Vérification de l’hypothèse de dédifférentiation cognitive à partir de l’échantillon de standardisation de l’échelle d’intelligence de Wechsler pour adultes, troisième édition (WAIS-III)
p. 115-118
Texte intégral
Introduction
1La différentiation cognitive est une hypothèse selon laquelle les capacités cognitives chez l’enfant se différentieraient les unes des autres au cours du développement. Relativement unitaire, l’organisation se modifierait pour tendre vers une structure où l’on observe différents groupes d’habiletés spécifiques, relativement indépendants les uns des autres. L’hypothèse de dédifférentiation cognitive postule quant à elle que les corrélations entre les capacités cognitives chez l’adulte augmenteraient au cours du vieillissement. Ces modifications se traduisent par un changement de la structure factorielle où les aptitudes cognitives ont davantage tendance à saturer sur un facteur général unique (g). Ainsi, selon cette hypothèse, la contribution du facteur général de l’intelligence devrait être plus importante au fur et à mesure de l’avancée en âge. Toutefois, les études rapportées dans la littérature ne valident pas systématiquement cette hypothèse. Lindenberger et Baltes (1997) font par exemple état de résultats allant dans le sens d’une dédifférentiation cognitive au cours du vieillissement. En revanche, d’autres auteurs comme Carroll (1993) ou Juan-Espinosa (2002) n’ont pas mis en évidence ce phénomène. L’un des facteurs susceptible d’expliquer ces résultats contradictoires est l’influence de la fidélité des mesures. En effet, l’augmentation de la fidélité des scores des épreuves avec l’âge pourrait, à elle-seule, expliquer l’accroissement de l’importance du facteur g : si la fidélité des scores des épreuves augmente, les intercorrélations entre ces scores vont s’accroître (phénomène de désatténuation). Lorsque les corrélations entre scores augmentent, la part de variance expliquée par le facteur g sera également plus importante. Le phénomène de dédifférentiation pourrait alors revêtir un caractère artefactuel.
2Le premier objectif de cette étude est de contrôler la fidélité des scores afin de tester l’hypothèse de dédifférentiation des aptitudes cognitives. Pour cela, les données françaises d’étalonnage de l’échelle d’intelligence de Wechsler pour adultes sont utilisées (WAIS-III, Wechsler, 2000). On fait l’hypothèse que les résultats valideront la dédifférentiation des aptitudes cognitives. Le second objectif est de comparer l’importance relative des facteurs de groupe (c’est-à-dire les quatre indices factoriels de la WAIS-III) à celle du facteur général de l’intelligence. En d’autres termes, il s’agit de déterminer si les différences interindividuelles observables dans les scores des épreuves de l’échelle d’intelligence de Wechsler pour adultes (WAIS-III) sont avant tout expliquées par des aptitudes spécifiques (ICV : Compréhension Verbale ; IOP : Organisation Perceptive ; IMT : Mémoire de Travail et IVT : Vitesse de Traitement) ou par l’intelligence générale. Conformément à la littérature, on fait l’hypothèse que la contribution du facteur g sera plus importante que celle des aptitudes spécifiques.
Méthode
3Nous avons procédé à l’analyse des matrices d’intercorrélation des scores des sous-tests de l’échantillon de standardisation (N = 1104) de la version française de l’échelle d’intelligence de Wechsler pour adultes (WAIS-III). Cet échantillon, représentatif de la population française, est réparti en 12 catégories d’âge de 16 à 89 ans.
4Dans le but de tester nos deux hypothèses, nous avons utilisé la transformation de Schmid-Leiman (1957) pour chacun des douze groupes d’âge. En référence à un modèle hiérarchique de l’intelligence, les résultats des sous-tests de la WAIS-III devraient refléter une combinaison de facteurs de premier ordre (ICV, IOP, IMT et IVT) et d’un facteur général de deuxième ordre (intelligence générale). La transformation de Schmid-Leiman permet d’étudier la contribution résiduelle de chacun des quatre facteurs de premier ordre, après contrôle de la variance imputable au facteur général. En d’autres termes, l’objectif de cette transformation est de calculer le ratio entre la variance expliquée par le facteur g et celle expliquée par les différents facteurs de groupes. Concrètement, on réalise une analyse factorielle exploratoire en axes principaux avec une rotation oblique (promax, kappa = 4) sur la matrice de corrélations des scores des sous-tests. Les rotations obliques visent à faciliter l’interprétation des facteurs en recherchant une structure simple dans la matrice de saturation. Ces dernières permettent aux facteurs extraits de corréler les uns avec les autres. La méthode de rotation retenue ici constitue un choix usuel et présente l’avantage d’être peu sensible aux décisions du chercheur (choix des paramètres). On procède ensuite à une nouvelle analyse factorielle sur la matrice de corrélations des quatre facteurs précédemment extraits, afin d’obtenir un facteur général de deuxième ordre. Enfin, on résidualise la variance imputable au facteur g des quatre facteurs de premier ordre à l’aide de la procédure de Schmid-Leiman. Ainsi, en jugeant de l’importance des facteurs de groupes par rapport au facteur g, on peut déterminer si les différences interindividuelles dans les scores des différentes épreuves de la batterie sont avant tout expliquées par le facteur g ou par des aptitudes plus spécifiques. Enfin, la transformation de Schmid-Leiman permet de tester l’hypothèse de l’influence de la fidélité des mesures. En effet, le ratio entre facteur g et facteurs spécifiques est indépendant des phénomènes d’atténuation, puisque les résultats sont identiques sur des matrices de corrélations brutes ou corrigées pour l’atténuation3. Ainsi, il est possible de tester l’hypothèse de dédifférentiation des aptitudes cognitives en contrôlant l’augmentation de la fidélité des scores des épreuves au cours du temps.
Résultats
5La Figure 1 présente la fidélité moyenne des 14 scores des sous-tests de l’échelle d’intelligence de Wechsler pour adultes (WAIS-III) en fonction de l’âge.
Fig. 1. Fidélité moyenne des scores des sous-tests de la WAIS-III en fonction de l’âge.

6On observe que la fidélité des épreuves augmente chez les participants plus âgés. Ce phénomène pourrait être susceptible de conduire à une augmentation de l’importance du facteur g avec l’âge. Il est donc indispensable de déterminer si le phénomène de dédifférentiation est toujours présent lorsque la fidélité des scores des épreuves est contrôlée. La Figure 2 présente les résultats des transformations de Schmid-Leiman sur les catégories d’âge 18 - 19 ans à 80 - 89 ans. On observe les contributions spécifiques des quatre facteurs de premier ordre (indices ICV, IOP, IMT et IVT) ainsi que du facteur général.
Fig. 2. Pourcentage de variance commune expliquée par le facteur g et les quatre indices en fonction de l’âge.

7Sur l’ensemble des catégories d’âge, on remarque que le facteur g explique au minimum la moitié de la variance extraite. Cette contribution va jusqu’à dépasser les deux tiers chez les participants les plus âgés. Les contributions des quatre indices varient quant à elles de 3,8 % à 20,7 %. Le seul indice dont la part de variance expliquée paraît relativement substantielle tout au long de la vie est l’indice de compréhension verbale (ICV en moyenne 15,4 %). En revanche, les autres indices possèdent des contributions spécifiques plutôt faibles (IOP en moyenne 9,8 % ; IMT en moyenne 9,6 % ; IVT en moyenne 7,5 %). Lorsque l’on observe l’évolution des parts de variance en fonction de l’âge, on constate un accroissement de l’importance du facteur g au cours du vieillissement. Ce résultat va dans le sens de l’hypothèse de dédifférentiation. En effet, les aptitudes ont davantage tendance à se comporter de manière indifférenciée lorsque l’âge augmente, puisque l’importance des aptitudes spécifiques diminue au profit du facteur g.
Discussion
8Les résultats de la procédure d’orthogonalisation de Schmid-Leiman montrent que la proportion de variance expliquée par le facteur g augmente avec l’âge. Conformément à notre première hypothèse, ce résultat n’est pas imputable à l’augmentation de la fidélité des scores avec l’âge. Ces résultats mettent donc en évidence une tendance à la dédifférentiation des aptitudes cognitives, puisque toutes les aptitudes saturent davantage sur un facteur général unique. La contribution relative des quatre facteurs de premier ordre, bien que déjà très modérée au mitan de la vie, devient alors de plus en plus faible avec le vieillissement. Globalement, ces résultats valident l’hypothèse de dédifférentiation. Si la contribution du facteur g augmente avec l’âge, elle reste très importante dans toutes les catégories d’âge. En conclusion, le facteur g intervient fortement dans la variance des scores des sous-tests de la WAIS-III. Ces derniers doivent donc toujours être interprétés comme reflétant la combinaison du facteur g et d’une aptitude spécifique particulière et non pas l’aptitude spécifique seule.
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Références
10.1017/CBO9780511571312 :Carroll, J. (1993). Human cognitive abilities : A survey of factor-analytic studies. Cambridge : University Press.
Juan-Espinosa, M., García, L., Escorial, S., Rebollo, I., Colom, R., & Abad, F. (2002). Age dedifferentiation hypothesis : Evidence from the WAIS III. Intelligence, 30 (5), 395-408.
Lindenberger, U., & Baltes, P.B. (1997). Intellectual functioning in old andvery old age : Cross-sectional results from the Berlin Aging Study. Psychology and Aging, 12, 410-432.
10.1007/BF02287991 :Mosier, C. (1939). Influence of chance error on simple structure : an empirical investigation of the effect of chance error and estimated communalities on simple structure in factorial analysis. Psychometrika, 4 (1), 33-44.
10.1007/BF02287964 :Roff, M. (1937). The relation between results obtainable with raw and corrected correlation coefficients in multiple factor analysis. Psychometrika, 2 (1), 35-39.
Schmid, J., & Leiman, J. (1957). The development of hierarchical factor solutions. Psychometrika, 22 (1), 53-61.
Wechsler, D. (2000). Manuel de l’Échelle d’Intelligence de Wechsler pour adultes – Troisième édition. Paris : ECPA.
Notes de bas de page
3 L’atténuation tend à réduire toutes les saturations sans altérer la structure factorielle (Roff, 1937 ; Mosier, 1939). La désatténuation d’une matrice de corrélation préserve la corrélation entre les facteurs. Les corrélations entre les quatre facteurs de premier ordre qui servent à l’extraction du facteur général restent donc les mêmes avec ou sans procédure de correction. Les saturations de ces quatre facteurs sur g ainsi que la proportion de variance expliquée par le facteur général restent également identiques.
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Vive(nt) les différences
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