Observations sur le Lai de Guigemar
p. 7-21
Texte intégral
1La préoccupation majeure de Marie dans le lai de Guigemar paraît être l'expression d'une certaine idée de l'amour ; ce qui ressort de la construction même du poème. Si l'aventure, comme on l'a depuis longtemps remarqué, se développe en trois étapes1, on notera que la seconde, qui se déroule dans l'antive cité, constitue réellement le cœur du lai. Nettement circonscrite par les deux navigations merveilleuses du héros, elle fait l'objet du récit le plus long : 411 vers sur les 886 du lai, soit à peu près la moitié du poème. On remarquera, en outre, que du point de vue thématique elle occupe également une position centrale : la métaphore de la blessure d'amour y reprend le motif de la double blessure de la biche et du héros (1ère étape), tandis que celui de la sujétion de la jeune femme se retrouvera à la troisième étape au château de Mériaduc. Entre ces trois étapes de l'aventure unique il n'y a pas de heurt, tout se passe comme si elles procédaient l'une de l'autre : la première étape, la double blessure de Guigemar et de la biche préfigure la deuxième, la double blessure de Guigemar et de la dame par l'amour ; et la troisième reproduit dans une certaine mesure la deuxième, puisque le sort de la dame y est le même, que la voilà, de nouveau, sous la domination possessive de Mériaduc qui a pris la place du mari jaloux de la deuxième étape. Noyau du récit, la deuxième étape semble s'être dédoublée pour donner les deux autres qui s'y trouvent en quelque sorte fondues. Cette construction met en valeur un point important : c'est que, pour l'auteur, ce n'est pas la double blessure du chasseur et de sa proie qui inspire la métaphore amoureuse, mais la métaphore qui inspire l'aventure. Le choix de cette aventure, le récit de la première étape, procède, en réalité, au niveau de l'invention, de la métaphore courtoise qui sera utilisée dans la deuxième étape pour décrire la naissance de l'amour.
2Nous ne savons ce qu'était l'aventure féerique dans la source de Marie, mais les éléments merveilleux de son lai nous le laissent entrevoir : sans doute l'histoire d'un chasseur qui, guidé par un animal-leurre qu'il a blessé, est transporté, blessé lui-même en retour, sur une nef magique vers quelque île de l'Autre Monde où une fée amoureuse de lui l'a attiré et le guérira2. Mais l'évhémérisme de Marie, pour qui l'héroïne devient une simple mortelle, fait éclater le schéma primitif, et il n'y a plus de rapport, chez elle, entre la biche, la nef et la dame, qui demeure étrangère à sa propre destinée. La biche blanche et la nef ne vont subsister que pour se charger de symbolisme.
3Examinons la rencontre de la biche blanche :
4Guigemar, revenu dans sa famille après ses premiers exploits chevaleresques, est pris, un beau jour, d'une soudaine envie de chasser -sans doute, en fait, est-ce l'heure du destin qui a sonné pour lui -, il alerte sa maisnie et de grand matin l'on s'enfonce dans les bois. Guigemar s'attarde avec un vallet à l'écart de la troupe pour tirer à l'arc. C'est alors que dans l'épaisseur d'un buisson il aperçoit l'animal faé :
En l'espeise d'un grant buissun
Vit une bise od un foün ;
Tute fu blaunche cele beste,
Perches de cerf out en la teste (vv. 89-92)3
5Vision prémonitoire ! Non seulement la biche est toute blanche, ce qui indique son appartenance à l'Autre Monde, mais elle présente un caractère insolite : elle porte des bois de cerf. Le premier caractère, sa parfaite blancheur, semble indiquer clairement que, dans la source de Marie, la biche, messagère ou métamorphose de la fée elle-même, était un leurre destiné à entraîner Guigemar vers celle qui avait jeté sur lui son dévolu. Le motif est bien connu4. Par contre, son hermaphroditisme pose un problème d'interprétation. U.T. Holmes a signalé un cas semblable dans l'Itinerarium Kambriae, où l'on trouve l'histoire d'un chasseur qui tire une biche dotée de bois de cerf et en subit de terribles conséquences5 ; mais R.N. Illingworth a montré que Giraud de Barri avait pu avoir connaissance du lai de Marie et qu'aucune description comparable, quoi qu'il en soit, ne se rencontrait ailleurs dans la littérature celtique6. L'équivalent existe cependant dans d'autres domaines. Ainsi M.L. von Franz, dans son Interprétation des contes de fées, analyse le conte norvégien du Prince Ring qui offre, avec une légère variante, un élément identique : le prince Ring, lors d'une chasse, poursuit une biche dont les bois portent un anneau d'or. Pour la psychanalyste de l'école de Jung "en décrivant une biche avec des bois, ce conte indique que c'est une femelle (une image d'anima) et en lui assignant les attributs masculins que sont les cors, il signifie, de façon implicite, que c'est un être hermaphrodite en qui s'unissent des éléments d'anima et d'ombre". "Le cervidé, continue-t-elle, symbolise un facteur inconscient et indique le chemin conduisant à un événement crucial : soit au rajeunissement, à la transformation de la personnalité ou à la rencontre de la bien-aimée, soit à l'Au-delà, soit même à la mort"7.
6Cette dernière remarque paraît ouvrir, en ce qui concerne Guigemar, des perspectives particulièrement intéressantes. L'animal hermaphrodite en qui fusionnent des caractères mâle et femelle indiquerait au héros un changement de destinée, une profonde modification de sa personnalité : le jeune chevalier rebelle à l'amour des femmes, en qui ses proches craignent de voir un homosexuel - ils le tiennent a peri (v. 67) - découvre au fond des bois la vivante image du couple qu'il est destiné à réaliser dans sa perfection, destinée vers laquelle l'aventure va l'acheminer.
7Dans cette vision, comment interpréter la présence du faon ? On serait tenté d'y voir celle de l'enfant auprès du couple dans le mariage ordonné à la procréation par la loi de Nature que bafoue présentement le héros et à laquelle il finira par se plier. Cependant, me semble-t-il, ce serait ajouter au texte de Marie une idée qu'il ne paraît pas contenir ; c'est l'amour - et l'amour hétérosexuel - que son héros doit découvrir, Marie s'arrête là ; il n'est nulle part question de perpétuer un lignage, le problème de l'enfant est en dehors de ses préoccupations, comme peut-être même celui du mariage. Certes, les amis de Guigemar souhaitent lui voir prendre femme, Femme voleient qu'il preisist (v. 645), mais Guigemar et sa dame une fois conquise se marient-ils ? Auront-ils une descendance ? Le dénouement n'en souffle mot. Serait-ce d'ailleurs possible sans crime de bigamie ? L'auteur, que l'on sache, n'a pas tué son jaloux8. C'est donc qu'il a fait pour ses héros un autre choix. Ils partent ensemble, ils sont heureux, c'est tout, A grant joie s'amie en meine (v. 881), et c'est là l'essentiel pour Marie que cette délivrance et ce départ pour le bonheur. Que ce soit la tour de l'antive cité, celle de Carwent ou de Saint-Malo, le château de Mériaduc ou la cour tracassière d'Arthur, ce qui importe est d'y échapper, d'échapper à un monde étouffant, ici comme dans Yonec, comme dans Lanval, comme dans le Laüstic ; l'amour est avant tout libération, ouverture, évasion ; le départ est le sommet de l'aventure après lequel le poète se tait. La loi de Nature, c'est d'aimer, mais il n'est pas question des fins de l'amour, qui dans le lai apparaît comme une fin en soi.
8Remarquons que seule la biche est blanche et qu'il ne nous est rien dit de son faon, pas plus que du grand cerf que poursuivent les veneurs. La présence du faon à côté de la biche doit cependant avoir sa raison d'être ; si Marie l'oublie par la suite, reste qu'il fait partie intégrante de la vision qui s'offre à Guigemar. Or, dans l'antive cité, le héros va retrouver un couple correspondant : auprès de la dame demeure en permanence sa propre nièce, la fille de sa belle-sœur, seule présence amicale auprès de la jeune femme, Entre les deux out grant amur (v. 250) ; quand la nef abordera à l'antive cité, ce sont elles qu'il verra en ouvrant les yeux. La jeune pucelle jouera un rôle décisif dans leurs amours ; c'est elle qui monte la première sur le navire et découvre Guigemar endormi, c'est elle qui la première devine leurs sentiments réciproques et s'entremet entre eux, assurant le héros de son aide. Son rôle actif dans la formation du couple qu'elle réunit expliquerait, me semble-t-il, la présence du faon près de l'hermaphrodite qui en est l'image9.
9Pareille interprétation peut trouver sa justification dans le schéma d'aventures analogues dans le domaine celtique. On a rapproché notamment l'aventure de Guigemar de celle de Cuchulainn dans le récit intitulé Serglige Con Culainn (SCC), Le lit de maladie de Cuchulainn ; or dans ce conte Cuchulainn voit se poser sur le lac de Mag Murthemne deux oiseaux attachés par une chaîne d'or ; d'un coup de javelot il en blesse un à l'aile et tombe aussitôt dans un profond sommeil ; en rêve il se voit battu par deux femmes, l'une vêtue de vert, l'autre de pourpre ; à son réveil il est incapable de parler et demeure ainsi prostré pendant un an. Au bout d'un an, il retourne sur les lieux de son aventure et voit venir à lui la femme habillée de vert ; elle lui révèle qu'elle est Liban, sœur et messagère de Fand, la jeune femme habillée de pourpre, qui l'invite à venir la rejoindre dans le Mag Mell, où il guérira s'il accepte son amour10. Le rôle d'intermédiaire joué par une fée subalterne auprès d'une autre qui est amoureuse d'un mortel se rencontre également dans le lai de Désiré11 par exemple, et dans le lai de Lanval où il est rempli par deux fées messagères ; l'on sait que J. Frappier voyait dans les rapports de Liban et de Fand le prototype de ceux de Lunete et de Laudine et tenait ce trait pour spécifiquement celtique12. La vision qui s'offre à Guigemar dans le buisson préfigure en quelque sorte l'aventure de l'antive cité, de même que dans l'exégèse biblique une scène de l'Ancien Testament en préfigurait une du Nouveau13 : devant lui se dresse l'image symbolique du couple parfait à former et de l'aide qui lui sera accordée pour y parvenir.
10Est-il permis d'aller plus loin ? On peut se demander dans quelle mesure le grand cerf précédemment évoqué, qui a laissé la biche en compagnie du faon dans l'épais buisson, ne représente pas à l'avance le vieux seigneur jaloux qui en son absence impose à son épouse sa jeune nièce : Od li esteit quant il errout (v. 251) ; c'est en pareille circonstance justement qu'elles recueilleront toutes deux Guigemar.
11On connaît la suite : Guigemar atteint la biche d'une flèche qui ricoche sur son front et blesse cruellement le chasseur ; il tombe sur l'herbe drue auprès de l'animal qu'il a blessé.
12C'est alors que prenant la parole, la biche faée lui impose une geis14 :
Oï ! Lase ! Jo sui ocise !
E tu, vassal, ki m'as nafree,
Tel seit la tue destinee :
Jamais n'aies tu medecine,
Ne par herbe, ne par racine !
Ne par mire, ne par poisun
N'avras tu jamés garisun
De la plaie k'as en la quisse,
De si ke cele te guarisse
Ki suffera pur tue amur
Issi grant peine e tel dolur
K'unkes femme taunt ne suffri,
E tu referas taunt pur li. (vv. 106-118)
13Ainsi la mutuelle blessure physique ne pourra être guérie - et expiée - que par une mutuelle souffrance morale. La biche lui prédit en même temps une destinée amoureuse exemplaire, car de la communion des futurs amants dans la douleur tuit s'esmerveillerunt Ki aiment e amé avrunt U ki pois amerunt aprés (vv. 119-121). Encore une fois, c'est la scène de l'antive cité qui est en vue. Il faut que le chasseur et la biche se blessent mutuellement pour que prenne corps la métaphore de la mutuelle blessure de l'amour ; tout se passe comme si l'auteur partait de la métaphore qui traduit pour lui l'essence même de l'amour, plaie dedenz. cors (y. 483), pour l'actualiser dramatiquement. C'est la métaphore qui dicte la scène de la blessure réelle et la création poétique va ici du sens figuré au sens propre. C'est en cela que Marie transforme et enrichit considérablement les éléments de féerie à sa disposition ; elle les charge de signification en les mettant en rapport avec une aventure intérieure dont ils deviennent l'image, la traduction symbolique, sans cesser pour autant de servir l'intrigue du récit dont ils sont le ressort. La biche blanche est blessée et blesse, par son discours elle envoie Guigemar à la recherche de l'amour guérisseur et joue ainsi sur le plan de l'action un rôle primordial, puisque sa rencontre décide du destin du héros ; mais en même temps cette scène est subordonnée à celle qui se passera dans l'antive cité, elle l'annonce, la contient déjà. Marie rétablit sur le plan prophétique le rapport primitif qu'elle avait détruit entre la biche et l'amante.
14On remarquera que les événements de la première et de la deuxième étape de l'aventure se suivent pour Guigemar dans un ordre identique : rencontre de la biche et du faon / rencontre de la dame et de sa nièce ; mutuelle blessure de la biche et de Guigemar / mutuelle blessure d'amour de la dame et de Guigemar ; à Guigemar blessé gisant à côté d'elle la biche prédit un amour douloureux / à Guigemar allongé près d'elle la dame prédit leur douloureuse séparation. Singulier contrepoint ! Notons que les termes employés pour parler de la biche sont également appliqués à Guigemar, puis repris pour évoquer la blessure de l'amour : il n'est que de comparer les vers 98, 102, 104, 138, 379, 381, 384, 394. La blessure de la seete fera place à celle de l'amour : dès qu'Amour l'a feru al vif (v. 379), de sa plaie nul mal ne sent (v. 383), et la crainte de la mort qui a été pour lui l'invitation au voyage (vv. 125-128) reparaît avec l'amour naissant pour le pousser à se déclarer (vv. 395-402), tandis qu'à la geis de la biche va correspondre celle que s'imposent mutuellement les amants pour se lier exclusivement l'un à l'autre au moyen du ploit et de la ceinture (vv. 560-575).
15Pour trouver la femme qui le guérira, il faut que Guigemar parte, puisque dans son pays aucune n'a su lui inspirer d'amour (vv. 125-132). Il traverse le bois, débouche sur la lande, parvient à la falaise et aperçoit un port là où il n'y en avait jamais eu (vv. 161-164). Nul doute le paysage habituel s'est modifié, un havre a surgi sur cette côte inhospitalière pour abriter la nef merveilleuse qui emmènera le héros vers son destin15. Cette nef magique n'est pas pour nous surprendre dans ce contexte : on évoquera volontiers la barque sans gouvernail sur laquelle Tristan blessé s'abandonne au gré des flots ou celle qui emporte Conn, roi suprême d'Irlande, vers la terre des fées et y mènera plus tard son fils Art16. Il y a loin, cependant, du coracle de cuir des immrama ou de la barque de bronze où Cuchulainn, à la requête de Fand suit Liban vers le Mag Mell à la nef luxueuse qui attend Guigemar dans son port de fortune (vv. 153-158).
16Cette nef est vide, point d'équipage : l'intérieur en est occupé par un lit d'une étonnante richesse :
Li pecul e li limun
Furent a l'ovre Salemun
Taillié a or, tut a triffoire,
de ciprés e de blanc ivoire.
D'un drap de seie a or teissu
Ert la coilte ki desus fu.
…………………………………………………………..
Li coverturs de sabelin
Vols fu de purpre alexandrin (vv. 171-182)
17Rien n'y manque, pas même un oreiller aux vertus magiques.
18Sans doute est-il là à seule fin de recevoir le blessé, de même que dans les châteaux vides de l'Autre Monde un festin tout prêt attend l'hôte affamé.
19Ce lit où Guigemar épuisé ne tarde pas à s'endormir est inspiré, ainsi que l'a démontré E. Hoepffner, d'une description de l'Eneas17. La description du lit merveilleux issue de l'Eneas deviendra vite, comme on sait, un motif littéraire. Or c'est sans doute ici qu'est imitée pour la première fois la fameuse description de ce roman. Est-ce simplement pour "donner une description fastueuse dans la manière de celles que l'Eneas venait de mettre à la mode" ?18. Nous ne le pensons pas. Le lit de Camille dans l'Eneas est un lit mortuaire, cette particularité est d'importance. C'est, semble-t-il, dans un but bien déterminé que Marie évoque dans la description de cette couche la célèbre couche funéraire de l'Eneas ; car c'est bien comme une couche funéraire qu'elle apparaîtra à la meschine puis à la dame.
20La pucelle, plus hardie, monte la première sur l'étrange navire qui vient d'aborder sous leurs murs :
Ne trovat nule rien vivant
For sul le chevalier dormant.
Arestut sei, si l'esgarda ;
Pale le vit, mort le quida. (vv. 279-282)
21La dame monte à son tour et s'apitoie sur le jeune chevalier :
Mut pleint sun cors e sa beuté.
Pur lui esteit triste e dolente
E dit que mar fu sa juvente. (vv. 296-298)
22L'épisode de l'antive cité s'ouvre par un regret, sur le corps de Guigemar que l'on croit mort. C'est qu'il y a là un appareil mortuaire, remarquons les deux cierges brûlant en plein jour el chief de la nef (vv. 183-186). La nef féerique est ici en quelque sorte une nef funéraire comparable à celles que nous retrouverons tant de fois dans la littérature arthurienne. Que l'on pense, par exemple, à celle qui dans la Queste del Saint Graal transportera le corps embaumé de la sœur de Perceval vers la sainte cité de Saras19 ou à la nacelle qui dans la Mort le Roi Artu apporte au château de Kamaalot le corps de la demoiselle d'Escalot morte de son amour sans espoir pour Lancelot20. Le spectacle qu'offre Guigemar endormi sur sa nef trouvera son homologue dans la Première Continuation de Perceval où le corps du beau chevalier Brangemuer, flanqué de deux cierges, aborde dans un bateau traîné par un cygne sous le balcon du roi Arthur21 et, plus tard, dans la Vengeance Raguidel où le corps du héros ocis a tort vient sur la nef sans équipage demander réparation22.
23Si la nef féerique de notre lai présente un caractère funéraire, c'est qu'en fait l'homme qu'elle transporte, ce chevalier insensible à l'amour, est bel et bien un mort aux yeux de Marie. La lyrique de son temps n'a-t-elle pas assimilé l'absence d'amour à la mort, à un sommeil hivernal de l'être ?
Tant ai estat acondurmitz
C'anc mos chanz non fon lueing auzitz,
Mas era.m vau ja reveilhan,
Et irai mon joi recobran
24avait chanté Cercamon (III, vv. 2-5), qui ajoutait Us joys d'amor me reverdis, e.m pays (V, v. 39).
25Il est bien mort, le cœur insensible, déclare Bernart de Ventadour, et il implore Dieu de lui ôter la vie sitôt qu'il ne ressentira plus le désir d'aimer, tant amour et vie sont en étroite dépendance :
Ben es mortz qui d'amor no sen
al cor cal que dousa sabor ;
e que val viure ses valor
mas per enoi far a la gen ?
Ja Domnedeus no.m azir tan
qu'eu ja pois viva jorn ni mes,
pois que d'enoi serai mespres
ni d'amor non aurai talan. (31, II)
26La résurrection du cœur est l'œuvre de la dame et le souhait du poète est alors de voir durer son existence arrachée par elle au néant :
Ar eslonh en breu ma vida
si com ja de mort me trais ! (70, 38 ; vv. 29-30)23
27Une conception très proche sous-tend l'aventure de Guigemar sur la nef et fait de son immram l'expression d'un itinéraire intérieur, du passage merveilleux de l'insensibilité à la découverte de l'amour.
28L'emprunt précis, fait à l'Eneas, de la description du lit funéraire de Camille est donc en rapport direct avec la signification que Marie entend donner à la navigation de Guigemar, mené de cette mort qu'est l'incapacité d'aimer à l'amour-vie. C'est bien un mort que réveille la dame de l'antive cité ; c'est sous sa main que le chevalier se réveille, il la voit et comprend aussitôt qu'il est sauvé :
Desur le piz li met sa main :
Chaut le senti e le quor sein,
Ki suz les costez li bateit.
Li chevaliers ki se dormeit
S'est esveillez, si l'a veüe,
Bien seit k'il est venuz a rive. (vv. 299-305)
29La conception courtoise et lyrique de l'amour-vie confère un sens neuf au motif de la navigation féerique, qui était peut-être une donnée de la source, en en faisant la navigation funéraire d'un cœur insensible. La nef mène Guigemar vers sa dame comme, par exemple, Cuchulainn vers Fand, elle mène le blessé vers la guérisseuse comme Tristan vers Iseut, mais surtout elle mène un mort vers sa résurrection. Nef de leur destinée, elle mène Guigemar à la dame, le remmène pour le sauver et lui ramène la dame24. Il ne s'agit pour l'auteur ni de raconter une histoire féerique ni de céder à la mode des descriptions fastueuses, mais de les utiliser à une fin symbolique en tissant un réseau de connotations sensibles à un auditoire courtois.
30Pourquoi une maumariee ? Marie, en poète du xiie siècle, pouvait difficilement imaginer une intrigue destinée à exprimer un amour idéal en dehors du scénario traditionnel que lui proposait la lyrique, tant celle des troubadours que des chansons popularisantes ; elle ne fait que placer sa dame dans une situation exemplaire, l'entourant de son gilos, de son gardador et de ses losengiers. Sans compter que son histoire n'a de sens qu'entre deux adultes, victimes d'une injuste condition. La surveillance étroite du jaloux et l'ignorance de l'amour chez l'un, l'insensibilité chez l'autre, en leur gardant la virginité du cœur, les préservaient pour l'aventure merveilleuse.
31La troisième étape présente avec la seconde d'étranges similitudes : le sort de la dame y est en somme le même. A peine a-t-elle abordé en Bretagne qu'elle tombe au pouvoir de Mériaduc. Le geste évoqué au vers 705, Il la saisit par le mantel, a, comme l'a montré J. Frappier, une valeur juridique et marque symboliquement un droit de saisine25. Mériaduc, heureux de la découverte de cette jeune femme Ki de beuté resemble fee (v. 704), entend la garder pour lui et la confie à sa sœur (comme elle l'était précédemment à la nièce de son mari). Mériaduc a pris la place du jaloux, il refusera de rendre à Guigemar son amie, prêt à défendre par les armes ce qu'il croit être son droit (vv. 851-852). La dame n'a échappé à sa prison que pour se précipiter dans la brutalité du monde féodal où Guigemar devra la conquérir au prix de la mort de Mériaduc et de la destruction de son château.
32C'est dans ce contexte social bien réel, où règne cette atmosphère d'éternel retour, que les amants se retrouvent. Dans quelle mesure cette mutuelle reconnaissance n'est-elle pas en fait, un mutuel "coup de foudre" ? Se retrouvent-ils ou se trouvent-ils ? Quel est le degré de réalité de ce qui s'est passé dans l'antive cité ? Combien de temps ont duré leurs amours secrètes au-delà de la mer ? Un an et demi, nous dit l'auteur ; mais est-ce bien un an et demi du calendrier ? Il ne semble pas déraisonnable de poser la question. Examinons, en effet, le récit du retour de Guigemar : la nef le ramène à son point de départ ; c'est alors qu'il rencontre un damisel qu'il ot nurri qui était à la recherche d'un chevalier, errot après un chevalier (vv. 634-635), et qui mène par la bride un destrier (v. 636). Il convient de s'interroger sur cette rencontre mystérieuse. D'où sort ce damisel ? Pourquoi ce renseignement précis qu'il errot après un chevalier ? Pourquoi mène-t-il un cheval par la bride ? Si l'on comprend bien, il est lui-même à cheval, puisqu'il descend de sa monture quand il reconnaît son seigneur (v. 639). Il lui remet le destrier et ils repartent tous deux chevauchant de conserve.
33On pourrait se contenter d'invoquer le merveilleux, de remarquer que nous sommes en plein conte de fée et que l'adjuvant se trouve tout simplement là où il faut à point nommé, en accord avec les lois du genre. La réponse ne saurait nous satisfaire, car elle n'expliquerait pas un tel luxe de détails, surtout chez une conteuse qui en est d'ordinaire si avare. La solution réside dans le texte même. Reportons-nous, encore une fois, à l'épisode de la chasse : Guigemar blessé a entendu la prédiction de la biche, il ne songe plus qu'à guérir et qu'à partir à la rencontre de cette femme qu'il est destiné à aimer. Il lui faut partir seul - l'aventure chez Marie est toujours solitaire - et pour cela éloigner le vallet qui l'accompagne ; ce qu'il fait sous prétexte de l'envoyer à la recherche des autres chasseurs à qui il prétend vouloir parler. En fait, une fois sa blessure bandée, il s'empresse de remonter à cheval et de partir avant l'arrivée des siens, ne voulant à aucun prix qu'on le retienne (vv. 139-144).
34Ce vallet et ce damisel élevé par ses soins ne sont-ils pas un seul et même personnage ? Le dernier qu'il voit avant son départ et le premier à son retour ? Ce damisel à la recherche d'un chevalier semble bien être en train de s'acquitter de la mission qu'on lui a confiée de rassembler ses compagnons. Le destrier n'est-il pas, par ailleurs, celui de Guigemar, qu'il a abandonné avant de monter sur la nef (v. 165) ? Tout se passe comme si, à son retour, Guigemar retrouvait le vallet et le cheval. Le récit se développe dans l'ordre suivant : renvoi du vallet — abandon du cheval — départ sur la nef — aventure de l'antive cité — retour sur la nef — rencontre du damisel — récupération du cheval. Le renvoi du vallet et l'abandon du cheval, la rencontre du damisel et la récupération du cheval encadrent la double navigation.
35Comme si rien ne s'était passé, Guigemar retrouve ses compagnons et nous noterons que ni le damisel ni les autres ne manifestent la moindre surprise à la rencontre de leur seigneur - après un an et demi d'absence ! Le temps écoulé est-il donc bien le même des deux côtés de la mer ? Le décalage entre deux durées est un élément féerique du thème de l'Autre Monde et il est susceptible d'expliquer ici comment un an et demi dans l'antive cité équivaudrait tout au plus à quelques heures en Bretagne26.
36La vie reprend d'ailleurs comme avant, on invite de nouveau Guigemar à prendre femme, il refuse toujours, à cette différence près qu'avant l'aventure il repousse la femme, après il se réserve pour une seule femme, celle qui pourra délier le ploit, comme la dame de son côté, se réservera à celui seul qui pourra déboucler la ceinture27. C'est bien dans un Autre Monde, celui où réside, non pas une fée, mais la femme prédestinée, dans un Au-delà de l'amour qu'a pénétré Guigemar, qui dans son pays unke femme nule ne vit A ki il aturnast s'amur (vv. 130-131).
37Quel symbole que le ploit et que la ceinture ! Chacun de ces êtres est noué, enfermé psychologiquement et sexuellement, et ne peut se libérer que par l'autre ; le péri en puissance et la maumariee étaient réservés, en réalité à un amour inespéré ; qui plus est, à un amour mutuel exclusif et exemplaire. L'Eneas s'était attaché à peindre la naissance de l'amour et cette innovation influence le lai de Marie, mais elle est allée plus loin et a tenté d'élucider un autre mystère, celui de la rencontre d'un homme et d'une femme destinés l'un à l'autre et que tout sépare. Ainsi, en dépit de la distance géographique, du statut social de la dame, de sa séquestration, ils se trouvent et découvrent ensemble un sentiment inconnu dans un monde à part, qui n'est pas tout à fait le nôtre, s'il n'est plus ici Avalon ou le Mag Mell :
« Le concept de l'Autre Monde, d'un "autre monde", s'étend aisément au domaine de l'amour courtois. Les adeptes de la fine amor ne s'enferment-ils pas dans un univers à eux, privilégié, interdit aux profanes, réservé à une élite, hors des lois de la morale courante et de la servitude sociale ? Il s'est trouvé un accord entre le thème féerique de l'Autre Monde et les rêves de la fine amor, le souhait et la volonté d'aimer autrement que le commun des gens. On s'explique ainsi l'union étroite et la synthèse, admirable à tant d'égards, de deux mythologies, l'une primitive et merveilleuse, l'autre de l'esprit et du cœur, dans cette matière de Bretagne qui devait exercer une si longue séduction. Certes, l'émerveillement courtois reste psychologique et moral, mais c'est aussi une féerie, et dans cette féerie peut encore s'insérer le motif de l'aventure, d'une aventure devenue intérieure, mais toujours marquée par un signe concret rare, étrange, hors de l'ordre commun »28.
38Est-ce au lai de Guigemar que pensait Jean Frappier en écrivant ces lignes ? Nulle part ne s'est plus intimement opérée la fusion de l'amour et de la féerie. Leur intégration, susceptible de nous dérouter, est un propos délibéré de l'auteur, qui avec les moyens offerts par la thématique de son temps, s'interroge sur l'exclusivité amoureuse et la providentielle rencontre des amants.
39C'est dans un "ailleurs" que s'est faite, semble-t-il, la miraculeuse rencontre avant le "coup de foudre" de la réalité qui est une sorte de reconnaissance. Un exemple frappant de pareille conception nous est fourni dans les Mabinogion par le Songe de Maxen Wledic29 ; il nous apporte la preuve qu'elle n'était pas étrangère à la littérature celtique, encore qu'elle ne lui appartienne pas en propre puisqu'on la retrouve en domaine oriental dans la poésie arabe et les romans persans30. Néanmoins la navigation en rêve et la découverte de l'aimée apparaît comme un trait spécifique du manibogi et il est difficile de ne pas y voir une analogie avec celle de notre lai31. On ne saurait, certes, considérer l'épisode de l'antive cité comme un songe, ce serait forcer le texte ; reste que la rencontre de l'aimée s'y opère en deux temps, d'abord dans cet "ailleurs" mystérieux que l'on ne peut atteindre et quitter que sur la nef magique, ensuite dans le monde féodal. Guigemar et la dame se reconnaissent au château de Mériaduc, déjà réservés l'un à l'autre, parce que c'est Elle, parce ce que c'est Lui. L'élection amoureuse n'est pas pour Marie jeu de hasard, mais ordonnance d'une prédestination32. En faisant jaillir un thème narratif d'une métaphore et de caprices féeriques l'aventure exemplaire d'un couple, c'est le mystère même de l'amour humain qu'elle explore poétiquement33.
Notes de bas de page
1 J. Loos, Les Lais de Marie de France, Paris, Champion, 1959, p. XIII.
2 R.N. Illingworth, "Celtic Tradition and the lai of Guigemar", Medium Aevum, XXI, 1962, pp. 176-187.
3 Nous citons le texte des Lais de Marie de France, p p. Jean Rychner, Paris, Champion, 1966 (C.F.M.A. 93).
4 Cf. L.A. Paton, Studies in the Fairy Mythology of Arthurian Romance, New York, Burt Franklin, 1960, p. 15.
5 U.T. Holmes, "A welsh motif in Guigemar", Studies in Philology, XXXIX, 1942, pp. 11-14.
6 Ibid., p. 184, n. 28 ; sur des descriptions analogues dans les littératures classiques, voir B. Ogle, "The Stag-Messenger Episode", American Journal of Philology, XXXVII, 1916, p. 389, N. 3.
7 M.L. von Frantz, L'Interprétation des contes de fées, trad, française de F. Saint René Taillandier, Paris, La Fontaine de Pierre, 1978, p. 144.
8 Aussi ne partageons-nous pas à ce sujet les vues de R.T. Pickens pour qui le sens de l'aventure de Guigemar est son intégration non seulement dans la norme, mais dans la vie sociale par le mariage ; il n'a pas proposé d'explication de la présence du faon, voir "Thematic Structure in Marie de France's Guigemar", Romania, 95, 1974, pp. 328-341.
9 L'hypothèse a été suggérée par B. Ogle, ibid., p. 393, dont on ne saurait par ailleurs accepter entièrement l'interprétation : "These latter animals seem to be introduced solely to represent allegorically, - perharps in a primitive version in reality - the lady and her niece whom Guigemar is to meet later and to inform him in words strongly reminiscent of Ovid, of the love adventures which await him".
10 Serglige Con Culainn, trad, par M. Dillon, Scottish Gaelic Studies, VII, 1951, pp. 47 sq., considéré par Thurneysen et Dillon comme la compilation de deux contes dont le plus ancien est du ixe siècle et le plus récent du XIe, mais fondé sur des éléments qui remontent au Ville ; sur la comparaison entre la blessure de Guigemar et SCC, voir Illingworth, ibid., pp. 180-181.
11 Ed. M. Grimes, The Lays of Desiré, Graelent and Melion, Edition of the texts with an Introduction, New York, 1928 (réimpression, Genève, Slatkine, 1976) et P. O'Hara Tobin, Les lais anonymes des xiie et xiiie siècles, Genève, Droz, 1976.
12 J. Frappier, Etude sur Yvain ou le Chevalier Au Lion de Chrétien de Troyes, Paris, Sedes, 1969, pp. 104-105.
13 Voir H. de Lubac, Exégèse médiévale. Les quatre sens de l'Ecriture, 4 vol., Paris, Aubier, 1959-1964.
14 La formule tel seit la tue destinee correspond exactement à celle de la geis que J. Loth traduit par "je jure que tu auras cette destinée que..." ; il ne s'agit ni d'une simple prédiction ni d'une pure malédiction : la biche, dira Guigemar, urat Que ja n'eusse guarison Si par une meschine nun (vv. 322-324).
15 Pour l'interprétation de ce passage, voir J. Frappier "Une édition nouvelle des lais de Marie de France", Romance Philology, XXII, 4, 1969, pp. 605-606.
16 Les aventures d'Art, fils de Conn, trad, de R.I. Best, Eriu II. Ce motif se retrouve, en particulier, dans le roman féerique de Partonopeus de Blois, éd. J. Gildea, Villanova (Pennsylvanie), Villanova University Press, 3 vol., 1967-70.
17 E. Hoepffner, "Marie de France et l'Enéas", Studi Medievali, 5, 1932, pp. 272-308, notamment pp. 281-282.
18 Ibid., p. 281.
19 La Queste del Saint Graal, p. p. A. Pauphilet, Paris, Champion, C.F.M.A. 33, pp. 241 sq.
20 La Mort le Roi Artu, p. p. J. Frappier, Genève, Droz et Paris, Minard, 1954, §§ 70-71.
21 The Continuations of the Old French "Perceval" of Chretien de Troyes, p. p. W. Roach, t. III, 1re p., Philadelphie, 1952, vv. 8307 sq.
22 La Vengeance Raguidel, éd. Friedwagner, Halle, 1909, vv. 105 sq.
23 Nous citons le texte de C. Appel, Bernart von Ventadorn, Seine Lieder mit Einleitung und Glossar, Halle, 1915. Voir encore 15, vv. 41-42 ; 27, v. 48.
24 On remarquera le caractère singulièrement actif de cette nef animée et comme douée de conscience que Marie a soin de souligner par la construction de la phrase où elle est toujours sujet du verbe d'action : vv. 193, 620, 621, 688.
25 Ibid., p. 606.
26 Ainsi dans le lai de Guingamor le héros qui y passe trois jours revient dans celui-ci au bout de trois cents ans (éd. G. Paris in Romania, 8, 1879, pp. 29-72 et P. O'Hara Tobin, op. cit.), mais l'inverse se produit également, voir par exemple le récit de Loeg à Cuchulainn dans SCC.
27 Comparer les vers 57-68 et 645-654.
28 J. Frappier, "Remarques sur la structure du lai", in La littérature narrative d'imagination, colloque de Strasbourg, 1959, Paris, PUF, 1961, p. 31.
29 Les Mabinogion du Livre Rouge de Hergest avec les variantes du Livre Blanc de Rhydderch, traduits du gallois par J. Loth, t. I, 1913, pp. 211-229. Maxen s'endort pendant une chasse ; il fait en songe une navigation merveilleuse qui le mène à une île où se dresse un puissant château ; il entre, aperçoit une belle jeune fille qui se lève pour venir au devant de lui "et ils s'assirent tous les deux dans la chaire d'or qui ne parut pas plus étroite pour eux que pour la pucelle toute seule". Ils étaient enlacés, joue contre joue, quand le piaffement des chevaux le réveille. Mais il s'est épris de la vision et, malade d'amour, dépêche des messagers vers l'île entrevue en songe à la recherche de la jeune fille ; ceux-ci finissent par la découvrir dans l'île de Bretagne ; c'est ainsi que Maxen, empereur de Rome, épousa Elen Lluyddawc.
30 Notamment chez Mas'oudi, Le banquet chez Yahya le Barmécide, trad. par E. Dermenghen dans Les plus beaux textes arabes, Paris, La Colombe, 1951, pp. 88-96 ; pour le thème de l'amour en rêve, voir surtout Ibn Hazm, Le collier de la colombe (xie siècle), trad. également par E. Dermenghen, Cahiers du Sud, n° 285, 1947. Dans le Shah Nameh de Firdousi, la princesse Kitaboun, fille de l'empereur de Constantinople, voit Guschtasp en rêve et y échange avec lui des bouquets parfumés, avant de le reconnaître à la cour de son père (Le Livre des Rois, trad. et commenté par J. Mohi, Paris, 1877, t. IV, pp. 238-243) ; voir dans Athénée le roman de Zariadrès et d'Odatis (Th. Sandre, Le chapitre treize d'Athénée, Amiens, 1924) ou encore Yusuf et Zuleikha, de Djami (trad. par A. Bricteux, Paris, 1927). Dans le cas de Zariadrès et d'Odatis il y a même une double vision : Zariadrès voit en songe Odatis comme Odatis voit de son côté Zariadrès, et ils s'éprennent ainsi l'un de l'autre. Zariadrès arrivera à temps aux noces d'Odatis pour que ce soit à lui qu'elle tende la coupe nuptiale ; il l'emporte sur son char et ils s'enfuient.
31 Pour l'analogie d'autres éléments du lai avec le folklore universel, voir P. Jonin, "Merveilleux celtique et symbolisme universel dans "Guigemar" de Marie de France", Mélanges de philologie et de littératures romanes offerts à Jeanne Wathelet-Willem, Liège, 1978, pp. 239-255.
32 Ce n'est sans doute pas sans raison que le lai s'ouvre sur l'évocation du couple parental (vv. 29-40) et du couple fraternel parfaitement assorti (vv. 34-37). Que Marie accorde à ce dernier de l'importance, c'est ce qui ressort du fait qu'elle donne un nom à la sœur de Guigemar, Noguent, alors que ce personnage ne reparaîtra pas dans le récit. Ce couple fraternel, où resplendit une même beauté, ne se dresse-t-il pas au seuil du poème comme l'image du couple à venir, destiné à le reconstituer ? Voir les remarques de F. Suard sur la gémellité comme "figure possible de l'amour" dans le lai du Fresne, CCM, XXI, 1978, pp. 43-52.
33 Mélanges de langue et littérature françaises du Moyen Age et de la Renaissance offerts à Charles Foulon, Institut de français, Université de Haute-Bretagne, Rennes, 1980, pp. 329-39.
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