Blanc, Rouge, or et vert : les couleurs de la merveille dans les Lais
p. 301-328
Texte intégral
1Lorsqu’à la fin du lai de Lanval, la demoiselle venue de l’Autre Monde apparaît aux yeux émerveillés des gens du bourg et de la Cour d’Arthur, l’éblouissement des assistants et du lecteur naît en partie de l’éclat des couleurs qui surgissent brusquement dans un monde et dans un texte auparavant incolores : blancheur du cheval, du "chainse" et de la chemise, blancheur plus éclatante encore de la peau, or lumineux des cheveux, qui tranchent sur la pourpre sombre du manteau. Ces trois couleurs se trouvaient déjà associées dans la description de la fée telle qu’elle était apparue aux yeux du seul Lanval au début du lai, ainsi que dans celle des demoiselles qui l’avaient précédée.
2En-dehors du vert qui n’apparaît que dans Guignemar et du "bis" d’un perron, d’un mur ou d’une tour, l’or, le blanc et le rouge, avec deux variétés différentes, la pourpre et le vermeil, sont les seules couleurs mentionnées par Marie de France. Antoinette Knapton, dans un article très utile mais aux conclusions contestables, a déjà fait remarquer la relative rareté des notations de couleur dans les Lais de Marie1. Nul doute qu’il y ait là un choix concerté d’un écrivain qui maîtrise admirablement l’art de la narration brève, dans laquelle tous les détails portent2. On ne peut pour autant, me semble-t-il, le considérer indépendamment du reste de la littérature du xiie siècle, et le rapporter à un symbolisme univoque, encore moins à une hypothétique expérience biographique, comme le fait A. Knapton. Ce choix de couleurs n’a rien d’unique, non plus que le beau portrait de la fée de Lanval. Il rencontre de multiples échos dans d’autres textes contemporains - effets d’intertextualité ou influence plus directe, comme on l’a montré pour les romans antiques ; il nous renvoie plus largement à une esthétique qui est celle d’une époque, sans que cela exclue à l’occasion le jeu sur des valeurs symboliques qui ont été de tous temps associées aux couleurs de façons fort diverses, et qui étaient très présentes au Moyen Age. Pour bien apprécier la part de cette esthétique d’époque, il faudrait s’appuyer sur une étude systématique des couleurs dans de nombreux romans et lais du xiie siècle, en particulier les romans antiques dont Marie de France semble s’être beaucoup inspirée dans ses descriptions de personnages ou d’objets3, où apparaissent une grande partie des indications de couleurs. Tel est le cadre dans lequel il faut nécessairement envisager une étude des couleurs dans un texte particulier. Je n’ai fait que l’esquisser très partiellement, en faisant référence à des études générales4 et a quelques autres textes contemporains des Lais. Il m’a paru intéressant d’inclure aussi dans cette enquête les Lais anonymes5, tout en gardant pour objet principal ceux de Marie de France.
3Mais j’ai voulu surtout envisager les couleurs des Lais dans la perspective d’une poétique dont elles seraient un élément parmi d’autres. C’est pourquoi je les considérerai autant que possible dans le contexte dans lequel elles apparaissent, plutôt que de les regrouper par catégories. L’auteur médiéval, et Marie de France en particulier6, s’il puise à de nombreuses sources et s’alimente à différentes traditions littéraires, réinvente aussi sa matière en l’organisant selon une "conjointure" propre à l’oeuvre, un art de "l’assembler" et du "reconter", pour reprendre les termes employés par Marie dans son prologue7. Les couleurs des Lais, dont la rareté ne leur confère que plus d’éclat, sont riches de résonnances multiples, par les échos ou les reflets qu’elles éveillent à l’intérieur même du recueil des Lais comme dans une tradition très large. Après quelques remarques générales, j’essaierai d’analyser quelques-uns de ces effets proprement poétiques.
I La palette des Lais : lumière et merveilles
4Considérons d’abord l’ensemble des notations de couleur dans les Lais8. Il faut prendre en compte non seulement les adjectifs de couleur, mais aussi les désignations indirectes des couleurs ; il s’agit surtout de mots qui indiquent la matière, à condition qu’ils renvoient de façon implicite mais certaine à une couleur. Ainsi, on retiendra l’or des cheveux ou des objets précieux, ou même l’argent dont semble faite la cité de Muldumarec dans Yonec, qui n’est pas à proprement parler une couleur, mais qui connote ici au moins autant l’éclat lumineux de l’Autre Monde que sa richesse ; mais on écartera les mentions de l’or et de l’argent qui se rapportent uniquement à la richesse, de même que les anneaux d’or, trop courants pour être significatifs, du moins en ce qui concerne leur couleur9. Pour la même raison, on ne mentionnera que pour mémoire le vieux prêtre "blanc e flori" de Guigemar ou la barbe et les cheveux chenus de Milon. Le cas de la pourpre est un peu particulier : bien que dans les textes non savants, en ancien français, elle puisse renvoyer seulement à une étoffe précieuse, sans préjudice de couleur, je crois avec A. Knapton que la "pourpre alexandrine" et la "pourpre bise" désignent chez Marie une étoffe de couleur rouge tirant sur le violet, d’un rouge très sombre dans le cas de la pourpre bise. Un passage de l’Eneas qui décrit (de façon assez fantaisiste) la fabrication de la "pourpre vermeille" et de la "pourpre bise" à partir du sang d’animaux différents autorise à voir dans la seconde une teinture d’un rouge plus sombre que la première. Par ailleurs, Marie emploie aussi l’adjectif "pourpre" pour désigner une couleur dans l’expression "un cendal (taffetas) pourpre" (Lanval, 475).10
5On voit que la palette des lais est extrêmement restreinte : blanc, or, vermeil, pourpre, vert et bis (auxquels on peut ajouter l’améthyste de l’encensoir dans Yonec, et la "jagonce" ou hyacinthe de l’anneau de Fresne, qui restent dans le registre du rouge ou du violet11, et les yeux "vairs" de trois héroïnes). Ce sont les mêmes couleurs qui apparaissent dans les lais anonymes, si ce n’est que le bis y manque, et qu’en revanche on y trouve du noir12.
6Le noir est en effet totalement absent des Lais de Marie de France. A l’exception du bis, dont on verra la valeur symbolique qu’il prend ici, elle n’a retenu que les couleurs propres à évoquer l’éclat. Tous ces termes de couleur comportent l’idée de brillance, d’après les études lexicologiques. La couleur est-elle d’ailleurs rien d’autre qu’un jeu de la lumière ? Dans l’antiquité grecque et latine, d’après certains spécialistes, les dénominations des couleurs auraient renvoyé à l’origine au moins autant à la brillance qu’à une nuance particulière13. L’amour de la lumière commun à toutes les civilisations est particulièrement manifeste dans l’Occident médiéval, comme on l’a dit souvent. Dans le chapitre où il analyse les idées esthétiques d’Isidore de Séville, dont on connaît l’influence sur la pensée médiévale, E. de Bruyne revient à plusieurs reprises sur ce thème de la lumière et de la couleur, qu’il considère comme l’un des trois principaux aspects de sa réflexion sur la beauté : "la beauté est lumière, éclat, couleur.." ; "la couleur elle-même n’est autre chose que lumière et pureté.." ; "la beauté de la couleur est la beauté de la lumière..."14. Plus près de Marie de France, Hughes de Saint-Victor célèbre en ces termes la beauté des couleurs : "Qu’y a-t-il de plus beau que la lumière, qui, tout en n’ayant en elle aucune couleur, colore cependant toute chose en l’éclairant ?"15.
7Marie de France a voulu réserver cet éclat au surgissement de la merveille. C’est un fait remarquable lorsque l’on regarde la répartition des couleurs dans les Lais : les notations de couleur se trouvent presque exclusivement dans les descriptions de personnages ou d’objets liés à l’Autre Monde. Si la beauté des héroïnes est souvent évoquée, c’est de façon rapide et sans aucune couleur, au contraire de la fée de Lanval décrite par deux fois dans tout l’éclat du blanc, de la pourpre et de l’or. Seule la jeune fille Guilliadun, dans le lai d’Eliduc, est décrite avec quelque détail et en couleurs, mais on le verra, dans une situation très particulière où elle apparaît elle aussi comme une "merveille", alors qu’il a plusieurs fois été question auparavant dans le lai de sa grande beauté, sans aucune autre précision. C’est un trait caractéristique également dans les lais anonymes et dans les Mabinogion, où l’on retrouve les trois couleurs-blanc, rouge et or, et dans une moindre mesure, le vert-dans les descriptions des êtres et des choses de l’Autre Monde16 ; il semblerait y avoir là une influence probable des traditions celtiques.
8En contraste avec ces couleurs éclatantes du monde merveilleux, Marie a réservé la couleur bise au monde de la réalité dont le héros cherche à s’échapper. Il s’agit, certes, d’un qualificatif très courant pour désigner la couleur des pierres (gris-brun), mais le rapprochement des trois occurrences de cet adjectif dans les Lais invite à lui attribuer une valeur presque symbolique17. C’est un mur de marbre bis qui sépare les deux maisons des amants du Laustic ; en contraste avec le monde coloré de la fée, la seule couleur qui apparaisse dans le monde arthurien, dans Lanval, est la couleur bise du perron de marbre sur lequel le héros prend appui pour s’élancer dans l’Autre Monde ; c’est dans une tour de marbre bis que le vieux mari enferme sa jeune femme après avoir chassé Guigemar, et cette deuxième prison forme un contraste total avec la chambre de marbre vert qui était devenue une prison d’amour dans la première partie du lai.
9Ce choix limité de couleurs, et en particulier, la prééminence du rouge et du blanc, le goût pour le contraste entre ces deux couleurs, l’absence du bleu18, renvoient aussi à un contexte beaucoup plus large, à un fait de civilisation. Je m’appuie sur les remarquables études de Michel Pastoureau sur l’héraldique19, dont les conclusions s’étendent aussi à d’autres domaines de l’esthétique médiévale. L’exemple de Chrétien de Troyes lui-même justifie cette référence à l’héraldique, puisqu’il compare "li vermels sor le blanc assis" dans le visage de Blanchefleur au "sinople sor argent"20.
10Le rouge a longtemps été en Occident la couleur préférée, comme l’attestent par ailleurs l’abondance des termes qui désignent cette couleur en ancien français21. Le bleu, qui a pris sa place à l’époque moderne, n’aurait commencé à le supplanter qu’à partir des xiie et xiiie siècles. Il semble avoir été jusque là relativement rare dans le costume, à la différence du rouge. La combinaison de couleurs la plus fréquente était celle du blanc et du rouge (d’où le titre du livre de M. Pastoureau, "L’hermine et le Sinople"). Le rouge était perçu comme la couleur opposée au blanc, plus encore que le noir ; c’est ainsi que les jeux d’échecs étaient d’abord blancs et rouges. Les trois couleurs, blanc, rouge et noir, ont été pendant très longtemps, et depuis les temps les plus reculés, les trois couleurs fondamentales. M. Pastoureau se réfère aux travaux de G. Dumézil et des anthropologues américains Berlin et Kay22 ; et il croit pouvoir déceler entre le xiie et le xive siècle
..."une profonde mutation de sensibilité... l’éclatement du vieux schéma trifonctionnel blanc-rouge-noir, schéma qui forme la base des systèmes chromatiques de toutes les civilisations traditionnelles De la protohistoire jusqu’au xiie siècle, l’Occident a lui aussi vécu sur cette structure trichrome constituée par le blanc et ses deux contraires : le noir et le rouge. Non pas que les autres couleurs n’aient pas existé. Mais dès qu’il s’agissait de mettre en forme des systèmes symboliques d’oppositions ou de hiérarchies, tout s’ordonnait autour de ces trois couleurs polaires..."23
11On les retrouve par exemple, au Moyen Age et après » dans le symbolisme alchimique » où apparaît également l’or24. Bien d’autres couleurs sont nommées dans les textes du xiie siècle. Mais il n’est pas surprenant que lorsque la palette est réduite à l’extrême, elle se restreigne essentiellement à ces couleurs fondamentales. Quant au vert, lorsqu’une quatrième couleur vient s’ajouter à cette triade, c’est soit le vert, soit le bleu (qui peuvent aussi se substituer au noir comme troisième terme)25.
12Nous avons vu comment Marie de France écarte le noir, le troisième terme devenant l’or - qui n’est d’ailleurs pas a proprement parler une couleur, mais en quelque sorte une matérialisation de la lumière solaire, à mi-chemin entre le pur éclat du blanc et le rouge incandescent du feu. Le blanc, le rouge et l’or nous apparaissent donc décidément comme les trois couleurs privilégiées de la merveille, non seulement dans les lais mais aussi peut-être dans toute une partie de la littérature narrative des xiie et xiiie siècles. Elles seront les couleurs du Graal après avoir été celles de la fée26.
II La semblante des merveilles
13Nous avons vu que le seul personnage des Lais qui fasse l’objet d’une description est la "pucele" de Lanval, qui est incontestablement une fée bien qu’elle ne soit pas désignée comme telle. Une première description rapide, lorsqu’elle apparaît à Lanval dans le pavillon à l’aigle d’or (v.93-106), est suivie d’un véritable portrait lorsqu’elle s’avance à cheval à la fin du lai (v.550-574). On a depuis longtemps rapproché ces portraits de ceux d’Antigone dans le Roman de Thèbes et de Camille dans l’Eneas. Ils concordent en tous points avec le portrait de la beauté idéale que l’on trouve dans tant de textes de l’époque et dans les traités médio-latins. C’était un exercice d’école ; Matthieu de Vendôme et Geoffroi de Vinsauf, par exemple, au xiie siècle, en donnent le modèle en le présentant déjà comme un lieu commun27. Il donne lieu à de multiples variations à partir des mêmes éléments incessamment repris, produisant chez le lecteur une troublante impression de "déjà vu" lorsqu’il voit apparaître l’héroïne éblouissante, "et qui n’est chaque fois ni tout à fait la même ni tout à fait une autre"28, semblable en cela à Guigemar pris de doute lorsqu’il retrouve sa dame au château de Mériaduc, car, se dit-il, "femmes se resemblent assez..." (779)
14Les couleurs sont toujours les mêmes ; nous ne nous attarderons pas sur les yeux "vairs" (adjectif qui désigne une couleur changeante, sans doute gris-bleu, mais plus encore la brillance)29, que la demoiselle de Lanval a en commun avec les héroïnes humaines de Guigemar et d’Equitan, la femme de Mélion, et avec d’innombrables héroïnes littéraires, de même que ses cheveux blonds plus lumineux que des fils d’or. La couleur du teint est un élément essentiel de la beauté : "rubor et candor", "li vermels sor le blanc assis" si admirablement évoqué par Chrétien à propos du visage de Blanchefleur, sont aussi les couleurs "blanche et vermeille" de la belle Guilliadun endormie, dans Eliduc. Isidore de Séville au vie siècle y voit l’origine de la beauté, à travers son étymologie de la pulchritudo, qu’il rattache à "rubens pellis", la couleur rosée de la peau, et de "venustus : pulcher, a venis, id est, a sanguine"30. Dans un très beau passage du lai anonyme de Guingamor, la reine amoureuse est brusquement saisie devant la beauté du jeune homme lorsqu’elle l’aperçoit dans un rayon de lumière qui lui colore le visage :
"Un rai de soleil li venoit
el vis, que tout l’enluminoit,
e bone color li donnoit..." (v.48-50)
15Les deux demoiselles qui précèdent la fée à la cour d’Arthur, dans Lanval, sont louées pour "le corps, le vis e la color" ; dans le Lai de l’Espine, la fille du roi a "la color e bele e fine". C’est cette couleur du teint qui est désignée indirectement dans la comparaison avec la fleur de lys et la rose nouvelle dans Lanval et Eliduc.
16Marie insiste davantage sur la blancheur du corps de la dame, "plus blanche que flor d’espine" (v.106), au "col plus blanc que neif sur branche" (v.564), qui éclipse la blancheur du "chainse" et de la chemise lacés sur les côtés, laissant apparaître les flancs. Dans la première description, qui est discrètement érotique, cette blancheur est rehaussée par le contraste avec le manteau d’hermine blanche recouvert de pourpre alexandrine que la fée a négligemment jeté sur elle, laissant à découvert une bonne partie de son corps. On retrouve ce contraste dans la seconde description déjà évoquée et dans le costume des deux premières pucelles qui la précèdent, vêtues "de cendal pourpre... tout senglement a leur char nue" - contraste esthétique et érotique qui correspondait sans doute aussi à une mode de l’époque, tout comme la forme des vêtements décrits dans les lais31. Tous sont de couleur pourpre. La pourpre est aussi une étoffe précieuse, et son origine orientale est soulignée dans l’expression "pourpre alexandrine" employée deux fois. Les étoffes précieuses, dans les lais et romans de l’époque, viennent d’Orient, tout comme les matériaux rares de certains objets précieux32. Depuis l’Antiquité, la pourpre connote essentiellement la richesse et la puissance ; chez les Grecs", d’après L. Gernet, "le vêtement de pourpre est un vêtement à la fois royal et sacerdotal", et l’on connaît bien la "pourpre impériale" des Romains, connotation qui est restée liée à cette couleur jusqu’à nos jours33. Le "tref" ou la tente qui forme l’écrin précieux dans lequel apparaît le corps de la fée, et dont la richesse extraordinaire est soulignée par des hyperboles, s’orne d’un aigle d’or qui rappelle, comme d’ailleurs le reste de la description, celui qui orne la tente du roi Adraste (Thèbes, V.4219 sq.) ou celle d’Eneas (v.7300 sq.) ; mais Marie a attribué l’aigle royal à une femme, une fée, de même que le manteau de pourpre. Ses descriptions sont beaucoup plus sobres que celles de ses devanciers, et les quelques détails qu’elle a retenus prennent d’autant plus de valeur. Ce n’est pas un hasard si elle mentionne la reine Sémiramis et l’empereur Octavien (Auguste), convoquant, pour évoquer la richesse extraordinaire de la tente, à la fois la puissance de la Rome antique et les merveilles de l’Orient aux richesses fabuleuses. C’est aussi en souveraine que la dame apparaît à la fin du lai, comme le marque toute son attitude : vêtue d’un manteau de pourpre, montée sur un cheval blanc (comme les triomphateurs à Rome), accompagnée d’un épervier et d’un lévrier, signes aristocratiques ; cette image de chasseresse n’est pas sans évoquer aussi la Diane de la mythologie antique que l’on voit parfois se profiler derrière la figure de la fée médiévale.
17L’insistante blancheur du corps de la demoiselle, tout comme celle de son cheval, est aussi la blancheur proprement féerique des récits médiévaux comme des traditions celtiques, si l’on en croit les Mabinogion. La beauté idéale dont s’éprend Lanval est aussi l’éternelle Fée aux cheveux d’or et Blanche comme Fleur qui hante tous ces textes34.
18D’après L. Harf, "le blanc est la couleur de la féerie"35. La biche blanche de Guigemar, incontestablement féerique, est l’un de ces animaux messagers de l’Autre Monde qui souvent guident le héros vers la fée, comme la biche blanche de Graelent, le blanc sanglier de Guingamors ou du roman de Partonopeus de Blois. C’est bien vers un Autre Monde qu’elle entraîne le héros, même si une autre merveille, dans l’ordre amoureux, se substitue à la figure attendue de la fée. On peut admirer au passage la réussite esthétique des trois vers où l’extrême blancheur, ressortant vivement sur un fond d’obscurité, renforce le caractère fantastique de l’apparition :
"En l’espeise d’un grant buissun
Vit une bice od un faun ;
Tute fu blaunche cele beste..." (89-91)
19L’auteur anonyme de Graelent, qui a repris cette notation en soulignant le contraste, tire un heureux parti de cette blancheur qui semble rejaillir sur d’autres éléments du lai : elle préfigure celle du corps de la fée (220) dans l’eau "clere e bele" de la fontaine (209), celle du cheval dont elle fait don au héros (641), et celle enfin de l’eau de la rivière, "blanche e belle" (659), dans laquelle il s’enfonce à la fin du lai à la suite de la demoiselle.
20Les animaux blancs sont nombreux dans les lais anonymes, et ils accompagnent toujours des personnages en relation avec l’Autre Monde ; c’est là un trait bien connu dans toute la littérature romanesque. Le cheval blanc du chevalier vermeil dans le Lai de l’Espine a même, étrangement, des oreilles vermeilles - comme les chiens du Mabinogi de Pwyll, prince de Dyvet, et un cheval à l’oreille rouge dans Partonopeus36.
21Dans les plus anciens des Mabinogion et les lais anonymes, ce blanc de la féerie est très souvent associé à l’or et au rouge37 ; elles nous apparaissent décidément comme les trois couleurs fondamentales de l’Autre Monde.
22Evoquons rapidement les objets merveilleux des Lais de Marie : outre la tente du lai de Lanval mentionnée plus haut, on peut rappeler les deux bassins d’or que tiennent les suivantes de la fée38, le lit sur lequel repose le chevalier-faé blessé, Muldumarec, dans Yonec, sa tombe à la fin du lai, et surtout la nef merveilleuse qui conduit Buigemar blessé vers l’amour qui le guérira.
23Dans la description du lit sur lequel Guigemar se couche dans la nef merveilleuse, on voit réapparaître les matériaux précieux venus d’Orient, et les trois couleurs, auxquelles s’ajoute une discrète note plus sombre (le bois de cyprès, qui alterne avec l’or et l’ivoire sur les montants du lit). La couverture de zibeline recouverte de pourpre alexandrine rappelle le manteau de la fée. Ces détails, couleurs comprises, ne se chargent-ils pas ici d’une certaine coloration funèbre, avec les deux chandeliers d’or allumés des deux côtés du lit ? C’est bien une sorte de mort symbolique que va traverser Guigemar endormi à bord de la nef mystérieuse. A cette description fait écho celle du lit précieux aux montants d’or, d’une richesse extraordinaire (exprimée dans les mêmes termes, Yon. 392, Guig. 171), entouré de cierges et de chandeliers précieux, sur lequel la dame d’Yonec trouve le chevalier-faé mourant dans son royaume de l’Autre Monde, et celle de la tombe de ce même chevalier, dont les seules couleurs sont l’or fin des chandeliers et l’améthyste de l’encensoir. Les couleurs de l’Autre Monde peuvent donc être aussi celles de la mort39. L. Gernet parle admirablement de la "mort pourpre" chez les Grecs, en rappelant cette phrase d’Artémidore dans La Clef des Songes : "La couleur pourpre a une certaine affinité avec la mort"40. Quant à la blancheur de l’Autre Monde celtique, elle peut prendre une apparence fantomatique, comme lorsque Rhiannon apparaît dans le Mabinogi de Pwyll, vêtue d’or et montée sur un cheval blanc qui semble s’avancer d’un pas lent mais que nul ne peut rattraper ; ou avec l’étrange cortège du lai du Trot, dont les chevaux blancs avancent à une vitesse extraordinaire sans donner l’impression de bouger. Le nom de Guenièvre, "Gwenhvywar" en gallois, signifie "blanc fantôme"41 - équivalent nocturne et lunaire du nom de Blanchefleur. L’eau blanche dans laquelle Graelent manque de se noyer (et dans laquelle il disparaît finalement) peut être une eau de naissance ou de mort, une eau maternelle et ambivalente tout comme la figure de la fée.
24Le dernier objet dont il sera question n’est pas à proprement parler "merveilleux". Le rossignol mort du Laustic est enveloppé successivement, par la dame puis par le chevalier, dans une pièce de "samit" brodé d’or et dans un vaisselet d’or et de pierres précieuses, une châsse ; mais c’est une merveille d’amour, transfigurée en un véritable "corps saint", qui est conservée dans cet écrin précieux.
25La merveille appelle tout naturellement à la rime le vermeil, et de nombreux auteurs du xiie siècle se plaisent a jouer sur l’homophonie, à commencer par Chrétien. Le vermeil désigne exclusivement au Moyen Age une couleur rouge, ce rouge vif que l’on appelle vermillon. Depuis le xviie siècle, il désigne aussi de l’argent recouvert d’or rouge, combinant symboliquement les trois couleurs de la merveille. L’adjectif "vermeil" est souvent employé dans les descriptions de personnages ou d’objets merveilleux. Mais dans les lais de Marie, il renvoie exclusivement à la couleur du sang.
III Le sang vermeil
26La rime vermeil/merveille apparaît trois fois dans les Lais. Les deux premières fois, elle n’est présente que dans un registre mineur : la dame de Guigemar et la femme du Bisclavret rougissent de peur en découvrant la merveille (la nef mystérieuse, 272, et la double nature de son mari loup-garou, 97-98)42. Dans le premier cas, le mot "merveille" de la rime est contenu dans une expression banale d’étonnement, dans laquelle sa valeur est très atténuée. La dame d’Yonec réagit de la même façon lors de l’apparition du chevalier-oiseau, sans que la rougeur soit explicitement mentionnée :
"La dame a merveille le tint.
Li sens li remut e fremi..." (116-117)
27Mais à la fin du lai d’Eliduc, la vue de la jeune Guilliadun endormie qu’il croit morte provoque l’émerveillement du chevalier :
"De ceo li semblot grant merveille
Qu’il la veeit blanche et vermeille ;
Unkes la colur ne perdi,
Fors un petit qu’ele empali..." (971-74)
28Le lieu commun du visage blanc et vermeil, qui sera repris un peu plus loin dans la comparaison avec la rose nouvelle (1012), est ici renouvelé en se colorant d’une nuance fantastique, la jeune morte ayant étrangement gardé l’apparence de la vie. Le vermeil du sang affleurant sous la peau est ici la couleur de la vie. Peu après, un rapide portrait de la jeune fille reprend quelques éléments traditionnels, mais dans une perspective très inhabituelle puisqu’elle est vue à travers le regard d’une autre femme qui devrait être sa rivale, Guildeluec, la femme du chevalier. Mais l’éclat surnaturel de sa beauté, dont les couleurs sont un élément essentiel, font de la jeune fille une merveille au sens fort, que Guildeluec ne peut qu’admirer :
"Le valet avant apelat
E la merveille li mustrat :
Veiz-tu, fet-ele, ceste femme
Ki de beauté resemble gemme ?" (1019 sq.)
29La fleur qui permettra magiquement son retour à la vie est symboliquement "tute de vermeille colur" (1048). Elle porte à la fois les couleurs du sang et de la vie, et la semblance de la jeune fille, à laquelle elle est analogiquement associée puisqu’elle est caractérisée par la même expression appliquée plusieurs fois à Guilliadun dans le cours du lai : "...la fleur, ki tant fu bele..." (1062)43. Dans cette guérison magique, on peut voir une transposition poétique de deux des principaux procédés utilisés par la médecine populaire : la guérison par transfert (des propriétés d’une plante, par exemple, ou d’une opération effectuée sur un autre objet) et la guérison par contact, dont les équivalents linguistiques sont la métaphore et la métonymie44. C’est par le biais d’une métaphore que la fleur déposée sur la bouche de la jeune fille lui rend la vie, et aussi d’une métonymie, comme si la rouge couleur de la fleur se répandait sur le visage de la jeune fille et venait lui rendre ce peu de couleur qui lui manquait ; bel exemple de réécriture poétique à partir d’éléments empruntés au folklore ou à des traditions littéraires...
30Le vermeil peut être aussi la couleur du sang répandu, et il évoque alors, dans Yonec, la souffrance et la mort. Le "sang vermeil" jailli des blessures du chevalier-oiseau va tacher les draps (blancs, même si cela n’est pas précisé) avant de rejaillir ensuite tout le long du chemin que va parcourir la dame à la poursuite de son amant jusque dans l’Autre Monde, véritable chemin de croix qui retrace la passion de l’amant mort pour son amour45. L’idée de la mort et de la souffrance n’exclut pas une certaine fascination esthétique. L’adjectif de couleur n’apparaît qu’une fois, mais la répétition obsessive du mot "sang" (sept fois en l’espace d’une cinquantaine de vers) projette un éclat rouge sur tout ce passage. L’image de la dame "nue en sa chemise" qui "a la trace del sanc s’est mise" (341-42), fait contraster ce rouge avec la double blancheur implicite du corps et de la chemise, et l’alliance de la beauté plastique et de la cruauté n’est pas sans évoquer l’image célèbre des gouttes de sang sur la neige dans Le conte du Graal.
31Quant aux taches de sang sur les draps, comment ne pas songer aux épisodes non moins célèbres du Tristan de Béroul (la fleur de farine) et plus encore de celui d’Eilhart (les faux sanglantes), et du Chevalier de la Charrette ? Ce n’est pas le lieu d’analyser les connotations symboliques de ces taches de sang sur la blancheur d’un drap ou d’une chemise, comme dans le lai du Laustic, lorsque l’oiseau mort brutalement jeté par le mari ensanglante le "chainse" de la dame, image semblablement colorée même si les adjectifs de couleur sont absents du texte. P. Gallais, par exemple, rappelle très bien les connotations sexuelles de ces images, qui renvoient à l’union sexuelle et a la défloration46. La tache de sang sur le lit du plaisir (lit du "déduit" et du délit, auquel se superposeront plus loin le lit de mort merveilleux et la tombe) rappelle aussi que l’amour a toujours partie liée avec la mort. Celle du Laustic a la même valeur, en même temps qu’elle est l’image de l’union sexuelle jamais réalisée, et d’une union symbolique qui ne s’effectuera qu’à travers la mort de l’oiseau.
IV Et "le vert paradis des amours..."47
32La couleur verte apparaît seulement au début du lai de Guigemar ; vert est le chemin qui s’ouvre brusquement sous les pas du héros après la rencontre de la biche blanche, et qui le mène jusqu’à la mer où l’attend la nef merveilleuse ; et le mur épais et haut qui entoure le verger, et dans l’épaisseur duquel se trouve la chambre de la dame, est de marbre vert. Ce détail peut paraître accessoire, mais il m’a intriguée, et il me semble riche de résonnances diverses. Le vert du chemin qui conduit le héros vers l’amour évoque naturellement la reverdie qui prélude à l’amour dans la lyrique courtoise. Le vert est associé au printemps et à l’amour. Le manteau vert que revêt Désiré (dans le lai qui porte son nom) à l’entrée de l’été rappelle la "livrée de mai" que l’on portait en cette fête du premier mai où l’on célébrait le retour de la belle saison qui est aussi la saison de l’amour48, et il prépare à la rencontre amoureuse vers laquelle le héros s’avance sans le savoir dans la forêt. Au vert de la reverdie sont associées les idées de joie, d’espoir, de renouveau, voire de résurrection, d’après Hughes de Saint-Victor :
"Par-dessus tout, n’est-ce pas le vert qui ravit l’âme de ceux qui le contemplent, quand au nouveau printemps, les germes produisent une nouvelle vie et dressant les jeunes pousses vers le ciel, éclatent vers la lumière, comme s’ils étaient l’image de notre future résurrection ?"49
33C’est bien une véritable résurrection qui attend Guigemar au terme de son voyage.
34Mais le vert peut être aussi le symbole de l’avarice et de la jalousie50. Faut-il voir là l’explication de ce mur vert à l’intérieur duquel le vieux mari jaloux a enfermé sous bonne garde sa jeune épouse ? Je préfère y reconnaître une couleur de l’Autre Monde ; le mur n’est pas seulement de couleur verte, il est aussi fait d’un matériau précieux, le marbre, comme la cité d’argent d’Yonec. "L’antive cité" à laquelle le héros aborde après une navigation merveilleuse se présente à lui et au lecteur comme un Autre Monde, même s’il va y rencontrer une dame qui n’a rien de féerique » et aux yeux de laquelle il apparaîtra lui-même, par un admirable renversement des points de vue, comme un être venu d’un Autre Monde51.
35L’auteur anonyme du lai de Guingamor a sans doute imité ce détail du lai de Marie, dans la description du palais entouré de murailles de marbre vert52 ; or ce palais merveilleux est indéniablement une représentation de l’Autre Monde, puisque le héros va y connaître l’amour d’une fée et y passer trois cents ans en croyant n’être demeuré que trois jours. Ce même Guingamor ("Guingamars") est cité par Chrétien de Troyes dans Erec et Enide comme le sire de l’île d’Avallon53. En s’appuyant sur cet indice » on peut rêver à la faveur d’une homophonie, bien qu’elle ne soit pas parfaite en ancien français, et se demander si le pays vert ne serait pas une autre version du pays de verre ou de "l’île de Voirre", qui est l’une des représentations dominantes de l’Autre Monde celtique. Elle est assimilée à l’île d’Avallon, ou à Glastonbury, d’après Caradoc de Lancarvan. Maheloas, sire de l’île de Verre chez Chrétien, est le même personnage que Melwas, roi de Glastonbury (la Ville de Verre, "Urbs Vitrea") , dans la Vita Sancti Gildae. R.S. Loomis reconnaît en lui un roi du pays de l’été, et ce pays de l’éternel été, pays donc éternellement vert, est une autre représentation de l’Autre Monde54. L’Irlande, la ver te Erin, patrie de la magicienne Iseut et de la demoiselle féerique du lai de Mélion, est parfois considérée comme une île de l’Autre Monde55. Ne peut-on aller jusqu’à voir, dans la verte muraille qui entoure le verger dans "l’antive cité", un écho lointain des murailles de verre ou d’air qui entourent parfois les îles ou les vergers merveilleux de l’Autre Monde ?
36Quoi qu’il en soit, le vert est l’une des couleurs de la merveille, même s’il apparaît beaucoup moins souvent que le blanc, l’or et le rouge, et il semble être fréquent en particulier dans les traditions irlandaises et anglaises56.
37La chambre taillée dans le mur de marbre vert se pare peut-être pour Guigemar des couleurs de la merveille, mais elle devient surtout le vert paradis des amours du héros. Elle est d’ailleurs ornée de peintures consacrées à Vénus, la déesse d’amour - curieux choix de la part du mari jaloux qui se montrera plus avisé porsqu’il enfermera la dame une seconde fois dans une tour de marbre bis, aux ternes couleurs de la réalité. La chambre close et bien gardée devient prison d’amour, et le vert mur répond à ce que promettait le chemin vert57.
38Marie de France, comme les auteurs des lais anonymes, s’en tient à la palette très simple et éclatante qui est celle des contes et sans doute de ces aventures de la Bretagne légendaire dont elle a voulu perpétuer l’écho Ces couleurs élémentaires, que l’on retrouve dans des systèmes symboliques très anciens, sont celles même de l’imaginaire. Même lorsqu’elle s’inspire des descriptions mises à la mode par les romans antiques, Marie le fait avec une extrême sobriété, s’en tenant à quelques détails qui n’en prennent que plus de relief. Le long portrait de la fée de Lanval et celui de la jeune Guilliadun sont des exceptions qui n’en sont que plus remarquables, à la différence des romans où semblables portraits abondent. Le fil du récit se suspend un instant, invitant le lecteur à contempler une semblance en laquelle se conjuguent l’éclat des merveilles de l’Orient, les rêves celtiques de l’Autre Monde et l’idéale beauté de la littérature courtoise. Les touches de couleur sont rares et n’apparaissent qu’à des endroits significatifs des récits. Loin d’être purement ornementales, elles deviennent, dans une écriture dont la trompeuse simplicité cache une très grande maîtrise, des éléments non négligeables d’une poétique que j’aimerais appeler une poétique de la merveille.
***
LAIS DE MARIE
39GUIGEMAR
40Blanc : biche (91,317) ; ivoire (nef,174) ; couverture ("de sebelin", 181) ; (vieux prêtre "blans e floriz", 255) ; drap de chaisil (blessure, 371) ; (pâleur du chevalier dans la nef, 282 ; pâle de douleur, 424, ainsi que la dame, 764).
41Pourpre : doublure ("de purpre alexandrin", 182).
42Vermeil : dame vermeille de peur (272).
43Or : nef (173) ; drap tissé d’or (175) ; chandeliers (183) ; "bacins d’or" (369).
44Vert : chemin (146), "muralz" du verger (221).
45Autres : (ébène et cyprès sur la nef, 157, 174) ; (yeux vairs, 414) ; tour de marbre bis (659).
46EQUITAN (yeux vairs, 31)
47FRESNE anneau d’or orné d’une "jagonce" (129-130)
48BISCLAVRET dame vermeille de peur (98)
49LANVAL
50Blanc : pucelle "fleur de lis" (94), "plus blanche que fleur d’espine" (106) ; manteau d’hermine (101) ; cheval (551) ; chainse (560) ; cou "plus blanc que neif sur branche" (564), visage (565).
51Pourpre : bliauts "de purpre bis" (59) ; manteau "covert de purpre alexandrine" (102) ; "cendal purpre" (475) ; manteau "de purpre bis" (571).
52Or : bassins (61) ; aigle du pavillon (87) ; cheveux (568-69).
53Autres : "couleur" des demoiselles (530) ; sourcils bruns (567) ; perron de marbre bis (633).
54YONEC
55B1anc : (dame "nue en sa chemise", 341) ; (cité "tute d’argent", 563).
56Vermeil : sang (312 ; puis sept mentions du sang).
57Or : montants du lit (388) ; "palie roé" bandé d’orfroi sur la tombe (501) ; chandeliers (505).
58Autres : encensoir d’améthyste (506) ; (clarté du soleil et ombre de l’oiseau, 62, 106).
59LAUSTIC
60Vermeil (chainse ensanglanté, 118).
61Or : pièce de samit brodé (136) ; vaisselet (151).
62Autres : mur de pierre bise (38).
63MILON
64Blanc : cygne (variante ms. S, v.214 : "blans e beaus" pour "bons e beaus") ; (barbe et cheveux chenus, 421).
65Or (anneau d’or, 39).
66ELIDUC
67Blanc : pucelle ("blanche e vermeille", 972) ; mains (1015) ; (pâleur de Guilliadun : 306 ; 662, perd sa couleur ; 854, "desculuree" ; un peu "empali(e)", 974).
68Vermeil : pucelle (972 : "rose nuvele", 1015) ; fleur (1048).
69Or : (anneau d’or. 379, 701) ; vêtement brodé d’or (797).
LAIS ANONYMES
70GRAELENT
71Blanc : biche (201) ; (eau claire de la fontaine, 209) ; pucele ("blance... e colorie", 220) ; cheval (641) ; les deux suivantes "de color blances e roventes" (585) ; eau de la rivière (659). Rouge : teint (220, 585).
72Pourpre et or : vêtement de la demoiselle ("D’une porpre toute vermeille/ a or brosdee estreitement"..., 598-99).
73GUINGAMOR
74Blanc : sanglier (158, 214) ; tour d’argent et portes d’ivoire (et d’or) du palais (67-69 ; "merveilleuse clarté rendoit", 68) ; teint de la pucelle ("ne fleur de liz ne fleur de rose", 432).
75Rouge : rougeur de honte (109) ; teint (432) ; ("bone color" du jeune homme, 49-50).
76Or : portes du palais (70) ; or (et pierreries) dans le palais (389-91) ; gravier de la fontaine (or et argent, 426) ; bliauts des chevaliers du palais (512).
77Vert : herbe de la prairie (360) ; mur de "vert marbre" autour du palais (365) ; olivier de la fontaine (424).
78DESIRE
79Blanc : "Blanche Lande" (9) ; chemise ("de chensil/ plus blans que n’est flur en avril", 101) ; pucelle ("La colur ot blanche e rovente", 137) ; mules et éperviers de la dame et de sa fille (681 sq) ; (argent de l’image offerte à St Gilles, 43 ; de l’écuelle, 566).
80Rouge : "purpre bise" du vêtement (136) ; teint (137) ; cotte "d’escarlate tote vermeile" du fils (445) ; (visage coloré, 448).
81Or : deux bassins (143, 555) ; anneau (229) ; coupe d’or (565).
82Vert : manteau de Désiré (102).
83Noir : "Noire Chapelle" (11).
84TYDOREL
85Blanc : destrier "blancs comme flor" du chevalier-faé (83).
86TYOLET
87Blanc : palefroi et brachet de la pucelle (328-29) ; teint ("cler vis", 326 ; "fleur de lis ou rose novele", 696) ; pied du cerf (347).
88Rouge : écu "roge" du "chevalier-bête" (158 ; "a or bendé", 164) ; (rougissement de honte, 657) ; teint (pucelle, 696).
89Or : sonnette au cou du brachet (330) ; bande de l’écu (164).
90Noir : eau "noire et hisdeuse" (380) ; "noire montaingne au mire" (561).
91L’ESPINE
92Blanc : cheval (aux oreilles vermeilles, 313).
93Vermeil : armes du chevalier de l’Autre Monde (311), oreilles du cheval (312) ; ("coulor... bele e fine" de la pucelle, 26).
94MELION
95Blanc : manteau d’hermine (B9) ; pierre de l’anneau (159).
96Rouge : bouche ("comme rose encoloree", 94) ; pierre vermeille de l’anneau (159).
97Vert : lande (83).
98Autres : (yeux vairs, cheveux blonds, 92-95).
99DOON Or : anneau (179).
100TROT
101Blanc : surcot fourré d’hermine (36) ; fleurs (67) ; palefrois des 80 premières demoiselles (99) ; manteaux fourrés de leurs amis (121) ; (visage "taint e pales" des cent malheureuses, 263).
102Rouge : "escarlate sanguine" du surcot (35) ; fleurs vermeilles (67) ; "face vermeille" (96) ; chapeaux de roses et d’églantier (84-85).
103Or : épée du chevalier (60), éperons des "amis" (122).
104Noir : "roncis" et "fros" des malheureuses.
105Autres : fleurs "bloies" (67).
Notes de bas de page
1 A. Knapton, "La poésie enluminée de Marie de France", Romance Philology, vol. XXX, no 1, aug. 1976, pp. 177-187. Contient des remarques intéressantes et un recensement complet des notations de couleur (sauf Biscl. 97-98, et El. 797) ; expose en conclusion une "découverte" : Marie aurait "puisé ce chromatisme privilégié" dans les couleurs des vêtements sacerdotaux, et propose une hypothèse sur l’identité de l’auteur (qui aurait été élevée dans un couvent).
2 La comparaison avec une autre oeuvre de Marie, L’Espurgatoire Seint Patriz (éd. Th. A. Jenkins, Philadelphie, 1894/ réimpr. Slatkine, 1974), est éclairante ; dans un texte qui comporte par ailleurs très peu de couleurs, de nombreuses couleurs sont nommées pour décrire les vêtements des élus au Paradis :
"Li un l’orent tute d’or fin
E li altre, vert ou purprin ;
Li un de jacintes colurs,
Bloies u blanches cume flurs..." (v.1617-1620)
Cité par A. Knapton, op.cit. p. 180.
3 cf E. Hoeppfner, "Pour la chronologie des Lais de Marie de France", Romania 59, 1933 (pp. 351-370) et 60, 1934 (pp. 36-66) (idée souvent reprise ensuite, bien qu’on ait contesté à juste titre nombre de rapprochements qui n’indiquent pas nécessairement une influence directe). Sur l’influence des romans antiques sur la littérature narrative, voir aussi E. Faral, Recherches sur les sources latines des contes et romans courtois du Moyen Age. Paris, Champion, 1967 (p. 347, note 1).
4 A. G. Ott, Etude sur les couleurs en vieux français, Paris, 1899 (réimpr. Slatkine, 1977) ; J. André, Etude sur les termes de couleur dans la langue latine, Gap, 1949 ; Problèmes de la couleur, publié par I. Meyerson, Paris, 1957 (actes d’un colloque interdisciplinaire de la VIe section de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, mai 1954) : en particulier, articles de L. Gernet, "Dénomination et perception des couleurs chez les Grecs", pp. 313-327, et de J. André. Pour le contexte littéraire, voir E. Faral, op.cit. . pp. 307-383 ("Le merveilleux et ses sources dans les descriptions des romans français du xiie siècle"). Voir enfin, pour un cadre plus large, E. de Bruyne, Etudes d’esthétique médiévale, Bruges, 1946/ réimpr. Genève, Slatkine, 1975 ; et les travaux de M. Pastoureau sur l’héraldique (voir note 19).
5 Les lais anonymes des xiie et xiiie siècles, édités par P.M. O’Hara-Tobin, Genève, Droz, 1979.
6 On met souvent en doute, depuis l’ouvrage de R. Baum (Recherches sur les oeuvres attribuées à Marie de France, Heidelberg, 1968), l’attribution du recueil des 12 lais tel qu’il nous est conservé par le ms. Harley à Marie de France, ainsi que l’existence même d’une Marie unique auteur des Lais, de L’Espurqatoire et des Fables. S’il est nécessaire de souligner les incertitudes, je continue à croire, tant que l’on n’aura pas découvert d’indications historiques précises, en cette attribution des Lais a une femme inconnue qui ne nous a transmis que son nom de Marie. Voir les objections très justes de P. Ménard à la thèse de R. Baum (Les Lais de Marie de France, contes d’amour et d’aventure du Moyen Age, Paris, P.U.F., 1979, pp. 24 sq.). Le nom de Marie ne serait-il, en dernière analyse, qu’un "effet d’auteur pour désigner le texte" (R. Dragonetti, "Une fleur dans l’oreille", [vwa], Revue littéraire, no 3, hiver 1984-85, p. 121), le problème ne se pose-t-il pas également pour la plupart des auteurs des textes de cette époque, même lorsqu’il s’agit de Chrétien de Troyes ? (id., La vie de la lettre au Moyen Age, Paris, Seuil, 1980, ch.1). Voir également sur ce point J-Ch. Huchet. "Nom de femme et écriture féminine au Moyen Age. Les Lais de Marie", Poétique XII, 1981, pp. 407-430.
7 v. 47-48 : "M’entremis des lais assembler
Par rime faire et reconter..."
Toutes les citations viennent de l’édition de J. Rychner, Paris, Champion, 1978.
8 Voir, en appendice, un relevé de toutes les indications de couleur dans les Lais de Marie et les Lais anonymes.
9 "Or et argent" donnés à Lanval par la fée (158) et par le roi à Eliduc (645).
10 A. Knapton, ibid., p. 181. Pour J. Rychner (glossaire), la pourpre est "originellement de n’importe quelle couleur" (idée contestable, voir plus loin). A.Ott (op.cit. p. 111 sq.) fait une différence entre les textes non savants (diverses couleurs ; exemples dans Le Roman de Troie et Erec, en particulier) et les textes savants (qui lui donnent un sens plus précis, comme le fait, je pense, Marie de France). Pour l’Antiquité, cf L. Gernet, op.cit. p. 322 (on obtenait des nuances assez différentes, mais "en principe, le pourpre (porphyra), c’est le violet... en fait, le mot alterne avec d’autres, qui désignent certainement des rouges...") ; A. André, ibid. p. 328 (purpureus indique un "rouge, qui se teinte, mais pas toujours, de violet... marque aussi la plupart des nuances du rouge, sauf les nuances pâles...") ; les deux rappellent le procédé de fabrication, à partir d’un coquillage, le murex. Pour l’ancien français, voir aussi C.Enlart, Manuel d’archéologie française, t. III , "Le Costume", Paris, 1916, p. 593 (index).
Eneas, éd. J. Salverda de Grave, v. 471-485 (signalé aussi par A. Knapton).
11 La jagonce ou hyacinthe est une pierre précieuse d’un jaune rougeâtre (Littré ; Larousse ; Godefroy : elle est parfois confondue avec le grenat - cite plusieurs Lapidaires ; E. Faral - op.cit. p. 352 - l’identifie au rubis ; elle figure presque toujours dans la liste des 12 pierres dérivée de l’Apocalypse, dans la plupart des Lapidaires).
12 Voir le tableau en appendice. La "Noire Chapelle" de Désiré fait contraste avec la Blanche Lande, toute proche, où le héros rencontre la fée ; par une inversion intéressante des valeurs habituelles, la couleur marquée négativement est celle de la chapelle de l’ermite, en contrepoint à la blancheur de la fée. La valeur du noir est plus courante dans l’eau "noire et hideuse", piège où tombent les poursuivants du "blanc cerf" dans Tyolet. La mention de "la noire montagne au mire" reste inexpliquée.
Je ne suis pas d’accord avec A. Knapton qui assimile le bis au noir (ibid. p. 181), même s’il désigne bien une teinte sombre, foncée.
13 Voir A. André, A. Ott, L. Gernet, op.cit. La notion de brillance est associée au blanc (qui vient du germanique blank, "brillant, luisant, blanc" ; il a remp1acé les deux mots latins albus et candidus, conservant la valeur du second, qui désignait un blanc brillant). Pour la pourpre, voir par exemple Isidore de Séville, Etymologiae, 1. XIX, 28 : "purpura apud latinos a puritate lucis vocata..." (Isidori Hispalensis Episcopi Etymologiarum sive originum libri XX, éd. W.R. Lindsay, Oxford Univ. Press, 1911 /réimpr. 1971).
14 E. De Bruyne, op.cit., vol. I pp. 79-80 et 298 (il s’appuie sur différents passages des Etymo1ogiae ; voir en particulier 1. XIX, 17, "De coloribus").
15 Trad. E. De Bruyne, ibid., vol. II, pp. 248-49. Patroloqie latine, vol. 176, col. 820-21 ("De rerum variis coloribus") :
"Quid luce pulchrius, quae cum colorem in se non habeat, omnium tamen colores rerum ipsa quodammodo illuminando colorat ?"
16 Les Mabinigion, traduits par J. Loth, Paris, Les Presses d’aujourd’hui, 1979. Voir en particulier "Pwyll, fils de Dyvet" (chiens merveilleux du roi de l’Autre Monde d’un blanc éclatant, avec des oreilles rouges ; Rhianon, cavalière venue de l’Autre Monde, est montée sur un cheval blanc et porte un vêtement doré) ; "Manawyddan fils de Llyr" (un sanglier d’un blanc éclatant conduit Pryderi vers un château de l’Autre Monde ; il y voit une fontaine de marbre avec une coupe d’or) ; "Le songe de Maxen", surtout (dans la description du monde merveilleux vu en rêve, les couleurs se multiplient, et ce sont exclusivement le blanc, le rouge, l’or rouge, l’or) ; "Le songe de Rhonabwy" ; "Kulhwch et Olwen".
17 Cette possible valeur symbolique est mentionnée par G.S. Burgess ("Symbolism in Marie de France’s Laustic and Le Fresne" , Bulletin bibliographique de la Société internationale arthurienne, XXXIII, 1981, p. 258 et note 1), mais seulement à propos du Laustic, et par A. Knapton.
18 Elle s’explique très b i en si l’on se réfère à l’article de M. Pastoureau (voir note suivante), et non, comme le pense A. Knapton, par son absence dans les vêtements liturgiques (si tel était le cas, pourquoi apparaîtrait-elle alors dans L’Espurqatoire qu’elle cite plus haut ?). Le bleu, rare dans le costume et les armoiries, ne l’était cependant pas à la même époque dans les vitraux, où au contraire "le bleu était la couleur lumière", d’après L. Grodecki ("La couleur dans le vitrail du xiie au xvie siècle", dans Problèmes..., op.cit. pp. 183-207).
19 Voir surtout L’Hermine et le Sinople, études d’héraldique médiévale, Paris, Le Léopard d’Or, 1982 ; "Et puis vint le bleu...", Europe, no 654, pp. 43-50 ; "Formes et couleurs du désordre : le jaune avec le vert", Médiévales, 4, mai 1983, pp. 62-74, d’où j’extrais cette remarque importante d’un point de vue méthodologique :
"Chercher une explication dans la symbolique des couleurs (notion vague dont on use et abuse) ne suffit pas. Les couleurs ont toujours et partout un champ symbolique très étendu. En outre celui-ci varie selon les époques, les régions, les milieux, les techniques, les supports. Les couleurs sont à la fois des catégories culturelles et des produits matériels qu’il est difficile d’étudier hors du temps et de l’espace, voire hors du document. De plus, elles sont toutes ambivalentes..." (p. 68).
20 Le conte du Braal, éd. W. Roach :
"Et miex avenoit en son vis
Li vermeus sor le blanc assis
Que li sinoples sor l’argent..." (v. 1823-25)
Comme le rappelle M. Pastoureau, le sinople a désigné le rouge avant de désigner le vert à partir du xive siècle (L’Hermine..., p. 128).
21 cf A. Ott, op.cit. M. Pastoureau, "Vogue et perception des couleurs dans l’Occident médiéval : le témoignage des armoiries", L’Hermine..., p. 147 (et note 55).
22 P. Berlin et P. Kay, Basic color terms. Their universality and evolution, Berkeley, 1969. G. Dumézil, Rituels indo-européens à Rome, Paris, 1954, chap. III ("Albati, russati, virides"), pp. 45-61.
23 "Et puis vint le bleu...", p. 47.
24 Sur le symbolisme alchimique, voir les ouvrages de S. Hutin ; par exemple, son Histoire de l’alchimie (Paris, 1971 ; p. 75 ; p. 79 : il rappelle les quatre phases de l’Oeuvre, "l’oeuvre au noir", "l’oeuvre au blanc", "l’oeuvre au jaune ou au vert", "l’oeuvre au rouge"...). Dans une description du Phénix, oiseau merveilleux, par un alchimiste du xvie siècle, on retrouve même ce que j’ai appelé les "couleurs de la merveille", blanc, pourpre et or (p. 24).
25 Voir note 22. Sur la triade "Blanc, rouge, noir", voir aussi l’article de J. de Vries cité par G. Dumézil (p. 48 : "Root, wit, zwart", Volkskunde, II, 1942, résumé et traduit dans la Revue d’histoire des religions, CXXXI, 194, pp. 57-60).
26 Voir les remarques éclairantes de C. Méla dans La Reine et le Graal, Paris, Seuil 1984, passim - en particulier, p. 209 (or, blanc, rouge et vert), 215 (rouge et or, couleurs de la Reine comme du Graal), 235, 238 ("Le Graal brille aussi de l’or dont se pare la Fée..."), 348 (blancheur et vermeil).
27 Antigone : Roman de Thèbes, éd. G. Raynaud de Lage, v. 4045 sq ; Camille : Eneas, op.cit., v.3989 sq.
Matthieu de Vendôme, Ars Versificatoria, I, 56, pp. 129-130 (description d’Hélène), dans E. Faral, Les Arts poétiques du xiie et xiiie siècles, Paris-Genève, 1982 ; G. de Vinsauf, Poetria Nova, v. 563-621 (ibid.).
Voir E. de Bruyne, op.cit., vol. II, pp. 173-188 (il s’agissait d’"une tradition scolaire probablement déjà fixée pendant la seconde moitié du xie siècle..."). Voir aussi les nombreux exemples recueillis par A. Colby, The portrait in XIIth century french literature, Genève, Droz, 1965. J. Dufournet résume très bien les différents éléments de cette tradition littéraire dans son analyse détaillée du portrait antithétique de Maroie dans Le Jeu de la Feuillée - Adam de la Halle à la recherche de lui-même, Paris, CEDES, 1974, pp. 71 sq.
Cette tradition ne concerne pas seulement la description de la beauté féminine : cf le portrait de Narcisse dans le "lai de Narcisse" (Narcisse, conte ovidien du xiie siècle, éd. M. Thiry-Stassin et M. Tyssens, Paris, 1976, v.59-112). Une importance particulière y est donnée a la couleur : c’est la touche finale apportée par Nature a son chef-d’oeuvre, et les 8 derniers vers du portrait y sont consacrés (98-105).
28 P. Verlaine, "Mon rêve familier" (Poèmes Saturniens).
29 J. Dufournet, op.cit. p. 80 ; A. Colby, op.cit. p. 42 ; A. Ott, op.cit. pp. 49-51 et 95-96 ; J. Rychner, glossaire, p. 317.
30 Isidore de Séville, Etymologiae, X, 204 : "Pulcher. A specie cutis dictus, quod est (rubens) pellis. Postea transiit hoc nomen in genus..." (Patrologie, vol. 82, col. 388-89 ; rubens ne se trouve pas dans l’édition Lindsay). Venustus, X, 203. Voir aussi X, 99 : "Formosus. A formo dictus. Formum enim veteres calidum et fervens dixerunt : fervor enim sanguinem movet, sanguis pulchritudinem." (passages cités en traduction par E. de Bruyne, op.cit. vol. I, p. 83).
31 Sur ce sujet, voir les exemples rassemblés sous forme de glossaire par E. R. Goddard, Women’s costume in french texts of the xith and xiith centuries, The John Hopkins Studies in Romance Literature and Language, vol. VII, Paris, PUF, 1927 ; C. Enlart, op.cit. (ch. 3, p. 25, avec un problème de datation puisqu’il situe les Lais vers 1230).
32 C. Enlart, op.cit. pp. 9-10 : "Durant tout le Moyen Age, les plus précieuses étoffes furent importées de la Perse, de l’Egypte, de la Syrie ou de Chypre..." Alexandrie semble avoir été un centre de fabrication important de tissus de soie, en particulier de cette "précieuse étoffe de soie brochée" appelée paile (du latin pallium) (comme celui qui joue un rôle important dans Fresne, rapporté de Constantinople par son mari a la mère de l’héroine). Voir aussi E. Faral, op.cit., p. 344.
33 Op.cit. p. 322. Camille est aussi revêtue du manteau de pourpre, dans une description où elle apparaît en reine et en chef de guerre.
34 Cf C. Méla, Blanchefleur et le Saint Homme ou la semblance des reliques, Paris, Seuil, 1979, pp. 52-53.
35 L. Harf, Les Fées au Moyen Age, Paris, Champion, 1984, p. 90.
36 Les Mabinogion, op.cit. p. 2. Partonopeus de Blois, v.7709-7710 (éd. J. Gildea, Pennsylvania, Villanova Univ. Press, 1967, vol. 1). Voir aussi l’introduction de P. M. O’Hara-Tobin, op.cit. pp. 44-45, et R. S. Loomis, Arthurian Tradition and Chrétien de Troyes, New-York, 1949, p. 91.
37 Voir les exemples cités plus haut (note 16).
38 Rappelons l’hypothèse de J. Wathelet-Wilhem selon laquelle les deux bassins d’or - qui sont par ailleurs un détail de la vie courtoise que l’on trouve mentionné dans d’autres textes de l’époque, mais ce genre de détail est si rare dans les Lais qu’une telle explication ne semble pas suffisante - seraient les attributs de la messagère de l’Autre Monde (J. Rychner, p. 254-55). Je me rallierais plutôt à l’idée exprimée par P. Ménard (op.cit. p. 63, note 43) : ils seraient un vestige du motif de la fée au bain. On les retrouve dans le lai de Désiré. Ces deux objets d’or sont donc eux aussi, d’une certaine façon, en rapport avec l’Autre Monde.
39 Sur cette coloration funèbre que prend parfois la merveille chez Marie, voir aussi D. Poirion, "La mort et la merveille chez Marie de France", dans Death in the Middle Ages, éd. H. Braet et W. Verbecke, Leuven University Press, 1983, p. 194.
40 Op.cit. p. 324. Il évoque aussi l’imprécation des prêtres et prêtresses d’Eleusis contre les coupables de la profanation des mystères, "debout, tournés vers le couchant et agitant des étoffes de pourpre... Après tout, l’Autre Monde est à l’Occident, qui est rouge..."
41 R. S. Loomis, op.cit. p. 214.
42 Aussi surprenant gue cela puisse nous paraître, il n’est pas inhabituel de rougir de peur, dans des textes de l’époque - la peur étant considérée comme une émotion qui fait affluer le sang à la peau, contrairement a ce que l’on dit de nos jours ; cf A. Ott, op.cit. p. 115. En revanche, la douleur fait pâlir les amants de Guigemar (424 et 764).
43 V.18, 294 : "Gilliadun, qui tant fu bele..."
44 Voir par exemple M. Bouteiller, Médecine populaire d’hier et d’aujourd’hui, Paris, Maisonneuve et Larose, 1966 (p. 250). A. Paupert, Recherches sur les Evangiles des Quenouilles (Thèse, Université de Paris III, janvier 1986-chapitre IV, "Maladies et remèdes").
45 Cette comparaison très judicieuse est faite par F. Gardès-Madray et F. Tronc, "Marie de France : lai d’Yonec ; Marie-Catherine, baronne d’Aulnoy : L’Oiseau Bleu. Variantes et invariants d’un schème actantiel", Mélanges... C. Camproux, Montpellier, 1978.
46 P. Gallais, "Le sang sur la neige (le conte et le rêve)", Cahiers de Civilisation Médiévale, 1978, t.XXI, pp. 37-42.
Voir B. Bettelheim, Psychanalyse des contes de fées, Paris, 1976, p. 255 (à propos de Blanche-Neige).
Le sang sur les draps dans Lancelot : C. Méla, op.cit. p. 296.
47 Je me permets de reprendre ici en partie le célèbre vers de Baudelaire, "Mais le vert paradis des amours enfantines..." ("Moesta et errabunda", Les Fleurs du Mal, LXII).
48 Voir par exemple, dans le calendrier des Très Riches Heures du duc Jean de Berry, la miniature qui correspond au mois de Mai, où l’on voit un cortège de dames et de seigneurs dont trois sont habillés de vert ; ou les vêtements verts portés par les chevaliers d’Arthur partis cueillir le mai dans la forêt (où va avoir lieu l’enlèvement de la Reine) dans La Morte Darthure de Th. Malory (cité par G. Paris, "Etudes sur les romans de la Table Ronde. Lancelot du Lac", Romania XII, 1883).
49 "Postremo super omne pulchrum viride, quomodo animos intuentium rapit ; quando vere novo, nova quadam vita germina prodeunt, et erecta sursum in spiculis suis quasi deorsum morte calcata ad imaginem futurae resurrectionis in lucem pariter erumpunt..." (ibid.; trad. E.de Bruyne, ibid., voir note 15).
50 A. Ott, op.cit. p. 136-137. Sur l’ambivalence du vert, voir aussi M. Pastoureau, "Formes et couleurs du désordre...", op.cit., p. 69.
51 Cf C. Méla, "Le lai de Guigemar, ‘selon la lettre et l’écriture’", Mélanges... C. Foulon, t. II, 1983, pp. 193-202.
52 Sur les rapports entre les lais anonymes et ceux de Marie, voir le résumé des différentes hypothèses fait par P. Ménard, op.cit. pp. 40 sq. (L. Foulet les tenait pour des imitations médiocres des lais de Marie ; P. M. O’Hara-Tobin, op.cit. p. 21, pense que leurs auteurs les connaissaient, mais ont aussi utilisé d’autres sources c’est l’opinion qui semble généralement admise). Ce détail du mur de marbre vert me paraît un indice d’influence directe. Le "marbre vert" apparaît aussi dans la description du château de Mélior dans Partonopeus, dont l’auteur connaissait sans doute les Lais (comme le pense R.N. Illingworth, "Celtic tradition and the lai of Guigemar", Medium Aevum, 31, 1962, pp. 176-187), mais parmi beaucoup d’autres couleurs (v.795-96) ; bien d’autres détails dans ce roman rappellent les Lais (par exemple, les deux bassins d’or...).
Ce détail du "marbre vert" ne se trouve pas dans la description des murailles de Carthage dans l’Eneas, dont Marie se serait inspirée d’après E. Hoepffner (celles-ci sont de marbre aux cent couleurs).
53 V. 1904-1908 (éd. M. Rogues). Il est présenté comme le frère de "Greslemuef d’Estre-Poterne" (que les critiques assimilent à "Graelent mor" ou "muer").
54 Voir par exemple H. R. Patch, The Other World accordinq to descriptions in medieval literature, Smith Collège Studies in modem language, Harvard Univ. Press, Cambridge, 1950, pp. 30-42 (il cite la description du château de la dame de Guigemar, mais ne parle gue de la magnificence du mur, non de sa couleur).
Sur Melwas et l’Ile de verre, voir déjà G. Paris, ibid. ; R. S. Loomis, ibid. (p. 214 sq.), repris ensuite par de nombreux médiévistes (dont J. Frappier dans son Chrétien de Troyes, Paris, 1968, pp. 134-135).
55 H. R. Patch, ibid. p. 230. L’Irlande, patrie des fées : voir par exemple, A. L. C. Brown, The Oriqin of the Grail leqend, Cambridge, 1943, p. 77.
56 R. N. Illingworth (op.cit. p. 179) résume deux récits irlandais dans lesquels la messagère de la fée est vêtue de vert. Voir aussi, dans Les Mabinogion, "Le songe de Ronabwy" ; et le perron d’émeraude de la fontaine de Barenton dans Yvain (v.413-431 ; le bassin est d’or orné de quatre rubis vermeils). L. Harf (op.cit. p. 90, note) évoque les fées minuscules vêtues de vert du folklore anglais. Le vert semble en effet avoir une place privilégiée dans le folklore et la littérature anglo-saxons, de Sir Gawain and the Greene Knight à la cité d’émeraude du Magicien d’Oz (The Wizard of Oz, conte moderne très populaire aux Etats-Unis).
57 Je n’avais pas eu connaissance, avant de présenter cette communication, du chapitre de J. Ribard, "La symbolique des couleurs", dans Le Moyen Age. Littérature et symbolisme, Genève, Slatkine, 1984, pp. 35-52, qui contient plusieurs références aux Lais (elles concordent tout à fait avec mon analyse, sauf en ce qui concerne le mur vert).
Auteur
Université de Genève
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