Recherche des gènes impliqués dans le phénotype cognitif et neurologique de la trisomie 21
p. 295-299
Texte intégral
Introduction
1La trisomie 21 est également connue sous le nom de « syndrome de Down ». Nous recommandons fortement au lecteur de connaître les raisons historiques qui ont guidé cette appellation car c’est une excellente illustration des relations entre science et société (voir Roubertoux & Kerdelhué, 2006 ; Carlier & Ayoun, 2007). Cette aberration chromosomique est la principale cause de déficit cognitif d’origine génétique. Elle touche de 1 à 2,2 naissances sur 1000, selon les pays, les pratiques de dépistage anténatal et d’interruption de grossesses (Julian-Reynier et al., 1995 ; Olsen, Cross, & Gensburg, 2003 ; Murthy, et al., 2007 ; Morris & Alberman, 2009). Outre un certain nombre de traits de pénétrance variable (troubles cardiaques, malformation des os, troubles immuns) les personnes porteuses de trisomie présentent un profil psychologique particulier caractérisé par un déficit cognitif. Même s’il est d’intensité variable, ce déficit est présent chez tous les porteurs. Il est en outre hétérogène et affecte, par exemple davantage les tâches d’acquisition à support verbal que les tâches à support visuel – voir par exemple Vicari, 2006 ; Carlier et Ayoun, 2007. Des atteintes cérébrales ont été décrites à l’aide d’imagerie cérébrale volumétrique et affectent surtout le cervelet et l’hippocampe (Pennington, 2003 ; Roubertoux et Kerdelhué, 2006). C’est la première pathologie cognitive pour laquelle un support génétique a été rapporté. Lejeune, Turpin et Gautier (1958-1959) montrèrent que les déficits cognitifs qui caractérisent ce qu’on appelait encore le « mongolisme » étaient associés à une triple copie de tout ou partie du chromosome 21 (HSA21)4. Depuis, HSA21 a été séquencé ; le nombre de gènes qu’il porte est relativement restreint et les techniques d’analyse génétique permettent d’espérer établir des corrélations entre les gènes de HSA21 et les traits pathologiques qui définissent le syndrome.
Le chromosome 21
2C’est un des plus petit chromosome humain. On estime à moins de 300, le nombre de gènes de HSA21. Une grande question demeure : tous ces gènes, lorsqu’ils sont en triples exemplaires, sont-ils importants pour rendre compte du phénotype particulier de la trisomie 21 ? L’observation clinique permet une première sélection des gènes d’intérêt. En effet, il existe des trisomies partielles de HSA21 qui s’accompagnent de syndromes plus ou moins complets. Ainsi, Delabar et al. (1993) et Korenberg et al. (1994) comparent des trisomies 21 partielles et définissent une région télomérique dont la présence est associée à la quasi-totalité des signes cliniques, incluant le déficit intellectuel. Cette région appelée DCR1 (pour Down Critical Region 1) porte une vingtaine de gènes. Toutefois, les trisomies partielles sont rares et les examens cliniques rapportés par ces deux équipes restent assez frustes.
3L’existence de synténies entre HSA21 et le génome de la souris a permis des avancées considérables dans l’établissement de la corrélation gènes-phénotypes. La figure 1 représente ce phénomène. On retrouve une grande partie de HSA21 sur les chromosomes 10, 16 et 17 murin (MMU10, MMU16 et MMU17). La création de souris trisomiques partielles pour MMU16, MMU17 et MMU10 a permis d’aboutir à des conclusions restreignant la région du génome impliquée dans les déficits cognitifs de la trisomie 21.
Figure 1 : Représentation des synténies (groupements de gènes homologues dans différentes régions chromosomiques) entre le chromosome 21 humain (HSA21) et les chromosomes murins MMU 16, MMU10 et MMU17. Les tirets de la partie médiane (région DCR1 de HSA21) correspondent aux fragments surnuméraires qui ont permis de générer des trisomies partielles chez la souris.

4On peut résumer les résultats comme suit (voir Seregazza, Roubertoux, Jamon & Soumireu-Mourat 2006 ; Roubertoux et Carlier, 2009, 2010 pour des synthèses)
- Des triples copies des régions synténiques à MMU10 et MMU17 chez la souris, n’affectent ni la cognition ni les phénomènes physiologiques qui leur sont associés (plasticité synaptique par exemple)
- En revanche, des triples copies de la région télomérique MMU16 conduisent à une série de déficits qui, chez la souris, miment les déficits du cérébrum (cervelet hipoplasique, hippocampe moins volumineux, cortex moins épais) et de la cognition (déficits dans les apprentissages spatiaux entre autres), observés dans la trisomie 21.
- Des souris portant des triples copies fragmentaires de cette même région télomérique de MMU16 ont été créées5. Les souris qui portent copie d’une région plus centrométique de MMU16 semblent indemnes des traits qu’on trouve dans la trisomie 21. Au contraire, les souris portant une triple copie de la région plus télomérique présentent des phénotypes typiques de la trisomie 21.
- Plusieurs travaux publiés en 2010 et 2011 confirment ce dernier point. Ces régions sont encore assez vastes et comptent une quarantaine de gènes. La stratégie qui consiste à les fragmenter pour créer des mini-trisomies permet alors de s’orienter vers les corrélations gène-cerveau-phénotype et une zone (définie comme D21S17-ETS2) semble jouer un rôle tout particulièrement important.
5Ces résultats permettent de conclure à une implication privilégiée de la région D21S17-ETS2 dans les troubles cérébraux et cognitifs associés de la trisomie 21.
Et maintenant ? Plusieurs questions restent posées qui nécessitent d’autres recherches.
6La région D21S17-ETS2 est-elle seulement importante ou suffisante pour rendre compte des particularités du profil neurologique et psychologique de la trisomie 21 ? Quelle est la part des gènes hors de cette région ? Quelles sont les interactions entre les gènes ? Quels sont les niveaux d’expression de ces gènes dans les différentes régions du cerveau ? Les techniques récentes de génétique permettront de répondre et il serait trop long de les exposer ici. In fine la découverte de gènes associés à tel ou tel trait phénotypique caractérisant la trisomie 21 doit pouvoir déboucher sur la recherche de traitements pharmacologiques ou moléculaires (thérapie génique) visant à l’amélioration des patients.
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Références
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10.1007/s10519-006-9057-8 :Vicari, S. (2006). Motor development and neuropsychological patterns in persons with Down syndrome. Behavior Genetics, 36, 355-364. Les XIXe Journées Internationales de Psychologie différentielle, qui ont réuni les auteurs ayant contribué à cet ouvrage, se sont tenues du 25 au 27 août 2010 à l’Université de Provence, Site Marseille Saint Charles.
Notes de bas de page
4 HSA pour Homo Sapiens
5 Les lignées transgéniques pour ces fragments de HSA21 sont disponibles dans le cadre de European Mouse Mutant Arkives (EMMA)
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