Un cœur gros comme ça
Le cœur dans le Lancelot-Graal*
p. 363-395
Texte intégral
1Ce qui frappe dans le cycle du Lancelot-Graal est non tant le nombre d’occurrences du mot cuer, notable cependant, que l’etendue des textes qui sont centres sur lui et la multiplicite des sens qu’il peut y revêtir – qu’il s’agisse du Lancelot, de la Queste del Saint Graal ou de la Mort le roi Artu. C’est à cerner ce cœur innombrable que nous voudrions nous essayer. Puissions-nous ne pas y perdre le nôtre en route pour avoir trop présumé de lui !
2Viscère vital, tel il est d’abord. L’image violente de la mort associée à celle du cœur éclaté – crevé – dans la poitrine – le « ventre » –se rencontre plusieurs fois.
… les vaines del cuer li rompent. Et li cuer li est crevés el ventre
(Lancelot, t 7., p 251.)
… il li conte qu’il l’avoit abatu a l’asemblee lui et son cheval si durement que par .I. poi qu il n’ot le cuer creve (Lancelot, t 7., p. 341.)
Autres exemples : Lancelot, t. 2, p. 245 et 284 ; La Mort le Roi Artu, p. 24, 73, 89, 191, 247.
3Cette liste n’est pas exhaustive en ce qui concerne le Lancelot, puisque je n’en ai dépouillé complètement que les tomes 7, 2, 5 et 6 énumérés dans l’ordre chronologique du récit2. On peut cependant, sur cette base, affirmer qu’elle est globalement peu fournie alors pourtant que la narration de très nombreux affrontements mortels y prêtait a priori. D’autre part, les morts ainsi évoquées sont loin d’être toutes des morts (ou quasi-morts) advenues au combat : c’est la raison pour laquelle des deux passages cités le second seul correspond à ce schéma… ou il s’agit d’une mort, somme toute, évitée… comme dans les deux exemples du tome 2 du Lancelot et dans l’un de ceux de la Mort Artu. Quatre des références données (le premier texte cite du Lancelot, t. 7 et trois dans la Mort Artu) sont des morts provoquées par la souffrance morale (incendie de son dernier château pour le roi Ban dans le premier cas, chagrin d’amour dans les trois autres) : on voit donc que, même considéré comme centre de la vie du corps, le cuer est rarement présent uniquement en tant que tel et qu’il tend au contraire à être mentionné quand la totalité de la personne – esprit et corps – est en cause.
4Cela apparaît beaucoup plus nettement si on étudie les cas de perte de conscience. Ce terme général recouvre des états très divers, allant du simple évanouissement à ce que nous appellerions sans doute « coma ». Leur gravité est parfois difficile à apprécier : lorsque le narrateur écrit d’un de ses personnages que a poi que li cuers ne li part, faut-il comprendre que celui-ci manque de s’évanouir, ou de mourir ? Mais d’un dysfonctionnement passager à une mort proche (le cœur qui « part » étant une autre façon d’écrire le cœur qui « crève »), c’est de toute façon le cœur qui est mis en cause.
… et li touche si grant dolor au cuer que li lermes li sont estoupees et li cuers serrés el ventre et se pasme (Lancelot, t. 7, p. 23.)
Quant elle l’ot, si li esvani li cuers et ele se pasme (Lancelot, t. 7, p. 394.)
5C’est parfois seulement la suite de l’histoire qui permettra de se faire une idée du caractère plus ou moins grave de la réaction : dans le premier texte cité, le roi Ban va mourir, cœur « crevé » immédiatement après3 ; en revanche, dans le second, la jeune fille qui s’évanouissait en apprenant que Lancelot qu’elle croyait mort est bel et bien vivant va reprendre ses esprits.
6Des manifestations concomitantes s’ajoutent à ces évanouissements : les larmes (l’iauwe del cuer, Lancelot, t. 7, p. 2454 ; cf. aussi, Lancelot, t. 5, p. 216 et la Queste del Saint Graal, p. 61… et Lancelot, t. 7, p. 23 cité ci-dessus), la perte de la parole (Lancelot, t. 7, pp. 25 et 26 ; t. 2, pp. 317-318). Du plus bénin (Lancelot, t. 2, pp. 85 et 181) au plus grave (Lancelot, t. 7, pp. 94, 129, 142, 245, 257 ; t. 2, pp. 206, 254, 265-266, 318 ; t. 5, pp. 166, 216 ; t. 6, pp. 3, 24 ; la Queste del Saint Graal, pp. 89, 241 ; La Mort le Roi Artu, p. 175), les exemples sont très nombreux. Mais de tous ces cas trois seulement ont une cause physique : la perte de sang (en bataille pour Lancelot, t. 2, p. 181 ; quand la sœur de Perceval donne son sang pour guérir une lépreuse dans la Queste del Saint Graal), une nausée (due à une mauvaise odeur5 en Lancelot, t. 6, p. 24). Tous les autres ont pour cause une émotion violente, douloureuse liée au souvenir du passé (souvenir de la perte d’êtres chers, réaction immédiate à la perte d’un être cher, souvenir d’un amour lointain, plus rarement regret d’une faute commise) ou à l’appréhension de l’avenir (crainte pour sa vie, crainte devant des menaces, crainte d’une séparation définitive d’avec des êtres chers, par l’éloignement ou la mort, crainte pour la vie d’êtres chers, rarement dilemme moral). L’émotion joyeuse se rencontre une unique fois (Lancelot, t. 7, p. 394, texte cité ci-dessus). La disproportion Joie/Douleur ne doit pas amener à conclure que la tonalité du LG serait continûment sombre ni que ses héros seraient plus sensibles à la douleur qu’à la joie.
7C’est seulement que cette dernière, loin d’inhiber celui qui l’éprouve, est plutôt un puissant moteur de son action : c’est ce que Lancelot dira :
… et disoit maintes fois, quant il estoit en sa grant joie, que riens nule ses cuers n’oseroit emprendre que ses cors ne peust mener a fin, tant se fioit en la joie, qui de mainte grant besoigne le fist puis au desus venir. (Lancelot, t. 7, p. 74.)
8Les divers moments du temps sont en relation avec ces émotions : mémoire d’un passé douloureux, réaction aux événements dans l’instant de leur surgissement, appréhension, fondée ou non, de l’avenir : le champ psychique de ces personnages de roman est sans doute plus large que celui des héros épiques pour qui la douleur s’exprime avec une violence seulement momentanée. L’originalité du genre romanesque et l’évolution de la sensibilité romane vers une appréhension des choses qui fasse une plus grande place à la durée se manifestent ici ; cela vaut la peine d’être souligné dans une œuvre à d’autres égards ancrée dans le passé traditionnel comme l’est le Lancelot-Graal.
9Personnages masculins et féminins sont également sujets à ces manifestations et pour les mêmes motifs. Rien que d’ordinaire pour le coup : « vapeurs » et larmes ne deviendront que plus tard fait exclusivement féminin, et connotés négativement parce que perçus comme la marque d’une faiblesse. Les textes médiévaux y lisent, eux, la force de l’émotion et, donc, du sentiment qu’elle manifeste. Bouleversé par ce que li cuers ne porroit penser ne la langue dire, pour employer les mots mêmes du texte mais en déplaçant leur point d’application, le personnage ne peut que perdre cœur. A ne pas connaître ces états, il ne montrerait que sécheresse ou inconscience.
10Regret, chagrin, anxiété sont les éléments d’un tissu de relations dont celui qui les éprouve est le centre : il est exceptionnel que l’on craigne pour soi au point de perdre cœur ; on le fait parce qu’on a perdu ou qu’on craint d’avoir perdu ou d’être sur le point de perdre – mort, séparation – un être cher6 : un enfant mort avant le temps (Claudas et son fils Banin) ou simplement qui, devenant adulte, va vous quitter (Niniène et Lancelot) ; un amour dont on apprend ou appréhende la mort ou le désamour (plusieurs exemples concernant Lancelot et Guenièvre) ; un ami, un parent, un vassal (l’inquiétude où les disparitions de Lancelot mettent aussi bien son cousin Bohort que son ami Galehaut ou le roi Artus ont de ces conséquences). Même lorsque l’expression qui les introduit (a poi que…) les relativise, il ne faut pas les confondre avec une façon purement rhétorique d’écrire : Niniène ne mourra pas du départ de Lancelot, mais la mère de Perceval ne prendra pas son parti de celui de son fils ; Lancelot et Guenièvre tenteront de se tuer (épisode de la charrette, frénésies de Lancelot qui sont des morts différées) ; Galehaut mourra de croire Lancelot mort
11Enfin, corps et esprit apparaissent toujours comme étroitement mêlés : le cœur (muscle) bat mal parce que le cœur (siège du sentiment) est frappé. Presque tous les passages qui ne se limitent pas à l’expression formulaire A poi que li cuers ne li part mériteraient d’être cités. Nous n’en donnerons que quelques exemples en les choisissant parmi les plus explicites :
… me pasmai del grant duel de mes enfants que j’ai perdus si m’en est au cuer venue une tendrors si grans que par un poi qu’il ne m’est partis
(Lancelot, t. 7. p. 94.)
Et quant li rois l’entent si li vient une si grant dolor al cuer por ce que plus d’enfans n’avoit, qu’il ne se pot tenir en son seant ains chiet a terre pasmés.
(Lancelot, t. 2, p. 265.)
Et quant li cuers ne puet plus soffrir l’anguoisse qu’il avoit si chai li cors pasmés entre ses barons. (Lancelot, t. 2, p. 266.)
… et de cel pensé est il moult a malaise, qu’il em pert toute la coulor et a poi que li cuers ne li fent ; et lermes l’en viennent as eux. (Lancelot, t. 5, p. 216.)
12D’autres expressions, qui ne mettent pas en cause la perte de conscience procèdent de la même façon de voir :
Et li cuers li engroisse, et les lermes li vienent as iex (Lancelot, t. 2, p. 3.)
13on aura aussi :
« il sospire del cuer et plore des iex. »
14On en revient à cette représentation de l’homme comme une unité d’esprit et de corps indissociablement associés.
15Selon maître Helie de Toulouse, le savant astrologue, une des causes des « maladies » du cœur vient de l’interaction cœur/corps. Lorsque ce dernier est blessé, aussitôt guéri, il oublie. Mais pour le cœur :
« … li cuers est tosjors maus et a tosjors la honte devant lui ou il se mire »
(Lancelot, t 1, p. 40.)
16Et la seule façon d’apaiser ce coros de cuer, c’est de rendre honte por honte :
« si il estoit vengiés si serait delivrés de l’ordure et del venin qui sor lui girroit. »
17Autrement dit, le mal fait au corps entraîne le malaise du cœur :
« Quant il est dedans son corros si prent li cuers sor lui totes les ires et tos les maus que li cors a » (Lancelot, t 1, p. 39.)
18Et c’est en dernière analyse le cœur qu’il faut soigner.
19Si les émotions peuvent se traduire par un dysfonctionnement du cœur, c’est que les sentiments, causes de ces émotions, y ont leur siège.
20Pour nous, et pour parler ordinairement, l’association du cœur et des sentiments, et plus spécifiquement du sentiment amoureux va de soi. Si le Lancelot-Graal ne reprend pas les thèmes de la lyrique d’oïl et d’oc qui ont le mieux imagé cette association (le « cœur mangé » par exemple), il s’inscrit dans le même système de représentation : c’est avec le cuer que l’on aime d’amour :
(Je vous prie)… « que vous ne metés vo cuer en amor qui vous fache aparechier mais amender, car cuer qui por amor devient parecheus… »
(Lancelot, t. 7, p. 349.)
« Moult fis que fole quant je mis mon cuer a aimer si haut home comme Lancelot qui »… (Lancelot, t. 6, p. 173
(Cf. aussi Lancelot, t. 7, p. 55 ; t. 2, p. 225 ; t. 5, p. 95 ; t. 6. p. 232 ; La Queste del Saint Graal, p. 181, La Mort le Roi Artu, pp. 24, 27, 30, 32, 35, 36, 42, 67-68, 89-90, etc.)
21C’est aussi le cuer qui aime l’ami et le parent (« l’ami charnel ») :
Mais quant Lambegues voit le sanc qui des plaies li degotoit si nel pot plus ses cuers soffrir, car nature de carnel amor li faisoit avoir pitié de chelui qui estoit ses drois sires et ses oncles. (Lancelot, t. 7, p. 171.)
(Cf. aussi Lancelot, t. 5, p. 111 ;
La Mort le Roi Artu, pp. 51, 84, 186.)
22le seigneur et/ou le vassal :
(Si Claudas avait bien traité ceux qui dépendaient de lui)
« … por che eusies gaaignié les cuers et les amors a toutes gens »
(Lancelot, t. 7, p. 107.)
(Claudas et Banin qu’il voudrait s’attacher :)
… et (Claudas) moult l’(=Banin) ama dedens son cuer pour che que de grant proeche l’avoit veu… (Lancelot, t. 7, p. 19.)
(Cf. aussi Lancelot, t. 7, pp. 129-144 et p. 171 cité ci-dessus ;
La Mort le Roi Artu, p. 171.)
23le cœur qui fait que l’on estime tel ou tel en même temps qu’on le chérit :
(Un chevalier accompagne Lancelot)
… car il l’amoit moult et prisoit dedens son cuer. (Lancelot, t. 7, p. 304.)
(Cf. aussi Lancelot, t. 7, p. 19.)
24La compassion, la pitié inspirée par le malheur, ont également leur siège dans le cœur :
Les compagnons de la quête du Graal lorsqu’ils se séparent, craignant de ne plus se revoir :
« Si plorerent assez a cel departement cil qui plus cuidoient avoir les cuers et durs et orguillox »… La Queste del Saint Graal. p. 26
… car tant en i ot de navrez et d’ocis celi jor que el monde n’a cuer si dur a qui pitié n’en preist. La Mort le Roi Artu, p. 147
(Cf. aussi La Mort le Roi Artu, p. 203 :
Lancelot se refusant à poursuivre le combat contre un Gauvain épuisé.)
25ainsi que celle qui naît devant la reconnaissance d’un bienfait par celui qui en a été l’objet :
Le jeune Lionel exprime son amour à la demoiselle qui a été blessée en l’arrachant à Claudas…
Quant la demoisele l’ot si en a si grant pitié que les lermes li en sont del cuer as iex venues… (Lancelot, t. 7, p. 185.)
26Autre cause des maladies de cœur selon maître Hélie : l’amour. – la maladie par coi li cuers est plus a malaise – si a non li mals d’amors – Là encore, il y a association du cœur et du corps (ici, les deux sens de la vue et de l’ouie) :
« Amors est une chose qui vient par fine debonnairete de cuer et par le porchax des ielx et des oreilles » (Lancelot, t. 1, p. 40.)
27Maladie mortelle si la chasse à l’aimé(e) demeure vaine : si elle aboutit, au mouvement anxieux de la chasse succède l’insensibilité contrainte de la prison où la joie des yeux et des oreilles s’abîme dans l’angoisse, fût-elle sans raison, de la pensée :
« Ce sont li dolors que li cuers sent par coi li cors ne puet venir a garison »
(Lancelot, t. 1. p. 41.)
28Sombre vision des choses qui laisse peu de place aux joies de l’amour, tristanienne de tonalité et qui, dans son ordre, anticipe, dès le Lancelot, sur la désolation de la Mort Artu : la passion au demeurant mortelle de Galehaut pour Lancelot en sera la préfiguration.
29Mais le cuer n’est pas seulement le siège de ces variantes de l’amour : il est celui de tous les sentiments. Ceux d’abord qui sont le(s) contraire(s) de l’amour, et qui supposent non plus « bienveillance » mais « malveillance » : haine, rancune, colère :
(la messagère de Niniene à Claudas :)
… « Si n’est nus qui en soi ait pitié qui de cuer ne vous en heie »…
(Lancelot, t. 7, p. 106.)
(Cf. aussi Lancelot, t. 7, p. 149, t. 5, p. 31,
La Queste del Saint Graal, p. 217.)
30ou peur, mais cela est rare :
… voit l’anemi devant lui en si laide figure qu’il n’a cuer dome el monde qui paor n’en eust. (La Queste del Saint Graal, p. 119.)
(Cf. aussi La Queste del Saint Graal, p. 17.)
31Il l’est enfin lorsque le mot prend le sens d’état d’esprit, essentiellement douleur :
« Et de mon fil me prent au cuer moult grant pitié que je perdi en teil maniere »
(Lancelot, t. 7, p. 89.)
(Cf. aussi Lancelot, t. 7, pp. 5, 37, 76, 90, 144, 146, 232, t. 6, pp. 29, 114, 174, La Mort le Roi Artu, pp. 128-129, 223, 255.)
32et joie :
(la reine Elaine quand elle apprend que Lancelot est vivant) : « Vous m’avés mis en mon cuer la grignor joie qui onques mais i entrast » (Lancelot, t. 7. p. 91.)
(Cf. aussi Lancelot, t. 7. p. 92 ;
t. 2, pp. 3, 265, 266 ;
t. 5, pp. 25, 148, 232, 243.)
33Si le registre de la joie est facile à cerner, celui des comportements négatifs recèle bien des nuances parfois associées dans le même mot. De la douleur à la colère il y a souvent d’autant moins lieu de trancher que les deux se mêlent à l’évidence : telles les réactions de Lionel quand son précepteur lui explique dans quelles conditions Claudas a pris possession des terres qui auraient dû lui revenir :
Quant li enfans l’entent, si li engrose li cuers et boute du pié la table…
(Lancelot, t. 7, p. 110.)
34ou de Claudas sur le corps de son fils :
Et quant il revient de paumison, si parole a guise d’omme qui moult a grant dolor et angoise a son cuer… (Lancelot, t. 7, p. 125.)
35ou d’Artus qui se plaint à Gauvain, lui reprochant d’avoir initié le vœu de la quête du Graal :
… li vienent les larmes as aulz… « Gauvain, mis m’avez le grant corrouz el cuer, dont ja mes ne me porrai esbatre devant que je sache veraiement a quele fin ceste queste porra torner. » (La Queste del Saint Graal, p. 17.)
36– ce qu’explicitent parfois des expressions comme :
Si n’i a celui qui n’ait grant duel et grant rancune en son cuer.
(Lancelot, t. 5, p. 112.)
(Cf. aussi Lancelot, t. 7, p. 134 ;
La Queste del Saint Graal, p. 89.)
37Joie et douleur nous ramènent d’ailleurs encore à l’amour. Les raisons en sont les mêmes que celles des émotions manifestées par la perte des sens : mort, regret, crainte (de la séparation, de la mort) – si on souffre, si on a de la joie, c’est en fonction des accidents que connaît une relation avec aimé(e), ami(e), parent(e), seigneur ou vassal, etc. Il y a continuité entre la douleur (morale) du cuer, siège du sentiment, et la douleur (physique) du cuer qui s’évanouit d’émotion. Nous avons déjà vu comment le signe « cardiaque » de l’émotion traduisait une souffrance (affective) du cuer. Symétriquement, on peut affirmer que la douleur (sentimentale) du cuer est, conjointement, douleur du cuer battant (trop ou trop peu). Aspect complémentaire de l’identique unité de la personne incarnée constituée par le cuer. Le vocabulaire la rend très perceptible avec tout le registre de la tendror ou de la dureté qui joue entre sens littéral et figuré –larmes et pitié à la fois (cf. texte de la La Queste del Saint Graal, p. 26 cité ci-dessus).
38Pour continuer à nous référer au parler ordinaire, nous pourrions rappeler le croisement de sens de cuer et corage de l’ancienne langue à la nôtre.
39Un des sens les plus attestés de cuer n’est-il pas « courage » ? Sans doute… mais pas dans le Lancelot-Graal surtout si on l’entend simplement au sens du courage physique – le contraire du héros courageux étant alors l’anti-héros peureux. Certes, certaines occurrences peuvent n’avoir que ce sens-là, comme lorsque Claudas, dans le planctus sur le corps de son fils affirme que :
… « et si eusiés et cuer et forche et pooir »… (Lancelot, t. 7, p. 126.)
40ou lorsqu’on dit d’un guerrier que :
… il avoit cuer et proece a grant plenté… (Lancelot, t. 7, p. 136
(Cf. aussi Lancelot, t. 7, p. 247 ; t. 6, pp. 146 et 160 ;
La Queste del Saint Graal, pp. 17, 29, 175 ;
La Mort le Roi Artu, p. 124.)
41ou encore que Claudas supporte sans gémir le pansement douloureux de sa blessure (Lancelot t. 7, p. 141), voire – mais c’est déjà discutable – lorsqu’une armée sur le point d’être vaincue reprend cuer à l’arrivée des secours (Lancelot, t. 6, p. 104).
42Si, précédemment, le cœur se mettait à mal battre sous le coup du chagrin, ici, symétriquement, le cuer, dans la bataille et l’épreuve, puise son courage dans la taille du cœur battant :
(Gauvain et Lancelot sont épuisés par le combat où ils s’affrontent)
… mais il ont les cuers es ventres si granz qu’il leur semble que pou ont fait se il ne se mainent jusques a mort ou jusques a outrance, tant que l’en voie le meillor.
(La Mort le Roi Artu, p. 201.)
43C’est surtout le beau (et plus explicite que le précédent) développement sur le « grand cœur » de Lancelot. L’auteur trace, dans ce passage, un portrait par anticipation du héros adulte : idéal de mesure où chaque élément s’harmonise avec les autres en une mise en valeur réciproque – à une réserve près : certains disent que le torse de Lancelot est quelque peu disproportionné –, trop gros et trop épais. Guenièvre explique ce qu’il en est réellement :
Diex ne li avoit pas donné pis a outrage ne de grant, ne de gros, ne d’espesse qui i fust, car autresi estoit grans li cuers a son endroit, si covenist que il crevast par estovoir, se il n’eust teil estage ou il se reposast a se mesure, « ne se je fusse, fait ele, Diex, ja en Lancelot ne meisse ne plus ne mains ».
(Lancelot, t. 7, p. 73.)
44Dans ces jeux complexes entre le corps et le cœur, il peut, en sens inverse, se faire que la faiblesse de l’un soit compensée par la force de l’autre : dans un duel qui l’oppose à Gaheriet alors qu’il a été blessé dans un combat antécédent, le héros se trouve mis en difficulté, mais :
… il se redresce tot come cil qui est proz et vistes et neporquant il ert ja mout afebloiez por le sanc dont il avoit rendu foison… mes il estoit de grant cuer.
(Lancelot, t. 5, p. 30.)
45Il ne s’agit pas ici de force du cœur (– muscle) mais de la volonté de l’esprit de ne pas s’avouer vaincu : c’est littéralement elle qui compense la perte de sang. Et lorsque les deux adversaires s’en retrouvent au même point, lorsque l’auteur écrit :
Mais il ne s’en sentent comme cil qui estoient de grant cuer…
(Lancelot, t. 5, p. 31.)
46sans doute ne faut-il pas entendre qu’ils ont plus de réserves (physiques) que d’autres, mais qu’ils se laissent moins abattre (moralement). Le « grand cœur » signifie une qualité de l’être dont il n’est pas la cause (matérielle). Mais du coup, celui qui a grant cuer ou qui est de haut cuer (c’est cette dernière formule qui est la plus fréquente), n’est pas tant doué d’une qualité innée qu’il ne se livre à un constant travail sur lui-même pour ne pas démériter : ce vocabulaire est celui de l’éthique.
47L’expression de haut cuer ou de grant cuer pour qualifier un héros est fréquente. Elle est employée dans un contexte guerrier :
(au cours d’une bataille) :
Quant li rois le voit venir, si ne le refuse pas, car moult estoit de haut cuer.
(Lancelot, t. 6, p. 98.)
Bataille de Salesbières : Yvain, désarçonné, se remet en selle :
recommença la mellee comme cil qui estoit de moult haut cuer…
(La Mort le Roi Artu, p. 234.)
(Cf. aussi : Lancelot, t. 2, p. 290 ; t. 5, pp. 31, 261 : ce sont là quelques exemples caractéristiques.)
48et peut s’appliquer aux deux adversaires :
Deux adversaires blessés :
… mais il ne s’en sentent comme cil qui estoient de grant cuer.
(Lancelot, t. 5, p. 31.)
49Elle est stéréotypée ; aussi, pour bien la comprendre est-on obligé d’étudier assez largement le contexte dans lequel elle intervient. Elle ne s’applique que rarement au combattant qui attend ou soutient ordinairement le choc de l’adversaire (Lancelot, t. 6, p. 98, texte cité ci-dessus). Elle est le plus souvent employée lorsque celui-ci (ou ceux-ci) entreprend (prennent), poursuit (vent) ou reprend (prennent) le combat malgré une situation difficile qui pourrait au moins lui (leur) faire envisager d’y renoncer ; dans les exemples cités en référence, on a un chevalier qui accepte d’en affronter plusieurs en même temps pour protéger une demoiselle (Lancelot, t. 2, p. 290), un autre, désarçonné, qui se relance dans la bataille aussitôt qu’il a retrouvé une monture (La Mort le Roi Artu, p. 234), ou deux qui poursuivent le combat bien que sérieusement blessés (Lancelot, t. 5, p. 31), etc. Il s’agit donc bien de courage, mais pas en tant qu’il s’opposerait seulement à la peur (de l’autre), plutôt en ce qu’il s’opposerait à une attitude de moindre exigence (de soi). Le héros qui a grant cuer n’est pas tant celui qui ne se laisse pas abattre par son adversaire que celui qui ne se laisse pas abattre par la difficulté… (cf. Lancelot, t. 1, pp. 254-255) et surtout quand il l’est par son adversaire ! Désarçonné, il se remet en selle ; blessé, il ne s’avoue pas vaincu, etc. et non par surestimation de ses possibilités mais parce qu’il veut aller jusqu’au bout de ses forces. Il est celui qui refuse de s’avouer vaincu pour s’éviter une peine supplémentaire. Celui qui craint davantage la honte et le déshonneur. Bref, le contraire de haut/grant cuer, ce n’est pas tant le cœur couars que le cœur vils (ou mauvés) – veule ou pleutre –, celui qui se laisse aller à la pereche. La défaite est alors la conséquence honteuse de cette faiblesse, non la traduction d’un rapport de force. Plusieurs textes, plus explicites que les brèves formules des batailles, le disent sans équivoque.
50Un des épisodes qui met en œuvre cette problématique est celui de la « charrette ». Certes. Lancelot « charreté » est perçu comme le chevalier « vaincu » (vez ci le vaincu kifu en la charete, Lancelot, t. 2, p. 29 ; Fi, fi… a toi ne me combatraije pas kar buens chevaliers ne se doit mie combatre a home vaincu, p. 26 ;… et tuit li petit enfant de la vile aloient criant : « Vez ci le vaincu ! Vez ci le vaincu ! », p. 25). Mais tout le Lancelot est plein de récits de duels dont le vaincu n’est nullement considéré comme honiz par l’échec ; s’il devenait déshonorant de l’affronter comme l’indique le second des textes que nous venons de citer, la narration aurait déjà tourné court depuis longtemps… et les sentiers des forêts aventureuses seraient hantés d’une multitude de malheureux « charetés »7. Il s’agit, en fait, de défaite acquise dans des circonstances déshonorantes pour celui qui l’a subie, comme le montre l’origine supposée de la coutume :
A cel tens estoit costume que qui voloit home destruire ou honir en totes terres, si le faisoit on avant monter en charete, ne des lors en avant ne fust escotés en cort, ains avoit perdues totes lois. (Lancelot, t. 2, p. 12.)
51Et c’est bien cette notion de déshonneur mérité qui va revenir, de la question de Gauvain :
« Sire chevaliers, dont ne seriés vos plus honorablement sor un cheval que sor cele charete ? » (Lancelot, t. 2, p. 12.)
52aux réactions des demoiselles :
« Si m’ait Dieux, sire chevaliers, vos vos deuissiés molt bien garder de nos saluer… por ce que vos avés esté en charete : si estes honis en tos lieux. »
(Lancelot, t. 2, p. 13.)
53qui voudraient lui interdire de coucher dans le lit magique :
« Li plus preudome del monde et li plus honoré i avroient assés a fere, et vos i gerriés, qui estes li plus honis ! » (Lancelot, t. 2, p. 16.)
54car :
« Or i parra… se vostre vils cuers l’osera enprendre »
(Lancelot, t. 2, p. 16.)
55Il n’avra james honor, disent-elles encore (p. 18). Gauvain, qui pourtant s’est refusé lui-même à monter sur la charrette8, défend l’honneur de son ami (c’est li mieldres des buens, p. 18) et une demoiselle expliquera au « chevalier de la chaussée » qui ne veut pas accepter d’être battu par Lancelot (…jane serai outrez par home qui ait esté en charete… J’aim miels mort honoree que hontouse oultrance, p. 27) que :
« il ne fu pas honis de la charete, car il i monta de son buen gré por avoir sa grant honor. » (Lancelot, t. 2, p. 27.)
56Au pont de l’épée, et par delà, dans le pays de Gorre, Lancelot fera les preuves (l’épreuve) de sa volonté de se dépasser lui-même : acceptant l’assurance (et pas seulement le risque comme dans un combat) de la souffrance au franchissement du pont (et sans la possibilité de rendre coup pour coup), puis le combat contre Méléagant (sans attendre la guérison de ses blessures comme Baudemagus le lui proposait et comme il serait fondé, honorablement, à le faire). Il aura ainsi montré qu’il n’était pas le chevalier honiz qu’il semblait être –comme le croyait celui qui prétendait lui interdire le passage du Pont de l’épée :
« Si le deuissies mials laissier de honte de ce que tu fus trainés en charete, kar la perdis tu totes honors et totes joies. Et tant sache tu bien que ja li chaitif de cest pais ne serront delivré par home honi, ains le covendra preu et loial et hardi sor tos autres et corageus. Tels cuers doit haute chose enprendre, non pas cuers honis et recreans com li tuens est. » (Lancelot, t. 2, p. 53.)
57Discours qui montre bien ce qui est en question : un ensemble de qualités qui définit le chevalier, qui inclut la prouesse, mais aussi (d’abord ?) le courage, mais encore la loyauté9.
58C’est de loyauté que Lambègue reproche à Pharien de manquer10 :
« Chertes, vil cuer et malvais aveis el ventre et millor vous a chil qui honte vous porcache que chil qui honor vous fait, car vrais cuers de preudomme a tous jours honte, s’ele li est faite, en ramenbrance. » (Lancelot, t. 7, p. 139.)
(Cf. aussi Lancelot, t. 7, p. 64.)
59Et c’est l’ensemble de ces qualités qui est visé tant par le roi Artus lorsqu’il accepte d’adouber le jeune Lancelot dont il ignore le nom et la famille, car :
« … de grant hauteche de cuer estes vous a moi venus car vous baés a conquerre honor » (Lancelot, t. 7, p. 282.)
60que par Lancelot lui-même dans son long entretien avec Niniène sur la chevalerie. Lorsqu’elle lui expose que les difficultés de la vie des chevaliers en feraient reculer plus d’un, mais qu’ils ne sont pas plus grands ni plus forts que les autres hommes :
« Se vous les oiés noumer, ja n’avriés si hardi le cuer que tout ne vous en tramblast » (Lancelot, t. 7, p. 247.)
61il rétorque :
« … moult se doit hair qui par sa pereche pert ce que chascuns poroit avoir, che sont les vertus del cuer qui a chent doubles sont plus legeres a avoir que cheles du cors… Tex puet avoir les bontés del cuer qui ne puet avoir cheles del cors car tex puet estre cortois et sages, deboinaires et loiaus, preus et larges et hardis –tout che sont les vertus del cuer – qui ne peut pas estre grans et corsus »…
(Lancelot, t. 7, pp. 247-248.)
62Si le corps est donné, le cœur s’acquiert ou se perd, par bonne ou mauvaise volonté.
63Les rapports qu’ils entretiennent l’un avec l’autre ne seront plus nécessairement ceux que nous avons précédemment répertoriés. On entrevoit une possibilité de conflit. La question n’est jamais cependant posée en termes de contradiction chevaleresque : on ne peut imaginer un Lancelot boiteux. Niniène contourne la difficulté en montrant les hommes des temps originaires destinés à être chevaliers comme chil qui des bontés del cuer et del cors estoient plain (p. 249). Le cœur ne pourrait-il pas trop demander au corps ? C’est cette perspective qui a fait renoncer Claudas à l’amour car, pour lui, d’un côté :
« Cuer de chevalier qui finement aime ne doit baer qu’a une seule chose, ce est a tout le monde passer » (Lancelot, t. 7, p. 55.)
64et de l’autre :
« ne mes cors d’omme tant fust preus ne poroit soffrir chose que li cuers oseroit emprendre que anchois ne le covenist finer » (Lancelot, t. 7, p. 55.)
65Ce faisant, ou plutôt ce ne faisant pas, il sombre dans la pereche pour parler comme Lancelot. Celui-ci a une représentation plus dynamique des rapports entre cœur et corps : pour lui, l’exaltation du cœur, sa volonté de faire et de bien faire développent les possibilités du corps :
… et disoit maintes fois que riens nule ses cuers n’oserait emprendre que ses cors ne peust mener a fin tant se fioit en la joie. (Lancelot, t. 7, p. 74.)
66N’est-ce pas cette mutation de lui-même qu’il obtiendra dans son âge adulte en faisant grandir son cœur et son torse à la mesure de ses teches intérieures, au delà de ce que ses proportions corporelles laissaient attendre ?
67Mise hors la question du rapport avec le corps, le cuer est toujours susceptible de se modifier, de progresser… ou de régresser. Le sens de l’engagement de Lancelot dans la chevalerie est de voir jusqu’où il pourra aller dans la cortoisie et la proeche :
« Chacun doit emprendre, che m’est vis, selonc che qu’il trueve en son cuer de malvaistié ou de proeche » (Lancelot, t. 7, p. 256.)
68On verra ainsi des personnages se transformer : Claudas par exemple qui, à peu près tombé dans la pereche11 chevaleresque, après un meilleur début de jeunesse, en sera sorti par la considération des qualités de son propre fils, qui commencent d’ailleurs par le lui faire détester :
« Et che que je vous estregnoie de moi, nel fesoie je se por che non que je n’avoie cuer de veoir la grant largueche ne la grant merveille qui en vostre cuer estoit. »
(Lancelot, t. 7, p. 127.)
69et par l’exemple du roi Artus :
« Moi est avis que chil doit avoir cuer de toutes choses passer qui bee a vaintre et a metre au desous le roi Artu. » (Lancelot, t. 7, p. 62.)
70C’est, en sens inverse, le risque couru par Lionel, l’enfant au cuer sansfrain :
« Tels estoit vostre cuers que nus nel pooit esfrener par enseignier »
(Lancelot, t. 7, p. 146.)
(Cf. déjà, t. 7, p. 106.)
71C’est le sens de l’avertissement donné par Niniène à Lancelot :
« Et gardés que vous soiés autresi biax de cuer com vous estes de cors ; car de la biauté avés vous tant com Diex en poroit metre en un enfant ; si sera molt grant domaje se la proeche ne se prent a la biauté » (Lancelot, t. 7, p. 269.)
72Il faut donc reformuler la notion d’âme bien née et voir si l’adulte est une âme bien devenue.
73Le cuer est le siège de la vie morale, des vertus… et des vices. Ces vertus et ces vices seront au premier chef celles et ceux qui, comme nous venons de le voir, définissent le chevalier : courage, loyauté, largesse. Les mots et expressions cuer, haut cuer, grant cuer pourront être employés aussi bien à propos du chevalier en bataille qui ne renonce pas, de celui qui ne se laisse pas abattre par un sort momentanément contraire :
« Nus haus cuer ne se doit esmaier de perte qu’il puisse recovrer »
(Lancelot, t. 7, p. 76
(Lancelot, qui dit cela, en excepte la mort d’un ami et la honte subie… mais ces deux situations contiennent en fait un élément irréversible.)
(Cf. aussi Lancelot, t. 7, pp. 123-124, 193-195.)
74que pour celui qui donne un avis conforme au droit même s’il s’expose en cela à la vindicte de celui à qui il s’adresse (cf. par exemple, Lancelot, t. 7, p. 65), pour le vassal fidèle, l’amoureux ou l’ami sincère (cf. par exemple, La Mort le Roi Artu, pp. 32, 37, 89-90). Ils qualifient le chevalier pourvu des différentes eches du cuer que l’on trouve énumérées à propos de Lancelot :
… li plus deboinaires de tous la ou deboinairetés se laisoit trover… mais contre felonie le trovoit on passefeilon… larguece… il honoroit les gentiex de si grant cuer… (Lancelot, t. 7, p. 74.)
… »estre cortois et sages, deboinaires et loiaus, preus, larges et hardis »
(Lancelot, t. 7, p. 248.)
75ou de Claudas :
« … sens, deboinaireté, cortoisie » (Lancelot, t. 7, p. 105.)
76Inversement, le vils cuers sera tour à tour ou à la fois lâche, traître, inconstant, cupide : avec les enfants de Bohort, Claudas a pratiqué la felonie, faute qui, en elle seule, résume son manque de sens, deboinaireté, cortoisie (Lancelot, t. 7, pp. 106-107), qualités qui constituent un ensemble conçu comme constituant une cohérence indissociable. Il n’y a pas de place, dans cette représentation, pour des contradictions du cuer, d’où le scandale que serait un Lancelot trompant le roi :
« … si nel porroie ge pas croire qu’il eust cuer de fere si grant desloiauté comme de moi honir de ma fame ; car en cuer ou il a si grant proesce ne se poroit enbatre traison, se ce n’estoit la greigneur deablie del monde. »
(La Mort le Roi Artu p. 30.)
(Cf. aussi La Mort le Roi Artu, pp. 32-37 passim.)
77Il s’agit là d’une liste limitative de qualités/vices liées à l’idéal chevaleresque du Lancelot (et de la Mort Artu). Bien évidemment on peut l’élargir et la modifier. Des formulations comme :
« … si le vit de toutes bontés de cuer et de cors si entechiés qu’il ne prise devers lui nul ome… » (Lancelot, t. 7, p. 61.)
(Cf. aussi t. 7, p. 74.)
78sont susceptibles de maintes spécifications. C’est ce que ne manquera pas de faire la Queste del Saint Graal qui verra toujours dans le cuer de l’homme le centre de la vie éthique mais qui la pensera en termes non de fautes contre l’honneur mais de péchés contre Dieu. Et c’est ce que disait déjà maître Hélie de cette autre sorte de maladie du cœur :
« … il avient maintes fois que li cuers souffre une maladie ou nule mortels mecine ne puet avoir mestier et en cele covient metre la mecine Nostre Seignor, si come proieres et orisons et aumosnes et geunes et acointement de Dieu et conseil de religiose gent. » (Lancelot, t. 1, p. 35.)
79Perceval s’y réfère encore aux vieilles valeurs :
« Coarz de cuer ! Failliz de cors ! » (La Queste del Saint Graal, p. 91.)
80crie-t-il à Galaad qui vient de le désarçonner et tourne bride sans l’affronter à l’épée : langage aussi inadéquat que symbolique de l’incompréhension de celui qui l’utilise.
81Le registre nouveau, c’est celui, négatif, du cuer orgueilleux et luxurieux : aussitôt que Lancelot a vu Guenièvre :
« … ot dels en ton cuer que tu ne devoies rien prisier ne ne priseroies jamés se tu n’avoies ta volenté de cele que tu veoies si bele… tu pechoies mortelment en pensee et en volenté. » (La Queste del Saint Graal, p. 126.)
82paresseux toujours, mais d’une autre manière : celui qui ne fait pas fructifier les talents reçus, le tiède et traître qui cache la bonne parole :
« li mauvés serjenz, li hypocrites de cuer ou li feux dou Saint Esperit n’entra onques » (ainsi rendu incapable de porter la bonne parole car « cil qui n’art il ne brulle mie »). (La Queste del Saint Graal, p. 64.)
83Et le registre, positif, du cœur humble, patient, abstinent :
(les 150 taureaux, symboles des quêteurs et qui mangeaient au ratelier et non au pré)… « car s’il i fussent, lor cuers mainsissent en humilité et patience… »
(La Queste del Saint Graal, p. 156.)
(Abstinence)… est si fermee au cuer del crestien qu’il ne puet chaoir en pechié mortel, ne aller a sa volenté se ce n’est en bones œvres.
(La Queste del Saint Graal, p. 160.)
84Plein, surtout, de cette sincérité avec laquelle, de bon cuer le pécheur se tourne vers Dieu pour avouer sa faute et implorer son pardon, remercier pour la grâce obtenue. Le motif est esquissé dès le Lancelot :
Quant Joseph (d’Arimathie) vit le mort resucité, si plora de pitié et mercia Dieu de bon cuer. (Lancelot, t. 2, p. 337.)
85Dans le tome 5, il est lié, déjà, à celui de la confession :
Quant Boorz fu confés si conme de cuer et de bouche, si reçut corpus domini
(Lancelot, t. 5, p. 259.)
86On retrouve là l’harmonie cœur/corps qui était celle du sentiment et de l’émotion, mais transposée dans le domaine éthique et religieux. Dans la Queste del Saint Graal, l’importance du motif est telle que le chevalier qui prie Dieu de bon cuer tend à remplacer celui qui, aidé par l’amour et le sentiment de l’honneur, s’affirmait par son haut cuer dans le Lancelot. Le quêteur du Graal est invité par les ermites à se repentir de bon cuer et il le fait (La Queste del Saint Graal, pp. 66, 127, 128, 159, 249) ; il écoute leurs conseils de bon cuer (p. 67), il sert Dieu loiaument et de bon cuer (pp. 105, 251), il prie de bon cuer (pp. 131-.132), il mercie Deu… de bon cuer (pp. 55, 92 ; cf. aussi La Mort le Roi Artu, pp. 156 et 259).
87Du cuer haut, grant au cuer bon on demeure en fait dans le registre de la volonté, mais d’une volonté qui entretient avec l’action dans laquelle, le plus souvent, elle se prolonge, ou avec la disposition d’esprit qu’elle accompagne, des rapports différents. Dans le premier cas, le chevalier fait confiance à son propre effort ; dans le second, il ne compte pas sans l’aide de Dieu. Cependant, dans les deux, c’est l’individu qui est en cause. Or, pour les mentalités médiévales, et singulièrement féodales, l’individu ne s’affirme guère que comme unité d’un lignage. Celui-ci n’est pas seulement un cadre social (familial) de sa vie. L’expression il a de qui tenir traduit bien ce rapport étroit, générique et génétique, que les enfants entretiennent avec leurs parents. Bien retret a ma geste ! dit un père épique (Aymeri de Narbonne) devant un rejeton dans lequel il se plaît à se reconnaître par delà les ans.
88La question est posée dans le Lancelot par l’ignorance où est le héros-titre de sa naissance. Bien qu’affirmant (cf. ci-dessus) la responsabilité de chacun dans l’éducation et l’élévation de son propre cœur, il ne s’affranchit pas sans réserve des critères qui sont ceux de l’univers… où vit son auteur, dans lequel la naissance fait la « gentilleche », sinon encore exactement la « noblesse » (héréditaire) du cœur. Enfant, il s’inquiète à ce sujet. Il se justifie d’une attitude qu’il a eue en se réclamant d’une supposée ascendance royale :
« Mal dehait ait fiex de roi s’il n’ose la soie chose douner hardiement. »
(Lancelot, t. 7, p. 85.)
89Et quand Niniène prétend qu’il n’est pas fils de roi, il s’en afflige, percevant comme une contradiction ce qu’il est et ce à quoi il aspire :
« Dame, fet il en sospirant, che poise moi, car mes cuers l’osast bien estre. »
(Lancelot, t. 7, p. 85.)
90Elle le rassure alors sans vraiment l’éclairer :
« Et de qui que vous soiés fiex, voirement n’aveis vous failli a cuer de fil de roi et si fustes vous fiex de teil qui osast bien assaillir le plus haut roi qui fust el monde par proeche de cuer et de cors. » (Lancelot, t. 7, p. 86.)
91Plus tard, la question sera à nouveau posée par Lancelot dans des termes comparables et la réponse de Niniène sera, à nouveau, ambiguë :
« … et je vous di que vous ne perdrés a estre un des gentiex hoomes del monde se par defaute de cuer non. » (Lancelot, t.7, p. 195.)
92car, si elle semble dire au garçon que, quelle que soit sa naissance, tout dépend de lui, elle dit aussi (elle-même connaît l’ascendance royale de Lancelot… et le terme de « fils de roi » qui lui est donné dans le domaine sous le lac en témoigne allusivement) que s’il démérite ce sera uniquement par sa faute parce que sa naissance lui a donné (virtuellement) les qualités qu’il dépend de lui de développer ou non. Artus, qui remarque la hauteche de cuer du jeune homme venu lui demander de l’adouber, fait le pari qu’il est, à cause de cela, de haute naissance :
« … et vous estes si biax et si gens et de si grant cuer, che m’est avis, qu’il ne puet pas estre que vous ne soiés de moult haute gent estrais. »
(Lancelot, t. 7, p. 282.)
93Et ce sera une façon facile d’arranger les choses que de faire en sorte que qui a cœur de fils de roi… se trouve être né d’un roi :
(Un vavasseur de rencontre à Lancelot enfant :)
« … je quit bien que vous soiés autresi de gentil lignage com vous estes de gentil cuer. » (Lancelot, t. 7, p. 78.)
94Dans la Queste del Saint Graal, la notion de vertus héréditaires –données – ou de vertus individuelles – acquises – sera à nouveau posée. Mais il n’y aura pas là de ces accommodements mondains que nous venons de voir. Un ermite, sans doute encore trop engagé dans les valeurs terriennes, déclare pourtant à Bohort quand il sait de quel homme et de quelle femme vertueux il est le fils :
« … vos devez estre bons par droiture, car vos estes le fruit del tres bon arbre. »
(La Queste del Saint Graal, p. 164.)
95mais le héros réplique :
« … il ne vet pas as peres ne as meres qu’il soit bons ou mauvés, mais au cuer de l’ome » (régénéré par le baptême, précise-t-il) Li cuers de l’ome, si est l’aviron de la nef, qui le meine quel part qu’il veut, ou a port ou a peril. »
(La Queste del Saint Graal, p. 165.)
96L’écart entre Lionel, un des réprouvés de la quête, et Bohort, un des trois élus, tous deux fils du même père et de la même mère, illustre sans équivoque ce qui vient d’être dit.
97Le cuer est encore le siège de la vie de l’esprit. Nous avons gardé l’idée d’une connaissance intuitive dont il serait l’agent et ce sens est avéré dans le cycle. Il s’agit alors de connaissances prémonitoires ou de convictions acquises par une opération autre que celle du raisonnement ou de l’expérience :
(Léonce de Paerne croit reconnaître en Lancelot le fils du roi Ban) :
« Issi me le dit li cuers. » (Lancelot, t. 7, p. 198.)
(Cf. aussi Lancelot, t. 6, p. 42 ;
La Queste del Saint Graal, p. 24 ;
La Mort le Roi Artu, pp. 114, 167, 240.)
98Mais cette acception est loin d’être la seule. Le cuer peut être mis en relation avec la mémoire (ou la remémoration) :
… si rejehist (en confession)… tout che dont li cuers li puet descovrir par l’esclairement de la langue Lancelot, t. 7, p. 223
(Cf. aussi Lancelot, t. 6, p. 29 : la vue d’une rose dans le jardin de Morgue chez qui il est retenu prisonnier lui rappelle Guenièvre… « Et ceste chose mist mon cuer en destrece. »)
99avec la conviction (intellectuellement acquise) :
Cele nuit pensa li rois Artus assez a ce que Agravains li avoit dit, mes ne le torna pas granment a son cuer, car il ne creist pas legierement que ce fust voirs.
(La Mort le Roi Artu, p. 5.)
(Cf. aussi La Mort le Roi Artu, p. 64.)
100avec l’imagination :
« Et je vous menrai en tel lieu ou vous avrois quanke vous savrés de cuer penser ne de bouche deviser. » (Lancelot, t. 7, p. 122.)
(Cf. aussi Lancelot, t. 2, p. 384 où la même expression s’applique aux chants dont résonne le château de Corbenyc.)
(Liturgie du Graal :)
Quant il orent tuit receu la haute viande qui tant lor sembloit et douce et merveilleuse qu’il lor est avis que toutes les soatumes que l’em porroit penser de cuer fusent dedens lor cors. (La Queste del Saint Graal, p. 270.)
(Cf. aussi Lancelot, t. 7, p. 56 ; t. 2, p. 292 ;
La Mort le Roi Artu, pp. 75, 193, 245.)
101il peut être associé à la raison dans l’opération du conseil :
« Mais puis que sires demande a son homme conseil, il l’en doit dire che que li cuers s’en conselle de raison et de loiauté. » Quant Claudas ot chelui si viguereusement parler, si l’en prise moult car bien seit il qu’il li vient de tres grant hauteche de cuer. (Lancelot, t. 7, p. 64.)
(Cf. aussi Lancelot, t. 7, pp. 75, 335 ;
La Queste del Saint Graal, p. 222.)
102pour exprimer toute opération générale de connaissance :
(Merlin)… sot quanques cuers pooit savoir de toute perverse science.
(Lancelot, t. 7, p. 41.)
(Cf. aussi La Queste del Saint Graal, pp. 38, 116.)
103ou de réflexion,
(Lancelot à l’Eau Marcoise) :
… si s’endort en tel point que ses cuers pensoit plus a Nostre Seignor que as terriennes choses. (La Queste del Saint Graal, p. 246.)
104et surtout de conception des idées.
(Le « siecle ») … s’est hui en cest jor tant empiriés que cuers nel poroit penser ne bouche dire… (Lancelot, t. 7, p. 128.)
105Il est remarquable de noter qu’on a ici la première formulation de la fameuse expression qui désigne sans (pouvoir) les expliciter les secrez dou Graal :
(Lancelot rendant compte de sa vision du Graal) :
« Je ai veu si granz merveilles et si branz beneurtez que la langue nel vos porroit mie descovrir, ne mes cuers meismes nel porroit mie penser, com grant chose est car ce n’a mie esté chose terriane mes esperitel. »
(La Queste del Saint Graal, p. 258.)
(Cf. aussi La Queste del Saint Graal, pp. 162, 274, 278 et p. 270 déjà cité ci-dessus, si, plus qu’à l’imagination sensible de la « douçor » de la « haute viande » on pense à la part d’abstraction intellectuelle que suppose l’opération.)
106– là où le texte de saint Paul disait seulement :
… audivit arcana verba, quae non licet homini loqui. (2 Cor, 12, 4.)
107Le cuer n’est donc pas cantonné dans un domaine particulier de la vie de l’esprit (par exemple en opposition avec la raison) ; il ne désigne pas un mode de connaissance opposé à d’autres : si, en certaines occurrences, il correspond à notre « intuition », en d’autres il renvoie à une connaissance acquise par expérience ou étude. Il est présenté comme le centre de toutes les activités de l’esprit, de la plus familière (évocation d’un souvenir) jusqu’aux plus hautes (acquisitions de toutes connaissances, spéculation) et il n’y a pas d’autre outil humain, plus performant, de l’appréhension du monde, des êtres et de Dieu. Ce n’est pas le cuer en tant que tel qui trouve, avec le Graal, sa limite, c’est la mortalité de l’homme (cuers mortiex), c’est-à-dire sa finitude et c’est cette dernière qui le rend incapable de connaître la divinité infinie. Mais le cuer glorieux de Galaad, lui, le pourra.
108Successivement, nous avons donc envisagé le cuer comme centre de la vie corporelle, affective, éthique, intellectuelle et spirituelle. Nous avons essayé de distinguer ses différents niveaux de fonctionnement tout en montrant les articulations étroites qui existent entre eux et avec celui du corps. Peut-être y a-t-il là la plus profonde raison pour laquelle le cuer et l’âme ne se confondent généralement pas. Il n’arrive qu’exceptionnellement qu’on puisse les trouver employés comme synonymes :
… si pensa bien que se cuers mortiex pooit metre conseil en ceste chose, que ele l’i metroit, car il l’avoit trovee de si grant engin qu’il ne cuidast mie qu’il eust ame de si grant engin ou siecle… (La Queste del Saint Graal, p. 222.)
109Le doublet, rare aussi, peut faire problème : est-ce une façon de redoubler le mot ou d’introduire une distinction ?
« Lors… estoies volonteis et ententis en cuer et en ame de tenir ce que ces vertuz t’avoient presté » (La Queste del Saint Graal, p. 125.)
110L’emploi de ame, plus rare dans le Lancelot, plus fréquent dans la Queste del Saint Graal, est marqué religieusement : dans le Lancelot, il intervient lors des aventures qui préfigurent celles de la quête du Graal (t. 2, p. 36 : aventure de la tombe ardente de Symeu ; p. 348 : dans une prière pour le salut du corps et de l’âme, etc.) ; dans la Queste del Saint Graal, il est surtout placé dans la bouche des ermites. Le mot est moins souvent utilisé seul que dans le couple corps/âme, et pour en évoquer la séparation (la mort) ou au moins pour marquer la distinction de nature (matériel/spirituel) des deux éléments (La Queste del Saint Graal, pp. 55, 71, 74, 92, 96, 98, 118, 122, 124, 126, 132, 136, etc.). Contentons-nous de citer :
… ce ert anemis qui le voloit mener a destruction de cors et a perdicion d’ame. (La Queste del Saint Graal, p. 182.)
… « de quelle hure que tu demanderas la mort del cors, tu l’avras et recevras la vie de l’ame. » (La Queste del Saint Graal, p. 274.)
111Vocabulaire et représentation – opposition de la chair et de l’esprit, du corps mortel et de l’âme immortelle – traditionnels dans le christianisme. Il est normal que l’auteur du cycle y ait recours et qu’il les utilise plus fréquemment dans sa partie la plus « religieuse ». Mais on voit comment le vocabulaire du cuer repose, lui, sur une conception non dualiste de l’homme – celui-ci étant perçu comme un être dont l’humanité même est cuer, c’est-à-dire à la fois cuer-corps, cuer-sentiment, cuer-volonté, cuer-pensée, etc. Et la Queste del Saint Graal n’abolit nullement cette conception.
112En fait, très nombreuses sont les occurrences du cuer où il est difficile de dire s’il s’agit du siège de la vie affective, morale, intellectuelle car il y est question globalement de la vie de l’esprit, et même sensible car on y parle, de façon encore plus large, de toute la personnalité – et les manifestations extérieures du sentiment en font partie. Bref, le plus souvent, le cuer, c’est l’homme :
« Cuers d’omme ne puet a grant honour venir qui trop longement est sous maistre ne sous maistresse, car il le covient sovent trembler »
(« maistre » et « maistresse » désignent ici les éducateurs).
(Lancelot, t. 7, p. 85.)
… l’on ne voit gaires avenir en nule terre que grant sens et grant proeche soient ensamble herbergié en cuer d’enfant. (Lancelot, t. 7, p. 151.)
113C’est même l’action qui, d’après le dernier texte, a son siège dans le cœur. Il en est de même dans celui-ci où le cœur (l’être) n’est plus celui de l’enfant, mais celui de l’amoureux :
« Sachiez que je ne fusse venuz a si grant haustece com je sui, se vos ne fussiez, car je n’eusse mie cuer par moi au conmancement de ma chevalerie d’emprandre les choses que li autre laissoient par defaute de pooir ; mais ce que je baoie a vos et a vostre grant biauté mist mon cuer en l’orgoil ou j’estoie si que je ne poisse trover aventure que je ne menasse a chief. » (Lancelot, t. 5, p. 3.)
114Ou, en tout cas, ce sont, au moins, plusieurs aspects de sa personnalité mentale :
(Banin à Claudas :) « Et bien sachiés que terre ne prendroie je nule de vous, car Diex ne fist onques si riche terre que je vausisse pas avoir, se ne vous en peuse grever ; mais mes cuers nel poroit sofrir autrement a qui je sui. »
(Lancelot, t. 7, p. 22.)
115Ici, on a le cœur comme centre de la vie affective (Banin hait Claudas) et de la vie éthique (il ne voudrait pas faire preuve de déloyauté à son égard).
(Niniène jeune fille) :
… ele n’aroit ja en son lit homme que ele veist des iex, que ses cuers ne le porroit souffrir. (Lancelot, t. 7, p. 39.)
116Ici, c’est sans doute à la fois l’imagination de la jeune fille et son corps qui sont en cause.
Et les teches du cuer ne furent pas oubliees en lui a aseoir car che fu li plus dous enfans et li plus deboinaires… Et s’il avoit en talent a faire aucune chose qui li samblast en son cuer estre boine et raisounable, n’en estoit pas legiers a remuer… (Lancelot, t. 7, pp. 74-75.)
117Ici, à quelques lignes d’intervalle le mot cuer est utilisé pour désigner le centre de la vie éthique, puis, dans la deuxième occurrence de la vie éthique et réflexive à la fois (boine et raisounable), etc. Nous avons pris volontairement tous les exemples dans un espace restreint de texte (une cinquantaine de pages du Lancelot, t. 7) pour mieux faire apparaître la fréquence de ces emplois à registres multiples.
118Au delà des occurrences singulières de cette représentation, plusieurs passages la développent en « portraits », idéaux ou critiques, de l’individu ou du groupe.
119C’est d’abord l’allégorie des deux cuers dans le chastoiement de Niniène à Lancelot (Lancelot, t. 7, pp. 253 sq.), où la référence à l’ aimant et à la cire garde son registre matériel au cuer :
« Chevaliers doit avoir .II. cuers, l’un dur et serei autresi com aimant et l’autre mol et ploiant autresi comme cyre caude. » (Lancelot, t. 7, p. 253.)
120tout en permettant de jouer sur le registre figuré (dureté, fierté/tendresse, bonté) – lui-même affectif et éthique :
« Chil qui est durs com aymans doit estre encontre les desloiaus et les felons, car autresi com li aymans ne sueffre nul polissement, autresi doit estre li chevaliers fel et cruex vers les felons qui droiture depiechent et empirent a lor pooirs ; et autresi com la cyre mole et caude puest estre flequie et menee la ou on le veut mener, autresi doivent les bones gens et les pitex mener le chevalier a tous les poins qui apartienent a deboinareté et a douchor. »
(Lancelot, t. 7, pp. 253-254.)
121sans exclure, bien évidemment, celui du discernement :
« Mais bien se gart que li cuers de chire ne soit as felons ne as desloyaus abandounés, car tout avroit perdu outreement quanque il lor avroit fait de bien »
(Lancelot, t. 7, p 254.)
122Ce ne sont pas seulement des attitudes mentales qui sont analysées ici mais en même temps un programme d’action, de vie. C’est un point que nous n’avons pas souligné jusqu’à présent : le cuer sent, pense, possède des teches – et tout cela est ordonné à une action, celle du haut cuer précisément, élément dans lequel cuer-corps et cuer-esprit sont liés, et sans lequel l’unité humaine – pensée, volonté, action – serait incomplète. Le cuer chevaleresque est à la fois celui qui sait distinguer les orgellos des boines gens, celui qui hait et châtie les uns, aime et protège les autres.
123L’image du cuer dur/tendre se retrouve dans le cuer amoureux. Guenièvre reprenant en écho les paroles de Niniène confirmera que Lancelot s’est bien conformé à l’idéal proposé :
« Ha, Lancelos, chevaliers sor tos autres chevaliers, debonaires entre tos, la ou vos deviés estre debonaires, simples et dolz et pitoz aignials envers cels qui amor vos mostroient, lions vers les felons et vers les orgueillos »
(Lancelot, t. 2, p. 315.)
124mais modifiera pour finir l’endroit de la « coupure » :
… « cuers de liepart encontre tos fors encontre moi, vos estiés a tos suspiés et sire de tos par la haute renomee de vos fes, mes a moi estiés vos sospiés si que ençois vos laissisiées detrenchier et ocirre que rien fesisiés contre ma volenté. »
(Lancelot, t. 2. p. 315.)
125Lui-même, lorsqu’il dira le rôle que Guenièvre a joué dans sa vie emploiera le mot cuer pour désigner ce centre de lui-même où s’articulent l’amour de la reine, le désir de la mériter par la prouesse et la hardiesse d’agir dans cette voie (voir texte t. 5, p. 3 cité ci-dessus)12. L’ermite de la Queste del Saint Graal qui reprochera au contraire à Lancelot son amour pour elle, inversera les signes de l’analyse mais ramènera, lui aussi, tout au cœur du héros :
« … et dels en ton cuer que tu ne devoies rien prisier ne ne priseroies ja mes se tu n’avoies ta volenté de cele que tu veoies si bele. »
(ce que faisant il pèche mortellement en orgueil et luxure, précise le religieux)
(La Queste del Saint Graal, p. 126.)
126Et Lancelot lui-même, dans la Mort le Roi Artu, et en toute connaissance de son échec face au Graal – à cause de son amour –réaffirmera à la demoiselle d’Escalot combien pensée, volonté et amour de Guenièvre ne font qu’un en lui. Prié d’amour, il commencera, par égard pour la jeune fille, par donner une version ambivalente de son état d’esprit :
« … se il avoit son cuer en sa baillie qu’il en poist fere a sa volenté del tout, il seroit trop vilains s’il vos en escondisoit. » (La Mort le Roi Artu, p. 41.)
127avant d’ajouter, pressé par les questions de la demoiselle :
« Conment, n’est pas vostre cuers si abandonneement a vos que vos en puissiez fere a la vostre volenté ? » (La Mort le Roi Artu, p. 42.)
128que, pris, son cœur n’en est pas moins libre :
… « ma volenté en faz ge bien, car il est del tout la ou ge vueil que il soit, ne en nul autre leu ne voudroie ge mie que il fust ; car il ne porroit estre en nul leu si bien assenes comme il est la ou ge l’ai assis ; ne ja Dex ne doinst que il de ceste volenté se departe, car après ce ne porroie ge vivre si a aise come je fais orendroit. » (La Mort le Roi Artu, p. 42.)
129Dans tout cela, le cuer de l’homme est livré à lui-même et aux autres. La Queste del Saint Graal va le montrer aux prises avec Dieu et le diable. La métaphore du cœur (chevaleresque) dur/tendre y est gardée. Mais elle devient celle du cuer endurci dans le péché ou assoupli, pour s’ouvrir à la parole de Dieu/attendri par les larmes du repentir.
130Niniène (Lancelot, t. 7) décrivait des temps mythiques où, déjà, l’existence des orgoillos et felons à côté des boines gens sans défense nécessitait l’exercice d’une chevalerie aux cœurs de cyre et d’aimant, héros également pourvus en teches de corps et de cœur (p. 244), chevalerie qui perdure idéalement :
« … mais de tous cuers doit estre li plus esmerés et le plus nes chil qui veut estre chevaliers » (Lancelot, t. 7, p. 255.)
131La Queste del Saint Graal gardera ce langage mais en le transposant : elle accomplit plus qu’elle n’abolit l’ancienne Loi :
(Un « preudome » explique à Perceval que Dieu veut l’éprouver dans l’île d’où il ne peut repartir) :
« Car puis que vos en si haut degré estes montez, vostre cuers ne se doit abessier por poor ne por peril terrien. Car cuers de chevalier doit estre si durs et si serrez contre l’anemi son seignor que nule riens ne le puist flechir. »
(La Queste del Saint Graal, p. 100.)
132Elle évoque un autre passé, plus proche sans doute, mais où, surtout, c’est la relation à Dieu qui est justiciable de la même métaphore, laquelle en prend un sens tout différent :
« Quant li Peres des cielx vit qu’il avoit en tous si grant durté que li uns ne connoissoit l’autre… ne parole que prophetes li deist… il envoia son fil en terre et por cele durté amoloier et por fere les cuers des pecheors tendres et noviax. Et quant il fu descenduz en terre, il les trova toz endurciz en pechié mortel si que ausi bien poist len amoloier une roche dure come lor cuers »…
(La Queste del Saint Graal, p. 38.)
133Les chevaliers-quêteurs trouveront leur place particulière dans cette nouvelle hiérarchie. Au départ de la quête, ils sont encore dans l’ancienne registration :
si plorerent assez a cel departement cil qui plus cuidoient avoir les cuers et durs et orguillox… (La Queste del Saint Graal, p. 26.)
134mais cette tendresse qu’ils se découvrent ne leur sera pas comptée dans la nouvelle aventure. Ils s’y retrouvent accusés, cependant, de dureté, tel Lancelot par la voix nocturne (« Lancelos, plus durs que pierre », p. 61). A lui de comprendre et de « s’attendrir » pour de nouvelles raisons : il s’en va sospirant dou cuer et larmoiant des eulz (p. 61), se lamentant sur ses péchés. Un ermite lui explicitera ce qu’il n’avait fait qu’entrevoir : la voix visait son cœur endurci dans le mal :
« si endurciz qu’il ne peut estre amoloiez ne par feu (= le saint Esprit), ne par eve (la parole de l’Evangile), (parole qui, du coup) "ne puet estre receue en son cuer"« (La Queste del Saint Graal, p. 66.)
135Les larmes opèreront cette transformation, avec le repentir qu’elles expriment : au château du Graal, Lancelot finira par entendre à son tour13 les chants de l’inconcevable et de l’indicible et y manifestera sa conversion :
« … une voiz qui chantoit si doucement qu’il ne sembloit mie que ce soit voiz de mortiex choses mes d’esperitiez… Quant Lancelot ot ce que la voiz disoit, si li atendroie li cuers » (La Queste del Saint Graal, p. 254.)
136Quant à Bohort qui récuse, au nom de la vertu sacramentaire du baptême (donnée à tous) et de la responsabilité individuelle, la parole de l’ermite, pourtant appuyée sur l’Evangile, (li bons arbres fet le bon fruit, La Queste del Saint Graal, p. 164) qui devrait faire de lui un digne fils d’Evaine et de Bohort (texte p. 165 cité précédemment), il s’entend rappeler qu’il méconnaît les vraies données de cette navigation humaine où, selon lui, l’aviron (= la volonté de l’homme) faisait avancer le navire, et dire qu’il accorde trop de confiance au cœur de l’homme :
« A l’aviron a mestre qui le tient et mestroie et fet aler quel part qu’il veut : ausi est il dou cuer de l’ome. Car ce qu’il fet de bien li vient de la grace et del conseil dou Saint Esperit, et ce qu’il fet de mal li vient de l’enticement a l’anemi »
(La Queste del Saint Graal, p. 165.)
137Si l’image de la nef14 est nouvelle ici, elle n’apparaît que cette fois. Son caractère très matériel (li cuers de l’home si est l’avirons de la nef) lui permet de garder cette fluctuation du propre au figuré qui faisait que le cuer pouvait souffrir de la puanteur de l’orgueil (Lancelot, t. 7, p. 127)15. Cette fluctuation, on l’a aussi, nous l’avons dit, avec l’image poursuivie du cœur d’aimant (de pierre) ou de cyre qui atenroie, et avec l’évocation des secrez dou Graal, comme il est d’ailleurs normal puisque c’est le cuer de l’homme qui s’en approche par la quête. Cette révélation allie une pensée (inconcevable) et une parole (indicible) ; elle passe par la vue – le veoir apertement réitéré – du haut soleil auquel le chevalier en quête a fichié son cuer (La Queste del Saint Graal, p. 114) – mais que, pas plus que la mort il ne pourra regarder en face, par l’ouie – l’audition des chants de louanges qui atendroie le cœur de Lancelot –, par le goût – les soatumes qui remplissent le cuer – non la bouche – des élus lorsqu’ils reçoivent cette haute viande qu’est le Graal. C’est le cuer de l’homme – corps et esprit – qui y est impliqué tout entier. Sur ce plan, la Queste del Saint Graal ne s’écarte pas du Lancelot.
138Si on peut trouver quelque trace de la rupture de l’unité, ce sera dans la Mort Artu – dans le temps que le monde arthurien se défait. Nous avons déjà signalé le nombre exceptionnel d’occurrences où le cuer y est associé au sentiment amoureux. Il serait paradoxal d’y lire la recomposition d’un univers autour d’une valeur particulière puisque la dernière partie du cycle dit au contraire comment la sage amour de Lancelot et Guenièvre y devient fole à la semblance de celle de Tristan et Yseut, comment les plus proches compagnons de la Table Ronde (Lancelot et Gauvain en seront le pire exemple) vont s’affronter, comment cette cour jusque là harmonieuse va avoir ses losengiers (Agravain et ses frères), comment l’amour de Lancelot et Guenièvre, encore, va devenir mortel (pour la demoiselle d’Escalot, pour les amants eux-mêmes, pour Arthur, pour le royaume). On y lira plutôt comment se déséquilibre le cœur de l’homme, moins soucieux de considérer hardement et justece et d’avoir bone esperance (La Queste del Saint Graal, p. 17). On y verra d’ailleurs que le cuer (en tant que siège du sentiment amoureux) entre en rivalité avec le sentiment de l’honneur dont il était antérieurement le support :
(Guenièvre consulte Lancelot sur la proposition que lui a faite Artus de la reprendre à la cour ; il répond)
« Se vos en feissiez ce que mes cuers desirre, vos remeindriez ; mes neporquant, por ce que je vueill que cist aferes aut plus a vostre enneur que selunc mon desirier, vos en iroiz a vostre seignor le roi Artu »… (La Mort le Roi Artu, p. 154.)
139Plus que le choix de l’honneur de la reine ici fait par Lancelot16, retenons la dichotomie qui s’opère dans la conscience du héros – le cœur n’est plus qu’une partie de lui-même. On en repérerait d’autres : affection mortelle d’Artus qui tue Lucan le Bouteiller en le serrant dans ses bras :
… et l’embrace et l’estraint si qu’il li crieve le cuer el vente.
(La Mort le Roi Artu, p. 247.)
140Et jusque dans la disparition, significative, du cuer : le corps d’Artus, ramené par les fées est enterré à la Noire Chapele. Dans cette séparation du corps et, à l’évidence, de l’âme, qu’est devenu le cuer du roi ? En dehors du cycle, on sait comment s’illustrera, ensuite, le débat contradictoire du cuer et du corps, comment intellectus et fides iront s’écartant.
141Artus, le roi caché, dort en Avalon. La manipulation dynastique de son retour inventé, la rêverie bretonne de son avènement celtique pourraient bien occulter/révéler une autre espérance : celle du cuer réunifié, chevaleresque et humble, amoureux et compatissant, actif et pensif, cuer de gloire.
Notes de bas de page
1 Editions utilisées et citées en référence : Lancelot, roman en prose du xiie siècle, éd. par A. Micha, 9 vol. Paris-Genève, 1978-1983. La Queste del Saint Graal, roman du xiiie siècle, éd. par A. Pauphilet, Paris, 1967. La Mort Artu roman du xiiie siècle, éd. par J. Frappier, Genève, 1964.
2 Si, dans la liste précédente, n’apparaissent que certains des tomes dépouillés, c’est qu’il ne se rencontre aucune occurrence du motif dans les autres. Pour l’exemple cité, on n’en trouve donc aucune dans les t. 5 et 6 du Lancelot, ni dans la Queste del Saint Graal. Il en sera de même dans les relevés ultérieurs, sauf indication particulière. D’autre part, les sondages de contrôle effectués dans les autres tomes du Lancelot ne font pas apparaître l’émergence de sens nouveaux du mot cuer ni de variantes significatives quant aux différents sens qui lui sont prêtés ou au nombre relatif des occurrences.
3 Cf. ci-dessus.
4 Cf. aussi p. 185.
5 Encore les connotations morales de cette odeur méphitique ne sont elles pas à négliger : c’est celle du corps de Brumant l’orgueilleux foudroyé pour s’être assis sur le Siège Périlleux à la Table Ronde.
6 Cf. ci-dessous, sur le cœur siège du (des) sentiment(s)
7 Il arrivera à tel ou tel chevalier (à Lancelot en particulier) de se percevoir comme honniz parce qu’il manque à accomplir une aventure, voire d’être « salué » comme tel ; cela se passe dans le cadre des aventures qui annoncent celles de la quête du Graal : tombes en feu, fontaine bouillante, liturgie du Graal à Corbenyc : il s’agit là de défaites dues précisément à l’in-dignité au (nouveau) sens qui l’emportera dans la Queste del Saint Graal : voir la fin de cette étude.
8 Bohort le fera par amitié pour Lancelot.
9 Certes, pour Lancelot, le fait de monter sur la charrette et de s’exposer à la risée publique est une épreuve d’amour : et l’honor de Lancelot est de préférer le salut de Guenièvre à sa propre réputation dans le monde. Mais il s’agit, par là même aussi, de montrer l’écart entre la reconnaissance du monde (fondée sur une apparence qui peut être trompeuse) et le sentiment personnel de n’avoir pas démérité (fondé en réalité). Lancelot n’a pas à accomplir un acte « déshonorant » mais à accepter que l’on croie qu’il l’a commis. Le texte est, je crois, révélateur du passage d’une shame culture à une guilt culture. Abélard aidant, l’intention trouve sa place. Il n’en reste pas moins que Lancelot aura à renouveler la preuve de la réalité de son haut cuer défini comme l’acceptation d’épreuves qui montreront ce qu’il est capable d’exiger de lui-même : pont de l’épée. Méléagant… Mais aussi que ceux qui auront cru à l’apparence s’apercevront qu’ils se sont trompés : l’inadéquation de leur critère de jugement sera donc dénoncée.
10 Que le reproche de Lambègue soit, ici, mal fondé ne nous importe pas.
11 Tout en agissant : il conquiert les royaumes de Benoÿc et de Gaunes, mais ce en quoi il est un malvés cuers puisque son entreprise est illégitime.
12 Le mot cuer revient deux fois dans ce passage : la première, il y offre le double sens de « courage » et de « pensée audacieuse » ; la seconde, il désigne l’ensemble de la personnalité.
13 Sur ces chants, cf. déjà Lancelot, t. 2, p. 384 : Et lors commencent totes les vois a chanter ensamble si dolcement que cuers mortels ne le porroit penser ne langue terriene dire…
14 En rapport étroit avec la structure romanesque de la Queste del Saint Graal où les navigations remplacent les chevauchées du Lancelot et avec l’image – religieuse – de l’âme-nef naviguant sur la mer du monde… ou sur les eaux de la grâce.
15 Dorin hait les orguellos et ne veut même pas jeter les yeux sur eux car parmi les iex s’en sentoit li cuers el ventre de la puor.
16 Au demeurant, s’agit-il vraiment d’honneur ? sa veraie honor selon l’expression employée dans l’épisode de la charrette ? Ou de son apparence ?
Notes de fin
* Paru in le « Cuer » au Moyen Age, Senefiance 30, 1991.
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