Variabilité de la différenciation de profils d’intérêts
Vers des causes lointaines
p. 245-249
Note de l’éditeur
L’auteur remercie la Fondation Jeunesse Avenir Entreprise (Lyon) pour sa contribution à cette étude.
Texte intégral
Introduction
1L’étude interroge la variabilité de la différenciation de profils d’intérêts en terme de causes lointaines, c’est-à-dire en se demandant, par exemple, en quoi cette variabilité serait une réponse à des problèmes posés par l’environnement ancestral et quelle connexion pourrait exister entre des dimensions de « sociabilité » et de « conformité » résumant l’organisation circulaire des intérêts avec le succès reproductif des individus. De telles différences peuvent résulter de la façon dont les individus distribuent leur énergie (Buss, 2009). On suppose que la constitution de groupes humains organisés est concomitante des différenciations inter- et intra-individuelles. Dans ce cadre, on conçoit les différences de profils d’intérêts comme des stratégies adaptatives offrant une même flexibilité mais selon des modalités différentes. On résume ces dernières sous la forme simplifiée de deux profils : celui du bricoleur et celui du spécialiste. Le bricoleur manifeste un attrait assez exclusif pour un domaine d’activité et la flexibilité adaptative est assurée par la diversité et la nouveauté des activités qui caractérisent le domaine. L’intérêt pour des activités offrant de telles propriétés contribue à l’autonomie de l’individu pour lequel la manipulation et la transformation d’objets du monde physique peuvent être suffisantes pour la survie mais sans que cela néglige les productions esthétiques qui contribuent à rendre l’individu plus sexy, ce qui est important pour son succès reproductif. Pour le spécialiste, la flexibilité adaptative est assurée par une diffusion des intérêts sur plusieurs domaines d’activités qui, en interne, se caractérisent par l’uniformité. Le spécialiste tend à réaliser, mieux que d’autres, certaines tâches qu’il exécute de façon reproductive. Il peut ainsi échanger des productions bien faites qui ne lui sont pas directement utiles, pour d’autres. Les ressources dont il peut ainsi disposer en font un partenaire attractif ce qui favorise également son succès reproductif.
2À partir de ces spéculations, on recherche des conséquences sur la variance de scores au sein des profils d’intérêts individuels. Du côté « bricoleur », on suppose que la différenciation des intérêts est plus marquée (des préférences plus exclusives ou contrastées) que ce n’est le cas du côté « spécialiste ». On suppose que la distinction entre les orientations de genres bricoleur et spécialiste des intérêts participe d’une dimension explicative de la disposition circulaire des contenus d’intérêts telle que celle de personne vs chose (Prediger & Vansickle, 1992) ou encore celles de conformité et sociabilité (Hogan & Blake, 1999).
Méthode
3Le test d’hypothèse concernant une variation de la différenciation du profil selon une large orientation préférentielle des intérêts (bricoleur vs spécialiste) utilise les réponses de participants à un inventaire d’intérêts (INFORIZON, 2007). Il se compose de 55 items (un item exprime un attrait pour une activité appliquée à un objet) et les réponses s’effectuent suivant une échelle graduée en 4 points (« Je suis tout à fait d’accord » à « Je ne suis pas d’accord »). En référence à un aspect de validité de contenu, la construction de ce questionnaire se fonde sur un univers d’activités professionnelles que le questionnaire tente de représenter fidèlement, ceci en s’aidant dans un second temps d’un système de classification des activités. Ce dernier prend la forme, pour la version la plus simple, d’un modèle en 11 facteurs et a fait l’objet d’une démarche de validation structurale (INFORIZON, 2007). On retrouve une organisation circulaire des facteurs d’intérêts offrant une similitude avec le modèle de Holland (1997). INFORIZON fournit par ailleurs une indication intéressant la validité substantive avec un ensemble de dimensions explicatives des réponses aux items. Deux de ces dimensions (avantage économique lié aux activités et uniformité ou diversité des activités) sont investies pour l’explication des variations des indices de différenciation.
4Les participants de l’étude sont des adolescents et des jeunes adultes ayant eu recours à INFORIZON dans le cadre d’une démarche de conseil en orientation. Ils sont au nombre de 780 (224 hommes et 556 femmes) issus de niveaux scolaires s’échelonnant de la sixième à bac + 5. L’âge moyen de l’échantillon est de 18 ans 2 mois (σ : 4 mois ½).
5La différenciation des intérêts individuels est l’écart type pour une série de 11 scores centrés – réduits individuels. Il n’y a pas de relation linéaire entre les écarts types et les moyennes des scores. On détermine ensuite pour chaque facteur d’intérêts la corrélation entre les scores standardisés et les indices de différenciation. Dans un second cas, on compare suivant les facteurs d’intérêts, un niveau moyen de l’indice de différenciation. Ce dernier est déterminé à partir des scores de sous-groupes de participants pour lesquels le facteur d’intérêts considéré apparaît dominant dans le profil d’intérêts.
Résultats
6L’approche multivariée d’une analyse de la variance retourne une différence significative concernant les valeurs moyennes de l’indice de différenciation suivant les facteurs (F(10, 769) = 4,01 ; p : < 0,001). La valeur de l’indice η2 ajusté est toutefois très petite (0,037). L’approche univariée (test de Duncan et pour un seuil de 0,05) montre cinq sous-ensembles homogènes. Les plus distants offrent un facteur d’intérêts en commun avec, dans un cas : « Gestion-administration, Aide aux personnes, Activités physiques-sport, Communication-formation, Droit-sécurité et Activités manuelles » et dans un autre « Activités manuelles, Art, Commerce, Sciences, Nature et Technique ». Cette partition tend à s’organiser, bien qu’imparfaitement, suivant une dimension « personne – chose ». On trouve une tendance similaire lors de l’examen des corrélations entre les scores sur les facteurs et les indices de différenciation avec, pour l’opposition la plus importante, une corrélation négative (-0,13) pour le facteur « Aide aux personnes » et une corrélation positive (0,23) pour le facteur « Technique ». Les corrélations ne sont pas systématiquement significatives et demeurent dans tous les cas très modestes. Elles tendent à être négatives lorsque les intérêts présentent plutôt une orientation sociale, et positives avec une orientation de l’attrait vers les « choses ». L’allure générale des résultats est représentée par la figure 1 qui résulte d’une analyse par échelonnement multidimensionnel des corrélations entre les scores d’intérêts. La présentation limite la dimensionnalité à deux qui n’est pas tout à fait satisfaisante (stress : 0,18 ; RSQ : 0,75), mais est suffisante pour proposer une organisation des variations des indices de différenciation. Sous l’intitulé des facteurs d’intérêts, on indique la valeur de la corrélation des indices de différenciation avec les scores sur le facteur, ainsi que la valeur moyenne de l’indice de différenciation et l’effectif du groupe de participants pour lequel le facteur est dominant dans le profil d’intérêts. Sur la figure 1, on ajoute et positionne trois droites de régression. L’une représente une dimension de différenciation selon laquelle les facteurs d’intérêts s’échelonnent dans l’espace euclidien (R2 : 0,33). L’orientation de cette dimension résulte d’une transformation des coefficients béta en mesure d’angle avec, sur un plan technique, les coordonnées des facteurs d’intérêts dans l’espace euclidien pour VI et les indices de différenciation pour VD sachant que cette disposition ne détermine pas le sens d’une éventuelle interprétation causale ce qui est réservé à l’argument théorique ou expérimental. Les principes et le détail des opérations techniques sont exposés entre autres par Tournois & Dickes (1993). Les deux autres dimensions, dont l’orientation dans l’espace euclidien est déterminée de la même façon (la VD est le score moyen des facteurs sur un trait donné), sont explicatives des réponses aux items mais sont aussi liées à la dimension de différenciation. Les scores des facteurs sur un trait sont issus d’évaluations subjectives du contenu des items. Elles sont produites par un échantillon de participants à l’aide d’échelles bipolaires (9 échelons). Les données ont été produites au cours d’une étude antérieure. Les dimensions liées à la différenciation des profils concernent d’une part le caractère uniforme (codé 1) ou diversifié (=9) des activités (R2 : 0,72 avec la position des facteurs dans l’espace euclidien) et d’autre part l’ampleur d’un bénéfice économique (rentable = 1, infructueux = 9) lié aux activités (R2 : 0,45).
7On trouve, une relation entre les variations de l’indice de différenciation et ces dimensions explicatives des réponses aux items selon le caractère uniforme ou diversifié des activités et, de façon plus modeste, selon l’ampleur du bénéfice économique lié aux activités. Le lien entre les indices de différenciation (VD) et l’échelonnement (VI) des facteurs d’intérêts sur ces deux traits évaluatifs (Tableau 1) apparaît assez étroit (R2= 0,63, F(2,8) =6,89, p= 0,018).
Discussion
8L’effet observé est très modeste mais néanmoins susceptible d’une explication. Les variations de la différenciation du profil d’intérêts offrent une organisation interne pour partie liée à des dimensions « personne – chose », « uniforme – divers »« rentable – infructueux » permettant de rendre compte de la structure des contenus d’intérêts. Les profils d’intérêts tendent à être d’autant plus différenciés que le type d’activités suscitant le plus haut niveau d’attrait concerne la manipulation et la transformation d’objets et engage des activités diversifiées. La différenciation est plus petite lorsque les activités sont sociales et permettent un meilleur accès à des ressources économiques. Les données empiriques offrent des compatibilités avec une explication proposée en terme de causes lointaines en articulant le général et le différentiel comme proposé avec la notion de vicariance. On présume que la sélection naturelle favorise (en terme de succès reproductif) les organismes dotés de vicariance. Appliquée aux intérêts, celle-ci peut prendre différentes formes. Les intérêts peuvent être assez exclusifs en faveur d’un domaine d’activités donné mais offrant en interne de la diversité ou au contraire s’étendre à différents domaines d’activités mais offrant en interne un caractère assez uniforme. On suppose par ailleurs que les différenciations individuelles sont fonction de l’insertion individuelle, physique et psychologique dans des groupes sociaux organisés et ceci suivant leur taille mais, selon les données empiriques, à la restriction toutefois d’un attrait dominant pour des activités spécialisées perçues comme permettant le meilleur accès aux ressources disponibles au sein d’un groupe social.
Bibliographie
Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références bibliographiques par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition. Ces références bibliographiques peuvent être téléchargées dans les formats APA, Chicago et MLA.
Format
- APA
- Chicago
- MLA
Références
10.1111/j.1745-6924.2009.01138.x :Buss, M.D. (2009). How can evolutionary psychology successfully explain personality and individual differences ? Perspectives on Psychological Sciences, 4 (4), 359-366.
Hogan, R., & Blake, R. (1999). John Holland’s vocational typology and personality theory. Journal of Vocational Behavior, 55, 41-56.
Holland, J. (1997, 3rd ed). Making vocational choices : theory of vocational personalities and work environments. Odessa : Psychological Assessment Ressources.
Inforizon (2007). CD-ROM INFORIZON : Destination métiers 2007-2008. Lyon : Fondation Jeunesse Avenir Entreprise.
Prediger. D.J., & Vansickle, T.R. (1992). Locating occupations on Holland’s hexagon : Beyond RIASEC. Journal of Vocational Behavior, 40, 111-128.
Tournois, J., & Dickes, P. (1993). Pratique de l’échelonnement multidimensionnel : de l’observation à l’interprétation. Bruxelles : De Boeck.
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Vive(nt) les différences
Psychologie différentielle fondamentale et applications
Pierre-Yves Gilles et Michèle Carlier (dir.)
2012
L’éducation thérapeutique du patient
Méthodologie du « diagnostic éducatif » au « projet personnalisé » partagés
Aline Morichaud
2014