Les Hébreux au péril des Cananéens et d’eux-mêmes dans le Poème anglo-normand sur l’Ancien Testament
p. 183-202
Texte intégral
1Parmi les traductions bibliques médiévales, le Poème anglo-normand sur l’Ancien Testament1 occupe une place à part qui tient indéniablement à sa coloration épique. Si la Bible d’Herman de Valenciennes a pu être qualifiée de « chanson de geste ecclésiastique2 », il faut bien remarquer que le texte n’offre aucun récit de combat3. Gaston Paris présentant la Bible de Macé de la Charité dans l’Histoire littéraire de la France déclarait n’avoir trouvé « que deux descriptions de bataille faites dans le style ordinaire de ces lieux communs de la poésie narrative », regrettant que « la forme choisie par l’auteur ne lui [ait] même pas servi à traiter plus librement son original et à y introduire des embellissements de son cru4 ». Jehan Malkaraume ne s’attarde guère que sur une seule bataille opposant les Hébreux et les Philistins5. Un autre traducteur, resté anonyme celui-là, accorde seize vers à une description, dans le style épique, de la bataille opposant le roi des Amorites, Sihôn, et les Juifs désireux de traverser ses terres6. S’il est bien vrai, comme cela a été remarqué maintes fois, que la guerre est le thème par excellence qui sert à définir l’épopée7, ces textes ne peuvent pas être qualifiés d’épiques. Ils ne peuvent pas entrer en ligne de compte non plus pour une étude des conflits opposant les Hébreux et les Cananéens puisque le contenu guerrier y fait cruellement défaut. Inversement, pour peu que l’on feuillette le Catalogue de vente de la Maison londonienne Goldschmidt and Co. de 1937, on y découvre une intéressante notice de manuscrit. Elle souligne que le récit des batailles constitue l’essentiel du texte en question et conclut qu’il s’agit là d’un ouvrage destiné à rendre l’histoire biblique intéressante à un lecteur amateur de narrations guerrières et chevaleresques8. C’est l’un des manuscrits de la version en prose du Poème anglo-normand9. L’importance du contenu guerrier permet, cette fois, de dessiner un portrait des belligérants hébreux et cananéens et d’analyser leur fonction dans le texte. Comme il s’agit d’une traduction-adaption qui laisse une certaine liberté d’intervention et de création au translateur, il est possible de dépasser le fil de la narration biblique telle qu’elle est transposée de la Vulgate de Jérôme10, pour s’attacher à l’étude des omissions, des ajouts ou des gauchissements signifiants dus au traducteur. Une analyse des rapports entre les Hébreux et les Cananéens menée sur une traduction plus textuelle comme la Bible anglo-normande11 ou la Bible d’Acre12 concernerait évidemment davantage la source, et non point le texte procuré par le translateur médiéval. Dans la transposition libre qu’est le Poème, nous nous appliquerons donc à déterminer ce que le traducteur a emprunté à ses deux sources, la Vulgate et les Antiquités judaïques de Flavius Josèphe13, et ce qu’il ajoute à ces dernières pour leur donner un sens précis et, par-delà, imposer une lecture de l’histoire biblique.
2La Bible livre plusieurs listes de peuples cananéens qui sont, rappelons-le, les populations non israélites occupant le pays de Canaan et que les Juifs, sous la conduite de Moïse d’abord, puis de Josué et des Juges, affrontèrent au retour du premier exil en Egypte pour leur ravir la terre14. Le bibliste les signale d’abord dans la célèbre Table des peuples de Genèse X qui énumère les soixante-dix peuples de la terre. Ils sont censés descendre de Canaan, lui-même fils de Cham qui descend directement de Noé. Une liste un peu différente figure dans la promesse de Yahvé faite à Abraham et à sa descendance (Genèse XV, 18-21), puis à Moïse (Exode III, 8). Les peuples sont énumérés ailleurs encore15, mais arrêtons là pour constater simplement que leur nombre oscille entre six et dix et surtout que toutes ces listes disparaissent dans le Poème anglo-normand. On se contentera d’y lire :
Quant sout Noé qui Cam l’ot escharni,
Li sul maldist, les altres benesqui :
Cam e ses fiz sunt tuz maldit de deu
Desque cest jur, ceo sunt li Cananeu.
(v. 298-301)
3Un peu plus loin, notre translateur ne donnera pas la généalogie détaillée de Cham en prétextant un désir d’abréger l’histoire sainte16 et omet de ce fait même de citer le nom de l’ancêtre éponyme, Canaan. On saisira tout de suite la différence de traitement dont bénéficie la lignée des Hébreux quelques vers plus loin :
Falech out fiz Reu e cist Sarug,
Cist engendra Nachor e cist Tharé,
Cist engendra Abram, Nacor e pus Aram,
Aram engendra Loth ki fu nevu Abram.
Abram prist femme ki ot nun Sarai,
Baraine fu, ne out fille ne fiz ;
Nacor reprist Melcha, le sorur Sarai,
De ces vindrent la gent ki furent deu ami.
(v. 332-339)
4Quittant le fil de la narration, le translateur en cite cette fois les héros éponymes :
E de Juda apelum nus Jueus
Si cum l’um nome de Abraham Hebreus.
(v. 5972-5973)
5Là où il devrait énumérer trente et un rois cananéens vaincus par Israël, il prie un peu cavalièrement le lecteur de s’en référer directement à la source pour les connaître :
Trente reis unt il occis en nun,
A la Bible voist qui volt saver lur nun !
(v. 3830-3831)
6On hésitera à signaler la leçon due à l’un des scribes et qui témoigne de son peu d’estime pour les monarques en question :
Al diable voist…
7Une alliance de rois ennemis dont on trouve la liste en Josué IX, 1 est aussi mentionnée, sans plus de précision sur leur identité :
Plusurs des reis a la paene gent
Unt fait entr’els fiance e serement
Qu’il sur Hebreus vendrunt hastiement.
(v. 3680-3682)
8A comparer ce passage avec la source, on se rendra compte aussi que disparaît toute localisation géographique de la population :
Cuncti reges trans Iordanem, qui versabantur in montanis et campestribus, in maritimis ac littore magni maris, hi quoque qui habitabant iuxta Libanum, Hetaeus et Amorrhaeus, Chananaeus, Pherezaeus, et Hevaeus, et Iebusaeus, congregati sunt pariter, ut pugnarent contra Iosue et Israel.
(Josué IX, 1)
9L’intérêt pour le traducteur n’est donc pas de reproduire ces énumérations si caractéristiques du texte sacré et qui y ont une fonction sur laquelle nous reviendrons. Les noms des peuples apparaîtront simplement au cours des narrations de batailles. Défileront, au gré des combats, les Amalécites (v. 2262, 2666), les Moabites et les Amorites (v. 2848 et 2849), les Ammonites, les Filistins et les Edomites (v. 6424-6427), les Jébuséens17 C’est bien la guerre qui fait apparaître les peuples et non point les listes généalogiques ou celle de coalisés. Le translateur prendra beaucoup plus de plaisir à narrer le déroulement de la bataille en usant des motifs de l’épopée qu’à énumérer les ethnies cananéennes vaincues par les Hébreux.
10Quels renseignements complémentaires livre-t-il sur ces populations ? Conformément à ce que dit le texte biblique, la malédiction divine repose sur elles18. Dès le début de l’histoire, le lecteur est sensible au contraste entre les Cananéens et les Hébreux appelés – et ce n’est pas sans raison – la gent ki furent deu ami.
11Le reste des informations que l’on peut glaner sur les Cananéens est maigre. Apparaissent simplement quelques qualificatifs qui reviennent constamment et n’apportent pas de précisions particulières. Le translateur souligne l’animosité de ces peuples vis-à-vis des Hébreux qui remportent des victoires et viennent occuper leur terre :
Sur les Hebreus venent paenes gens :
Ceo sunt la gent que l’um dit Filisteu
Qui tuz jurs unt envie vers Hebreus
(v. 5531-5533)
Li Filisteu que sunt enemi deu,
Qui tuz jurs unt envie vers Hebreu
(v. 9509-9510)
Achis esteit paens e filisteus,
Si out envie tuz jurs vers l’Ebreus.
(v. 8316-8317)
12leur paganisme et leur cruauté par des adjectifs aussi vagues que felon et mescreant19. Les ravages infligés sont également décrits à l’aide de quelques expressions figées interchangeables :
Desur Hebreus venent Madianiz
E cil d’Arabie od les Amalechiz,
Il lur destruient e teres e cité
E lur chastels, lur vinnes e lur blez
(v. 4264-4267)
Sur les Hebreus venent paenez genz
[…]
Il lur destruient lur vinnes e lur blez,
Ardent lur viles, lur burcs e lur citez
(v. 5531-5535)
Naas lur destuit lur burs e lur cités
E lur chastels, lur vinnes e lur blez.
(v. 5880-5881)
13Par opposition aux Hébreux, les populations cananéennes sont polythéistes, mais seuls trois noms de divinités sont reproduits au fil des dix-sept mille vers : Baal, Dagon (v. 5162) et Astaroth « Astarté » (v. 8690). A analyser le passage suivant en le comparant avec la source, on saisira l’idée que le translateur pouvait se faire de la religion des Cananéens :
Aprés la mort Jair li Galadin,
De chescon ben Hebreu sunt resorti,
La lei guerpirent que lur dona Moysen,
Les ydles aurent a la paene gent.
Il creent es deus de pere e de metal
Ki n’unt poir de faire ben ne mal,
Sur tuz les altres servent il Baalin :
Cist fu soverains des deus as Sarazins
(v. 4412-4419)
Filii autem Israel peccatis veteribus iungentes nova, fecerunt malum in conspectu domini, et servierunt idolis, Baalim et Astaroth, et diis Syriae ac Sidonis et Moab et filiorum Ammon et Philisthiim : dimiseruntque dominum, et non coluerunt eum.
(Juges X, 6)
14Là encore il a renoncé à tout effet de liste, s’appliquant à présenter une idolâtrie qui n’est que l’envers du culte au vrai Dieu, tout puissant comme il s’attache à le montrer dans sa traduction, et esprit pur qui interdit toute représentation imagée. Ce n’est sans doute pas sans raison qu’il cite une seule divinité là où la source en énumère plusieurs : dieu de pierre et de métal, Baal suffit au contraste avec le vrai Dieu. Si donc dans la chanson de geste médiévale Mahomet, Apollin et Tervagan sont l’envers d’un Dieu-Trinité20, au stade de l’Ancien Testament où la révélation trinitaire ne s’est pas encore faite un seul opposant semble suffire.
15Les peuples cananéens, dans la présentation qui en est faite, tout comme leur religion ne bénéficient donc d’aucune individualisation de la part du translateur. Il se contente d’énoncer le nom de l’une ou de l’autre population dont la seule fonction est de signifier l’ennemi qui va déclencher le conflit. On peut estimer que ce n’est pas sans raison qu’il a dès lors aussi supprimé la Table des peuples du début de la Genèse, dont nous avons parlé plus haut. La reproduire consistait à raccrocher toutes les populations à un ancêtre commun et donc leur donner une individualité en les différenciant des populations qui descendent des deux autres fils de Noé.
16A regarder de près les épisodes guerriers, on se rendra compte qu’ils opposent deux entités qui semblent totalement différentes dans la présentation qui en est faite. Cette différence existe déjà dans le texte biblique, elle est cependant nettement amplifiée par le translateur. Les Hébreux sont constamment dirigés par un chef unique qui porte le nom de Moïse, Josué, Gedéon, Jephté, Saiül ou David. Il est prophète, chef de guerre, juge ou roi. L’exégèse médiévale pourra facilement en faire, et ce n’est pas sans raison, des figures du Christ. L’individu qui a établi un contact avec la divinité décide de la guerre et entraîne le peuple à sa suite. Le combat entrepris en dehors de son initiative se solde irrémédiablement par un échec :
Dunt vont les Hebreus encontre lur enemis,
Les Cananeus e les Amalechiz.
Que fait Moisés ? De part deu lur defent,
Mes il ne lessent pur son comandement :
[…]
Il passent les munz contre lé Amalechiz
Mes il sunt tuz u morz u desconfiz.
(v. 2660-2667)
17Si dans ces vers le translateur reste fidèle à sa source (Nombres XIV, 39-45), il fait tenir par la suite un discours à Moïse qui tire clairement la leçon de cet échec et dont on ne trouve l’équivalent ni dans la Vulgate ni dans les Antiquitates que suit le traducteur à cet endroit précis du texte21 :
Seignurs, dist il, par mei deus le vus mande,
Ne combatez nent plus, s’il nel commande.
Des ore se garde chescon que nul lui faille
Sanz deu entrer e sanz mei en bataille.
(v. 2670-2673)
18On saisit là un des aspects de cette traduction biblique qui est d’amplifier des aspects et des enseignements présents dans les sources.
19En face des individualités juives dont la personnalité est clairement dessinée au point qu’elles sont passées dans l’histoire et ont été réutilisées par l’exégèse, se dresse une masse sans contour précis : les Cananéens. Assez rarement apparaît le nom d’un chef. C’est une coalition de plusieurs peuples qui déclenche le plus souvent les hostilités contre les Hébreux. Si le traducteur se donne la peine de citer les noms des coalisés22, il lui arrive aussi de les omettre :
Li reis Jabin d’Asor quant il entent
Que li Hebreu sunt ci cruele gent,
Il ad sumuns sont ost tut environ,
Les reis, les ducs, les princes, les barons ;
Dous cens curres, treis cenz millers de gent
Encontre Hebreus chevalchent ferment
(v. 3762-3767)
20en dépit de la source :
Quae cum audisset Iabin rex Asor, misit ad Iobab regem Madon, et ad regem Semeron, atque ad regem Achsaph : ad reges quoque aquilonis, qui habitabant in montanis et in planitie contra meridiem Ceneroth, in campestribus quoque et in regionibus Dor iuxta mare : Chananaeum quoque ab oriente et occidente, et Amorrhaeum atque Hethaeum ac Pherezaeum et Iebusaeum in montanis : Hevaeum quoque qui habitabat ad radices Hermon in terra Maspha.
(Josué XI, 1-3)
21Il lui a suffi de donner l’importance du chiffre des coalisés, peu importe le nom.
22De cet ensemble amorphe, le translateur fait émerger quelques rares individus à la personnalité un peu plus nette. C’est Hanûn l’enfant, fils de Nahash, roi des Ammonites, qui humilie les ambassadeurs de David en leur faisant tailler la moitié de la barbe et des vêtements (v. 9789-826), son père crevait déjà l’œil droit des Hébreux pour les empêcher de se battre : le gauche étant couvert par le bouclier ils étaient complètement aveugles (v. 5868-5919)23, le roi des Bézékéniens qui trouve juste qu’on lui coupe les pouces des mains et des pieds parce qu’il a réservé le même sort à soixante-dix rois qu’il détient en prison (v. 3952-3961). On l’aura remarqué : ils se caractérisent tous par une certaine monstruosité morale. Deux personnages bénéficient d’une présentation laudative dont on ne trouve pas le correspondant dans la source : le roi des Ammonites Nahash qui se signale pourtant par sa cruauté comme nous l’avons vu :
Cist reis esteit puissanz e de parage,
Sur tuz paens fu il pruz e sage,
Des Amonis fu il prince e reis,
Bien guverna sa gent sulunc ces leis
(v. 5874-5877)24
23et Agag, le roi des Amalécites :
Sur tuz paens fu il vaillant e pruz,
Jofnes hom ert, mes de grant estature
E de cor [s] age bels a demesure.
(v. 6565-6568)
24Si la deuxième expansion est due à une phrase des Antiquitates25 et doit expliquer le refus de Saiil de tuer Agag dont la beauté le séduit, il n’en va pas de même pour la première puisque le roi Nahash se montre particulièrement féroce vis-à-vis des Hébreux. Elle doit avoir pour fonction, à l’occasion de la première bataille conduite par Saiil, de présenter un adversaire digne de lui et qui soit son équivalent du côté des païens.
25Les autres héros cananéens pourvus d’individualité tiennent du géant monstrueux. Il en va ainsi de Goliath (v. 6844-6971) et de tous ces Philistins que tuent les guerriers de David (v. 11499-11570)26. Ils partagent avec les personnages précédents la prétention arrogante27 vaincue par la vaillance des Hébreux qui bénéficient de l’aide du Tout Puissant.
26Si les textes-sources mettent à l’avant-scène des individus, guides du peuple, dans un certain nombre de cas bien précis l’entreprise de translation aboutit clairement à une accentuation de leur héroïsme. Quelques exemples suffiront à illustrer cette pratique. Les combats contre les Philistins énumérés en II Rois XXI, 15-22 et dans les Antiquitates VII, 12 opposent systématiquement un géant et un guerrier de David. On pourra se contenter d’en analyser le dernier :
Quartum bellum fuit in Geth : in quo vir fuit excelsus, qui senos in manibus pedibusque habebat digitos, id est, viginti quator, et erat de origine Arapha. Et blasphemavit Israel : percussit autem eum Ionathan filius Samaa fratris David.
(II Rois XXI, 20-22)
27La source ne fait que décrire un monstre là encore arrogant et signaler sa fin due à un preux de David. La translation modifie la présentation :
La quarte feis paen sunt assemblez
Encontre Hebreus a bataille e mellez,
Entre les quels ert un paiens cremuz
De la ligné as geans descenduz.
Forz est e fiers e de grant estature,
Si out en lui plus qu’en home par nature :
En ces dous mains il out duze deiz,
En ces douz pez il out duze orteiz.
Encontre lui Jonathas combati,
Nevuz ert le rei e chivaler hardi.
Tant le feri de brant qui fut molu
Nel poet garir de mort halberc n’escu :
Morz est celui qui sustint tut le fes.
(v. 11549-11561)
28Si le translateur reproduit assez fidèlement les données concernant le géant, on voit qu’il ajoute des éléments lorsqu’il s’agit du héros hébreu qui est montré en pleine action guerrière. Il en va également ainsi pour le premier combat où la translation diverge un peu de la source :
Mort feust li reis ne feust Abisai,
Frere Joab, qui l’at de mort gari.
Il s’enbatit entre lui e le rei,
Pleine se hanste le fert a tel desrei
Le fer lui fait passer desqu’al polmon :
Mort l’abatist, qui qu’en peist u qui non.
(v. 11517-11522)
Praesidioque ei fuit Abisai filius Sarviae et percussum Philisthaeum interfecit.
(II Rois, XXI, 17)
29Là encore la simple indication d’une mise à mort par un guerrier hébreu est développée pour faire tableau. L’adversaire cananéen ne bénéficie à aucun moment de ce privilège. Autant dire que l’on n’assiste jamais à un combat singulier narré dans le détail entre deux héros de camps différents.
30Il est un autre traitement dont bénéficie seul le héros hébreu. Dans la description des batailles, le translateur use des motifs épiques bien connus, mais seul le chevalier juif est isolé dans la mêlée pour se battre contre une multitude d’ennemis :
El champ remist Saul sanz compainnon.
Ore veit Saul sur lui est tut le fes,
Il n’ad aie u il s’alie mes.
Devant trestuz se mist il en l’estur,
Miels volt murir que vivre a deshonur.
Il se combat en guise de bon vassal,
Quant qu’il tuchat fait il torner a val,
Il fiert paiens del trenchant de s’espee,
De piez e de poins la terre ad il junchee.
Tant longement cum vie lui est tensee
Ne volt fuir ne guerpir la mellee.
Paen l’envairent de tutes parz,
Sovent le fierent od les lances e dé darz,
Li sanc lui curt del cors par cel prael :
Charir l’estut, si lui fud laid u bel.
(v. 8612-8626)
31Les sources donnaient un récit plus sobre des faits :
totumque pondus praelii versum est in Saul : et consecuti sunt eum viri sagittarii, et vulneratus est vehementer a sagittariis.
(I Rois, XXXI, 3)
Saul autem hoc modo peremptus est. Quum esset hostium multitudine constipants, Palaestinis crebro super eum iacula dirigentibus, omnes pene prostravit, paucis exinde fugientibus : ipse vero clarissime decertatus est : qui vulnera in se multa gerens, ita ut nequaquam iam posset tolerare, nec ferre plagas, semetipsum quidem perimere erat invalidus.
(Antiquitates, VI, 14, p. 180)
32Si dans la source28, la mort du roi Nahash reste de l’ordre de l’anecdote, ajoutée qu’elle est à celle de la masse des païens, on assiste à une mise en scène du comportement de Saiil au milieu des combattants29. Ce procédé de l’isolement du guerrier juif, qui met en valeur son courage et sa vaillance, est à l’œuvre à plusieurs reprises. Il en va ainsi de David au moment de la prise de Jérusalem :
Davi se peine pur aver los e pris
Cum al primur, puis qu’il fut poestis ;
U li esturs fut plus fort e grevé,
Devant trestuz, s’est il abandoné.
Jersalem prist il a la parfin.
(v. 9425-9430)
33Là encore les deux sources possibles30 ne disaient rien de tel.
34Aucun guerrier cananéen ne bénéficiera d’un tel traitement. Le traducteur souligne certes la vaillance des ennemis par des expressions toutes faites sorties des chansons de geste :
Tel ost ne fust en terre mes veu,
S’il deu amassent mult fussent de grant vertu,
(v. 6134-6135)31
35ou encore
Si cil dedens amassent le deu servise,
Jamés ne fust par nos Hebreus conquise,
(v. 3976-3977)
36mais la vaillance cananéenne n’est jamais dépeinte dans le feu de l’action comme celle du héros juif. Le lecteur n’aura finalement droit qu’au spectacle de l’armée ennemie en armes :
Grant fust la presse de paens mescreanz
Qui vers cel ost s’en venent glatissanz,
Si funt32 la noise e li bruit des chivals
Que Filisteus menent par mons e par vals.
[La veit l’om tant bon vassal de pris,
Tant bon paen, si deu lur fust amis.]
La veist l’om tant bon chival cursur,
Tant bel escu covert d’or e d’asure,
Tant blanc hauberc e halme luisant,
De la clarté tut resplendi le champ,
Tant bele enseigne que se desplie al vent.
Si deu amassent mult fussent bone gent.
(v. 8436-8447)
37Le même procédé avait déjà été utilisé précédemment :
Des que paens s’esteient assamblé,
Sur les Hebreus vunt il a grant fierté,
La veist l’om tant bon cheval en champ,
Tant bel escu, tant halme cler luisant,
Tant bel enseigne en halt baler al vent,
Tant bele armure, tant destrier qui s’estent,
Tant fiz de femme qui querent vasselage,
Mes eins qu’il aient lur avendra damage.
Tel ost ne fust en terre mes veu,
S’il deu amassent mult fussent de grant vertu !
(v. 6128-6135)
38Au combat aussi les Cananéens restent une masse, alors que le translateur isole le héros hébreu.
39Cette présentation clairement orientée est assurément au service d’une démonstration. A maintes reprises, des excursus de type moralisateur mettent en lumière le sens des événements :
Tele est, sire deus, la tue grant vertu :
Par un sul hom tant pople est confundu.
(v. 6322-6323)
Si vait seignurs : qui deus volt garantir
Nel poet esfors de male gent noisir […]
(v. 8539-8540)
40La leçon est invariablement la même : avec l’aide de Dieu tout est possible à l’individu faible en face d’une masse de coalisés, puissante, sûre d’elle-même et arrogante. Nombre de récits de batailles commencent par l’énumération des troupes ennemies réunies avec la certitude totale de remporter la victoire, pour se terminer sur un vers du type :
Paen s’en fuient qui ainz se firent fiers.
(v. 9565)
41Si la trame de l’histoire biblique tend à opposer un individu et une masse humaine, la translation renforce ce contraste par les images qu’elle insère dans le texte, qui sont tantôt figées pour nous donner le spectacle d’une armée, mais qui prennent aussi l’allure d’un portrait en action lorsqu’il s’agit d’un héros juif dont la vaillance, comme celle du personnage de la chanson de geste, « se mesure à la façon dont il affronte le danger, aux coups qu’il porte dans la bataille33 ». La morale découle alors tout naturellement de cette présentation des faits.
42On peut se poser la question de l’utilité de ces récits guerriers dans lesquels semble se complaire notre translateur. Un esprit médiéval faisait sans aucun doute le rapprochement entre l’histoire biblique et l’histoire telle qu’elle se déroulait à son époque en Terre Sainte. Les termes de sarazin, gent sarazine, pople sarazin se présentent facilement dans le Poème pour désigner les peuples en hostilité ouverte avec les Hébreux34, mahumerie35 renvoie aux lieux de culte, de même qu’aux croyances cananéennes36. L’argument lexical n’a cependant que peu de valeur : sarrasin signifie en effet aussi « païen37 » et les traducteurs bibliques utilisent le terme pour traduire le latin gentes « les gentils, les païens38 ». Mahomerie, de son côté, est bien attesté au sens de « temple avec des idoles » ou « idolâtrie39 ». Un vers du Poème fait cependant clairement référence aux croisades et à l’occupation de la Terre Sainte :
Ramatha set pres de Jerusalem le burc,
Quarante luis, ceo sevent ben li Turc.
(v. 14226-14227)
43Un autre pourrait même laisser supposer que la translation fut effectuée dans ce pays :
Il n’ad si sage clers desa le flom
Qui vus contat trestut sanz mesprison
(v. 13169-13170)
44puisque le mot flom désigne habituellement le Jourdain. Rien n’est sûr cependant et l’on peut songer aussi à quelque facilité de rime40. Il n’en reste pas moins que, derrière une traduction effectuée à la fin du xiie siècle et qui racontait l’histoire et l’occupation de la terre de Canaan, pouvait se profiler la silhouette des croisés et des Sarrasins. Nous possédons d’ailleurs une autre translation du Livre des Juges effectuée à peu près à la même époque ou dans le troisième quart du même siècle pour deux maîtres du Temple en Angleterre, dont l’un est parti pour la Palestine41. Il s’agit de la version qui a été copiée ultérieurement dans la Bible d’Acre. Les récits de bataille s’y succèdent aussi et la translation, dans ce cas précis, était certainement destinée à fournir une incitation aux Templiers en leur livrant une histoire modèle, et cela dans leur propre langue, le français42.
45Si l’on ne peut que supposer un arrière-plan de croisade, le translateur, quant à lui, exprime de façon claire et répétée ses intentions véritables. Toutes les histoires racontées servent en fait à la démonstration d’une thèse morale des plus simpliste à nos yeux : la bonne conduite humaine suscite toujours le succès, les mauvaises actions entraînent l’échec parce que Dieu reconnaît immanquablement les siens. Les victoires militaires de Saul sont bien présentées comme une conséquence directe de son respect de la loi de Dieu :
La lei Moysen si cum deus lur escrist
Tenent Hebreu si que nuls ne mesprist.
[…]
Trestute la terre as paens environ
Teneit li reis en sa subjeccion,
Quant qu’il enprist ben lui est avenuz,
Ses enemis ad il del tut vencuz.
(v. 6414-6422)
46Dans une moralisation empruntée partiellement à Josèphe, le translateur montre que si Saül meurt au champ de bataille il ne s’agit point là de la conséquence d’un défaut de vaillance et de courage mais uniquement de la sanction d’un péché qui lui a fait perdre la faveur de Dieu :
Miels volt en bataille murir
Que garantir sa vie par fuir.
Ceo lui fait faire proeise e bon corage,
Mes pur pecché li avint tel damage,
Pur son mesfait lui avint tel martire.
(v. 8657-8661)43
47S’il arrive aux Hébreux d’être vaincus par les Cananéens,
Ceo fu a dreit car deu orent despiz
(v. 4123)
48Le jugement vient remplacer un simple constat de Josèphe :
iratus est igitur eis deus.
(Antiquitates V, 180)
49Les moralisations figurant à la fin des récits de victoire sont invariablement les mêmes :
Issi set deus ovrer pur ces amiz,
Il est bon pere si nus eimes bonz fiz
Il est bon pere e de bon aire asés,
Gardums qui ne seium fiz forslignees !
(v. 15130-15133)
Si vait seignurs : qui deus volt garantir,
Nel poet esfors de male gent noisir,
Qui en deu ad parfitement fiance
De sa bosoinne ne pot aver noisance !
(v. 8539-8542)
50Conformément à ce que dit ou suggère la Bible, les Cananéens deviennent un instrument entre les mains de Dieu pour punir le peuple infidèle44. Mais le translateur franchit une étape par rapport aux sources en affirmant que l’ennemi entre en guerre parce qu’il connaît l’abandon des lois de Dieu par les Hébreux. C’est ce savoir-là qui préside au déclenchement des hostilités :
Li Cananeu qui sunt gent paenur,
Quant il entendent des fols Hebreus l’errur
E veient qu’il unt la lei Moisen guerpie
Si unt enpris orgoil e lecherie,
Dunt sevent il ben que deus les ad guerpiz
Pur lur pecché e pur lur charnels deliz.
(v. 4114-4119)
51La source n’affirmait rien de tel :
nam dum fuissent a sua conversatione transgressi, ferebantur ad libidinem, ut pro sua viverent voluntate, ita ut imminentibus Chananaeis malis omnibus implerentur. iratus est igitur eis deus et felicitatem quam innumeris laboribus adquisiverunt propter epulas amiserunt.
(Antiquitates V, 179-180)
52Hadad, roi des Edomites revient d’Egypte en Israël pour engager les hostilités contre Salomon au moment où il entend :
[…] de Salamon qui ad vers deu mespris.
(v. 13351)
53Là encore les sources ne disaient rien de tel :
Cumque audisset Adad in Aegypto, dormisse David cum patribus suis, et mortuum esse Ioab principem miliuae
(III Rois XI, 21)
Audiens vero in Aegypto mortem David, pariter et Ioab…
(Antiquitates VIII, 7, p. 235)
54C’est bien la connaissance de l’état de péché des Hébreux qui pousse l’ennemi aux hostilités parce qu’elle crée une situation favorable à son entreprise. Il sera intéressant de comparer les causes invoquées par notre translateur à celles énoncées par Jehan Malkaraume :
[L] i Philistien s’ont assamblé
Lor bataillë et acouplé
Quant il sevent que Saul a
Maladie qui t [r] oublé l’a :
Il lor samble se chiéz chancelle
L’autre manbre t [r] ouble et flaielle.
Pour ce rasamble et si ralie
Icelle gent la lor maignie
Qu [e] il cuident avoir victoire.
(Bible, v. 9836-9844)
55Malkaraume comme l’anonyme à qui nous devons le Poème imaginent une cause aux attaques de l’ennemi45. Mais là où le premier l’établit dans l’état de faiblesse psychologique et physique où se trouve le chef de guerre, le dernier invoque la disgrâce divine que connaissent les Hébreux. La démarche est nettement moralisatrice.
56Si les échecs occasionnels des héros et du peuple juifs dans la conquête et l’occupation de Canaan s’expliquent par des infidélités temporaires qui permettent au translateur de les traiter de mescreans à l’exemple des Cananéens46, combien plus le refus de reconnaître le Christ et la nouvelle loi divine risque-t-il d’entraîner une conséquence identique. Le traducteur relève à maintes reprises l’erreur dans laquelle vivent les Juifs de son temps47 :
Ore sunt li glut manant en fol errur,
Qu’il nostre lei ne gardent ne la lur.
(v. 2436-2437)
Tant avez fait pur l’Ebreus sovent,
Ore vus despisent e vostre commandement.
(v. 6324-6325)48
57Elle est à l’origine de la dépossession de toute terre et de la dispersion :
Tant cum deus les met en plus haut parage
Tant sunt il plus vers lui de mal curage.
Pur ceo sut49 il de tute genz despiz
E de lur terre chaisez e dessaisiz.
(v. 5657-5661)
58Parlant des descendants d’Abraham qui sont ses contemporains, le translateur n’utilise plus que les termes d’Hébreux et de Juifs. L’infidélité a réduit l’ancien peuple uni derrière un chef à l’état de masse où il a rejoint les Cananéens. Si dans l’histoire sainte il est parti à la conquête d’une terre, à présent il en est dépossédé. Les derniers vers cités ne laissent pas de doute à ce sujet et l’on peut se demander s’ils n’esquissent pas déjà le thème bien connu du Juif errant50. D’une certaine façon la condamnation du translateur prend la suite de la malédiction de Yahvé qui tombait sur les Cananéens au début de la Genèse. Les princes, les chefs et les héros juifs ont disparu ou plutôt le véritable héros est ailleurs. Les quelques vers insérés dans le Livre de Ruth, du cru de notre translateur, sont tout à fait significatifs :
En ceste manere, seignurs, Jhesus fu neez
De gent paene e dé vaillanz Hebreus,
Booz ert hebreu des miels de son pais
E Ruth paene e nee des Moabiz.
En cele saison ne fu nul cristien
Ne home en terre fors hebreu e paen :
Pur ceo nasqui Jhesus de ces dous genz
Qu’il volt ambure delivrer de tormenz.
(v. 5366-5373)
59Turment avec peine est l’un des termes qui, dans la langue du texte, signifie souvent les souffrances de la guerre et de l’oppression51. Le Christ est donc libérateur comme l’étaient jadis les Juges d’Israël lorsque le peuple était opprimé par les Cananéens52.
60Le récit des conflits opposant Hébreux et Cananéens sert donc d’illustration à une morale qui veut que les succès soient une récompense divine, les échecs une punition. Elle concerne les assaillants et, par-delà, l’humanité entière puisqu’elle a valeur générale. Si elle profite aux Hébreux dans les récits tirés de l’Ancien Testament, elle se retourne aussi contre eux à l’époque contemporaine du narrateur. Les derniers vers cités et qui étaient empruntés au Livre de Ruth introduisent un léger changement de perspective. Les deux entités massifiées, réunies dans l’erreur et qui représentent la totalité du genre humain, se dépassent elles-mêmes en donnant naissance à Celui qui les libérera d’un autre tourment que celui de la guerre. On quitte un peu le domaine du récit épique et des développements moralisateurs pour effleurer, mais très superficiellement, la question du salut. Encore remarquera-t-on que le translateur se sent obligé d’excuser les origines du Christ, tant l’ambiance contemporaine faite d’anti-judaïsme et de rejet de l’autre devait peser sur lui. Visiblement la théologie de type allégorique n’est pas son objet de prédilection. Il aura suivi le fil de l’histoire biblique en la truffant d’embellissements dont Gaston Paris regrettait tellement l’absence dans la Bible de Macé.
Notes de bas de page
1 Poème anglo-normand sur l’Ancien Testament, éd. Pierre Nobel, deux tomes, Paris, Champion, 1996.
2 Cf. Jean Bonnard, Les traductions de la Bible en vers français au Moyen Age, Paris, 1884, Slatkine Reprints, Genève, 1967, p. 41.
3 Cf. Herman de Valenciennes, Li Romanz de Dieu et de sa Mere d’Herman de Valenciennes, édité par Ina Spiele, Presse Universitaire de Leyde, Leyde, 1975.
4 Gaston Paris, Histoire littéraire de la France, t. XXVIII, 1881, p. 216-217. Il s’agit de la bataille de Gelboé et de la bataille opposant les partisans de Joab et ceux d’Abner (cf. Macé de la Charité, La Bible de Macé de la Charité, III, Rois, éditée par Angélique Marie Louise Prangsma-Hajenius, Leiden, 1970, v. 12024-69 et v. 12212-12273).
5 Jehan Malkaraume, La Bible de Jehan Malkaraume, éditée par J.-R. Smeets, deux tomes, Van Gorcum Assen/Amsterdam, 1978, t. II, v. 9266-9310.
6 La Bible anonyme du Ms. Paris B.N.f.fr. 763, éditée par Julia Charlotte Szirmai, Amsterdam, Rodopi, 1985, v. 6554-6569. Le passage indiqué transpose Nombres XXI, 23-24.
7 Cf. Daniel Madelénat, L’épopée, Paris, Puf, 1986, p. 65 et François Suard, « L’épopée », Grundriss der Romanischen Literaturen des Mittelalters, VIII/1, p. 161-177, p. 174-175.
8 E.P. Goldschmidt and Co., Catalogue 44, Londres, 1937, Lot n° 3.
9 Cf. notre édition du Poème, I, p. 21, note 38.
10 Nous nous sommes servi de la Biblia sacra iuxta Vulgatam Clementinam, éditée par A. Colunga, O.P. et L. Turrado, sexta editio, Biblioteca de Autores cristianos, Madrid, 1982.
11 Elle est livrée par les mss Londres, British Library Royal IC III et Paris BNF fr. 1.
12 Livrée par les mss Paris Arsenal 5211 et BNF nouv. acq. fr. 1404.
13 Le texte des cinq premiers livres des Antiquités judaïques sera cité d’après l’édition de Franz Blatt, The Latin Josephus, The Antiquities : Books I-V, Aarhus & Copenhague, 1958, la suite d’après l’édition Froben parue à Bâle en 1524. Les références à l’édition Blatt indiqueront le Livre des Antiquités et le paragraphe d’où est tirée la citation, les références à l’édition Froben, le Livre, le chapitre et la page.
14 Cf. à ce sujet ce qu’écrit Isidore de Séville : Cananei appellati de Canaan filio Cham quorum terram ludei possiderunt (Etymologies Livre IX, Texte établi, traduit et commenté par Marc Reydellet, Paris, Belles Lettres, 1984, 2, 59).
15 Les occurrences sont données par le Dictionnaire encyclopédique de la Bible, Turnhout, Brepols, 1987, p. 227b.
16 Pur l’estorie ke jo voil abreger (Poème anglo-normand, v. 319). On lira simplement : De Cam vint Cus e pus vint Mesfraim/E puis Nembrot que fu venur d’engin (v. 312-313).
17 Certains de ces peuples comme les Moabites ne figurent pas dans les listes traditionnelles des populations cananéennes de la Bible. Nous nous permettons cependant de les y intégrer dans le sens qu’il s’agit d’ethnies que les Hébreux eurent à affronter au retour en Canaan.
18 Omettant de parler de Canaan, le translateur fait remonter cette malédiction à Cham. Mais c’est bien le premier qui est maudit d’après Genèse IX, 25 et 27 ; X, 15-19.
19 V. 9923, 9461, 4936, 4939, 4977, 9564, 4878, 4199, 4114, 9395-9398.
20 Cf. Daniel Madelénat, op. cit, p. 174 et Robert Lafont, « Pour rendre à l’oc et aux Normands leur dû : genèse et premier développement de l’art épique gallo-roman », Cahiers de Civilisation médiévale, 42, 1999, p. 156.
21 Flavius Josèphe écrit simplement : Moyses autem videns suos perditione compressos, et metuens ne Victoria confidentes inimici et appetentes maiora super eos accédèrent, iudicavit exercitum in desertum procul a Chananaeis educere (Antiquitates IV, 9).
22 Cf. vers 9839-9848 correspondant aux Antiquitates VII, 6, p. 121 ; vers 3762-3767 correspondant à Josué XI, 1.
23 Le passage est traduit des Antiquitates VI, 4, p. 153. Le récit de I Rois XI est différent.
24 On ne lit rien de tel en I Rois XI ni dans les Antiquitates VI, 5, p. 152.
25 Cuius corporis pulchritudinem magnitudinemque miratus, decrevit esse salvandum : non hoc faciens divina voluntate, sed iudicium proprium sequens (VI, 8, p. 159).
26 Le passage sera analysé un peu plus loin.
27 Nahash faisait peu de cas des secours hébreux : Li reis teneit lur sucurs en despist (v. 5928), Agag se propose de mettre en fuite les Hébreux : il les volt aruser (v. 6518), Goliath méprise les Hébreux : Golias qui si se prise,/Qui les Hebreus retat de coardise (v. 6892-6893).
28 Antiquitates VI, 5, p. 153.
29 V. 5993-5999.
30 Antiquitates VII, 3, p. 186 et II Rois, V, 7.
31 Cf. aussi : S’il deu amassent mult fussent bone gent (v. 8447) ; La gent de Syre mult erent combatant,/Ben se defendent encontre Hebreus en champ,/Mes vers la fin vont il multfleblissant/Cum gent paene qui n ‘unt de deu garant (v. 9875-9878).
32 Graphie de fut avec n parasite.
33 François Suard, La Chanson de geste, Paris, puf, 1993, p. 42.
34 V. 4348, 4353, 4419, 4443, 4452, 4459, 5012, 5978, 13256, 13292.
On sait qu’inversement l’appellation Canelius « Cananéens » apparaît dans la Chanson de Roland pour désigner les Sarrazins (voir à ce sujet Joseph Bédier, La Chanson de Roland commentée, Paris, Piazza, p. 50).
35 V. 9571.
36 V.2599.
37 Cf. Tobler-Lommatzsch, Altfranzösisches Wörterbuch IX, 188.
38 Ainsi des Sarrazins nee traduit de gentibus ortam dans la Bible de Macé (cf. La Bible de Macé de la Charité I, Genèse, Exode, volume publié par J.-R. Smeets, Leiden, 1967, v. 3612, voir note au vers).
39 Voir Tobler-Lommatszch, V, 783 et 784 qui donne deux exemples de la traduction des Quatre Livres des Rois où le mot signifie clairement « temple où l’on adore des idoles ».
40 Voir la note au vers dans l’édition du Poème.
41 Le prologue tel qu’il est transmis par le ms. Paris BnF nouv. acq. 1404 les nomme (cf. Le Livre des Juges, Les cinq textes de la version française faite au xiie siècle pour les Chevaliers du Temple, publiés d’après les manuscrits par le Marquis d’Albon, Lyon, 1913, p. 1 et Jaroslav Folda, Crusador Manuscript Illumination at Saint-Jean d’Acre, 1275-1291, Princeton University Press, Princeton, New Jersey, 1976, p. 61). Sur ces templiers voir aussi Marion Melville, La Vie des Templiers, Paris, Gallimard, 1951, p. 79-80. Pour la datation de la translation, cf. Gerald A. Bertin et Alfred Foulet, « The Book of Judges in Old French Prose : The Gardner A. Sage Library Fragment », Romania XC, 1969, p. 122-123 et Jaroslav Folda, op. cit., p. 65, note 105.
42 Cf. à ce sujet ce qu’écrivent G.A. Bertin et A. Foulet, op. cit., 122 : « Since most of the Templars in the field were ignorant of Latin, the translation of this one (warlike) book of the Bible may have been ordered to serve as a manual of military strategy as well as to proclaim the glory of Holy War and to inspire the intrepide soldier-monks with their own worth and the nobility of their mission. »
43 Cf. aussi : Il trespassat le deu commandement,/Pur ceo l’en est avenu malement (v. 8648-8649).
44 Pur lur pecché soffri dune dampnedeus/Que lur vint sure li res des Cananeus (v. 4206-4207) < et tradidit illos Dominus in manus labin regis Chanaan (Juges IV, 2).
45 Cf. la remarque de l’éditeur de la Bible de Jehan Malkaraume aux vers 9646-9648 : « Malk. simplifie le texte de la Vulgate et établit un rapport entre la maladie du roi et l’attaque de l’ennemi. »
46 Cf. v. 2198, 2222.
47 Isidore l’a écrit : le Juif par son nom est celui « qui confesse » la vérité divine : ludaei confessores interpretantur. Multos enim ex his sequitur confessio, quos antea perfidia possidebat. Hebraei transitores dicuntur. Quo nomine admonentur ut de peioribus ad meliora transeant, et pristinos errores relinquant (Etymologies, éd. W.M. Lindsay, Oxford, 1911, VIII, 4). Il est donc devenu infidèle à son nom même. Sur l’image médiévale du Juif, cf. les pages éclairantes de Gilbert Dahan, Les intellectuels chrétiens et les Juifs au Moyen Age, Paris, Cerf, 1990, p. 512-520.
48 Cf. en outre v. 2658-2659 : Tant avez, deus, pur les Hebreus ovré,/Dunt a la fin vus sevent poi de gré !
49 Graphie pour sunt avec n implosif amuï.
50 G. Dahan, op. cit., p. 520, en trouve les premiers témoignages au xiiie siècle.
51 Dunt soffri deus paens e Cananeus/Venir sur eus ovoc les Filisteus,/Il les destruient sanz esparnisement,/Riches e povres livrent il a forment (v. 4420-4423), cf. aussi v. 3520.
52 Sur ce rôle du Christ, cf. aussi v. 15139 : Ceo est Jhesus qui out Marie a mere, […] Quinus getat de peine e de torment.
Auteur
Université de Franche-Comté
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