Le traité des couleurs de Barthélemi L'Anglais (XIIIes)
p. 359-385
Texte intégral
1Le xixe livre du De proprietatibus rerum rassemble les compilations de Barthélemi l'Anglais sur les couleurs, les odeurs, les saveurs et les liquides. Les trente-sept premiers chapitres sont donc un "traité des couleurs", que nous avons choisi de présenter dans la traduction achevée en 1372 par Jean Corbechon, chapelain de Charles V.
2Ce traité se compose, conformément au plan général adopté par Barthélemi, de deux grandes parties. Dans la première, il "parle" des couleurs en général, dans la seconde, des couleurs en particulier. Dans cette seconde partie, deux sous-ensembles traitent successivement des couleurs fondamentales et des couleurs "qui sont convenables a art de painture", parmi lesquelles certaines sont naturelles, d'autres "composees par art" ou "faintes". En effet, dès l'introduction, l'auteur pose que "toutes couleurs qui sont ou monde sont ou par nature ou par art faictes et ordonnees."
3Avant d'aborder les généralités, notons l'essai d'explication du sens du mot "couleur" : Barthélemi reprend Isodore de Séville, mais suggère une autre interprétation possible, procédé fréquent dans le De proprietatibus rerum :
"La couleur est ainsi appellee pour ce qu'elle est perfaite par la chaleur du feu ou par la clarté du souleil, sicomme dit Ysidoire en son .XVIIIe. livre. Ou elle est appellee couleur pour ce qu'elle est coulee pourestre plus soubtillement unie et encorporee ou corps ou elle est."1
4En ce qui concerne les sources de Barthélemi, la première partie du traité apparaît comme une synthèse des ouvrages d'Aristote : Livre des Météores, Second livre de l'Ame, Second livre de Génération, XIXe livre des Bestes, ainsi que du Livre de l'Ame d'Averroès qu'il utilise pour confirmer ce qu'il tire d'Aristote. Dans la seconde partie, les sources citées sont plus diverses : Agazel2, Avicenne, Averroès à nouveau, Ysaac3, Gilles4, la sainte Escripture, Galien, Constantin5 à côté d'Aristote et Isidore. La variété de ces références est une preuve de la curiosité de Barthélemi et de son souci constant de s'appuyer sur des "autorités" sûres et reconnues comme telles chacune dans sa ou ses spécialités.
5Signalons enfin que, toujours en ce qui concerne cette première partie, Corbechon nous livre une adaptation considérablement réduite par rapport au texte latin, mais sans en retrancher l'essentiel. Dans le cadre de cette communication, et pour ne pas nous livrer au même exercice, nous ne donnerons en édition que la seconde partie du traité, donc les chapitres des couleurs en "especial".
Des couleurs en général : couleur et lumière.
6Michel Pastoureau6 a parfaitement résumé la théorie de la couleur telle qu'elle est conçue, après Aristote, par la science médiévale :
"...la couleur, ce n'est pas autre chose que la lumière qui se modifie au contact des objets et qui, reçue par l'oeil, prend des nuances colorées. Là-dessus s'accordent tous les savants qui, au xiiie siècle surtout (Robert Grosseteste, Roger Bacon, John Pecham, Witelo, Thierry de Freiberg), ont essayé de définir et d'expliquer la nature et la vision des couleurs. Par là même, toutes les couleurs participent à la métaphysique de la lumière et, comme telles, sont une émanation de Dieu."
7C'est exactement ce que dit Barthélemi d'après Aristote, et la traduction est, ici, fidèle :
"Selon Aristote ou livre de Metheore, couleur est l'extremité de la clarté du corps (...) qui la represente a la veue par la lumiere qui fiert dessus ; et pour ce dit Aristote que la couleur esmuet la veue par la lumiere qui est sa perfeccion." (Ch.I)
8Toutefois, la lumière ne crée pas la couleur, elle illumine l'air et la couleur, et ainsi dispose l'air à recevoir "la semblance et l'impression" de la couleur qu'elle porte jusqu'à la vue (Aristote et Averroès) : la lumière n'est donc pas nécessaire à ce que la couleur soit, mais elle est nécessaire à ce qu'elle soit vue.
9La suite est un long développement sur la matière de la couleur ainsi définie :
"Le fondement et la matière de la couleur est une clarté bien terminee qui est ou corps bien coulouré. Et pour ce dit Aristote que couleur est une lumière espesse." (Ch. II, du fondement des couleurs)7
10Cette clarté, fondement et matière de la couleur, doit être nécessairement de nature humide, d'où un classement des couleurs en trois catégories : la clarté "subtile" a sa "moisteur" altérée par l'air, la clarté "moyenne" a "la moisteur de l'eaue" et la clarté "grosse" a sa "moisteur" altérée par la sécheresse de la terre. Du blanc au noir, en passant par le rouge à l'exact milieu, nous avons l'ordre des couleurs de la plus subtile à la plus grosse. (Ch.II à VI)
11Entre le blanc et le noir, il y a cinq couleurs moyennes ainsi disposées :
"Aristote nomme ces .V. couleurs moyennes et dit que la premiere est appellee palle, et la seconde jaune, et la tierce rouge, et la quarte pourpre et la cinquiesme est vert. Entre le blanc et le rouge est palle, prés du blanc, et le jaune plus prés du rouge ; entre le rouge et le noir est le pourpre, plus prés du rouge, et le vert, plus prés du noir, sicomme dit Aristote ou livre du Somne de la Vegille." (Ch.VII, de noms des couleurs moyennes).
12Le chapitre suivant, intitulé "Des oppinions des couleurs", définit celles-ci selon la qualité de la lumière incorporée dans les objets : une lumière "pure et grande" engendre le blanc, une lumière "petite et oscure" le noir :
"Ceste oppinion declaire les paroles Aristote et Averroys qui dient que la couleur noire est privacion de lumiere et blancheur est lumiere pure, et selon ceste oppinion, il a entre blanc et noir moult de couleurs dont chascune puet estre devisee en moult de degrez, mais de ce je me passe car il n'y a pas moult grant prouffit." (Ch.VIII)
13On peut relever dans ce même chapitre de petites notations amusantes par leur apparente naïveté et fruit de l'observation quotidienne, mais bien à leur place dans cet ouvrage qui se veut vulgarisation à l'usage de ceux qui ne sont pas grands clercs. Par exemple, bien qu'à la suite d'Aristote il soit posé comme principe, au début du traité, que la couleur est "en l'extremité du corps", il apparaît qu'elle puisse être "dedenz et dehors, sicomme il appert en un aubun de oef quant il cuit qui est blanc dedens comme dehors, et ou voirre coulouré aussi quant on le brise." De même, certains corps ont une couleur "par dehors" et une autre "par dedans", comme le poivre et les pépins de pomme, noirs à l'extérieur et blancs à l'intérieur, "et es parois qui sont paintes par dehors et non par dedens." Et si l'on peint précisément les maisons, c'est parce que "la couleur aourne et paire les extremités du corps ou elle est et pallie et cuevre ses ordures."
14Le neuvième chapitre est consacré à "la mutacion des couleurs", illustrée par les variations de couleur des plantes et des fruits, de la peau humaine, variations dues à diverses causes, et nous donnons, toujours à titre d'exemple, le dernier paragraphe :
"La couleur se varie ou poueil ou es cheveux selon les diverses fumées des complexions dont ilz sont causez ; car le fleume les fait blans et le sanc les fait roux et melancolie les fait blons et la coule les fait noirs. Les cheveux aussi deviennent chanuz par deffaulte de chaleur naturelle, sicomme es vielles gens, et quant ilz deviennent blans au bout d'en hault premierement, c'est deffaulte de chaleur, mais quant ilz commencent a blanchir par devers la racine, c'est signe de fleume qui est habondant en la teste."
15Le dernier chapitre de cette première partie est un essai d'explication de la couleur des yeux et des ongles, et renvoie aux traités consacrés à ces organes par l'auteur "cy devant", aux livres sur le corps humain.
Des couleurs en particulier : naturelles et artificielles.
16Nous donnons ci-dessous l'édition de l'ensemble de la version de Corbechon. Entre la première et la seconde partie, nous avons inséré les noms latins des couleurs. Pour éviter la paraphrase, nous ne ferons ici que des remarques succintes.
17Comme toujours au moyen âge, il peut être parfois difficile à un lecteur moderne de se faire une idée exacte de la couleur décrite, malgré les efforts de Barthélemi et ceux, certains, de son traducteur. C'est que, "envisagées dans une perspective anthropologique, les couleurs sont des catégories difficiles à appréhender (...) par la diversité insaisissable des supports et par la multitude des témoignages apparemment contradictoires."8
18A cette constatation, Michel Pastoureau en ajoute une autre, tout aussi pertinente : "...à partir des xiiie et xive siècles, la sensibilité occidentale n'appréhende plus les couleurs selon les structures d'opposition ou d'assimilations, mais les classe dans une échelle unique de valeurs, linéaire et hiérarchique (...) Il y a là un changement structurel fondamental."9
19Par contre, s'il met en lumière la "promotion" du bleu, ceci n'apparaît pas, comme on pourra le constater, dans la compilation de Barthélemi et Corbechon n'y a rien ajouté.
20Enfin, les quelques pages qui suivent nous donnent, ici ou là, quelques témoignages intéressants sur la vie quotidienne au xiiie siècle, brèves notations éparses, peut-être fruit d'observations personnelles : la pâleur des amoureux ou de ceux qui travaillent trop (Ch. XIII), l'astuce des marchands de draps (Ch. XIV) ou la ruse des chasseurs (Ch. XIX), le fard des femmes (Ch. XXX) etc... La couleur, symptôme de maladie, particulièrement dans les urines, guide les "physiciens" et cet aspect de "traité de médecine" est un des caractères constants du De proprietatibus rerum.
21Pour pouvoir présenter le texte médiéval dans son intégralité, il faudrait un article pour le moins qui dépasserait notablement le contenu d'une communication. Nous laissons donc au lecteur le soin de puiser ce qui peut lui être nécessaire dans les pages qui suivent.
22L'édition est établie à partir du manuscrit 22531 du Fonds français de la Bibliothèque Nationale.
DES PROPRIETEZ DES CHOSES
23LE .XIXe. LIVRE DES PROPRIETES QUI TRAITE DES DIFFERANCES DES COULEURS, DE L'OUDEUR ET DES SAVEURS ET DES LIQUEURS. (f. 372 colonne b)
Premier/chappitre/de la couleur.
24Puis que nous avons descriptes les proprietés des choses tant espirituelles comme corporelles selon ce que elles peuent estre venues a noz mains, maintenant est il temps de dire aucune chose d'aucuns accidens qui ensuivent les substances des choses corporelles. Et pour mieulx proceder en ceste matiere, nous dirons a l'aide de Dieu premierement de la couleur, secondement de l'oudeur, tiercement de la saveur et quartement de la liqueur.
25La couleur est ainsi appellee pour ce qu'elle est perfaite par la chaleur du feu ou par la clarté du souleil, sicomme dit Ysidoire en son .XVIIIe. livre. Ou elle est appellee couleur pour ce qu'elle est coulee pour estre plus soubtillement unie et encorporee ou corps ou elle est.
26Toutes couleurs qui sont ou monde sont ou par nature ou par (372c) art faictes et ordonnees, sicomme nous dirons cy aprés.
27Selon Aristote ou livre de Metheore, couleur est l'extrémité de la clarté du corps qui est bien terminee, car le terme et la derreniere extremité de la chose corporelle visible si reçoit la differance des couleurs selon la nature de la seingneurie des ele-mens qui sont uniz a cellui corps et /la/ represente a la veüe par la lumiere qui fiert dessus ; et pour ce dit Aristote que la couleur esmuet la veüe par la lumiere qui est sa perfeccion. Car la lumiere est celle qui manifeste a la veue la nature de la couleur qui est es choses visibles. Et combien que telles choses soient bien coulourees, si ont elles besoing se lumiere pour estre veües, sicomme il appart de nuit ou toutes choses sont aussi bien coulourees comme de jour(s) mais on ne les voit pas par deffaulte de lumiere. Et pour ce dit Aristote ou second livre de l'Ame que la couleur pour soy manifester si a besoing de lumiere, mais la lumiere n'a point besoing de la couleur pour soy manifester car elle se monstre assez tout par soy ; et pour ce dient aucuns que la cause pour quoy une chose est visible, c'est la lumiere, car quant elle est ostee on ne voit riens.
28La couleur est en sa nature et en son essance aussi bien en tenebres comme en lumiere, car la lumiere ne la fait pas mais elle enlumine l'air et la couleur, et dispose l'air a recevoir la semblance et l'impression de la couleur et la porter jusques a la veüe ou se fait le jugement des couleurs, sicomme dit Averrois ou second livre de l'Ame ; et pour (372d) l'aucteur de Perspective ou derrenier chappitre du premier livre dit que la lumiere ne est neccessaire a la vision des couleurs se ce n'est en une des deux causes : ou pour ce que sans lumiere la forme des couleurs n'est point estendue en l'air, ou se elle y est estendue elle ne euvre point a la veüe sans lumiere. Par ce il appart que la lumiere n'est pas neccessaire a ce que la couleur soit, mais elle est neccessaire a ce que elle soit veüe et manifestee. Et pour ce ne sont pas les couleurs pour neant en tenebres, car elle/s/ sont la perfeccion de leur subget aussi bien en tenebres comme en clarté, mais la lumiere qui vient dessus leur donne aournement et beauté et les manifeste a la veüe.
Le .IIe. chappitre : du fondement des couleurs.
29Le fondement et la matiere de la couleur est une clarté bien terminee qui est ou corps bien coulouré. Et pour ce dit Aristote que couleur est une lumiere espesse.
30Ceste matiere de couleur est moisteur qui est clere de sa nature, car secheresse de la terre n'est pas clere et la secheresse du feu ne descent point ça bas, sicomme dit Aristote ou second livre des Gene-racions ; par quoy il fault que ceste clarté qui est la matiere de couleur soit moisteur. Et ceste clarté a trois differences : car elle est ou soubtille, ou grosse, ou moyenne entre ces deux. Se elle est moyenne, c'est la moisteur de l'eaue qui n'habonde pas moult sur la secheresse de la terre et est maindreque la moisteur de l'air ; ou ceste clarté moyenne est la clarté de l'air (373a) qui est moult alteree par la secheresse de la terre. Se ceste clarté est soubtille, c'est la moisteur alteree a la nature de l'air. Et se ceste clarté est grosse, adonc c'est la moisteur alteree a la grosseur et a la secheresse de la terre.
Le .IIIe. chappitre : de la generacion des couleurs.
31Il est a considerer se la matiere des couleurs est seiche par excellance ou moiste par excellence, ou seiche ou moiste moyennement.
32Se secheresse a seigneurie en ceste matiere et elle est transmuee par chaleur, adoncques en est engendree couleur blanche, car chaleur de sa nature esteint et espart les parties de la matiere ou elle euvre et engendre soubtillité et clarté, et c'est ce que dit Aristote ou .XIXe livre des Bestes : c'est que chaleur engendre blancheur de pou de humeur en chose seiche, sicomme il appart de la chaux et des os ars.
33Se ceste matiere est transmuee par froidure, adonc sera engendree noire couleur, car la froidure estreint les parties de la matiere et les assamble, et de tant sont elles plus obscures et plus noires.
34Quant la matiere est moiste et elle est transmuee par chaleur, la couleur qui en vient si est noire, car la chaleur brusle les parties moistes et les noircist, sicomme il appart des busches /vertes et moistes/ dont yst noire fumee par la chaleur du feu, sicomme dit Aristote ou .XIXe. livre des Bestes, ou il monstre que la chaleur naturelle en transmuant matière qui est moiste est cause de noire couleur.
LE .IIIIe. chappitre : de la blanche couleur.
35Quant la matiere de la couleur est moiste et froidure (373b) a la seigneurie en la transmuant, adonc est la couleur blanche engendre/e/, sicomme il appart de la nege et de la gelee et aussi des cheveux chanus qui sont blans pour cause de froidure qui engendre blancheur en moisteur et non pas en secheresse, et pour ce dit Aristote que blancheur est engendre/e/ de l'air qui decline a moisteur par l'euvre de la froidure, sicomme il dit ou .XIXe livre des Bestes. Et quant Averroys dit que blancheur est engendree de feu clair meslé avec un element transparant, c'est a entendre de la clarté qui est souvent ‘blancheur’ de Aristote et Averrois nommee. Et ainsi dit on que flambe est blanche et le/s/ nues sont /blanches/, c'est a dire que elles sont cleres.
Le .Ve. chappitre : de degrés de couleurs moyennes.
36Entre blanc et noir a moult de couleurs moyennes selon la disposicion de la matiere et des qualités actives et passives, car tant comme seicheresse a plus de seigneurie sur la matiere, de tant est elle plus fort a esclarcir et par consequant a blanchir, pour ce que une chose seiche est ferme et espesse ; et tant comme seicheresse y c moins de force et chaleur en y a plus, tant y est blancheur plus tost engendree ; et de tant comme seicheresse y est plus grande et froidure y est plus forte, de tant y est plus engendree noire couleur ; et de tant comme moisteur et chaleur sont plus fors, tant est plus tost causee noire couleur ; et quant moisteur regne et froidure a la seigneurie, adonc est causee plus forte blancheur ; et se la moisteur est forte et la chaleur est petite, la nourriture n'est pas si grande ; et se la moisteur (373c) est grande et la froidure petite, la chaleur n'est pas grande ; et se la moisteur est petite et la chaleur forte, la noirté est grande.
37Il avient toutesvoies aucune fois que chaleur engendre blancheur, sicomme il appart de l'aubun d'u/n/ oef qui blanchit au cuire et des cendres qui sont blanches par la chaleur du feu, mais ce n'est pas son effect car sa nature est de noircir et se elle blanchit, c'est par accident pour cause de la matière en quoy elle euvre.
Le .VIe. chappitre : de la couleur moyenne.
38Le froit et le chault moyennement (ms. : moyennant) euvrent en une seiche matiere, adonc est de neccessité engendree une couleur moyenne entre blanc et noir. Car le chault prant (ms. : quant) les parties de la matiere pour y mettre blancheur et le froit si les estraint et les dispose a obscurté, et ainsi l'un et l'autre euvrent en chascune partie de ceste matiere et couvient que chascun y mette sa forme, et par consequent ilz feront une couleur moyenne entre blanc et noir, mais elle approuchera plus au noir que au blanc par la matiere qui est seiche, et par consequent elle est plus encline au noir que au blanc. Mais se la matiere estoit moiste et le chault et le froit estoient egaulx, adonc la couleur moyenne trairoit plus au blanc que au noir pour cause de la moisteur qui est clere et trait a blancheur de sa nature. Et se la matiere est moyenne entre sec et moiste, la couleur sera moyenne entre blanc et noir ; et se la matiere est moyenne et le chault est plus fort que le froit, adonc la couleur sera plus noire que blanche ; et se le froit est plus (373d) fort, elle sera plus blanche que noire ; et se le chault et le froit euvrent egaulment et la matiere est bien moyenne, la couleur aussi sera moyenne entre blanc et noir.
39Il appart donc pour ce qui est dit que es couleurs yl y a deux extremitez, c'est assavoir blanc et noir, et .V. couleurs moyennes entre ces (ms. : ses) deux ; et n'y en peut plus avoir ne moins aussi, car entre le blanc et le noir le rouge est le moyen, et entre le blanc et le rouge il y a deux couleurs dont l'une est plus prés du blanc que du rouge et l'autre plus du rouge que du blanc ; entre le noir et le rouge, il en y a deux autres dont l'une est plus prés du noir que du rouge et l'autre est plus prés du rouge que du noir, et plus n'y en peut avoir sicomme il appart selon la vérité.
Le .VIIe. chappitre : de noms des couleurs moyennes.
40Aristote nomme ces .V. couleurs moyennes et dit que la premiere est appellee palle et la seconde jaune et la tierce rouge et la quarte pourpre et la .Ve. est vert. Entre le blanc et le rouge est palle prés du blanc et le jaune plus prés du rouge ; entre le rouge et le noir est le pourpre plus prés du rouge et le vert plus prés du noir, sicomme dit Aristote ou livre du Somne de la Vegille.
Le .VIIIe. chappitre : des oppinions des couleurs.
41Aucunes dient que lumiere est la substance des couleurs et que couleur est une lumiere encorporee ou corps ou elle est. La partie du corps ou est la couleur a ses differances, car ou celle partie est pure et sans mellee de parties terrestres, ou elle n'est pas pure mais mellee (374a) avec telles parties grosses.
42De rechief, il est une lumiere pure et l'autre obscure, l'une grande et l'autre petite. Quant donc la lumiere qui est pure et grande est recueillie en la pure (ms. : partie) extremité (et), adonc est en ce lieu engendree blancheur qui n'est autre chose que clere et grande lumiere en pure extremité du corps, sicomme dit Albumasar. Et quant la lumiere est petite et obscure, elle cause noire couleur en l'extremité du corps qui n'est pas pur/e/.
43Ceste oppinion declaire les paroles Aristote et Averroys qui dient que la couleur noire est privacion de lumiere et blancheur est lumiere pure, et selon ceste oppinion il a entre blanc et noir moult de couleurs dont chascune peut estre devisee en moult de degrez, mais de ce je me passe car il n'y a pas moult grant prouffit.
44Couleur donc est une qualité de liesce (sic) en l'extremité du corps par la nature de la meslee des qualités des elemens qui sont en cellui corps, laquelle couleur est par la lumiere presantee a la veüe pour en jugier ; car sans lumiere la couleur ne puet mouvoir la veüe combien que par soy elle soit visible, sicomme dit Aristote ou livre de l'Ame, et n'est pas sa deffaulte se elle n'est pas veue sans lumiere, mais c'est la deffaulte des yeulx qui ne la puent veoir.
45La couleur est proprement en l'extremité du corps combien qu'elle soit dedenz et dehors, sicomme il appert en un aubun de oef quant il cuit qui est blanc dedens comme dehors, et ou voirre coulouré aussi quant on le brise.(374b)
46Il est toutesvoies aucuns corps qui ont une couleur par dehors et l'autre par dedans, sicomme le poivre qui est noir dehors et blanc dedens, et es grains des pommes est il ainsi, et es parois qui sont paintes dehors et non pas dedens.
47De rechief, aussi comme la presence de la lumiere fait l'air cler et son absence le fait tenebreux, ainsi fait la presance de la clarté les choses blanches et son absence les fait noir/es/ et obscures.
48De rechief, vraie couleur est seulement es corps fermes qui sont d'eux mesmes bien terminez, sicomme pierre, fust et leurs semblables, mais les corps qui ne sont pas fermes et se terminent non pas par eulx mais par autruy n'ont pas vraie couleur, sicomme l'air et l'eaue et leurs semblables.
49De rechief, les couleurs sont variees selon la proporcion que on leur donne, et de tant comme elles sont plus proporcionees, de tant sont elles plus plaisans a veoir.
50De rechief, selon l'oppinion des autres, la generacion des couleurs moyennes se fait par supposicion des deux couleurs derrenieres qui sont plus manifestes.
51De rechief, en voiant les couleurs, il n'est riens de l'ueil mes que la couleur multiplie sa semblance en l'air et l'envoye soudainement jusques a l'ueil pour la veoir.
52De rechief, toutes couleurs moyennes sont engendrees de blanc et de noir. De rechief, couleur moyenne est plaisant a la veüe, mais les extremités lui desplaisent, sicomme blanc et noir.
53De rechief, la couleur des choses monstre leur complexion (374c) car blanche couleur est signe de froidure et noire couleur est signe de chaleur, sicomme dit Aristote.
54De rechief, la verité des couleurs bien proporcionnees fait les gens et les bestes esmerveillier et les voulentiers regarder, sicomme dit Pline de la panthere que toutes bestes regardent voulentiers pour la beauté de ses couleurs.
55De rechief, la couleur fait la face de toutes personnes ou belle ou laide, sicomme dit Avicenne, et pour ce dit saint Augustin que beauté est une bonne disposicion des membres avec une souefve et doulce couleur.
56De rechief, selon la couleur on juge des accidens de l'ame, car palle couleur qui vient soudainement est signe de paour et rougeur est signe de honte ou de ire.
57De rechief, la couleur parfait et termine son subget, car se une chose n'est coulouree, elle ne puet estre veüe ne advisee.
58De rechief, la couleur aourne et paire les extremités du corps ou elle est, et pallie et cuevre ses ordures, sicomme il appart des couleurs ou des paintures qui sont es maisons.
59De rechief, la couleur si est confourme a la lumiere comme la fille a sa mere, car quant la lumiere est grande et clere, la couleur se monstre mieulx, et quant la lumiere est petite, la couleur en est plus orbe et moins plaisant a veoir.
Le .IXe. chappitre : de la mutacion des couleurs.
60La mutacion des couleurs se fait par diverses causes sicomme il appert es fruis et es herbes et es autres choses qui yssent de terre, car les fruis sont vers au premier, sicomme il appart (374c) des resins et des meüres, et rougissent. La cause de ceste varieté est pour la variacion de la chaleur naturelle et du souleil qui a diverses manieres cuit la substance de telz fruis. Car l'euvre de la chaleur est au premier foible et lente et ne puet digerer les parties terrestres du fruit, et pour ce est la couleur verte et crue ; mais apres, petit a petit, sa chaleur s'enforce et digere mieulx la matiere, et adonc rougist le fruit ; et quant la matiere est bien digeree et meüre, le fruit noircist et devient bon a cueillir selon le païs ou il croist.
61De rechief, mutacion de couleur se fait es choses sensibles, et en cuir et en yeux et en poueil, et en ungles et en moult d'autres manieres ; car la couleur du cuir se fait aucune fois par dedens : elle se fait aucune fois des humeurs, aucune fois elle se fait de passions de l'ame ; quant les humeurs se refroident, le cuir si devient blanc ou palle, et quant elles eschauffent, le cuir devient rouge ; de rechief, la couleur se mue par les passions de l'ame, par paour qui fait la couleur pallir ou par honte qui la fait rougir ; la couleur des gens aussi vient dedens eulx selon la nature du païs, sicomme par nature ceulx de Ethiope sont noirs et ceulx d'Alemaigne sont blans par la condicion du pays.
62De rechief, la couleur du cuir de la personne se muet par moult d'autres causes : aucune fois pour la mauvestié de la complexion, sicomme les (375a) melancolieux ; ou par trop grant chaleur du corps, sicomme les coloriques qui sont jaunes ; ou par chaleur du souleil, sicomme ceulx qui vont en chemin ; ou par corrupcion de humeurs, sicomme ceulx qui ont la jaunisse.
63De rechief, la couleur se varie ou poueil ou es cheveux selon les diverses fumees des complexions dont ilz sont causez, car le fleume les fait blans, et le sanc les fait roux, et melencolie les fait, blons et la coule les fait noirs.
64Les cheveux aussi deviennent chanuz par deffaulte de chaleur naturelle, sicomme es vielles gens ; et quant ilz deviennent blans au bout d'en hault premierement, c'est deffaulte de chaleur, mais quant ilz commencent a blanchir par devers la racine, c'est signe de fleume qui est habondant en la teste.
Le .Xe. chappitre : de la couleur de/s/ yeux.
65On doit aussi considerer la couleur des yeulx qui est noire, ou palle, ou vere, ou perse, et ceste diversité vient de la clarté ou de l'obscurté de l'esperit visible, ou par l'umeur cristaline de l'ueil qui est trop petite ou trop parfonde, ou par superfluité de humeur blanche, ou par indigence de l'umeur des coctes qui sont sus la prunelle de l'ueil Car se il y a pou de humeur cristaline, ou se elle est trop perfonde, et l'umeur blanche fault ou est troublee, et l'umeur de la cocte noire qui est sus la prunelle est plus forte que les autres, les yeux seront de noire couleur ; et se les causes sont au contraire, les yeux sont palles ; les autres deux couleurs viennent de la meslee des humeurs devant (375b) dictes, sicomme nous avons dit cy devant ou traitié des yeulx.
66On doit aussi penser la couleur des ongles, car de leur nature il/z/ doivent avoir couleur entre blanc et rouge, et clere comme un mireour, et quant ceste couleur se mue en morteour ou en perse couleur, c'est signe de maladie, sicomme nous avons dit cy devant ou traitié des ongles.
*
67Les chapitres suivants traitent des couleurs en particulier. Nous donnons auparavant les noms latins des couleurs tels qu'ils apparaissent dans le manuscrit Lat. 16098 de la Bibliothèque Nationale (XIIIes.)
68/12/ col. glaucus et flavus ; /13/ c. pallidus ; /14/ c. rubeus ; /15/ c. croceus ; /17/ c. minius i.e. quod coccinus ac vermiculus ; /18/ c. puniceus ; /19/ c. viridis ; /20/ c. lividus ; /21/ c. indicus sive venetus est c. blavius : /22/ nigredo ; /24/ sinopis (rubrica) ; /25/ siricum pigmentum ; /26/ minium ; /27/ sinobrius ; /28/ prasina ; /29/ sandaracha ; /30/ arsenicum auri-pigmentum ; /31/ ocra ; /32/ yndicum ; /33/ attramentum ; /34/ melinus ; /35/ stibius ; /36/ cerusa ; /37 purpurea.
69f. 375 col.b
Le .XIe. chappitre : des couleurs en especial.
70Maintenant fault y dire aucune chose des couleurs en especial, et premierement de la blanche couleur qui est le fondement des couleurs moyennes. Blancheur est une couleur qui est engendree de lumiere clere et grande en une pure et clere partie du corps ou elle est, sicomme dit Agazel. Et tant comme la matiere est plus pure et la lumiere est plus clere, tant est la blancheur plus grande et moins meslee avec son contraire.
71La matiere de blancheur dont est la purté clere de l'extremité du corps ou elle est, qui est aucune fois sec et aucune fois moiste.
72La cause efficient de blancheur est ou chaleur ou froidure qui transmue celle matiere, que se la matiere est plus seche que moiste et elle est transmuee en forte chaleur, la couleur sera blanche si-comme il appart de la chaux et des os qui sont ars ou feu ; et se la matiere est plus moiste que seche et elle est transmuee par forte froidure, la couleur sera blanche sicomme il appart de la noige et de la gelee : car le froit blanchist la moiste matiere et noircist la seiche, et la chaleur blanchist (375 c) la seiche matiere et noircist la moiste, sicomme dit Aristote ou .XIXe livre des Bestes.
73Derechief, blancheur est engendree aucunefois de l'air bien tenu(e) et delié, sicomme il appart de l'escume de l'yaue : et pour ce l'eaue chaude fait le poil blanchir, sicomme dit Aristote.
74Blancheur en un corps vient de la fumee de l'air qui est retenue dedens les membres, et pour ce toutes bestes sont blanches soubz le ventre ; ce dit Aristote ou .XIXe. livre des Bestes.
75La couleur blanche se espant moult par les yeulx et espart la veue forment et blesce et corrompt quant elle est trop blanche, et fait aucunefois les yeulx plorer quant on la regarde fort.
76Les couleurs moyennes ne se peuent mieulx fonder que en blancheur, et tant comme le fondement est plus blanc, tant mieux se tiennent les autres couleurs. Et pour ce, qui veult paindre une maison, il la blanchist premierement et puis y met les autres couleurs.
77Il est moult de couleurs qui appertiennent a blancheur, sicomme pale, pers et bleu et moult d'autres, sicomme dient les phisiciens qui parlent des couleurs des orines.
78Il est une maniere de blancheur qui en latin est appellee candor et en nostre langaige n'a point d' autre nom que blancheur. Ceste blancheur a moult de lumiere en sa forme et moult de purté en sa matiere et est la plus excellente blancheur qui puist estre veüe sans blecier l'ueil, car les couleurs soubz leurs derreniers degrez ne sont pas visibles, sicomme dist Aristote.
Le .XIIe. chappitre : de la couleur flave.
79La flave couleur est engendree de foible blancheur, qui trait un pou sur le rouge, et est engendree en matiere bien attrempee au regart de la couleur verte, ce dit Avicenne, car le vert se mue en flave couleur es feuilles des arbres en antompne pour le froit qui les touche et transmue leur humeur et y fait/venir/une couleur moyenne qui approche de couleur blanche plus que ne fait le vert. Et pour ce dit Averroys que aucuns arbres verdissent en esté et pallis/s/ent en yver, sicomme le boys que la chaleur fait verdir en esté et la froidure le fait pallir en yver.
Le .XIIIe. chappitre : de la couleur palle.
80Palle couleur est engendree de telles causes comme la flave, mais il y a moins de blancheur et se trait plus au noir, et est en plus grosse matiere.
81Pale couleur commence au blanc et se decline vers le noir. Ceste couleur aussi est engendree de aucuns accidens comme de paour et de trop penser et de trop travaillier et de autres causes par quoy la chaleur dehors est traite dedens pour reconforter nature qui est desolee, et aussi la face et le corps par dehors demeure pale et descoulouré, sicomme il appart a ceulx qui dorment et a ceulx qui sont amoureux qui par force de amour degastent leurs esperis ; si cou-vient, sicomme il appart, pour les restourer, que la chaleur et le sanc de dehors s'en voise au cuer, et si dehors est palle et mal coulouré(e) ;par ceste cause (376 a) deviennent palies ceulx qui trop junent et qui trop labourent.
Le .XIIIIe. chappitre : de la couleur rouge.
82Rouge couleur tient le moyen entre blanc et noir et est autant loing de l'un comme de l'autre. La couleur rouge est causee en la clere extremité du corps par incorporation d'une clere lumiere qui a nature et couleur de feu, et est composee egaument de blanc et de noir, mais en reluisant elle s'accorde plus au blanc que au noir pour sa clarté qui est de nature de feu, lequel reluit et espart la veüe par sa couleur. Et pour ce une couleur bien rouge blesce la velle aussi comme fait la blanche ; et si donne couleur aux choses qui sont prés de lui : et pourtant les vendeurs de draps pendent draps rouges devant la lumiere pour ce que les acheteurs puissent moins jugier de la couleur des autres draps pour la rougeur qui leur empesche la veüe.
83La rouge couleur est signe de chaleur, combien que la rose qui est froide soit rouge par dehors.
Le.XVe chappitre : de la couleur citrine, jaune et punicee.
84Couleur citrine, et jaune, et punicee sont auques tout un et y a pou de differance mais que il a moins de blanc et plus de noir en l'un que en l'autre, et plus de chaleur et moins de froidure selon que celle couleur est enracinee en plus soubtille et plus clere matiere de tant reluit elle plus et appart mieulx. Et se la matiere est grosse et terreste, tant appart moins ceste couleur.
85Couleur citrine quant est de soy signifie chaleur attrempee, mais selon diverses complexions elle signifie (376 b) diverses choses, sicomme dit Ysaac ou Traitié des orines, car couleur citrine en orine qui a tenue et deliee substance est signe de santé, mais que la personne soit jeune et de complexion colorique ; et se la personne est fleumatique ou melencolique, ceste couleur en son orine peut signifier moult de maladies, sicomme dit Gilles ou .XIIIe. chapitre du Traitié des orines. Et pour ce une couleur signifie diverses choses selon diverses complexions des gens dont sont les orines qui ont telle couleur.
Le .XVIe. chappitre : de couleur jaune.
86Jaune couleur donne plus grant tainture aux liqueurs et aux humeurs que ne fait la citrine ; et est signe de grant chaleur en une orine, et de sanc mal attrempé ou foye, et que la cole est meslee avec le sanc, sicomme il appart a ceulx qui ont la jaunisse qui ont l'orine jaune et l'escume et les yeux et la pel aussi.
87Les oyseaux qui sont de chaude et colorique complexion, sicomme les oyseaus de proie, ont le bec et les piés jaunes, et c'est la surhabondance de la fumee colorique que nature recette a ces parties qui leur donne celle couleur.
Le .XVIIe. chappitre : du vermeillon.
88Vermeillon est une couleur prés de rouge et qui reluit et resplandist comme feu, car ceste couleur a en soy moult de clarté du feu et est sa matiere bien clere, et pour ce est elle si luisant et agüe.
89La matiere du vermeillon est une terre que on prent au rivage de la Mer Rouge, la quelle terre est si rouge qu'elle taint et rougist celle mer toute,et pour ce est elle appellee la Mer Rouge. Et es vaines (376 c) de celle terre sont trouvees de rouges pierres precieuses.
90Le vermeillon est nettoyé et separé de la terre et puis moulu et broyé entre pierres et destrempé du cler d'un oef, et puis on le met en painture et en escripture, et par especial es grans lettres et en l'encommencement et en la fin des livres.
91Ceste couleur est agüisee par le jus d'une herbe qui est appellee 'coctus' qui reluit comme feu, et du jus de ceste herbe est ceste couleur appellee 'coctine' en aucuns lieux de l'Escripture. Et de celle couleur usent les tainturiers plus que les escripvainz.
92On souloit aussi ceste couleur agüiser par le sanc d'un petit ver ainsi comme on agüise le pourpre du sanc des moles ; et pour la cause de ce ver est ceste couleur appellee ‘vermeillon’, sicomme dit Ysidoire.
93Ceste couleur se tient moult fort ou elle se prent et ne l'en puet on oster que il n'y pere tous jours.
Le .XVIIe. chappitre : de la couleur punicee.
94La couleur punicee est entre jaune et rouge, et a en soy plus de rouge que de blanc ne de noir ; et decline plus au bleu que au noir, sicomme il appert en la couleur des pommes de Orange qui sont de ceste couleur.
95La couleur punicee parmy la coulour de pourpre passe en noire couleur, sicomme dit Aristote. Il y a en la mer une maniere de moules qui sont moult petites, desqueles on coppe les extremitez et de la yssent aucunes goutes rouges de quoy on taint la pourpre avec autres couleurs /et si en agüise l'on les couleurs rouges et les autres couleurs/ pour taindre la soye.
Le .XIXe. chappitre : de la verte couleur.
96La verte couleur est engendree de chaleur (376d) en matiere moyenne entre sec et moiste, mais elle est plus encline au moiste que au sec, sicomme il appart es fueilles et es fruiz et es herbes. Et pour ce il a moult de noir en la couleur verte, et est la verdure des fruis et des herbes signe de humeur crue et mal digeree, sicomme dit Avicenne. Et ce appert car tant comme l'umeur des fruis est plus digeree et plus meure, tant plus appetice la verdure et vient autre couleur sicomme blanc ou rouge ou noir ou jaune.
97La couleur verte est moyennement rouge et noir, et ce appert pour tant : car selon les naturiens, se la colle rouge se doit convertir en melencolie qui est appellee colle noire, il la couvient avant convertir en la cole verte.
98La couleur verte est delitable a la veue, car elle est composee de nature de feu et de terre, et la clarté du feu qui est attrempee ou vert plait a la veue, et l'obscurté de la terre (ms. : du feu) qui y est si assemble l'esperit visible dedens les yeux. Et ainsi la veue prent grant plaisir et confort en ceste couleur plus que en nulle autre, sicomme il appart en l'esmeraude qui conforte par sa verdure les yeux de ceulx qui taillent les pierres precieuses et les metaulx, sicomme dit Ysidoire.
99La verdure des feuilles et des herbes vient des parties terrestres qui sont en elles, lesquelles sont esclarcies et coulourees par les parties de feu qui sont meslees avec elles ; et combien que les feuilles soient vertes et le fruit aussi, si ne le sont pas les fleurs car la matiere des fleurs (377a) est plus soubtille que celle des feuilles.
100La verte couleur est moyenne entre rouge et noir et donne grant plaisir à la veüe et attrait les yeulx a la regarder, et les reconforte et repare quant ilz sont grevez. Et pour ce les cerfs et les autres bestes sauvaiges frequentent voulentiers la verdure, non pas seulement pour pasturer, mais aussi pour la veue conforter : et c'est la cause pour quoy les veneurs sont vestus de vert, car les bestes sauvaiges qui aiment la verdure n'on/t/ pas si grant paour d'eulx comme se ilz estoient vestus d'autre couleur, sicomme dit Galien.
Le .XXe.chappitre : de la couleur violee.
101Couleur violee est engendree en matiere ou l'eaue et la terre ont la seigneurie et en choses qui ont humeur grosse et froide, sicomme il appart es violettes et ou plonc qui aucune fois a ceste couleur par dessus combien que il soit blanc de sa nature.
102Ceste couleur est signe de froidure, et quant elle est en une orine, elle monstre que la chaleur naturelle est estainte en la personne, sicomme dit Gilles. Et quant ceste couleur est en un membre, c'est signe que les humeurs y sont mortifiés et de moult d'autres passions, sicomme dit cellui Gilles.
103Celle couleur est mauvaise es corps des gens et des bestes, car elle est signe de trop grant froidure qui estaint la chaleur naturelle et commence a mortifier nature ; ou elle signifie trop grant habondance de sanc melencolieux qui honnist la couleur de la pel ; ou c'est signe de angoisse de cuer qui amasse la chaleur (377b) du sanc dedens le corps, sicomme il appart quant une personne est bleciee ou ferue fort sans playe, que le sang qui s'i assamble est pers et corrompu et oste la couleur naturelle du cuir.
104Ceste couleur est signe de deffaulte d'esperit et de chaleur naturelle, sicomme il appart es ydropites et en ceulx qui sont ethiques, sicomme dit Gilles.
105Ceste couleur aussi signifie douleur artetique es jointures, sicomme dit Constantin. Ceste couleur en corps humain signifie moult de maulx et signifie pou ou nulz biens se premier autre couleur comme vert ou noir ne se mue en ceste couleur par oeuvre de nature ; et puis que elle se tourne en rouge ou en aultre jaune couleur, mais adonc c'est signe que nature a vittoire dessus le mal, sicomme dit Gilles.
Le .XXIe. chappitre : de la couleur ynde.
106Inde couleur seurmonte la perse en beauté et a plus de nature de l'air meslee avec les parties terrestres qui sont en /sa/ complexion que n'a l'autre. Et pour ce, telle est la couleur du ciel et telle couleur est en matere pure et transparant, sicomme il appart es saphirs de Oriant et es pierres precieuses qui sont appellees jacintes, et en azur, qui sont de couleur ynde.
Le .XXIIe. chappitre : de couleur noire.
107La noire couleur est privacion de blancheur ainsi comme amertume est privacion de doulceur, car blancheur est commencement de toutes couleurs aussi comme doulceur est fontaine de toutes saveurs, si comme dit Aristote.
108La noire couleur est engendree de la lumiere petite et obscure (377c) qui est encorporee en l'extremité grosse et non pure du corps ou est elle. La couleur noire assamble et vaint les esperis visibles et blece la veue quant elle est trop forte, sicomme il appart a ceulx qui ont esté longuement /en prison/ obscure qui voyent pou quant ilz en yssent.
109La couleur noire est fondee aucune fois en substance moiste et chaude, car la chaleur qui est plus fort noircist (ms. : miste et) la moisteur sicomme il appert des buches vertes qui sont noirsies ou feu. Aucune fois elle est causee en substance froide et seche, car la froidure qui est plus forte si noirsist la seiche matiere et si blanchit la matiere moiste, sicomme dit Avicenne. Et pour ce la noire couleur est aucune fois causee de froidure et adonc elle est signe de mortificacion ; et aucune fois elle est causee de chaleur, et pour ce dit Gilles que une orine noire peut signifie/r/ pluseurs choses : car elle est aucune fois signe que la quartaine se prent ou corps de la personne, et aucune fois elle est signe de mort quant elle est noire en fievre agüe, sicomme dit Gilles le phisicien.
110Il est aucunes autres (ms. : aucune fois) couleurs qui sont couvenables a art de painture, desquelles aucunes sont qui naissent es vaines de terre et les autres sont composees par art. Et de celles nous dirons aucunes.
Le .XXIIIIe. chappitre : du sinope10
111Synope est une couleur rouge qui fu premier trouvee en la mer prés de la Cité de Sinope et pour ce est ceste couleur appellee sinope, sicomme dit Ysidoire ou .XVIIIe. livre.
112Il est trois especes de synope dont (377d) une est plus rouge et l'autre l'est moins et l'autre est moyenne en rougeur, sicomme dit Ysidoire. La premiere est appellee rubrique pour ce qu'elle est rouge si-comme sanc, et croist en moult de lieux mais la meilleur croist au lieu devant dit.
Le .XXVe. chappitre : du pigment.
113Pigment est autrement appelé sirique, et est ce de quoy on fait la couleur dont on fait le chief des livres. Et est cueilli au rivage de la Mer Rouge ou païs de Phenice.
114Ceste couleur est contee entre les couleurs faintes pour ce qu'elle est aucune fois composee de sinope et d'autres choses meslees ensemble, sicomme dit Ysidoire.
Le .XXVIe. chappitre : de la mine.
115Mine est une couleur rouge que ceulx de Grece trouverent premierement en Ephese, mais il en y a plus en Espaigne que en nulle autre region, sicomme dit Ysidoire.
Le .XXVIIe. chappitre : du sinobre.
116Sinobre est denommé du dragon et de l'elephant car, selon Avicenne, quant le dragon lie de sa queue les jambes de l'elephant, le elephant se laisse cheoir sur le dragon et le sanc du dragon rougist la terre ; et toute la terre que le sanc touche devient sinobre, que Avicenne appelle "sanc de dragon". Et est sinobre une pouldre de rouge couleur, sicomme dit Ysidoire.
Le .XXVIIIe. chappitre : de la prassine.
117Prassine est une terre verte comme un porel, et croist la meilleur qui soit en Libie la Sirene, si-comme dist Ysidoire.
118Il est une espece de ceste couleur que on appelle en grec crisocane pour ce que on treuve l'or avec (378a) luy, et la treuve l'en en Armenie. Mais celle qui croist en Macedoine est plus approuvee et la fouist on en terre entre le metail d'arain ; et quant on la treuve, on scet bien que il y a mine d'argent, car les vaines de l'un et de l'autre ont compaignie et amistié ensemble, sicomme dit Ysidoire.
Le .XXIXe. chappitre : du sant derage.
119Sanderage croist en une ysle de la Mer Rouge qui est appellee Tropazion, et est de la couleur de sinobre mais il a odeur de souffre ; et le treuve l'en entre l'or et l'argent, et est de tant meilleur comme il est plus roux et que il sent plus de souffre, sicomme dit Ysidoire.
Le .XXXe. chappitre : de arcenic.
120Arcenic ou or pigment est ainsi appellé pour ce qu'il a couleur d'or, et est cueilli en un païs qui est appellé Pont. Arcenic est de matiere (-) et cel-lui qui mieulx a sa couleur d'or est meilleur et plus pur, et cellui qui est plus passé n'est pas si bon, sicomme nous avons dit ou traitié des vaines de terce de l'or pigment.
Le XXXIe. chappitre : de ocre.
121Octe croist en l'isle de Tapazion ou croist le sanderage, mais de octe on fait aucune fois le sinope par feu en moles neuves envolopees en boue. Et tant comme il art plus ou feu, tant vaut il mieux, sicomme dit Ysidoire.
Le .XXXIIe chappitre de ynde.
122Inde est trouvee en roseaux qui ont les racines fichiees en fange et en limon, et a escume qui se tient en ce limon. Inde est la couleur du ciel qui est moult belle et a un pou de couleur de pourpre (378b) meslee avec.
123Il est une autre maniere de ynde dont /usent/ ceulx qui taignent (ms. : tiennent) la pourpre, lequel ynde nage par dessus l'escume et les ouvriers le prennent et le seichent pour mettre en euvre, sicomme dit Ysidoire.
Le .XXXIIIe. chappitre : du arrement.
124Arrement est ainsi appelle pour ce qu'il est noir et est neccessaire a usaige de painture ; et est conté entre lescouleurs faintes, car on le fait de suye sur pierres ardens, et y mettent les paintres de la glus (sic) avec pour estre plus reluisant. Les autres y mettent lie de vin bien rouge, sicomme dit Ysidoire.
125L'ancre a escripre est attrempee et agusee par arrement, lequel a moult de vertus sicomme dit le Plateaire, et comme nous avons dit cy dessus ou XVe livre.
Le .XXXIIIIe. chappitre : de la couleur meline.
126Couleur meline est blanche de sa nature, trouvee en l'isle de Melos, et pour ce est elle appellee couleur meline, sicomme dit Ysidoire. Les paintres ne usent point de ceste couleur pour ce qu'elle est trop crasse selon Ysidoire.
Le .XXXVe. chappitre : du fart.
127Fart est Hane couleur fainte que les femmes mettent sur leur face pour leur donner couleur et beauté apparant, et est couleur composée de moult de choses.
Le .XXXVIe. chappitre : du faulx asur.
128Le faux azur est fait de fort vin aigre geté sur plates de plomb qui sont mises sur sermans de vigne blanche. En ceste maniere fait on le vert de gris, car sur plates de arain on gette du fort vin aigre et les lesse l'en enrouillier, et le rouil qui y vient est vert de (378C) gris qui mengtiet et ronge la char morte de sa nature.
Le .XXXVIIe. chappitre : de la couleur de pourpre.
129Couleur de pourpre est ainsi ditte pour sa purté et pour sa lumiere, car elle croist plus ou païs du monde ou le souleil enlumine plus.
130Ceste couleur est aguisee de gouttes de sanc qui yssent de l'esquaille de une maniere de moules qui sont en la mer d'ycellui païs, sicomme dit Ysidoire ou .XIXe. livre ou chappitre des taintures.
/conclusion du traité/
131Il est moult d'autres couleurs tant simples comme meslees de quoy usent les paintres et les tain-turiers, mais nous avons recité les plus nobles et pour ce y souffit de ceste matiere quant au presant.
132De toutes ces couleurs parle Plinius en son .XXXV.e livre, des le .xiiiie. chappitre jusques au .xxxiiie., et Ysidoire ou .XVIIIe et ou .XIXe. livres.
133Les tainturiers usent des couleurs en coulourant les draps et les laines, et les paintres en usent en faisant les ymages.
134L'art de paintures fust premier trouvé en Egipte en pourtraiant le umbre d'un homme de lignes contre le mur. Et puis le firent de simples couleurs, et aprés ilz se estudierent a le faire de diverses couleurs, et ainsi pou a pou cel art a prouffité et trouvé la difference de couleurs et la maniere de les asseoir. Et encores tiennent les paintres la maniere de ceulx qui trouverent cest art car quant ilz veulent faire une ymage, ilz la pourtraient premierement, et puis y mettent les paintures, si comme dit Ysidoire ou .XVIIIe. livre et ou (378d) chappitre des paintures.
Notes de bas de page
1 Livre des proprietez des choses, ms. Fs.22531, Bibliothèque Nationale, f° 372 col. b.
2 Agazel, plus souvent Algazel, est le philosophe musulman AL-GHAZALI, né et mort à Tūs dans le Khorassan (1058-1111), qui professa à Bagdad et a laissé de nombreux traités tant de doctrine religieuse que de philosophie. Barthélemi cite également dans sa première partie le médecin Albumasar (ABU MA'CHAR) qui vivait au ixe siècle et exerçait à la cour du Calife Al-Ma'mun bien qu'il se fût converti au Christianisme ; un de ses ouvrages, traduit très tôt en latin, a été très lu au moyen âge (édité à Francfort en 1577 sous le titre d'Apotelesmata sive De siqnificatione et inventis insomniorum).
3 Ysaac, ISAAC JUDEUS ou ISAAC ISRAELI l'Ancien, médecin juif auteur des Dietae universales et particulares que cite abondamment Barthélemi - dans l'ensemble de son ouvrage - (fin ixe-xe s.)
4 Gilles (le phisicien), le chanoine Gilles de Corbeil qui vécut sous le règne de Philippe-Auguste. Disciple de l'Ecole de Salerne, il en apporta la science à Paris par son exposé en trois poèmes médicaux très lus : Liber de pulsibus, Liber de laudibus et virtutibus compositorum, et le fameux Liber de urinis qui est le bréviaire de l'urologie médiévale.
5 Constantin l'Africain, né à Carthage vers 1015, mort au Mont-Cassin en 1087, est considéré comme le restaurateur de la médecine grecque en Occident ; il a aussi introduit la technique arabe à l'Ecole de Salerne.
6 Michel PASTOUREAU, "Les couleurs médiévales : systèmes de valeurs et modes de sensibilité", dans Figures et couleurs, Paris (Le Léopard d'Or), 1986, p. 35.
7 Les titres des chapitres sont de Corbechon avec des variantes selon les copistes, le texte latin des manuscrits anciens ne comportant pas de titres.
8 Michel PASTOUREAU, "Et puis vint le bleu", dans op. cit. p. 15.
9 Idem, p. 20.
10 Le manuscrit 22531 ne comporte pas de chapitre XXIII.
Auteur
Université de Rouen
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