Introduction

1L’objectif de cette recherche est d’examiner, chez les adultes âgés de 85 ans, les rapports entre les variations interindividuelles liées aux temps pour reproduire un modèle visuospatial à l’aide de cubes, les variations stratégiques et les variations interindividuelles liées à l’efficience du fonctionnement exécutif.

2L’ensemble des opérations ou processus mentaux nécessaire à l’exécution de comportements finalisés, mis en œuvre lors de situations nouvelles et complexes, est sous la dépendance du fonctionnement exécutif de l’individu (Miyake, Friedman, Emerson, Witzki, Howerter & Wager, 2000). Notre intérêt s’est porté sur les fonctions de bas niveau correspondant aux ressources cognitives nécessaires à la mise en œuvre des fonctions de haut niveau. Ces premières se composent de trois fonctions. La flexibilité correspond à la capacité de passer d’une tâche à une autre ou d’une stratégie à une autre. La mise à jour consiste à contrôler et manipuler les informations entrant en mémoire de travail. L’inhibition correspond à la capacité d’inhiber volontairement la réponse spontanée, au profit d’une autre réponse si la tâche le requiert.

3Lorsqu’on parle de variations d’ordre stratégique, une distinction s’opère entre le répertoire, la sélection, la distribution et l’exécution stratégique (Lemaire & Siegler, 1995). Le répertoire est l’ensemble des procédures ou processus mentaux nécessaire pour atteindre un but. La sélection stratégique correspond au choix effectué par l’individu pour résoudre le problème. Ce choix peut être constant ou différé d’un item à l’autre, d’un individu à l’autre, d’un groupe d’âge à un autre. L’étude des distributions stratégiques est donc indispensable. L’exécution stratégique correspond soit au nombre d’éléments pouvant être correctement restitués, soit au temps mis pour reproduire un modèle, lorsque celui-ci est reproduit dans sa totalité.

4Pour l’épreuve des cubes de Kohs, le répertoire se compose de trois stratégies de construction : globale, analytique, synthétique. Les résultats de la recherche de Rozencwajg (1991) montrent que les stratégies de type synthétique et analytique permettent de reconstruire le modèle plus rapidement que la stratégie globale. L’analyse des distributions stratégiques, réalisée auprès de jeunes adultes, précise que la stratégie synthétique est majoritairement utilisée en comparaison des deux autres. Toutefois, sous l’effet de l’avancée en âge, d’importantes modifications apparaissent (Rozencwajg, Cherfi, Ferrandez, Lautrey, Lemoine, Loarer, 2005). Les adultes, âgés en moyenne de 50 ans, utilisent beaucoup plus fréquemment les stratégies de type analytique et global et de façon moindre celle de type synthétique. Ce phénomène se traduit par un allongement et une plus grande variabilité dans les temps d’exécution.

5Notre objectif principal est d’étudier les relations entre l’efficience du fonctionnement exécutif, l’exécution stratégique en prenant en considération la sélection stratégique des adultes âgés. Nous avons procédé en trois étapes. La première réside dans l’étude de la relation entre les variations interindividuelles dans les temps d’exécution mis à reproduire un modèle à l’aide de cubes et l’efficience des fonctions exécutives. La seconde étape réside dans l’étude du répertoire, des distributions et des temps d’exécution stratégiques. Compte tenu de l’évolution liée à l’âge des distributions (Rosencwajg et al., 2005), nous suggérons une diminution du répertoire stratégique, pouvant se traduire par l’absence de la stratégie synthétique. Complémentairement, les durées d’exécution ont été étudiées en fonction de la sélection stratégique effectuée par les participants. Nous nous attendons à ce que le temps de reproduction du modèle soit plus important pour une stratégie globale comparé à ceux des autres stratégies. La troisième étape met en relation l’efficience du fonctionnement exécutif et la sélection stratégique des participants.

Expérience

Sujets

6Les performances de 15 femmes et 5 hommes, âgés en moyenne de 85,2 ans (ET = 4,94 mois) présentent un score supérieur à 24 points au MMSE. Ces participants, non institutionnalisés, ne sont pas sous l’influence de traitements médicamenteux susceptibles d’altérer leurs performances à des tâches cognitives.

Matériel et Procédure

7La « flexibilité » est évaluée à l’aide de trois épreuves (Jersild, 1927). Chaque épreuve comporte une liste aléatoire de 32 nombres à deux chiffres. La première épreuve (T1) invite le participant à ajouter 3 à chaque nombre. La seconde (T2) invite le participant à soustraire 3 à chaque nombre. Pour la troisième épreuve (T3), le participant doit alterner l’addition et la soustraction d’un nombre à l’autre. L’indice de flexibilité est obtenu par la formule suivante à Ind F = T3 – ½ (T1 + T2).

8La « mise à jour » est évaluée par une tâche de rappel ordonné des trois dernières lettres d’une série de lettres (Morris & Jones, 1990). L’épreuve est composée de 12 séries lesquelles varient en fonction du nombre de lettres présentées (5 ; 7 ; 9 ; 11). Les trois dernières lettres correctement rappelées sont codées un point. Le score correspond à la somme des points.

9L’« inhibition » est évaluée à l’aide de trois épreuves (Stroop, 1935). La première (T1) invite le participant à nommer les couleurs d’impression d’une liste de croix. La seconde (T2) invite à nommer une liste de mots imprimés en noir. La troisième (T3) invite à nommer les couleurs d’impression d’une liste de mots (bleu, vert, rouge), indépendamment de son contenu sémantique. Les participants sont invités, pendant 45 secondes, à effectuer le plus rapidement possible chacune des épreuves. L’indice d’inhibition est obtenu par la formule suivante : Ind Inh = T3 - ½ (T1 + T2).

10La tâche informatisée « SAMUEL » consiste à reproduire un modèle à l’aide de neuf cubes (Rozencwajg, Corroyer & Altman, 2001). Dans cette étude sont pris en compte les temps de réalisation à l’item 7, ainsi que les stratégies de construction : synthétique (construction par identification de gestalt), analytique (construction linéaire, sans identification spatiale entre les blocks), globale (construction pas à pas par une procédure d’essais et d’erreurs).

Résultats

11Quatre résultats ressortent de nos analyses.

1. L’analyse de régression linéaire pas à pas descendante indique que 39,86 % des variations des temps mis à reproduire correctement l’item 7 (moyenne = 582 sec ; ET = 69) sont significativement liées à l’efficience de la fonction de mise à jour (βêta = - 0,54). Aux étapes précédentes, les contributions de l’inhibition et de la flexibilité ne sont pas significatives.
2. Les études effectuées sur le répertoire et les distributions stratégiques des adultes âgés précisent que la stratégie synthétique n’est pas mise en œuvre. En revanche, 5 adultes utilisent la stratégie analytique, alors que 15 adultes privilégient la stratégie globale.
3. Par ailleurs, les adultes utilisant la stratégie analytique résolvent significativement plus rapidement (moyenne = 448 sec ; ET = 78) que ceux préférant la stratégie globale (moyenne = 591 sec ; ET = 48) (t (18) = 3,80 ; p <0,01 ; d = 2,97).
4. Enfin, la comparaison des deux groupes d’adultes âgés précise que les participants privilégiant la stratégie analytique présentent une efficience de mise à jour (moyenne = 9,4 ; ET = 1,51) significativement supérieure à celle des participants préférant mettre en œuvre la stratégie globale (moyenne = 7,33 ; ET = 1,75), (t (18) = 2,34 ; p <0,05 ; d = 1,18). Cette différence n’apparaît pas significativement pour les autres fonctions.

Discussion

12Trois résultats principaux ressortent de nos analyses. Le premier indique une relation linéaire inverse entre le temps de réalisation et l’efficience du fonctionnement exécutif. Ce résultat semble indiquer que l’allongement du temps est lié à une moindre efficience du système exécutif. Ce résultat est conforme à ceux observés dans de nombreuses activités cognitives, telles la mémoire ou la résolution de problèmes. Cependant, celui-ci reste difficilement interprétable à ce stade de l’analyse. Tout au plus, nous pouvons suggérer que ces variations de temps correspondant à l’exécution d’un ensemble des procédures diverses et variées et que celles-ci sont spécifiquement liées à la fonction de mise à jour.

13En vue d’étudier les variations stratégiques, une seconde analyse a été effectuée. Les résultats indiquent une modification du répertoire stratégique des adultes âgés de 85 ans puisque la stratégie synthétique n’est plus utilisée. L’analyse des distributions des stratégies utilisées indique des différences interindividuelles. La stratégie globale est plus fréquemment privilégiée à celle de type analytique. Ces deux résultats sont conformes au prolongement hypothétique des données de recherche effectuée dans ce cadre (Rosencwajg et al., 2005). Celles-ci suggéraient cette évolution possible des distributions stratégiques entre les distributions obtenues par des jeunes adultes et celles obtenues par des adultes âgés de 47 à 57 ans. Pour compléter notre analyse, notre intérêt s’est particulièrement porté sur l’exécution des deux stratégies utilisées. Les résultats confirment que la mise en œuvre d’une stratégie de type globale nécessite plus de temps pour reproduire le modèle que celle de type analytique. Ce résultat semble intéressant si on le rapproche de celui précédemment obtenu sur les variations d’efficience du fonctionnement exécutif. En effet, il semblait envisageable de suggérer un possible rapport entre une durée plus importante dans l’exécution de stratégie globale et l’inefficience du fonctionnement exécutif et par ailleurs, une durée moins importante dans l’exécution de stratégie analytique et l’efficience du fonctionnement exécutif des adultes âgés.

14Les résultats de la troisième analyse semblent confirmer notre hypothèse. En effet, les participants privilégiant la stratégie analytique et mettant par conséquent moins de temps à reproduire le modèle, présentent une efficience dans la mise à jour supérieure à celle de ceux privilégiant la stratégie globale.

15Des travaux sont actuellement entrepris chez les jeunes adolescents pour confirmer et approfondir cette hypothèse. L’efficience du fonctionnement exécutif au sein d’un groupe d’âge pourrait influer sur les préférences stratégiques.