Ajustement de l’outil F-JAS à une population spécifique
Les opérateurs de système de drones de l’armée de l’air
p. 175-179
Texte intégral
Introduction
1Cette étude s’inscrit dans le cadre d’une thèse dont l’objectif est de proposer une procédure de sélection d’opérateurs de système de drones (OSD). Nous nous intéressons particulièrement aux OSD de l’armée de l’air française, en responsabilité de la troisième dimension (l’espace aérien) et qui dispose de systèmes de drones moyenne altitude longue endurance (MALE) : il s’agit de vecteurs aériens pilotés à distance par des opérateurs situés dans une station au sol. Le drone Harfang, qui mesure 9 m de long et 17 m d’envergure volant à 6000 m d’altitude, est comparable à un avion à la différence près qu’il a une autonomie de 24 heures. La durée prolongée des missions a des répercussions directes sur les conditions de travail des OSD qui œuvrent en équipage constitué de 3 spécialistes : le coordinateur tactique (CT) qui dirige la mission, l’opérateur de vol (ODV) qui pilote le vecteur aérien ainsi que les capteurs et l’interprétateur photo (IP) qui effectue du traitement d’images en temps réel. Les missions actuelles sont centrées sur la surveillance et le renseignement et les opérateurs sont recrutés en interne sur volontariat et / ou à l’occasion de mutations. Dans les années à venir, les systèmes de drones connaîtront un essor qui justifiera le développement d’une filière spécifique à part entière et la création en amont d’une procédure de sélection dédiée ayant pour ambition de garantir l’atteinte d’un niveau de performance optimale des OSD.
Problématique
2La technologie avancée des systèmes déportés entraîne de par sa récence la création de métiers nouveaux, à savoir les postes d’OSD, impliquant un ensemble de compétences spécifiques à ces nouvelles fonctions. L’objectif de cette recherche est ainsi de mettre à jour les compétences requises pour chacun des postes de travail et, en corollaire, celles qu’il sera important de développer dans le cadre de la formation d’OSD. La démarche adoptée se décompose en plusieurs étapes. Nous souhaitons tout d’abord comprendre en quoi consiste le métier d’OSD, l’analyse du travail étant « le préalable nécessaire à toute intervention efficace » (Leplat, 2004, p. 107). L’étude des postes repose sur l’élaboration d’une liste de missions à effectuer, puis de tâches, définies comme un « ensemble ordonné de comportements physiques et / ou mentaux, finalisé et autonome » (Chartier, 2003, p. 29). Cela permet d’identifier les activités, ce qui est mis en œuvre par le sujet pour exécuter la tâche (Leplat, 2004), qui sont à leur tour référées à des aptitudes, prises ici au sens de Snow (1992) : des capacités complexes, cognitives et conatives (processus et procédures de traitement d’informations ; traits de personnalité et processus sous-jacents). Elles sont susceptibles d’expliquer les performances, constituent le socle des compétences et facilitent le développement de celles-ci. Le modèle d’aptitudes et la recherche du niveau requis pour chaque activité reprennent la démarche proposée par Fleishman, Quaintance et Broedling (1984).
Méthode
3La méthode que nous avons adoptée correspond à la démarche ascendante de la psychométrie telle que la présente Weil-Barais (1997, p. 36 ; cf. Figure 1). Celle-ci consiste à partir « des conduites supposées relever de la caractéristique » à évaluer, puis à étudier comment ces conduites sont organisées. L’étude des relations entre les composantes de travail et le niveau requis d’aptitude permettra in fine de construire une échelle de mesure. En appliquant la démarche ascendante à notre étude, les conduites correspondent à des composantes d’activités, les instruments de mesures ont dérivé des Fleishman Job Analysis Survey et les modèles renvoient à l’élaboration de profils d’opérateurs.
Participants
4Pour la première phase, 11 OSD (10 hommes, 1 femme), appartenant à l’unique escadron de drones de l’armée de l’air (AA), ont été interrogés (3 CT, 4 ODV, 4 IP). Ils sont considérés comme des experts c’est-à-dire « des personnes ayant une connaissance pratique et directe du poste » (Fleishman, 1995/1998, p. 5) en raison de leur ancienneté dans ces fonctions (de 3 à 7 mois en opérations extérieures sur système de drones).
5Pour la deuxième phase, 3 juges ont été interrogés. Ce sont des personnels de l’armée de l’air dotés d’une bonne connaissance des environnements déportés.
Matériel et procédure
6Pour la première étude, 2 documents ont été utilisés comme support aux entretiens avec les OSD. Le premier, adapté d’un document du bureau emploi de l’état-major de l’armée de l’air, décrit les phases effectuées lors de mission « drone MALE ». Le second document est une fiche de critères permettant de qualifier la complexité des activités réalisées : la fréquence, la criticité (gravité des conséquences en cas d’échec), la difficulté de réalisation, la difficulté d’apprentissage. Suivant les recommandations du guide d’utilisation de Fleishman et Reilly (1992/1993), les tâches ont été regroupées en composantes plus générales, dimensions significatives des séries de tâches homogènes. Les entretiens ont été menés sous forme semi-directive ; la durée moyenne était de 1 h 30. Ces entretiens ont été retranscrits, analysés, segmentés et recombinés en étapes d’activités signifiantes. La liste d’activités ainsi sélectionnées correspond aux composantes essentielles pour chaque spécialité.
7Pour la deuxième étude, dont l’objectif était d’établir les liens entre ces composantes essentielles et certaines aptitudes, nous avons utilisé le F-JAS1 (Fleishman et Reilly, 1992/1993) constitué d’une liste de 52 aptitudes relatives aux domaines cognitif, perceptif, psychomoteur et physique, et le F-JAS2 inventoriant 21 qualités relatives aux domaines interpersonnel et social (Fleishman, 1995/1998). Les 3 juges ont estimé individuellement la pertinence de faire évaluer le niveau de chaque aptitude par les OSD. Lorsqu’il y avait consensus pour les 3 juges, l’aptitude était systématiquement retenue. Si une aptitude était retenue par 1 ou 2 juges seulement, une discussion était initiée entre les 3 juges afin de décider de la pertinence de l’aptitude pour les composantes en question.
Résultats
8Dans la première étude, un descriptif des tâches réalisées par les opérateurs a été établi sous la forme d’un inventaire précisant les caractéristiques de l’activité organisée en différentes étapes. Seules les activités les plus saillantes ont été sélectionnées, comme le fait de piloter la caméra avec le joystick pour les ODV, de planifier de façon optimale les missions du système de drone pour le CT, ou la réalisation d’images en 3 dimensions avec un outil dédié pour les IP. Ces activités font toutes appel à des composantes relevant d’au moins une des 3 sphères cognitivo perceptive, interpersonnelle et intrapersonnelle.
9Deux faits majeurs ont été relevés : 1°) la coordination de l’équipage implique la réalisation de tâches communes aux 3 spécialités (ex. gérer les situations stressantes, communiquer avec un public varié), ce qui nous conduit à rechercher un ensemble d’aptitudes communes aux 3 spécialités, lié à la sphère interpersonnelle ; 2°) une variabilité interindividuelle est notable dans la réalisation d’autres tâches, spécifiques (ex. des stratégies d’action et de mémorisation diffèrent pour des opérateurs de même spécialité). Ces différences sont plus particulièrement marquées dans la sphère cognitivo perceptive.
10Ces résultats ont permis d’engager l’adaptation des questionnaires de Fleishman pour évaluer le niveau des aptitudes des 3 sphères pré-citées. Ces questionnaires doivent être adaptés à la population des OSD afin de garantir une évaluation exhaustive et valide, en réalisant une pré-sélection des aptitudes à faire mesurer. Fleishman et Reilly (1992/1993 p. 17-18) précisent qu’il est « important de noter qu’une aptitude ne devra être écartée de l’analyse qu’après mûre réflexion… Il faut donc plutôt garder des aptitudes non nécessaires qu’en rejeter à tort et laisser aux experts l’initiative d’écarter eux-mêmes celles qu’ils ne jugent pas nécessaires ».
11Dans un premier temps, nous avons listé toutes les composantes dégagées lors des entretiens avec les spécialistes en regard de la totalité des aptitudes que nous avons soumises aux 3 juges. Dans le F-JAS1, seules les aptitudes pour lesquelles les 3 juges n’avaient aucun doute ont été retirées. Au final, nous avons retenu 39 des 52 aptitudes relatives aux domaines cognitif, perceptif, psychomoteur et physique (Fleishman et Reilly, 1992/1993). Par ailleurs, afin de vérifier la présence d’un éventuel effet de désirabilité sociale, nous avons volontairement conservé des aptitudes jugées a priori peu pertinentes telles que la persuasion, l’investigation verbale : ainsi la totalité des aptitudes relatives aux domaines interpersonnel et social (Fleishman, 1995/1998) a été conservée.
Discussions, prolongements et applications
12Les résultats obtenus permettent de développer les questionnaires pour chaque spécialité OSD. Les items portent sur les aptitudes qui ont été jugées pertinentes pour les activités propres aux 3 types de poste (CT, ODV, IP) et pour les activités communes à l’équipage. L’analyse des données permettra de dresser les 3 profils d’aptitudes d’OSD et des profils par composantes de travail, en sollicitant tous les OSD de l’AA. Un accord entre les spécialistes est attendu, comme la saillance des aptitudes perceptivo cognitives (ex. la souplesse et la rapidité de structuration, l’orientation spatiale), vis-à-vis d’autres aptitudes jugées d’un niveau moindre (ex. la facilité à manier les chiffres). Le cas échéant, nous vérifierons s’il s’agit d’un effet de l’expertise et/ou du déploiement de stratégies d’actions diversifiées, l’identification des plus efficaces étant autant d’opportunités pour la formation des opérateurs. Le niveau requis des aptitudes dans des activités différentes sera analysé également. En effet, si une aptitude s’avère saillante dans plusieurs activités, elle nécessitera une attention toute particulière pour la procédure de sélection. Enfin, une comparaison des aptitudes sollicitées dans des activités propres au travail en équipage sera effectuée afin d’évaluer les points de convergences et de divergences entre les différents spécialistes de l’équipage quant au rôle crucial de la sphère interpersonnelle et conative pour les activités d’équipage. À court terme, l’analyse des données nous permettra d’orienter le choix des futures méthodes d’évaluation en fonction des aptitudes complexes. Nous nous demanderons alors comment mesurer ces aptitudes et quels seront les critères pour mesurer la performance, en vue de développer des outils de mesure valides et adaptés. Ces résultats contribueront ainsi à la construction de méthodes d’évaluation.
Bibliographie
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Références
Chartier, D. (2003). Un instrument d’analyse de poste : le F-JAS. Actualité de la formation permanente, 186, 28-30.
Fleishman, E.A. (1995/1998). Guide d’utilisation FJAS 2. Analyse de poste de Fleishman. Compétences interpersonnelles et sociales. Paris : Éditions du Centre de psychologie appliquée.
Fleishman, E.A., Quaintance, M.K., & Broedling, L.A. (1984). Taxonomies of human performance : The description of human tasks. San Diego, CA : Academic Press.
Fleishman, E.A., & Reilly, M.E. (1992/1993). Guide d’utilisation du F-JAS. Analyse de poste de Fleishman. Paris : Éditions du Centre de psychologie appliquée.
10.1016/j.erap.2003.12.006 :Leplat, J. (2004). L’analyse psychologique du travail. Revue européenne de psychologie appliquée, 54, 101-108.
Snow, R.E. (1992). Aptitude Theory : Yesterday, Today, and Tomorrow. Educational Psychologist, 27, 5-32.
Weil-barais, A. (1997). Statuts et rôle des méthodes. In A., Weil-Barais (éd). Les méthodes en psychologie (p. 23-53). Rosny sous Bois : Bréal.
Auteurs
solange.duvillard@etu.univ-provence.fr
Psychologie de la Connaissance, du Langage et de l’Émotion (Centre PsyCLÉ), Aix-Marseille Université, France.
Centre de Recherche de l’Armée de l’air (CReA), Salon de Provence, France.
julien.donnot@univ-provence.fr
Psychologie de la Connaissance, du Langage et de l’Émotion (Centre PsyCLÉ), Aix-Marseille Université, France.
pierre-yves.gilles@univ-provence.fr
Psychologie de la Connaissance, du Langage et de l’Émotion (Centre PsyCLÉ), Aix-Marseille Université, France.
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