Vieillissement, caractéristiques individuelles des conducteurs et variations journalières de l’attention
p. 127-132
Texte intégral
Introduction
1La conduite est une tâche soumise à des contraintes temporelles exigeant du conducteur le maintien d’un haut niveau de vigilance et d’une attention soutenue. En ce sens, pendant la conduite, il faut à chaque instant et avec précision faire des gestes adaptés aux circonstances et à l’environnement (attention maintenue), se concentrer sur la sélection des informations les plus pertinentes à la conduite (attention sélective) et enfin, détecter en même temps la présence, la vitesse et la direction d’un objet dans l’environnement (attention divisée). L’ensemble des travaux, qu’il s’agisse d’études chrono-psychologiques ou chronobiologiques, conviennent que les capacités cognitives, et plus précisément les performances attentionnelles, ne sont pas stables mais fluctuent selon des périodicités diverses (Leconte et Lambert, 1990 ; Testu, 2008). Dans le domaine de la conduite automobile, ces fluctuations sont solidement documentées par de nombreuses études accidentologiques ou expérimentales, indiquant qu’il existe des périodes où l’on constate un pic accru d’accidents, et où le niveau d’attention s’abaisse pour des raisons chronobiologiques ou physiologiques de somnolence (Haraldsson, 1990 ; Folkard, 1997 ; Méité, Testu, Tano, 2010). Si le caractère rythmique de ces performances attentionnelles et de conduite paraît confirmé, il y a cependant relativement peu de données ayant pris en compte, à notre connaissance, les caractéristiques individuelles dans l’étude de cette rythmicité. Pourtant, de plus en plus d’auteurs s’accordent à reconnaître que l’âge, le sexe et la typologie matinalité/vespéralité entretiennent des liens privilégiés avec les profils journaliers des processus attentionnels (Horne, 2000 ; Goel, 2005 ; Janvier et Testu, 2005). Une lecture attentive de ces différents travaux a permis de comprendre que les variations journalières de l’attention se modifient avec l’âge : les plus jeunes montrent davantage de variations dans leurs performances journalières. De plus, les études neurophysiologiques, qui distinguent les matinaux et les vespéraux par leurs horaires préférentiels de sommeil, laissent à penser que la conduite nocturne, pour une personne « du matin », ou diurne pour une personne « du soir », imposerait un effort supplémentaire d’adaptation pouvant être à l’origine d’un surcroît de fatigue, source d’une baisse de la fiabilité du conducteur. L’étude proposée s’inscrit donc dans le cadre des recherches portant sur les variations de l’attention dans les transports. Elle a pour objectif de montrer, dans une perspective développementale et différentielle, l’impact du moment de la journée sur les performances attentionnelles selon l’âge, le sexe et le chronotype des conducteurs.
Méthode
Participants
2Quatre-vingt-dix conducteurs, répartis selon les caractéristiques individuelles étudiées, ont participé à cette étude :
3Âge : 30 adultes jeunes (20-29 ans ; ET : 2,8) ; 30 adultes d’âge moyen (30-59 ans ; ET : 8,7) et 30 adultes âgés (+ 60 ans- ; ET : 4,7). Sexe : 45 femmes (M : 45,4 ans ; ET : 18,1) et 45 hommes (M : 43,5 ans ; ET : 17,7) ; chaque groupe étant composé de 15 adultes jeunes, 15 adultes d’âge moyen et de 15 adultes âgés). Typologie : 35 matinaux (du matin ou « Morning type ») ; 16 vespéraux (du soir ou « Evening type ») et 39 neutres (intermédiaires).
Matériel et procédure
4Le test de barrage de nombres est une tâche perceptivo-motrice qui permet de mettre en évidence l’évolution journalière de performances attentionnelles. Les feuilles de barrage comportent chacune 600 nombres de 1 à 5 chiffres disposés en 36 lignes. Après une phase de pré-test, les épreuves sont administrées individuellement aux conducteurs, à différents moments de la journée : début de matinée (8 heures), fin de matinée (11 heures), début d’après-midi (14 heures), fin d’après-midi (17 heures). Chaque participant a une minute pour barrer le plus rapidement possible tous les nombres de 3 chiffres. Il est accordé un point pour chacune des 187 cibles correctement détectées. Le questionnaire de typologie de Horne et d’Östberg a permis d’identifier le chronotype des participants : matinaux, vespéraux et neutres.
Résultats
Niveaux et variations journalières de l’attention selon l’âge
5L’analyse de variance montre, moment après moment, que les adultes jeunes présentent une plus forte élévation de l’attention en fin d’après-midi [η2 = 0,09, F (1,78) = 7, 41, p < 0,01, après une stabilité depuis le début de la matinée jusqu’en début d’après-midi, contrairement aux performances des adultes d’âge moyen et des adultes âgés qui restent stables toute la journée. Lorsque nous comparons les niveaux de performances pour chaque tranche d’âge, l’analyse de variance effectuée montre, quel que soit le moment de la journée, que les adultes jeunes font plus attention que les adultes d’âge moyen qui, eux-mêmes, sont plus attentifs que les adultes âgés : [début de matinée : η2 = 0,36 ; F (2,78) = 22,01, p < 0,01 ; fin de matinée : η2 =0,23 ; F (2,78) = 11,71, p < 0,01 ; début d’après-midi : η2 = 0,22 ; F (2,78) = 11,10, p < 0,01 ; fin d’après-midi : η2 = 0,34 ; F (2,78) = 20,46, p < 0,01] (Figure 1).
Fig. 1. Niveaux des performances journalières attentionnelles des adultes jeunes, des adultes d’âge moyen et des adultes âgés selon le moment de la journée

Niveaux et variations journalières de l’attention selon le sexe
6Toutes tranches d’âge confondues, l’effet de l’interaction sexe et moment de passation n’est que marginalement significatif, indiquant que les profils journaliers de performances attentionnelles des femmes et des hommes diffèrent très peu (Figure 2). Cette différence légère se constate en fin de matinée [η2 = 0,07, F (1,82) = 6.10, p < 0,02] et en fin d’après-midi [η2 = 0,05 ; F (1,82) = 3.92, p = 0,05]. Les performances attentionnelles des hommes connaissent une baisse légère entre le début et la fin de matinée, puis restent stables durant l’après-midi. Contrairement aux hommes, les performances attentionnelles des femmes progressent légèrement entre le début et la fin de matinée, puis restent stables jusqu’en début d’après-midi pour croître ensuite en fin d’après-midi [η2 = 0,08 ; F (1,82) = 6.67, p < 0,01]. Nous pouvons ainsi constater deux pics pour les femmes (fin de matinée et fin d’après-midi) et deux également pour les hommes (début de matinée et fin d’après-midi) – Figure 2.
Fig. 2. Niveaux des performances journalières attentionnelles des hommes et des femmes selon le moment de la journée.

Niveaux et variations journalières de l’attention selon la typologie matinalité/vespéralité
7Les performances attentionnelles varient différemment au cours de la journée, selon la typologie des conducteurs. Les performances des matinaux et des neutres présentent une stagnation toute la journée, contrairement à celles des vespéraux qui, après une stabilité dans la matinée, connaissent une chute légère entre la fin de la matinée et le début d’après-midi (η2 = 0,04 ; F (1,81) = 3,80, p < 0,05), puis une élévation entre le début et la fin de l’après-midi ([η2 = 0,24 ; F (1,81) = 25,20, p < 0,01]) (Figure 3). La comparaison des niveaux de performances, moment après moment, indique que si pour les trois chronotypes (matinaux, vespéraux et neutres), les performances sont comparables dans la matinée et en début d’après-midi, elles se différencient toutefois en fin d’après-midi [η2 = 0,11 ; F (2,81) = 4,88, p < 0,01]- Figure 3.
Fig. 3. Niveaux des performances journalières attentionnelles des matinaux, vespéraux et des neutres selon le moment de la journée.

Conclusion
8À la lumière de toutes ces données, il convient de retenir que les performances attentionnelles varient différemment selon le moment de la journée, l’âge, le sexe et la typologie des conducteurs. Les performances attentionnelles des conducteurs d’âge moyen (30-59 ans) sont sensiblement au même niveau au cours de la journée, et globalement plus stables chez les conducteurs âgés (plus de 60 ans) ; seuls les conducteurs jeunes (20-29 ans) connaissent une variation journalière de leur niveau d’attention. L’observation de ces différents profils, qui conforte celle déjà relevée chez Janvier et Testu (2005), témoigne ainsi d’une structuration globale de la rythmicité attentionnelle avec l’avancée en âge. Ce phénomène de maturation avait laissé à penser que la capacité attentionnelle d’un individu change en fonction de l’âge. Cette prédiction, contrairement aux conclusions auxquelles sont parvenues Manly (2001), n’a toutefois pas été validée : les performances attentionnelles diminuent avec l’âge ; et ceci, quel que soit le moment de la journée. En outre, la vespéralité et la matinalité, qui constituent un paramètre essentiel du rythme veille/sommeil, ont un impact sur ces variations périodiques attentionnelles. Les résultats indiquent que les performances des matinaux, quelle que soit la tranche d’âge, présentent une stagnation (fluctuations moins marquées) toute la journée, tandis que celles des vespéraux fluctuent selon un profil classique : stabilité des performances dans la matinée, chute au début de l’après-midi, puis élévation à la fin de l’après-midi. Ces différents profils suggèrent, d’un point de vue pratique, que les matinaux seraient susceptibles de présenter une organisation temporelle adaptée aux exigences de la vie socioprofessionnelle normale. Les profils de performances attentionnelles semblent également se différencier selon le sexe : si les performances des hommes baissent légèrement au cours de la journée, celles des femmes, en revanche, progressent tout au long de la journée. Cette élévation progressive, chez les femmes, expliquerait la supériorité du niveau moyen de leurs performances journalières attentionnelles par rapport à celui des hommes. Ce résultat s’accorde avec celui de Soussignan et Koch (1985) et de Goel (2005), pour qui les performances attentionnelles des hommes se différencieraient des femmes par la durée de leur sommeil nocturne. Ainsi, les hommes auraient un niveau d’attention diminué par rapport aux femmes dont la durée de sommeil nocturne est plus élevée.
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Références
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10.3917/enf.572.0155 :Janvier, B., Testu, F. (2005). Développement des fluctuations journalières de l’attention chez des élèves de 4 à 11 ans. Enfance, 2, 155-170.
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Soussignan, R., Koch, P. (1985). Rhythmical stereotypy’s (leg-swinging) associated with reductions in heart-rate in normal school children. Biological Psychology, 2 (3), 161-167. Testu, F. (2008). Rythmes de vie et rythmes scolaires : aspects chronobiologiques et chronopsychologiques. Paris : Masson.
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