Modes d’allaitement et développement psychomoteur chez des enfants ivoiriens de 6 à 24 mois
p. 79-82
Remerciements
Nos remerciements vont aux Professeurs M. Carlier et P.-Y. Gilles qui ont orienté et facilité nos démarches auprès de l’Agence universitaire de la francophonie afin que nous puissions participer aux xixe journées internationales de psychologie différentielle.
Texte intégral
Introduction
1L’allaitement maternel est un aspect sensible et important de la vie du jeune enfant. Ce processus naturel de nutrition, contrairement à l’allaitement artificiel, présente de nombreux avantages aussi bien pour le nourrisson que pour la mère (Mezzacappa et Katkin, 2002 ; Manificat, Dazord, et Langue, 2000). Ces aspects avantageux sont solidement documentés dans de nombreuses études biologiques, physiologiques et neurologiques, indiquant que l’allaitement au sein assiste le développement neurologique et les défenses immunitaires de l’enfant mais aussi diminue la mortalité et la morbidité chez le nouveau-né (Crawford, 1993 ; Picaud, 2008 ; Salle, 2009).
2Dans le domaine de la psychologie, de nombreuses données soutiennent la possibilité qu’il y ait une influence de cette méthode naturelle d’alimentation sur plusieurs aspects du développement des enfants. En particulier, les recherches montrent que l’allaitement a un effet positif sur le développement intellectuel (Bartels, van Beijsterveldtet Boomsma, 2009) et sur le développement psychosocial de l’enfant : les enfants allaités sont plus extravertis, plus à l’aise socialement et plus avancés d’après les échelles développementales (Anderson, Johnstone et Remley, 1999 ; Meyers et Chawla, 2000). De plus, comparés aux nourrissons nourris aux préparations commerciales, ceux qui sont allaités sont plus éveillés, pleurent moins et sont davantage plus capables d’avoir des interactions avec leurs parents (Else-Quest, Hyde et Clark, 2003). Par ailleurs, on pense que l’allaitement a aussi des répercussions sur le développement moteur : les enfants allaités manifestent des habiletés précoces de la préhension manuelle « en pince fine » et à ramper (Dewey et al., 2003). Ainsi, il apparaît que le mode d’allaitement ne saurait se limiter à sa seule valeur nutritive. Du fait de ces dimensions cognitive, psychomotrice, psychosociale et affective de l’allaitement, il pourrait être intéressant d’étudier ce processus de nutrition en psychologie.
3Le présent travail s’inscrit dans le cadre des recherches portant sur le développement des jeunes enfants. Il a pour objectif de montrer, dans une perspective développementale et différentielle, l’influence du mode d’allaitement sur le quotient de développement psychomoteur des enfants de 6 à 24 mois.
Méthode
Sujets
4Cent cinquante bébés ivoiriens (75 allaités exclusivement au sein jusqu’à 6 mois au moins et 75 autres allaités uniquement au biberon) dont l’âge varie entre 6 et 24 mois ont été sélectionnés pour l’étude. Ils sont tous nés à terme, ne présentent aucun trouble particulier et ont un état nutritionnel normal au moment de l’enquête. L’âge de leur mère varie entre 25 et 39 ans. Trois groupes d’âge (50 sujets par groupe) sont étudiés : 6-12 mois ; 12-18 mois ; 18-24 mois.
Matériel et procédure
5L’échelle de développement psychologique de 0 à 24 mois de Brunet et Lézine (1965) a été utilisée pour évaluer les quotients de développement psychomoteur des enfants. La passation s’est déroulée au domicile des enfants, en présence de leur mère. Parallèlement, les mères ont été interrogées sur leur activité professionnelle, le mode d’allaitement utilisé pour nourrir l’enfant, les raisons du choix de ce mode d’allaitement, le temps passé avec l’enfant, les relations avec l’enfant pendant l’allaitement, la pratique du mode d’allaitement choisi.
Résultats
6L’effet de l’interaction âge et mode d’allaitement est hautement significatif, indiquant que les quotients de développement psychomoteur des enfants diffèrent en fonction de l’âge et du mode d’allaitement (F (2, 144) = 17,11, p<0,01 avec η2 = 0,19) (figure 1).
7L’analyse de variance partielle effectuée sur les tranches d’âge (6 à 12 mois : G1, 12 à 18 mois : G2, 18 à 24 mois : G3) montre, tous modes d’allaitement confondus, un effet significatif de l’âge sur le quotient de développement psychomoteur [η2= 0,40, F (2, 144) = 49,82, p< 0,01] avec : G1/G2 [η2= 0,37, F (1, 144) =82,99, p< 0,01] ; G2/ G3[η2= 0.31, F (1, 144) = 65.42, p< 0,01] ; G3/G1[η2= 0,01, F (1, 144) =1.04, ns].
8Par ailleurs, lorsque nous comparons les quotients de développement psychomoteur pour chaque mode d’allaitement, toutes tranches d’âge confondues, l’analyse de variance indique que les enfants allaités exclusivement au sein maternel ont un quotient de développement psychomoteur supérieur à celui des enfants allaités exclusivement au biberon [η2=0,83, F (1, 144) = 710,25, p< 0,01].
Discussion
9Les différences qui apparaissent entre les enfants lors de la comparaison des QDP trouvent leur justification dans la théorie de l’attachement initiée par Bowlby (1969). L’attachement est un lien affectif et social développé par une personne envers une autre. C’est un besoin primaire de l’individu qui se développe à partir de comportements innés tels que les pleurs, la succion, l’agrippement (Bowlby, op. cit). Ces comportements permettent de maintenir la proximité physique et l’accessibilité à la figure d’attachement privilégiée qui est le plus souvent la mère (Guedeney et Guedeney, 2006). Ainsi, les réponses à ces comportements, c’est-à-dire la qualité des soins et l’importance que la mère accorde à l’enfant pendant les séances d’allaitement, peuvent développer un attachement sécure ou un attachement insécure.
10Les compétences, comme la capacité de se séparer (d’avec sa mère) pour explorer l’environnement, sont plus grandes chez des enfants qui ont développé un attachement sécure que chez ceux qui ne l’ont pas développé. Selon Ainsworth et al. (1978) les facteurs de l’attachement sécure sont l’attention de la mère aux signaux émis par l’enfant, l’interprétation adéquate de ces signaux, une réponse appropriée et une capacité à la fois de contrôle et de compromis dans les relations mutuelles. Les entretiens effectués avec les mères révèlent que ces facteurs sont traités différemment. L’analyse des productions verbales indique que la plupart des personnes interrogées agissent par intuition avec leurs enfants sans prêter une attention particulière à leurs comportements. Par exemple, certaines mères qui ont choisi le mode d’allaitement maternel disent souvent que « c’est tout naturellement qu’elles bercent l’enfant d’une petite chanson pendant l’allaitement ».
11Les mères qui ont choisi l’allaitement maternel sont tenues de garder leur enfant près d’elles et de le nourrir à chaque fois qu’il en éprouve le besoin. Dans ce cas, c’est inconsciemment qu’elles font profiter à leur l’enfant du contact physique permanent et d’une stabilité des stimuli. Parallèlement aux mères qui ont opté pour l’allaitement artificiel pour des raisons diverses (maladie, activité professionnelle, esthétique), les stimulations, qui devraient renforcer l’attachement sécuritaire, sont variables dans la situation où la mère n’est pas disponible ou si l’activité d’allaitement est confiée à un substitut non permanent. L’entretien réalisé montre que plus de la moitié des dyades observés, et dont les enfants sont nourris à l’allaitement artificiel, vivent la situation décrite. La pratique de l’allaitement n’est pas régulièrement effectuée par la mère, ce qui probablement conduit les enfants aux formes de carences affectives (par insuffisance, distorsion, discontinuité). Cette notion de carence est introduite par Bowlby (1954) pour indiquer la variabilité des styles de maternage et leur conséquence sur l’attachement. Les carences affectives nées de la pratique de l’allaitement pourraient donc être à l’origine des différences entre le QDP des groupes d’enfants.
12De tels résultats ne constituent pas des faits isolés dans la mesure où ils s’accordent avec ceux de certains travaux déjà réalisés. Par exemple, les travaux de Manificat et al. (2000) aboutissent, après l’examen de plusieurs nourrissons âgés de moins d’un an selon le mode d’allaitement maternel exclusif, au fait que la qualité de leur vie est supérieure à celle de leurs homologues nourris au biberon. Cette conclusion s’apparente également à celle qui parachève l’étude de Salle (2009). Cependant, cette qualité de vie décrite dans ces travaux n’est déterminée que par des aspects médicaux. Pour ce qui est du domaine psychologique, nos résultats corroborent ceux de Dewey et al. (2003). La littérature étant cependant peu abondante nous proposons que d’autres travaux soient menés, en tenant compte des aspects précédemment évoqués, dans une perspective longitudinale, en vue d’étendre la portée des résultats.
Bibliographie
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Références
10.4324/9780203758045 :Ainsworth, M.D.S., Blehar, M., Waters, E., Wall, E. (1978). Patterns of attachment. Hillsdale, NJ : Erlbaum.
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Bowlby, J. (1954). Soins maternels et santé mentale. Paris : Masson.
10.3917/puf.bowlb.2007.01 :Bowlby, J. (1969). Attachement et perte. Paris : PUF.
Brunet O., Lezine, I. (1965). Le développement psychologique de la première enfance. Paris : PUF.
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Else-Quest, N.M., Hyde, J.S., Clark, R. (2003). Breastfeeding, bonding, and the mother-infant relationship. Merrill Palmer Quarterly, 49 (4), 495-517.
Guedeney, N., Guedeney, A. (2006). L’attachement. Concepts et applications. Paris : Masson.
Manificat, S., Dazord, A., Langue, J. (2000). Impact du mode d’allaitement du nourrisson sur la qualité de la vie de la mère et la qualité de vie de l’enfant : Résultat d’une étude pilote. Le Pédiatre, 36 (176), 17-23.
Meyers A, Chawla, N. (2000). Nutrition and social, emotional and cognitive development of infants and young children. Zero to Three, 21 (1), 5-12.
Mezzacappa, E.S., Katkin, E.S. (2002). Breast-feeding is associated with reduced perceived stress and negative mood in mothers. Health Psychology, 21 (2), 187-193.
Picaud, J.-C. (2008). Allaitement maternel et lait maternel : quels bénéfices pour la santé de l’enfant ? Nutrition clinique et métabolisme, 22 (2), 71-74.
10.1016/S0001-4079(19)32593-2 :Salle, B. (2009). Alimentation du nouveau-né et du nourrisson. Bulletin de l’Académie nationale de médecine, 193 (2), 431-446.
Auteurs
thgrfr@yahoo.fr
Centre Ivoirien d’Étude et de Recherche en Psychologie Appliquée (CIERPA), Université de Cocody Abidjan, Côte-d’Ivoire.
meite.chronopsy@yahoo.fr
Laboratoire EA 2114, Psychologie des Âges de la vie, Université François Rabelais, Tours, France.
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