Li garçonnés petis : l’enfant et le saint dans Anseÿs de Mes
p. 123-139
Texte intégral
... Mörder sind
leicht einzusehen. Aber dies : den Tod, den ganzen Tod, noch vor dem leben so sanft zu enthalten und nich bös zu sein, ist unbeschreiblich.
Rilke, Die vierte Elegie.
1Hors des « Enfances » constituées comme domaine épique particulier, l’enfant est rare dans les chansons de geste ; encore ces poèmes, dictés a posteriori par l’ambition cyclique, sont-ils plutôt des récits de jeunesse que de prime enfance. Lorsque celle-ci paraît, c’est presque toujours tragiquement, fauchée dans sa fleur et foulée par la violence : ainsi du petit Thierry assassiné dans Girart de Roussillon1, ainsi de Fromondin massacrant ses propres neveux dans Gerbert de Mes2, ainsi, moins cruellement mais non sans inquiètes résonances, de Renaut de Montauban repoussant durement ses fils, coupables malgré eux d’être par leur mère issus du même lignage que le fourbe roi Yon3. Le cas qui nous occupe ici est à la fois proche et différent : quoi qu’il en sorte indemne, l’enfant y est profondément immergé dans la tragédie ; sans en être la victime, il en est marqué à jamais, il en est le témoin pour toujours. C’est là, sur le plan de la diégèse, son essentielle fonction : présent lors du meurtre de Bauche, il est le premier à l’annoncer au monde et à désigner le coupable subjectif, fondant en cela la longue mémoire populaire et ecclésiale de ce qui ne peut apparaître que comme un martyre. Notons d’emblée que parallèlement à cet immédiat témoignage des larmes circule un farouche témoin de sang : le cœur même du saint, porté par le meurtrier en personne jusque dans le sanctuaire lignager, ce palais des fastes de famille où s’enchâssent les rancunes inexpiables4. Mémoire de piété et mémoire de vengeance cheminent ainsi simultanément en des voies inverses : le même acte engendre à la fois la naissance d’un culte et le surcroît d’une haine ancestrale ; à la mouvance aristocratique et guerrière s’adresse le hideux trophée, à la foi des pèlerins de l’avenir se tend déjà la parole pure que l’on imagine longuement répétée, nodule fondateur d’une probable hagiographie. Pour demeurer hors du champ de l’œuvre, celle-ci n’en est pas moins prévisible et colore jusqu’à un certain point le récit de l’événement lui-même.
2Doublement nécessaire à la narration s’avère ainsi la présence de l’enfant : il est le porteur de ce verbe qui authentifie le constat des faits et sans lequel l’action épique semble n’être jamais complète, il est l’humble et premier émetteur de ce discours de l’après dont les chansons de geste ne sauraient se dispenser pour ancrer la senefiance des actes, même si, dans le tourbillon noir des Lorrains, celle-ci se consume dans la globale non-signifiance d’un monde désespéré. Il est aussi et surtout celui qui d’un mot accusateur jette sur Anseÿs l’opprobre dont il ne se relèvera plus et qui le poursuivra jusqu’à la triste fin du poème (laisse CLXXXVII, v. 9522) :
L’enfes respont, « Anseÿs est nommez5 ».
3Qu’importe qu’au dernier moment, ce « héros » incertain ait hésité devant le crime et tenté de l’empêcher6 ? Ces trois mots rouleront toujours dans les mémoires, pesant à son vrai poids une responsabilité accablante, démasquant sous les traits d’un prince bien falot pour son rôle-titre une âme torve obsédée par la plus absurde des vindictes, celle qui s’acharne contre ce Bauche depuis longtemps mort au monde et déjà presque à lui-même.
4Mais la présence du garçonnés petis a d’autres fonctions encore qui, pour être plus ténues et moins évidentes, n’en importent pas moins à la cruelle beauté de la page. Elle rend plus criminelle encore l’entreprise de ces guerriers, menant une véritable opération de commando contre le frêle logis qui n’abrite qu’un vieil homme rompu de jeûnes et un enfant sans défense. En cette sorte de redoublement des figures de l’innocence se dessine un contraste renforcé avec un déploiement d’armes hors de saison et hors de propos : l’ermitage, le reclus7 et son petit servant, tout cela trace une sphère de retraite, de silence et de paix et dit aussi la calme ordonnance de jours tous pareils donnés à la prière et à la contemplation, en ce « moniage Bauche » formant le seul épisode de lumière d’un poème qui pour le reste écrit le cœur des ténèbres. Cela aussi devait être violé et profané, le saint pourfendu et l’enfant pour toujours aveuglé d’une ineffaçable image de sang : belle et forte est la tension ici créée entre l’orbe étroit de la retraite et le vacarme du monde qui semble s’attacher au pas des intrus.
5Cette épiphanie de l’innocence outragée dans les deux personnes qui pouvaient le mieux l’incarner n’est pas une simple péripétie au sein d’un récit foisonnant d’iniquités : elle en est au contraire l’une des clés, tant en ce qui regarde la structuration diégétique qu’en terme de signification profonde. De ce meurtre sordide dépend toute la dernière partie, la chasse sans merci donnée à Anseÿs, prince d’Aquitaine aux tours peu à peu abolies, et ce piétinement des purs par les violents pose la question centrale du poème, celles des voies énigmatiques de la volonté divine8. Singulièrement absent au ciel du Garin et du Gerbert, Dieu reparaît dans Anseÿs, mais c’est bien plutôt le Dieu vengeur de l’Ancienne Loi que le Dieu d’amour de l’Evangile : la grande page centrale de l’œuvre, la catastrophe où périt la coupable reine Blanchefleur, la coupe de feu versée sur le royaume de France9, ne connaît ni justes ni réprouvés, comme s’il n’était plus de purs dans la nouvelle Sodome, comme si le péché du roi vouait à l’abîme son peuple tout entier, sans distinction ni nuance. De même, Dieu permet que soit mis à mort son serviteur, et envahis d’horreur les yeux clairs de l’enfance : nulle part sans doute, à travers l’épopée, n’est aussi grand qu’en ce chant de désespoir le mystère du Seigneur.
6En ce monde ultime des Lorrains où se perd entièrement le sens du juste et de l’injuste, où s’oblitère le sentiment du droit, où tous ont tort, quoi qu’ils fassent, irrémédiablement, l’innocence ne semble plus fleurir qu’en ces deux êtres, le saint et l’enfant, dans leurs puretés inverses et rejointes : celle de Bauche, qui est conquise, celle du garçonnet, qui est native ; l’une toute de prime nature, l’autre toute d’effort et d’arrachement volontaire au monde des guerriers, puis de retrait par rapport à l’univers trop douillet des clercs10. A cela aussi, l’enfant est nécessaire, en cela encore il fait sens, en permettant par sa présence le rapprochement en un même lieu élu des extrémités de la vie, l’une vierge encore et sans empreinte, l’autre recrue d’expériences et d’épreuves, vouée au repentir et au rachat11, revenue du sang et des ors de ce monde pour se résorber dans la contemplation de l’ineffable12. Plastiquement même, dans l’ardente visualisation latente que tend toujours à son public l’art de l’épopée, il introduit dans l’implicite du texte un contraste éloquent entre le visage de l’ascète épuisé de macérations et les joues lisses du jeune âge, comme si souvent saura plus tard le ménager l’art sacré en rapprochant le corps éprouvé et comme consumé des saints, et l’immarcescible éclat des anges.
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7Silhouette fugace que celle-là, figure d’arrière-plan sans doute, mais non sans poids ni portée ; cette éphémère présence n’est pas celle du simple figurant d’une vignette marginale, et son cri retentit assez durablement dans l’espace du poème pour en infléchir la trajectoire mémorielle. Si le texte se tait sur son avenir et en fait par là même une figure du possible, il ne manque pas de lester l’enfant non certes d’un passé, mais bien d’une origine : ce petit servant, ce clergeon, ou plutôt ce disciple, est issu d’une lignée princière et d’autant plus ouverte à l’imaginaire des grandeurs qu’elle demeure anonyme. En tout cela qui est si bref se révèle pourtant une délicate pondération entre le dit et le non-dit, qui certes réduit le personnage à sa stricte efficience narrative et symbolique, mais le dote en même temps d’une épaisseur véritable. Voué à être le précellent témoin du drame, il apparaît dans le récit au moment où, d’avance, celui-ci est déjà joué, lorsque les violents surgissent à l’ermitage et en déchirent le silence recueilli (laisse CLXXXIV, vv. 9384-9396) :
Laianz avoit quatre estalons enpris.
Cler i voit on con ce fust mie dis.
Aveques Bauche maint uns garçons petis,
Filz fu d’un prince de France le païs.
Onques por pere ne por charnel ami
Ne le vout il laissier tant con fust vis.
Quant il veust riens tantost li a porquis.
Quant il voit ceus c’en fu toz esbaubis.
N’en connut nus, por ce fu esmaris.
Bauches estoit devant le cruscefis.
Orison dit tel comm’il ot apris ;
Es ces vos ciaus, traiz les branz acerins.
Tuit li escrient, « Bauches, tu es ocis ! »
8Rare nocturne, dans un domaine épique qui ne les prodigue point, scène superbe que le regard moderne visualise volontiers selon les accents du ténébrisme d’un Caravage ou d’un La Tour, page toute construite sur l’antithèse : la lumière des torches s’y oppose à l’obscurité qu’elles paraissent repousser, mais d’où surgit pourtant la sinistre troupe, ces dix hommes13 que leur nombre même accuse, dix lâches pour occire le plus désarmé des hommes. A cet éloquent contraste du nombre se joignent les antagonismes non moins violents marqués entre la mutité de l’heure où psalmodiait à peine la voix sainte et le dérisoire cri de guerre, en outre le pieux murmure de la laus perennis et ce fracas de soudards, entre l’immobilité extatique du reclus et le geste de mort déjà prêt des branz acerins luisant à nu au dessus de sa tête. Tout martyre est une imitatio Christi, une reviviscence de la passion : celui de Bauche, surpris au moment où il s’abîmait dans la contemplation du crucifix, se place dans cette immense perspective du salut où la longue théorie des saints remonte le flux du temps et des âges pour se baigner au sang même du Rédempteur.
9En tout cela, l’enfant n’est qu’un regard dilaté par la stupeur, dans un étonnement de tout l’être qui n’est même pas encore une frayeur. Premier maillon de la chaîne hagiographique qui se forgera en sa parole, il est essentiel qu’il voie, il est fondateur qu’il crie, lorsque le moment en sera venu : pour l’heure, toz esbaubis, son rôle est purement muet : il n’est qu’une vision déchirée, une mémoire grande ouverte où s’écrit l’inexpiable. Il se taira de même, souffle retenu, pendant le suspens inattendu, la pause singulière qui va ensuite immobiliser l’action pour le reste de la nuit. La structuration de la scène est telle que ce regard d’enfance devient comme la projection au sein du texte de celui du public, dont il est le relais et comme l’impuissant intercesseur. Son attente médiatise la nôtre, sa conscience nous prolonge en même temps qu’elle nous anticipe : il n’est pas un figurant, il est notre figure même transportée par la puissance de l’écriture au cœur du prononcé poétique. Tout d’immobile attente, il est le porteur de notre écoute ; mémoire en acte, il est déjà son récit à venir ; silencieux, il est déjà la voix qui dénoncera le crime.
10La plus belle idée de cette page inspirée est peut-être de différer le geste fatal, de prolonger jusqu’à l’aube la tension textuelle, de l’accroître encore de l’aigu d’un espoir, et de permettre à Bauche d’achever son oraison avant de manifester une suprême et sublime charité. Pour son serviteur, Dieu fait un miracle qui tend à la folie des hommes la proposition du repentir, la grâce de pouvoir au dernier moment tourner vers le bien une liberté encore entière : en cette longue fin de la nuit, tout est encore possible à tous, à Bauche comme à ses bourreaux ; l’un fait le choix de paix et d’amour, les autres celui du péché et de la mort. Au seuil de l’acte, Anseÿs recule, à temps pour sauver son âme d’une entière noirceur, trop tard pour retenir les forces de haine qu’il a déchaînées et qui le feront malgré tout coupable. Tout est noir dans ce poème où les miracles de Dieu demeurent sans réponse des hommes14, où la repentance même retombe sans efficace au cœur d’un « héros » brouillon et médiocre qui n’aura jamais su se saisir de son destin, où le désir de vengeance submerge et la foi et la plus élémentaire raison. Il faut tout l’aveuglement des yeux de chair pour ne pas voir que Bauche l’ermite n’est plus celui qui menait son lignage à la bataille, qu’il a trouvé grâce devant Dieu et que tout est acquitté. Combien sonnent faux en cette heure et en ce heu les paroles de la haine (ibid., vv. 9399-9406) :
Bauches l’entent, si gita deus sopirs.
Par devers aus a retorné son vis,
Si lor demande, « Qui estes vos, amis ? »
« Sire, on m’apelle en Gascoigne Anseÿs.
Por la venjance ving ça de mes amis
Que vos lignage et vos avez ocis.
Or est li eure qu’an gerez mors souvins.
Mes priez Dieu qui de vos ait mercis ».
11Immense est l’écart entre le Dieu de Bauche et celui d’Anseÿs, purement formel et formulaire, tel qu’en cette plate et répétitive clausule il s’avère, comme s’il était bon, devant la mort et devant le sacré, d’user d’une forme de politesse propre à dissoudre la culpabilité. C’est bien cette sorte de croyance tiède et convenue qui a cours dans le Garin et dans le Gerbert ; l’air raréfié de ce poème ultime exige plus et mieux, et ne le trouve que dans la prière de Bauche et dans le regard de l’enfant.
12Il eût été simple et banal d’enchaîner directement la mort à ce discours ; il est beau au contraire d’en suspendre la venue, de ménager le temps et l’espace d’un miracle qui pour quelques heures rouvre tout le possible, mais demeure pourtant inutile et, si l’on ose dire, impuissant : Dieu propose et ne dispose point, et le mystère de la réversibilité demeure entière énigme, puisque, malgré le don réitéré, miracle de colère de la grande marisson de tout le royaume foudroyé15 et miracle de douceur éclos dans l’intime de cette nuit de l’ermitage, le mal ne cesse de l’emporter, et que la punition même des meurtriers passe par les piètres chemins des hommes16. Rien de singulier comme le sommeil qui surprend les bourreaux aux côtés de leur victime, cette ombre divine qui la dérobe à leurs coups (ibid., vv. 9407-9415) :
« Dieus, » ce dist Bauches, « qui en la crois fu mis
Me desfende lui des cuvers antecris
D’enfer le noir dont Dieus gart mes amis.
Pardonnez moi ce je le vos meffis. »
Bati sa corpe, des maus est repentis,
Trestot plorant que bien les a oïs.
Et grans miracles i a fet Jhesu Cris,
Qu’andormis est el monstier Anseÿs,
Il et ci home sont endormi toz dis.
13Voilà la paix refaite, le silence restauré avant le geste de parfaite charité : Bauche le guerrier eût donné ou fait donner l’alarme17 ; Bauche le saint, à l’aube, éveille doucement ses meurtriers (ibid., vv. 9417-9420) :
Se vousist Bauches trestot dis fussent pris.
Mais il ne vout que nus i fust mal mis,
Ainz esvilla le varlet Anseÿs,
Se li dist : « Sire, que ne soies sozpris. »
14Superbe économie de parole en ce vers, qui s’accorde à merveille à la discrétion subtile de l’orchestration épique dans tout le passage ; les sonorités assourdies, les phrases courtes et toutes factuelles, le retrait du narrateur derrière la force des images qu’il suscite y tissent un réseau d’autant plus prenant qu’il est plus avare d’effets. L’infléchissement hagiographique du discours passe, un peu comme dans le miracle terminal de Girart de Roussillon18, par une écriture blanche et tout en mineur pour trouver son lieu textuel, comme dans le Girart encore, dans une poétique de la nuit et des lueurs qui la traversent. Tout autre, il est vrai, en est l’aboutissement, couronne de sens dans un cas, et dans l’autre dévoilement de l’absurde.
15Tant de magnanimité touche Anseÿs ; l’aura déjà surnaturelle qui rayonne de ces mots si simples et qui semblent pourtant, en leur grandeur, émaner d’au-delà de la vie, trouvent le chemin de ce cœur dur. Il ordonne la retraite, désarmé par la grâce qui enfin l’effleure sans pouvoir le sauver. Cet instant insigne où le seul verbe du saint détourne la main de fer du bellator est tranché net, avec une belle fulgurance du vers, par le cruel Alori, sourd à la voix de Dieu comme à celle de son suzerain dont, sans doute, semblable à tel meurtrier shakespearien19, il croit accomphr la véritable volonté, démêlée de ce qui lui semble une hésitation vaine, une oiseuse équivoque, non un entier revirement inaccessible à la machine à tuer en quoi il se résume (ibid., vv. 9423-9430) :
« Alons nos en, signor ! » dist Anseÿs,
« Si laissons Bauche que trop est Dieu amis.
Ne le ferroie qui me donroit Paris.
De lui mal faire ne seroit pas porfis. »
Ja s’en alassent que il ne fust mal mis
Quant uns traites saut avant, Aloris.
Trait le coutel, si le feri ou pis.
Coupe le bu, la coraille autreci.
16Voilà revenus les mots mêmes de la bataille, son horrible gestuelle, et son tranchant rapace, les uns comme les autres hideusement déplacés en cette heure qui eût dû être toute d’éveil. Il est trop tard, désormais, pour que la longue fin du poème puisse être autre chose qu’un nouveau déluge de vengeresses violences20. Dieu paraît encore en un signe, mais ce n’est plus pour dessiller les regards humains à qui il se dérobe désormais, c’est pour recevoir le saint dans le ciel et le couronner d’une lumière dont la radiance cloue au sol les coupables ; à eux la terre, rien que la terre en ses sombres chemins (ibid., vv. 9431-9436) :
Bauches chiet mors, et li saint esperis
I envoia ses anges beneïs
Que l’ame en portent la sus en paradis.
De la clarté est chacuns poëris.
Dist Anseÿs, « Ja sui je pecheïs
Quant par ma corpe est cis prodons ocis. »
17En tout cela, l’enfant est demeuré le témoin muet qu’il était au début de la séquence : la mort même de son maître le laisse sans voix, dans une stupeur prolongée dont il ne sortira que devant ce surcroît d’horreur, l’odieuse éviscération que va commettre encore Alori, alors que tous, pourtant, veulent partir au plus vite. Ce n’est qu’à la vue du cœur arraché de celui qu’il aimait qu’il trouve la force du cri et les gestes d’une résistance aussi tardive que désespérée. Il y aurait ample matière à réflexion en cette morbide ostension du cœur, qui a d’autres occurrences épiques21 ; elles excéderaient notre propos : seul importe ici son impact sur le petit garçon et son étrange valeur de déliement qui rompt le mutisme et déchire l’immobilité, comme si cet au-delà du meurtre, et cet au-delà seulement, ouvrait dans l’enfant l’abîme d’une conscience elle aussi mutilée, et l’intériorisation de l’essence même de la mort.
18Comme celui de Raoul de Cambrai, et peut-être sous l’influence de ce poème, le cœur de Bauche est énorme : selon une conception qui apparaît en plusieurs lieux de la littérature médiévale22, la taille de l’organe de vie est gage de valeur, de prouesse et de furor ; elle est ici, chez le saint, un reste tangible du héros, l’ultime témoin en ce corps décharné23 de ce que fut le grand guerrier de la première partie. Si elle était chez Raoul mesure d’une démesure, elle est ici exempte de toute connotation négative et désigne sans ambiguïté l’excellence de celui qui sut trouver tour à tour, en ses deux âges successifs, les chemins de perfection du guerrier équitable et du pénitent habité de Dieu. Le cœur du reclus est ainsi aux mains d’Alori une relique par avance profanée (ibid., vv. 9443-9446) :
« Ainçois arai le cuer qu’il a el pis. »
Le cuer li oste qui fu gros et fornis.
Plus l’avoit gros que bués et que roncins.
Bien l’envelope estroit en un samins.
19Cet enveloppement de soierie est à la fois un hommage et un implicite sacrilège : ainsi en usait-on à l’égard des corps saints24, et le geste du tueur, complexe en ses racines, est à la fois un honneur ambigu rendu à l’ennemi mort et le détournement impie d’un latent attribut sacral. Il atteste la totale et persistante incompréhension où sont ces hommes durs devant les métamorphoses de la vie intérieure, et leur obstination à voir en Bauche ce que depuis longtemps il n’était plus : ce cœur promis aux châsses ne leur est qu’un trophée, instrument de vengeance et signe de défi25.
20Devant le scandale de cette atteinte portée à l’intégrité du corps du maître, l’enfant si longtemps silencieux et immobile n’est plus que stridence et rage convulsive, unissant en une seule véhémence explosive et la colère énorme des très jeunes et le geste de guerre de l’adulte futur : le voilà bondissant et hurlant, tout en voix, tout en mouvements désordonnés et furieux. Ce que n’avait pu faire l’éclair du meurtre jaillit au spectacle insoutenable de la mutilation posthume, blessure si forte pour l’âme du petit disciple qu’elle paraît la rompre en une pluralité déchaînée, comme si l’éradication du suprême signe identitaire parachevait seule et surpassait la mort, pour la faire entrer entière dans la béance de son regard et la transmuer en celle du cri (ibid., vv. 9449-9456) :
Et quant le voit li garçonnés petis
Qui servoit Bauche et par nuit et par dis
Si a geté en haut deus si haus cris,
Toz en resonne li bos et li larris.
Vers Alori est maintenant guenchis.
Tient une clef si l’en feri el vis
Si roidement que jus il est cheïs.
Ja l’eüst mort quant Alori salli.
21Bon sang épique ne saurait mentir, dira-t-on, si l’on veut lire positivement l’avenir possible de l’enfant. Mais n’est-ce pas horreur insigne que de révéler à elle-même une violence qui s’ignorait, que de faire entrer si tôt ce petit vivant dans le cercle du sang, de lui en faire déjà éprouver et l’urgence et l’appel, d’entraîner l’innocence dans le pourpre ressac des haines et des vindictes ? C’est aussi ce scandale là que clame le double cri roulant par li bos et li larris. De ce dévoiement, le détournement de l’objet domestique, la clef dont l’enfant frappe Alori, est un signe secondaire mais non indifférent : il dit la maison sans armes, les jours lents de la paix, la porte bénie de l’humble sanctuaire, tout ce qui fut le pieux quotidien du maître et du disciple, tout ce qui vient de s’inverser en un désordre majuscule et sans remède.
22Ce qui suit est tristement prévisible : l’enfant battu et lié, la fuite précipitée, le silence retombé, les lâches se sentant sans doute à peu de frais charitables d’avoir épargné la jeune vie qu’ils viennent d’éclabousser de sang et de deuil, le témoin laissé pour la mémoire du saint et le devenir du poème (ibid., vv. 9458-9460) :
L’enfant aerdent, batus fu et laidis.
Ne s’en meüst qui li donnast Paris,
De deus chevestre l’ont si loé et pris.
23Un jour navrant se lève sur un spectacle dont le trouvère souligne crûment l’abjection, dans le double désastre du lieu saint violé et du corps éventré, où Bauche est comme mort deux fois, en son être de chair et en sa mission terrestre que spatialisait l’ermitage (laisse CLXXXVI, vv. 9488-9490) :
Li jors esclaire, solaus est aparus.
En l’ermitage est Bauches remainsus,
Trestoz envers comme porciaus fendus.
24Animalisé et presque réifié, ce corps pantelant s’inscrit dans la longue chaîne de morbidité qui traverse l’ensemble des Lorrains ; il en dit une fois encore l’obsessive physiologie et la lourde prégnance chamelle26. En cette occurrence spécifique, il signifie plus encore : puissant memento mori et cruelle vérification de ce qu’est la chair privée d’âme, il est le dernier degré de la voie d’humilité que Bauche aura jusqu’au bout parcourue, en même temps que l’appel muet au châtiment céleste (ibid., vv. 9491-9495) :
De tel afere ce coreça Jhesus,
Nostre chier peres, li sires de lasus
Qui demonstra miracles et vertus,
Que de toz ceus dont Bauche fu ferus
N’en eschapa ainz que l’an fust venus.
25Ainsi crie vers le ciel le sang des martyrs, ainsi la guerre humaine devient t-elle l’instrument de la colère de Dieu, avec tout ce que suppose d’intense pessimisme une telle conception, comme si ces sombres épousailles du vouloir divin et de la violence des hommes parachevaient l’enfermement des destinées dans le cadre d’un monde sans issue ni échappée, cloué à terre sous le ciel clos.
26De cette condamnation au côtoiement du mal, de cette impossibilité de trouver jamais les chemins de l’ouvert, l’enfant lié et, malgré tout son effort, incapable de se libérer, dessine le vivant symbole, la figure révélatrice et le secret modèle. Les fers du petit garçon sont l’image même des liens de la chair, et il est plus poignant encore qu’il s’en faille de peu qu’il n’y soit derompus : toujours, en ce poème, un manque persiste et s’indure qui de tous côtés menace l’être, un déficit ontologique s’accroît que rien ne peut suppléer (ibid., vv. 9500-9502) :
Tant c’est la nuit li garçons debatus
Et devoutrez, sachiés, et estendus
Que por un pou qu’il n’est toz derompus.
27L’enfant demeure rivé à son carcan, en proie à la terreur, dans la Visitation de voix étranges dont on sait si elles sont l’émanation des ténèbres ou le chœur même des anges. Il est une grande force d’incantation poétique dans l’indétermination que le texte laisse planer autour de ces chanz venus de nulle part et qui, quelle qu’en soit l’origine, accablent de terreur l’enfant affronté à l’inconnaissable (ibid., vv. 9503-9507) :
Son signor vit qui est mors estendus
Et ot les chanz dont il fu porseüs
Et porchantez, si n’en a nus veüs.
Tel hide en ot, que ne pot avoir plus
Que por un pou qu’il n’est du senz issus.
28Grand art, ici encore, en ce contraste entre la si réaliste gesticulation de celui qui vainement se tord dans ses liens et l’énigme métaphysique de ce son immatériel, dont on ne sait s’il est le chant noir de la terre repue de sang et d’entrailles, ou l’harmonie des sphères ouraniennes saluant l’âme de Bauche radieuse d’y être élevée ; voix blêmes des limbes, plaintes du corps en peine, ou jubilation de l’accès à la chevalerie célestielle ? Le vers se referme sur sa puissante involution et la densité de son ellipse où s’inscrivent en abyme, chant dans le chant, au cœur d’un texte dont se dérobe le sens retors, l’incertitude semée par le poète en sa propre parole, le vacillement de la perception du témoin, le doute nocturne laissé à l’enfant de mémoire. Si ces voix sont célestes, selon la lecture la plus vraisemblable, l’horreur suprême est bien qu’il les puisse méconnaître au point de les recevoir, dans l’extrême de son trouble et dans la conscience traumatique ouverte au cœur de son être, comme un surcroît d’épouvante, comme une autre agonie.
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29Si lourdes qu’y soient les nuits dans l’infructueuse convulsion des signes, il est toujours un lendemain en ce poème qui semble ne pouvoir pas finir, et dont la conclusion sera encore l’ouverture d’un après27, promis lui aussi à l’amertume et aux ressassements d’une féodalité bloquée qui semble ne pouvoir plus que bégayer ses haines. Comme il revenait après les ténèbres de la marisson, le jour reparaît après la mort de Bauche ; tout, dans la clarté rendue qui dissipe en paroles factuelles les vraies questions, se ramène à la seule que puissent poser ici des voix trop humaines : qui a tué Bauche ? Tout s’oublie de ce problème plus essentiel : comment a-t-il été permis qu’il le fût ? On sait la réponse de l’enfant : « Anseÿs est nommez » ; elle est à la fois toute naturelle et fort singulière, posant à sa manière le problème complexe du flottement que si souvent introduit dans l’écriture épique le récit dans le récit, remémoration biaisée et parole truquée, tel par exemple que l’illustrent ces messagers et ces ambassadeurs qui semblent déformer à plaisir l’objet de leur mission et les faits qui s’y rapportent28. C’est précisément Anseÿs qui, in extremis, se refusait au contraire à achever l’acte qu’il avait de si longue main préparé : la voix de l’enfant et sa mémoire troublée désignent certes, logiquement, le seul qui en sa présence se fût nommé ; plus profondément et sans en rien le comprendre clairement, elles dénoncent à juste titre le péché d’intention, faisant du demi-innocent un éternel coupable et le frustrant du bénéfice de son impuissant repentir. S’il n’a pas été tué par la main d’Anseÿs, Bauche a péri par le prolongement d’un vouloir qu’Alori actualisait au-delà de lui-même, au moment où il ne pouvait plus être mis fin que dans sa consommation au rituel de la mise à mort. La négativité acharnée de l’œuvre veut ainsi que le récit de celui dont la fonction narrative première est justement de témoigner soit lacunaire et faussé, que la parole qui lui incombe procède d’une mémoire décalée, fidèle certes à l’essence des faits, mais gauchissant pourtant la trame de leur réalisation, l’orientant sur la pente fatale de l’auto-engendrement de la guerre par la guerre, et du sang par le sang.
30Lorsque, quelque temps plus tard, le comte Baudouin, fils de Bauche, se rend sur les lieux, l’enfant est auprès de la tombe et comme fixé à elle, veillant encore celui qu’il aimait, fidèle par-delà la mort à sa mission, premier desservant du culte du saint dont il avait été le dernier serviteur terrestre (laisses CCV et CCVI, vv. 10285-10287 et 10291-10292) :
En la chapelle ont la tombe trovee
Et le garçon qui sa vie ot amee
Qui le servoit et soir et matinee.
…
Le garçon trueve que Bauche avoit chier.
Tant l’ot amé c’onques nel voit laissier.
31A l’oiseuse question du comte, il répond avec un aplomb et un bon sens qui révèlent, en cette figure du silence et du cri, une parole sagace, toute d’enfance désarmée, mais où se retrouve pourtant l’ire pugnace du petit furieux frappant Alori de sa clef (ibid., vv. 10294-10299) :
« Por coi laissas mon pere detrenchier ? »
« Certes, biaus sire, que ne li poi aidier.
Mais se je fusse si fors con Berengiers,
Vostre parent que je voi la lermoier.
Ja ne s’en fust uns seuls alez entiers. »
Bauduins l’ot, cel corut embracier.
32Voilà son sort scellé : Baudoin, conquis, le dotera largement ; le petit cadet sera chasé29 et l’on peut deviner, hélas, là où le texte se tait, qu’il rejoindra comme tant d’autres le dur métier de sang du bellator, recommençant ce chemin que lentement et durement Bauche avait dû désapprendre : le disciple n’est jamais dispensé de l’expérience des faits. L’enfant est ainsi agrégé au monde des adultes et fermement intégré au corps social : qu’assigner de mieux à son destin, si du moins on le mesure à l’aune des choses de ce monde ? Les hommes de guerre ne savent donner que des armes à brandir et des terres à défendre ; tout autres étaient les dons immatériels de l’homme de Dieu : on veut croire, timidement, que le garçonnés petis ne les aura pas trop tôt oubliés...
Notes de bas de page
1 Laisse 623 de l’édition de W. Mary Hackett, Paris, S.A.T.F., 1953-1955, reproduite en regard de la traduction de Micheline de Combarieu du Grès et Gérard Gouiran dans le volume bilingue de la collection « Lettres gothiques », Paris, 1993.
2 Laisse 309, vv. 13670-13700 de l’édition de Pauline Taylor, Lille-Louvain-Namur, 1952.
3 Laisse 172, vv. 8243-8248 de l’édition du manuscrit Douce procurée par Jacques Thomas, Genève, 1989. Sur l’enfant et l’enfance au Moyen Age, voir notamment L’enfant au Moyen Age. Actes du Colloque du cuer ma, 1980, Senefiance, n° 9, Aix-en-Provence, 1980 ; Pierre Riché et Danièle Alexandre-Bidon, L’Enfance au Moyen Age, Paris, 1994 ; Les Relations de parenté dans le monde médiéval, actes du colloque du cuer ma, mars 1989, Senefiance n° 26, Aix-en-Provence, 1989. Le rôle du disciple de Bauche n’est pas sans quelque rapport – à d’assez grandes nuances près – avec celui que tient courageusement le petit Girart, fils d’Ami, qui veille sur son père devenu lépreux et abandonné de tous ; voir les laisses 113-116 de l’édition d’Ami et Amile par Peter F. Dembowski, Paris, C.F.M.A., 1969 et rééd.
4 Tel est du moins le projet d’Alori (laisse CLXXXV, vv. 9443-9444) :
« Ainçois arai le cuer qu’il a el pis.
Sel porterai a Berengier le gris. »
Les circonstances et la providence modifient quelque peu le déroulement de son arrivée à Boulogne (laisses CXCI-CC), mais le trophée macabre atteint bien sa destination et son destinataire.
5 Sur l’ambiguïté de cette réponse, voir infra. Nous citons le texte dans l’édition de Herman J. Green, Paris, 1939.
6 Voiries paroles lucides de Gauthier d’Arras, laisse CLXXXVIII, vv. 9532-9533) :
« Las ! » dis Gautiers, « ci a moult povres mos
De l’orne ociere qui estoit presque mon. »
7 Ce mot, qui indique un statut et une pratique quelque peu différents de ceux d’un ermite et de plus extrêmes macérations, est employé au vers 9091. Le site choisi, defors Arras (ibid.), correspond aux emplacements urbains ou périurbains généralement élus pour les reclusoirs. Dans la suite, le texte parle cependant toujours d’ermitage, et l’isolement que laisse entendre le contexte se rattache à l’usuelle topique de ces lieux dans l’épopée.
8 On ne peut que citer ici les vers de la conclusion du poème, en leur terrible et abyssale résonance (laisse CCCXXI, v. 14532-14535) :
Car la haïne dure ancor, par verté
Et duera toz jors en ireté,
Car nostre Sires l’a ainsi destiné,
Si l’estuet estre puis qu’il li vient a gré.
9 Laisse CVIII-CIX ; sur ce passage, voir notre article, « L’architecture du désastre dans Anseÿs de Mes », dans les Travaux de littérature, 11, 1998.
10 En un cheminement qui n’est pas sans un certain rapport avec celui du Montage Guillaume, Bauche se fait d’abord moine à Saint-Vaast d’Arras, qu’il quitte rapidement, faute d’y trouver la rigueur qu’il y cherchait (laisse CLXXVII, v. 9091) :
Trop avoit d’aisse, de mesaisse velt plus.
Les vers qui précèdent sont une critique explicite de la vie relâchée des moines « modernes », indignes de ceux du « passé », déjà formulée en d’autres circonstances aux vv. 5034-5043.
11 Sur la carrière guerrière et l’itinéraire spirituel de Bauche, voir les articles de Jean Subrenat, « Bauches li cors, comte, ermite et martyr », dans La Geste des Lorrains. Actes du colloque de Nanterre, 16-17 novembre 1990. Etudes présentées et réunies par François Suard, Littérales n° 10, Université de Paris X-Nanterre, 1992, pp. 189-200, et, dans la direction de notre note précédente, « Moines mesquins et saint chevalier. A propos du Moniage de Guillaume », dans Mélanges Jeanne Whatelet-Willem, Liège, 1978, pp. 643-665, ainsi que l’article de Micheline de Combarieu du Grès, « Ermitages épiques (de Guillaume et de quelques autres », dans Les chansons de geste du cycle de Guillaume d’Orange, III. Les Moniages – Guibourc. Hommage à Jean Frappier, Paris, 1983, pp. 143-180 ; voir également Jean Batany, « Les moniages et la satire des moines au xie et xiie siècles », ibid., pp. 209-237.
12 Sur les austérités de Bauche, voiries vv. 9101-9104.
13 Leur nombre est précisé à deux reprises, aux vv. 9383 et 9415.
14 Voir notre article cité supra, n. 9.
15 Laisses CVIII-CIX.
16 Vv. 9491 -9497 ; voir ici, infra ; le v. 9498 résume de façon lapidaire cette morale si peu respectée dans les Lorrains et que l’auteur d’Anseÿs est le seul à revendiquer avec autant de force :
Qui outre Dieu oevre, si est perdus.
Ce passage anticipe la pessimiste conclusion du poème : Dieu veut la guerre, pour châtier les hommes.
17 Rappelons qu’Arras est tout proche, et qu’il eût été aisé d’y envoyer l’enfant chercher du secours.
18 Laisses 660-665 ; voir nos articles, « Lumières au ciel de Bourgogne, l’écriture du miracle dans Girart de Roussillon », dans Bulletin de la société des Fouilles archéologiques et des Monuments historiques de l’Yonne, 15, 1998, et « Le miracle comme clôture du récit épique : Girart de Roussillon et Renaut de Montauban », dans pris ma, 1998.
19 Voir par exemple Richard II, II, 4.
20 La réaction du clan des « Bordelais », animée avec vigueur par Bérenger est immédiate : sitôt reçu le cœur de Bauche, la campagne de Gascogne, qui sera fatale à Anseÿs et aux siens, se prépare.
21 Voir l’épisode célèbre de l’ostension du cœur du héros dans Raoul de Cambrai (laisse 160 de l’édition de Sarah Kay, Oxford, 1992, reproduite en regard de la traduction de William Kibler dans le volume bilingue de la collection « Lettres Gothiques », Paris, 1996), et celui du cœur de Cornumaran au chant VIII de la Conquête de Jérusalem, laisse LVII de l’édition de C. Hippeau, Paris, 1877, rééd., Genève, 1969 ; traduction en français moderne de Jean Subrenat, dans Croisades et pèlerinages. Récits, chroniques et voyages en Terre Sainte, xiie-xvie siècles, Paris, 1997. Voir désormais l’édition de N.R. Thorp, The Old French Crusade Cycle, VI, La Chanson de Jérusalem, The University of Alabama Press, Tuscaloosa et Londres, 1992. Autre éviscération remarquable : celle d’Isoré le Gris, tué en combat judiciaire par Bégon dans Garin le Loherain (laisse LXXIII, vv. 6525-6534 de l’édition de Joséphine E. Vallerie, Ann Arbor, 1947) : Bégon lance le cœur arraché à la face de Guillaume de Monclin.
22 Outre les exemples que nous venons de citer, voir aussi un portrait de Lancelot (au t. 7, p. 73, de l’édition du Lancelot en prose par Alexandre Micha, Genève, 1980) : la taille de la poitrine du héros laisse pressentir, physiologiquement parlant, un « grand cœur », gage de valeur et de prouesse.
23 Laisse CLXXX, vv. 9181-9185 :
De tant junes a si megre l’eschine,
Desor ses piés ne se puet tenir mie.
Quinze piés ot quant commensa sa vie
De sa hautesse or est si abaissie
Que se semble moult bien une fremie.
24 L’usage d’envelopper les reliques des saints dans de précieux tissus de soie d’Orient est constant durant le Moyen Age ; ce sont précisément les fragments tirés des reliquaires qui nous permettent encore de vérifier la splendeur des pailes roés épiques : voir par exemple l’admirable ensemble conservé dans le trésor de la cathédrale de Sens.
25 Voir supra, n. 4.
26 Voir notre article, « Vivrez en voz ? ». Le corps et la mort dans Garin le Loherain et Gerbert de Mez, dans Le Corps et ses énigmes au Moyen Age. Actes du colloque d’Orléans, 15-16 mai 1992, éd. Bernard Ribémont, Caen, 1993, pp. 87-120.
27 Voir supra, n. 8.
28 Voir la thèse de Jean-Claude Vallecalle, Messages et messagers dans les chansons de geste. Université de Provence, Aix-en-Provence, 1992.
29 Vv. 10301-10305.
Auteur
Université de Toulouse-Le Mirail
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