Validation conceptuelle d’un questionnaire relatif aux dysfonctionnements cognitifs quotidiens (QDCQ)
p. 259-263
Texte intégral
Introduction
1Dans la vie quotidienne, nous sommes souvent l’objet de défaillances cognitives mineures (« everyday cognitive failures ») qui vont de la simple étourderie (ex : « Vous arrive-t-il de vous tromper dans l’heure d’un rendez-vous ? »), aux erreurs de planification d’actions séquentielles habituelles (ex : « Vous arrive-t-il de commencer une activité et de dévier sur une autre sans vous en rendre compte immédiatement ? »), en passant par l’oubli momentané d’intentions d’action (ex : « Vous arrive-t-il d’aller chercher un objet dans une pièce et de ne plus vous rappeler de quoi il s’agissait ? »).
2Une défaillance cognitive dans les activités de la vie quotidienne se traduit par une incapacité ponctuelle ou momentanée à réaliser normalement une tâche de la vie quotidienne à laquelle nous sommes pourtant (très) familiers. Elle concerne les grandes fonctions cognitives telles que la perception, la psychomotricité, le raisonnement, le langage, l’attention, et la mémoire. Elle résulte le plus souvent d’une perturbation du fonctionnement cognitif dont l’origine peut être soit interne (irruption dans le champ de la conscience de pensées ou d’émotions, baisse de vigilance…) soit d’origine externe (changements imprévus dans le contexte de réalisation de la tâche, interférence entre la tâche principale et la tâche secondaire…).
3L’évaluation de ces défaillances est classiquement confiée au Cognitive Failure Questionnaire (ou CFQ) élaboré par Broadbent, Cooper, Fitzgerald et Parkes (1982). Cette échelle auto-évaluative, constituée de 25 items évalue la fréquence des erreurs et des ratés cognitifs de la vie quotidienne dans trois domaines différents : la mémoire, l’attention et le contrôle de l’action. Cependant, aujourd’hui, ce questionnaire peut sembler limité au plan théorique (cf. les construits sous-jacents) comme au plan de sa construction (nombre d’items et validation du contenu de l’échelle).
Un nouveau questionnaire : le QDCQ
4Ces défaillances, qui portent sur des incapacités ponctuelles, sont censées ne pas résulter de dysfonctionnements structuraux mais d’une perturbation momentanée du fonctionnement cognitif. En nous appuyant sur les considérations théoriques développées d’une part, par Friedman et Miyake (2004) et, d’autre part, par Wallace (2004) ou encore Stuss et al. (2005) nous avons élaboré le modèle conceptuel suivant. Lorsqu’un sujet réalise une action, une partie de ses ressources attentionnelles peut être détournée du but de la tâche vers des préoccupations internes et/ou des distracteurs externes. Alors que dans des conditions normales, la mise en œuvre du processus semi-automatique de gestion de priorité du déroulement de l’activité (routines) est suffisante, l’exigence de ressources supplémentaires – par exemple pour résister à l’interférence ou pour élaborer une nouvelle stratégie d’exécution de la tâche –, impliquera l’intervention du système de supervision attentionnelle (système exécutif). Faute d’une intervention adaptée – en qualité et en intensité – de ce système, la conduite du sujet se désorganise et la défaillance survient.
Validation conceptuelle
5Au terme de l’étape de validation de contenu et de validation de structure (Carré et Vom Hofe, 2009b), nous souhaitons maintenant identifier, en engageant la démarche de validation conceptuelle de notre questionnaire, les relations que le QDCQ entretient avec les outils actuels d’évaluation des défaillances cognitives quotidiennes et d’autres outils relevant du système exécutif. Ainsi, nous cherchons à déterminer si ces défaillances relèvent des mêmes processus que ceux impliqués dans les dysfonctionnements exécutifs – mais avec une atteinte de degré différente – ou bien de processus différents.
Matériel
Population
6Notre échantillon est constitué de 146 sujets tout venant âgés de 19 à 78 ans (M = 40,9 ans ; ET = 14,3) qui comprend 41 hommes et 105 femmes.
7Nous leur avons proposé de remplir une série d’échelles afin de procéder non seulement à la validation convergente du QDCQ au moyen des auto-questionnaires actuels évaluant les défaillances cognitives mais aussi à la validation divergente grâce au questionnaire DysEXécutif, DEX, de la batterie Behavioural Assessment of the Dysexecutive Syndrome (BADS, Wilson et al., 1996) utilisé en neuropsychologie auprès des patients cérébro-lésés.
Questionnaires
8Le Questionnaire de Défaillances Cognitives Quotidiennes (QDCQ) est une épreuve auto-évaluative constituée de 62 items qui évaluent la fréquence à laquelle le sujet rencontre quotidiennement ces défaillances, sur des échelles de Lickert en cinq points (presque jamais, assez rarement, occasionnellement, assez souvent, très souvent). Notre système de cotation attribue 1 point au niveau presque jamais et 5 points au niveau très souvent.
9Le Cognitive Failure Questionnaire (CFQ ; Broadbent, Cooper, Fitzgerald et Parkes, 1982) est constitué de 25 items – codés en cinq points – qui évaluent la fréquence des erreurs et des ratés cognitifs de la vie quotidienne dans trois domaines différents : les erreurs de mémoire, d’attention et de la fonction motrice.
10Le Short Inventory Minor Lapses (SIML ; Reason, 1993) est un questionnaire de 15 items dont douze décrivent de manière générale l’ensemble des étourderies motrices et mnésiques (ex : « Vous arrive-t-il d’oublier ce que vous étiez sur le point de dire ? » ; « Vous arrive-t-il de refaire ce que vous avez déjà fait ou de faire quelque chose d’inutile ? ») les plus fréquemment rencontrées, les trois autres items restant étant consacrés au contrôle attentionnel volontaire (« Vous arrive-t-il d’être “dans la lune” lorsque vous devez faire une chose qui nécessite toute votre attention ? »).
11Le Questionnaire dysexécutif (DEX ; Wilson et al., 1996) est une échelle auto-évaluative de vingt items, qui est intégrée à la batterie comportementale d’évaluation du syndrome dysexécutif. Ce questionnaire possède des items relatifs aux émotions, aux cognitions et aux comportements.
Résultats
12L’analyse corrélationnelle (tableau 1) révèle que le score du QDCQ entretient des corrélations positivement fortes et significatives à p < 0,01 avec les scores totaux du CFQ (r > 0,55) et SIML (r > 0,68).
Tableau 1. Matrice de corrélations des scores totaux des différents questionnaires évaluant les défaillances cognitives quotidiennes
SIML | CFQ | |
QDCQ | , 68** | , 55** |
Note. QDCQ : Questionnaire de Défaillances Cognitives Quotidiennes, CFQ : Cognitive Failures Questionnaire, SIML : Short Inventory Minor Lapses.** p < 0,01.
13Lorsque l’on s’intéresse aux corrélations entre le QDCQ et les scores factoriels du CFQ issus de l’étude de Wallace, Kass, et Stanny (2002) (tableau 2), le pattern de corrélations obtenu montre que le score du QDCQ entretient des corrélations fortes, positives et significatives à p < 0,01 avec trois des quatre scores factoriels (mémoire, distractibilité et maladresse). En ce qui concerne le pattern de corrélations avec les scores factoriels du DEX (Wilson et al., 1996) le pattern révèle un ensemble de corrélations fortes (r > 0,37), positives et significatives à p < 0,01 avec chacun des scores factoriels du DEX (comportement, cognition, émotion).
Tableau 2. Matrice de corrélations entre le score au QDCQ et les scores factoriels du CFQ selon Wallace et al. (2002) et les scores factoriels du DEX selon Wilson et al. (1996)

Note. QDCQ : Questionnaire de Défaillances Cognitives Quotidiennes et CFQ : Cognitive Failures Questionnaire, Mém. : mémoire, Distract. : Distractibilité, Maladr. : Maladresse, Nom : mémoire des noms. DEX : Questionnaire Dysexécutif, Compt. : Comportement, Cog. : Cognition, Émo. : Émotion. * p <, 05 ; ** p <, 01
14Les analyses corrélationnelles montrent donc que le QDCQ possède une bonne validité convergente avec les questionnaires actuels évaluant les défaillances cognitives ce qui suggère que cet outil est tout aussi à même d’évaluer la fréquence d’apparition de telles défaillances.
15En revanche, nos résultats ne nous permettent pas de conclure en la validité divergente du QDCQ puisqu’il entretient de fortes corrélations avec les différents scores factoriels du questionnaire dysexécutif.
Discussion
16Notre étude présente les premiers résultats de la validation conceptuelle du QDCQ qui mettent en avant des liens importants entre l’évaluation des défaillances cognitives et celles des dysfonctionnements exécutifs. Cette proximité empirique interroge alors, l’origine de l’apparition de telles défaillances dans nos comportements quotidiens et nous permet d’affiner notre cadre conceptuel au regard du fonctionnement exécutif. Par conséquent, il convient désormais de tester, à un niveau processuel, l’hypothèse selon laquelle les défaillances cognitives de la vie quotidienne engageraient les mêmes processus cognitifs qui dépendent du système exécutif ; avec néanmoins des implications différentes de celles conduisant à l’apparition des dysfonctionnements exécutifs.
17Ces pistes de travail et de réflexion intéressantes, aussi bien d’un point de vue théorique que diagnostique, nous permettent maintenant d’envisager de mener des modélisations par équations structurales afin de spécifier, d’estimer et de comparer des modèles de relations entre le QDCQ et les fonctions exécutives à savoir la flexibilité cognitive, l’inhibition et la remise à jour de la mémoire de travail (Friedman & Miyake, 2004 ; Miyake et al., 2000).
Bibliographie
Références
Broadbent, D.E., Cooper, P.F., Fitzgerald, P. & Parkes, K.R. (1982). The cognitive failures questionnaire (CFQ) and its correlates. British Journal of Clinical Psychology, 25, 285-299.
Carré, J., & Vom Hofe, A. (2009a). Étude de la validation de contenu d’un questionnaire relatif aux défaillances cognitives quotidiennes (QDCQ). Congrès de la SFP : « Psychologie et enjeux de société », Université Toulouse 2-Le Mirail, 17-19 juin 2009.
Carré, J. , & Vom Hofe, A. (2009b). Les défaillances cognitives de la vie quotidienne : Construction et validation d’un questionnaire, le QDCQ. Colloque ARCo’09 organisé à l’Université de Rouen du 9 au 11 décembre 2009. Friedman, N. P., & Miyake, A. (2004). The relations among inhibition and interference control functions : a latent-variable analysis. Journal of Experimental Psychology : General, 130 (4), 621-640.
Miyake, A., Friedman, N.P., Emerson, M.J., Witzki, A.H., Howerter, A., Wager, T. (2000). The unity and diversity of executive functions and their contributions to complex « frontal lobe » tasks : A latent variable analysis. Cognitive Psychology, 41, 49-100.
Reason, J. (1993). Self-report questionnaires in cognitive psychology : Have they delivered the goods ? In A.D. Baddeley & L. Weiskrantz. Attention : Selection, awareness, and control : A tribute to Donald Broadbent, (p.. 406-423). New York, NY, US : Clarendon Press/Oxford University Press.
Stuss, D.T., Alexander, M.P., Shallice, T., Picton, T.W., Binns, M.A., Macdonald, R., Borowiec, A., & Katz, D.I. (2005). Multiple frontal systems controlling response speed. Neuropsychologia, 43 (3), 396-417.
Wallace, J.C., Kass, S.J., & Stanny, C.J. (2002). The cognitive failures questionnaire revisited : Dimensions and correlates. The journal of General Psychology, 129, 238-256.
Wallace, J.C. (2004). Confirmatory Factor Analysis of the Cognitive Failures Questionnaire : Evidence for the Dimensionality and Construct Validity. Personality and Individual Differences, 37, 307-324.
Wilson B.A., Aldenman, N., Burgess, P.W., Emslie, H., Evans, J. (1996). Behavioural assessment of the dysexecutive syndrome : test manual. Bury St Edmunds, UK : Thames Valley Test Cy.
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