L’hétérogénéité de configuration, facteur de différences individuelles du Test de rotation mentale ?
p. 197-202
Texte intégral
Introduction
1Le Test de rotation mentale de Vandenberg et Kuse (1978) est l’un des tests d’aptitude spatiale les plus utilisés. C’est également une épreuve ayant fait l’objet de plusieurs travaux empiriques visant à préciser la nature de l’aptitude effectivement mesurée et les éventuels facteurs de différences individuelles impliqués. Parmi les travaux souvent cités, on trouve ceux de l’équipe de Daniel Voyer (Voyer, Rodgers et McCormick, 2004 ; Voyer et Saunders, 2004 ; Voyer et Hou, 2006). Ces travaux mettent en évidence, au plan général, diverses caractéristiques d’items : présence ou non d’occlusion visuelle, présence de distracteurs « en miroir » ou non, caractéristiques dont on fait ensuite l’hypothèse qu’elles sont responsables de différences individuelles de performance et, en particulier, de différences de performance entre hommes et femmes.
2Le présent travail examine une caractéristique d’item du Test de rotation mentale à notre connaissance encore jamais étudiée : le type de configuration. Chacune des figures employées dans le Test de rotation mentale peut en effet être classée dans l’un ou l’autre de deux types de configuration, le premier appelé « homogène » par opposition au second appelé « hétérogène ». Les figures homogènes et hétérogènes sont constituées chacune du même nombre de cubes (dix). Toutefois, alors que les segments des extrémités des figures homogènes sont constitués d’un nombre égal de cubes (trois), les segments des extrémités des figures hétérogènes comportent un nombre inégal de cubes (trois pour le segment terminal supérieur, deux pour le segment terminal inférieur). La figure 1 illustre ces deux types de configuration.
3L’hétérogénéité des figures permettrait une meilleure distinction visuelle (Caissie, Vigneau et Bors, 2009), facilitant ainsi les processus de comparaison et de reconnaissance nécessaires à la résolution des items du test. Ce facteur de difficulté correspondrait ainsi à des théories plus générales de la complexité visuelle (Biederman, 1987).
4Chacun des vingt-quatre items du Test de rotation mentale est composé de cinq figures : une figure modèle placée à gauche et quatre choix de réponse placés à droite. La tâche du sujet est d’identifier, parmi les quatre choix de réponse, les deux figures qui correspondent à la figure modèle.
5Trois caractéristiques d’items sont examinées dans le présent travail : l’occlusion, le type de distracteurs et le type de configuration. L’occlusion caractérise les items où une partie d’une des figures des choix de réponse est cachée par une autre partie de cette figure. Le type de distracteurs correspond à deux catégories d’items : ceux dont les mauvaises réponses sont des figures différentes de la figure modèle (items structuraux) et ceux dont les mauvaises réponses sont des figures symétriques à la figure modèle (items miroirs). Enfin, le type de configuration regroupe les items homogènes et hétérogènes déjà présentés. Selon Caissie et al. (2009), les items avec occlusion sont plus difficiles que les items sans occlusion, les items miroirs sont plus difficiles que les items structuraux et les items homogènes sont plus difficiles que les items hétérogènes. Les exemples présentés à la Figure 2 illustrent chacune des caractéristiques d’items examinées dans le présent travail.
6Deux études sont rapportées. La première, une étude de psychologie générale, examine le lien entre caractéristiques d’items et latences de réponse. Quelles sont les caractéristiques associées à des latences de réponse plus longues ? Toutes les caractéristiques identifiées contribuent-elles également à la latence ? Un modèle de régression multiple répond à ces questions. La seconde étude est différentielle ; elle vérifie, à l’aide de l’analyse factorielle confirmatoire, l’impact des caractéristiques d’items sur l’expression des différences individuelles.
Méthode
Sujets
7Dans la première étude, les données ont été recueillies sur un échantillon de 58 sujets (28 hommes et 30 femmes ; âge : M = 25 ans, ET = 4,9). Le score moyen sur un maximum de 14 est de 8,3 (ET= 3,0). L’alpha de Cronbach pour le score est de 0,80 et de 0,90 pour les latences.
8Dans la seconde étude, un échantillon de 218 adultes (115 femmes et 103 hommes ; âge : M = 21 ans, ET = 4,5). Le score moyen sur un maximum de 28 est de 15,0 (ET = 6,7). L’alpha de Cronbach est de 0,92. L’échantillon est composé d’étudiants universitaires testés en groupes de 30 à 70 personnes et qui ont répondu à au moins 23 des 24 items de la version complète du Test de rotation mentale4.
Épreuve et déroulement
9Dans la première étude, les sujets ont complété individuellement et à l’ordinateur les 14 premiers items du Test de rotation mentale, sans contrainte de temps mais avec chronométrage. Parmi les 14 premiers items du test, les items 1, 2, 5, 6, 9, 10, 11 et 12 sont des items miroirs, les items 9, 10, 11 et 14 sont des items avec occlusion et les items 9, 10, 11, 13 et 14 sont des items homogènes.
10Dans la seconde étude, les consignes standards ont été employées ; les sujets disposaient donc d’un maximum de 10 minutes pour répondre au test. Afin de contrôler certains effets associés à la limite de temps (réponses manquantes), seuls les sujets ayant répondu à au moins 23 des 24 items ont été conservés dans les analyses présentées ici.
Résultats
Étude 1
11Une analyse de régression multiple révèle que la latence moyenne des bonnes réponses à chacun des 14 premiers items du Test de rotation mentale est significativement associée au type de configuration et au type de distracteurs (R2 = 0,50 ; R2 ajusté = 0,41 ; F(2, 11) = 5,54, p = 0,02). Dans ce modèle, le type de configuration (homogène, hétérogène) apparaît comme la variable indépendante la plus associée à la latence des bonnes réponses : lorsque le type de distracteurs est contrôlé statistiquement, les items homogènes présentent en moyenne des latences plus de 40 % plus longues que les items hétérogènes (voir le tableau 1).
12Une analyse corrélationnelle complémentaire révèle que l’une des difficultés d’analyse du type de configuration tient au fait qu’il est, de par la construction même du test, associé à d’autres caractéristiques : position dans le test et occlusion (voir le Tableau 2).
Étude 2
13Quatre modèles d’analyse factorielle confirmatoire ont été testés sur les données recueillies : un modèle unifactoriel et trois modèles à facteurs corrélés, chacun de ceux-ci distinguant les deux catégories d’items de chacune des caractéristiques étudiées : items avec et items sans occlusion, items miroirs et items structuraux, items homogènes et items hétérogènes. Divers indices d’ajustement de ces modèles sont rapportés au Tableau 3. Un examen des résultats obtenus montre que le type de configuration apparaît comme une caractéristique d’item potentiellement intéressante pour l’étude des différences individuelles au Test de rotation mentale : bien qu’une différence significative de χ2 soit observée entre la solution unifactorielle et chacune des solutions à deux facteurs corrélés, le modèle fondé sur le type de configuration (homogène, hétérogène) donne la solution factorielle la plus satisfaisante, et ce peu importe l’indice d’ajustement choisi. C’est également pour ce modèle que les facteurs définis sont les moins redondants (r = 0,88).
Discussion
14Les résultats de la première étude ont montré que le temps moyen pris par les sujets pour répondre aux items homogènes est significativement plus long que pour répondre aux items hétérogènes. En fait, parmi les caractéristiques d’items examinées dans cette étude, le type de configuration apparaît, au plan général, comme le principal facteur de différences de latences qui caractérisent les items du Test de rotation mentale.
15Les analyses factorielles confirmatoires de la seconde étude indiquent, quant à elles, que le type de configuration, en plus de s’avérer un facteur général de difficulté des items, se révèle également être un facteur de différences individuelles. En effet, c’est un modèle distinguant items homogènes et items hétérogènes qui s’ajuste le mieux aux données recueillies ici.
16Les résultats obtenus, considérés conjointement avec d’autres (limites d’une interprétation du Test de rotation mentale en termes de rotation ; voir Caissie et al., 2009 ; Bors et Vigneau, 2011), permettent d’ouvrir de nouvelles voies dans l’étude de la nature des aptitudes mesurées par cet instrument, invitant en particulier à considérer des hypothèses de différences qualitatives d’aptitudes ou de processus – relatives, par exemple, à la prise d’information (cf. Paour, 1991).
Bibliographie
Références
Biederman, I. (1987). Recognition-by-components : A theory of human image understanding. Psychological Review, 94, 115-147.
Bors, D.A., & Vigneau, F. (2011). Sex differences on the mental rotation test : An analysis of item types. Learning and Individual Differences, 21, 129-132.
Caissie, A.F., Vigneau, F., & Bors, D.A. (2009). What does the Mental Rotation Test measure ? An analysis of item difficulty and item characteristics. The Open Psychology Journal, 2, 94-102.
Paour, J.-L. (1991). Retard mental et aides cognitive. In J.-P. Caverni (dir.), Psychologie cognitive, modèles et méthodes (p. 191-216). Grenoble : Presses universitaires de Grenoble.
Vandenberg, S.G., & Kuse, A.R. (1978). Mental Rotations, a group test of three-dimensional spatial visualization. Perceptual and Motor Skills, 47, 599-604.
Voyer, D., & Hou, J. (2006). Type of items and the magnitude of gender differences on the Mental Rotations Test. Revue canadienne de psychologie expérimentale, 60, 91-100.
Voyer, D., Rodgers, M.A., & Mccormick, P.A. (2004). Timing conditions and magnitude of gender differences on the Mental Rotations Test. Memory and Cognition, 32, 72-82.
Voyer, D., & Saunders, K.A. (2004). Gender differences on the mental rotation test : A factor analysis. Acta Psychologica, 117,79-94.
Notes de bas de page
4 Les données rapportées dans la seconde étude ont déjà fait l’objet d’autres publications, dont : Caissie, A., Vigneau, F., et Bors, D. A. (2009), What does the Mental Rotation Test measure ? An analysis of item difficulty and item characteristics. The Open Psychology Journal, 2, 94-102 ; Caissie, A. F. (2010). Analyse d’un test d’aptitudes spatiales – Le Test de rotation mentale. Sarrebruck : Éditions universitaires européennes et Caissie, A. F., Vigneau, F. (2010). Le Test des Rotations mentales. Caractéristiques d’items et différences individuelles. In A. de Ribaupierre et al. (dir.), Identité et spécificités de la psychologie différentielle (p. 75-80). Rennes : Presses universitaires de Rennes. Ces données constituent aussi un sous-échantillon de celles analysées dans Bors, D. A., et Vigneau, F. (2011). Sex differences on the mental rotation test : An analysis of item types. Learning and Individual Differences, 21, 129-132. L’analyse factorielle confirmatoire de ces données est publiée ici pour la première fois.
Auteurs
bors@scar.utoronto.ca
Département de psychologie, Université de Toronto à Scarborough, Canada.
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