La motivation aux relations amoureuses à l’adolescence
Une conception pluraliste pour l’étude des conduites de flirts
p. 227-232
Texte intégral
Introduction
1Les relations amoureuses occupent une place importante dans la vie des adolescents que ce soit par la pratique mais aussi par les discussions ou par simplement les pensées (Bouchey & Furman, 2003). Cependant, la manière de s’y engager évolue au cours de l’adolescence. Les primes adolescents verraient les relations amoureuses comme un moyen de se valoriser, pour eux-mêmes mais aussi auprès de leurs pairs. Pour les plus jeunes, les relations amoureuses seraient également perçues comme une nécessaire découverte physique de l’autre sexe. Puis, chez les grands adolescents, les aspects émotionnels inhérents à la relation deviendraient prépondérants de manière corollaire à la recherche d’un partenaire qui remplisse certains critères nécessaires à la qualité de la relation (Brown, 1999).
2En ce sens, il semble donc exister une évolution intra-individuelle de la motivation aux relations amoureuses qui de raisons extrinsèques (autovalorisation, recherche de popularité) s’oriente vers des raisons plus intrinsèques (découverte de la spécificité de la relation, importance des sentiments). De manière identique à d’autres classes de conduites, comme le travail scolaire ou le sport, la motivation aux relations amoureuses serait donc plus ou moins autodéterminée et c’est le long de ce continuum d’autodétermination que la motivation évoluerait au cours de l’adolescence (Deci & Ryan, 2000). Outre cette évolution développementale, les motivations aux relations amoureuses pourraient également donner lieu à des différences interindividuelles.
3L’objectif de ce travail est de mettre au point un outil qui réponde à cet objectif et d’en vérifier certains indicateurs de validité par la mise en relation avec d’autres aspects tels l’estime de soi ou les comportements amoureux manifestes.
Méthodologie
Construction de l’outil
4La création du pool d’items de base s’est faite à partir d’entretiens exploratoires semi-structurés avec quelques grands adolescents et jeunes adultes (N = 9) à qui il était demandé de se remémorer et d’évoquer leurs différentes relations amoureuses et d’en expliquer l’origine. Le fondement conceptuel des différentes motivations a ensuite été identifié et l’outil a été équilibré pour qu’il y ait autant d’items par dimensions (pour un exemple d’items relatif à chaque dimension, cf. Tableau 1). La première version du questionnaire contenait cinq items pour chacun des sept facteurs.
Tableau 1. Exemple d’items selon le niveau d’autodétermination de la motivation
Forme de motivations | Items |
Amotivation | Toute chose bien pesée, il vaut mieux rester seul |
Régulation externe | Parce que c’est surtout lui / elle qui voulait sortir avec moi |
Régulation introjectée | Parce que sinon les autres se moqueraient de moi si je n’étais jamais sorti avec personne |
Régulation identifiée | Parce que c’est une forme d’entraînement à des relations plus sérieuses |
MI au plaisir physique | Pour tous les moments érotiques que l’on peut passer ensemble |
MI à l’intimité | Pour le bien-être que cela me procure de me sentir affectivement proche de quelqu’un |
MI au partage d’activité | Pour toutes les activités sympas à faire ensemble |
Note. MI = Motivation intrinsèque
Procédure
5L’outil a été proposé à un premier échantillon d’adolescents (N = 369 dont 209 filles ; âge moyen de 16 ans et deux mois) et une analyse exploratoire (Analyse en Composante Principale) a été faite. Elle a conduit à réduire l’outil en simplifiant la structure factorielle. La seconde version de l’outil contenait cinq items pour chacun des quatre facteurs et a été soumise à une analyse confirmatoire (Modélisation par Équation Structurale). Elle a été proposée à un second échantillon d’adolescents (N = 192, dont 122 filles ; âge moyen de 17 ans et sept mois) qui remplissait également une échelle d’estime de soi et un questionnaire de comportements amoureux autodéclarés.
Résultats
Étude 1. Recherche de parcimonie
6Une analyse en composantes principales à rotation varimax normalisée a été effectuée sur la première version de l’outil. La prise en compte simultanée du scree test et de la pertinence psychologique du regroupement des items ont conduit à envisager l’existence de quatre facteurs :
7Le premier facteur est un facteur de motivation intrinsèque (MI) à la relation qui rassemble les items décrivant la perception de la relation comme ayant fonction de partage émotionnel et social.
8Le deuxième facteur décrit à l’inverse une motivation beaucoup plus extrinsèque, proche du facteur de régulation introjectée (ME). La relation amoureuse est déterminée par la pression sociale ressentie exercée par les pairs.
9Le troisième facteur correspond à un besoin de découverte physique (BD), de l’autre sexe mais aussi du plaisir qui peut en être retiré. Il correspond à la fonction d’expérimentation sexuelle des relations amoureuses décrites par (Claes, 2003) et se pose comme un facteur spécifique à l’adolescence.
10Enfin, le dernier facteur décrit une amotivation totale (AM) pour toute forme de relation amoureuse.
Étude 2. Confirmation de la structure factorielle et éléments de validation
11Les données issues de la version remaniée à vingt items, reprenant les quatre facteurs susmentionnés, ont été soumises à une analyse confirmatoire par équation structurale. Les différents indicateurs d’ajustement (obtenus après introduction de quatre covariances d’erreurs entre des items provenant de la même dimension) suggèrent que la structure théorique de l’outil s’ajuste correctement aux données (χ2 / ddl = 1,70 ; RMSEA = 0,05 ; CFI = 0,92 ; TLI = 0,91). L’homogénéité interne de chaque facteur est aussi satisfaisante avec des alphas s’échelonnant de 0,76 à 0,84.
12Par ailleurs, la force et le sens des corrélations entre les facteurs, visibles sur la Figure 1, suggèrent dans leur articulation qu’il existe bien un continuum d’autodétermination allant de l’amotivation à la motivation intrinsèque en passant par de la motivation extrinsèque à régulation introjectée puis identifiée (besoin de découverte).
13La pertinence des quatre formes de motivation identifiées a été établie en les mettant en lien avec différentes dimensions de l’estime de soi (générale et sociale – dans les relations entre pairs). Il apparaît que le besoin de découverte (à régulation identifiée) est corrélé positivement à l’estime de soi sociale (r = 0,22, p < 0,01) tandis que l’amotivation et la motivation extrinsèque le sont négativement (r = -0,17, p < 0,02 et r = -0,18, p < 0,01). Ceci se retrouve au niveau de l’estime de soi générale : l’amotivation est corrélée à -0,19, p < 0,01 et la motivation extrinsèque à -0,17, p < 0,02.
Fig. 1. Modèle structural à quatre facteurs.

14Les différentes formes de motivations sont aussi associées aux pratiques effectives. Les résultats les plus significatifs indiquent que le besoin de découverte est plus élevé chez les adolescents déclarant des conduites de flirts sans sentiments [m = 3,63 ; ET = 0,76] que ceux n’en déclarant pas [m = 3,11 ; ET = 0,75 ; t (189) = 4,66, p < 0,01, d = 0,69]. De même, le besoin de découverte est plus élevé chez les adolescents déclarant avoir ou avoir déjà eu des relations concomitantes multiples, [m = 3,79 ; ET = 0,80 vs. m = 3,38 ; ET = 0,78 ; t (182) = 2,36, p < 0,02, d = 0,52]. Enfin, les adolescents entrés dans la sexualité manifestent un niveau moindre d’amotivation [m = 1,49 ; ET = 0,55 ; t (185) = 4,48, p < 0,01, d = 0,65] et de motivation extrinsèque [m = 1,41 ; ET = 0,54 ; t (185) = 4,25, p < 0,01 ; d = 0,62] dans leur positionnement face aux relations amoureuses que ceux qui n’ont pas encore franchi cette étape[m = 1,96 ; ET = 0,87 et m = 1,82 ; ET = 0,77 respectivement].
Discussion
15L’objectif de ce travail était de mettre au point un outil qui permette de mesurer différentes formes de motivations aux relations amoureuses, en suivant un continuum d’autodétermination (Deci & Ryan, 2000). Les deux études successives ont permis de mettre au point un outil parcimonieux dans sa structure, stable et ajusté aux données, en faisant apparaître quatre facteurs de motivations : un intrinsèque, un extrinsèque à régulation introjectée puis un à régulation identifiée et un d’amotivation.
16Une diversité moindre de dimensions apparaît suffisante pour décrire la motivation dans le cadre des relations amoureuses, comparativement au nombre nécessaire – sept – dans le domaine scolaire (Blanchard, Vrignaud, Lallemand, & Dosnon, 1997). Cependant, le nombre et les types de motivations aux relations amoureuses sont similaires à ceux identifiés concernant les relations amicales, autre forme de relations sociales (Richard et Schneider, 2005). Ceci s’expliquerait notamment par l’impossibilité de dissocier des types distincts de motivation intrinsèque et l’inexistence de motivation complètement extrinsèque avec absence totale d’identification de la source de régulation de la conduite.
17La pertinence des différentes formes de motivations aux relations amoureuses est aussi soulignée par les liens spécifiques qu’elles entretiennent avec l’estime de soi et les pratiques amoureuses effectives. Ainsi, les adolescents qui décrivent un haut niveau de besoin de découverte physique possèdent une meilleure estime de soi générale et sociale, ceci pouvant reposer sur l’établissement des relations amoureuses en soi. En effet, le fait que ces adolescents décrivent par ailleurs de nombreuses expériences amoureuses diversifiées, pourrait renforcer leur sentiment de compétences dans les relations entre pairs en général, par leur capacité et leur succès à établir de nombreuses relations amoureuses.
18À l’inverse, l’amotivation et la motivation extrinsèque sont reliées à une moindre estime de soi générale et sociale. Pour l’amotivation, on peut suggérer que les adolescents possédant un niveau élevé sont aussi ceux qui se trouvent en difficulté dans les relations avec les pairs par manque de compétences sociales. De ce fait, l’amotivation dans les relations amoureuses serait une forme de stratégie de protection de soi afin d’éviter les échecs dans ce domaine. Parallèlement, la possession d’un certain degré de motivation extrinsèque est aussi associée à une moindre estime de soi sociale. En ce sens, cette forme de motivation paraît bien régulée par les relations entre pairs en général, puisque les relations amoureuses seraient utilisées pour rehausser le sentiment de valeur de soi par recherche de popularité (Brown, 1999).
19Par ailleurs, les quatre formes de motivations aux relations amoureuses entretiennent des liens uniques avec les pratiques amoureuses effectives. La motivation est bien au cœur de la conduite, pouvant en être le moteur mais aussi en être dépendante selon le succès, les échecs et les expériences particulières vécues dans les relations. Les motivations, selon leur niveau d’autodétermination, semblent suivre les étapes successives d’avancée dans les relations amoureuses, allant des premiers baisers sans sentiments à l’entrée dans la sexualité.
20Ces résultats pointent la nécessité d’étendre l’empan d’âge de l’échantillon. En effet, cette recherche s’est faite auprès d’une population de grands adolescents (15-19 ans). Inclure de plus jeunes adolescents et introduire plusieurs moments de collectes dans le temps, permettraient de vérifier les variations intra-individuelles dans ces motivations.
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Références
Blanchard, S., Vrignaud, P., Lallemand, N., & Dosnon, O. (1997). Validation de l’échelle de motivation en éducation auprès de lycéens français. L’Orientation Scolaire et Professionnelle, 26 (1), 33-56.
Bouchey, H.A., & Furman, W. (2003). Dating and romantic experiences in adolescence. In G. R. Adams & M. D. Berzonsky (Eds.), Blackwell handbook of adolescence. (p. 313-329). Malden : Blackwell Publishing.
10.1017/CBO9781316182185 :Brown, B.B. (1999). ‘You’re going out with who ?’ : Peer group influences on adolescent romantic relationships. In W. Furman, B. B. Brown & C. Feiring (Eds.), The development of romantic relationships in adolescence. (p. 291-329). New York, NY US : Cambridge University Press.
10.4000/books.pum.13729 :Claes, M. (2003). L’univers social des adolescents. Montréal : Presses de l’Université de Montréal.
Deci, E.L., & Ryan, R.M. (2000). The ‘what’ and ‘why’ of goal pursuits : Human needs and the self-determination of behavior. Psychological Inquiry, 11 (4), 227-268.
Richard, J.F., & Schneider, B.H. (2005). Assessing Friendship Motivation During Preadolescence and Early Adolescence. The Journal of Early Adolescence, 25 (3), 367-385.
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