Précédent Suivant

Stéréotype social de la trisomie 21 et variables individuelles

Sexe, familiarité

p. 265-270

Note de l’éditeur

Cette recherche est financée par l’Université d’Aix-Marseille, le CNRS et la Fondation Jérôme Lejeune


Texte intégral

Introduction

1La trisomie 21 (t21) est la maladie génétique la plus fréquente associée à un déficit intellectuel. Les conséquences du chromosome 21 surnuméraire sont multiples. Outre la déficience intellectuelle (Carlier & Ayoun, 2007), la t21 est marquée par la présence de signes physiques visibles (e.g. visage rond, nez avec racine aplatie, fentes palpébrales orientées vers le haut) qui rendent les personnes facilement identifiables et contribuent ainsi à leur stigmatisation, comme l’attestent les campagnes des associations en faveur de ces personnes (Trisomie 21 France). Alors que la psychologie sociale montre l’importance des stéréotypes et de leurs conséquences sur nos comportements, il existe peu d’études sur le stéréotype social de la t21. Celles disponibles mettent en évidence un stéréotype positif, dont l’expression varie selon le sexe et le degré de familiarité avec les personnes porteuses de t21 (Rodgers, 1987 ; Gilmore, Campbell & Cuskelly, 2003 ; Sirlopù et al., 2008 ; Pace, Shin & Rasmussen, 2010). Aucune étude ne concerne la population française alors qu’en France les conséquences du dépistage anténatal sont clairement posées (LeMené, 2009 ; Kahn, 2010). Notre objectif est de décrire le stéréotype social de la t21 dans une population de jeunes adultes en étudiant les différences liées au sexe et à la familiarité à l’égard des personnes porteuses de cette maladie.

Méthode

Pré-test : recueil du corpus de traits descriptifs des personnes porteuses de trisomie 21

2Trente-deux adultes âgés de 18 à 26 ans, issus de la population tout venant, et volontaires pour ce pré-test, avaient pour consigne de donner spontanément 5 traits positifs et 5 traits négatifs se rapportant aux personnes porteuses de t21. Cette méthodologie nous a paru écologiquement plus valideque celle qui aurait consisté à reprendre des traits cités dans la littérature. Sur les 163 traits cités au total, 47 adjectifs ont été retenus selon les critères suivants : élimination des synonymes et des traits de signification proche, conservation des traits les plus cités et répartition des traits en quatre catégories descriptives correspondant aux aspects sociaux, cognitifs, physiques et personnologiques. Un corpus de 5 à 7 traits par catégorie a été obtenu avec, au total, 26 traits positifs et 21 traits négatifs.

Mise en évidence du stéréotype social explicite des personnes porteuses de trisomie 21

3L’échantillon était composé de 244 étudiants (non psychologues) de l’Université Aix Marseille 1, âgés de 18 à 26 ans. Chaque participant répondait individuellement à un questionnaire sous forme papier-crayon, qui invitait à juger la pertinence des adjectifs évoqués antérieurement pour décrire les personnes porteuses de t21 (« Dîtes dans quelle mesure ces adjectifs s’appliquent vraiment à la trisomie 21 ? »). Les échelles de réponse variaient de « pas du tout d’accord » (1) à « tout à fait d’accord » (6). Les 47 traits étaient présentés dans un ordre aléatoire et identique pour tous. Puis les participants donnaient leur âge (m = 20,29 ; ET = 1,88) et leur niveau d’étude (m = 13,06 ; ET = 1,19 ; étendue : 11-18), et indiquaient s’ils connaissaient ou non une personne (au moins) porteuse de t21 (non familier n = 154 ; familier n = 90).

Résultats

4Pour les analyses de variance (conduite à partir de SPSS 15.0), la taille des effets est indiquée avec la statistique η2 (part de variance partielle expliquée par la variable indépendante).

Statistiques descriptives

5Les moyennes obtenues pour les traits s’étendent de 1,78 à 5,38 et les écarts types de 0,85 à 1,49. Les traits que les participants n’attribuent pas aux personnes porteuses de t21 (≤ 3) sont, dans l’ordre croissant des scores : sale, méchant, inexpressif, bête, obèse, invivable, laid, gênant, amusant, agressif, renfermé, moins intelligent, déformé, joli. Les traits attribués (≥ 4) sont, dans l’ordre croissant des scores : drôle, têtu, dépendant, créatif, fort, persévérant, attentionné, respectueux, sociable, ouvert, gentil, aimable, innocent, joyeux, généreux, souriant, sensible, attachant, éducable, affectueux et humain. La variabilité des réponses montre que les personnes adhèrent au stéréotype à des degrés variables. On note que les participants attribuent surtout des traits positifs.

Analyse factorielle

6Une analyse factorielle en composantes principales (ACP) avec rotations Varimax met en évidence une structure en 5 facteurs expliquant 45 % de la variance totale (Tableau 1). Pour interpréter ces facteurs, seules les contributions factorielles (coefficients de Pearson) supérieures ou égale à |0,4| ont été retenues. Le facteur 1 regroupe des traits positifs décrivant des aspects sociaux de la personne. Le facteur 2 regroupe aussi des aspects sociaux positifs mais avec des traits relatifs à une apparence gaie. Le facteur 3 regroupe des aspects négatifs de la personnalité et le facteur 4 des traits négatifs décrivant principalement la sphère cognitive. Enfin, le facteur 5 regroupe des traits négatifs portant sur l’aspect physique des personnes.

7Les scores moyens d’attribution par facteur (moyenne des scores des traits contribuant à |0,4| au moins à un facteur donné) sont supérieurs à 4 pour les deux dimensions positives (F1 : M = 4,28, SD = 0,57 ; F2 : M = 4,08, SD = 0,77). Autrement dit, les participants se montraient plutôt d’accord pour attribuer les traits positifs attachés à ces deux dimensions sociales. Les moyennes des 3 dimensions négatives sont inférieures à 3,5 (F3 : M = 3,33, SD = 0,78 ; F4 : M = 3,32, SD = 0,46 ; F5 : M = 2,32, SD = 0,83), signifiant que les participants étaient plutôt en désaccord pour attribuer les traits négatifs relatifs à ces dimensions.

Tableau 1. Analyse factorielle des traits, matrice des composantes après rotations Varimax

Image

Note. Coefficient de Kaiser-Meyer-Olkin (KMO) =, 86. Seules les corrélations supérieures ou égales à |, 4| sont indiquées.

Effet des variables différentielles : sexe et familiarité

8Une analyse de variance multivariée (MANOVA) sur les scores moyens d’attribution pour chacun des facteurs, avec en variables indépendantes le sexe et la familiarité, montre une différence entre les hommes et les femmes, F(5, 232) = 3,78, p = 0,003, η2 = 0,08), mais pas de différence entre les personnes familières de la t21 et les autres (ni d’effet d’interaction entre ces deux facteurs). Les analyses de variances partielles montrent que la différence de sexe porte sur les deux dimensions sociales (F(1, 240) = 7,00, p = 0,01, η2 = 0,03 ; F(1, 240) = 7,72, p = 0,01, η2 = 0,03) et sur la dimension cognitive, F(1, 240) = 7,97, p = 0,01, η2 = 0,03). Dans tous les cas, les femmes évaluent plus positivement les personnes porteuses de t21 que ne le font les hommes.

Discussion

9En moyenne, les individus sollicités dans cette étude associent à la t21 des traits positifs, comme « affectueux » ou « souriant », et montrent une certaine réticence à associer des traits négatifs tels que « bête » ou « gênant ». Nous montrons également une influence de la variable individuelle : sexe. Les femmes portent des jugements plus positifs que ne le font les hommes. Nous n’observons pas d’effet significatif de la familiarité, appréhendée dans notre étude comme le fait de connaître ou non personnellement une personne porteuse de t21 (la tendance observée va néanmoins dans le sens de jugements plus positifs chez les personnes familières de la t21 que chez celles qui ne le sont pas).

10Au total, notre étude fait apparaître un stéréotype globalement plutôt positif à l’égard des personnes porteuses de t21, cela de manière encore plus nette chez les femmes, en accord avec les conclusions des quelques travaux de même nature conduits par ailleurs (e.g. Sirlopùet al., 2008). Cependant, dans nos travaux comme dans les précédents, l’investigation est limitée au registre des « cognitions explicites », c’est-à-dire à ce que les individus acceptent d’exprimer ouvertement. Dès lors, on ne peut exclure un biais de désirabilité sociale. Non seulement les individus peuvent ne pas vouloir exprimer le fond de leur pensée, mais peuvent aussi ignorer une réalité cognitive plus implicite de nature parfois très contradictoire avec le registre cognitif explicite. En effet, beaucoup de travaux sur les stéréotypes sociaux (e.g. Devine, 1989 ; Greenwald & Banaji, 1995 ; Bargh & Williams, 2006 ; Huguet & Régner, 2009) montrent aujourd’hui que chez un même individu peuvent coexister des attitudes positives au niveau explicite et négatives au niveau implicite (le niveau des associations automatiques en dehors du champ de conscience). L’intégration de cet autre niveau d’analyse est donc un prolongement nécessaire de l’étude de la perception sociale de la t21 (Enea-Drapeau, Carlier, Huguet, 2012).

Bibliographie

Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références bibliographiques par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition. Ces références bibliographiques peuvent être téléchargées dans les formats APA, Chicago et MLA.

Bargh, J.A., Williams, L.E. (2006). The automaticity of social life. Current Directions in Psychological Science, 15, 1-4.

10.14375/NP.9782870099438 :

Carlier M., & Ayoun C. (2007). Déficiences intellectuelles et intégration sociale. Wavre, Belgique : Mardaga.

Devine, P.G. (1989). Stereotypes and prejudice : Their automatic and controlled components. Journal of Personality and Social Psychology, 56, 5-18.

Enea Drapeau, C., Carlier, M., Huguet, P. (en révision). Tracking Subtle Stereotypes of Children with Trisomy 21 : From Facial-Feature-Based to Implicit Stereotyping. PloS One

10.1080/1034912032000053340 :

Gilmore L., Campbell J., Cuskelly M. (2003). Developmental expectations, personality stereotypes, and attitudes towards inclusive education : community and teacher views of Down syndrome. International Journal of Disability, Development and Education, 50 (1), 65-76.

Greenwald, A.G., & Banaji, M.R. (1995). Implicit social cognition : Attitudes, self-esteem, and stereotypes. Psychological Review, 102, 4-27.

Huguet, P., & Régner, I. (2009). Counter-stereotypic beliefs in math do not protect school girls from stereotype threat. Journal of Experimental Social Psychology, 45, 1024-1027.

Kahn, A. (2010). Un type bien ne fait pas ça... Morale, éthique et itinéraire personnel. Paris : Éditions Nil.

Le Méné, J. M. (2009). La trisomie est une tragédie grecque. Paris : Éditions Salvator.

10.1002/ajmg.a.34039 :

Pace, J.E., Shin, M., Rasmussen, S.A. (2010). Understanding attitudes toward people with Down syndrome. American Journal of Medical Genetics, Part A 152 A, 2185-2192.

10.1111/j.1365-2788.1987.tb01370.x :

Rodgers, C. (1987), Maternal support for the Down’s syndrome stereotype : the effect of direct experience of the condition. Journal of mental deficiency Research, 31, 271-278.

Sirlopu, D., Gonzalez, R., Bohner, G., Siebler, F., Ordonez, G., Millar, A., Torres, D., & de Tezanos-Pinto, P. (2008). Promoting positive attitudes toward people with Down syndrome : The benefit of school inclusion programs. Journal of Applied Social Psychology, 38 (11), 2710-2736.

Précédent Suivant

Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.