Sélection stratégique, exécution stratégique et différences inter- et intra-individuelles en mémoire épisodique
p. 139-143
Texte intégral
Introduction
1Les individus disposent d’un catalogue de stratégies facilitant l’apprentissage dans des épreuves de mémoire épisodique. Dans une épreuve d’apprentissage de paires de mots, par exemple, les individus peuvent utiliser les stratégies suivantes : répétition, génération de phrase ou imagerie. Ici, nous allons nous intéresser tout particulièrement à la stratégie d’imagerie qui est généralement la stratégie la plus efficace et la stratégie la plus utilisée par les jeunes adultes dans ce type d’épreuve (Richardson, 1998).
2La sélection stratégique correspond au type de stratégie utilisée par un individu. La sélection de la stratégie d’imagerie peut être mesurée en comptant le nombre d’items pour lesquels l’individu mentionne avoir appliqué une stratégie d’imagerie (Dunlosky et Hertzog, 1998). L’exécution stratégique correspond à la capacité d’un individu à utiliser une stratégie (Lemaire et Siegler, 1995 ; Reuchlin, 1978). L’exécution de la stratégie d’imagerie peut être mesurée en évaluant la qualité des images mentales produites. Il existe des différences inter- et intra-individuelles sur ces deux variables stratégiques (sélection et exécution stratégique de l’imagerie). Ainsi, dans une épreuve d’apprentissage de paires de mots, les individus diffèrent sur la fréquence à laquelle ils utilisent la stratégie d’imagerie et sur la qualité des images qu’ils génèrent. De même, si l’on administre à plusieurs reprises une épreuve d’apprentissage de paire de mots aux mêmes individus, le nombre d’items pour lesquels ils appliquent la stratégie d’imagerie va varier tout comme la qualité des images qu’ils créent.
3Le but de cette recherche est de déterminer si les deux variables stratégiques décrites plus haut permettent de rendre compte des différences inter- et intra-individuelles dans le nombre de mots correctement rappelés lors d’une épreuve d’apprentissage de paires de mots.
4De nombreux travaux ont déjà montré que les différences interindividuelles en mémoire épisodique sont en partie liées aux différences interindividuelles dans la fréquence d’utilisation de la stratégie d’imagerie (voir notamment Richardson, 1978). Les travaux ayant montré que la capacité à générer des images vivaces corrèle avec la performance en mémoire épisodique (McKelvie et Demers, 1979) sont en revanche moins nombreux. En ce qui concerne les différences interindividuelles dans le nombre de mots mémorisés, nous faisons l’hypothèse qu’elles sont liées aussi bien aux différences interindividuelles dans la sélection de la stratégie d’imagerie qu’aux différences interindividuelles dans la qualité des images générées.
5Coyle (2001) a montré qu’il existe une variabilité intra-individuelle importante dans la sélection stratégique dans les épreuves de mémoire épisodique. Dans une épreuve d’apprentissage de paires de mots, la stratégie d’imagerie est beaucoup plus efficace que la stratégie de répétition. Cela signifie que des variations dans le type de stratégies utilisées peuvent s’accompagner de variations de performances importantes. Ainsi, nous faisons l’hypothèse que les différences intra-individuelles dans le nombre de mots correctement mémorisés sont liées avant tout aux différences intra-individuelles dans la sélection de la stratégie d’imagerie.
Méthode
Participants
6L’échantillon est composé de 41 jeunes adultes (M = 22,98 ans, ET = 5,47 ; 95 % de femmes).
Matériel
7Quatre listes de 25 paires de mots ont été créées avec les contraintes suivantes : tous les mots sont concrets et d’usage courant dans la langue française. Il s’agit de mots composés de deux ou trois syllabes. Toutes les paires ont été constituées afin que les deux mots ne débutent pas par la même lettre, n’appartiennent pas à la même catégorie sémantique et ne puissent pas être associés de manière trop évidente. Les listes de paires de mots ont été égalisées sur la valeur moyenne d’imagerie et sur la valeur moyenne de la fréquence d’apparition dans la langue française des mots-indices (mots de gauche) et des mots-cibles (mots de droite).
Procédure
8Deux séances en passation individuelle ont eu lieu à environ une semaine d’intervalle. Lors de chaque séance, les participants ont réalisé une tâche informatisée d’apprentissage de paires de mots en présentation visuelle, tout d’abord en condition de stratégie libre puis en condition de stratégie d’imagerie2. Dans la condition de stratégie libre, ils ont mémorisé une série de 25 paires de mots en indiquant la stratégie utilisée après chaque paire de mot en appuyant sur une touche (1 = répétition, 2 = imagerie, 3 = génération de phrase, 4 = autre stratégie, 5 = aucune stratégie). Dans la condition de stratégie d’imagerie, ils ont mémorisé une série de 25 paires de mots en utilisant la stratégie d’imagerie pour chaque paire de mot. Ils ont également indiqué à quel point l’image générée leur paraissait claire et vivace en appuyant sur une touche de 1 à 5 (1 = aucune image générée, 5 = image parfaitement claire). Dans les deux conditions, le rythme de présentation a été de quatre secondes par paire. Les participants ont été priés d’indiquer le plus rapidement possible la stratégie utilisée dans la condition libre et la qualité de l’image générée dans la condition de stratégie d’imagerie. Lors du rappel, qui s’est fait sous la forme d’un rappel indicé, les participants ont eu au maximum dix secondes pour donner oralement le mot-cible associé au mot-indice présenté à l’écran.
Résultats
9Dans la condition de stratégie libre, les participants ont mémorisé en moyenne sur les deux séances 16,3 mots (ET = 4,8) et ont appliqué la stratégie d’imagerie sur 14,2 mots (ET = 6,6). Dans la condition de stratégie d’imagerie, les participants ont donné en moyenne une valeur de 3,5 pour la qualité des images générées (ET = 0,6). En ce qui concerne la variabilité intra-individuelle, des scores de différences ont été calculés entre 1°) le nombre de mots correctement rappelés à la deuxième séance et le nombre de mots correctement rappelés à la première séance dans la condition libre, 2°) le nombre d’items étudiés à l’aide de la stratégie d’imagerie à la deuxième séance et le nombre d’items étudiés à l’aide de la stratégie d’imagerie à la première séance en condition libre, 3°) la qualité moyenne des images générées à la deuxième séance et la qualité moyenne des images générées à la première séance dans la condition de stratégie d’imagerie. Les corrélations entre les scores moyens apparaissent en dessous de la diagonale dans le Tableau 1 et les corrélations entre les scores de différences apparaissent au-dessus de la diagonale dans le Tableau 1.
10On remarque ainsi que le nombre moyen de paires de mots correctement rappelées dans la condition de stratégie libre corrèle avec le nombre moyen d’items pour lesquels une stratégie d’imagerie a été choisie, ainsi qu’avec la qualité moyenne des images générées dans la condition d’imagerie. D’une part, cela signifie que plus les individus utilisent la stratégie d’imagerie, plus ils rappellent de mots corrects. D’autre part, plus ils génèrent des images mentales claires et vivaces, plus ils rappellent de mots corrects. Par contre, la variation dans le nombre de mots correctement rappelés corrèle uniquement avec la variation dans le nombre d’items étudiés à l’aide de la stratégie d’imagerie.
11Afin de préciser l’importance respective des deux variables stratégiques dans le nombre de mots correctement rappelés au niveau inter- et intra-individuel, nous avons conduit deux analyses de régression. Dans la première (niveau interindividuel), nous avons examiné l’implication du nombre moyen d’items étudiés à l’aide de la stratégie d’imagerie et de la qualité moyenne des images générées sur le nombre moyen de mots correctement rappelés dans la condition libre. Ces deux variables stratégiques expliquent 39,8 % de la variance dans le nombre moyen de mots correctement rappelés, F (2,38) = 12,54, p < 0,001. Toutefois, seul l’indice de la qualité moyenne des images présente une contribution significative (β = 0,57), t (38) = 3,85, p < 0,001.
12Dans la seconde analyse de régression (niveau intra-individuel), nous avons examiné l’implication de la variation dans le nombre d’items étudiés à l’aide de la stratégie d’imagerie et de la variation dans la qualité des images générées sur la variation dans le nombre de mots correctement rappelés entre la session 2 et la session 1. Les deux variables stratégiques expliquent 21 % de la variance de la différence du nombre de mots correctement rappelés dans la condition libre, F (2,38) = 5,04, p < 0,05. Toutefois, seul l’indice de variation dans le nombre d’items étudiés à l’aide de la stratégie d’imagerie présente une contribution significative (β = 0,39), t (38) = 2,624, p < 0,05.
Tableau 1. Corrélations entre le nombre de mots correctement rappelés, le nombre d’items mémorisés à l’aide de la stratégie d’imagerie et la qualité des images générées.
Nb mots rappelés | Nb items étudiés à l’aide de l’imagerie | Qualité des images | |
Nb mots rappelés | , 43** | , 26 | |
Nb items étudiés à l’aide de l’imagerie | , 40** | , 22 | |
Qualité des images | , 62** | , 52** |
NB : Les corrélations entre les scores moyens se situent en dessous de la diagonale et les corrélations entre les scores de différences se situent au-dessus de la diagonale. **p < 0,01
Conclusion
13Cette étude montre que ce ne sont pas les mêmes variables stratégiques qui prédisent les différences interindividuelles ou la variabilité intra-individuelle en mémoire épisodique. Pour rappel, la sélection stratégique a été mesurée à l’aide du nombre d’items sur lesquels un individu applique la stratégie d’imagerie alors que l’exécution stratégique a été mesurée à l’aide de la qualité des images générées. Les différences interindividuelles dans le nombre de mots correctement rappelés sont liées à la fois à la sélection de l’imagerie et à l’exécution de cette stratégie. La corrélation observée entre sélection et exécution de la stratégie d’imagerie suggère que les individus qui choisissent le plus souvent d’utiliser la stratégie d’imagerie sont ceux qui créent les images mentales les plus vivaces. Cela pourrait expliquer pourquoi l’indice de sélection stratégique ne permet pas de prédire les performances en mémoire épisodique une fois que l’on a contrôlé pour les différences interindividuelles dans la qualité des images générées.
14Au niveau de la variabilité intra-individuelle, l’importance des deux variables stratégiques s’inverse. Les individus qui varient dans le nombre de mots correctement rappelés varient également dans le nombre d’items étudiés à l’aide de la stratégie d’imagerie. Par contre, la variation dans la qualité des images créées n’est pas liée à la variation dans le nombre de mots correctement rappelés.
Bibliographie
Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références bibliographiques par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition. Ces références bibliographiques peuvent être téléchargées dans les formats APA, Chicago et MLA.
Format
- APA
- Chicago
- MLA
Cette bibliographie a été enrichie de toutes les références bibliographiques automatiquement générées par Bilbo en utilisant Crossref.
Références
10.1006/jecp.2000.2578 :Coyle, T.R. (2001). Factor analysis of variability measures in eight independent samples of children and adults. Journal of Experimental Child Psychology, 78, 330-358.
Dunlosky, J., & Hertzog, C. (1998). Aging and deficits in associative memory : what is the role of strategy production ? Psychology and Aging, 13, 597-607.
Lemaire, P., & Siegler, R.S. (1995). Four aspects of strategic change : Contributions to children’s learning of multiplication. Journal of Experimental Psychology : General, 124, 83-97.
Mckelvie S.J., & Demers E.G. (1979). Individual differences in reported visual imagery and memory performance. British Journal of Psychology, 70, 51-57.
Reuchlin, M. (1978). Processus vicariants et différences individuelles. Journal de Psychologie, 2, 133-145.
10.3758/BF03197469 :Richardson, J.T.E. (1978). Reported mediators and individual differences in mental imagery. Memory & Cognition, 6, 376-378.
Richardson, J.T.E. (1998). The availability and effectiveness of reportedmediators in associative learning : A historical review and an experimental investigation. Psychonomic Bulletin & Review, 5, 597-614.
Notes de bas de page
2 Deux autres conditions de stratégies imposées, stratégie de répétition et stratégie de génération de phrase, ont été administrées aux participants. Comme le but de ce chapitre est de nous centrer sur la stratégie d’imagerie, nous n’en ferons pas mention dans la suite du texte.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Vive(nt) les différences
Ce livre est diffusé en accès ouvert freemium. L’accès à la lecture en ligne est disponible. L’accès aux versions PDF et ePub est réservé aux bibliothèques l’ayant acquis. Vous pouvez vous connecter à votre bibliothèque à l’adresse suivante : https://0-freemium-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/oebooks
Si vous avez des questions, vous pouvez nous écrire à access[at]openedition.org
Référence numérique du chapitre
Format
Référence numérique du livre
Format
1 / 3