Valeur accordée à l’école et typologie de soutien familial perçu chez des collégiens
Approche différentielle
p. 37-41
Texte intégral
Introduction
1Alors qu’aujourd’hui nombreux sont les jeunes qui s’engagent dans une scolarité secondaire, certains éprouvent des difficultés à donner du sens à l’école, à percevoir un réel intérêt dans leurs études, à vivre les cours autrement que comme une contrainte. Dans ce contexte, la valeur accordée à l’école (qui est une dimension du rapport à l’école) est une question déterminante. Elle permet de poser et d’interroger la question du sens que l’école revêt pour ces adolescents. La notion de valeur renvoie au fait, pour un sujet, de reconnaître le rôle de l’école comme important dans la réalisation de ses objectifs.
2Nous faisons l’hypothèse que le rapport à l’école de ces adolescents s’origine dans une histoire familiale singulière.
3Notre objectif est d’évaluer les effets de certaines caractéristiques familiales (investissement familial perçu et vécu familial) sur la valeur accordée à l’école par des collégiens. Nous prenons également la mesure des effets de l’âge, du genre, du milieu socioculturel, de la moyenne générale et du statut scolaire.
Méthode
Participants
4L’échantillon se compose de 677 collégiens (387 garçons ; 290 filles) scolarisés en troisième, rencontrés dans 15 établissements de la région Midi-Pyrénées. Ils sont âgés de 13 à 17 ans (M = 14,8 ; ÉT = 0,74). Parmi eux, 17 collégiens ont suivi un parcours accéléré, 354 un parcours scolaire ordinaire et 306 sont en retard. Pour déterminer la catégorie socioprofessionnelle (CSP) des familles, nous utilisons une cote sociale combinant les professions et les niveaux d’études du père et de la mère : 62 % des élèves sont issus d’un milieu défavorisé ou populaire, 21 % de milieu intermédiaire et 17 % de milieu favorisé.
Instruments de recueil de données
5Les collégiens ont renseigné un questionnaire, inspiré des outils de Levesque (2001) et de Prêteur, Constans et Féchant (2004). Composé de 117 items, il comporte 10 rubriques : parcours scolaire, orientation et projets, vécu au collège, rapport à l’école, valeur scolaire2 et sociale3 accordée à l’école, rapport à l’apprendre, relations avec les parents, soutien familial perçu, qualités préférées, informations socio-biographiques.
Résultats
6La création d’une typologie de soutien familial perçu (via une classification hiérarchique et une analyse discriminante) a permis de dégager quatre profils contrastés.
7Le « profil 1 » (n = 93) est caractéristique des jeunes qui éprouvent le sentiment de ne pas être du tout soutenus par leurs parents, tant au plan scolaire que pour les activités de loisir. Ils évoquent un manque de communication dans leur famille. Ces collégiens sont en situation de désaffiliation familiale et expriment, vis-à-vis de leur famille, une perception négative témoignant d’un vécu difficile.
8Le « profil 2 » (n = 55) est composé de collégiens qui témoignent d’un soutien parental modéré, au plan scolaire mais important pour les activités de loisir. Ils évoquent un climat familial positif ; les parents sont impliqués dans la vie de leur enfant. Néanmoins, ces jeunes ont le sentiment que leurs parents ne leur permettent pas de réaliser certains de leurs projets et estiment ne pas recevoir beaucoup d’encouragements et/ou de félicitations de leur part. Ces parents apportent peu de soutien affectif à leur enfant et seraient parfois trop « contrôlant », réduisant ainsi la prise d’initiatives et d’autonomisation des jeunes.
9Le « profil 3 » (n = 278) est constitué d’adolescents qui déclarent entretenir des relations familiales relativement positives. Leurs parents les encouragent mais ils soulignent un manque de communication. Les parents semblent être du côté de l’autonomisation, peut-être parce que cela les dispense de s’impliquer. En effet, les jeunes rapportent une absence d’implication. Ils mentionnent ne pas faire d’activités intéressantes en famille et ne pas avoir de temps pour parler avec leurs parents. Ce profil reflète donc un manque d’engagement parental dans l’univers de leurs enfants, comme si leurs mondes étaient séparés.
10Enfin, le « profil 4 » (n = 251) regroupe les adolescents qui ont le sentiment de pouvoir compter sur leurs parents, d’être soutenus en toutes circonstances, encouragés et aidés dans leurs études et dans leurs activités sociales et de loisir. Le climat familial est très positif et soutenant, et les parents favorisent l’autonomisation de leur enfant. Cette classe s’apparente à un milieu familial démocratique, caractérisé par un niveau élevé d’encadrement parental, d’engagement et d’encouragement à l’autonomie.
Valeur scolaire accordée à l’école et profils familiaux
11Pour vérifier l’effet des variables médiatrices ciblées (genre, CSP et statut scolaire) et leurs interactions avec les profils familiaux sur la valeur scolaire accordée à l’école, des ANOVA à deux facteurs ont été effectuées (profil familial*genre ; profil familial*CSP ; profil familial*statut scolaire).
12Les résultats de la première analyse révèlent un effet principal significatif du profil familial [F(3,669) = 11,61 ; p < 0,01 ; η2 = 0,05] mais pas d’effet principal du genre ni d’effet d’interaction significatif entre ces deux variables.
13La deuxième analyse souligne à nouveau un effet principal significatif du profil familial [F(3,648) = 7,92 ; p < 0,01 ; η2 = 0,04] mais pas d’effet principal de la CSP ni d’effet d’interaction significatif entre ces deux variables.
14Enfin, la troisième analyse fait apparaître à nouveau un effet principal significatif du profil familial [F(3,652) = 11,34 ; p < 0,01 ; η2 = 0,050] et un effet principal significatif (mais taille d’effet très faible) du statut scolaire [F(1,652) = 3,81 ; p < 0,05 ; η2 = 0,005]. Aucun effet d’interaction significatif entre ces deux variables n’est pas ailleurs observé.
Valeur sociale accordée à l’école et profils familiaux
15Pour vérifier l’effet des variables modulatrices ciblées et leurs interactions avec les profils familiaux sur la valeur sociale accordée à l’école, des ANOVA à deux facteurs ont été effectuées. Aucun effet principal ni d’interaction n’est mis en évidence.
Liens entre valeur accordée à l’école, âge et moyenne générale
16La matrice des corrélations montre une relation significative entre l’âge et la valeur scolaire accordée à l’école, mais aussi entre l’âge et la moyenne générale auto-évaluée par l’élève.
Tableau 1. Matrice des corrélations
Valeur scolaire | Valeur sociale | Âge | |
Valeur scolaire | - | ||
Valeur sociale | , 25** | - | |
Âge | - , 17** | - , 039 | |
Moyenne | , 28** | , 004 | - , 26** |
**p < 0,001
17Plus les adolescents sont âgés, moins la valeur scolaire accordée à l’école est positive. La même tendance est observée pour la moyenne générale. Par contre, il n’y a pas de relation significative entre l’âge ou la moyenne scolaire et la valeur sociale accordée à l’école. La plus forte corrélation est constatée entre la valeur scolaire et la moyenne générale : plus la moyenne générale est élevée, plus la valeur scolaire est positive.
Rôle joué par l’âge et la moyenne générale sur la valeur scolaire accordée à l’école
18Une analyse de régression multiple révèle que l’âge et la moyenne générale influencent significativement la valeur scolaire accordée à l’école.
Tableau 2. Régression linéaire multiple

** p < 0,001
19Le lien entre la valeur scolaire accordée à l’école d’une part et le croisement de l’âge et de la moyenne générale est faible. L’âge et la moyenne générale expliquent globalement moins de 9 % de variations de la valeur accordée à l’école. Les coefficients de régression standardisés ß montrent également que la moyenne générale est plus discriminante que l’âge.
Discussion
20Les analyses soulignent un effet significatif (mais faible) du soutien familial perçu et du statut scolaire sur la valeur scolaire accordée à l’école. Les collégiens caractéristiques du « profil familial 4 » (parents soutenants, climat positif) sont ceux qui accordent la plus grande valeur scolaire à l’école. En revanche, ceux caractéristiques du profil de désaffiliation familiale accordent moins de valeur scolaire à l’école. De plus, les collégiens qui ne sont pas en retard dans leur parcours accordent davantage de valeur à l’école que ceux qui ont redoublé. Le rôle du soutien et de l’investissement parental à l’égard de la scolarité mais aussi du déroulement du parcours scolaire antérieur dans la valorisation de l’école se trouve ici réaffirmé.
21Ces résultats soulignent l’importance de la communication entre les parents et les enfants dans le sens d’une valorisation de l’école. Les discussions au sujet de l’école, du projet d’avenir de l’adolescent, de ce qu’il fait en classe, l’implication dans ses loisirs ainsi que les encouragements donnés par les parents sont autant d’atouts qui peuvent lui permettre d’entretenir un rapport à l’école plus positif. Nos résultats vont dans le sens des travaux qui montrent l’importance de la participation parentale à l’école pour la réussite des jeunes (Potvin et al., 1999), la famille constituant un des principaux prédicteurs de l’abandon scolaire (Janosz, Leblanc, Boulerice & Tremblay, 2000).
22La valeur scolaire accordée à l’école est prédite (en partie) par l’âge et la moyenne générale auto-évaluée : plus les sujets sont jeunes et plus leur moyenne est évaluée positivement, plus la valeur scolaire accordée à l’école est élevée. Par contre, il n’y a pas d’effet significatif du genre ou de la CSP, seule ou combinée avec les autres variables, sur la valeur accordée à l’école. Ce résultat paraît surprenant. En effet, Charlot (1999) a déjà montré que la valeur accordée à l’école varie en fonction du milieu socioculturel ou du genre des élèves. Les élèves de milieux défavorisés attribueraient à l’école une grande valeur sociale, alors que les élèves de milieux favorisés accorderaient à l’école une valeur surtout scolaire. Les filles semblent également mieux identifier la fonction spécifique de l’école et évoquent plus souvent la question du savoir que les garçons. L’absence de différences constatées ici peut être liée à l’instrument utilisé ou à des effets de désirabilité sociale.
23Ces résultats plaident encore pour maintenir des explications prudentes en raison de la complexité des multiples déterminations qui entrent en jeu dans le sens de l’expérience scolaire, surtout à l’adolescence, période de la vie où s’opèrent de profonds remaniements personnels (de Léonardis & Prêteur, 2007).
Bibliographie
Références
Charlot, B. (1999). Le rapport au savoir en milieu populaire. Une recherche dans les lycées professionnels de banlieue. Paris : Anthropos.
De Léonardis, M., & Prêteur, Y. (2007). Expérience scolaire, estime de soi et valeur accordée à l’école à l’adolescence. In A. Florin & P. Vrignaud (éd.), Réussir à l’école : les effets des dimensions conatives en éducation (p. 31-45). Rennes : PUR.
Janosz, M., Leblanc, M., Boulerice, B., & Tremblay, R. (2000). Predicting different types of school dropouts : a typological approach with two longitudinal samples. Journal of Educational Psychology, 92 (1), 171-190.
Levesque, S. (2001). Valeur accordée à l’école, estime de soi et performance scolaire à l’adolescence. Thèse de Doctorat Nouveau Régime, Université Toulouse II.
Potvin, P., Deslandes, R., Beaulieu, P., Marcotte, D., Fortin, L., Royer, É. & Leclerc, D. (1999). Risque d’abandon scolaire, style parental et participation parentale au suivi scolaire. Revue canadienne de l’éducation, 24 (4), 441-453.
Prêteur, Y., Constans, S., & Féchant, H. (2004). Rapport au savoir et (dé) mobilisation scolaire chez des collégiens de troisième. Pratiques Psychologiques, 10 (2), 119-132.
Notes de bas de page
2 La valeur sociale accordée à l’école renvoie à l’importance des relations sociales qui occulte la question du savoir et à la constellation études-diplômes-travail sans référence au savoir.
3 La valeur scolaire renvoie à l’importance du savoir et des apprentissages intellectuels et scolaires, à un rapport épistémique au savoir. Elle correspond à une représentation instrumentale de l’école comme lieu de formation.
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Vive(nt) les différences
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