« Une voix crie dans le désert... »
Parole sainte et parole inspirée dans la Vie versifiée de saint Jean-Baptiste composée dans le premier tiers du xive siècle1
p. 149-165
Texte intégral
1Jean-Baptiste est une figure familière des écrits canoniques, de la liturgie et du sanctoral : la lecture synoptique des évangiles permet de connaître sa vie et, dès le ve siècle, deux fêtes ont célébré son souvenir2. Cette présence particulièrement marquée explique peut-être pourquoi il n’existe pas, en Occident médiéval, d’Actes apocryphes du saint et que peu de récits retracent son existence. Suivant Jean-Pierre Perrot, aucun légendier latin du xiiie siècle ne renferme de Vie complète du Baptiste ; quant aux textes vernaculaires, le petit nombre de versions qui nous sont parvenues s’intéressent aux deux principaux épisodes de sa vie3 et sont souvent des abrégés à caractère nettement oratoire. Les renseignements donnés dans le cadre liturgique satisfaisaient sans doute la curiosité du public, et les hagiographes n’avaient sans doute pas non plus la liberté de reconstruire, sur le modèle de ce qu’Hippolyte Delehaye appelle « les passions épiques4 », une figure bien fixée par les textes sacrés ni d’extrapoler en inventant de nouvelles circonstances.
2Une autre raison peut être avancée qui tient à la mystérieuse personnalité religieuse de saint Jean. « Qui est Jean-Baptiste ? », interroge J. Kristeva dans son ouvrage sur l’exposition d’œuvres picturales traitant de la décollation, « Le dernier des Prophètes ? Un Essenien de Qumrân ? L’homme secret des manuscrits de la mer Morte ? Le premier des apôtres ? Homme de l’Avent et de l’Avenir5 ? » La tradition chrétienne a vu en lui le dernier prophète de l’Ancienne Loi, mais aussi, en tant que Précurseur de Jésus, le prophète unique des temps nouveaux, celui qui ouvre l’âge messianique. A la charnière de deux spiritualités, il apparaît comme une figure aux traits archaïques, mais aussi comme un novateur placé à l’aube d’une ère nouvelle. Aussi les évangiles sont-ils partagés sur son ministère et manifestent-ils une certaine méfiance à son égard6. Les similitudes entre le destin de saint Jean et celui de Jésus, voire une possible concurrence entre eux, ont notamment suscité dans l’évangile de Jean une minimisation du rôle du Baptiste, tendance qui affleure plus discrètement dans les évangiles synoptiques.
3Si elles ont nourri bien des controverses, ces questions ne sont pas, il est vrai, à la portée d’un auditoire laïque peu rompu à la pratique régulière des Ecritures, et pour qui « les sermons ont dû constituer le lieu principal, sinon exclusif, de leur initiation à ce qui était écrit dans la Bible7 ». Aussi le mérite de l’auteur qui rédigea, dans le premier tiers du xive siècle, un long récit consacré à saint Jean est-il grand, puisque, recomposant l’intégralité de sa vie, il aborde de front les interrogations que le saint et son ministère ont fait naître.
4Ce long texte anonyme de 7783 octosyllabes fut écrit exactement en 1322 :
L’an mil trois cens et vint et deulz
Que povres firent moult de deulz,
Pour la tres grant chierté de vivre,
Fis je de saint Jehan cest livre.
Sestier de fourment lors valut
Cent soulz, mout petit s’en falut.
(v. 7776-7781)
5La précision de la date avancée et les références à la cherté de la vie sont remarquables. Elles inscrivent l’ouvrage dans la réalité politique, économique et sociale de l’époque, lui confèrent une autorité et une véridicité propres aux chartes et aux documents officiels, et justifient, nous y reviendrons, le choix du sujet traité. Mais faute de dédicace, il ne peut être rattaché à un milieu particulier, d’autant que son objet n’est pas clairement spécifié. Contrairement à l’habitude des hagiographes qui justifient leur droit à l’écriture – célébrer la mémoire du saint, témoigner d’une vénération personnelle ou encore édifier les fidèles par le récit de ses vertus –, son auteur se contente de dire qu’il veut traiter « de la plus exellente matiere », sans avouer « a quel fin il tend8 ». Il paraît assuré, en revanche, que le récit est l’œuvre d’un clerc qui s’appuie sur différentes sources livresques et qui prétend, pour tout ce qui touche à l’existence de Jean, puiser directement aux textes évangéliques9. On est contraint de donner foi à cette affirmation : même s’il a utilisé une compilation intermédiaire, celle-ci ne nous est pas parvenue ; et, surtout, sa connaissance des évangiles est profonde et bien assimilée. Reproduisant tous les traits du Baptiste dessinés par les quatre évangélistes, au risque d’en offrir un portrait parfois contradictoire, il réussit habilement à mettre les Ecritures en récit, ou plutôt, en parole. La caractéristique majeure de l’œuvre est en effet la présence massive de la parole, celle des prophéties, des professions de foi et des dialogues, mais aussi celle des sermons que monopolise presque exclusivement la voix autorisée de l’auteur. Cette prédilection est bien dans l’esprit des évangiles qui, avant d’être des textes fixés, étaient parole vivante, fruits de traditions orales ; elle s’accorde aussi avec le sujet traité : prise entre l’annonce et la décollation, c’est-à-dire entre la parole ôtée puis rendue au père, et la parole d’Hérode qui veut rester fidèle à la promesse faite à Salomé, l’existence de saint Jean est placée tout entière sous l’égide de la voix. Elle s’accorde enfin avec la forme versifiée du récit qui, en ce premier tiers du xive siècle, paraît bien archaïque, mais qui reste habitée par le souvenir de l’oralité et de la performance propres aux époques antérieures, comme une réminiscence des lectures à haute voix devant un public recueilli dans la commémoration des belles actions et grâces.
6Dans le jeu des voix qui se font entendre, véhicules privilégiés de la diversité scripturaire, s’élabore une stratégie où le souci d’interroger le mystère du Baptiste le dispute à un penchant à exploiter une activité prophétique qui n’est pas seulement le propre du saint.
Une parole problématique
Une figure innommable
7Les difficultés posées par la figure de Jean tiennent déjà à l’impossibilité de lui donner un nom qui rende parfaitement compte de sa nature et de son statut, ou plutôt, elles tiennent à la pluralité des termes qui le désignent. Déjà dans l’incipit du chapitre de la Légende dorée de Jacques de Voragine qui traite de sa nativité, il est appelé indifféremment « prophète, ami de l’époux, lumière, ange, voix, Elie, Baptiste du Sauveur, héraut du juge et précurseur du roi10 ». Le texte vernaculaire décalque certaines de ces dénominations, elles-mêmes reprises aux Ecritures : saint Jean est le « message », « l’ange » ou encore le « prophète du très Haut » ; il n’est pas appelé le « précurseur », mais il est celui qui vient « devant le roy divin » pour « aprester la voie du Seigneur11 », autant de termes et expressions qui font de lui l’intermédiaire verbal entre l’ordre du divin et l’ordre de l’humain. L’utilisation du mot prophete fait pourtant question et ce dans le cadre même de l’Ancien Testament. L’incertitude régnant chez les pères et apologètes autour de son étymologie réfléchit une double mission : tantôt on le fera dériver de phaïnô, pour lui donner le sens de « celui qui montre à l’avance », tantôt de phêmi, le prophète devenant « celui qui parle pour un autre12 ». Nettement distingué dans le texte de messager, prophete paraît renvoyer à la capacité du saint d’annoncer par la grâce divine l’arrivée imminente du Sauveur et d’y préparer ses contemporains en usant des vertus d’une parole porteuse d’avertissements et de remontrances13. Mais il est difficile de donner un sens univoque au mot prophete, d’autant qu’il s’assortit de la qualification superlative « le plus exellent », qui marque certes le dépassement, l’illimité et la transcendance, mais qui renforce l’ambiguïté en plaçant saint Jean dans une catégorie difficile à cerner. D’autre part, le fait que l’hagiographe voie en lui « plus qu’un prophète », formule prêtée au Christ par Matthieu et Luc14, contredit cette désignation. Saint Jean apparaît comme une figure clivée prise entre son rôle de médiateur du divin et un devenir qui reste encore informulé. Il est à la charnière, dans un entre-deux qui se décline sur tous les plans : entredeux de l’histoire, où sa naissance coïncide avec la fin des dynasties juives et l’avènement de rois étrangers, entre-deux d’un espace compris entre le désert, lieu traditionnel de la rencontre de Dieu avec le peuple hébreu, et le fleuve, où il baptise, préfigurant ainsi la nouvelle Loi.
8De cette scission, la composition du récit offre un reflet et une expression. Prolepses subtiles, les deux désignations de saint Jean délimitent les deux grandes parties du texte : la première est axée sur sa fonction de messager et de prédicateur de Dieu, la seconde offre la preuve qu’il est « plus qu’un prophète ». Sa supériorité sur ses prédécesseurs réside dans le fait qu’il a assisté à l’accomplissement de sa propre prophétie – il a baptisé Jésus et l’a reconnu comme le Messie et qu’en lui aboutisse l’attente exprimée par la tradition prophétique – Isaïe, Malachie et Zacharie, l’auteur le rappelle, ayant annoncé sa venue15. En outre, son activité et ses souffrances le situent au-delà de toute norme hiérarchique. Divers types de sainteté viennent s’incarner en lui, car il est à la fois ermite dans le désert, apôtre de Jésus et le martyr aux deux supplices, celui de sa décollation et, après sa mort, celui de son total anéantissement lors de la combustion de ses os16.
9Personnalité inclassable, Jean décourage lui-même toute tentative de définir son être quand, à l’initiative de l’hagiographe, il dit : « Je ne suis pas ce que l’on pense ». Or ce sont précisément les commentaires, les interrogations qu’il suscite et que le texte met en lumière qui contribuent à renforcer son mystère.
Une figure contradictoire
10L’auteur n’est pas le seul à tenir un discours sur saint Jean, mais il délègue successivement la parole à l’ange qui annonce au prêtre Zacharie la naissance de son fils, à Zacharie, à Jean lui-même, à ses disciples, aux envoyés des prêtres de Jerusalem, à Jésus, puis à saint Basile, enfin à l’ange qui s’adresse au roi Pépin pour lui annoncer que le chief d’un grand prophète est arrivé par mer en Aquitaine. La figure du Baptiste se dessine à travers tout un réseau discursif régi par un système quasi musical fait de répétitions, d’amplifications et de reprises. L’affirmation initiale du narrateur selon laquelle Jean est le message de Dieu donne le thème qui est répercuté et successivement développé dans les propos des personnages. Leurs témoignages le proclament, à leur tour, ange et prophète de Dieu et innovent en réactivant le motif par la citation de la parole d’Isaïe annonçant une « voix criant dans le désert » et par la comparaison de Jean avec Elie, appelé à devenir dans le judaïsme tardif et dans le Nouveau Testament le symbole du prophétisme17.
11Mais les échanges ne sont pas que confirmations réciproques et paraphrase. Le fait que le clerc ait emprunté indifféremment aux quatre évangiles contribue à brouiller les traits déjà équivoques de saint Jean, et la polyphonie est source de contradictions. Ainsi le discours des disciples de Jean, « courouciés et dolens », contredit celui de Zacharie et de l’ange quand ils veulent voir en lui non le précurseur de Jésus mais son égal et lui reprochent d’être, à cause de lui, « apetichié18 ». L’exploitation systématique de parallèles entre le Christ et Jean confirme ces paroles jalouses. L’auteur lui-même mentionne en effet leur étroite parenté et souligne, plus que ne le fait Luc, leurs similitudes en entrelaçant le récit de leurs enfances : la conception de Jean se situe quinze mois avant la naissance de Jésus, leur naissance est annoncée par Gabriel, Elisabeth comme Marie est honorée d’une annonce secrète et tous deux font l’objet d’une prophétie. D’autre part, empruntant à Matthieu19, il rappelle les analogies entre leurs deux ministères – Jean baptise, Jésus prêche – et certains des premiers disciples de Jésus ont d’abord été dans le cercle du Baptiste20. Enfin, leur mission et leur martyre s’inscrivent dans l’ordre de Dieu tracé dans les Ecritures21, Hérode Antipas y étant d’ailleurs, le texte suit encore Matthieu, dans les deux cas associé. Aussi est-il légitime que l’auteur prête à son public la même question que celle que posèrent les disciples du saint :
Mais aucun tantost me dira
Qui pas ne se consentira :
« Doncques est saint Jean Greignieur
Assez que n’est Nostre Seignieur ? »
(v. 3049-3052)
12Les doutes seront levés ; mais dans ce jeu de double savamment orchestré, leur histoire en miroir maintient une ambiguïté qui renforce le mystère de la personnalité religieuse de Jean, dont tout laisse penser qu’il aurait pu se prendre pour le Christ. L’attitude la plus équivoque s’illustre à propos de la demande qu’il adresse à Jésus, par l’intermédiaire de ses disciples, pour savoir s’il est vraiment le Messie22. Cette question qui reflète une nouvelle incertitude suggère que, au moment de mourir, le saint doute de l’identité de celui qu’il a d’abord suivi, et elle contredit sa propre célébration de Jésus qu’il avait reconnu, lors du baptême, comme « l’agneau de Dieu23 ». Que les discours puissent être divergents et que Jean soit signe de contradiction, la scène de sa rencontre avec les envoyés des prêtres de Jerusalem, venus l’interroger pour savoir qui il est, en est une autre preuve24. Aux trois questions – es-tu le Messie, es-tu Elie, es-tu un prophète ? – saint Jean répond, comme dans l’évangile de Jean, par la négative, mais, par là, apporte lui-même un démenti à la prophétie de Zacharie qui voit en lui le « prophète du très Haut », et aux paroles de l’ange et de Jésus qui prétendent qu’il est le prophète Elie, identification admise par Marc et par Matthieu25.
13A travers la pluralité des voix, Jean devient le sujet d’une véritable disputatio, d’un débat fondé sur les données toutes tirées des évangiles, mais qui, réunies, sont discordantes. En brossant ainsi la figure de son personnage, l’hagiographe trahit son statut de clerc, car sa manière de procéder n’est pas sans rappeler la méthode scolastique que le Sic et Non d’Abélard contribua au cours du xiie siècle à forger26 : le savoir, écrit Alain De Libera, prend une autre forme, la pensée « ne cherche pas le consensus, ni la fidélité mécanique à une lettre figée, mais elle avance par la mise en arguments de discordances soigneusement établies : non solum diversa sed adversa27 ». La méthode est néanmoins pertinente, car malgré les confusions qu’elle engendre, elle est la manière la plus juste d’approcher le personnage et de découvrir sa vérité. Les tâtonnements de la parole, le jeu croisé des contraires sont emblématiques de la figure du saint dont la vérité n’est pas donnée d’emblée, mais qui trouve sa totale réalisation dans un devenir et dans un au-delà de lui-même.
Une figure en creux
14L’entrecroisement, le jeu de ricochet entre les destinées de Jésus et de Jean les lient inextricablement et créent entre eux un rapport de dépendance réciproque. A partir de leur entrée en scène rapprochée, la mission prophétique du Baptiste prend valeur de prélude à celle de Jésus. L’avant éclaire l’après et l’après donne un sens à l’avant. Jésus a besoin de Jean pour préparer les voies, les sentiers du salut ; Jean a besoin de Jésus pour acquérir le sens de sa mission. C’est ce que l’hagiographe a parfaitement compris, ce qu’il a voulu transmettre et qu’il confirme en plaçant directement dans la bouche de son personnage des discours qui témoignent de sa totale humilité et de sa soumission à Jésus. Aussi est-il significatif que le seul titre que le saint accepte, conformément à l’évangile de Jean (1, 23), soit celui de la « voix qui crie dans le désert ».
Il dist : « Seigneurs, bien le sçavés,
Quar plusieurs fois oÿ avés
Ce que dist de moy Ysaïe.
Je suy une vois qui cy crie
Ou desert pour amonester,
Les voies Dieu a aprester ».
(v. 1796-1801)
15De la même façon que l’évangéliste dit que le Précurseur n’est pas la lumière, mais qu’il doit rendre témoignage à la lumière, faire dire à saint Jean qu’il est « la voix », c’est insister non sur un contenu, mais sur un timbre, une tessiture28. La voix n’est pas la parole, car la parole est à venir, elle est le support du Verbe qui s’origine en elle, elle n’est, pour reprendre un terme du texte, que le « proverbe » (v. 1018). Les mots que Jean prononce disent l’indéfectible lien qui l’unit au Christ dans le jeu des contraires qui habitent son discours et dans la tension des termes qui soulignent le paradoxe de sa mission. Au moment où il baptise Jésus et le reconnaît pour le Messie, il dit : « Je sçay ce que pas ne savoie » (v. 2144) ; il dit aussi désirer celui qui doit venir après lui et que pourtant il suit : « Il va devant, et je le suy » (v. 1835) ; enfin, il avoue devoir [s’]« amenuisier » afin que Jésus croisse (v. 2390). Tout est dit dans ces raccourcis puissants qui exaltent la grandeur souveraine de Jésus et l’extrême humilité du Baptiste. Jean marque son infériorité en passant le relais au Messie et va jusqu’à annoncer, avec un certain humour, son propre martyre. Assumant son anéantissement, il est l’expression et la conscience de la nécessité sacrificielle pour que, de sa voix, naisse le Verbe29.
16Sa parole est donc une parole en creux qui appelle une suite, un dépassement. Elle se doit d’être complétée, remotivée par celle du Christ, mais aussi, dans le cadre même du récit, par celle de l’auteur, attentif à venir en suppléer les manques et à la récupérer. En effet, dans le temps même où il traite du Précurseur et montre son incomplétude, il autorise l’émergence d’un autre discours, le sien, lui qui annonce son intention de faire « euvrer sa bouche30 ». Le narrateur qui met en scène les Ecritures s’efface devant l’exégète, soucieux de révéler la senefiance des paroles et des actes de Jean, mais aussi devant le prédicateur, ces deux activités, suivant André Vauchez, répondant à la fonction prophétique elle-même, sur laquelle se sont penchés, dès le xiie siècle, les théologiens scolastiques : le prophétisme sous sa forme biblique est passé, la prophétie ne se rapporte plus spécifiquement à la prédiction d’événements et, jusqu’au milieu du xive siècle, elle est précisément exercée par les clercs dans le cadre de leur ministère pastoral31.
Parole suppléée, parole exploitée
Glose et exégèse
17Déjà chez Abélard, la prophétie est définie comme « la grâce d’exposer et d’interpréter les paroles divines », et l’exégète absorbe les fonctions du prophète. Répondant à cette définition, la voix de l’hagiographe guide le public en un commentaire au fil du texte, qui rappelle la méthode des gloses lors des sermons et qui est plus particulièrement concentré dans la partie du récit traitant de la vie du Précurseur, c’est-à-dire la partie la plus complexe, celle qui se rapporte à son ministère. On peut d’ailleurs se demander s’il n’a pas à dessein soulevé les points délicats et accumulé les contradictions pour mettre en valeur son propre rôle qui est de rétablir, par delà la discordance des paroles, la vérité du dogme, celle qui vise à rendre au Christ la place unique qu’il tient dans le baptême et dans le Salut. Il n’est aucune des questions abordées qui ne soit éclairée, et on sent chez lui un souci de ne rien laisser dans l’ombre : signification du baptême de Jésus, justification de la comparaison avec Elie et surtout, longuement développé, sens de la brûlante question posée à Jésus par Jean de son cachot32. Se greffent ainsi au récit de véritables dissertations où les divers aspects de chacun de ces trois sujets sont envisagés méthodiquement, et où s’illustrent une bonne connaissance des textes bibliques et une formation théologique qui tire parti des gloses existantes, faute de les renouveler33 : suivant l’exégèse patristique, est soulignée l’humilité du saint qui ne cède pas à la tentation de briller, mais qui ne songe qu’à la gloire de celui qu’il annonce et devant lequel il s’efface en une totale abnégation. Les commentaires ne brillent pas par leur originalité, mais ils ont le mérite d’apparaître dans un texte hagiographique, c’est-à-dire un ouvrage dont l’objet n’est pas d’engager une réflexion proprement théologique, mais plutôt d’édifier les fidèles par la seule narration de la vie du saint. Leur présence peut se lire comme un indice permettant d’apprécier la composition du public auquel le texte s’adressait : public qui, loin d’être populaire, était capable de suivre les gloses savantes de l’auteur et d’en pénétrer la signification. Peut-être était-il formé de laïcs dévots ou de religieuses, ignorant le latin mais intéressés par les disputes théologiques.
18La fidélité de l’hagiographe aux textes sacrés n’est pas toutefois constante, car, effectuant un nouveau déplacement, il va exploiter un aspect de la figure de saint Jean qui émane directement de sa geste, celle de réformateur des mœurs : l’exégète s’efface alors devant le prédicateur et ses sermons.
Critique sociale
19Il n’y a pas de création de voies nouvelles sans un travail de rénovation. Le prophète ne se contente pas d’annoncer, il fait en sorte que l’avènement soit possible et l’orientation autre qu’il prédit ne va pas sans interruption. Plus que continuité, le prophétisme est rupture. Jean assume une bifurcation neuve, déjà en portant par son nom la rupture qu’il énonce. En prenant le nom de Jean, nom donné par la mère, et non celui de son père, Zacharie, il rompt avec sa famille, et sa naissance contredit les lois biologiques de la filiation naturelle. Il rompt bien sûr aussi avec le monde en partant au désert où sa tenue est celle des prophètes. Suivant les Ecritures34, le récit le présente vêtu à la manière d’Elie d’une ceinture et d’une peau de chameau, signe non de régression à l’état animal, mais de rupture ; la peau de bête s’opposant au tissu qui, par ses fibres végétales, est lien ténu, liaison rassurante et symbole de continuité35.
20Enfin, Jean ne se compromet pas avec le pouvoir en place, assumant vis-à-vis des membres de la société et du roi Hérode un rôle de remontrance qui a toujours été celui des prophètes. La figure d’Elie présente en filigrane dans le texte de Malachie revient en force. La parole du saint se déploie dans des prêches où la langue métaphorique des évangiles se transforme en un message direct et virulent, dans lequel il met en garde le « pueple commun », les Publicains et les chevaliers contre l’irruption imminente de la colère de Dieu et prêche la conversion pour échapper au Jugement36. Il dénonce la souveraineté politique et oppressive et l’accumulation des richesses. On touche là à l’essentiel du prophétisme : attention efficace aux faibles et aux petits, en matière de justice notamment, le respect de Dieu et le respect d’autrui étant deux commandements auxquels se ramène la Loi des prophètes.
21Cette parole déléguée trouve des échos dans les discours tenus par l’auteur lui-même qui, suivant un principe analogique et typologique, révélateur d’une vision conservatrice du monde et de l’histoire humaine37, investit la voix de son personnage38. Il reproduit la dénonciation tonitruante et c’est toute la société qui se trouve épinglée sous son regard de prédicateur. Greffé aux reproches adressés par Jean aux chevaliers, aux collecteurs d’impôts ou à Hérode, son discours peut présenter un caractère moral, mais il est surtout politique. Il égratigne ceux qui se laissent séduire par le luxe et la parure et condamne une époque où les catégories sociales et la hiérarchie trifonctionnelle de la société chrétienne se trouvent bouleversées et où les devoirs réciproques de ses membres et leur solidarité nécessaire sont oubliés39 : indifférence des riches à l’égard des « païsans partout plumés » (v. 1451) ; orgueil des « tirans » qui, à force de « tirer » – l’auteur joue d’une fausse étymologie – abusent de leur puissance (v. 382-413) ; hypocrisie des vilains, honteux de leur état, qui sont nombreux à se faire passer pour des clercs. Plus souvent, le discours porte sur les questions d’actualité et sur des événements contemporains dont le clerc dit avoir été le témoin, qui touchent en particulier au règne de Philippe le Bel. Il est hostile aux aspects fiscaux et monétaires de la politique du roi qui, par l’intermédiaire de ses fonctionnaires, écrase les paysans de charges, et il ne néglige pas non plus de mettre en cause ses mauvais conseillers. On pense aux écrits polémiques des chroniqueurs contemporains, en particulier à la Chronique métrique, poème attribué à Geoffroy de Paris, dans lequel le roi est une marionnette entre les mains de son conseil qui n’a en vue que son intérêt et qui le dupe.
22Un autre aspect envisagé est la politique du roi envers les clercs et l’absence de rayonnement de la foi sur l’ordre social. L’auteur renvoie à la bulle Unam Sanctam qui repose sur une théologie de l’Eglise et de sa mission, trame doctrinale dans laquelle s’insère la fonction du souverain pontife40. Son prêche est alors en prise directe sur l’actualité qui lui donne son sens, à savoir le conflit qui, à l’aube du xive siècle, mit aux prises la cour de France et le Saint-Siège à propos de taxes qui frappèrent les clercs et l’Eglise, la décime41. Le sermon devient pamphlet. Philippe le Bel, cherchant de nouvelles ressources pour financer la guerre contre l’Angleterre, détourna, selon l’auteur, l’argent de la croisade, décidée en avril 1313, c’est-à-dire exactement neuf ans avant la rédaction du récit42.
Chascun y prent, chascuns y hape,
L’en refait entendant au pape
Que l’en a tres grant volenté
D’essaucier la crestienté,
Et d’aler sans dilacion
En terre de promission.
[...]
Il ne leur fault fors les disismes,
[...]
Helas ! qui sont ilz devenus ?
Est la terre d’oultre mer prise
Qui tant a cousté a l’Eglise ?
[...]
Il a ja bien noef ans passés,
Que je vis, dont je me defripe,
A Paris le beau roy Phelipe
Droit dedens l’Isle-Nostre-Dame
Et ses trois filz, foy que doy m’ame,
Loys et Phelipe et Charle.
Tous ces quatre de qui je parle
Avoient, ce par bonne cole,
Et mist le cardinal Nichole
A chascun la crois sus l’espaule.
(v. 5255-5291)
23Le clergé protesta de toutes parts, en appela au Saint-Siège, mais l’autorité romaine était en la matière bien affaiblie et la plupart des ecclésiastiques eux-mêmes se firent, par capitulation, les complices de ces empiétements43. L’auteur ne ménage pas contre eux ses violentes critiques, tirant partie directement de l’exemple de saint Jean qui, lui, ne manqua pas de s’élever contre le pouvoir en place. C’est du moins ainsi qu’il interprète la métaphore du roseau prêtée au Christ :
« Quant ou desert pieça issistes,
Qui fust cely que vous veïstes ?
Le vouliés vous esprouver ?
Comment ? Cuidés vous trouver
Ou desert en mie vostre voie
Le rosel qui au vent se ploie ?
(v. 2753-2758)
24Face à ce modèle d’intransigeance – « Saint Jehan oncques ne trembla,/ Au rosel pas ne ressembla » – ses contemporains sont des couards que l’orgueil fait enfler, et dont la pusillanimité et l’insatiable cupidité les amènent à composer avec le pouvoir royal44 :
Helas ! je puis bien dire helas !
Que puis en dire des prelas
Qui tant doubtent despens et mise
Que tous les drois de sainte
Esglise Sont pres de tous anichilés
Et abeissiés et avilés.
(v. 2843-2848)
Discours eschatologique
25Le jugement porté sur l’époque et sur la société du temps repose enfin sur une vision eschatologique de l’histoire qui s’illustra au siècle précédent dans le courant millénariste d’un Joachim de Flore. Le cistercien fut à l’origine d’une tradition qui devait se prolonger jusqu’à la fin du Moyen Age et dont témoignent de nombreux traités qui circulèrent, surtout après 1240 : croyance en l’imminence du jugement dernier, insistance sur la justice dans un contexte de fin des temps propice à l’avènement du règne des saints sur terre. L’enseignement de l’auteur présente lui aussi une forte résonance millénariste, quand, désireux d’un ordre moral et soucieux de purification, il demande que l’administration soit réformée et la corruption supprimée. Mais, plus encore, comme un prophète, il tente de lire les signes de la grâce de Dieu et de la fin des temps en établissant une connexion étroite entre les événements politiques et l’eschatologie, affirmant : « un autre temps vendra/Que la Diex venjance emprendra. » (v. 1242-1243). Les malheurs économiques qui s’abattirent sur le pays, les défaites militaires de Philippe le Bel, les préjudices subis par l’Eglise sont autant de preuves que Dieu a abandonné la France, mais cette hantise eschatologique est surtout sensible à propos de la question de la succession royale. Depuis Hugues Capet, jamais un roi de France n’avait manqué d’un fils. Or les trois fils du roi Philippe, mort en 1314, ne laisseront pas d’hériter mâle et se succéderont à quelques années d’intervalle. Comme dans les Ecritures, les « hoirs perdirent le regne » (v. 2555-2556). L’hagiographe peut en témoigner, lui qui a vu le règne de quatre rois :
Tous quatre les vis, roys de Gaule,
En moins de sept ans et demi ;
Ce me semble estre euvre d’anemi,
Quar oncques puis en toute France,
N’avint que deul et mescheance.
(v. 5292-5296)
26Comment ne pas voir dans cette succession rapide les signes du Ciel ? On retrouve la situation même des évangiles que l’auteur prend soin de rappeler en brossant le fond historique sur lequel se détachent la vie et la geste du Précurseur : au temps d’Auguste Octavien, lors de la naissance de Jean, les juifs n’ont plus de roi, les princes ont perdu leur règne à cause de leurs péchés. Les deux fils d’Alexandre, Hyrcam et Aristobol, furent responsables de la fin de la dynastie, à la mort des deux enfants d’Aristobol45, un roi étranger, Hérode, est appelé à régner (v. 242). Ce scénario est à peine prémonitoire : dernier fils de Philippe le Bel et dernier capétien direct, Charles IV mourra en 1328. En France, comme dans la Palestine des Ecritures, la royauté n’est plus assurée de la protection divine. Tel est le fondement même de la croyance chrétienne, selon laquelle la victoire est la récompense des bons que Dieu aime, la défaite le signe de sa défaveur, voire de sa colère. La Grande Peste de 1348 ne sera pas interprétée autrement. Avec la Vie de saint Jean, le processus apocalyptique paraît amorcé. Sans doute, est-ce la mort en 1322 du deuxième fils de Philippe le Bel, Philippe V, et l’avenir compromis de la monarchie capétienne qui en déclenchèrent et en précipitèrent l’écriture, et le parallélisme des événements qui en fit choisir le sujet : l’histoire rejoint le sacré, le sacré donne un sens à l’histoire.
27La leçon qui ressort de la Vie de saint Jean est que le christianisme, quelles que soient les époques, ne peut faire l’économie du prophétisme ou, en d’autres termes de la parole, dont le message, évidemment religieux, est marqué par l’histoire et déborde la sphère du sacré pour se charger de significations politiques, capables de supplanter l’orientation primitive.
28Cette considération dicte sans doute le choix du sujet. L’hagiographe s’accorde à reconnaître dans la prédication audacieuse de Jean-Baptiste, dont l’enseignement éthique s’adapte aux divers états de la vie et est susceptible d’être actualisé dans n’importe quelle communauté, le modèle exemplaire de la prédication aux puissants46. Figure du narrateur, le saint incite à pousser un cri et à lire à travers lui la supériorité de l’Eglise et celle des clercs, qui ont le monopole de l’exégèse et de la prophétie. C’est sur ce terrain que la leçon est faite aux laïcs. L’autre objectif du récit est aussi de prendre prétexte de l’éloge qui est rendu au saint pour rappeler aux clercs leurs devoirs et les exigences de la vie pastorale, eux qui ont pour devoir de défendre « l’eritage de sainte Eglise » (v. 2528). La geste du saint permet de rappeler les valeurs fondamentales de la société chrétienne, d’en renouveler la vertu et de redresser le cours d’une histoire humaine dont le sens est vacillant dans ce premier tiers du xive siècle. On retrouve, par ce biais, la fonction première du saint qui est d’être un médiateur et de créer une émulation. Saint Jean reste la voix qui s’adresse à la communauté tout entière pour que soient tracés des sentiers plus droits.
Notes de bas de page
1 Les citations renvoient à l’édition de R. Gieber, La Vie de saint Jehan Baptiste, Tübingen, Beihefte zur ZRPh. 164, 1971.
2 Il est fait mention de Jean dans le Nouveau Testament quelque quatre-vingt-dix fois (Jésus, Pierre et Paul sont les seuls à être mentionnés plus souvent). Jean est le seul saint dont l’Eglise célèbre la naissance charnelle : annoncée par l’ange Gabriel à Zacharie, elle est célébrée le 24 juin, son martyre par décollation le 29 août.
3 Jean-Pierre Perrot, « La Vie de saint Jean-Baptiste en prose propre aux légendiers français méthodiques : adaptation d’un poème anonyme du xiie siècle », in Et c’est la fin pour quoy sommes ensemble. Hommage à Jean Dufournet, Paris, Champion, 1993, tome III, p. 1089-1102.
4 Hippolyte Delehaye, Les Passions des martyrs et les genres littéraires. Bruxelles, Société des Bollandistes, 1921.
5 Julia Kristeva, Visions capitales, Paris, Parti Pris, Edition de la réunion des musées nationaux, 1998, p. 71.
6 Selon Matthieu, Jean est venu achever le temps de l’ancienne alliance : il prend la succession du dernier des prophètes, Malachie, et réalise sa dernière prédiction : « Voici que je vais vous envoyer Elie le prophète » (Mt 3, 23). Dans Luc, son rôle déborde celui de Précurseur qui lui est assigné dans Marc : au commencement de l’Evangile, Jean inaugure, par son inscription dans le temps et dans l’histoire contemporaine, une période décisive et empiète sur la phase terminale du Salut : « La Loi et les prophètes vont jusqu’à Jean ; depuis lors le Royaume de Dieu est annoncé et chacun lui fait violence » (16, 16).
7 Nicole Bériou, L’Avènement des maîtres de la parole. La prédication à Paris au xiiie siècle, Paris, Institut d’études augustiniennes, 1998, p. 480.
8 Cf. les vers 16 et 52.
9 Au moment où est retracé l’emprisonnement de saint Jean par Hérode, l’auteur renvoie, v, 2222, aux écrits de « maître Pierre » (Pierre-le-Mangeur, né à Troyes au xiie siècle, auteur d’une Histoire scolastique) ; pour tout ce qui concerne le devenir de ses reliques et les miracles post mortem, l’auteur renvoie à deux reprises à Jean Beleth et à une chronique anonyme (v. 6235, 6245, 7609).
10 Jacques de Voragine, La Légende dorée, Paris, GF-Flammarion, 1967, traduction de J.-B. M. Roze, chronologie et introduction par H. Savon, vol. 1, p. 401-410.
11 Cf., par exemple, les vers 28, 320, 327, 372, 437, 1667, 1756.
12 Sur les différentes significations du terme, cf. le Dictionnaire de théologie catholique, article prophète, Paris, Letouzey et Ané, 1950.
13 Voir les nombreux verbes qui rendent compte du zèle de Jean à prêcher et à prophétiser, comme « sarmonner », « preschier », « enseigner », etc.
14 Cf. Matthieu (9, 7-11) et Luc (7, 24-28).
15 Cf. les vers 1674-1697.
16 A partir du vers 4480 du récit.
17 Traditionnellement, Elie, enlevé au ciel, est censé revenir à la fin des temps, où il est le précurseur de Dieu ou du messie ; dans les Evangiles, l’identification est confirmée, Jean-Elie prépare la venue de Jésus.
18 Cf. les vers 2361-2389.
19 Matthieu compare Jean à Jésus plus que n’importe quel évangéliste.
20 Cf. les vers 2243-2246.
21 Pour Jean, cf. Mc 9, 13 ; pour Jésus, cf. Mc 9, 12 ; 14, 21.
22 Cf. les vers 2585-2652.
23 Cf. le vers 1924.
24 Dans Marc, les prêtres soumettent Jésus à un même questionnement (cf. Marc 8, 27-30).
25 Marc (9, 11-13) et Matthieu (17, 10-13).
26 Cet ouvrage n’est pas qu’un florilège de textes tirés de la Bible et des pères ; ces autorités assemblées en constituent la base, mais elles s’organisent selon les questions auxquelles elles fournissent des réponses, et surtout elles se contredisent, appelant un oui ou un non.
27 Cf. Alain De Libera, La Philosophie médiévale, Paris, PUF, 1993, p. 321.
28 Dans son sermon CCLXXXVIII, saint Augustin a opposé le verbum et la vox. « Verbum, si non habeat rationem significantem, verbum non dicitur. Vox autem, etsi tantummodo sonet, et irrationabiliter perstrepat, tanquam sonus clamantis, non loquentis, vox dici potest, verbum dici non potest. ». Sermo 288, PL., 38, 1306.
29 Il inaugure aussi la manière dont périrent les premiers martyrs chrétiens : la décollation étant le seul moyen de mettre un terme au martyre, la solution radicale.
30 Telle est l’annonce du deuxième vers prologue : « mestier que ma bouche euvre ».
31 André Vauchez, « Le Prophétisme médiéval d’Hildegarde de Bingen à Savonarole », in Saints, prophètes et visionnaires. Le pouvoir surnaturel au Moyen Age, Paris. Albin Michel Histoire, 1999, p. 114-133 ; ici p. 121.
32 Cf. successivement les vers 1938-1984 ; 1658 et 1753.
33 Les pères se sont beaucoup interrogés sur le baptême de Jean : cf. Tertullien, De baptismo 10, 2, SC 35, p. 80 ; saint Augustin, Enchiridion de fide, spe et caritate 49. PL 40, 255c ; Origène, In Ep. ad Romanos v. 8, PG 14, 1039b ; saint Jérôme, Contra luciferianos 7, PL 23, 162b. Le baptême de Jean est. comme celui du Christ, unique, non réitérable et accompagné de la confession des péchés et de la conversion. Mais il n’est qu’un baptême par l’eau, subordonné au baptême d’Esprit et de feu administré par le Messie, et par lui seul, et qu’il ne fait que préparer. Il a une durée limitée dans le temps, celle de la préparation immédiate du converti au règne messianique qui s’approche (Mt 3, 11-15 ; Lc 7, 17 ; Jn 1, 31-33). Il s’adresse à tous ceux qui répondent favorablement à la prédication du prophète. Il se veut un sauve-qui-peut avant le jugement implacable par lequel Dieu va inaugurer son règne. Pour Matthieu, le baptême de Jean n’a pas, comme c’est le cas chez Luc et chez Marc, pour finalité d’obtenir le pardon des péchés. Ce n’est qu’un baptême en vue de la conversion (3, 11). La question de Jean à Jésus embarrasse davantage l’hagiographe : parmi les raisons invoquées, il allègue le fait que Jean veut s’assurer d’être le précurseur du Christ aux Enfers. Ce thème, qui est repris par l’iconographie, prend sa source dans l’évangile apocryphe de Nicodème (2e p. ch. 2, § 2, éd. C. Tischendorf, Leipzig, 1883, p. 303). Référence citée par le Dictionnaire de spiritualité, Paris, Beauchesne. 1974, tome VIII, article « Jean le Baptiste ». p. 175-192.
34 Cf. Za (13, 4) et 2 Rois (1, 8). Dans le texte, cf. les vers 592-594.
35 Gilbert Durand, Les Structures anthropologiques de l’imaginaire. Introduction à l’archétypologie générale, Paris. Bordas, 1969, p. 371.
36 Cf. v. 1192-1584.
37 Pour l’auteur, les hommes n’ont pas changé depuis le temps du Baptiste. Voir en particulier la similitude des discours adressés par saint Jean et saint Ambroise aux puissants (v. 2447 et 5433).
38 Il est parfois difficile d’en cerner l’origine et de savoir à qui la rapporter tant les deux voix se superposent étroitement. Voir par exemple, les vers 1151-1152. Toutefois, l’articulation se fait généralement sur les adverbes de temps « or » et « maintenant ».
39 Cf. N. Bériou, op. cit., p. 342.
40 Cf. Jean Rivière, Le Problème de l’Eglise et de l’Etat au temps de Philippe le Bel. Etude de typologie positive, Louvain-Paris, Spicilegium sacrum Lovanienses, Bureaux/ Champion, 1926. p. 80.
41 Dès 1294, le roi se passa de l’accord du souverain pontife et négocia directement avec son clergé qui accepta la nouvelle décime pour deux ans, mais en 1296. il fît plus en se contentant de l’accord d’une simple assemblée de nobles et de prélats pour lever sur les biens du clergé et sur ceux des laïcs un impôt de cinquantième, qui, pour les clercs, s’ajoutait à la perception de la décime en cours.
42 Saint-Jean-d’Acre avait été reprise en 1291 par les musulmans. Clément V avait demandé au roi de lui accorder un subside pour l’armement de galères destinées à la croisade.
43 Cf. Jean Favier, Philippe le Bel, Paris, Fayard, 1978, en particulier les pages 272 et 273.
44 Ce portrait sans indulgence est aussi celui des sermons qui, dès le début du xiiie siècle, en a fourni les principaux traits et où « l’ironie et l’invective s’exacerbent à la faveur des tensions entre mendiants et séculiers ». Cf. N. Bériou, op. cit., p. 321. L’hagiographe donne un autre contre-exemple pour rappeler les clercs à leurs devoirs, celui de Thomas Becket, archevêque de Canterbury, assassiné dans sa cathédrale par des émissaires du roi Henri II. Comme saint Jean, Thomas qui accepta le martyre sans récriminer, actualise les exigences formulées à l’adresse de tous les clercs qui font preuve de couardise devant le pouvoir royal.
45 Cf. les vers 223-228.
46 C’est également le cas dans les sermons, en particulier ceux qui furent adressés à la cour. Cf. N. Bériou, op. cit., p. 306-307.
Auteur
Université Paul-Valéry-Montpellier III
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