L’enfant majuscule
Corps, langue et désir chez Erwin1
p. 155-172
Texte intégral
Là où les enfants jouent, un mystère est enfoui2.
1La phénoménologie est une expérience qui implique le langage et des descriptions très fines qui portent communément sur ce qui est peu ou pas connu, n’a pas de visage, pas toujours de nom, pas de conscience en première personne, comme être dans son corps, être dans l’espace et dans l’espace de l’œuvre d’art, être au sentir, être au tableau, être au poème, être au rythme, etc. L’enfant en tant que tel a peu attiré l’attention des phénoménologues, à quelques rares exceptions près. Nous nous tournerons vers quelques-uns de ceux, écrivains ou philosophes, qui ont su faire entendre une part essentielle de l’enfant, de son rapport au langage et au monde, de sa temporalité et de sa spatialité, de sa signification pour l’adulte qui porte en lui l’enfant qu’il a été, un enfant qui, c’est l’hypothèse de nos auteurs, continue d’exister au présent.
2La psychanalyse s’est fait une spécialité de l’enfant et des bébés. Elle traite (de) ses symptômes, elle le situe dans sa constellation familiale, elle met au jour la sexualité infantile. L’enfant semble ne plus avoir de secrets pour elle tant elle a observé et fouillé ses jeux, tant il est un terrain d’investigation intégré à ses constructions théoriques.
3« L’enfant majuscule » est une formulation de Nicolas Abraham3 qui, par-delà le relief qui chausse d’une majuscule un nom commun, a une signification précise. L’accent est mis sur un renversement de perspective remarquable : la démonstration est faite que le sens de l’enfant a été frappé d’un refoulement majeur de la part de notre civilisation. C’est la levée de ce refoulement qui est visée par cette majuscule avec laquelle l’enfant sort de la minorité et de l’infériorité dans lesquelles il a été maintenu jusque-là. Le sens de l’enfant a échappé à notre culture et – c’est l’hypothèse – échappe sans doute toujours, malgré l’effort qui a été fait pour circonscrire dans le noyau infantile l’origine des névroses. Mais l’infantile de la psychanalyse n’est pas l’enfant.
4Ainsi, nonobstant les discours qui sont tenus sur lui, les préoccupations et les sollicitudes dont il fait l’objet de la part de ses parents et des adultes qui ont affaire à lui, éducateurs, psychiatres, pédiatres, sociologues, magistrats, nonobstant la prise en compte du supposé intérêt de l’enfant et son omniprésence dans notre société, « on refoule l’enfant comme on respire4 ». Partout, dit N. Abraham, règne l’adulto-centrisme qui est une sorte de logocentrisme rétroactif. La question de l’origine fait dépendre l’enfant d’une cause, d’une filiation – provenance des provenances. Il est l’enfant de ses parents, mais aussi l’enfant de la patrie, de son ethnie, de la providence, de l’amour ou du hasard. L’enfant est pris dans un génitif objectif. Il est saisi relativement à une, voire à plusieurs appartenances, jusque et y compris celle à dieu ou à la nation. En outre, il est également évalué par rapport à une norme, la normativité de la bonne constitution, celle qui est censée garantir le bon déroulement et la bonne maturation de son développement en suivant des étapes prescriptives, qui assurent la téléologie de son être en devenir :
De fait, nous vivons sur une rationalisation millénaire, devenue un préjugé indéracinable : l’enfant est un adulte en herbe, sa forme interne, son entéléchie demande à s’accomplir et cela, en suivant les étapes prescrites d’une maturation euphysique et orthopsychique pour aboutir au même type d’être que nous sommes nous-mêmes. Or songeons un peu, s’il en était vraiment ainsi, l’humanité aurait fini, il y a belle lurette, d’éliminer toutes les déviations en dys- et en para- et serait peut-être, à ce jour, délivrée de ses conflits internes. Elle vivrait alors dans la répétition euphorique de son orthocycle génératif. Il n’y aurait point eu l’Histoire et les inévitables catastrophes elles-mêmes n’eussent en rien modifié, grâce aux parties subsistantes, la joyeuse régénération du tout. Cette antique utopie de la répétition béate, soit comme fait prétendu, soit comme fin miroitée, habite, nonobstant quelques apparentes exceptions, toutes les idéologies religieuses, philosophiques, scientifiques ou politiques. Il suffira pour s’en convaincre, d’observer le sort qu’on y fait à l’Enfant : dans tous les domaines cités règne l’adulto-centrisme, la normation par le « déjà là5 ».
5Pour N. Abraham, la phénoménologie, en dépit de l’éclairage innovant qu’elle jette sur la question de l’inchoativité, sur ce qui se trouve au début, à l’état naissant, au plus près de la source ou de l’origine, passe à côté du sens de l’enfant. Le langage et les grandes catégories de la pensée que sont la causalité et la temporalité accordent une dignité plus grande à tout ce qui précède, donc au moule et à la matrice, antérieures au fruit de leur gésine. Or l’enfant n’est pas à l’être humain ce que l’esquisse est au tableau, il n’est pas une étape dans sa réalisation. Il n’est pas davantage un décalque. Il a d’emblée à se situer dans une présence au monde transitive et syncrétique, absorbé en lui-même et projetant au-dehors dans un même mouvement. L’enfant n’est pas psychiquement déterminé par la finitude de l’existence prise entre naissance et mort. Il va la découvrir. L’enfant est au contraire dans un rapport au temps où le temps lui appartient totalement. « Le temps est un enfant qui joue en déplaçant les pions : la royauté d’un enfant6. » Ce que la psychanalyse nomme en termes de castration est une autre manière de dire combien il importe que l’enfant intègre la finitude et n’en fasse pas un déni, mais aussi combien elle ne va pas de soi, combien l’intégrer s’effectue toujours en lien avec des expériences de la vie de l’ordre de la séparation et de la perte impliquant la renonciation à des formes adhésives de jouissance. Dans certains cas, cela confine à l’impossible. La finitude dans son double rapport à la natalité et à la mortalité n’est pas admise et les symptômes surgissent.
6L’enfant se tient du côté de l’inchoatif, c’est-à-dire aux antipodes de l’être en vue de la mort, donc du côté d’une naissance continuée et d’une renaissance. Il est en lui-même générateur de lui-même en ce sens que l’être humain n’est pas le reproductible à l’infini du même, sans qu’aucune transformation ou changement quantitatifs et qualitatifs réels n’interviennent tout au long de son devenir. L’enfant est cette ressource génératrice des transformations. Il est en ce sens soumis au génitif subjectif.
7L’enfant irréductible, celui qui est et n’est pas seulement l’enfant de ses parents, celui qui est et n’est pas seulement démuni et désemparé face à des situations de détresse, mais qui a aussi la capacité d’assimiler et d’élaborer, d’absorber les chocs, de s’inventer chaque jour un monde à découvrir, n’est pas le même que celui qui est soumis aux pulsions, à une nature libidinale, qui s’invente un roman familial ou des théories sexuelles. Il s’agira pour nous de repérer comment l’enfant s’y prend pour vivre et survivre à partir d’un enracinement originel et face à des déracinements traumatiques ; comment il s’y prend tout au long de l’existence pour continuer à incorporer en lui des éléments étrangers et hétérogènes à son milieu d’origine ; quelles stratégies il déploie pour assimiler l’inassimilable et garder en lui l’espoir car « qui n’espère pas, ne trouvera pas l’inespérable, lequel est incherchable et sans voie d’accès7 » ?
8Aharon Appelfeld mène, de livre en livre, une réflexion éminemment philosophique sur l’enfant et la persistance de l’enfant chez l’adulte. Ainsi, il ne cesse de tisser et croiser les champs phénoménologique et psychanalytique, sans jamais prétendre s’y référer tant son écriture a communication avec ces champs-là, c’est-à-dire en vérité avec le drame précoce de l’existence. L’enfant y prend une ampleur fabuleuse – l’enfant sans lequel une existence est amputée de sa part radicalement novatrice et créatrice, la plus enfouie et la plus vivace, qui sans discontinuer accomplit et opère à rebours du temps qui passe une liaison passé, présent, futur. L’enfant, le rêve, le rapport entre la langue maternelle et le corps, le désir et l’écriture comme travail de reliance de la lettre au corps sont les thèmes qu’il aborde pour décrire l’enfant en soi, l’enfant majuscule vivant et survivant par-delà le temps historique de l’enfance et par-delà la désaffection de sa propre langue maternelle et le transfert dans une autre langue d’un maternel à établir et à construire ailleurs, en dehors d’elle. Tous ces thèmes traversent Le garçon qui voulait dormir8. C’est donc Erwin qui nous conduira sur le chemin, Erwin dormant pour se détourner de la réalité, s’abstraire de l’emprise des ruptures et des cassures, des ruptures en dedans et au-dehors, qui engendrent arrachements, fractures, coupures ; Erwin luttant contre la rupture-lésion avec destruction et reconstituant au niveau du sentir et de l’expression une toile qui tisse les fils coupés en dedans avec d’autres fils qui se tendent vers lui du dehors.
9Sa souffrance immense, insondable, infinie ne s’exprime jamais en tant que telle. Au contraire, la douleur se tait, ne s’appesantit pas sur elle-même. Comme le disait déjà Sénèque, repris par Montaigne, repris par Monique Schneider : « les petits chagrins bavardent, les grands sont muets9 ». Erwin, après la parenthèse de pétrification qui le laisse atone, suit un cheminement méditatif et contemplatif qui saisit les liens cachés, le continuum d’expériences et de pensées présents entre ses vécus. À partir de son expérience de vie basée sur des faits10, l’écriture d’Appelfeld décrit comment il a survécu à des traumatismes ayant entraîné une destruction partielle ou totale des premiers liens constitués concomitamment à une agonie de sa langue maternelle, l’allemand. Dans les cas que l’on appelle traumatiques, quand les évidences naturelles sont brisées du dehors par une césure radicale de la cohérence et de la continuité du monde constituées par un style de relation aux autres, aux choses, l’existence est condamnée à refluer vers soi et à se replier sur la sphère de la corporéité. Après la guerre, Erwin ne parvient pas à se réveiller de ce long cauchemar éveillé et plonge dans un épais sommeil interminable. Il est soumis à un long et fastidieux travail de connexion et de reconnexion avec l’étrange familiarité du monde qui l’entraîne d’abord dans un sommeil de plomb, dans un sommeil purement végétatif, puis dans un sommeil peuplé de rêves – dernier lieu du repli salutaire sur soi par l’annulation des événements traumatiques majeurs ayant entraîné l’apocalypse, la destruction et la mort de ses parents. Dans les rêves, Erwin retrouve ses parents et dialogue avec eux.
10Dans les rêves, il n’est pas séparé d’eux et continue une vie parallèle et souterraine dans laquelle les relations filiales se poursuivent. Par le rêve, il se ressource, traverse le temps, fait fi de son irréversibilité et de sa logique de succession. Par la littérature, Appelfeld nous introduit dans la réalité du monde d’un enfant après une catastrophe presque totale, après qu’il a perdu le socle, la pierre d’ajointement des évidences naturelles : sa langue maternelle, sa terre natale, ses parents, son pays, ses entours, jusqu’à son prénom.
11Erwin, dans le roman, a dix-sept ans au sortir de la guerre et il est tout d’abord plongé dans un sommeil lourd et profond, un sommeil quasi continu. Persévère ainsi l’être à travers et en dépit des discontinuités abruptes dues aux séparations sans retour, aux ruptures de liens, aux déracinements de lieux et de langues et, en règle générale, aux déchirements de la trame temporelle relatifs à une expérience vécue sans précédent et sans horizon d’anticipations, brutale, cruelle, dévastatrice. Erwin est physiquement et géographiquement déplacé dans un état de sommeil continu. Sa dépouille est portée de bras en bras, véhiculée au cours d’un exode, d’une grande migration, inconscient et abruti, en état de choc et d’annihilation, presque tenu pour mort. Durant ce voyage, les seules sensations sont la soif et la brûlure de la soif, son apaisement trop fugace. Le corps a également gardé en mémoire les sensations du passage de bras en bras, d’avoir été porté dans l’errance par d’autres survivants, victimes plus âgées que lui et qui prennent soin de lui. Arrivé à Naples, quand vient le moment d’être posé sur le sol, il se traîne auprès d’un arbre qui plonge ses racines dans une terre inconnue, pour dormir d’un sommeil plus léger, percevoir les bruits alentour et faire son premier rêve bienfaisant.
12Le rêve est un transport psychique. Il est rendu à nouveau possible par le contact avec la dureté, la solidité et l’immobilité de la terre, qui contraste avec le roulement du train, les trépidations du camion et de la carriole, les secousses des bras. Les rêves sont comme une mémoire plantée dans le corps, une terre ferme et reliée à ceux dont il n’est pas séparé. Comme l’avait déjà souligné Husserl, la terre ne se meut pas11, elle est l’arche absolument stable et fiable et la ligne d’horizon qui traverse la familiarité avec les entours. Le rêve et le sommeil – comme modalités du rapport avec le monde au travers desquels un contact privilégié s’établit à nouveau et sans transition avec les êtres les plus chers, les lieux de l’enfance, les maisons et les contrées dans lesquels il renoue avec le sentiment de se sentir chez soi – rétablissent peu à peu Erwin en le reliant à sa terre natale.
13La temporalité discursive, hasardeuse, aventureuse et imprévisible du rêve et du sommeil le détourne d’une réalité inacceptable, asséchante, tranchante, coupante et cisaillante jusque dans les blessures portées au corps. C’est pour échapper à cette réalité qui cherche également à effacer les traces du passé – de la langue maternelle rejetée parce qu’elle plonge ses racines dans un monde englouti jusqu’à son prénom devenu illégitime sur cette nouvelle terre d’accueil des apatrides – qu’il dort et rêve mettant à profit un rapport au désir prodigieusement demeuré intact de retrouver ses parents disparus. C’est grâce à la survivance en lui de l’enfant qui les attend depuis la séparation occasionnée par la guerre, que ce souhait indestructible, au lieu de rester pendant, se meut en une tenace obstination à demeurer relié à eux par la prodigalité du rêve. « Le flot miraculeux du sommeil [qui] ne se tarissait pas12 » exauce ce vœu : « Je continuais à vivre auprès d’eux, sans aucune séparation13. »
14Le thème de la reliance, de l’inséparation avec les plus proches et celui d’être rattaché à la langue maternelle – qui materne, c’est-à-dire relie le dedans et le dehors parce qu’elle est depuis toujours déjà indissociablement ancrée en soi et autour de soi comme un fil conducteur entre le « en » et le « autour » – se rejoignent à plusieurs niveaux dans le roman. L’écriture d’Appelfeld ne catégorise pas le rapport à la langue maternelle, elle le rend sensible et le décrit comme un rapport élémentaire, organique, osmotique, viscéral et vital. Erwin, parce qu’il doit procéder à une opération de refondation qui vise à remplacer une langue maternelle par une autre, fait une expérience qui nous ramène à une zone obscure de l’existence, une zone inobjectivable, d’avant la séparation d’un sujet et d’un objet. Cette opération, qui n’a pas de nom, mais qui est bien connue des populations émigrants en catastrophe et sans pouvoir conserver leur langue d’origine consiste à interchanger l’ininterchangeable. Il s’agit d’un change au cours duquel le changeur doit passer D’une langue à l’autre14. Pour que cet échange puisse avoir lieu, il faut d’abord constituer la langue de rechange, ce que l’on appelle l’apprendre.
15C’est de cela dont témoigne Erwin, l’enfant majuscule d’Appelfeld : « Les exercices physiques et linguistiques nous façonnaient15 ». Pour fabriquer à toute force une langue en remplacement de sa langue maternelle, il est embrigadé et acculé à la faire pénétrer dans son corps par des exercices physiques collectivement orchestrés sur la plage et accompagnés de profération de mots hébreux répétés en chœur : « Nous répétions en courant les poèmes de Rahel, Léah Goldberg et Nathan Alterman. Ici ou là un verset de la Bible. » Dire qu’Erwin se fabrique une nouvelle langue ne rend pas compte de la lutte à la vie, à la mort qui s’engage dans ce duel, qui va le façonner et à l’intérieur duquel une langue se « fabrique » pour devenir bien plus tardivement la sienne. L’immersion dans la langue se fait sur un mode volontariste et urgent. Pourtant il faudrait d’abord rendre compte de la résistance qui se manifeste à l’encontre de la promiscuité parfaitement désagréable avec la matérialité de cette langue étrangère, qui le pousserait certainement au refus de tout commerce, s’il pouvait se réfugier dans sa langue maternelle, si celle-ci, en raison de la raréfaction des échanges avec les autres réfugiés, ne s’estompait pas peu à peu irrémédiablement. Cette séparation volontaire d’un même groupe linguistique crée les conditions artificielles de la fabrique. « […] il fallait attendre d’être immunisés contre eux pour les approcher16. » Pourquoi ? Parce qu’ils sont perçus comme des « déracinés »,
comme s’il s’agissait d’être infirmes, têtus, refusant de changer, se complaisant dans leur malheur infini, parlant une langue dont le lexique se résumait aux mots « peine », « mélancolie », « douleurs inguérissables », et se cachant derrière le rire désagréable de ceux qui avaient survécu et s’en réjouissaient17.
16Changer de langue, c’est forcément et résolument tourner le dos à celles et ceux avec qui l’expérience des camps et de la guerre a été traversés ; c’est changer de peau, en adopter une autre, brunie par le soleil, musclée par la course et la gymnastique et renforcée par l’hébreu qui, illusion collective ou non, fortifie l’âme de ceux qui s’en remettent à lui ; c’est aussi parler une langue à laquelle l’expérience de la souffrance vécue présente et passée ne s’est pas encore subjectivement et pathiquement mêlée, car l’hébreu n’est pas la langue de la plainte. La souffrance se lamente et s’épanche dans la langue maternelle qui recueille la détresse et le désespoir. Mais à qui adresser cette souffrance ? Qui peut l’entendre ? Qui y peut quelque chose ? Erwin ressent le danger inhérent à la plainte de s’invaginer sans moyen de se déverser au-dehors, sans autre issue que l’effondrement dans la langue maternelle exsangue de paroles consolatrices et réparatrices ou le suicide.
17Qu’en est-il pour Jean Améry, alias Hans Mayer, écrivain autrichien (1912-1978), torturé au fort de Breendonk et déporté à Auschwitz, puis exilé et suicidé, dont les récits et les essais portant sur son expérience éclairent en contrepoint la trajectoire d’A. Appelfeld ? J. Améry a réfléchi autobiographiquement sur un drame parallèle, le drame de son existence et de son exil. L’exil de sa terre natale a provoqué chez lui un mal du pays (Heimweh), une tension de plus en plus insoutenable à mesure que sa Heimat lui devenait de plus en plus étrangère et l’étranger de plus en plus familier. C’est alors, comme le dit W. G. Sebald, fin commentateur de son œuvre, que « la séparation devient déchirure18 ». Car l’exil dont a souffert J. Améry ne fut pas linguistique comme celui d’Appelfeld, mais intralinguistique – il fut exilé dans et par sa propre langue maternelle – et c’est peut-être bien là que le bât a blessé inguérissablement, dans cette double peine. Comme Sebald en fait l’hypothèse : « Pour celui qui manie la langue, le malheur de l’exil ne saurait être surmonté que dans la langue19. » Or il aurait fallu, pour que cela soit surmontable, qu’il eût été possible de désintoxiquer la langue de ce qu’elle véhiculait de poison infiltré et imprégné en elle, comme V. Klemperer l’a démontré en tant que philologue dans sa radiographie de la LTI20. Pour « conjurer complètement le malheur », il aurait fallu dans un même temps – incompossible – expurger toute trace de dénaturation et d’euphémisation de l’allemand infiltré par la propagande, extraire toute trace de disséminations cancéreuses de la LTI dans la langue maternelle elle-même en écrivant sur ce qui avait eu lieu, c’est-à-dire sur ce que la culture allemande dans son ensemble et non plus seulement sa langue a rendu possible, à savoir à la fois l’émancipation des juifs d’Europe et leur massacre :
Les mots qu’Améry a couchés sur le papier et qui nous semblent, à nous, pleins de la consolation qu’apporte la lucidité n’ont fait pour lui que cerner l’impossibilité de sa propre guérison et ont tracé la ligne qui sépare « mondes incommunicables », « l ’homme qui a le sentiment de la mort et celui qui ne l’a point », « celui qui ne meurt qu’un instant » et cet autre « qui ne cesse de mourir ». Ainsi considéré, l’acte d’écrire ne devient pas tant un acte de libération qu’un acte d’annulation de la délivrance, l’instant où celui qui a échappé à la mort est contraint de reconnaître qu’il n’est plus en vie21.
18Avant que Jean Améry ne se donne la mort pour ne plus avoir à vivre dans l’ombre de son ombre, il a consigné avec précision les expériences qui l’ont laissé au tapis ou sur le carreau et dont il ne se relèvera pas. L’une d’elles, beaucoup plus insidieuse que les séances de torture, fut de devoir vivre en exil. Cet exil, dû à un impossible retour sur sa terre natale, confirmait à ses yeux que les bourreaux ont des droits que les victimes perdent irrémédiablement avec leur statut de victime. En effet, ils peuvent demeurer sur place chez eux, dans un pays qu’ils ont confisqué à ceux qu’ils ont meurtris, et ce quelles que soient les lois en vigueur, puisque l’exclusion consommée des victimes est légitimée par le déracinement de la terre natale qui achève le crime inachevé par l’éradication et l’épuration ethnique et territoriale totale qui parachèvent l’ensemble. Le processus va jusqu’à son terme… sans rencontrer d’objections ni de réparations. La déréliction subjective et sociale de la victime définitivement isolée de son contexte natal en est la clé de voûte. D’autres que lui en ont également pâti, comme Paul Celan régulièrement ulcéré de découvrir dans la presse les noms d’anciens sympathisants du régime national-socialiste poursuivant en toute quiétude et dans leur pays leur vie et leur carrière de germanistes, par exemple. L’anecdote et le hasard fomentent ici le terreau d’un délire de préjudice, dont la société, en ne s’en faisant pas l’écho, ne délivre pas de la honte et de la folie. L’ulcération se gangrène ! Nous pourrions dire pour conclure avec J. Améry que la langue maternelle s’est pour lui éteinte et exténuée à force de clairvoyance et parce qu’elle n’avait pas les moyens appropriés de lutter contre l’envahissement psychique et silencieux de la plainte, le constat des préjudices et de l’injustice criante, le flot des réminiscences du crime qu’il aurait fallu pouvoir enclaver et traiter. Mais comment ?
19Pour Erwin, « l’occasion fait le larron22 ». En rencontrant l’hébreu, il accède malgré lui à une forme de délivrance du malheur. L’héritage est soumis à une contrainte à l’impossible et dans ce passage critique, la transformation constitutive de soi par la langue maternelle de l’autre évite la catastrophe fatale. Il en va ici de la transpassibilité au sens de Henri Maldiney, quand « l’événement est un défi au destin23 », un autre événement que l’on n’attendait pas produit un passage à la limite, par un autre bord, au risque et au péril de soi. Ce qui n’était pas possible, vivre sans sa langue maternelle, devient ce dont on est passible. Reste encore à endurer ce réel que l’on n’attendait pas, cette métamorphose de l’existence, à faire sien ce qui surgit de l’imprévisible. L’existant subit la réalité de l’événement « à même son existence à laquelle cet événement ouvre un monde autre, dont la réalité est incompatible avec celle de l’ancien. » C’est cela la tension de la crise, une tension « entre deux mondes et entre deux façons d’exister » par laquelle l’existant s’envisage à un autre visage24.
20Pour Erwin, la langue à acquérir est, dans ce contexte, vécue comme une bouée de sauvetage pour éviter de se noyer dans la douleur laissée par ce qui a eu lieu, comme une bouffée d’air frais de provenance encore inconnue, comme un décollement nécessaire, comme une chose utile qu’il subit, mais qui n’est pas seulement un subir, car ce qu’elle produit est salvifique. Un transfert s’y s’opère, qui est un véritable transbordement dans un dehors, un autre milieu, dans lequel l’étrangeté plus forte que la familiarité avec la langue maternelle produit un écart avec soi-même, une distanciation irréductible, jamais nulle. « Ma pensée alors était si molle que tout ce que j’entendais en hébreu me semblait juste. La langue et la poésie m’ensorcelaient, et comme à l’époque le vocabulaire hébraïque était truffé de mots rares, de slogans et de confiance en l’avenir, j’étais moi aussi sous le charme25. » Le charme de l’hébreu prend le dessus et facilite la transaction. Pourtant faire corps avec le maternel d’une langue quand celle-ci ne vous a pas bercé et n’accompagne pas chacun de vos mouvements de pensée comme un souffle souple et doux de respiration, comme l’air dans la bouche quand la parole s’envole, s’avère être une affaire de longue haleine. La fabrique d’une langue consiste à répéter des mots et des phrases et à recommencer jusqu’à ce qu’ils n’écorchent plus la bouche et ne soient pas davantage écorchés, comme des êtres de souffle et de chair produits au contact de l’intimité de la chair et du souffle. En ce sens, le premier temps de la fabrique d’une langue est fait d’oralité. La nouvelle langue remplit une fonction de désignation et de communication simples. C’est un premier contact physique nécessaire, mais qui s’avère pour Erwin non seulement insuffisant et insatisfaisant, mais surtout incomplet, au motif qu’il fait naître un besoin plus radical que les racines de la langue ne volent plus dans l’air, dans la bouche et dans l’oreille, mais plongent et ramifient plus profondément leurs racines dans son corps. C’est pourquoi le second temps décisif est d’écriture. C’est lui qui e(a) ncre la langue par la gestualité de la main et des doigts copiant et recopiant les pages de la Genèse. Erwin est mis en contact avec « la force cachée dans la graphie hébraïque » par l’écriture des lettres de l’alphabet dont chacune est formée d’un tracé clair et distinct. « Les lettres hébraïques ont une beauté antique qui m’émeut26 », dit-il. Une résonance émotionnelle s’établit entre elles et lui. L’hébreu de la Bible lui procure un a(e) ncrage nouveau, une matrice archaïque, une nouvelle manière d’être porté et relié à la mémoire qui est plantée dans le corps, avec la crainte de trahir sa mère, son père et ses grands-parents. Erwin retrouve, par le travail incessant de relier son corps à la lettre, l’enfant qui est en lui.
21Faire rentrer les mots est difficile, mais c’est comme retrouver la sensibilité après l’anesthésie du traumatisme. L’écriture ressemble beaucoup à la musique qui doit se trouver dans les doigts. Elle est une gymnastique gestuelle. Toutes les lettres ont d’abord été des images. C’est seulement dans quelques-unes que l’image qui en est la base est aisément reconnaissable, ce sur quoi tablent les abécédaires ludiques d’antan27. Ainsi la main fait le lien entre les différents corps en présence : le corps de la lettre, le corps de l’image à l’état de trace et le corps vivant du copieur. « Seuls les mots qui sont des images demeurent28 », renchérit A. Appelfeld.
22La langue seconde s’inscrit dans le corps en ouvrant une brèche qui laisse entrer en soi ce que nous appelons « la langue maternelle de l’autre ». Un transfert se produit sur cette langue étrangère en tant qu’elle est celle de l’Autre et d’une autre culture. Le transfert opère une entame dans le foyer de sa propre langue, de son propre chez soi, surtout quand la langue maternelle de l’autre concurrence sans compromis sa propre langue maternelle pour prendre sa place. Elle comporte un risque majeur inhérent, celui de dissoudre le lien premier inaugural à la langue maternelle, sa prédominance. La langue maternelle subit alors meurtrissure et flétrissure. Elle rend l’âme avec le risque de prendre au passage l’âme de celui qui la perd. C’est du moins ainsi que le père d’Erwin, apparu en rêve, réagit au change forcé de nom et de langue : « On ne change pas son nom, tout comme on ne change pas de langue maternelle. Le nom, c’est l’âme. En changer est ridicule. Ce mot, “ridicule”, désignait chez mon père non seulement une disharmonie, mais aussi une forme de bêtise29. » Cette corruption par déperdition, évidement, désubstantialisation ressemble fort sur le plan somatique à un accident hémorragique grave nécessitant une transfusion sanguine de formule compatible, ce qui en matière de langue et de nom ne s’applique pas, puisque l’incompatibilité30 en est la norme et le principe. Cependant l’incompatibilité ne conduit pas nécessairement à une intoxication, un empoisonnement ou au rejet comme dans le cas d’une greffe, mais comme l’a dit Jacques Jedwab à une translittération31. Celle-ci est projection et ouverture de possibles qui n’étaient pas autrement possibles quand le deuil est impossible et que le risque du geste mélancolique est prégnant.
23Pour Erwin, l’apprentissage de l’hébreu, parce qu’il est forcé, tardif et imposé par des circonstances tragiques, est un processus vital, long et douloureux engageant un polémos entre des forces contradictoires. C’est beaucoup plus qu’un apprentissage ou que l’acquisition d’une compétence en un sens restreint. Il s’agit du déplacement d’un ancrage originaire et de sa retranscription, d’une translittération, c’est pourquoi ces notions sont à réélaborer intégralement.
24Comment la parole vient-elle à l’enfant ? Alors que l’enfant poursuit sa propre maturation au-delà du temps physiologique intra-utérin durant lequel il est en gestation dans le corps de sa mère, il entre dans le temps. C’est le temps des premiers temps, le temps des commencements et des recommencements, comme le dit Walter Benjamin32. C’est dans ce temps que l’infans se met à parler. Or, plutôt que d’apprentissage, l’enfant nous montre que la langue est un milieu ambiant, un Umwelt de paroles échangées, un bain natif dans lequel il se trouve et auquel il s’arrime en se l’appropriant. Il nage dans sa langue maternelle. Celle-ci lui est donnée, procurée, instillée comme une nourriture, comme le lait maternel qu’il boit, comme l’air qu’il respire, comme l’élémental dans lequel il poursuit sa croissance. « La langue maternelle coule comme le sang dans les veines33 », pour autant que cet élémental pénètre en lui, s’acclimate et qu’il s’y acclimate. Elle est métabolisée ; elle est constituée par le circuit des échanges. L’enfant dit ses « premiers mots », après qu’il se soit abreuvé des paroles entendues et que déjà, très tôt on lui ait prêté une parole à venir, un désir de parler et que l’on ait pour ainsi dire déjà prêté attention et reconnu tout ce qui s’échange vocalement comme la manifestation de ce désir-là. Car il expérimente avec sa voix, loin en amont de la parole parlante, une prosodie propre à sa langue maternelle en énonçant au milieu d’un jeu avec les sonorités familières les phonèmes attendus, sculptés dans la matérialité extraite des syllabes. Il donne naissance à des petits monstres phonétiques34 dans lesquels la langue s’agglutine juste pour rire. Des premiers mots conquis aux premières questions concernant la naissance, la mort, l’amour, le mariage ou les relations entre les sexes, il n’y a qu’un pas que le fluide de la langue franchit allègrement, quand le maternel de la langue a ouvert les vannes de la construction intralangagière et qu’en parlant l’enfant fait des liens.
25Que la langue se dérobe est une expérience coutumière, qu’elle fourche, qu’elle parle pour ne rien dire, qu’elle énonce confusément, qu’elle soit vécue comme un frein ou un obstacle à la communication dans le cas d’une langue dont les capacités autocréatrices se restreignent35 ou dans le cas d’une langue étrangère, toutes ces expériences nous renseignent sur l’être parlant que nous sommes. Ce que ces expériences ne relatent pas précisément, c’est combien l’entrée dans le langage et dans la langue maternelle n’est en rien naturel ni spontané, mais présuppose bien au contraire des différenciations structurelles imaginaire, subjective, symbolique entre soi et non soi, qui régissent l’usage de la langue, sans dépendre à proprement parler de son apprentissage, car ces différenciations tiennent à un rapport qui préexiste au langage lui-même et qui se formalise en lui. Les enfants qui se heurtent à des retards de langage nous donnent à voir non pas le langage lui-même, mais tout ce qu’il présuppose afin de se constituer pour un sujet, à savoir un rapport ontologique au monde qui précède son usage et advient corrélativement à sa compréhension.
26Fernand Deligny dit de nous, êtres humains qui parlons, que nous pérorons36 et, en effet, nous exerçons ce pouvoir de « pérorer » à tort, à travers et de tout. Il dit aussi et en substance qu’en exerçant ce pouvoir, nous excluons ostensiblement tous ceux qui ne pérorent pas : l’infans, l’enfant à qui nous faisons dire ce que nous voulons, pensons, croyons, l’enfant mutique, l’enfant autiste et un peu plus loin encore, nous condamnons aussi les animaux à une moindre dignité d’être, un moindre respect. La langue est un pouvoir qui donne cohérence et consistance au monde, remplit, rassure, mais elle est aussi un pouvoir qui exerce une dictature.
27En français, on dit que l’on possède une langue à l’oral, à l’écrit. Cette idée de possession, d’acquisition de la langue est loin de ce dont il s’agit avec le langage et masque sa dimension inchoative, son état naissant, fait de commencements et de recommencements ; car il ne va jamais de soi de se confier au langage et d’en faire surgir des éclaircissements. Une langue, « je » n’en est pas à proprement parler le propriétaire. Elle ne m’appartient pas, comme le souligne Barbara Cassin37. L’allemand dit d’une langue : je peux. Je peux l’allemand ou le français. Parler une langue, c’est d’emblée exercer une potentialité, non pas la posséder comme un savoir, mais la pouvoir. L’incorporation d’une langue autre comporte un pouvoir analogue d’effectuation de potentialités qui passe par la contrainte de créer des liens, de relier la langue au corps et le corps au paysage, de les rendre solidaires. « Le bleu de la mer était si intense que chaque mot nouveau se remplissait de cette eau avant d’être coulé en nous comme du métal, par la brûlure du soleil38. » Faire couler en soi le métal dur et coupant de la langue maternelle de l’autre est un travail de fonderie effectué par tous les éléments du paysage, l’eau de la mer et le soleil, qui transforment les mots en sensations et les imprègnent dans le corps. Le corps, en étant saisi par la brûlure de la coulée de métal-langue, reçoit de cette fonte en fusion une marque indélébile.
28Le récit d’Appelfeld conduit de la langue maternelle comme langue source et ressource39 à l’incorporation forcenée, acharnée de l’hébreu comme langue cible, dans laquelle il devient possible d’exhumer les traces de l’originaire et d’élaborer le trauma et la perte. Qu’est-ce qui de l’une à l’autre passe, se transmet et se configure autrement ? L’enjeu – au-delà de la violence de ce qui fait intrusion, de l’arbitraire de ce qui a lieu du point de vue de l’histoire qui englobe les individus, – est une transmutation des éléments les plus propres dans la langue de l’autre, qui subvertit à la fois le propre et l’étranger.
J’ai l’impression que cette langue dont je ne connais que la couche supérieure, l’hébreu moderne, va me relier à tout ce que j’ai emporté avec moi. […] que les lettres hébraïques vont me rattacher à ce qui est caché en moi40.
29L’intime n’est plus lié au passé, il est relié au présent par la lettre qui rattache l’apophantique – l’apparition du caché – à une nouvelle transcription, qui matériellement tisse une jonction entre l’intime caché et l’écriture de la lettre que la main exercée à la gymnastique de l’écriture compose, comme un musicien exécute sa partition d’un geste sûr qui précède la pensée et transpose au contact de l’instrument l’algèbre des lignes mélodiques. Erwin fait un rêve à ce sujet :
Durant ma dernière torpeur […], j’assemblais des mots aussi durs que du métal, mais j’arrivais à les mouvoir après les avoirs pesés un par un. Je peinais, les muscles tendus, sans renoncer à former des phrases. J’échouai, les mots refusaient de s’aligner41.
30Ce rêve décrit précisément l’effort pour s’approprier la nature profonde, solide et intangible des mots, pour transmuter et commuer leur dureté en encre fluide sur le papier sans altérer l’héritage ancien qui les a forgés.
31Parce qu’elle n’a plus d’usage dans le nouveau monde, la langue maternelle reflue, s’affaiblit et s’étiole. Erwin pourrait rester infirme de langue maternelle. En écho, il subit dans son corps une paralysie qui pourrait elle aussi le laisser infirme. Ses jambes s’endorment, s’anesthésient dans la douleur à la suite d’une blessure fulgurante liée à une guerre éclair survenue sur la terre d’accueil, dans laquelle il a été immédiatement enrôlé. Erwin, qui a perdu l’usage de ses jambes, est opéré à plusieurs reprises pour retrouver la marche et la sensibilité. En vérité, Erwin n’est plus porté ni par sa langue maternelle ni par ses jambes pendant des mois interminables, qui sont comme une période de latence pour trouver sa propre verticalité. Une ultime opération réussit à le mettre debout, à renouer les jambes avec le reste du corps. De façon concomitante, l’inscription des lettres hébraïques en lui qui, de lettres closes, prennent doucement vie et signification, opère la jonction entre le corps et l’esprit de la lettre, grâce à une gymnastique quotidienne, un entraînement qui ne fait pas l’unanimité dans la communauté des pionniers autour de lui. L’hébreu de la Bible n’est pas la langue musclée que l’injonction collective lui intimait d’apprendre, mais une langue intacte, qui n’a pas été touchée par les hommes pendant deux mille ans.
Les gens, à mon grand regret, ne sont pas délicats avec la langue, ils ont arraché des mots aux livres anciens pour les balancer dans des champs et des rues bruyantes. Les mots enfermés dans les livres sont habitués à un autre air, on ne peut pas les saisir à la légère42.
32Cette protestation fondamentale face à une langue sacrée devenue langue prosaïque est exprimée à l’encontre du courant de l’histoire. Erwin poursuit seul une quête qui est de se rattacher à l’héritage biblique et à son instance cachée, là où l’injonction collective voudrait l’intimider et l’en dissuader. Comme le rappelle Janine Altounian43, citant le Faust de Goethe, cité par Freud, dans son ouvrage concernant la traduction du trauma génocidaire dans la culture de l’autre : « Ce que tu as hérité de tes pères, acquiers-le afin de le posséder. » Erwin est poussé par l’enfant qui est en lui et qui le protège de la barbarie des mots mal utilisés à répondre à l’appel de l’héritage des pères et à le sauver de l’oubli. Pourtant il ne faudrait pas dichotomiser ici l’héritage des pères et celui des mères entre intelligible et sensible. L’intrication des deux ne fait pas de doute et Appelfeld se sépare de Freud sur ce point. Beno, un camarade d’infortune, a cette formule : la vie de mes parents tournait entièrement autour des livres. Si dichotomie il y a, celle-ci se situe bien plus entre une vie « rassasiée de labeur », une vie de constructions et de travail aux champs, la nouvelle vie des pionniers et une vie tout entière tournée vers l’étude et la contemplation, la vie des parents, la vie traditionnelle. L’épuisement du corps par le labeur produit chez les survivants un rapport oublieux à soi, mal toléré, qui consiste à vivre avec les morts. Erwin évite toujours de poser des questions sur les blessures profondes de ses camarades qui « marche (nt) au-dessus du gouffre ». Il choisit pour lui-même de vivre, non pas en relation avec les morts, mais en fonction du lointain vivant en lui et non pas du plus proche, qui éloigne du lointain véritablement proche.
33La prose biblique est concrète. Elle rapporte les faits l’un après l’autre sans donner des leçons et sans jugement. Les mots de la Bible ont un sens et une direction qui ouvrent la voie vers la transcendance, car les mots les plus simples font signe. Ils ne sont pas comme les mots « surutilisés » des langues européennes. Comme son père, qui a connu la difficulté d’écrire et de publier ses textes, Erwin « se bat contre les mots qui sont trop vite faussés ». Comme son père, il abhorre les discours idéologiques. Comme son père, il s’en tient aux règles d’airain qui façonnent la littérature et qu’il énonce pour mieux les conserver. Elles sont au nombre de quatre : ne pas mettre son moi en avant, exposer des faits avant une opinion ou un sentiment, porter attention aux détails parce qu’ils sont la plus belle parure du langage, ne pas se prendre au sérieux et user d’ironie qui distingue l’homme qui pense44.
34Au travers d’Erwin, nous percevons que ce n’est pas la fonction mimétique qui guide l’enfant et le pousse dans les pas de son père ou de sa mère. La fonction mimétique aide à reproduire, à imiter et non à développer son propre jeu en jouant. Or, c’est ceci dont l’enfant a fondamentalement besoin et dont il est capable : déployer son espace propre de proximité et d’éloignement, à condition que ne s’exerce pas sur lui des injonctions débiles et paradoxales. L’enfant ne fait pas quelque chose, comme on le croit souvent, en prenant modèle sur l’adulte, mais il s’exerce en commençant et en recommençant du début jusqu’à la fin, et retour, et cela sans fin une scène dont il est l’auteur, l’acteur, le metteur en scène, le commentateur ou le critique et enfin parfois aussi le destructeur.
35Henri Maldiney, en phénoménologue lecteur de Freud et de Lacan ne se satisfait pas de la seule notion d’infantile et prend soin de dégager l’enfant majuscule et le monde dont il est l’origine :
Le monde enfantin se constitue en marge du monde infantile et familial. Il lui suffit d’un dessous de table, d’un coin de cuisine ou de jardin dont l’enfant fait une enceinte. Tel est l’espace ludique, ce templum de la règle, dont les limites ne sont ni objectives ni symboliques, mais existentielles. […] Dans le jeu, l’enfant exerce inlassablement son être au monde et ne cesse de structurer et de dévoiler dans son comportement le comment de sa présence45.
36Car c’est la mise en œuvre du jeu qui est en elle-même l’épreuve structurante du jeu. Elle fait jouer les invariants en des variations qui sont expérimentées dans un style d’être par lequel l’enfant est présent à lui-même et s’actualise :
Dans l’espace ludique où l’enfant s’écrit et s’écrie lui-même, il arrive que le monde familial soit mis en jeu. L’enfant joue au père et à la mère, mais le jouer à… n’épuise pas le sens du jeu. Si l’adulte ne sait guère que jouer à… et la plupart du temps à lui-même, l’enfant joue absolument, sans être en tiers avec soi. Quand il joue au père et à la mère, ces thèmes qu’il irréalise et à travers lesquels il s’irréalise sont portés par une réalité dans le présent qui ne se laisse pas prendre à l’imaginaire qu’elle sous-tend. La situation infantile est visée dans son quoi à l’état de thème, mais le comment de la situation ludique échappe au style du monde infantile. Il appartient à l’espace climatique du jeu qui n’est pas une présentification de l’espace familial et possède sa structure originale. C’est en lui que se jouent les amours enfantines, qui ne sont pas des quasi-amours46. »
37C’est en jouant qu’au niveau du sentir et du rythme basal, l’enfant prend corps et donne corps à son monde jusqu’à percevoir le visible et le tangible séparé de lui en se séparant d’eux (division je/me), comme c’est aussi en partant du cri et de la lallation47 que l’enfant va jusqu’au mot et retourne à la langue en l’inventant et en s’y invitant. Ainsi, dans le jeu, dans le « faire sans cesse du jeu », il s’effectue une « transformation constitutive » de l’enfant et de l’expérience liée au jeu, liée à la gestualité et à la mise en œuvre qui est inscription et transcription.
38C’est Walter Benjamin qui fut attentif à cela comme peu de philosophes avant lui et qui le note au détour d’un texte48. L’enfant – dans sa différence avec l’adulte qui répète et raconte à plusieurs reprises la même chose, « soulage son cœur de ses frayeurs, jouit doublement d’un bonheur en le racontant » – recommence le jeu du début à la fin. W. Benjamin esquisse une morphologie des jeux qui rend compte de cette transformation constitutive de l’un par l’autre qui permet « d’explorer l’énigmatique dualité de certains jeux comme le bâton et le cerceau, la toupie et le fouet, les billes et les joueurs de billes, le magnétisme qui s’établit entre les deux parties ». Il émet cette hypothèse :
Il en va probablement comme suit : avant que dans l’extase de l’amour nous n’entrions dans l’existence et le rythme souvent hostile, impénétrable d’un être humain étranger, nous expérimentons de bonne heure des rythmes originels, qui se manifestent sous les formes les plus simples dans ce genre de jeu avec l’inanimé. Ou plutôt ce sont précisément avec ces rythmes-là que nous prenons d’abord possession de nous-mêmes49.
39Prendre possession de soi-même comme d’un soi impossessible, en ouverture, en échange et en contact rythmique avec l’animé et l’inanimé est fondamental pour l’enfant qui ne possède pas le rythme par lui-même, mais l’expérimente librement dans le jeu, après que de bonne heure, il ait été saisi par celui des premiers contacts maternants, dans l’approche et le retrait et dans le corps à corps du portage. C’est ainsi qu’adviennent les racines corporelles de la pensée.
40C’est aussi cela le temps de la constitution des évidences naturelles dont parle Husserl, ce primat de la familiarité avec le monde que la phénoménologie vise pour mieux l’analyser par la mise en doute systématique de l’évidence du monde qu’elle promeut dans l’épochè phénoménologique. Cette suspension de l’attitude naturelle a également lieu dans l’événement traumatique qui opère une césure dans la continuité de l’expérience, qui contraint, voire condamne à des recommencements en partant de nouvelles amorces.
41Nous pouvons ainsi dire que commencer et « recommencer depuis le début encore une fois », serait, en première approximation, une bonne définition de la phénoménologie, une manière de l’approcher, elle qui précisément met au jour l’événement que nous sommes, l’émergence corrélative du monde, du langage, du corps et de la conscience, du monde et du Dasein en arrivance50.
42La phénoménologie, en ne cessant pas de questionner la connivence, la complicité, les affinités qui nous relient à ce qui nous entoure, décrit le point de départ de la connaissance sensible. En le décrivant, elle le désétablit, le distend, parce qu’elle cherche du côté de l’ancrage originaire. En le cherchant, elle l’aperçoit et elle l’inquiète également, parce qu’elle immisce une réflexion au sens d’une forme de réflexivité en un lieu psychique que seule la pathologie nous avait appris à connaître. C’est pourquoi elle saisit intimement le point de bascule, le point de désagrégation du familier en inquiétante étrangeté, comme si elle saisissait sa propre langue maternelle, une langue qui parle en soi, quelle que soit la langue parlée et qui rend possible de parler une langue. La phénoménologie analyse ce qui a lieu et a cours en amont de la catastrophe ou de la rupture de familiarité, mais elle perçoit aussi l’aval, le gouffre au-dessus duquel nous existons et qui est un mode de connaissance, la connaissance par les gouffres, pour le dire avec Henri Michaux.
43Eugen Fink, élève de Husserl, décrit le moment de réflexivité fondamentale par lequel la phénoménologie accède à elle-même par le suspens :
La familiarité en général avec le monde rend seule possible la différence entre la connaissance que l’on a du chez-soi et le lointain inconnu, elle est une anticipation universelle qui précède constamment et toujours toutes les extensions de notre sphère du chez-soi. Il peut arriver que cette familiarité avec le monde et cette aisance dans le rapport au monde de notre vie naturelle, pour laquelle le cours du monde est également courant, fassent l’expérience d’un bouleversement si profond qu’il abolisse en entier cette familiarité et la transforme en une énigmaticité universelle. Et dans un tel bouleversement du refuge que l’on trouvait naïvement dans le monde, ce n’est pas tant l’étranger et l’inconnu par rapport à l’étroitesse de la connaissance du monde du chez-soi qui maintenant nous assaillent de manière étrange et déconcertante dans ce bouleversement, mais justement ce qui est complètement familier, ce qui va de soi et est le plus quotidien, ce qui est communément hors de question51.
44Ces évidences naturelles, pierre angulaire de l’expérience dite normale, deviennent étrangères à elles-mêmes dès lors qu’un regard est porté sur elles ; elles ne sont pas seulement mises en question, mais dérangées en ce qu’elles forment le soubassement ininterrogé du socle des certitudes existentielles partageables ou non, singulières ou délirantes, non-apodictiques dans tous les cas. En devenant objets d’analyses, la phénoménologie comme la psychanalyse, chacune à sa manière, dévoilent les évidences naturelles dans leur mode de constitution. Le renversement du familier en étrangeté produit une connaissance – ce qui va de soi est déconcerté et dérangé de sorte qu’une étrange expérience, celle de la constitution de l’expérience est mise au jour et que les synthèses passives font l’objet d’une analyse : une analyse du soi en lien avec l’altérité.
45Cela même que W. Benjamin déplorait en son temps, que l’expérience humaine ne parvienne plus à se constituer en expérience existentielle transmissible, dans un récit passant de bouche en bouche, en raison d’une chute du cours de l’expérience52 est indéniable. La naissance de la phénoménologie et de la psychanalyse à l’aube du xxe siècle coïncide avec cette chute. Ce drôle de hasard s’annonce comme une tentative de remédier à la dévaluation de ce qui arrive à l’humain en recueillant la signifiance de l’expérience profane d’un sujet. Cependant l’isolement de l’humain qui traverse des expériences indicibles et irracontables est le véritable drame :
Les gens revenaient muets du champ de bataille – non pas plus riches, mais plus pauvres en expérience communicable […] Une génération qui était encore allée à l’école en tramway hippomobile se retrouvait à découvert dans un paysage où plus rien n’était reconnaissable, hormis les nuages, et au milieu, dans un champ de forces traversé de tensions et d’explosions destructrices, le minuscule et fragile corps humain53.
46Ce que W. Benjamin souligne, c’est la mémoire de l’enfant plantée dans le corps de l’adulte, ce hiatus qui ébranle l’existence. Car cette mémoire n’est pas pour W. Benjamin une mémoire théorique, une abstraction. Au contraire c’est une mémoire qui change son regard sur l’adulte et lui fait voir l’enfant persistant chez l’adulte comme directement là, en chair et en os et en prise avec les vécus de l’enfance. En particulier, cette mémoire le renvoie au corps humain du tout petit, qui n’est ni fort ni glorieux ni courageux, mais vulnérable de naissance : un corps « minuscule et fragile », menacé par le dehors et impressionnable comme une pellicule photographique. C’est ce même constat qui a conduit A. Appelfeld à se libérer de la tutelle des « abstractions » pour revenir dit-il aux « amis fidèles, qui savaient qu’un homme n’est rien d’autre qu’une pelote de faiblesses et de peurs54. » Car l’adulte est immanquablement reconduit à l’épreuve de la détresse originelle, à la Hilfslosigskeit, par les expériences de la vie. L’enfant parce qu’il porte en lui le sens d’un commencement par autoaffectation, c’est-à-dire tel qu’il n’est pas par avance déjà défini et déterminé par une finalité ou inscrit dans une téléologie qui prendrait effet sur lui parce qu’elle serait déjà là avant lui, est l’espace même du créatif et des recommencements, des renaissances aussi.
47L’enfant en tant qu’être immature à la maturation imprévisiblement spontanée pose des questions radicales quant aux voies par lesquelles il passe pour s’incorporer et symboliser le monde dans lequel il vit. Son cheminement inanticipable est à chaque fois unique, inouï et inédit. Pour N. Abraham, « L’enfant comme origine de la genèse, comme celui par qui advient le nouveau n’a aucune place dans la conception de Husserl55 », car pour qu’advienne du nouveau, il est important que Je et Me ne coïncident pas, que subjectivité et réflexivité ne se recouvrent pas, qu’un abîme les sépare, qu’il y ait de l’irréductible, ce dont l’inconscient d’une part et l’enfant d’autre part se chargent en garantissant que l’écart ne se referme pas. Husserl, en limitant la phénoménologie à la question de l’intentionnalité, rate la question de l’enfant, tandis que Henri Maldiney fait entendre l’enfant qui existe aux marges de l’infantile en termes d’écriture, d’enfant s’écrivant lui-même et stylisant par son écriture son existence : Cet entrelacs perpétuel d’impressions et d’expressions [chez l’enfant] dans la même conduite où la situation est simultanément décrite et écrite a reçu sa forme la plus juste dans ces lignes que trace une hirondelle sur une page de Francis Ponge : « Chaque hirondelle inlassablement se précipite – infailliblement elle s’exerce – à la signature, selon son espèce, des cieux. Plume acérée trempée dans l’encre bleue noire, tu t’écris vite56. »
48Sans l’enfant, dit Aharon Appelfeld, on est amputé. On ne peut plus voir la réalité telle qu’elle est. On ne peut pas recommencer jour après jour un nouveau jour. « L’enfant me protège, prend soin de moi et moi je prends soin de lui. Sans l’enfant qui est en soi, on devient vite rationnel, cynique, un être à deux faces57. » dit-il encore. L’enfant garde la capacité de s’étonner. Il a aussi la capacité de garder en vie, de maintenir en vie l’unité duelle qui se retrouve à la base de toute situation sensuelle, c’est-à-dire dans le rapport au corps sensible-sentant.
49Nicolas Abraham, en phénoménologue averti et en psychanalyste non moins averti, reconnaît à l’enfant cramponné à sa mère et décramponné de sa mère, à l’enfant relié et séparé, un rôle de premier plan, qui retourne comme un gant la question de l’origine quand il dit que « la mère, c’est la créature de l’enfant58 ». Elle est créature dans tous les sens du terme, car elle est cet élémental59 par lequel l’enfant forge un accès au monde, mais aussi qu’il retrouve dans toutes les figures rythmiquement vivantes qu’il rencontre et qu’il crée, dans les lettres mêmes, dans l’écriture et la lecture. En ce sens, « l’enfant est la mère de toutes les mères, de toutes les mères perdues et recrées. » L’enfant est matrigène et c’est en cela qu’il est le lieu d’un combat et de « la réédition incessante du combat entre deux mélancolies, la présente et la future, entre deux mères, l’une déjà gagnée comme perdue et l’autre dont la perte accomplie reste encore à gagner60 ».
50Erwin, au sortir du roman n’est pas plus orphelin de langue maternelle qu’infirme. L’hébreu est devenu la langue du cramponnement à la mère. Non pas mère adoptive de substitution ou langue « paternelle » et savante dont l’enfant n’aurait pas retourné vers lui les racines pour les planter dans son corps, mais créature de l’enfant qui joue inlassablement à déchiffrer le mystère des temps mémoriaux et immémoriaux auquel il désire se relier comme à une source pour en hériter. L’hébreu est devenu la langue maternelle salvifique et protectrice de l’enfant matrigène qui a transformé la perte destinale de sa mère et de sa langue maternelle en un travail poétique sur « l’unité duelle61 » dans la langue-mère, qui rapproche infiniment les lointains, par les fils qu’elle tend d’un bord à l’autre des espaces-temps lointains, si proches, qu’elle relie au-dessus du gouffre.
Notes de bas de page
1 Le titre est composé d’une allusion à Erwin le personnage principal d’Un garçon qui voulait dormir de Aharon Appelfeld, trad. Valérie Zénatti Paris, Éd. de l’Olivier, 2011 ; et d’une autre allusion à un article de Nicolas Abraham, « L’enfant majuscule ou l’origine de la genèse », 1967, dans L’écorce et le noyau, Paris, Champ Flammarion, 1987.
2 Walter Benjamin, « Chichleuchlauchra, À propos d’un abécédaire » dans Enfance, Éloge de la poupée et autres essais, Paris, Rivages poche/Petite Bibliothèque, 2011, p. 112. Benjamin paraphrase un propos de Goethe : « Là où Lichtenberg faisait un mot d’esprit, un problème se cachait. »
3 Nicolas Abraham (1919-1975) est un psychanalyste français d’origine hongroise, ayant fui le nazisme. Il est à la fois lecteur en langue originale de Ferenczi, M. Klein et I. Hermann et fin connaisseur de la phénoménologie. Cf. www.abraham-torok.org/
4 Ibidem, p. 327.
5 Ibidem, p. 326.
6 Héraclite – Fragments, n° 52, trad. M. Conche, Paris, PUF, coll. « Épiméthée », 1986.
7 Héraclite – Fragments, n° 18, op. cit. Nous citons une version de la traduction modifiée par Henri Maldiney lors d’entretiens que nous avons eu avec lui, Christian Chaput et moi-même, à Vézelin-Le-Château et qui sont à paraître aux éditions du Cerf.
8 Aharon Appelfeld, Un garçon qui voulait dormir, op. cit.
9 Sénèque, Hyppolite, A II, sc. 3, 607, cité par Montaigne, Essais, livre I, cité par Monique Schneider, La détresse, Aux sources de l’éthique, Paris, éd. du Seuil, 2011.
10 Dans Histoire d’une vie, trad. V. Zenatti, Paris, éd. de l’Olivier/Seuil, 2004.
11 Edmund Husserl, « L’arche-originaire terre ne se meut pas », dans La terre ne se meut pas, trad. D. Franck, Paris, Minuit, 1989.
12 Aharon Appelfeld, Un garçon…, op. cit., p. 141.
13 Ibidem, p. 19.
14 Je renvoie ici à l’œuvre éponyme de Nurith Aviv, cinéaste franco-israélienne.
15 Aharon Appelfeld, Un garçon…, op. cit., p. 28.
16 Ibidem, p. 28.
17 Ibidem, p. 29.
18 Winfried Georg Sebald, Campo Santo, trad. de l’all. par P. Charbonneau et Sybille Muller, Arles, Actes Sud, 2009, p. 156.
19 Ibidem, p. 157-158.
20 Victor Klemperer, LTI, la langue du IIIe Reich, trad. E. Guillot, éd. Albin Michel Pocket, 1996.
21 Winfried Georg Sebald, op. cit., p. 158. Les citations à l’intérieur de la citation sont tirées de E. M. Cioran, Précis de décomposition, Gallimard, Quarto, Paris, 1995.
22 Formule de Henri Wallon, reprise par Fernand Deligny dans Œuvres, Paris, éd. L’Arachnéen, 2007.
23 Henri Maldiney, « De la transpassibilité », dans Penser l’homme et la folie, Paris, Éd. du Cerf, 2012.
24 En reprenant la formulation de Maldiney : « L’événement, toujours autre, a toujours un autre visage.
La transpassibilité, dans laquelle je suis exposé, exclut toute tentative de le ramener à une expression déjà mienne – elle implique au contraire que je m’envisage à lui pour en recevoir mon propre visage. », op. cit., p. 424.
25 Aharon Appelfeld, Un garçon…, op. cit., p. 53.
26 Ibidem, p. 178.
27 Walter Benjamin, « Chichleuchleuchra », op. cit., p. 113.
28 Aharon Appelfeld, Histoire d’une vie, op. cit., p. 170.
29 Aharon Appelfeld, Un garçon…, op. cit., p. 66.
30 Je renvoie ici au documentaire magistral de Vadim Jendreyko intitulé La femme aux cinq éléphants.
Svletana Geier, russophone d’origine et germanophone vivant en Allemagne, traductrice de Dostoïevski, dit à peu près ceci : « Les langues sont incompatibles entre elles. » Parce que chacune régit à sa manière les rapports entre un sujet et un objet.
31 Je renvoie ici à une intervention que Jacques Jedwab a faite au séminaire que j’ai animé : L’enfant majuscule et le Nebenmensch (l’être humain à côté) en 2011.
32 Walter Benjamin, « Jouets et jeux, Remarques en marge d’un ouvrage monumental », dans Enfance, op. cit. p. 91-98.
33 Aharon Appelfeld, Histoire d’une vie, op. cit.
34 L’expression est de Walter Benjamin.
35 Jean-Claude Milner, dans un article paru dans le Monde des livres en date du 25/05/12, s’interroge sur les raisons qui conduisent le français à devenir une langue morte, c’est-à-dire qui ne dit plus rien, contrairement à l’allemand qui a dû faire face à des événements historiques marquants ayant altéré son usage et dont il ressort renouvelé par une expérience de lui-même dérangeante et menaçante, mais qui l’a obligé à s’en déprendre.
36 Fernand Deligny, « L’enfant comblé » dans L’arachnéen et autres textes, Paris, éd. L’Arachnéen, p. 139.
37 Barbara Cassin, Plus d’une langue, Paris, éd. Bayard, Les petites conférences, 2012.
38 Aharon Appelfeld, Un garçon qui voulait dormir, op. cit., p. 25.
39 Ibidem, « Un homme sans langue maternelle est un homme dont la langue sera à jamais brouillée. C’est une langue irremplaçable. », p. 101.
40 Ibidem, p. 173-174.
41 Ibidem, p. 224.
42 Ibidem, p. 201.
43 Janine Altounian, La survivance, traduire le trauma collectif, Paris, Dunod, 2000, p. 136.
44 Aharon Appelfeld, Un garçon…, op. cit., chap. 12.
45 Henri Maldiney, Regard, Parole, Espace, Paris, éd. du Cerf, 2012, p. 116-117.
46 Ibidem.
47 Lallation (dérivée de lallare, chanter la, la, lala) : répétition indéfinie de bruits et de phonèmes entendu ou émis spontanément.
48 Walter Benjamin, Jouets et jeux, dans Enfance, Paris, Rivages, 2011, p. 97.
49 Ibidem.
50 Expression employée par Henri Maldiney dans un entretien enregistré et filmé en 2011 par Jean-François Rey et Gilbert Glasman et projeté dans le cadre de Cité Philo à Lille.
51 Eugen Fink en dialogue avec Husserl, Autres rédactions des Méditations cartésiennes (1929), trad. F. Dastur et A. Montavont, Grenoble, éd. J. Million, 1998, p. 51.
52 Walter Benjamin, « Le conteur », dans Œuvres, t. III, Folio Gallimard, 2000, p. 116.
53 Walter Benjamin, op. cit., p. 116.
54 Aharon Appelfeld, Histoire d’une vie, op. cit., p. 170.
55 Nicolas Abraham, op. cit., p. 330.
56 Henri Maldiney, « Comprendre » dans Regard, Parole, Espace, Paris, éd. du Cerf, 2012, p. 117. Pour la citation de Francis Ponge, « Les hirondelles ou Dans le style des hirondelles » dans Le grand Recueil, Paris, Gallimard, 1961.
57 Interview d’Aharon Appelfeld.
58 Nicolas Abraham, « Pour introduire l’instinct filial » dans L’écorce et le noyau, op. cit., p. 346.
59 Le terme est de Monique Schneider dans La détresse, aux sources de l’éthique, Paris, Éd. du Seuil, 2011.
60 Ibidem, p. 346.
61 Ibidem, p. 343. « La mère de tout, c’est la mère perdue. Il y a en nous un creux de mère. Un creux de mère en nous avec un creux d’enfant. Le creux avec son creux, cela forme une unité : je l’ai appelée : l’unité duelle. »
Auteur
Psychanalyste, docteur en philosophie et traductrice.
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