Utilisation du modèle de Cattell-Horn-Carroll pour l’évaluation des personnes présentant une intelligence limite ou un handicap mental
p. 289-294
Texte intégral
Introduction
1L’échelle d’intelligence de Wechsler pour adulte, troisième édition (WAIS-III) est fréquemment utilisée pour l’évaluation de personnes vivant avec un handicap mental. Cette démarche est principalement conduite afin de déterminer si l’efficience intellectuelle est compatible avec un diagnostic de retard mental. Il s’agit alors de déterminer si le QI Total (QIT) est inférieur au seuil de 70 comme l’exigent les différents manuels diagnostics des troubles mentaux (CIM-10 & DSM IV). Dans cette perspective, les quatre indices complémentaires (ICV : compréhension verbale ; IOP : organisation perceptive ; IMT : mémoire de travail ; IVT : indice de vitesse de traitement) sont rarement exploités. L’utilisation de ces indices peut toutefois se révéler intéressante pour ajuster les interventions cliniques et socio-éducatives aux forces et aux faiblesses personnelles présentées par les patients. Cependant, la structure en quatre facteurs proposée dans le manuel de la WAIS-III ne correspond pas réellement au modèle de Cattell-Horn-Carroll (CHC) qui est actuellement l’approche dominante dans le domaine de l’organisation des aptitudes cognitives. Le modèle CHC est par ailleurs recommandé pour différencier un diagnostic de retard mental d’un trouble d’acquisition spécifique (Flanagan, Fiorello, & Ortiz, 2010). Dans le but de comparer la grille de lecture classique et une interprétation basée sur le modèle CHC, nous avons conduit des analyses sur les WAIS-III administrées à nos patients. Le premier objectif était d’identifier les domaines où les différences interindividuelles étaient les plus importantes chez les personnes présentant une faiblesse normative dans leur fonctionnement intellectuel. Il s’agissait également de vérifier dans quels domaines les participants présentent le plus souvent des forces et faiblesses personnelles par rapport à leur propre niveau de fonctionnement. Le deuxième objectif était de comparer l’homogénéité des regroupements réalisés sur la base des deux modèles théoriques (modèle du manuel & modèle CHC) afin d’évaluer leur adéquation dans l’évaluation de cette population.
Méthode
Participants
2Les participants inclus dans cette étude ont été évalués dans le cadre du dispositif d’évaluation standard de notre service de consultation. Chacun des participants ainsi que leur représentant légal ont signé un formulaire de consentement éclairé. Seules les évaluations aboutissant à un QIT inférieur à 85 ont été retenues. L’effectif de cette étude est composé de 38 patients âgés de 16 à 62 ans. L’âge moyen des participants était de 37,6 ans (écart type = 13,2). Le QI Total moyen était quant à lui de 61,1 (écart type = 11,6) avec un minimum de 45 et un maximum de 84.
Mesures
3La WAIS-III a été administrée à l’ensemble des participants. Dans la mesure où il n’entrait pas dans le calcul des quatre indices complémentaires, le sous-test optionnel Assemblage d’Objet n’a pas été administré. Les scores des sous-tests ont été regroupés selon le modèle classique (ICV, IOP, IMT & IVT) ainsi que selon un découpage basé sur le modèle CHC (Golay & Lecerf, 2010 ; Flanagan, Ortiz, & Alfonso, 2007).
4La figure 1 présente le regroupement des épreuves selon les deux modèles.
5Le calcul des indices CHC a été effectué selon la procédure « Cross-Battery » (Flanagan, Ortiz, & Alfonso, 2007). Les notes standards ont tout d’abord été converties en notes de type QI (moyenne = 100, écart type = 15). La moyenne arithmétique des sous-tests a ensuite été calculée pour chacun des facteurs afin d’obtenir les scores des indices. L’homogénéité de ces indices a finalement été évaluée selon deux critères fréquemment utilisés (tableau 1).
Tableau 1. Critères d’homogénéité des indices.
Critère du Manuel | Critère procédure « Cross-Battery » |
Différence entre la note la plus haute et la note la plus basse inférieure à un écart type et demi (23 points) | Différence entre la note la plus haute et la note la plus basse inférieure à un écart type (15 points) ou toutes les notes se trouvent dans la même classe normative (toutes < 85, toutes entre 85 et 115, ou toutes > 85) |
Résultats
Données descriptives
6Le tableau 2 présente les scores moyens obtenus par les participants. La dispersion des scores est, quant à elle, représentée sur la figure 2.
7On constate que les scores obtenus pour les indices basés sur le modèle CHC sont artificiellement plus élevés que les scores calculés à l’aide de la procédure décrite dans le manuel (+5,37 points, p < 0,05). En effet, la note QI minimum pour chacune des épreuves est de 55. Lors du calcul de scores composites par moyenne arithmétique selon la procédure « Cross-Battery », les minima pour chacun des indices sont nécessairement égaux à 55. Les étalonnages du manuel pour le calcul des quatre indices classiques possèdent toutefois des minima de 50 pour les indices et de 45 pour les QIs et permettent donc une discrimination en deçà de la valeur de 55. Par ailleurs, les différences interindividuelles les plus importantes s’observent en mémoire de travail (Gsm, IMT), en intelligence fluide (Gf) et en organisation perceptive (IOP). En revanche, les différences interindividuelles sont plus réduites dans le registre cristallisé et verbal (Gc & ICV) où l’on observe une plus faible dispersion des scores. Il est en outre important de souligner que la batterie s’avère peu sensible dans l’évaluation de la mémoire de travail (IMT) et de la vitesse de traitement (IVT) avec cette population (effets plancher).
8Le tableau 3 permet une comparaison des indices avec le niveau général moyen (IGM ; Grégoire, 2005). Cet indice permet de comparer les performances d’un individu par rapport à son propre niveau de fonctionnement. Les performances les plus élevées s’observent sur ICV alors que les plus faibles portent sur les indices IVT et Gv. La compréhension verbale constitue donc plus fréquemment une force personnelle chez les patients évalués alors que leurs performances en vitesse de traitement de l’information et en visualisation ont tendance à être inférieures à leur niveau de fonctionnement moyen.
Tableau 3. Comparaison entre indices et indice général moyen (IGM).
Diff. moyenne | t | df | p | |
ICV - IGM | 4,27 (7,31) | 3,36 | 32 | <0,05 |
IOP - IGM | - 0,15 (6,02) | - 0,15 | 32 | NS |
IMT - IGM | - 0,06 (7,42) | - 0,05 | 32 | NS |
IVT - IGM | - 4,06 (8,35) | - 2,79 | 32 | <0,05 |
Gc - IGM | 0,34 (8,72) | 1,41 | 37 | NS |
Gf - IGM | 0,95 (6,29) | 1,02 | 37 | NS |
Gsm - IGM | 1,42 (6,11) | 0,99 | 37 | NS |
Gs - IGM | 1,60 (7,50) | 1,22 | 37 | NS |
Gv - IGM | - 4,31 (7,64) | 1,24 | 37 | <0,05 |
Homogénéité des indices
9Le tableau 4 permet d’observer le pourcentage d’indices homogènes selon les deux critères décrits dans le tableau 1. On remarque qu’il n’y a pas de différence d’adéquation entre le modèle classique en quatre facteurs et le modèle CHC en appliquant le critère d’homogénéité du manuel (>1,5 écart type). Avec le deuxième critère (« Cross-Battery »), on observe en revanche que les regroupements basés sur la théorie CHC sont plus fréquemment homogènes (88,96 % contre 80,86 %) et en conséquence plus souvent interprétables. Par ailleurs, les QI verbaux et performance (QIV & QIP) sont souvent hétérogènes, quels que soient les critères retenus (48,65 % respectivement 63,51 %).
Tableau 4. Pourcentage de clusters homogènes selon chacun des critères.
% de clusters homogènes avec le critère WAIS-III (< 23 pts) | Moyenne | % de clusters homogènes avec le critère « Cross-Battery » (< 15 ou même classe) | Moyenne | |
QIV | 56,76 | 48,65 | 62,16 | 63,51 |
QIP | 40,54 | 64,86 | ||
ICV | 89,19 | 84,65 | 89,19 | 80,86 |
IOP | 70,27 | 75,68 | ||
IMT | 84,85 | 66,67 | ||
IVT | 94,29 | 91,89 | ||
Gf | 72,97 | 84,32 | 89,19 | 88,96 |
Gc | 83,78 | 81,08 | ||
Gv | 100,00 | 86,49 | ||
Gsm | 94,59 | 90,91 | ||
Gs | 70,27 | 97,14 |
Discussion
10On constate dans cette étude à vocation exploratoire que les épreuves de la WAIS-III présentent certaines limites pour l’évaluation des personnes vivant avec un handicap mental. Il s’agit d’un résultat logique puisque ces échelles ont été avant tout conçues pour évaluer la population normale. Il est toutefois possible d’observer des différences interindividuelles sur plusieurs indices complémentaires au QIT. Ces résultats montrent qu’il est donc possible de différencier la population présentant une intelligence limite ou un retard mental sur d’autres dimensions que l’intelligence générale. On constate notamment que les processus élémentaires du fonctionnement cognitif (vitesse de traitement et mémoire de travail) sont fréquemment des faiblesses personnelles chez ces patients alors que les connaissances verbales, bien que faibles d’un point de vue normatif, peuvent se révéler être des forces personnelles. Dans la mesure où les regroupements basés sur le modèle CHC sont plus souvent homogènes, ce dernier semble être plus adéquat que le modèle en quatre indices proposé par le manuel. On constate également qu’avec la procédure « Cross-Battery », les indices basés sur le modèle CHC sont toujours plus élevés que les indices complémentaires classiques. Les valeurs des scores standardisés du manuel sont en effet toujours plus éloignées de la moyenne que des scores composites obtenus par moyenne arithmétique des scores de différents sous-tests3. La différence est néanmoins faible et sans grande conséquence sur l’interprétation des scores. Il est toutefois possible de calculer des scores composites à l’aide de procédures d’approximation statistique qui prennent en compte ce phénomène (Tellegen & Briggs, 1967 ; Lecerf, Reverte, Coleaux, Favez, & Rossier, 2010). Il apparaît donc souhaitable d’établir des étalonnages basés sur le modèle théorique dominant en complément de la grille de lecture classique en quatre facteurs.
Bibliographie
Références
Flanagan, D.P., Fiorello, C.A., & Ortiz, S.O. (2010). Enhancing practice through application of Cattell-Horn-Carroll theory and research : A « third method » approach to specific learning disability identification. Psychology in the Schools, 47 (7), 739-760.
Flanagan, D.P., Ortiz, S.O., & Alfonso, V.C. (2007). Essentials of cross-battery assessment (2nd ed.). New York : Wiley.
Golay, P., & Lecerf, T. (2010, December 20). Orthogonal Higher Order Structure and Confirmatory Factor Analysis of the French Wechsler Adult Intelligence Scale (WAIS-III). Psychological Assessment. Advance online publication.
Grégoire, J. (2005). Analysis of the WAIS-III. Index score scatter using the significant deviation from the mean of the four Index scores. Archives of Clinical Neuropsychology, 20 (4), 531-538.
Lecerf, T., Reverte, I., Coleaux, L., Favez, N., & Rossier, J. (2010). Indice d’aptitude général pour le WISC-IV : normes francophones. Pratiques Psychologiques, 16 (1), 109-121.
Tellegen, A., & Briggs, P.F. (1967). Old wine in new skins : grouping Wechsler subtests into new scales. Journal of Consulting Psychology, 31 (5), 499-506.
Notes de bas de page
3 Il est moins fréquent d’obtenir des résultats très bas à plusieurs sous-tests plutôt qu’un seul. La moyenne arithmétique des sous-tests ne prend pas en compte ce phénomène. Plus on s’éloigne de la moyenne (100), plus les valeurs des scores standardisés des tables seront inférieures aux moyennes arithmétiques des sous-tests.
Auteurs
Dispositif de Collaboration Psychiatrie / Handicap Mental, Centre Hospitalier Universitaire Vaudois, Suisse. sophie.pernier@chuv.ch
Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Éducation, Université de Genève, Suisse. philippe.golay@unige.ch
Dispositif de Collaboration Psychiatrie / Handicap Mental, Centre Hospitalier Universitaire Vaudois, Suisse. elodie.jombart@chuv.ch
Dispositif de Collaboration Psychiatrie / Handicap Mental, Centre Hospitalier Universitaire Vaudois, Suisse. françois.grasset@chuv.ch
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