Effets de l’âge sur les performances cognitives et leur variabilité chez des adultes porteurs de trisomie 21
p. 277-282
Texte intégral
Présentation de la trisomie 21
1Cette recherche générale concerne le dépistage précoce des signes liés au vieillissement des personnes porteuses de trisomie 21 (T21). Il s’agit d’une recherche longitudinale multicentrique impliquant les universités de Liège (Detraux), Genève, Nancy et Metz.
2La T21 est le syndrome génétique congénital le plus fréquent. Sa prévalence est estimée à environ 1 pour 800 / 1000 naissances. Le retard mental est l’une des composantes phénotypiques les plus constantes du syndrome, avec une variabilité très marquée. Les personnes avec T21 présentent une hétérogénéité phénotypique, ainsi qu’une hétérogénéité sectorielle (Vicari, 2005).
Une nouvelle situation
3L’espérance de vie des personnes avec T21 a considérablement augmenté, et est, actuellement, d’environ 60, voire 70 ans. L’âge médian au décès a progressé en moyenne de 1,7 par an, passant de 25 ans en 1989 à 49 ans en 1997. Yang et al. (2002) interprètent cette hausse de l’espérance de vie par un meilleur accès aux soins, à la chirurgie cardiaque, à la désinstitutionalisation et à l’arrêt des placements précoces. Les statuts sociaux des parents, leur éducation, l’intégration sociale sont également avancés comme des déterminants de santé majeurs.
Structure du profil cognitif avec l’avancée en âge des personnes avec T21
4Les études longitudinales et transversales rapportent des difficultés avec l’avancée en âge chez les adultes avec T21 au niveau de la mémoire et des apprentissages, ce qui rappelle selon les auteurs, le pattern d’évolution de la population neurotypique (Carr, 2005 ; Devenny et al., 2000 ; Oliver et al., 1998). Le déclin apparaîtrait vers les 50-60 ans, soit avec un écart de 10 ans par rapport à la population neurotypique. Ce qui différencie la population neurotypique de la population avec T21, et cette dernière de celles présentant un retard mental d’étiologie différente, c’est la vitesse d’évolution du déclin, nettement plus importante dans la population avec T21 (cf. Devenny et al., 2000).
Problématique
5Peu d’études ont croisé des données anamnestiques avec des évaluations cognitives, lesquelles ont rarement été multidimensionnelles. Orces données anamnestiques sont importantes. On sait qu’il y a une grande variabilité individuelle due à la génétique, à la culture familiale, aux différents accompagnements, à la scolarisation, à la professionnalisation. Ces dits facteurs influent sur le vieillissement cognitif et sont estimés comme des déterminants de santé majeurs. Par ailleurs, il y a très peu d’études sur des personnes avec T21 francophones, i. e. avec un environnement différent de celui d’Amérique du nord. Aussi, proposons-nous ici de soulever la problématique de l’évolution des compétences cognitives avec l’avancée en âge chez les personnes avec T21, car elle est peu étudiée dans la population francophone. Les compétences cognitives sont envisagées de manière multidimensionnelle et de manière conjointe avec des données anamnestiques et un inventaire de comportements adaptatifs. Dans les analyses réalisées, l’accent est mis sur les différences intra- et interindividuelles dans les performances ainsi que sur leurs déterminants possibles.
Méthodologie
6Cinquante-trois adultes ont participé à l’étude nancéenne, âgés de 21 à 74 ans (moyenne de 38,8 ans ; écart type de 11,7).
Situation, Procédure, Outils
7La première évaluation recueille les données anamnestiques afin de tracer le parcours de vie de la personne et de la situer actuellement, les comportements adaptatifs et un questionnaire de démence pour les personnes avec déficience intellectuelle. Cette première évaluation est faite par un tiers qui connaît la personne avec T21 (un parent, un(e) psychologue).
Première évaluation
8Les indices mesurés sont : le genre, l’âge chronologique (29 participants ont moins de 40 ans et 24, plus de 40 ans), l’existence d’une intervention précoce, l’évaluation du déficit du langage (compréhension, production), le niveau de dépendance dans la vie quotidienne, les comportements problématiques recensés (Reiss, 1988), l’évolution des comportements Questionnaire d’Évaluation de la Démence pour les personnes avec Déficience Intellectuelle (adapté en langue française par Rochat et al, 2008).
Deuxième évaluation
9L’évaluation cognitive concerne : les capacités d’attention visuelle et de repérage rapide d’une image cible (« le barrage des lapins », Korkmanetal., 1998), les processus lexicaux, sémantiques, les capacités attentionnelles et la récupération en mémoire sémantique (fluence sémantique inspirée de la méthodologie de George et al., 2001), les processus de planification et la mémoire de travail spatiale (« La tour de Londres », Ball et al., 2008), les capacités de mémoire épisodique (Cued Recall Test), les capacités d’inhibition d’une réponse verbale spontanée (« l’épreuve de Stroop simplifiée », Hippolyte, 2006), les capacités d’inhibition motrice (Barisnikov, 2002), le langage productif (« Nouvelles épreuves pour l’examen du langage » de Chevrie-Muller & Plaza, 2001), le langage réceptif, la mémoire à court terme et la planification (adaptation du « Token Test », Beciani, Vetro & Van der Linden, 2008).
Résultats
Tableau 1. Corrélations entre l’âge et la performance d’une part et la variabilité intra tâche d’autre part
Performance | Variabilité intra tâche | |
Barrage | - 0,14 (- 0,40 ; 0,14) | 0,10 (- 0,18 ; 0,37) |
Fluences | - 0,02 (- 0,29 ; 0,26) | /a |
Tour de Londres | - 0,08 (- 0,35 ; 0,20) | - 0,34 (- 0,56 ; - 0,07)* |
Mémoire épisodique | - 0,10 (- 0,36 ; 0,18) | 0,19 (- 0,08 ; 0,44) |
Stroop | - 0,25 (- 0,49 ; 0,02) | 0,26 (- 0,02 ; 0,49) |
Inhibition motrice | 0,18 (- 0,09 ; 0,43) | 0,14 (- 0,14 ; 0,40) |
Langage productif | 0,01 (- 0,27 ; 0,28) | 0,06 (- 0,21 ; 0,33) |
Langage réceptif | 0,15 (- 0,12 ; 0,41) | - 0,05 (- 0,32 ; 0,22) |
Corrélations entre âge et performances
10La plupart des corrélations sont négatives : les performances sont censées baisser avec l’âge. On souligne que ces corrélations sont toutes faibles et qu’aucune n’est statistiquement significative. Il n’y a donc pas de lien direct entre l’âge et la performance chez les adultes de notre échantillon. Les performances des plus jeunes ne sont pas meilleures que celles des plus âgés.
Corrélations entre l’âge et la variabilité intra-individuelle des performances
11Les corrélations ont tendance à être positives, plus les personnes sont âgées et plus la variabilité intra-individuelle augmente. Si cette tendance est, elle aussi, en accord avec la littérature, il faut également signaler que les corrélations sont faibles et non significatives. On note une exception majeure à cette tendance : la seule corrélation statistiquement significative est celle de l’âge avec la variabilité intra-individuelle dans le test de la Tour de Londres, et cette corrélation est négative : les personnes plus âgées ont tendance à être moins variables dans leurs performances d’un item à l’autre de ce test.
12Comme nous ne constatons pas d’effets massifs de l’âge ni sur la performance ni sur la variabilité de la performance, nous avons décidé de nous intéresser à l’existence d’effets plus « subtils », tels que les effets de l’âge sur la différenciation des processus cognitifs mobilisés et les effets modérateurs.
Les effets de l’âge sur la différenciation des processus cognitifs mobilisés
13Plusieurs résultats actuels convergent vers l’idée que les corrélations entre les aptitudes cognitives augmentent avec le vieillissement (dédifférenciation). Les résultats obtenus dans notre échantillon ne confirment pas cette hypothèse et vont même dans le sens inverse. En effet, la corrélation moyenne inter tests pour les plus jeunes est de 0,53 (α = 0,82), alors qu’elle est de 0,38 (α = 0,71) pour les plus âgés.
Effet modérateur de l’âge sur la relation entre la performance moyenne aux tests et les différentes variables externes
14Les résultats les plus marquants ici montrent que chez les personnes les plus âgées, les hommes ne se différencient pas des femmes, alors que chez les plus jeunes, en revanche, les femmes montrent des performances supérieures aux hommes.
15Ensuite, chez les plus âgés, plus les performances cognitives sont élevées, plus les hétéro-évaluations des capacités non maîtrisées et des comportements problématiques sont favorables. En revanche, chez les plus jeunes, l’hétéro-évaluation des capacités non maîtrisées et des comportements problématiques n’est pas liée à la performance.
Effet modérateur de l’âge sur la relation entre la variabilité intra-individuelle inter épreuves et les différentes variables externes
16Chez les plus jeunes les corrélations entre les hétéro-évaluations et la variabilité des performances ont tendance à être nulles, voire légèrement négatives. À l’inverse, chez les plus âgés, ces corrélations ont tendance à être positives. Ce qui signifie que chez les plus âgés, les hétéro-évaluations sont plus défavorables lorsque la variabilité est plus importante.
Effet modérateur de l’âge sur la relation entre performances et variabilité des performances
17Chez les plus jeunes, il n’y a pas de lien entre le niveau de performance et la variabilité des performances (r = - 0,21 ; ns), alors que chez les plus âgés, plus le niveau de performance est élevé plus la variabilité des performances est moindre (r= - 0,62 ; p < 0,05). Ce résultat est d’autant plus étonnant que, comme nous l’avons déjà noté, ni la performance ni la variabilité n’ont de lien direct avec l’âge.
Conclusion
18Les performances ne semblent baisser ni avec l’avancée en âge ni avec la variabilité de la performance dans notre échantillon. Le processus de dédifférenciation de notre échantillon semble suivre un trajet temporel inverse à celui des neurotypiques. Ces deux éléments préliminaires plaident en faveur de différences développementales entre les personnes avec T21 et les neurotypiques au cours de leur avancée en âge.
19Un autre résultat nous semble particulièrement intéressant, c’est l’évaluation de l’entourage sur la personne. L’entourage juge de manière plus défavorable les capacités et les comportements des plus âgés, lorsque ceux-ci sont inconstants dans leurs performances cognitives. Ceci nous laisse supposer que chez les personnes les plus âgées, l’irrégularité des performances est l’un des éléments utilisés par l’entourage pour considérer que la personne a des capacités correctes ou non, c’est-à-dire, des comportements adaptés ou non. Cet élément est d’autant plus intéressant que, dans nos résultats, nous n’avons pas trouvé de lien direct entre la variabilité des performances et l’âge.
Bibliographie
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Références
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Auteurs
sylvie.laroche@univ-nancy2.fr
Laboratoire InterPSY - EA 4432 – Psychologie de l’Interaction et des Relations Intersubjectives (Équipe SITCOM), Université Nancy 2, France.
Jean-Luc.Kop@univ-nancy2.fr
Laboratoire InterPSY - EA 4432 – Psychologie de l’Interaction et des Relations Intersubjectives (Équipe SITCOM), Université Nancy 2, France.
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