Les différences entre hommes et femmes au Test de rotation mentale
« To guess or not to guess ? »
p. 151-155
Texte intégral
Introduction
1Le Test de rotation mentale de Vandenberg et Kuse (1978) est une épreuve d’aptitudes spatiales bien connue à cause, notamment, des différences de performance entre hommes et femmes qui y sont associées. Le Test de rotation mentale, dans sa version redessinée par Peters et al. (1995), est composé de 24 items à choix multiples. Chaque item propose une figure modèle et quatre choix de réponses parmi lesquels le sujet doit trouver deux bonnes réponses, à savoir les deux figures qui correspondent à la figure modèle. Le test est le plus souvent employé avec une limite de temps de dix minutes. En moyenne, les hommes obtiennent à ce test des résultats supérieurs aux femmes ; la taille moyenne de cet effet se situe autour de d = 0,90, c’est-à-dire autour d’une corrélation entre sexe et performance de l’ordre de 0,40.
2Certains chercheurs ont tenté d’expliquer les différences observées en termes de différences d’attitudes vis-à-vis de la tâche ou de facteurs de personnalité. Par exemple, selon Goldstein, Haldane et Mitchell (1990), la différence de performance entre hommes et femmes serait attribuable à des différences de vitesse et d’application. Bien que la suppression de la limite de temps a conduit à l’élimination de la différence de performance entre hommes et femmes dans l’étude de Goldstein et al. (1990), plusieurs autres études indiquent que la limite de temps permet d’expliquer une partie seulement de cette différence (Gallagher et Johnson, 1992 ; Shukla et Bors, 2004 ; voir aussi à ce sujet la récente méta-analyse de Voyer, 2011).
3Pour rendre compte de la différence de performance entre hommes et femmes, Voyer et Saunders (2004) ont proposé une hypothèse selon laquelle les hommes donneraient, plus que les femmes, des réponses dont ils sont incertains. C’est l’hypothèse de niveaux différentiels de « guessing3 », qui se traduirait par un plus grand nombre d’items laissés sans réponse par les femmes. Afin de tester cette hypothèse, Voyer et Saunders (2004) proposent cinq variables de performance reflétant des « patrons de réponses » indicatifs d’une tendance, ou au contraire d’une hésitation, à donner des réponses incertaines. En plus du patron où les sujets donnent les deux bonnes réponses prévues au test (la première réponse est bonne et la seconde aussi : BB), Voyer et Saunders (2004) proposent ainsi deux patrons de réponse représentant une tendance à donner des réponses incertaines : 1°) une bonne réponse et une mauvaise réponse (BM), 2°) deux mauvaises réponses (MM) et trois patrons révélateurs d’une hésitation à donner une réponse incertaine : 1°) une bonne réponse et l’absence d’une deuxième réponse (BA), 2°) une mauvaise réponse et l’absence d’une deuxième réponse (MA), 3°) l’absence complète de réponse (AA).
4Les résultats des analyses effectuées par Voyer et Saunders (2004) en fonction de ces patrons de réponses étant équivoques, parfois conformes au modèle et révélant un effet du genre pour certaines variables, parfois non, l’objectif principal de la présente étude est de vérifier sur de nouvelles données l’hypothèse de niveaux différentiels de tendance à donner des réponses incertaines (« guessing ») à l’aide des variables proposées par Voyer et Saunders (2004).
Méthode4
5Un échantillon de 624 étudiants universitaires (407 femmes et 217 hommes) âgés de 17 à 58 ans (M = 21, ET = 4,3) ont répondu au Test de rotation mentale.
6Le Test de rotation mentale comprend 24 items semblables à celui présenté à la Figure 1. Les sujets ont dix minutes pour compléter l’épreuve. Les instructions insistent sur l’importance de répondre à la fois rapidement et avec justesse, et visent à décourager les réponses au hasard.
Fig. 1. Un exemple d’item du Test de rotation mentale.
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7Les sujets ont été testés en groupes de 30 à 70 personnes et étaient prévenus lorsqu’il restait dix, puis deux minutes.
Résultats
8Il y a une différence significative entre la performance des hommes (M = 14,9 ; ET = 6,1 ; Asymétrie = -0,4) et celle des femmes (M = 9,7 ; ET = 5,3 ; Asymétrie = 0,5) au Test de rotation mentale (t (395,5) = 10,6, p < 0,05 (t ajusté pour l’hétérogénéité de la variance). La taille d’effet du genre, exprimée en d de Cohen, est de 0,91.
9Les statistiques descriptives pour les cinq variables de patrons de réponses définies par Voyer et Saunders (2004) sont présentées au tableau 1. Globalement, la fidélité de ces variables est faible, et plusieurs des indices d’asymétrie (AS) et d’aplatissement (AP) qui y sont associés présentent des valeurs excessives. Dans ces conditions adverses de non-respect des hypothèses d’utilisation de la corrélation, la relation entre genre et performance est difficile à établir ; d’ailleurs, toutes les corrélations sont de faible amplitude, même si certaines atteignent le seuil de significativité statistique en raison des grands effectifs.
Tableau 1. Statistiques descriptives des hommes et des femmes pour chaque patron de réponse proposé par Voyer et Saunders (2004).
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Note. Les fidélités (méthode de bissection) sont indiquées entre parenthèses. r = corrélation entre le score et le sexe. AS = asymétrie, AP = aplatissement, BM = une bonne réponse et une mauvaise réponse, MM = deux mauvaises réponses, BA = une bonne réponse et l’absence d’une deuxième réponse, MA = une mauvaise réponse et l’absence d’une deuxième réponse, AA = l’absence complète de réponse.
10Les variables de patrons de réponse proposés par Voyer et Saunders (2004) présentent des limites importantes dans cet échantillon. En effet, le calcul de ces variables de proportion dont le dénominateur peut être aussi petit que 1 chez certains sujets et aussi grand que 24 chez d’autres conduit à des résultats très instables, comme l’indiquent les coefficients de fidélité obtenus (voir le tableau 1). Aussi insatisfaisantes qu’elles soient, les valeurs rapportées dans ce tableau ne révèlent pas toute l’étendue des problèmes associés aux variables de patrons de réponse. Par exemple : la variable BM, qui a une bonne fidélité, présente une distribution extrêmement non-normale (en forme de U, tant chez les hommes que chez les femmes).
11Compte tenu des limites des variables proposées par Voyer et Saunders (2004), deux nouvelles variables ont été créées afin de vérifier l’hypothèse de la tendance à donner des réponses incertaines tout en évitant les problèmes liés à la forme des distributions et à la fidélité : une variable qui regroupe les patrons de réponses à erreurs de commission5 (BM et MM), et une autre qui regroupe les patrons à erreurs d’omission (BA, MA, AA). Afin de contrôler l’effet de la limite de temps et son impact sur le nombre d’items laissés sans réponse, chacune des deux nouvelles variables est standardisée, pour chaque sujet, en fonction du nombre d’items complétés. Ces scores de proportions ont une fidélité dans l’ensemble meilleure que celle des variables proposées par Voyer et Saunders (2004). Leur relation avec le genre est, encore une fois, modeste : les deux types d’erreurs présentent une corrélation semblable avec le genre, relation dont la taille correspond à un d de Cohen d’environ 0,50.
Tableau 2. Statistiques descriptives des hommes et des femmes pour les erreurs de commission et les erreurs d’omission.
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Note. Les fidélités (méthode de bissection) sont indiquées entre parenthèses. r = corrélation entre le score et le genre.
Discussion
12La taille de l’effet du genre rapporté dans la présente étude (d = 0,91) est semblable à ce qui est typiquement rapporté pour le Test de rotation mentale. L’utilisation d’un plan d’analyse à six catégories de patrons de réponses – les variables proposées par Voyer et Saunders –, sur un test qui ne compte que 24 items, résulte en un trop petit nombre d’observations par catégorie. Les fidélités de faible magnitude et les distributions non gaussiennes causées par cette catégorisation excessive ont été améliorées en réduisant les patrons de réponses à deux variables : erreurs de commission et erreurs d’omission, variables qui tiennent en outre compte, par la standardisation des erreurs en fonction du dernier item complété, des items laissés sans réponse par manque de temps.
13À la suite de ces modifications et conformément aux hypothèses de Voyer et Saunders (2004), la présente étude indique que les femmes commettent, proportionnellement, plus d’erreurs d’omission que les hommes, et ce indépendamment du nombre d’items laissés sans réponse en fin de test. Cependant, ce sont aussi les femmes qui font le plus d’erreurs de commission. Ainsi, les résultats relatifs à la tendance à donner des réponses incertaines sont équivoques, les femmes commettant, davantage que les hommes, plus d’erreurs des deux types.
14De façon générale, il apparaît douteux que la question des différences de performance entre hommes et femmes au Test de rotation mentale puisse être résolue uniquement par le biais d’analyses de données de patrons de réponses de l’épreuve elle-même. Le recours à des données extérieures au test – des évaluations de la confiance vis-à-vis des réponses données, par exemple – pourrait être envisagé dans des recherches futures.
Bibliographie
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Références
Gallagher, S.A., & Johnson, E.S. (1992). The effect of time limits on performance of mental rotations by gifted adolescents. Gifted Child Quarterly, 36, 19-22.
10.1006/brcg.1995.1032 :Peters, M., Laeng, B., Latham, K., Jackson, M., Zaiyouna, R. & Richardson, C. (1995). A redrawn Vandenberg and Kuse mental rotations test : Different versions and factors that affect performance. Brain and Cognition, 28, 39-58.
Shukla, S., et Bors, D.A. (2004). Gender differences on the Mental Rotation Test : Psychometric and experimental comparisons. XIVe Congrès annuel de la Société canadienne des sciences du cerveau, du comportement et de la cognition, Saint-Jean (Terre-Neuve).
Vandenberg, S.G., & Kuse, A.R. (1978). Mental Rotations, a group test of three-dimensional spatial visualization. Perceptual and Motor Skills, 47, 599-604.
10.3758/s13423-010-0042-0 :Voyer, D. (2011). Time limits and gender differences on paper-and-pencil tests of mental rotation : A meta-analysis. Psychonomic Bulletin and Review, 18, 267-277.
Voyer, D., & Saunders, K.A. (2004). Gender differences on the mental rotation test : A factor analysis. Acta Psychologica, 117, 79-94.
Notes de bas de page
3 Nous utilisons le terme « guessing » pour signifier « le choix d’une réponse, un peu au hasard, sans savoir s’il s’agit de la bonne réponse, et sans y accorder trop d’importance ». Bien que plusieurs termes aient été proposés en français (devinette, pari, conjecture, pseudochance, etc.) aucun d’eux ne semble constituer un équivalent adéquat.
4 Les données rapportées ici ont déjà fait l’objet d’autres publications, dont : Caissie, A., Vigneau, F., et Bors, D. A. (2009), What does the Mental Rotation Test measure ? An analysis of item difficulty and item characteristics. The Open Psychology Journal, 2, 94-102 ; Caissie, A. F. (2010). Analyse d’un test d’aptitudes spatiales – Le Test de rotation mentale. Sarrebruck : Éditions universitaires européennes ; Caissie, A. F., et Vigneau, F. (2010). Le Test des Rotations mentales. Caractéristiques d’items et différences individuelles. In A. de Ribaupierre et al. (dir.), Identité et spécificités de la psychologie différentielle (p. 75-80). Rennes : Presses universitaires de Rennes ; Bors, D. A., et Vigneau, F. (2011). Sex differences on the mental rotation test : An analysis of item types. Learning and Individual Differences, 21, 129-132. Les analyses de patrons de réponses présentées ici le sont, elles, pour la première fois.
5 Les erreurs de « commission » s’opposent aux erreurs d’omission : les premières sont le fruit d’une action (commise), les secondes résultent d’une absence d’action.
Auteurs
bors@scar.utoronto.ca
Département de psychologie, Université de Toronto à Scarborough, Toronto, Canada.
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