Voir le monde en couleurs : la vision colorée du poète Italien au moyen âge
p. 201-228
Texte intégral
INTRODUCTION
1Les couleurs étaient là quand le langage les nomma : couleur du temps, couleur des mots.
2Existence énoncée n'implique pas pour autant essence élucidée ; "par le pouvoir des mots", la couleur est née, une seconde fois. Mais "sous couleur de" s'y montrer, elle s'y est cachée : "couleur" a connivence avec "celer".
3Naissance-annonciation et naissance parodique : le Moyen Age s'illustre des couleurs que son langage, à la lettre coloré(e), recèle ; mais sous ce langage qu'elle répète et où elle se répète pour la plus grande "exultation de l'oeil"1 la couleur se dérobe. Ce jeu présence-absence, sous le sceau médiéval du secret et du sacré, participe d'une hiérophanie qui est bien loin d'exclure une histoire des couleurs, elle-même indissociable d'une poétique de la couleur.2
4Les couleurs au Moyen-Age - celles du peintre et celle du poète, celles du poète-peintre - tranchent, franches et nettes, le plus souvent sans nuance3 ; elles brillent aussi, compactes et lisses, d'un vif éclat ; elles opposent bien autant qu'elles s'opposent entre elles. De l'oeil au mot, s'instaure un divorce qui est aussi complicité où la couleur-énigme pourrait être à la fois le masque et le philtre.
5La parole est ici au poète italien de cette époque, qui a fait voeu - profane ou non - de "poésie", qui cherche à mieux voir, sait voir pour mieux recréer, hésitant entre la prose et la poésie, les mélangeant parfois comme des couleurs, convoquant tour à tour ou ensemble le latin et le volgare (Pétrarque), le volgare florentin et la langue d'oc (Brunetto Latini), troquant parfois même le volgare pour une langue étrangère (Marco Polo). Avec ce poète pour guide "coloré", de "bonheur sensoriel" (Vasarely) il sera beaucoup question, qui envahit aussi bien le traité que la correspondance, le sonnet ou la canzone que la relation de voyage, aussi bien l'exemplum, les proverbes ou même la tenzone que le panégyrique humaniste et historique (l'Africa pétrarquiste) ou bien mystique (les Fioretti franciscains).
6C'est assez dire combien la couleur (ou les couleurs) est/sont présence obsédante et démultipliée dans la littérature médiévale. Toutes ces oeuvres-témoins, à des degrés divers, livres-fresques et livres-miniatures, ont l'émerveillement à leur source ou dans leurs visées, composés qu'ils sont-bien souvent-de vives et courtes séquences comme dans les livres d'images.
7Voir le monde en couleurs, à cette époque, revient à interroger la "vision colorée" du poète italien. L'acte que le verbe de la première partie de notre intitulé appelle ne doit se comprendre que par les guillemets qui englobent l'expression codée de la deuxième partie proposée comme équivalence chromatique, liée à un mode de perception, à une qualité du "voir".
8Reste à savoir s'il est plus légitime de se référer à un ensemble de composantes différencié, à une pratique disséminante DES couleurs, signe d'une varietas, ou bien de s'en tenir à une seule et même substance, à une catégorie bien singulière (LA couleur) qui informe le langage des mots, signe de brevitas.
9ne vaudrait-il pas mieux s'essayer à l'un et l'autre parcours susceptibles d'éclairer la relation écriture-couleurs présente, à cette époque, dans l'expression d"'écriture colorée" ?
10Une manière, pour ces trois itinéraires proposés, de se montrer les plus fidèles à l'instabilité inhérente à la couleur elle-même sous la patine du temps comme à l'instabilité des mots qui les dénotent et dont ils sont "ornés".4
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DES COULEURS :
11Voir s'apprend, en peinture comme en littérature. Au Moyen Age la couleur, dans l'un et l'autre cas, est avant tout lumière. A cause (ou en dépit) de la luminosité foncière des couleurs du peintre et du poète, brillance appelle voyance.5
12Le Monde du Moyen Age, profane ou religieux, à tous égards théocratique, compte pourtant deux divinités aveugles : la Fortune "aux yeux bandés" et l'Amour, porteur de vie et d'espoir mais "à la vue courte avec des yeux d'aveugle", comme le définit André le Chapelain inspirateur, avec son traité qui lui est consacré6, de tant de poètes et d'écrivains. Si l'on tient compte par ailleurs de la conscience aiguë et de la pratique subtile du secret qui entoure la Divinité avec sa création, ainsi que de mentalités profondément convaincues de n'être qu'"ombre et poussière"-selon un vers de Pétrarque7, on comprendra aisément que la vision n'en ait que plus de prix, que précieux (épithète de choix) soit d'abord l'acte libre de voir qui voudrait porter un regard frais et neuf sur les choses (Saint François)8, les thésauriser - "trésor", autre maître-mot - soit dans un but marchand (Marco Polo), soit dans un but plus désintéressé relevant du savoir (Br. Latini), soit dans un but hagiographique visant la mystique franciscaine. Et ce d'autant plus que le temps compté l'est en "lustres".
13L'homme du Moyen Age - apparemment - n'est pas privé de couleurs9 ; l'Italien de cette époque moins qu'ailleurs, moins que ses contemporains d'autres pays : une couleur qui pourrait être - du moins dans son apparence - l'anti-secret et, en sa surface lisse et brillante, l'image unifiante d'un "monde" dont l'étymologie nous rappelle l'évidente pureté, propreté, à côté de celle du mot grec "cosmos" qui combine l'art d'orner avec celui d'ordonnancer.10
14La politique offre, à ce poète italien, une division chromatique rêvée, illustrée par la longue lutte séculaire, âpre, des Guelfes et des Gibelins et leurs "factions" (ou "parties") qui s'affrontent en Noirs et Blancs. L'imaginaire reçoit aussi naturellement d'un quotidien aux teintes sombres l'impression dominante "en noir" que lui mettent sous les yeux le cortège répété des épidémies et, notamment, la Grande Peste de 1348 ravageant toute l'Europe et plus particulièrement l'Italie et qui restera dans l'histoire sous le nom terrifiant de "Peste Noire". La religion du temps enfin, dans la pompe et le faste de sa hiérarchie romaine et dans la diffusion et la propagation provinciale de ses ordres réguliers, propose un mélange de couleurs vives, somptueuses, dispensées par les ors et les pourpres et de couleurs sobres, unies, de ses "Franciscains", de ses "Dominicains", de ses "Bénédictins".
15Ainsi, matière riche offerte comme substance polysémique à l'oeil, la couleur est en quelque sorte le premier degré d'une illumination qui impose à l'humble croyant du Moyen Age un spectacle, magnifié ou non, à tout le moins éloquent jusque dans ses contrastes : Bonvesin da la Riva, chantre de l'écriture colorée - on le verra plus loin - joue de la distribution de signifiés d'essence florale, à la rime de certaines strophes précisément monorimes de son long poème du type conflictus intitulé Disputatio rosae cum viola11. D'une manière plus générale, visions, miracles, songes et autres "merveilles" qui nourrissent la trame épiphanique et les visées édifiantes de l'écrit au Moyen Age constituent, à cet égard12, autant de télescopages idéals entre la lumière et les ténèbres, entre l'obscurantisme et la lucidité, entre ces deux "lévriers", l'un noir, l'autre blanc qui symbolisent, selon Pétrarque, la quête du chasseur de toutes choses périssables13. De fait, n'est-il pas symptomatique que le livre du plaisir, du désir et de la fête du discours, ce Décaméron aux cents actes divers du quotidien et de l'histoire, s'ouvre sur un cauchemar - la peste -, en porte à l'initiale les stigmates avec ses "tâches noires" (macchie nere) et se referme sur la blancheur immaculée des nappes du banquet, étalées sur un parterre fleuri ?
16Climat politique, carte sanitaire, moeurs religieuses, cela seul suffirait comme tableau coloré à forte dominante noire et blanche s'il ne venait s'ajouter le paysage économique et le panorama artistique médiéval italien qui apportent, eux aussi, leur part de couleurs aux gens de l'époque.
17Une monnaie à l'effigie d'une cité au nom floral, la plus prestigieuse de l'Occident, change, en 1257, l'argent pour l'or ; bien que l'épithète "florentin" puisse, ailleurs, se teinter discrètement de blanc-gris14, sa monnaie vaut à Florence et à son "lys" rouge de confondre sa puissance déjà pré-médicéenne avec le cliché de l'emblème de tout pouvoir, qu'il fût impérial, monarchique ou ecclésiastique : la pourpre et les ors. Par ailleurs au temps où, dans d'autres pays où fleurit davantage l'art roman, les cathédrales sont blanches, le marbre bariolé (entre autres couleurs, noir-et-blanc) revêt les façades et l'architecture générale des dômes, des campaniles, des baptistères15. En fait de polychromie et de teintes éclatantes et lisses, il vient utilement prendre le relais de la décoration des mosaïques byzantines, à l'intérieur comme à l'extérieur, à Ravenne ou en Toscane, à Assise ou à Venise, à Rome comme à Palerme.
18Produit composite du réel et de l'imaginaire, la couleur que le peintre ou le poète tente de "fixer" n'en subit pas moins des altérations qu'il fait aussi, par voie de conséquence, subir au tableau (toile, bois ou fresque) comme au texte. Or, en Italie plus qu'ailleurs, poète et peintre sont très proches l'un de l'autre.
19Par ce biais, la couleur entre en poésie. Le mot accède au (x) coloris. Dipingere devient le maître verbe prononcé, répété par tous les poètes : celui qui rapporte les choses extérieures mais aussi la vie intérieure. L'habitude sera prise par la suite, renforcée encore à la Renaissance, redécouverte et amplifiée chez les Romantiques, partout en Europe. Pour l'heure, "peindre" dans le domaine de la poésie amoureuse consiste à vouloir fixer le visage de la femme (de la Dame ou de la Vierge)16 : à le fixer dans le coeur ou en esprit tel que la peinture-florentine ou sien-noise-le sacralise, à le fixer sous l'impulsion de l'Amour-peintre chez Monteandrea, chez Ser Alberto da Massa di Maremma, ou encore chez le poète giocoso Pieraccio Tedaldi17.
20Imager le réel pour mieux l'imaginer ; en italien comme en français, la quasi homophonie "peindre-feindre" est encore mieux rendue18, italien seulement cette fois, par le rapprochement sémantique de la plume (penna) et du (pennello) Boccace, maître ès-duplicité en matière de "raison colorée" (ragion colorata) se fait fort de la rappeler en "conclusion" de sa fresque colorée du Décaméron.19
21Jamais donc les poètes - et par la suite également peut-être -n'auront autant fait appel aux peintres et à la peinture, à travers le livre qui propose à l'oeil de l'homme du Moyen Age le spectacle raffiné et enrichissant de ses enluminures, de ses rubriques, de ses lettrines toutes porteuses et émetteuses de lumière. Inversement, le peintre se fait volontiers enlumineur de manuscrits ou doreur - décorateur de reliures comme le père de l'école siennoise au début de sa carrière, Duccio di Buoninsegna, tout comme il incorpore la lettre (souvent "dorée") à son tableau : ainsi l'Annonciation de Simone Martini est picturalement traversée par le texte prophétique qui "sort" pour ainsi dire de la bouche de l'Ange et s'en va émouvoir la Vierge20. Simone Martini est aussi, rappelons-le, l'ami intime de Pétrarque et l'auteur d'un portrait malheureusement disparu de Laure dont deux sonnets du Canzoniere conservent explicitement le souvenir (LXXVII et LXXVIII).21
22La rencontre peinture-poésie ne pouvait être plus totale : or, dans ces deux compositions, ... pas de couleurs à proprement parler ; seulement et avant tout grâce et lumière.
23Parallèlement à l'activité poétique de l'exilé vauclusien, la correspondance de Pétrarque fait aussi état de liens d'amitié qui le rapprochent d'un orfèvre de Bergame : une lettre des Familiares rappelle la nature de cette relation confiante et la chaleur féconde de l'échange. Mais la couleur n'est pas au rendez-vous.22
24De cette collaboration thématique et sémantique entre peinture et poésie, le trait sans doute le plus pertinent est la fréquente identification du poète au peintre-et point seulement au niveau métaphorique-du genre de celle qu'opère Pétrarque, dans un aveu de ses Senili :
Je suis un Protogène qui ne sais détacher son pinceau de sa toile.23
25Point seulement aussi confinée dans la référence comparative à Polyclète, pourtant sculpteur mais associé aussi, chez Pétrarque, au mode de voir de Simone Martini, que Pieraccio Tedaldi, Guittone d'Arezzo, après Dante (Purg. X, 32), réévoquent24. Plus réellement, le poète-giullare des Pouil-les, Ruggieri Apugliese, dans un texte qui fait l'inventaire des métiers et des arts, n'omet point les orfèvres et les peintres spécialistes en matière d'affinage des couleurs (v. 74) et en matière de teinture ("teindre en vert, en bleu ciel").25
26Personnage familier du paysage culturel et artistique, à cette époque où "la peinture est la littérature des laïques"26, le peintre (avec sa technique) séduit incontestablement le poète mais infiniment plus comme maître de composition, comme penseur et interprète de la vision que comme coloriste. Le Silicien Giacomo da Lentini, de la cour de Frédéric II, inclut de ce "peintre" la seule activité de créateurs de formes, sans gommer pour cela les difficultés rencontrées dans la représentation de ces formes ; il montre l'un d'eux qui s'y reprend à plusieurs fois, tenaillé par l'insatisfaction de mal reproduire son modèle, de ne pas assez savoir peaufiner son sujet27. De manière plus élaborée encore et plus intériorisée, le toscan Chiaro Davanzati clôt un sonnet symboliquement sur la technique de tableau-miroir devant lequel l'artiste réfléchit aux moyens de rendre le beau teint de la dame pour le renvoyer au monde : la vision est cyclique du peintre à la dame, de la dame au tableau ; du tableau au public. Le texte du sonnet se sert du support pictural pour représenter l'image qui a surgi des mots.28
27Plus encore, la connaissance de la peinture, de ses techniques, n'échappe pas à certains d'entre eux qui l'incluent - de manière autobiographique - dans leurs sonnets : dans deux compositions successives un rimeur giocoso de Pérouse, Cecco Nuccoli, compare la technique du peintre à celle de l'écrivain : pour la première, les termes se réfèrent au "mordant" et au contraste ombre-lumière :
O toi qui peins sur deux parois l'azur
Et le vair en y mettant de l'or sans mordant
Et fait l'un si brillant à la vue
Que l'autre en devient sombre et obscur...29
28Ces exemples confirment une tendance déjà entr'aperçue : la couleur n'intéresse guère le poète-peintre ; elle passe au second plan pour laisser, bien voyant au contraire, le travail créateur qui en use et qui y conduit. L'accent est mis sur l'opération "en abyme". Même dans le tout dernier exemple, celui de Cecco Nuccoli où les couleurs traditionnelles-ces ors et ces lapis-lazuli - sont présentes, on notera qu'elles ne sont là qu'en relation à une manière de faire et finalement de voir.
29Dans la seconde composition poétique du même écrivain, comment est traitée - nous y reviendrons plus en détail - le rapport à l'écriture poétique ? Par deux notations de couleurs qui sont celles "de l'ordre noir et du beau vermeil" ; on aura reconnu là, l'ornementation picturale et chromatique du manuscrit ou du livre à travers ses "lignes" et ses "rubriques".
30Un autre poète encore, florentin, de la première moitié du xivè siècle, Pieraccio Tedaldi, contemporain du précédent et qui use comme celui-ci de l'autobiographie poétique, se déclare "secret escholier" et assidu lecteur de livres de peintures, sensible aux valeurs rouge ("grana") et blanche perlée30. Le livre - ou l'écrit - manifeste par conséquent un secret, le secret langage des couleurs aux vertus d'autant plus magiques que plus délicate, plus laborieuse et plus mystérieuse a dû être la succession complexe des opérations mentales qui ont conduit à leur apparition et à leur distribution sur la surface picturale comme dans l'espace textuel.
31Dernier élément - et non des moindres - qui atteste la collaboration et l'interpénétration étroite des deux univers, celui du peintre et celui du poète : le recours au parallèle entre les deux "arts".
32Les plus grands d'entre ces poètes, Pétrarque et Brunetto Latini par exemple, n'hésitent pas à esquisser, souvent même de manière très minutieuse, un véritable parallèle entre l'art et la pratique des mots et ceux de la couleur. Pour eux, peindre c'est écrire. Une lettre de la vieillesse du premier31 nous renseigne à ce sujet : illustration parfaite d'une mise en "abyme" réalisée par la vision picturale puisque la lettre elle-même - entendue dans le sens d'échange épistolaire - peut se faire "peinture" qui sait rendre le visage aimé au même titre que le tableau (par ex. celui de Simone Martini) sait traduire, sous forme de vivant portrait, la carnation et la physionomie de Laure32.Dans les Senili encore, ce même Pétrarque poursuit patiemment la confrontation peinture-écriture, soit qu'il associe ces deux arts et techniques dans un même commun désir de "rapporter" et de mettre sous les yeux" des objets du monde extérieur, soit qu'il les réunit dans un même besoin contrastif fécond au regard de la nécessaire critique à leur égard33. Une autre lettre encore, plus tardive et adressée à Boccace le 28 octobre 1 365, revient une fois de plus sur le même sujet des rapports étroits qui lient peinture et littérature.34
33Quant à Brunetto Latini, autre toscan, autre exilé, on connaît le soin tout particulier apporté à développer le thème de la "rhétorique peincturière" où l'essentiel reste le "style coloré" tant chez le poète que chez le prosateur. Il l'évoque avec précision dans Lou Trésor mais également dans il Tesoretto lorsqu'il définit la largesse où se font "couleur, dorure et vernis".35
34Que donnent ces principes tendant â établir une étroite entente entre les deux univers de la peinture et de la poésie, principes picturo-poétiques où les couleurs sont moins présentes et actives qu'on aurait pu le penser initialement, assez peu représentées aussi, dans la variété de leurs teintes ?
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35Quatre champs d'application possibles avec leurs "objets" susceptibles de recueillir, de symboliser ou d'offrir à la vue des couleurs, seront retenus : la nature humaine saisie à travers la perception du corps, la vie quotidienne pensée en termes de rites sociaux de l'existence, la nature animale considérée à travers les bestiaires occasionnels et la nature extérieure présente dans son cycle saisonnier, printanier de préférence.
361 - De la première nommée, le corps est "vu" aussi bien sous une forme collective que sous son aspect strictement individuel : l'individu noyé, absorbé dans l'anonymat de la collectivité, est plus marqué du sceau de la souffrance que désigné par la joie et le plaisir. La passion, qu'elle soit d'essence amoureuse, religieuse ou guerrière, tant au sein des collectivités souffrantes que chez l'individu partagé entre sainteté et humilité, est traitée par une coloration assez peu voyante. Dans tous les cas, la douleur et les tourments physiques qui atteignent les individus, pauvres ou riches, nobles ou obscurs, humbles gens ou Puissants du jour, n'appellent que fort peu de teintes vivaces. Le visage, lieu privilégié qui focalise le drame vécu, "perd" le plus souvent "ses couleurs", celles que la sérénité lui octroyait ou que la liesse occasionnelle pouvait souligner : blancheur, rougeur vermeille ; plus codée peut se montrer la beauté féminine de ce visage, restreinte malgré tout à la trichromie : blancheur-vermeil-rose des traditionnelles parties que sont les lèvres ou la carnation.
37Lorsque la Mort se profile ou se produit, le noir bien évidemment connote les traits des personnes, contamine le monde environnant. Mais le topos du sang versé, dans le cas d'une ou de mort(s) violente(s), ne s'accompagne guère d'une débauche de rouge. Pétrarque et Dante font relativement figure d'exceptions dans ce domaine : le second attire l'attention, dans son Enfer, sur le sang des Guelfes tués à la bataille de Montaperti (X, 86), sur "l'Arbie coloré de rouge" ; le premier, dans sa canzone "All' Italia", pourtant pleine du "sang" de l'oppresseur dans chacune de ses stanze, n'use qu'une seule fois du très violent contraste de la couleur "sanguigno" qui teinte et souille les "vertes campagnes" transalpines.36
38Quant à l'altération des formes et de l'aspect corporels, sous l'effet des injures du temps, une étude à leur sujet montrerait que le thème double du vieillissement et de l'enlaidissement se passe dans l'ensemble de notations colorées, à l'exception de la blancheur "chenue" (canuto), signe extérieur le plus récurrent et le plus apparent. Rien de comparable avec le contraste des teintes de la jeunesse et de la vieillesse chez la "belle Heaulmière" de Villon où au "cler vis", aux "belles lèvres vermeilles" et aux "cheveux blonds" s'opposent les "cheveux gris", "les yeux éteints" et "les lèvres peaussues" ; rien de comparable non plus, au regard de la déchéance finale réalisée dans la mort, avec la macabre exhibition offerte par ses "pendus", synonyme de "cendre", de "pourriture", de "teint délavé" et, pour tout dire, de "noircissure".
392 - Autre champ possible d'application : les rites sociaux pour lesquels un seul exemple suffira, typique d'une attitude qui est celle aussi des poètes italiens quels qu'ils soient.
40En effet, l'exemple qui nous paraît le plus probant - au négatif -et qui eût pu être précisément la plus éclatante démonstration de teintes crues, abondantes et contrastées, nous est fourni par la relation de voyage "poétique", orientale et extrême-orientale de Marco Polo. La triple dénomination sous laquelle elle est passée à la postérité pouvait autoriser une "vision colorée" particulièrement brillante, chatoyante en connotant la fabuleuse richesse (Le Million) digne de celle des Mille et une nuits, l'émerveillement devant autant de fastueuses "découvertes" de "trésors" (Le Livre des merveilles) ou encore le récit - oral - de la fête et du plaisir des sens (le Livre du Devisement).
41Les rites n'y manquent pas : mais les couleurs s'y rapportant sont infiniment moins abondantes et variées qu'on aurait pu le croire : pour le seul rituel décoratif des somptueuses demeures, palais, jardins parcourus ou visités, on est étonné de la relative discrétion chromatique des vaisselles, fourrures, étoffes, métaux et pierres précieuses. Quant aux nombreux cérémonials, funèbre, religieux, guerrier surtout, ils sont bien loin de donner lieu à un éventail et à un déploiement raffiné de couleurs, lors de traversées pourtant éminemment exotiques de contrées ou de cités de légendes : riches oasis ou, à l'inverse, vastes étendues désertiques dorées de Gobi, du Karakorum, cités quasiment mythiques comme Bagdad, Samarcande ou encore Eoukhara pour ne citer que quelques noms parmi les plus prestigieux de l'Orient et de l'Extrême-Orient37. Il en va de même pour la description des festivités, des banquets, des défilés, des triomphes, des tournois ou encore des scènes de chasse38. D'ailleurs le meilleur test, dans ce domaine descriptif, demeure encore le rite pictural proprement dit, celui qui justement consiste à vouloir "peindre" par des mots... des décors peints, tissés, marquetés ou autres : seul fait figure d'exception à la règle, le Palais du Grand Khan - peut-être du fait qu'il représente, autant dans l'imaginaire que dans la réalité exotique orientale, l'archétype du luxe, des richesses, des splendeurs avec "ses murs du palais et ses chambres tout couverts d'or et d'argent et peints... avec ses solives... toutes de couleur vermeille, et jaunes, et vertes, et bleues et d'autres couleurs".39
42Le rite médiéval italien - même le plus fastueux et pour ainsi dire légendaire - qu'il soit de source profane ou d'inspiration sacrée, ne "fixe" pas les couleurs, ne donne que fort peu d'occasions à "peindre" des tableaux ou des scènes colorées. Rien qui n'approche, en l'occurrence, les somptuosités délicates de la tapisserie variée de la Dame à la Licorne, tissée à la fin du xvè et au début du xviè siècle, ni même de L'Apocalypse d'Angers exécutée en vingt-quatre coloris, beaucoup plus tôt pourtant, de 1375 à 138140. A noter que, d'une certaine manière, le texte et le discours des poètes italiens du Moyen Age préfigure, par l'économie de sa distribution chromatique, la démarche pour ainsi dire incolore de la pensée utopique du début du xviè siècle de Machiavel, de Thomas More et d'Erasme41 qui a cependant recours à la nature animale - et ne s'en prive pas - soit dans un but polémique et allégorique, soit dans une optique originale de "monde renversé".42
433 - La nature animale fournit aussi, en effet, un excellent champ d'application aux principes de coloration des compositions "poétiques" variées du Moyen Age italien.
44La participation nombreuse, active, de la figuration animale aux écrits poétiques médiévaux n'en signifie pas pour autant représentation très colorée. Les couleurs sont bien loin de distinguer chaque espèce, de traduire l'intensité et la diversité chromatiques qu'auraient pu favoriser tant de créatures domestiques, sauvages et même fantastiques.
45Les chapitres de ce petit livre des merveilles que sont les Fioretti inventoriant et historiant les miracles, songes et visions de la vie du poverello montrent un Saint François usant de son "langage" auprès des créatures familières (oiseaux, poissons et même loup)43 ; on y chercherait en vain quelque couleur que ce soit. Tout comme dans le Cantique des Créatures, fraîcheur et innocence, en lieu et place des couleurs, caractérisent ces scènes miraculeuses où l'oeil décapant du chroniqueur qui "voit" à travers "les yeux très saints" de François demeurent avant tout sensibles à la qualité de la lumière, à son rayonnement, à sa brillance et à sa transparence.
46L'hagiographie franciscaine se tourne vers la lumière44 ; et lumière exclut tout luxe qui ne serait que déviance et superflu. Et l'iconographie du saint, à travers les peintures du temps - l'ouvrage de Maurice Villain s'est attaché à le faire ressortir - a respecté cette façon de voir.45
47Quant à l'image de l'animal recueillie par l'oeil de Brunetto Latini, pour nettement plus colorée qu'elle soit, elle reste encore celle de la lumière : "clarté est bonne par nature mais elle ne l'est plus pour des yeux malades", rappelle à juste titre son auteur46. La "vision colorée" relève donc d'une thérapeutique non exclusive d'une herméneutique. De cette luminosité de source divine seront marquées d'abord la nature et ses éléments. Ainsi, pour quelques animaux désignés par une seule couleur (le jaune des crocodiles, le noir du corbeau) ou bien par plus d'une couleur (les ailes rouges et les narines jaunes de l'autour, le pied blanc et les yeux rouges de l'épervier) combien d'animaux en revanche incolores comme l'hirondelle, ou la cigogne, ou encore la corneille !47
48L'inventaire de Brunetto Latini s'avère doublement culturel et conceptuel bien plus que "trésor" aux mille couleurs. Le monde des connaissances, à cette époque, revêt d'abord une éminente forme et fonction nominales.
49Troisième et dernier exemple de nature animale colorée : celui du Livre de Marco Polo. Deux surprises nous attendent pour cette "vision" d'un Orient exotique. La première, d'une manière générale, confirme la tendance déjà relevée précédemment : infiniment moins de couleurs que prévu ; des chapitres entiers n'en comportent point du tout ; seconde constatation surprenante : d'une manière plus spécifique et qualitative, c'est de loin le noir et le blanc qui l'emportent, isolément ou en violente opposition l'un par rapport à l'autre.
50Or, précisément, la gent animale accapare littéralement, quand elle attire la couleur-ce qui n'est pas toujours le cas - le noir et le blanc : blancs sont "vus" les boeufs de Perse, les chameaux, les juments du Grand Khan, les aigles48, noirs au contraire apparaissent les moutons, les lions de Zanzibar, le renard de Sibérié49 ; de l'une et de l'autre couleurs contrastées sont "teints" les éléphants de Mongolie, les girafes de Zanzibar ou les ours du Grand-Nord russe.50
51Ainsi, à des degrés divers certes, de l'aventure mystique du fils du riche marchand drapier assisiate converti, de l'aventure marchande du Vénitien séduit par l'Orient comme de l'aventure intellectuelle de l'exilé florentin, on ne peut guère dire qu'elles participent d'une "vision" très colorée. Rien pour ainsi dire dans les cinquante-trois chapitres de la première, à la gloire d'un saint dont les peintres du xiiiè au xvè siècle respecteront, en règle générale, l'image discrète : de Margaritone d'Arezzo à Giunta Pisano, de Cimabue à Giotto, de Pietro Lorenzetti à Sassetta ; davantage de coloration dans la seconde mais au profit de teintes dominantes en opposition recherchée ; plus inégalement chez la troisième, plus soucieuse que les deux précédentes de variété mais tout aussi séduite qu'elles par le prestige de la luminosité et des reflets, des lapidaires notamment. Ce sont des lapidaires qui, ponctuant très souvent un obsédant décor floral, caractérisent le topos printanier de la "vision" de la nature saisie dans son cycle saisonnier.
524 - La Nature aussi a ses rites, ses cycles : mois et saisons fascinent l'attention du peintre et du poète au Moyen Age. D'un temps fort compté et comme hiérarchisé, à l'échelle d'une existence humaine, ils vont illustrant les travaux et les jours "vus" par ailleurs sub specie aeternitatis.
53Bien avant les sonnets dits "des Quatre saisons" qui, au xviiiè siècle, fourniront matière musicale colorée au Vénitien Vivaldi, trois poètes au moins sont renommés pour avoir célébré le topos d'un temps à la fois hebdomadaire et saisonnier : Folgore da San Gimignano, Cenna da la Chitarra et - un peu moins connu que les deux premiers -Matazone da Caligano, de Pavie.
54Si ce dernier écrit une longue composition de trois cents vers, la première qui, en volgare, exprime une polémique anti-vilain (Nativitas Rusticorum) où la couleur se ressent plus de l'éclat des lapidaires que des teintes naturelles, les deux autres s'opposent quant à la conception de la "suite" de sonnets qu'ils consacrent aux saisons : le premier pour leur noblesse, leur beauté et leur(s) grâce(s), le second dans un sens démystificateur proche de la dérision. Dans l'une comme dans l'autre versions confiées à deux "visions" parfaitement antinomiques, les couleurs n'apparaissent guère ou si peu qu'elles ne s'écartent pas du stéréotype que Pétrarque n'illustrera pas beaucoup plus dans son sonnet de la renaissance printanière : "Zefiro torna..."51
55On est fort loin du déploiement des nuances, du sens profane de la miniaturisation des éléments naturels, de la riche gamme de vifs coloris des Très riches Heures du Duc de Berry réalisées par les frères De Limbourg52, au début du xvè siècle, de 1411 à 1416. Le topos du printemps renaissant, du réveil floral de la nature tout entière n'engendre qu'un minimum de notations colorées, aussi bien chez Bondie Dietaiuti que chez Chiaro Davanzati ou chez Marino Ceccoli, ou encore chez Cecco Nuccoli pourtant redevable, ce dernier, de la veine populaire giocosa. Encore, le plus souvent, ces notations fort restreintes plus liées à l'état qu'aux teintes de la floraison nouvelle, ne servent qu'à établir un registre d'équivalences de nature éthique ou sentimentale ; elles ne sont, dans ce cas, que "suavité", "grâce" et "amour". Ou bien alors, l'impression d'ensemble suscitée par le spectacle réconfortant du renouveau floral et de la résurrection végétale reste globalement et tautologiquement sensitive, comme chez Marino Ceccoli :
... quand les petites fleurs parmi les feuilles tendres rient et se répandent toutes en couleurs variées.53
56Et si l'on quitte un instant le terrain poétique pour celui, plus familier, de la sensibilité personnalisée par l'autobiographie de type épistolaire, l'on demeure frappé de l'extrême pudeur de la plume du poète humaniste Pétrarque pourtant sous le charme, à plusieurs reprises de son existence errante, d'une nature au ravissement de laquelle il ne sait pas se montrer insensible : une grande économie des couleurs préside en général aux impressions nées de la contemplation ou de la fréquentation, quelle qu'en soit l'heure ou la saison, des paysages du Vaucluse, de la Sorgue, du Mont-Ventoux lors de la fameuse ascension du 26 avril 1335 ; elle commande tout aussi bien la "vision" d'autres types de paysages, moins familiers, plus neutres et plus exotiques comme la description du Monte Capranica, au sud de Rome ou celle du paysage lombard du lac de Garde. Economie encore, à l'opposé pourtant, lorsqu'il s'agit pour Pétrarque, ami de la quiétude et des lieux de silence, de se faire le témoin d'une nature en désordre, agressive et menaçante, et de rendre compte d'une tempête, d'un naufrage voire d'une inondation l'obligeant, sur la route d'Italie, à faire retour précipité vers la Provence.54
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57Nature humaine, rites sociaux, nature animale, nature cyclique saisonnière : on ne saurait vraiment affirmer que chacun de ces domaines soit richement doté, abondamment fourni de coloris et de nuances. Peintre, le poète italien tend à l'être ; mais coloriste, bien moins qu'on ne le pense. La couleur n'apparaît pas pour elle-même ; elle est plutôt une composante à connotations olfactives, tactiles. A ce sujet, le printemps des poètes, occasion bien autant rêvée que réelle d'une renaissance et d'un oubli du monde transitoire, est moins vu que perçu de manière synesthésiste, "un printemps de l'âme" en quelque sorte. Pour nette, lisse et réfléchissante que soit la surface des couleurs, et compacte leur substance sous la fraîcheur des teintes de la fresque, de la détrempe ou de l'huile, ces couleurs et ces teintes ne sont jamais qu'un produit mixte codé que le langage poétique "porte", où le physique déborde sur le mental, où une éthique se lit et où s'inscrivent des valeurs spirituelles. "Vert" ainsi s'entend comme "acerbo", c'est-à-dire non parvenu à maturité mais promesse de floraison ; "jaune" peut signifier "ardent" qui appelle ou remémore le feu ; "bleu" sait coïncider avec l'imperturbable sérénité - immaculée - par exemple d'un ciel sans nuage ou d'un visage sans tourments.
58En résumé de ce premier parcours, le pluriel "en couleurs" n'est nullement à entendre dans un sens pléthorique ; la variété des teintes est loin d'être unanimement adoptée par l'ensemble des poètes ; et les teintes vives, éclatantes n'y sont pas majoritaires face au blanc et au noir qui demeurent tout aussi caractéristiques de l'imaginaire des hommes du Moyen Age.
59Que nous réserve le second parcours, limité à la substance-couleur, au signifié catégoriel ?
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DE LA COULEUR :
60Profane ou religieux, en prose ou en vers, en latin, en langue d'oc ou en volgare, chaque texte qu'il soit traité, laude, correspondance, relation de voyage ou écrit hagiographique s'attache à faire voir : sans s'attarder à l'excès sur le contenu et sur le détail de la "vision", c'est l'acte qui prime plutôt que le produit "coloré", textuel et pictural.
61Nommer une réalité suffit à souligner sa singularité existentielle : inventorier le réel dans sa succession contingente d'objets revient à mettre en évidence l'essence des choses en faisant l'économie de leur(s) apparence(s). On a vu, plus haut, qu'il suffit à Marco Polo, pour évoquer la fastueuse richesse décorative et le luxe des chambres du palais du Khan, de dire qu'elles étaient "dorées et décorées de belles peintures" ou encore "toutes peintes d'or et de diverses couleurs". Dans un cadre plus humble et plus domestique, Francesco da Barberino procède de la même manière. Un portrait de dame à la fontaine, pourtant, rehaussée de bijoux et de pierres précieuses, se détache sur le décor suivant :
la salle était solennellement illuminée
Peinte de belles peintures variées.55
62La redondance supplée au descriptif ; l'hyperbole a goût de litote.
63De même que précédemment on a vu le principe pictural devenir véritable actant de la poétique des écrivains italiens, de même le verbe qui produit, distribue, attribue la couleur et qui a double forme (colorire/colorare) est symptomatique de la fonction essentiellement colorante revêtue par le discours des poètes.
64La substance-couleur, l'état de la coloration devient primordial ; ils en éclipsent les variantes qualitatives. Mieux même : tout changement -ou toute altération - intéresse alors l'écriture. C'est un sens fréquent dans la Divine Comédie qui, passant par trois royaumes distincts, change et doit changer, doit faire changer la nature des choses aux yeux de celui qui les parcourt en témoin.56
65Le fait de boire ou de refuser le calice dans les Fioretti, vaut à son auteur, consentant dans un cas, récalcitrant dans l'autre, d'être ceint d'une aura lumineuse ou, à l'inverse, d'être plongé dans d'affreuses ténèbres. Chez Francesco da Barberino, la mort qui frappe les êtres et les choses ici-bas pourrait "faire changer les cieux de couleurs" et "obscurcir les planètes".
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66La couleur raréfiée, deux domaines particulièrement significatifs d'une telle carence peuvent l'attester : celui des animaux fabuleux d'une part, celui du florin entendu comme avatar du topos floral et printanier, d'autre part.
671 - Le riche bestiaire médiéval incorporé par les poètes à leurs compositions inclut un certain nombre de créatures du feu qui y vivent, en usent, en sont régénérés : le phénix, le dragon et d'une certaine manière le basilic et la salamandre. A ceux-ci ajoutons deux autres animaux, plus familiers pourtant de l'environnement humain, mais présentant néanmoins quelque apparence fantastique : le paon et le caméléon.
68Que constate-t-on chez les premiers ? Créatures de feu, ils ne sont pour ainsi dire jamais "rougis" par lui. Le dragon, par exemple, pour Guittone d'Arezzo est seulement "plein de feu" ; il est seulement source de poison pour Iacopone da Todi, de tremblement et d'effroi pour Guido Cavalcanti. Et si le Bestiaire moralisé de Gubbio lui consacre un sonnet tout entier, ce n'est nullement pour lui conférer de vives couleurs57 De la salamandre, Iacopo da Lentini et Pétrarque ne retiennent, en fait, que l'animal "que l'on entend dans le feu", pour le premier, qui se nourrit de feu et vit de flammes, pour le second58. Quant à Marco Polo, il récuse cette fonction ignée et en fait... une veine de la terre59. Le basilic, avant d'être créature de feu comme il l'est chez Bondie Dietaiuti au point qu"'il en mourrait s'il en sortait", est porteur de venin chez l'Anonimo veneto ; il est assimilé à la luxure dont sont chargés les yeux des femmes dans un autre poème anonyme intitulé il Mare amoroso. Chez Brunetto Latini, la seule notation de lumière rencontrée est plus d'ordre magique que naturelle : le venin "le rend tout luisant". Serpent venimeux, le basilic est tout naturellement porté à occire chez le poète sicilien Stefano Protonotario de Messine.60
69Un traitement un peu différent chez un autre animal fabuleux, le phénix, vaut à cette créature d'être affublée de deux couleurs prestigieuses, l'or (des plumes) et la pourpre (de la queue) aussi bien chez Francesco de Barberino que chez Brunetto Latini, chez Dino Frescobaldi que chez Pétrarque61. Dans sa correspondance, ce dernier se contente, toutefois, d'en célébrer les beautés et la rareté.62
70Le bilan de ces quelques créatures exceptionnelles, purs produits de l'imaginaire, est fort décevant : la couleur en est quasiment absente. Leur puissance maléfique ou ensorcelante intéresse seule le poète, l'efficacité du venin, par exemple, dans l'avant dernier cas : trois animaux -les premiers nommés - que le Mal seul "colore" d'agressivité. La séduction, voire la fascination qu'ils suscitent ne passent pas par la couleur, par des couleurs qui eussent pu être chatoyantes et changeantes.
71En va-t-il autrement pour deux autres animaux qui, proches de l'homme, et par la magie réelle et changeante de leurs couleurs, pourraient séduire sa prunelle et donner lieu à un naturel étalage de teintes vives, à une série de fascinantes métamorphoses ?
72Dans le très long poème de sept cents vers du poète Lombard Uguccione da Lodi, autre type de livre-trésor, le paon ne sert, pour une personne, que d'utile point de comparaison au regard d'un vêtement plus resplendissant que les plumes. C'est bien peu, on l'avouera, pour un animal dont Michel Serres rappelle qu'il est "doublement monstrueux63. Quant au caméléon, archétype pourtant - s'il en est - des transmutations de couleur, il est pris, dans le texte anonyme Il Mare amoroso, comme simple exemple de mimétisme tactique et non pas chromatique. Plus explicite est en revanche Brunetto Latini qui, tout en corroborant le précédent jugement et l'aptitude virtuose à une adaptation au milieu naturel, précise : "sauf le vermeil et le blanc qu'il ne peut perdre".
73Le bilan définitif, convenons-en, ne plaide pas en faveur d'une riche "vision colorée". Tout se passe comme si la couleur empêchait de "voir" la substance ou pouvait en être l'ornement superflu.
742 - L'autre exemple probant, selon nous, est celui du florin.
75Le topos printanier, précédemment étudié, rencontre un avantageux corollaire sous la forme métaphorique de la floraison : celui de la fleur dont Florence à un double titre est l'emblème, comme cité du commerce lainier et des étoffes de luxe (donc, des colorants), comme patrie et berceau du florin et du lys rouge sur fond blanc.
76Le florin abonde dans la poésie du temps, en priorité, bien sûr, chez les Toscans. "Roi" puissant chez Chiaro Davanzati, qui fait régner l'abondance et le luxe, il devient instrument nostalgique d'un jeu sensuel amoureux pour Cecco Angiolieri et pis aller, simple dérivatif aux misères de son époque, chez Pietro dei Faitinelli.64
77Dans deux cas seulement - selon notre propre enquête - la monnaie prestigieuse de la Cité de Santa Maria-del-Fiore est accompagnée de la couleur : jaune dans un cas, rouge dans l'autre, respectivement chez Folgore de San Gimignano et chez Forese Donati.65
78Par contre, et à défaut de rêves colorés ou de décoration, le même florin se prête à un riche répertoire de jeux de mots sur la décadence ou sur la prospérité de la capitale toscane "défleurie," ..."refleurie"... "florissante"... "fânée"...
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79L'exemple du florin confirme la tendance décelée déjà de la priorité de l'acte de la coloration sur la qualité "colorée". Colorer ou, à l'inverse, changer de couleur constitue bien plus que la gamme chromatique, la matière poétique que "traitent" les poètes-peintres. En fonction de l'intensité du sentiment amoureux, de la foi religieuse, de la passion politique, "opère" la couleur, double transfert de la poétique. A Bologne comme à Trévise, en Toscane comme en Sicile, les poètes qu'ils soient stilnovistes ou qu'ils se réclament de la veine populaire, giocosa et du réalisme "comique" écrivent le changement de la couleur.
80Que la cause de cette décoloration soit l'Amour ou bien la Mort, ou encore l'intense émotion religieuse de la Pietà, que le siège en soit le visage ou bien l'âme, ou le coeur encore, chez tous la perte ou la récupération de la "couleur naturelle", de "la couleur céleste", bannit toute autre teinte que celle de l'altération des traits physiques auxquels la crise morale et spirituelle est étroitement liée.
81Stable ou changeante, la couleur devient le signe reconnaissable de l'amitié ou de la rivalité, baromètre des rivalités citadines comme dans le célèbre sirventès de plus de sept cents vers des Lambertazzi e dei Geremei. Elle marque soit la constance inflexible et la foi partisane (guelfe, dans le cas de l'auteur de ce sirventès), soit les tergiversations et l'esprit versatile :
Il reste interdit, ni sa couleur ne change
ni il ne s'épouvante
à présent je te vois si défait
au point de changer de couleur.66
82Avec Niccolò del Rosso de Trévise, en amour cette fois, l'absence ou la présence de la couleur témoigne des ravages des flèches du Dieu ; le même jeu antinomique, chez Pétrarque, peut découvrir alternativement Laure vivante "que jamais pietà ne fait changer de couleur" ou Laure morte dont la Mort, nous dit le premier vers emblématique d'un sonnet, "a décoloré le visage". Plus généralement, face au malheur, le Sicilien Enzo note la déperdition de toute "couleur naturelle" tandis que le Florentin Rustico di Filippo en appelle de sa foi de croyant, suppliant la Madone de ne point l'abandonner.67
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83En vérité, le monde très souvent disqualifie les teintes vives au seul profit du noir et du blanc qui, l'un comme l'autre, dénoncent toute immixion d'autres couleurs dans les affaires humaines et symbolisent, à elles seules, la fondamentale conflictualité médiévale : vie/mort ; caducité/éternité, sacré/profane, douceur/douleur...
84Dans son ouvrage sur la symbolique des couleurs à travers les âges, le baron Portai rappelle à juste titre la très ancienne tradition68 de ces teintes contrastées présentes dons tant de civilisations de l'Antiquité, prises en compte également par la peinture et l'architecture, du Moyen-Age (Cennino Cennini) à la Renaissance (L.B. Alberti) jusqu'à des artistes modernes qui, tel Auguste Rodin, pourtant amoureux de couleurs vives, reconnaissent leur prestigieux couplage, dans l'art roman par exemple.69
85En politique, dans le domaine moral et philosophique, dans la satire des moeurs aussi bien que dans le panégyrique amoureux et religieux, le conflit noir-blanc sévit et reste l'affrontement coloré par excellence :
Car elle (la vie) promet beaucoup, peu on en attend et le noir et le blanc ainsi elle te rend.
86proclame l'une de ces oeuvres anonymes intitulées précisément Della caducità della vita umana, définissant de la sorte le vaste et permanent conflit entre les forces lumineuses du Bien et les forces ténébreuses du Mal. L'antiféminisme aussi, en vogue à cette époque, se sert de ce commode couplage, opposant le camp des "blondes" à celui des "brunes" pour conclure sur une mise en garde généralisée contre toutes les femmes "de quelque couleur que ce soit" (Anonimo veneto). La tension peut même demeurer implicite, abstraction faite de la couleur de mort (le noir), momentanément gommée devant la joie "colorée et blanche" de celle qui, représentant l'espoir, "tient en vie" le poète (Guido delle Colonne), le fait peut-être languir mais l'empêche de mourir70. Mais c'est dans le domaine politique que le blanc et le noir caractérisent le mieux débats, enjeux, tensions, querelles et réels conflits.
87C'est Immanuel Romano, poète juif de la Cour de Can Grande della Scala, à Vérone, qui renvoie ainsi avec mépris les fauteurs impénitents de la guerre civile :
Guelfe ou Gibelin, noir ou blanc
que celui à qui plaît le plus la couleur la porte.
88C'est encore Pétrarque qui, lui, use de la parodie feinte proche du sarcasme, accumulant sciemment toutes les couleurs des divisions intestines et des bannières concurrentes : le noir, le blanc, le gris... c'est aussi Pietro dei Faitinelli, de Pérouse, qui, neutraliste conciliant ou sceptique souriant, se refuse à faire un choix qui serait "entre le noir et le blanc).71
89La confrontation du noir et du blanc, déjà à cette époque, prend valeur proverbiale ; elle déborde largement le cadre de la couleur pour signifier l'opposition, souvent inconciliable, l'état de tension parfois porté à son maximum.
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90"Colore" rime non seulement avec "core" mais avec "valore". Coloration ou décoloration affectent l'âme, les sentiments, la vie morale, les va-leurs et les vertus tout aussi bien et même davantage que les objets du monde sensible ou les phénomènes naturels ; c'est finalement toute la vie intérieure, l'intense vie spirituelle qui accède à ce privilège, à l'image de ces paroles qui, dès le chant III de l'Enfer, se colorent "d'obscurité" et signifient la perte de l'espérance et la plongée dans le monde du pêché et de la noirceur, (Inf., III, 10).
91Mastro Rinucci ni en use pour le conflit douleur/douceur ; Monteandrea, autre poète florentin, contemporain du précédent, se sert de ces couleurs pour illustrer pensers et tourments qui, à leur tour, produisent de la couleur, leur couleur.72
92"Nouvelle" (nova), "inouïe" (inaudita), "pudique" ("vergognosa), "de louange" (di lode"), la couleur n'en finit pas de se prêter comme parure éthique des mentalités du Moyen Age.
93L'aboutissement ultime d'un tel processus de coloration, pour ainsi dire "neutre" et absolue, constitue un vrai paradoxe : la couleur s'abolit à tel point qu'absorbée par la lumière, elle en devient non-couleur : "color di vetro" comme chez le poète sicilien Mazzeo di Ricco, de Messine. Elle autorise la vision par transparence, celle qui vise au coeur des êtres et des choses : diaphanéité des corps et des âmes qu'on peut lire "à travers" la maigreur famélique due à la misère et aux privations comme "à travers" la maigreur ascétique engendrée par un violent désir de sainteté.73
94Limpidité quasi absolue du regard visionnaire de tous les poètes : Neri Moccoli, Forese Donati, Meo dei Tolomei, Cecco Angiolieri, Marino Ceccoli sans oublier Pétrarque. Lucidité suprême de celle qui, selon René Char, est "la blessure la plus rapprochée du soleil".
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DE L'ECRITURE COLOREE :
95Il est aussi dans la nature de la couleur de "couler", de "passer". Comme dans celle de la fleur qui n'atteindrait pas au fruit, comme pour la nef qui désespérerait du port.
96Signe éminent d'une transmutation, par altération elle est aussi le masque manifeste d'une transgression d'écriture. Ainsi, à nouveau, elle "échappe" en se dissimulant d'un état à un autre. Bien voyante pourtant, elle pourrait se faire l'apparente Fortune dont elle mimerait le pouvoir aveuglant.
97Ce dernier parcours, bref, est celui de 1'"écriture colorée", expression propre à certains poètes du temps : Brunetto Latini et sa "rhétorique peincturière", son "style coloré"- nous y avons déjà fait mention-mais aussi le "Vénitien" Giacomino da Verona et le Lombard Bonvesin da la Riva.
98A l'origine de cette relation, de cette fusion entre l'écriture et la couleur, l'on ne peut pas ne pas tenir compte de la grande instabilité linguistique où l'italien se trouve, en voie de formation, et où s'interpénètrent latin, volgare, langue d'oc, provençal. Un langage se cherche par le biais des couleurs. De cette instabilité linguistique il conviendrait de ne pas disjoindre une évolution d'un autre ordre, à l'âge des Communes, celui où l'écriture au sens "calligraphique" et manuel du terme enregistre de rapides mutations au contact des Universités naissantes74. Enfin doit s'ajouter, à cette double composante, une profonde instabilité de nature métaphysique, sensible même chez des esprits les plus ancrés dans le siècle comme Boccace qui, à l'ouverture et à la clôture de son Décaméron, rappelle la loi suprême de la caducité des choses et de la fugacité du temps, inscrite également dans bon nombre de blasons et de devises : de Lutèce (fluctuat nec mergitur), des Chartreux (stat crux dum volvitur orbis) où s'expriment contradictoirement aussi bien un nihil novi sub sole qu'un sic transit gloria mundi.75
99Culturellement donc, matériellement et techniquement, métaphysi-quement, la couleur comme le mot qui la supporte sont, au Moyen Age plus qu'à aucune autre époque, tributaires de la loi du changement.
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100Or, là-dessus, l'unanimité se fait autour de l'écriture en péril, impuissante à redire, à tout dire ou même, plus simplement, à dire. Tous, chacun dans son registre, se sentent en écrivant en relatif état d'impuissance. Tous ressentent et disent un manque : de Iacopone da Todi à Pétrarque. Comme un peintre chez qui tout à coup la couleur ferait défaut ou sècherait sur la palette.
101Pour certains (Cino da Pistoia), le doigt se fatigue sur la plume ; pour d'autres (Guido delle Colonne), la dame est de cette plume l'indéfectible garant d'efficacité, le meilleur rempart contre son "naufrage". Mais Iacopone sent sa langue "balbutier" et Brunetto Latini dénonce aussi bien les insuffisances de la langue qu'une carence dans l'écriture (Il Tesoretto, v. 268-71)76 : dépouillement involontaire, dénuement brutal au moment même ou cette langue et cette écriture croient pouvoir thésauriser. Rustico di Filippo encore, et Cecco Angiolieri reconnaissent l'impuissance du langage à simplement nommer les choses tant est flagrante la démesure entre les mots et elles.77
102Langage décoloré par conséquent, comme plus haut le visage : un langage défait, la défaite du langage privé de l'éclat, de la netteté, de la propriété des mots, paralysé tout à coup par l'indicible secret. De même que la couleur privée de son objet n'est plus guère couleur, de même le mot privé de son référent ne saurait plus signifier, comme ces médecins que la satire pétrarquiste raille si souvent et fustige de se croire encore tout puissants, réfugiés, derrière la pourpre et l'or illusoires de leur tenue d'apparat, masque bien dérisoire de leur trop réelle ignorance.78
103Dans l'écriture qui, matériellement d'abord, a recours au support et à l'enjolivure de la coloration, n'y a-t-il pas là rien de plus trompeur ? Fable de poètes à l'instar du faux — semblant du peintre ? couleurs et mots procéderaient-ils, participeraient-ils d'une même duperie ?
104"Blanche raison"79, pour Cecco Angiolieri faisant de la misère et de la pauvreté l'un des axes obsédants de sa poétique, signifie bien :"sans l'ombre d'un doute" en matière de réciprocité amoureuse, mais "blanche parole, avertit Brunetto Latini dans Il Tesoretto (II, v. 2270-2271), peut induire autrui en erreur. Le secret qui habite aussi bien la poésie amoureuse que la poésie religieuse, au Moyen Age, prohibe le recours aux séductions chatoyantes, exclut tout penchant aux mirages bariolés. Le traité d'André le Chapelain cité au début de cette étude le rappelle, qui bannit dans son écriture didactique toute mention de couleur.
105"Peindre" et "feindre" déboucheraient-ils sur un constat d'impuissance ? La question se pose avec d'autant plus d'acuité qu'en Italie, à cette époque, le lettré-prosateur ou poète-commence à revendiquer nominalement la paternité (c'est-à-dire la sincérité) de sa foi ou de ses sentiments d'amoureux, de croyant, et même d'homme de "partie". Le poète se déclare dans son texte : Giacomo da Lentini, notaire sicilien de la première moitié du xiiiè siècle, signe sa demande d'amour ; un autre, Giacomino da Verona, dans la seconde moitié du même siècle, mais religieux de l'Ordre des Frères Mineurs, en fait autant, protestant de la véracité de son texte tiré des gloses et des sermons, attestant par là de l'authenticité de la couleur de son écriture.80
106Car, en fin de compte, l'écriture relève du sacré ; le dire n'est point encore tout à fait libéré d'un interdit émanant de l'En-Haut. Si les couleurs du monde - certaines du moins, couleurs d'élection - sont bien belles à dire (prouvant ainsi qu'elles sont également bonnes et vraies), tout discours n'est pas nécessairement bon à dire, toute écriture n'est pas absolument licite.
107Etre poète, même quand on porte souvent un nom "coloré" ou un nom de lumière comme Folgore da San Gimignano, comme Niccolo' del Rosso, comme Brunetto (Latini), comme Chiaro (Davanzati), être poète c'est aussi savoir "discerner" dans l'ordre de la Création le bon "ornement" placé sous les auspices de la Divinité. Le Livre des Trois Ecritures de Bonvesin da la Riva en fait foi qui accorde trois couleurs aux trois royaumes bien distincts : l'écriture "noire" pour l'Enfer, la "rouge" pour le Purgatoire mais réserve au royaume du Salut la seule écriture dorée, "incorruptible", digne du Paradis.
108Ainsi, la couleur n'est pas que fard ni que philtre : elle a pouvoir de test en même temps que de masque : couleur à double facette, elle est tout à la fois le sceau du visible et le signe de l'Invisible. On comprend mieux que, plus près de nous, elle suscite interrogations et enquêtes auprès de la philosophie et de la science (Schopenhauer, Goethe) et que, par vertu "peincturière", plus tard encore, elle puisse accorder au Poète un don de voyance vocalique et même signifier l'azur redondant du Poème.81
CONCLUSION
A quoi tiennent les malheurs
répétés de l'arc-en-ciel
dans la peinture figurative ?
(J. Gracq, En lisant, en écrivant)
109Au terme (tout provisoire) de ce triple parcours qui devrait n'en faire qu'un, de cette triple errance chromatique que le champ poétique eût davantage aimé fixer, l'étonnement n'a pas cessé d'accompagner et de mériter la merveille, comme sait les jumeler et les faire se confondre le mot italien "meraviglia" : double fascination, fascination redoublée dont se gratifient, en un mutuel échange, le regard et le monde ; que le premier affine au contact du second et que ce dernier réfléchit à l'adresse du premier.
110Teindre, peindre et feindre : la parenté homophonique n'est point fortuite. Le magistère de la couleur qui pénètre la culture écrite, poétique, n'est pas incompatible avec sa magie.
111Dans l'univers aléatoire et théocratique médiéval, le "grand livre de la nature" où lisent les poètes est infiniment moins coloré qu'on ne pourrait le croire. Le livre poétique de l'écriture est encore par trop tributaire, même chez ceux qui se veulent "profanes", du livre d'écritures dominées par la mystique du secret et du dévoilement parcimonieux, pénétré de sacré, porteur avant tout de lumière primordiale où les créatures se nomment "Lucie" et "Claire" et où le verbe-clé, à côté d'"alluminare" et même d'"alluminiare", est TRALUCERE : transparaître mais aussi "voir à travers".82
112L'image du "livre" – précisément - par lequel se manifeste la Lumière du Divin, celle de sa Création, est l'image dominante des exemples i.e. des prodiges et des modèles rapportés d'un langage des couleurs : Livre du devisement du Vénitien... Pisan Marco Polo ; Le Livre de l'Art du Toscan Cennino Cennini ; le Livre des Trois écritures du Lombard de Legnano, Bonvesin da la Riva ; et même le Livre "tout court" d'Uguccione da Lodi. Un Livre dont le prestige coloré, quant à son façonnement manuscrit et à sa calligraphie, séduira tant, dans le monde industriel naissant de l'édition au xixè siècle, des Romantiques entichés de Moyen Age qui retrouvent, avec leurs somptueuses éditions de couleurs, l'âme de la couleur insufflant l'écriture.
113Couleur plurielle, au Moyen Age elle n'est en rien pléthore, signe éclatant - au demeurant - de variété ; et couleur singulière, elle pourrait fort bien s'avérer comme le jeu inquiétant de l'essence des choses. Couleur de partout et de nulle part, sa présence-absence est l'expression énigmatique d'un insaisissable ailleurs. Toute couleur a son "envers", coincidentia oppositorum.
114Les couleurs cependant continuent d'être là, présence-au-monde dans le langage humain qui n'en finit pas de les y "découvrir".
Et la parole, longtemps, continuera à être "à la couleur".
Couleur des temps ... couleur de mots.
Notes de bas de page
1 Vaserely, Plasticien, coll. "Un homme et son métier", Paris, R. Laffont, 1979, cf. p. 99.
2 Arnaldo Brusatin, Histoire des couleurs, Paris, Flammarion, 1986 (préface de Louis Marin),
Voir aussi André Ott, Etude sur les couleurs en vieux français, Paris, Libraire Bouillon, 1899, 187 p. ; J. André, Etude sur les termes de couleurs dans la langue latine, paris, Klincksieck, 1949, série "Etudes et commentaires", VII, 283 p. Plus ambitieux, l'ouvrage du baron Frédéric Portai, Des couleurs symboliques dans l'Antiquité, le Moyen Age et les temps modernes, avant-propos de Jean-Claude Cuin, Ed. de la Maisnie, 1975, 312 m. (reprint, Paris, Treuttel et Würtz, 1857).
3 La couleur-du-texte mettra plusieurs siècles à nuancer et à faire voir "les montagnes fuyant en bleu" (Bernardin de Saint-Pierre) ; quant à la couleur peinte, avec Léonard de Vinci, elle se nuancera aussi comme le souligne Lionello Venturi :
ses écrits montrent combien son intérêt pour la couleur était raffiné. Son imagination a prévu bien des accords de couleur qui sont courants aujourd'hui mais qui étaient ignorés de son temps. Sans que le peintre inventaire n'applique à fond des découvertes à sa propre peinture. Et pourtant, quand il a peint, il a réduit toutes les harmonies des couleurs à un sfumato de clair-obscur presque monocrome et insiste sur les neutres.
4 Blancheur première des cathédrales, polychromie originelle du Parthénon : voir Vasarely, op. cit., p. 102 ; idem Le Corbusier, Quand les cathédrales étaient blanches à propos des Raphaël du British Museum redécouvert comme "peintre d'oeuvres claires et lumineuses" ou encore de la couleur délavée des peintures de la Scuola di San Rocco (p. 149).
5 Du fond or des Siennois au fond bleu des fresques de Giotto jusqu'au fond sombre des tableaux de la Renaissance (ex. la Primavera de Botticelli).
6 André le Chapelain, Traité de l'Amour courtois, intr. trad. et notes par Claude Buridant, Bibliothèque française et romane, Edit. Klincksieck, 1974, 260 p. Cf., VIII, livre I, p. 142.
7 Petrarca, Le Rime sparse, commentate da Ezio Chiorboli, Milano, Casa Editrice Trevisini, 1924, 923 p. ; CCXCIV, v. 12 ("veramente siam noi polvere et ombra").
8 Lionello Venturi, Pour comprendre la peinture de Giotto à Chagall (trad. de l'italien par Juliette Bertrand), Paris, Albin Michel, 1950, 216 p. Voir chap. II, p. 41.
9 M-M. Davy, Initiation à la symbolique romane (xiiè s.), nouv. édit. de l"'Essai sur la symbolique romane", Champ-Flammarion, 1977, 312 p. L'auteur le rappelle en faisant surtout référence aux coloris du vêtement.
10 Michel Serres, Les cinq sens (essai), I. Philosophie des corps mêlés, Paris, Grasset, 1985, 381, p. Voir p. 30.
11 Poeti del Duecento (t. I) a cura di Gianfranco Contini, Milano-Napoli, Ricciardi, 1960, 932 p. Il s'agit des 6è, 22è, 27è, 34 et 35è strophes, p. 671 sqq.
12 I sogni nel Medioevo, seminario intern. Roma, 2-4 ott. 1983 a cura di Jullio Gregory, Edizioni dell'Ateneo (lessico intellettuale europeo, XXXV, 355 p.).
13 Petrarca, op.cit., p. 733, CCCXXIII, v. 6.
14 André Ott, op. cit., p. 6. L'auteur rappelle la coïncidence du verbe "florire" avec le vieillissement (devenir blanc, blanchir), signifié que reprend Pétrarque dans ses Rime.
15 H. Decker, l'Art roman en Italie, illustrations de l'auteur, trad. par Henri Simondet, Mulhouse-Paris, édit. Braun, 1958, 263 p.
16 Il mare amoroso in Poeti del Duecento, I, p. 488 ("Amor mi' bello... v. 41-42); Lapo Gianni in Poeti del Duecento, t. II, III, v. 3-4.
17 Monteandrea in Poeti del Duecento, I, p. 465, IV, v. 3 ("Quai ' è in è in poder d'Amore...); Ser Alberto da Massa di Maremma ("Donna meo core in parte ...") : id. p. 361, v. 61-65 ; Pieraccio Tedaldi in Poeti giocosi del tempo di Dante a cura di Mario Marti, Milano Rizzoli; 1956, 853 p. Voir p. 722, & 6.
18 Elle est plus complète en italien, au Moyen Age, puisque le verbe simple "pingere", aujourd'hui tombé en désuétude, est infiniment plus courant que le verbe préfixé "dipingere".
19 "senza che alla mia penna non dee esser meno d'autorità conceduta che sia al pennello del dipintore" (conclusione dell'autore). Dès la 3è nouvelle de la première journée (celle du Juif Melchisedech et des Trois anneaux) apparaît la notion de "ragion colorata" (p. 678 et 441, G. Boccaccio, Il Decamerone, 4a ediz., con prefazione e glossario di Angelo Ottolini, Milano, Hoepli, 1944).
20 Dictionnaire de la peinture italienne, Paris, F. Hazan, 1964, 320 p. (282 art. 246 ill.) coll. A. Chastel, P.H. Michel, J. Thuillier, Sylvie Béguin, article Duccio di Buoninsegna, p. 96.
21 Ce sont les deux sonnets "Per mirar Policlete a prova fiso..." (op. cit., p. 185) et "Quando giunse a Simon l'alto concetto..." (ibid., p. 187).
22 Lettere di Francesco Petrarca, delle cose familiari, libri XXIV, lettere varie, vol. unico, per la prima volta volgarizzate e dichiarate con note di Giuseppe Fracassetti, 5 vol. Firenze, Le Monnier (1863-1867) ; vol. V, livre XXI, lettre XI, à Neri Morando, p. 367.
23 Francesco Petrarca, Lettere senili, 2 vol. volgarizzate e dichiarate con note da Giuseppe Fracassetti, Firenze, Le Monnier, 1870 (423 et 587 p.). Livre V, lettre IV, p. 304, à Appeninigena, Pavie, 1er sept. 1366 (ou 1367 ?).
24 Pieraccio Tedaldi in Poeti giocosi, op. cit., p. 719, n III, v. 5-7; Guittone d'Arezzo in Poeti del Trecento, Op. cit. "Se de voi donna..." v. 10.
25 Ibid., p. 890, II, v. 74, v. 77.
26 Umberto Eco, Il nome della rosa, Milano, Bompiani, 1980, 503 p. (cf., p. 49, primo giorno, sesta, "pictura est laicorum literatura").
27 Poeti del Duecento, I, p. 52, v. 41-45 ("Madonna dir vo' voglio") ; II, p. 55, v. 4-6.
28 Ibid., p. 428, XII, dern. tercet (v. 12-14).
29 Poeti giocosi, op. cit., p. 711, n° XVII, premier quatrain ; n° XVIII (premier quatrain).
30 Ibid., p. 720, n° IV, v. 1 sqq.
31 Petrarca, Senili, op. cit., livre XV, lettre IV, p. 408, à Guglielmo Maraval.
32 Ibid., Livre III, lettre IX, au Père Bonaventura Baffo.
33 Ibid., Livre XV, lettre IV, p. 408 et t. II, livre XVII, lettre III, p. 474 à Francesco da Siena, médecin.
34 Familiares, op. cit., Livre XXIII, lettre XIX, p. 89, la lettre est de pavie, vol. V.
35 Brunetto Latini, Il Tesoro, volgarizzato da Bono Giamboni, edito da P. Chabaille, emendato da Luigi Gaiter, Bologna, Romagnoli, 1878, 4 vol. t. IV, livre VIII, chap. X, à propos de la distinction prose-poésie. ; ibidem, Il tesoretto e il favolello, Biblioteca romanica, n° 94-95, v. 1534.
36 Petrarca, Rime sparse, op. cit., p. 316, XXCCVIII, v. 21.
37 Le Livre de Marco Polo ou le devisement du monde, texte intégral mis en français moderne et commenté par A t'Serstevens, Paris, Club Français du Livre, 1963, 287 p. Exemples ; Mossoul (p. 22). Pékin (p. 96).
38 Rite funèbre (p. 58), banquet (p. 83), scènes de vènerie (p. 108-109), rite religieux (p. 83-84), rite guerrier le plus fréquent (p. 89, 146, 246, 258, 278).
39 Ibid., p. 96.
40 Henry Dorchy, Langages des arts plastiques, t. 1, "les arts pré-renaissants et extra-européens", Bruxelles, Editions universitaires, 1968, cf. p. 180 (la Dame à la licorne). Sur ce mythe de la Dame à la Licorne et sur sa figuration, voir les ouvrages de B. d'Astorg, Le Seuil, coll. Pierres Vives, 1962 et, plus récemment Michel Serres, Les cinq sens, op. cit.,
41 Le lion et le renard chez Machiavel, sans parler du centaure ; l'âne et le singe, fondamentalement, chez Erasme.
42 Le Monde à l'envers, étude et anthologie de Frédérick Tristan, Atelier Hachette/Massin, 1980, suivi de "la représentation du mythe, essai d'iconologie", par Maurice Lever, pour le texte d'Erasme, voir pp. 35-37, 39, 47. Idem, l'Imagerie populaire italienne (du xvè au xxè siècle), Paolo, Toschi, adaptation de Claude Noël, Paris, Editions des Deux Mondes, 1964. (voir notamment le thème animalier, p. 175 sqq) et le cycle des saisons (p. 93 sqq).
43 I. Fioretti, chap. XXI (le loup de Gubbio), XXII (les tourterelles), XL (les poissons).
44 Ibid., chap. XVI.
45 Maurice Villain, Saint François et les peintres d'Assise, Grenoble-Paris, Arthaud, 1941, 229 p. ; notamment le chap. IV, premières rencontres des peintres avec Saint François.
46 André le Chapelain, op. cit., p. 33, Livre I, chap. X. (tome I)
47 Brunetto Latini, ibid., p. 102, t. II, livre IV, chap. II. Les hirondelles (p. 181, chap. XXIX) ; la cigogne (XXIII) ; la corneille (XXI, p. 175).
48 Marco Polo, op. cit., p. 36, 78, 81, 215.
49 Ibidem, p. 83, 232, 267.
50 Ibid., p. 71, 233, 267.
51 Petrarca, Rime sparse ; op. cit., p. 702, sonnet CCCX ou encore le sonnet CCLXXX ("Mai non fui in parte...") p. 649.
52 Henry Dorchy, op. cit., p. 176-178.
53 in Poesie del Trecento (II) p. 388, n° I ("Quando l'aira rischiara e rinserena..."); canzone anonima (in Poeti del Duecento, p. 167) ("Quando la primavera apar l'aulente fiore..."); Marino Ceccoli (in Poeti giocosi, p. 664, & 2); Cecco Nuccoli, id., p. 695, & 2; Chiaro Davanzati in Poeti del Duecento, p. 404, n° 1.
54 Pétrarque, Lettres de Vaucluse, trad. de l'italien par Victor Develay, Carpentras, le Nombre d'Or, 1974 ; p. 153, lettre à Francesco Nelli, 18 nov. 1352, Fam., XV, 2.
55 Francesco da Barberino, Del reggimento e costumidi donna, per cura del conte Carlo Baudi di Vesme, Bologna, presso Gaetano Romagnoli, 1875, 443 p. Voir parte IV, p. 95, v. 19 sqq.
56 Le visage, signe tangible des émotions terrestres (cf. Inf. IV, 16 ; Ibid. IX, v. 1-2) ; au Purgatoire en revanche "colorare" est employé au sens de procurer de la couleur, i.e. peindre (Purg., XXII, 75).
57 Guittone d'Arezzo in Poeti del Duecento, I, p. 224, VIII ("O dolce terra aretina", v. 60) ; Cavalcanti, in Rimatori del Dolce Stil Novo, Rizzoli, B.U.R. n° 207-209, sonnet XLIII, a Nerone Cavalcanti ("Novelle ti so dire..."), v. 5.
58 Poeti del Duecento, op. cit., p. 52, n° 1, v. 27 ("Madonna dir voglio...") pour Iacopo da Lentini ; Petrarca, Rime sparse, op. cit., p. 491, CCVII, v. 40-42.
59 Marco Polo, op. cit., p. 61.
60 Poeti del Duecento (I), p. 386, n° I, v. 49-51 ("Amor quando mi membra..."); id., p. 543, Proverbia super naturae feminarum, v. 469; id., p. 488, v. 94-96; id.. t. II ; p. 91 & 9, v. 2-10 (Laude di Cortona). Brunetto latini, Lou Tr., op. cit., t. II, livre V, chap. I, p. 136; Poeti del Duecento, op. cit., I, n° III, v. 35-40, v. 43, v. 50, p. 138.
61 Fr. de Barberino, op. cit., p. 125 & 101, v. 31 ; Brunetto Latini, Lou Tr. p. 183, Livre II, ch. XXVI ; Dino Frescobaldi, p. 255, XVI ; Petrarca, Rime sparse, p. 726, CCCXXI, v. 1-2 ; idem, CCCXXIII, v. 49-50, p. 738.
62 Senili, livre X, lettre IV, a Donato Apenninigena, p. 125.
63 M. Serres, op. cit., p. "il porte tant de plumes et si longues qu'il ne peut voler comme si l'évolution s'était trompée, par excès qui fait voir sans yeux dont on rêve qu'ils voient, dont on sait qu'ils ne voient pas".
64 Chiaro Davanzati in Poeti del Duecento, p. 414, IV ("Ahi dolze e gaia terra fiorentina..."), v.8 ; Rimatori comico-realistici del Due e Trecento a cura di Maurizio Vitale, Torino, U.T.E.T., 1965, 793 p., coll. Classici italiani, p. 344, XL, v. 1-2 ; Poetici giocosi, p. 174, n° LVI, v. 13-14 :
parce que je n'ai pas de florin à revendre
pour pouvoir faire et dire ce qu'elle veut.
Pietro dei Faitinelli, Poetico giocosi, p. 433, XIII, v. 9-11 ("Voi gite molto.
65 Poeti del Duecento, II, Folgore da San Gimignano, sonetto di ottobre, p. 416, v.8 ("c'est aussi vrai que le florin est jaune") ; Tenzone Forese-Dante in Poeti giocosi, p. 783, n° II ("beaux florins frappés d'or rouge"-).
66 Poeti del trecento, t. I, p. 851, v. 107-108.
67 Poeti giocosi, p. 461, V, v.2 ("Amor quando sopra m'apresti l'arco..."); Petrarca, Rime sparse, op. cit., p. 101, XLIV, v.9; ibid., p. 654, CCLXXXIII, v. 1 ; Poeti del Trecento, t. I, p. 159, v. 49-50 ("S'eo trovato Pietanza...") pour Re Enzo ; Poeti giocosi, p. 68, n° XXXVI, v. 13 ("Merzé, Madonna, non mi abbandonate...") pour Rustico di Filippo.
68 Baron Portal, op. cit., p. 2.
69 Auguste Rodin, les cathédrales de France, Paris, A. Colin, 1946 ; L.-B. Alberti in Prosatori volgari del Quattrocento a cura di Claudio Varese, la letteratura italiana, storia e testi, vol. XIV, Milano-Napoli, Ricciardi, 1955, 1163 p. Voir pp. 305-323. Cennino Cennini, Le Livre de l'Art ou traité de la peinture par C.C. avec des notes de M. le Chevalier G. Tramboni, trad. par Victor Mottez, lettre d'A. Renoir, Paris, L. Rouart et J. Watelin, 189 par s.d. Voir notamment la seconde partie consacrée plus spécialement au broyage des couleurs (pp. 25-48).
70 Poeti del Duecento, p. 657, v. 85-86 (Caducità della vita umana) ; ibidem p. 525, v. 83-84, v. 120 ; p. 538, v. 358-364 ; p. 600 ; p. 548 (Proverbia...) ; Guido delle Colonne, in Poeti del Duecento, I, p. 109, V., v. 48-51 ("Ancor che l'aqua...").
71 Poeti giocosi, p. 319, n° III, v. 9-11 (Immanuel Romano) ; id., p. 436, XVI, dernier vers (Pietro dei Faitinelli). Petrarca, Rime sparse, p. 733, CCCXXIII, v.6.
72 Poeti del Duecento, p. 432, v. 5-6 ("Amore ha nascimento e foglie e fiore") Mastro Rinuccino ; id., p. 449, I, v. 3-4 ; Tenzone con Messer Tomaso da Faenza. On peut ajouter aussi l'exemple de la littérature paré-miologique de Garzo ou, dans l'un de ses 240 proverbes recueillis, on lit :
Draps de luxe et couleur
confèrent à l'homme honneur.
73 Saint François et Cecco Angiolieri.
74 Deux ouvrages fondamentaux : celui de Donald Jackson, Histoire de l'écriture, Paris, Denoël, 1981, 176 p. très richement illustré (trad. de l'anglais par Guy Durand) ; celui d'Armando Petrucci, la scrittura di Francesco Petrarca, studi e testi n° 248, Biblioteca Apostolica Vaticano, Città del Vaticano, Roma, 1967, 155 p. avec 40 pl. de fac-similés (codex, manuscrits).
75 "Manifesta cosa è che si' come le cose temporali tutte sono transitorie e mortali..." (début de la 1ère nouvelle, 1ère journée, op. cit. p. 22) ; "confesso nondimeno le cose di questo mondo non aver stabilita alcuna ma sempre essere in mutazione..." (conclusione dell'autore, ibid., p. 680).
76 Guido delle Colonne, in Poeti del Duecento, p. 106, IV, dern. vers : "voi siete meo pennel che non affonda", v. 65) ; Cino da Pistoia, Poeti del Trecento, op. cit. p. 232, v. 7-8, Dante a Cino.
77 Rustico di Filippo in Poeti giocosi, p. 63, n° XXXI, v. 9-14 ; Cecco Angiolieri implore une lange "qui sache dire les peines d'Amour", (in Poeti giocosi, p. 155, n° XXXVII, v. 1-2).
78 Senili, livre XVI, lettre III, p. 4, au médecin Francesco da Siena : "ils se croient les arbitres de la vie et de la mort" ; ibidem, livre III, lettre VIII, p. 186, à Guglielmo da Ravenna, l'un de ses amis médecins : il faut des remèdes et non pas des paroles, non pas des couleurs mais des odeurs, de la physique pas de rhétorique". Famil., livre II, lettre 1, p. 315, à Filippo, évêque de Cavaillon : "à la vérité il suffit d'un témoignage, simple et dépouillé sans nul besoin de couleurs apprêtées (= feintes) qui voilent la vérité des choses" ; ibidem, livre XIV, lettre II, p. 295, à Socrate, 22 sept. 1352. Deux lettres de polémique avec la médecine sont traduites dans Lettres de Vaucluse aux pp. 169 et 173.
79 Poetico giocosi, p. 187, n° LXIX, v. 9-10.
80 Poeti del Duecento, t. I, p. 55, II ("Meravigliosamente un amor mi distringe") Giacomo da Lentini ; id. t. I, p. 625-652 pour son De Ierusalem celesti et de pulcritudine eius et beatitudine et gaudia sanctorum (poème de 280 vers) et pour son De Babilonia civitate infernali et eius turpitudine et quantis penis peccatores puniantur incessanter : une oeuvre bicolore partagée entre les joies paradisiaques et les horreurs et laideurs infernales.
81 Le premier (Schopenhauer) a été traduit et récemment réédité : textes sur la vue et sur les couleurs, C.N.R.S., Libr. Philosophique J. Vrin, "Bibliothèque des textes philosophiques". L'oeuvre date de 1816. Elle avait été précédée de peu (1810) par le Traité des couleurs de Goethe.
82 Dans cet ouvrage critique, Julien Gracq (Paris, José Corti, 1981, 3è impr., 302 p.) débute par un parallèle entre littérature et peinture. L'auteur de... Lettrines déclare que "depuis Byzance et Fra Angelico, la peinture n'a jamais plus osé revêtir l'habit de lumières" ; puis il ajouter en relation cette fois avec le binôme mot-couleurs :
A mesure que les exigences de la matière y grandissent, à mesure que l'initiative chez l'artiste passe progressivement de la pensée ou de la vision aux mots et à la couleur, on dirait qu'une loi non écrite commande aux mots et à la couleur la discrétion et la réserve, leur enjoint de voiler un éclat provoant qui claironnerait tout leur pouvoir.
Peut-on lire confirmation de ce jugement dans une constatation d'ordre éditorial récente, d'ordre statistique et non plus conceptuel, selon laquelle on assiste, dans ces dernières années, à un retour en force de l'illustration en noir et blanc dans l'impression du livre d'enfant ? En Italie, à Bologne en 1984, une exposition a été consacrée à 1'"Esthétique du noir et blanc" dont un compte-rendu du Monde de l'Education a fait l'éloge du "charme discret" (N° 107, juillet-août 1984, p. 99).
La question reste posée.
Auteur
Université Paul Valery Montpellier III
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