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Différences individuelles dans la capacité en mémoire de travail et variabilité intra-individuelle dans les temps de réponse

Effets de l’âge et de la complexité de la tâche

p. 103-108

Note de l’éditeur

Cette étude est financée par le Fonds National Suisse de la recherche scientifique n° 100011-107764 et n° 100014-120510.


Texte intégral

Introduction

1Cette étude vise à examiner s’il existe un lien entre les différences individuelles dans la capacité en mémoire de travail (MdT) et les différences individuelles dans la variabilité intra-individuelle dans des épreuves de temps de réaction (TR).

2La MdT fait référence à un système dynamique de capacité limitée qui permet de maintenir et de traiter l’information durant la réalisation de diverses tâches cognitives. Les résultats ont généralement mis en évidence des performances plus faibles pour les adultes âgés que pour les adultes jeunes (voir de Ribaupierre, 2001 ; Bopp & Verhaeghen, 2005 pour une revue).

3La variabilité intra-individuelle (Vii) désigne, quant à elle, les fluctuations dans les performances d’un individu au travers de diverses épreuves (Vii intertâches ou dispersion, Nesselroade, 2001) ou au sein de la même épreuve (Vii intratâche ou inconsistance, Hultsch & MacDonald, 2005). Si l’étude de cette Vii a longtemps été ignorée, elle devient à présent le centre d’intérêt de nombreux travaux (voir Hultsch, MacDonald & Dixon, 2002 ; de Ribaupierre, Lecerf & Ghisletta, 2006). Certains auteurs suggèrent qu’elle serait un indicateur reflétant l’intégrité du fonctionnement neuronal et comportemental et de l’adaptabilité de l’individu (voir Siegler, 1994 ; Hultsch & MacDonald, 2005). Dans les tâches de TR, les adultes âgés présentent généralement de plus fortes fluctuations que les adultes jeunes (Hultsch et al, 2002). Cette recherche a pour but de mettre en relation ces deux ensembles de résultats en examinant d’une part, s’il existe un lien entre la capacité en MdT et la Vii dans des tâches de TR et, d’autre part, si ce lien est influencé par la demande (attentionnelle) intrinsèque de la tâche. Pour y parvenir, les participants ont été catégorisés en fonction de leur âge (adultes jeunes vs âgés) et de leur capacité en MdT (faible vs forte capacité en MdT évaluée sur la base de la tâche d’empan de lecture). Les analyses porteront à la fois sur le niveau moyen de performance (moyenne intra-individuelle) et la Vii (écart type intra-individuel) dans une tâche de temps de réaction (TR) simple (tâche de détection de cible) ou dans une tâche plus complexe (tâche d’inhibition du Stroop).

Méthode

Sujets

4L’échantillon total est composé de 137 jeunes adultes (âgés de 18 à 35 ans ; M = 21,7 ; e t = 2,5) et 122 adultes âgés de plus de 60 ans (M = 69,9 ; ET = 6,6). Tous les participants ont été testés individuellement.

Épreuves4

5Trois épreuves informatisées ont été administrées : l’empan de lecture, la tâche de temps de réaction simple et la tâche du Stroop couleur. Une épreuve de raisonnement (matrices progressives de Raven) ainsi qu’une épreuve de vocabulaire (Mill Hill) ont également été administrées et servent de variables contrôles.

Empan de lecture

6Dans cette épreuve (Delaloye, Ludwig, Borella, Chicherio & de Ribaupierre, 2008), il s’agit de traiter et de stocker des informations verbales. Plus précisément, il s’agit de traiter le contenu sémantique de phrases tout en maintenant en mémoire le dernier mot de chacune d’entre elles. Cette épreuve s’effectue en trois temps : une phase de détermination de l’empan et deux phases tests, réalisées lors de deux sessions différentes séparées d’une semaine. La complexité de l’épreuve (c’est-à-dire le nombre de phrases à traiter / mots à retenir avant qu’un rappel ne soit demandé) est adaptée au niveau de capacité, ou empan, de chaque participant. Ainsi, lors de ces phases tests, 10 items correspondant au niveau de l’empan (niveau n) des participants et 10 items correspondant à un niveau supérieur (niveau n+1) sont administrés. Par exemple, 10 items de classe 2 et 10 items de classe 3 seront administrés pour un participant ayant présenté un empan de 2 lors de la première phase.

Temps de réaction simple (TRS)

7Dans cette épreuve, il s’agit de détecter le plus rapidement possible l’apparition d’une croix. Cette épreuve comporte 120 items.

Stroop couleur

8Dans cette épreuve, il s’agit de dénommer le plus rapidement possible la couleur dans laquelle les stimuli sont présentés. Ainsi, des noms de couleur (bleu, rouge, vert, jaune) et des signes sans signification (****, ++++, ^^^^, """") sont présentés au centre de l’écran avec des couleurs de police différentes (bleu, rouge, vert, jaune). La tâche des participants consiste à dénommer le plus rapidement possible la couleur de la police dans laquelle chaque élément est présenté, dans trois conditions : neutre (signes), incongruente (le mot « bleu » présenté en rouge) et congruente (le mot « bleu » présenté en bleu). Cette épreuve se déroule en deux sessions (une semaine d’intervalle) et comporte 144 items par conditions.

Procédure et scores

9Pour chaque épreuve, une phase de familiarisation et une phase d’apprentissage ont été administrées avant la phase test. Par ailleurs, seule la première session de l’empan de lecture et de l’épreuve du Stroop a jusqu’ici fait l’objet d’analyses statistiques. L’ordre de passation est fixe (évaluation de l’empan, test de l’empan de lecture, TRS et épreuve du Stroop). Pour chaque épreuve de temps de réaction, deux scores ont été calculés : la moyenne intra-individuelle (Mi) et l’écart type intra-individuelle (ETi).

10Par ailleurs, l’échantillon des jeunes adultes et celui des adultes âgés ont été répartis, sur la base de l’évaluation de l’empan (le nombre total de mots correctement rappelés), selon leur niveau de capacité en MdT. Au final quatre groupes ont été constitués : les adultes jeunes et âgés ayant une faible capacité en MdT (inférieure au médian pour le groupe d’âge) et les adultes jeunes et âgés ayant une forte capacité en MdT (supérieure au médian). Le Tableau 1 ci-dessous résume les scores obtenus aux différents tests dans les quatre groupes de participants.

Tableau 1. Synthèse de l’échantillon soumis aux analyses.

Faible capacité en MdTForte capacité en MdT
(FaMdT)(FoMdT)
Jeunes adultesAdultes âgésJeunes adultesAdultes âgés
(JA, N = 46)(AA, N = 41)(JA, N = 46)(AA, N = 39)
Âge22,09 (2,87)72,97 (6,96)21,30 (2,40)67,51 (6,03)
MdT (empan de lecture)2,39 (0,49)2,05 (0,22)3,96 (0,73)3,74 (0,88)
Raisonnement (Raven)51,69 (5,11)33,87 (10,35)52,87 (4,84)39,56 (8,76)
Vocabulaire (Mill Hill)33,78 (3,28)35,72 (5,53)33,56 (3,26)38,18 (4,14)

Note. Les écarts types sont spécifiés entre parenthèses.

Résultats

11Afin de répondre aux deux objectifs énoncés précédemment, des analyses ont été conduites à la fois sur les moyennes intra-individuelles (Mi) et les écarts types intra-individuels (ETi) sur l’épreuve de temps de réaction simple (TRS) et l’épreuve d’inhibition du Stroop.

12En ce qui concerne la tâche de TRS, aucune interaction entre l’âge et le niveau de capacité en mémoire n’a été obtenue pour le niveau moyen de performance (F(1,168) = 0,69 ; p = 0,40, η2 = 0,00). Les jeunes adultes sont plus rapides que les adultes âgés mais ceci n’est pas influencé par le niveau de la capacité en MdT. En revanche, l’analyse de l’écart type indique une interaction entre l’âge et la capacité en MdT (F(1,168) = 5,50 ; p < 0,05, η2 = 0,03). Les participants ayant une faible capacité en MdT sont plus variables que ceux ayant une forte capacité en MdT et cette différence est présente uniquement chez les adultes âgés. Ainsi, aucune différence (F(1,168) = 0,9 ; p = 0,76, η2 = 0,00) n’est obtenue entre les deux groupes de jeunes adultes (faible capacité en MdT vs forte capacité en MdT) ; en revanche les adultes âgés ayant une faible capacité en MdT sont plus variables (F(1,168) = 8,56 ; p < 0,00, η2 = 0,05) que ceux ayant une forte capacité en mémoire de travail (cf. Figure 1).

Fig. 1. Épreuve de Temps de réaction simple en fonction du groupe d’âge et de la capacité en MdT : écart type intra-individuel (ETi). FaMdt : Faible capacité en mémoire de travail ; FoMdt : Forte capacité en mémoire de travail.

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13En ce qui concerne la tâche d’inhibition du Stroop, aucune interaction entre l’âge et le niveau de capacité en mémoire n’a été obtenue pour le niveau moyen de performance (F(1,168) = 3,11 ; p = 0,80, η2 = 0,02). Les jeunes adultes sont plus rapides que les adultes âgés mais ceci n’est pas influencé par le niveau de la capacité en MdT. En revanche, l’analyse sur les écarts types intra-individuels montre une interaction marginale entre l’âge, la capacité en MdT et la condition expérimentale de la tâche (F(1,168) = 3,62 ; p = 0,059, η2 = 0,02). Les jeunes adultes sont moins variables que les adultes âgés et cet effet tend à être influencé à la fois par la capacité en MdT et la condition expérimentale de la tâche du Stroop (cf. Figure 2).

Fig. 2. Épreuve du Stroop en fonction du groupe d’âge, de la capacité en MdT et de la condition expérimentale : écart type intra-individuel (ETi). FaMdt : Faible capacité en mémoire de travail ; FoMdt : Forte capacité en mémoire de travail.

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14Plus spécifiquement, les adultes âgés qui ont une faible capacité en MdT sont plus variables que ceux qui ont une forte capacité en MdT à la fois dans la condition neutre (F(1,168) = 13,82 ; p < 0,00, η2 =0,08) et dans la condition incongruente (F(1,168) = 7,97 ; p < 0,00, η2 =0,05). Les jeunes adultes qui ont une faible capacité en MdT sont plus variables que ceux qui ont une forte capacité en MdT uniquement dans la condition incongruente (F(1,168) = 4,46 ; p < 0,05, η2 =0,03). Aucune différence pour la condition neutre (F(1,168) = 0,49 ; p = 0,48, η2 =0,00) n’est observée.

Conclusion

15Les résultats confortent l’hypothèse d’une relation entre la capacité en MdT et la Vii dans des tâches de TR. En effet, chez les adultes âgés, une faible capacité en MdT est associée à une augmentation de la Vii, que la tâche soit simple ou complexe. Quant aux jeunes adultes, la seule différence observée entre les groupes (faible vs forte capacité en MdT) apparaît lorsque la demande attentionnelle de la tâche est plus importante. Dans la tâche du Stroop, si les deux groupes de jeunes adultes ne diffèrent pas dans la condition neutre (condition « non demandeuse », comparable à la tâche de détection), ceux qui ont une faible capacité en MdT deviennent plus variables dans la condition incongruente (condition « demandeuse ») comparé à ceux qui ont une forte capacité en MdT. Ces résultats suggèrent donc que la relation entre capacité en MdT et Vii est modulée et/ou influencée par la demande attentionnelle de la tâche. Il s’agit alors de déterminer comment des processus ascendants (comme le bruit neuronal représenté par la Vii) et descendants (comme le contrôle attentionnel en MdT) interagissent et contribuent ensemble aux changements cognitifs avec l’âge.

Bibliographie

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Références

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Delaloye, C., Ludwig, C., Borella, E., Chicherio, C., & de Ribaupierre, A. (2008). L’empan de lecture comme épreuve mesurant la capacité de mémoire de travail : Normes basées sur une population francophone de 775 adultes jeunes et âgés. European Review of Applied Psychology, 58, 89-103.

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de Ribaupierre, A. (2001). Working memory and attentional processes across the lifespan. In P. Graf & N. Otha (Eds.), Lifespan development of human memory (p. 59-80). Cambridge : MA. MIT Press.

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Hultsch, D.F., & Macdonald, S.W.S. (2005). Intraindividual variability in performance as a theoretical window onto cognitive aging. In R.A. Dixon, L. Bäckman & L.G. Nilsson (Eds.), New frontiers in cognitive aging (p. 65-88). Oxford : University Press.

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Siegler, R.S. (1994). Cognitive variability : a key to understanding cognitive development. Current Directions in Psychological Science, 3, 1-5.

Notes de bas de page

4 Pour plus d’informations sur les épreuves utilisées se référer au site internet : http://www.unige.ch/fapse/psychodiff/index.html.

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