Le nombril de Mélusine ou la laideur en partage dans la Mélusine de Jean d’Arras1
p. 533-546
Texte intégral
1Le roman en prose sur la légende de Mélusine, composé en 1392-1393, à la requête de Jean de Berry, comte de Poitou et d’Auvergne, récupère l’histoire de la fée Mélusine, fondatrice de la famille poitevine de Lusignan. Cette mise en écrit de la légende intrique trois strates temporelles en contant d’une part, l’histoire du roi d’Ecosse, Elinas, et de la fée Présine, d’autre part, celle de l’une de leurs trois filles, Mélusine, l’aînée, qui peut espérer échapper à sa condition de nymphe, condamnée à se transformer en serpente “du nombril en aval” tous les samedis, si elle est aimée d’un mortel qui ne transgressera pas l’interdit qu’elle lui impose : ne pas chercher à la voir le samedi ; enfin, les prouesses des fils de Mélusine et de Raimondin qui nous entraînent en Bretagne, en Allemagne et en Orient, dans une geste que l’on peut qualifier d’épique. Ces trois strates reposent sur une malédiction portant sur la vue léguée à la génération suivante : Elinas perd la fée Présine pour l’avoir vue durant ses relevailles ; c’est à l’instigation de Mélusine que les trois filles décident de venger leur mère en enfermant leur père dans une montagne mais la fée les châtie sévèrement. Tout se passe comme si l’interdit lié à la vue s’était déplacé sur Mélusine puisque sa part monstrueuse doit rester celée2. Quant aux nombreux fds, presque tous dotés de signes étranges sur le visage, ils achèvent l’oeuvre mélusinienne par leurs conquêtes et Geoffroy obtient le rachat de l’âme de son père, Raimondin, coupable d’avoir transgressé l’interdit de la fée.
2Avec ce roman généalogique, porteur d’une mémoire familiale, Jean d’Arras veut rehausser le pouvoir et le prestige de la famille des Lusignan, en la dotant d’ancêtres mythiques et fabuleux et en faisant appel à des personnages historiques. Cette chronique repose sur une esthétique double mêlant les dimensions mythologique et historique, les traditions bretonne et épique, à l’image du corps hybride et partagé de Mélusine dont le nombril symbolise le lien qui la rattache aux humains3 et le point de partage de sa double nature, humaine et prodigieuse.
3Ultime trace en même temps que signe d’une perte de l’humain, le nombril de Mélusine partage également son corps en deux : du nombril en aval, elle est femme d’une beauté hyperbolique, en deçà, elle devient serpent. Le nombril figure-t-il un lien entre les deux catégories de l’humain et du diabolique, du beau et du laid ou marque-t-il une disjonction, une rupture ? De plus, le nombril est aussi le lien entre l’amont de l’origine et l’aval de la descendance. C’est sans doute à travers sa nombreuse descendance que l’on peut appréhender le problème du beau et du laid chez Mélusine : si les sept premiers fils portent sur leur visage les signes “estranges”, remembrances visibles de la dualité de leur mère, le huitième dénommé Horrible cristallise le laid et le mal en sa personne physique et morale, alors que les deux derniers se rattachent nettement à l’humain, ayant perdu toute trace de la nature faée de leur mère. Que signifie cette hétérogénéité physique des dix fils ? Leur laideur est-elle manifeste ou passée sous silence ? Autrement dit, le laid est-il l’envers du beau, ou bien peut-il s’intégrer au beau, s’enter sur le beau, et dans ce cas qu’advient-il de lui ?
4Par ailleurs, le choix d’un personnage monstrueux désigné pour fonder un prestigieux lignage n’implique-t-il pas de facto d’escamoter sa “laideur”, comme Françoise Clier-Colombani4 l’a bien montré, dans son analyse iconographique ? Dans le roman, Mélusine est présentée soit sous sa forme humaine/faée, dotée d’une beauté surnaturelle et hyperbolique, soit sous sa forme hybride soit sous sa forme serpentine, et dans ce cas, sa “laideur” est passée sous silence. Cet escamotage du “laid” se double de brouillages nombreux entre les deux catégories.
5On voit, en outre, se tisser des liens très forts entre les deux notions ici conjointes d’hybridité corporelle et d’hybris : c’est pour avoir osé punir son père (qui avait rompu le pacte imposé par la fée) que sa mère, la fée Présine, condamne Mélusine à se transformer en serpente ; parce que Raimondin a transgressé le pacte passé avec la fée, la voilà condamnée à conserver son statut de fée sans jamais pouvoir rejoindre le cercle des mortels, de même que Raimondin doit gagner le salut de son âme. L’hybridité signifie à la fois la punition de la faute et l’instrument de la rédemption. Le corps partagé de Mélusine fait d’elle l’instrument de rachat de Raimondin, tout comme les marques “estranges” de sa progéniture sont les pendants nécessaires des constructions fastueuses de la fée. Le luxe que déploie la Mélusine bâtisseuse s’accompagne d’un défaut de naissance de ses fils qui portent la signature de la nature faée de leur mère (en termes de manque ou d’excès). Un seul des fils se situe au croisement de l’atavisme paternel et maternel, Geoffroy à la Grande Dent dont l’emblème évoque aussi bien la part chthonienne de Mélusine que la faute de Raimondin lors de l’épisode de la chasse au sanglier. Son importance dans le récit ne témoigne-t-elle pas du fait que l’hybridité devient ici le signe d’une réconciliation entre deux catégories que la morale normative sépare radicalement, le beau et le laid, d’une part, le bien et le mal, d’autre part ?
6Mélusine, fille de fée, est d’une beauté rare5 et elle est la seule des trois filles de Présine à être châtiée dans son apparence physique ; contrairement à ses soeurs, Mélusine est marquée dans son corps d’avoir osé punir son père : elle est condamnée par sa mère à se transformer en serpente tous les samedis afin d’expier sa faute, alors même qu’elle s’apprêtait à rejoindre le cercle des mortels :
La vertu du germe de ton pere toy et les aultres eust attrait a sa nature humaine, et eussies este briefment hors des moeurs, nimphes et faees, sans y retourner. Mais desormais je te donne le don que tu seras tous les samedis serpente du nombril en aval. (p. 12)
7Alors que la semence paternelle l’emportait sur la nature faée de la mère, Mélusine se voit marquée du signe d’essence presque diabolique dont l’origine est implicitement identifiée à la mère, le serpent. Son péché d’hybris lui vaut le châtiment de la métamorphose en femme-serpente, c’est-à-dire une forme hybride. Ce n’est que dans un deuxième temps, après que Geoffroy a incendié le monastère où s’est retiré l’un de ses frères que Raimondin prononcera la parole fatale qui fera d’elle une serpente pour l’éternité.
8On constate que dans les deux scènes-clés que sont le bain de Mélusine et l’envol, montrant la fée sous sa forme hybride puis serpentine, toute mention de laideur est effacée. A la vue de sa femme dotée d’une énorme queue de serpent qui bat l’eau, Raimondin n’éprouve nulle peur mais nourrit un profond remords d’avoir ainsi transgressé l’interdit de sa bien-aimée6. Le remords est immédiat et concomitant à la vision : “Et quant Remond la voit, si fil moult dolens”. La douleur de Raimondin permet d’oblitérer et de taire l’aspect terrifiant du corps de Mélusine ; le point de vue se déplace sur la réaction de Raimondin et ses lamentations. De plus, la queue de serpent est rapidement décrite et est plutôt traitée comme s’il s’agissait d’un élément qui n’appartient pas en propre à la fée :
“estoit jusques au nombril en figure de femme et pignoit ses cheveulx, et du nombril en aval estoit en forme de la queue d’un serpent, aussi grosse comme une tonne ou on met harenc, et longue durement” (p.242).
9La comparaison de la queue serpentine à un tonneau où l’on conserve les harengs tend à rendre le prodigieux familier, en renvoyant à une réalité toute prosaïque. Le point de démarcation entre la beauté de la fée et la laideur de la serpente est figuré par le nombril qui plus qu’une jonction crée une rupture, soulignant la nature duelle de Mélusine. La beauté de Mélusine est sinon préservée, en tout cas sa laideur physique est escamotée ou passée sous silence, comme en témoignent les retrouvailles des deux amants la nuit qui succède à l’épisode du bain épié ; Mélusine est nue et son corps est sans tache (p.243). La nudité parfaite de Mélusine vient ici effacer la vision précédente de la femme-serpente. L’auteur, comme Raimondin, s’emploie à taire la “monstruosité” de Mélusine.
10Quant à la métamorphose ultime de Mélusine en serpente, elle n’accentue nullement une quelconque laideur de la dame ; une fois encore, c’est le repentir qui habite Raimondin et non la terreur ou le dégoût qui est souligné. Le serpent est présenté comme l’autre de Mélusine : “Et lors se mue en une serpente grant et grosse et longue de la longueur de xv. piez.” (p.260). L’enveloppe corporelle de Mélusine, “en guise de serpente”, fonctionne comme une illusion, l’autre de Mélusine qui ne lui appartient pas et qui cache la nature profonde du personnage ; demeurent, échos de sa nature humaine, les cris de la fée qui résonnent au lointain7.
11Alors que l’on assiste à un glissement de la beauté première et originelle de Mélusine à un passage à la forme hybride avant d’atteindre la catastrophe finale de la métamorphose, on suit un cheminement inverse pour sa descendance. Si les sept premiers fils sont atteints dès l’origine d’une marque prodigieuse, le huitième cristallise de manière emblématique l’alliance du laid et du mal, alors que les deux derniers enfants retrouvent la voie de l’humanité ordinaire.
12Les sept premiers fils de Mélusine, pourtant atteints de tares physiques que nos consciences modernes jugeraient monstrueuses, ne sont guère considérés comme laids selon la lettre du texte ; leur physique tient davantage du prodigieux que du laid comme s’il s’agissait de souligner la variété des créations de la nature8. Ils ont hérité de la beauté paternelle et/ou maternelle et ont conservé traces de la nature faée de Mélusine dans une esthétique du mélange et de la variété. Les signes “estranges” peuvent porter sur le manque (Renault est doté d’un oeil unique), l’ajout (une dent de sanglier dépasse de la bouche de Geoffroy ; Fromont a sur le nez une tache velue comme la peau d’une taupe ou d’une fouine ; Antoine est doté d’une patte de lion velue aux griffes tranchantes sur la joue gauche), l’hypertrophie (Urien a les oreilles surdimensionnées et comparables aux anses d’un vase9), l’asymétrie (c’est encore le cas d’Urien dont les yeux ne sont pas identiques, l’un rouge et l’autre pers ; Guyon : un oeil plus haut que l’autre ; Eudes : une oreille plus grande que l’autre ; Antoine a une patte de lion sur une joue) ou l’hybridité et l’animalité : Geoffroy (sanglier) ; Antoine (lion) ; Fromont (taupe / fouine).
13Les sept premiers fils sont décrits comme de beaux jeunes gens mais d’une beauté que l’on pourrait qualifier de concessive ou restrictive. Leur beauté est première mais doit être nuancée dans un second temps par une restriction. Ainsi en va-t-il des sept frères :
14– le premier fils Urien :
“elle enfanta un filz masle, qui fu de toutes figures bien formez, excepté qu’il ot le visage court et large au travers et avoit un oeil rouge et l’autre pers. Il fu baptisiez et ot a nom Uriien. Et saichiez qu’il avoit les plus grans oreilles qui oncques feussent veues sur enfant ; et au parcroistre, elles furent aussi grandes comme les manevelles d’un van.” (p.47-48).
15– le deuxième fils, Eudes
“ot l’une oreille plus grande que l’autre sans comparoison ; mais de tous membres il estoit beaulx a grant devise et bien formez” (p.78).
16– le troisième, Guyon,
“fu moult bel enfant ; mais il ot un oeil plus hault que l’autre.”(p.78) ;
17– le quatrième, Antoine :
“Grant fu et bien formez de tous membres. Mais il apporta en la senestre joe une pate de lyon, et, ains que il eust vjj ans, elle fu velue et les ongles trenchans, et fist cel Anthoine moult a doubter.” (p.79) ;
18– le cinquième : Regnault :
“Nul plus bel enfant ne povoit on veoir. Mais il n’apporta que un oeil sur terre ; mais il en veoit si cler qu’il veoit venir par mer les nefs, ou par terre autres choses, de trois veues, qui montent bien xxj lieues. Cil fu beaulx, doulz et courtois.” (p.80) ;
19le sixième : Geoffroy :
“Et apporta sur terre une dent qui lui yssoit hors de la bouche plus d’un pousse, et fu nommez Gioffroy au Grant Dent. Cil fu grans, haulx, et fourniz et fort a merveilles, hardiz et crueulx. Chascun le doubtoit qui en ouoit parler” (p.80)10 ;
20– le septième : Fromont, qui
“fu assez beaulx. Mais il ot sur le nez une petite tache velue, comme la pel d’une taulpe ou d’un faouant” (p.80).
21A l’exception de Geoffroy dont il n’est pas fait mention d’une quelconque beauté, tous ces fils apparaissent dotés d’une beauté première à laquelle on aurait ajouté une marque, un surplus ou ôté un élément essentiel à l’harmonie générale. On a l’impression que ces fils ont fait l’objet d’une déformation de leur beauté première, comme s’il s’était agi d’une punition, d’un châtiment. De plus, chaque particularité porte sur le visage, c’est-à-dire ce que l’on voit en premier lieu et plus précisément sur la vue et l’oeil, comme l’a déjà souligné F. Clier-Colombani11.
22Quatre d’entre eux sont atteints d’une tare affectant l’oeil avec un effet de gradation et de surenchère vers le monstrueux : d’abord, Urien est doté d’un oeil rouge et l’autre pers, puis vient Guyon qui possède un oeil plus haut que l’autre ; ensuite Renault vient au monde avec un seul oeil cyclopéen et enfin Horrible, de loin le plus monstrueux a trois yeux. Ne peut-on pas voir là l’écho de l’interdit qu’a transgressé Raimondin, la vue ? A cet égard, le troisième oeil d’Horrible ne serait-il pas la représentation sensible et visible de ce trou que Raimondin a percé dans le mur pour surprendre sa femme au bain ? A l’appui de cette hypothèse, le fait que la naissance de ce septième fils qu’est Horrible risque de détruire l’oeuvre de Mélusine12 ne va pas sans rappeler l’interdit que la fée impose à Raimondin sous peine de perdre tout le profit et toutes ses richesses.
23On sait qu’à chaque conception correspond une construction ; or les constructions participent du rachat de Mélusine et la rapprochent du cercle des humains mais à la perfection et la beauté de l’édifice, la contrefaçon des enfants vient apporter un bémol ; à la surenchère en matière de construction répond comme en écho l’inachèvement ou l’imperfection (manque ou excès) de ses fils. L’hybris de la Mélusine bâtisseuse induit en quelque sorte la démesure physique de ses fils.
24Le narrateur prend soin de nous dire que Mélusine attend ensuite deux ans avant de mettre au monde Horrible, l’enfant qui incarne le mal à l’état pur et que Mélusine préconise de tuer avant qu’il ne détruise tout ce qu’elle a bâti.
“Cil apporta trois yeulx sur terre, de quoy li uns fu ou front ; et fu si crueulx et si mauvais qu’il occist, ains qu’il eust quatre ans, deux de ses nourrices.” (p.80).
25Cette latence temporelle prépare bien un passage ou mieux encore marque une rupture avec la naissance des deux derniers. Thierry et Raimonnet, encore à la mamelle lorsque Mélusine s’envole sous la forme d’un serpent, ne sont dotés d’aucun signe étrange ; mais on ne sait pas avec précision s’ils incarnent la perfection physique ou s’ils sont simplement dépourvus de signes “monstrueux”. En tout cas, le nombril de Mélusine ne donne plus naissance qu’à des enfants qui se rattachent à l’humanité ordinaire.
26Comment expliquer cette hétérogénéité : d’une part, sept fils atteints de signes prodigieux ; un fils incarnant le mal à l’état brut et le laid et enfin les deux derniers débarrassés de toute tare ? Tout se passe comme si les sept premiers enfants avaient chacun apporté sur terre un témoignage de la nature faée de Mélusine alors qu’Horrible cristallise le mal en sa personne physique et morale ; il épuise en quelque sorte la nature merveilleuse de Mélusine en l’incarnant clairement du côté du laid et du mal, comme en témoigne son nom de manière explicite et emblématique. A l’opposé, Thierry et Raimonnet témoignent du fait que Mélusine a reconquis de haute lutte le cercle des mortels dont sa faute l’avait exclu13. Soit qu’elle est parvenue à perdre son côté chthonien qui la rattachait au monde des nymphes, des fées et autres esprits par ses nombreux bienfaits ; soit que la Forme l’ait emporté sur la matière comme cela avait déjà failli se produire dans le cas de Mélusine, la semence paternelle ayant permis d’effacer en partie la nature faée de Mélusine héritée de sa mère.
27Ainsi, à la longue période féconde mais bancale durant laquelle Mélusine bâtit de beaux édifices et engendre des fils marqués de particularités physiques succède la catastrophe où l’on découvre la part monstrueuse et cachée de Mélusine, qu’emblématise la venue au monde d’Horrible qu’il faut mettre à mort14, et l’histoire se clôt sur l’épanouissement des deux derniers enfants qui rejoignent l’humanité ordinaire tandis que leur mère est contrainte de se transformer en serpente pour l’éternité. L’enfant monstrueux et maléfique met à nu le désir de voir de Raimondin puisque l’un comme l’autre peuvent provoquer la fin de la fondation des possessions du lignage. En donnant corps au laid en la personne d’Horrible, Mélusine s’est en quelque sorte délivrée de sa part chthonienne ; la laideur physique et morale de cet enfant est une première étape vers le pardon et la rédemption, réduits à néant dès lors que Mélusine prend pour l’éternité sa forme serpentine :
“Et ceulx qui me souloient faire grant joye quant ilz me veoient, se deffuiront de moy, et auront paour et grant hidour de moy quant ilz me verront, et les joyes que je y souloye avoir me seront peines, tribulacions et griefs penitences et pestillences” (p.259).
28A ces mots, là voilà transformée en serpente. Elle a franchi le point de non retour qui la rattachait encore aux mortels. C’est de la laideur que symbolise la partie serpentine de Mélusine que naîtrait ce possible rachat et le lignage des Lusignan, puisque c’est au prix de l’épuisement et de la mise à nu du laid que la fée peut espérer rejoindre le cercle des mortels et être à l’origine du prestigieux lignage.
29Les catégories du beau et du laid se saisissent dans une problématique de la chute et de la rédemption, comme le laisse entendre la formule incantatoire de Raimondin qui, après avoir accidentellement tué son oncle à la chasse, exprime le souhait suivant :
“Terre que ne te euvres tu ! Si m’engloutiz et me mets avec le plus obscur et le plus hydeulx des angels qui jadiz fu ly plus beaulx de tous car je l’ay bien desservy” (p.22).
30C’est peu après ce souhait de Raimondin qu’il est fait mention de la présence de Mélusine à la fontaine, comme si le souhait s’était matérialisé. Ainsi, la fée apparaît bien comme une sorte d’ange déchu à qui la grâce a manqué, presque sauvé et condamné in extremis et ce, par deux fois : par Présine d’abord qui la condamne à endosser son statut de nymphe, par Raimondin ensuite lorsqu’il l’accuse d’être un “fantosme”, une “infame serpente”15. La rencontre entre Mélusine et Raimondin se situe à la croisée de deux désirs : le désir de Raimondin d’être emporté par le diable dans les entrailles de la terre, de rejoindre le monde chthonien et le désir de la fée d’approcher la beauté du mortel et de rejoindre les humains :
“Mal vy oncques ton gentil corps, ta façon, ne ta belle figure ; mal convoitay ta beauté, quant tu m’as si faussement trahie” (p.256),
31s’exclame Mélusine lors de la séparation des époux. On peut dire que c’est la beauté du mortel qui perd Mélusine, tandis qu’à l’inverse le “laid” rachète la faute de Raimondin et assure son salut. Au désir de chute ultime de Raimondin répond le souhait de rédemption de Mélusine. Mais c’est au prix de sa propre perte que Mélusine sauve le lignage qu’elle a fondé, en prenant les traits du serpent.
32Il semble qu’on ne puisse pas trouver de nette ligne de partage entre les catégories du beau et du laid, ni entre le bien et le mal ; tout concourt à brouiller les frontières et à induire une certaine porosité entre des catégories traditionnellement étanches. On assiste à un troublant jeu textuel de reprises, de déplacements et d’inversions d’un personnage à l’autre tant et si bien que le beau ou le laid ne sont plus assignables à un code précis. Doit-on compter pour un pur hasard le fait que Raimondin ait enfoncé son épée “parmi le nombril” de son oncle16 ? De même, le personnage condamné à “se convertir en serpent” est aussi celui qui peut seul “revenir le maléfice en bien”17 (p.25) ; le laid peut à tout moment se muer en beau et vice-versa. Lors de la scène du bain épié, Raimondin éprouve des remords d’avoir trahi son aimée et se compare à l’aspic venimeux tandis que Mélusine, pourtant découverte en femme-serpente, devient la licorne pure, dans un étrange renversement. Le mal peut engendrer le bien, comme le laid peut donner naissance au beau : la mauvaise action de Raimondin qui a surpris sa femme au bain consolide l’amour qui les lie dans la mesure où il a su garder le silence. De même, le “grant et horrible et hideux forfait”18 (p.255) de Geoffroy qui incendie le couvent où s’est retiré son frère Fromont devient signe de Dieu qui a puni les péchés des moines ; enfin, l’incendie ne va pas sans rappeler le feu purificateur par lequel on fait disparaître le sanglier responsable de la mort de l’oncle de Raimondin19.
33On comprend que l’auteur s’est trouvé confronté à une difficulté majeure : comment faire de Mélusine, personnage qui sent le soufre, une héroïne civilisatrice et humaine, à l’origine de la prestigieuse lignée des Lusignan, sinon en effaçant tous les traits de laideur qui l’apparenteraient au démon, au mal, en faisant des tares de ses fils les signes de leur puissance et de leur hybris, en brouillant les catégories jusque là conjointes de beau et bien, d’une part, et laid et mal, d’autre part ? Cette première difficulté se double d’une seconde qu’exprime très nettement l’oncle de Raimondin qui vient de lire dans les astres le destin qui l’attend :
“Mais comment pourroit ce estre raisonnablement, s’il n’estoit en ton invisible jugement, quant par congnoissance humaine que nulz homs pourroit avoir bien et honnour par mal faire ?20 (p. 19).
34Confronté à ce problème d’ordre éthique qui légitimerait le fait qu’une mauvaise action puisse engendrer des bienfaits, l’auteur a utilisé une fable métaphorique sur l’alliance du laid et du beau, à travers le personnage de Mélusine, afin de faire passer un argument difficilement acceptable pour ses contemporains.
35Pour résoudre ce point d’achoppement d’ordre éthique, Jehan d’Arras a apporté une réponse d’ordre esthétique en brouillant les frontières entre les catégories du beau et du laid et en proposant une esthétique de l’hybride, mêlant le merveilleux breton (centré sur l’amour de Mélusine et Raimondin) et le prodigieux épique (lié aux prouesses des fils et tout particulièrement Geoffroy) et en soulignant la variété des créations divines21.
36C’est à partir du nombril de Mélusine que se met en place l’entrelacs des deux modalités d’écriture et que s’effectue le passage d’un univers à l’autre : le signe “estrange” de Mélusine, sa queue de serpent, fruit de son hybris, qu’elle lègue sous des formes variées à sa riche descendance, fait l’objet d’une réinterprétation dans un univers qui se rattache par nombre d’aspects à l’épique.
37Alors que sa queue de serpent témoignait de l’appartenance de Mélusine au monde surnaturel, les “tares” physiques de ses fils les rattachent très clairement à la démesure propre aux chevaliers épiques ; ils deviennent ainsi des incarnations du furor guerrier. Les signes “estranges” dont ils sont porteurs ne les désignent nullement comme des êtres surnaturels mais comme des chevaliers d’exception, des conquérants capables de soumettre le monde entier, de nouveaux alexandres. Leur “fiere phizonomie” les désigne comme des élus. Rappelons notamment le portrait que le messager brosse des frères Urien et Guyon à la demoiselle Hermine :
“Amis dist la pucelle, sont ilz beaulx damoiseaux ? Par foy, dist ly messaiges, ly ainsnez est grant, et droit et long et fort a desmesure ; mais il a le visaige court et large au travers, et l’un oeil rouge, et l’autre pers, et les oreilles grans a merveille. Et sachiez que de corps et de membres, c’est un des beaulx chevaliers que je veisse oncques. Et sachiez que ly moinsnez n’est pas si grans, mais il est moult beaulx de tous membres, et beau viaire a devise, excepte qu’il a ung oeil plus haut que l’autre un pou, et ne luy messiet pas trop”22 (p.97).
38On voit donc qu’en passant d’un univers à l’autre le signe surnaturel se teinte aux couleurs nouvelles de l’épique et se trouve connoté positivement, signe de démesure en matière de prouesses.
39C’est à Geoffroy qu’il revient de faire la jonction entre les deux univers et d’intégrer le merveilleux breton dans l’univers épique ; c’est lui qui rachète le parjure dont son père s’est rendu coupable à l’égard de Mélusine. Il porte trace aussi de la culpabilité paternelle en raison de sa dent de sanglier, de même qu’il est à l’origine du parjure en incendiant le monastère où son frère s’est retiré. Enfin, il est victorieux du chevalier faé (envoyé par Mélusine ou par Dieu) et poursuit l’oeuvre mélusinienne en faisant construire une chapelle pour le repos de l’âme de son père.
40De plus, on voit s’opérer une véritable réappropriation du motif surnaturel par la geste épique à travers ce qui pourrait passer pour un simple détail. En effet, la dent de sanglier de Geoffroy est à l’évidence une marque faée (métonymie de l’héritage de Mélusine) et surtout la métaphore de la culpabilité paternelle. Par cet emblème qu’est sa dent de sanglier, le personnage permet de passer du sanglier emprunté au merveilleux breton (lors de l’épisode de la chasse) au juron épique “par les dents de Dieu”, qui est en quelque sorte son cri épique. Certes, on ne trouve pas, dans le roman de Jean d’Arras, de comparaison explicite entre Geoffroy et le sanglier, comme le fait Coudrette, mais Geoffroy, ce fils dont chaque geste est dicté par la démesure et l'hybris incarne certains traits de l’animal prodigieux23. La part maléfique du surnaturel s’est “muée” en prodigieux épique source des prouesses et de la fondation du lignage de Lusignan. Le nombril de Mélusine fait d’elle la “Mère Lusine”, la bâtisseuse surnaturelle qui a engendré des fils dignes des meilleurs chevaliers épiques. L’hybridité de la fée est à la fois source de rachat du mortel dans une perspective morale, source de tous les bienfaits et origine d’une esthétique double, alliant le merveilleux breton et la veine épique ; l’hybris et l’hybridité se chargent de connotations positives et avec elles le laid et le beau se “révertissent”, à l’image de la fée tantôt femme-fée d’une beauté sans égale ( fée richement parée24 ou femme nue25), tantôt “en guise de serpente”26 dont la laideur est passée sous silence et ne provoque nul effroi. Ce récit admet non une lecture rationnelle qui ferait le partage entre le bien et le mal, le beau et le laid, mais une attitude autre, celle de l’émerveillement.
41Le divin demeure obscur à l’entendement humain, nous rappelle Jean d’Arras dans son prologue 27 et dans son épilogue28. On ne peut approcher les secrets divins, de même qu’on ne doit pas tenter de connaître le secret de Mélusine. Mais à défaut d’espérer entrevoir les secrets du divin par la raison, on peut les approcher par l’émerveillement. Avec ce roman, Jean d’Arras entraîne le lecteur dans une réflexion sur la création divine, ses secrets, ses incongruités, ses monstruosités aussi ; cette interrogation sur la création divine en rejoint une autre sur la création romanesque : comment construire un récit de fondation à partir d’un personnage qui n’est peut-être qu’illusion : quel moyen trouver “pour colourer nostre hystoire a estre vraye” que ce récit de la métamorphose de Mélusine en (femme-) serpente dont la queue-armoirie est “burelée d’azur” ? Les muances de la queue de Mélusine, queue serpentine, terrifiante et pourtant comparable à un objet issu du quotidien, avant de devenir emblème du lignage des Lusignan, serait la métaphore d’un récit de fondation contraint d’emprunter aux prodiges de la nature, aux mystères de la création et de l’imagination pour relater l’histoire d’une famille célèbre. Il revient au nombril de Mélusine de faire le lien entre la matière prodigieuse, incompréhensible à l’âme humaine, issue d’un fonds légendaire, et le matériau historique, avéré d’un lignage constitué dans la réalité. La laideur de la serpente est escamotée et avec elle, celle de ses fils dont l’étrangeté devient signe d’élection et participe du processus de glorification du lignage ; les frontières entre le beau et le laid, le bien et le mal se font plus poreuses tandis que le seul personnage qui incarne à la fois le laid et le mal, Horrible, se trouve évincé d’un récit qui favorise une esthétique de l’hybridité et de la métamorphose.
Notes de bas de page
1 Mélusine, Roman du xive siècle par Jean d’Arras, éd. L. Stouff, Dijon, 1932 (Publications de l’Université de Dijon).
2 Certes Raimondin a vu le secret de Mélusine mais il s’est tu.
3 On sait que ni Adam, ni les anges ne sont dotés d’un nombril. On peut ajouter que ni le serpent ni le démon n’ont de nombril, ce qui tend à souligner la nature bien humaine de Mélusine.
4 Cf La Fée Mélusine au Moyen Age, Images, mythes et symboles, Paris, Le Léopard d’Or, 1991, ouvrage dans lequel elle étudie l’iconographie de la métamorphose de Mélusine, de son bain et de son envol, notamment. Il n’existe pas à notre connaissance de réflexion sur le beau et le laid liés à Mélusine d’un point de vue strictement littéraire.
5 Cf la rencontre entre Raymondin et Mélusine :
“Et quant Remondin l’ouy, si la regarde, et perçoit la grant beauté qui estoit en la dame ; si s’en donne grant merveille, et ne lui semble mie qu’il eust oncques mais veu si belle ” (p.24-25).
6 Dans cette scène essentielle du bain épié, tout se passe comme si la transgression de l’interdit impliquait la métamorphose et non l’inverse ; autrement dit, la vue ne révèle pas l’hybridité de Mélusine mais la réalise :
“En ceste partie nous dist l’ystoire que tant vira et revira Remond l’espee qu’il fist un pertuis en l’uis, par ou il pot adviser tout ce qui estoit dedens la chambre, et voit melusigne en la cuve, qui estoit jusques au nombril en figure de femme et pignoit ses cheveulx, et du nombril en aval estoit en forme de la queue d’un serpent...” (p.242).
7 Cf
“(...) furent tous esbahiz et ne scorent que penser, car ilz veoient la figure d’une serpente et oyent la voix d’une dame qui yssoit de lui ” (p.262).
8 Voir à cet égard, dans le prologue l’insistance de l’auteur sur la variété des créations divines qui dépasse l’entendement humain ; cf p.2-3.
9 Cette comparaison des oreilles aux anses d’un vase ne va pas sans évoquer la queue de Mélusine semblable à un tonneau où sont conservés les harengs ; même prosaïsme et même coloration familière et quotidienne pour désigner le prodigieux.
10 On remarquera que Geoffroy fait exception ; il est le seul fils, avec Horrible, dont il ne soit pas fait mention de la beauté. C’est sa démesure qui est nettement soulignée.
11 Cf id. ibid. p. 183.
12 Cf p.258 : Mélusine demande de mettre Horrible à mort sans tarder : “car sachiez en veritez, que il feroit tant de maulx que ce ne serait pas grant dommage de la mort de telz XXm. que de la perte que on auroit par luy, car certainement il destruiroit tout quanque j’ay ediffié...”
13 Cf la lecture que les hommes du Moyen Age ont faite d’Aristote pour justifier de l’imperfection de la femme ; dans son ouvrage La Génération des Animaux, Aristote prétend que la formation d’un individu est tributaire du combat entre la Forme (principe mâle) et la matière (principe femelle). La première étape de la rencontre entre la Forme et la matière est un combat qui décide de la nature de l’embryon, de son sexe. Si le principe mâle parvient à maîtriser la matière, alors, il en advient un embryon mâle ; dans le cas contraire, il s’agit d’un embryon femelle. L’idéal ou la norme, selon Aristote, consiste dans la reproduction à l’identique, autrement dit un enfant mâle ressemblant à son père. Plus on s’éloigne du modèle, plus l’imperfection augmente. Cette perspective explique que l’avant-dernier des dix enfants (Raimonnet) porte le prénom de son père.
14 On remarquera qu’Horrible est mis à mort peu de temps après l’envol de Mélusine.
15 Cf p. 253 : l’accusation de Raimondin contre Mélusine suffit à la transformer définitivement en serpente.
16 On peut en effet comparer utilement l’épisode de la chasse durant lequel Raimondin tue son oncle sans le vouloir et l’épisode du bain épié ; le remords de Raimondin s’exprime de façon très comparable et cela crée un curieux écho entre ces deux transgressions de Raimondin. Cf p.22 :
“Et quant Remondin vit la playe et le sang qui en yssoit a grant randon, il fu moult dolens, et le commence fort a regreter et le complaindre en faisant lamentacions plus griefz que nulz homs ne fist oncques nul jour de vie, en disant : Hee, Faulse Fortune, comment es tu si perverse que tu m’as fait occire cellui qui tant m’amoit, cellui qui tant de bien m’avoit fait ! ”
De la même manière, lors du bain épié ;
“Et quant Remond la voit, si fu moult dolent. Hay, dist il, m’amour, or vous ay je trahie par le faulx enortement de mon frere, et me sui parjurez envers vous”.
Cf p.242. La construction de ces deux épisodes est comparable, si ce n’est que la Fortune perverse a laissé place au frère de Raimondin tenu pour responsable.
17 Cf
“Par Dieu, Remondin, je suiz aprez Dieu, celle qui te puet plus aidier et avancieren ce mortel monde, en tes adversitez, et ton malefice revertir en bien.” (p.25).
18 On remarquera que tous les termes relevant du champ lexical du laid sont saisis dans une perspective morale. Ici l’acte criminel de Geoffroy est considéré dans sa démesure (grant) et dans sa laideur morale (horrible, hideux). Le roman repose sur une réversion de la démesure en bien, par le biais de la dimension épique.
19 Voir le feu purificateur qui fait disparaître toute trace du sanglier, cf p.29 :
“en chaude cole prindrent le porc et le porterent en la place devant la dicte eglise, et l’ardirent en un four qu’ilz firent de mottes de terre.”
Cette purification symbolique évoque l’immolation d’Horrible (que l’auteur nomme ici Eudes) : cf p.261 :
“Et ceulx prirent Eudes par belle maniere et par belles paroles, et le menerent en une cave, car, s’il se feust donnez de garde de ce que on lui vouloit faire, ilz ne l’eussent pas eu sans peril ne sans peine. Ilz l’enfermerent, et l’estoufferent de fumee de foing mouillié, et puis le mirent en une biere. Et fu porté ensevelir a Poictiers, en l’abbaye de Moustier Nuef, et fu fait son obseque moult richement, si comme il appertenoit.”
20 Ne peut-on pas voir dans cette fable mélusinienne une réécriture de la Chute dans laquelle du nombril de Mélusine - comparable au nombril de Jessé où s’origine l’arbre rédempteur – viendrait le rachat à venir de la faute du mortel ? A cet égard, c’est à Geoffroy, le plus mélusinien des fils qu’il revient d’achever le processus de rédemption, en rachetant définitivement la faute paternelle et en apportant sa conclusion au cycle mélusinien, lors du combat contre son double, le chevalier faé (émissaire de Mélusine ?) qui chaque année vient réclamer une pierre du donjon.
21 L’auteur a joué de tous les possibles qu’offre l’imagination pour créer les fils de Mélusine, en se réappropriant la philosophie de saint Thomas d’Aquin selon laquelle les formes du mal sont multiples alors que le Bien est Un ; il en irait de même des traits prodigieux/ laids des enfants qui empruntent à divers animaux.
22 Dans un autre passage, Hermine s’inquiète encore de la beauté de son futur :
“cellui damoisel qui a si estrange phizonomie est il sy batailleux comme l’en dit ?” (p. 104) ; “et le desire tant a veoir pour le bien que on lui dit de lui, qu’elle dist a soy mesme que s’il avoit le visaige plus contrefait c. foiz que il n’a, si est il tailliez, pour sa bonté et pour sa prouesse, d’avoir la fille du plus hault roy du monde a amie” (p. 104).
La réaction du peuple lors de l’entrée triomphante d’Urien va dans le même sens :
“Et quant les gens percoivent la fierté de son visaige, si dient : cilz homs est dignes de soubzmettre tout le monde en son obeissance. (...) Par foy, dit uns autres, combien que son frere n’ait pas si fiere phisonomie si semble il bien homme de haulte emprise.” (p.117).
23 On remarquera d’ailleurs que le mot “hybride” est emprunté au latin classique ibrida “bâtard, de sang mêlé”, et spécialement “produit du sanglier et de la truie”, devenu hybrida par rapprochement avec le grec hybris, “excès”. Notons que le sanglier fatal est tantôt appelé “sanglier” lors de la chasse (p.21), tantôt “filz de truie” au moment de la déploration funèbre du seigneur (p.28), et enfin “porc” lorsqu’on le brûle (p.29).
24 Cf p. 39 :
“Et estoit l’espousée tant belle et si tres noblement paree que chascuns disoit que onques si belle n’avoient veue, ne si richement atornee, et s’esmerveilloient tuit de sa grant beauté et de la grant richesse de son habit.”
25 Après que Raymondin a épié sa femme au bain, elle le rejoint dans leur chambre et se dépouille de ses vêtements, s’offrant nue à son regard. Cf p.243 :
“Et quant ce vint que l’aube fu creue, atant esvous Melusigne qui vint et entra en la chambre. Quant Remond l’ouy venir, si fist semblant de dormir. Et celle se despoille et se couche nue delez lui.” Il s’agit de l’unique mention de la nudité de Mélusine, comme si l’offrande du corps nu visait à se substituer à la vision dérobée et interdite, mais cette fois Raimondin a, semble-t-il, fermé les yeux.
26 Cf p.26.
27 Voir le prologue :
“Et croy que les merveilles qui sont par universel terre et monde sont les plus vrayes, comme les choses dictes faees, comme de pluseurs autres. Doncques la creature ne se doit pener par oultrageuse presumpcion que les jugemens et fais de Dieu vueille comprendre en son entendement, mais y penser et soy esmerveiller ; et, en soy esmerveillant, considerer comme il saiche doubter et glorifier Cellui qui si celeement juge.” (p.2)
28 Voir l’épilogue :
“(...) je dy que les secrez jugemens de Dieu et les punicions sont invisibles a cognoistre a entendement humain car il est trop gros pour entendre l’espite espirituelle, ne comprendre que c’est. Et la puissance de Dieu y puet adjouster ce qu’il luy plaist, comme on raconte, en pluseurs histoires de pluseurs faees avoir esté mariees et avoir eu enfans. Comment se ce puet faire ne puet savoir humaine creature, car ces poins et autres a Dieu retenu en son secret, et en monstre les exemples es lieux et aux personnes ou il lui plaist.” cf p.311.
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