comme le montre, dans le château d’une demoiselle séduisante et sans préjugés, une épreuve de caractère galant combinée d’un épreuve de bravoure. Il est sur le point de défaillir en regardant les cheveux blonds restés entre les dents d’un peigne que Guenièvre avait oublié près d’une fontaine, et il conserve ces reliques sur lui "entre sa chemise et sa chair", avec une ferveur religieuse ».
65 Cf. v. 1498-1499.
66 Cf. v. 1466-1478, Frappier, op.cit., (traduction). : « Il n’est point de joie qu’il n’en fasse : en eux (ses cheveux) son bonheur, en eux sa richesse ! Il les enferme en son sein, entre sa chemise et sa chair. En échange il ne voudrait pas d’un plein char d’émeraudes et d’escar-boucles. Il se jugeait désormais à l’abri de l’ulcère et de tous les maux. Electuaire avec des perles préparé, élixir contre la pleurésie, thériaque souveraine, en use qui voudra ! Il dédaigne aussi bien saint Martin que saint Jacques. Il se passe fort bien de tels intercesseurs tant il a foi en ces cheveux. »
Auteur
Université de Paris X – Nanterre
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Fantasmagories du Moyen Âge
Entre médiéval et moyen-âgeux
Élodie Burle-Errecade et Valérie Naudet (dir.)
2010
Par la fenestre
Études de littérature et de civilisation médiévales
Chantal Connochie-Bourgne (dir.)
2003