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Introduction

p. 9-11


Texte intégral

1Pourquoi « Vive(nt) les différences » ? La réponse est assez simple. Au cours du siècle dernier, l’étude des différences individuelles a longtemps été jugée comme relativement secondaire, ou en tout cas reléguée aux applications, et donc considérée comme de la « science mineure ». Il a fallu l’énergie de certains, dont le Professeur Maurice Reuchlin en France, pour permettre l’essor d’une nouvelle discipline : la psychologie différentielle. Sous son impulsion, un laboratoire de psychologie différentielle a été fondé à Paris (1964, à l’École pratique des hautes études). M. Reuchlin a ensuite occupé pendant 20 ans le premier poste de professeur de psychologie différentielle (1968, Université de Paris, actuellement Université Paris Descartes). Grâce à lui et à ses élèves, l’étude des différences individuelles s’est imposée en France tant dans l’enseignement universitaire que dans la recherche. Le lecteur intéressé par cette évolution peut se référer à Reuchlin, 1999 ; Lautrey, 2008 ; Lubart, Caroff, Mouchiroud, Peireira Da Costa & Zenasni, 2011). La France est loin d’être isolée dans ces changements. On peut en citer deux exemples. Le fait que l’association américaine de psychologie (American Psychological Association, ou APA1) mette l’accent sur la nécessité d’indiquer, dans la présentation des résultats, non seulement les tendances centrales (moyennes) mais aussi les indices de dispersion (écarts type, intervalles de confiance) et les tailles d’effet, peut être considéré comme la marque de l’influence des différentialistes. En effet, ces derniers s’étonnaient de voir qu’une partie de la communauté des chercheurs en psychologie puisse croire que la moyenne seule pouvait représenter un groupe. Cette consigne est d’autant plus importante que l’APA édite de nombreux journaux scientifiques avec des règles de rédaction qui ont force de loi. Plus intéressant encore est le rôle croissant de l’étude des différences individuelles dans les recherches situées à la croisée des neurosciences, de la psychologie cognitive et de la génétique. Les auteurs de l’article de synthèse, publié récemment dans la revue Curent Opinion in Neurobiology, ont choisi un titre on ne peut plus explicite : « Vive les differences ! Individual variation in neural mechanisms of executive control » (Braver, Cole and Yarkoni, 20112).

2Est-ce à dire que la psychologie différentielle est partout et donc nulle part ? Cette question récurrente fait l’objet, depuis près de trente ans, d’une rencontre biennale lors des « Journées internationales de psychologie différentielle ». En 2008, ce thème de réflexion figure dans le titre même du colloque : Identité et spécificité de la psychologie différentielle (de Ribeaupierre, Ghisletta, Lecerf, & Roulin, 2010). Le choix du thème des xixe Journées a été différent puisqu’il s’agissait de montrer comment l’étude des différences individuelles s’inscrivait dans les différents champs de la psychologie et dans des sciences avec qui elle interagit fortement (neurosciences et génétique). Pour ce faire, nous avions invité trois conférenciers de renommée internationale : Andreas Demetriou (psychologue du développement, spécialiste de l’éducation), Dorett Boomsma (psychobiologiste, spécialiste des relations entre les gènes et les comportements « Behavior genetics »), Robert Vallerand (psychologue social, spécialiste de la motivation et de la passion pour les activités). Nous remercions tout particulièrement ce dernier d’avoir contribué à cet ouvrage.

3Tous les intervenants aux xixe Journées internationales de psychologie différentielle, qui se sont tenues du 25 au 27 août 2010 sur le site Marseille - Saint Charles de l’Université d’Aix-Marseille, ont été sollicités à présenter leurs travaux afin d’illustrer l’avancement de l’étude de la variabilité inter ou intragroupe dans les pays francophones. Après la contribution de R. J. Vallerand, et une brève présentation d’Andreas Demetriou et de Dorett Boomsma, l’ouvrage est divisé en cinq parties composées de chapitres agencés en fonction de l’ordre alphabétique du premier auteur.

4La première partie est consacrée au développement chez le bébé, l’enfant et l’adolescent, dans une approche différentielle. Ces populations conduisent aussi à aborder des questions d’éducation. Ainsi, ces chapitres traitent des relations entre performances scolaires et climat de la classe, de la valeur accordée à l’école en lien avec le soutien familial perçu, ou encore, les effets du stress scolaire sur le réseau social, en fonction d’une variable dont l’introduction dans les manuels scolaires a suscité tant d’agitation ces derniers temps chez certains députés, à savoir la variable genre, à distinguer de la variable sexe. La modélisation est incontestablement une des forces des différentialistes. Elle est illustrée par l’analyse de trajectoires individuelles dans l’apprentissage de la lecture, l’utilisation de classes latentes pour l’étude des modes de fonctionnement individuels dans une épreuve de raisonnement et dans l’analyse de performances bayésiennes, et, enfin, par la mise en évidence de profils spécifiques de compétences à l’écrit chez des jeunes qualifiés « d’illettrés ».

5Dans la seconde partie ont été regroupées les recherches sur le vieillissement. La plupart se situent dans une perspective développementale dans la mesure où elles comparent au moins deux groupes de personnes d’âges différents. On y aborde tout particulièrement l’analyse de la variabilité intra individuelle dans l’organisation des aptitudes.

6La troisième partie porte sur l’étude de processus cognitifs. Ces recherches prolongent la tradition différentialiste, visant à extraire les dimensions de l’intelligence et des aptitudes. Elles se situent aussi aux frontières de la psychologie cognitive, grâce à l’étude de processus dont l’efficience et/ou la mise en œuvre peut être à l’origine de différences individuelles dans les performances.

7La quatrième partie a trait à la personnalité, autre grand thème classique de la psychologie différentielle. Mais là encore, au-delà de la recherche de grandes dimensions de type Big Five, les travaux présentés s’intéressent davantage aux processus affectifs et motivationnels sous jacents à ces dimensions, aux frontières de la psychologie sociale ou de la psychophysiologie.

8La cinquième partie réunit des chapitres sur le handicap qu’il s’agisse d’incapacité ponctuelle (s’accompagnant d’une perturbation momentanée) ou de handicap intellectuel comme celui observé chez les porteurs d’une anomalie chromosomique (la trisomie 21). Le dernier chapitre montre comment grâce à la transgénèse on peut trouver des gènes responsables, en partie tout au moins, des dysfonctionnements cognitifs et neurologiques observés chez les porteurs de la trisomie 21.

9Ainsi, cet ouvrage inclut plus de quarante contributions situées à la frontière de la psychologie différentielle et de disciplines connexes. Les recherches présentées ici, adossées aux modèles et méthodes actuels, attestent de l’apport de cette discipline à tous les domaines de la psychologie et à ses applications. Comme pour toute approche scientifique, ces questions sont en perpétuel renouvellement et un nouvel état de la question a été fait lors les xxe Journées de Psychologie Différentielle organisées à Rennes en 2012.

Bibliographie

Références

Braver, S., Cole, M. W., & Yarkoni T. (2010). Vive les differences ! Individual variation in neural mechanisms of executive control. Curent Opinion in Neurobiology, 20, 241-250.

Lautrey, J. (2008). Histoire et évolution de la psychologie différentielle. In : P.-Y. Gilles (ouvrage coordonné par), Psychologie différentielle (p. 17-50). Rosny cedex : Bréal.

Lubart, T., Caroff, X., Mouchiroud, C., Peireira Da Costa, M., & Zenasni, F. (2011). Psychologie différentielle. Paris : PUF.

Reuchlin, M. (1999). Évolution de la psychologie différentielle. Paris : PUF.

Notes de bas de page

1 Avec ses 150000 membres, l’APA est probablement la plus grande association nationale de psychologues au monde, comme l’annonce son site internet (http://www.apa.org/, 30 janvier 2012).

2 L’absence d’accent sur le e de différences n’est pas une coquille mais reproduit fidèlement l’orthographe de la publication.

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