Note sur le noir dans le Partonopeu de Blois1
p. 141-152
Texte intégral
1Dans un texte qui présente une luxuriance subtilement organisée de couleurs, nous avons choisi pour l’occasion de privilégier le NOIR. Ce rapide parcours du vaste "ensemble" romanesque que représente le Partonopeu de Blois, ne sera pas une lecture du texte, mais en constituera plutôt une étape préalable2.
2Ainsi, du signifiant "noir"3, nous rassemblerons les principales occurrences puis, comme une couleur ne se lit jamais seule, nous l’inscrirons dans un réseau de relations et en dégagerons les principales fonctions.
3Pour situer très rapidement ce texte, il suffit d’avoir à l’esprit le mythe de Psyché et Cupidon tel qu’il apparaît dans les Métamorphoses d’Apulée, aux livres IV à VI.
4Le scénario, on le connaît : il s’agit d’une histoire d’amour que soutient un interdit, d’un amour voué a la nuit et au noir, que l’on retrouve, moyennant une inversion des rôles, dans le texte en ancien français. En effet, la dame, Melior, tiendrait ici le rôle du Cupidon d’Apulée, alors que Partonopeus, lui, tiendrait celui de Psyché. La communauté d’enjeux des deux textes appellerait une mise en regard très fructueuse, mais que nous devons laisser de côté ici.
5Pour aborder le "noir" dans le Partonopeu, partons de l’apparition dans le récit d’une série d’animaux, à première vue d’importance toute secondaire, mais qui marquent néanmoins le texte de leur couleur communément noire ou de leur rapport, même négatif, à cette couleur. Ces animaux sont d’abord le destrier et les lévriers noirs qui apparaissent de façon merveilleuse à Partonopeus après sa première nuit d’amour avec Melior, dans la cité de Chief d’Oire. Ce sont ensuite les douze chevaux de somme, les somiers noirs, que lui fait parvenir Melior à son premier retour à Blois, puis, plus loin dans le texte, un cheval de chasse, un chaceor, que lui offre la soeur de Melior après sa transgression de 1’interdit.
6Quel sens donner à ces couleurs, comment en rendre compte et, pour reprendre la question que Valéry se posait dans ses Pièces sur l’art, on pourrait se demander ici :
"Et puis, comment parler des couleurs ?"
7Le texte fournit une première série de réponses à cette question, puisque Partonopeus lui-même interprète la couleur noire des animaux qui se présentent à lui. D'abord, celle d'un destrier :
"Mais tant est noirs que il le crient
Et a male cose le tient" (v. 1617-8)
8Il en va de même pour les lévriers dont il est dit plus loin :
"Mais mo1t par sont noir tôt li chien ;
Partonopeus nel tient a bien." (v. 1831-2)
9Il s'esquisse là une lecture négative du noir que vient d'ailleurs confirmer en creux le passage du chaceor qualifié de :
"molt (...) bele color
Car il n'estoit ne noirs ne blans,
Ains estoit roges come sans." (v. 5142-4),
10lecture négative encore qui peut aussi trouver un aboutissement dans la fin tragique du destrier noir de Partonopeus tué au combat (v. 3064-5).
11Appréhendé comme un mauvais présage, chargé de connotations négatives et funestes, lourd de menaces, tout de laideur, le noir trouverait là à livrer un sens des plus satisfaisants. Mais ceci seulement s'il n'était pas par ailleurs pris dans une légère contradiction, mais qui doit cependant nous arrêter.
12Des douze somiers que rencontre Partonopeus à son premier retour chez lui, le texte nous dit en effet qu'ils
"Trestot sont noir, mais molt sont bel" (v. 1995) :
intégralement noirs mais pourtant très beaux.
13Voilà donc que le noir, contrairement à ce qu'il nous paraissait ailleurs, n'exclut pas ici la beauté, ni n'éveille les craintes de Partonopeus. On pourrait n'en pas tenir compte et résorber cette particularité de détail dans une lecture qui, sur le mode suggéré par Partonopeus, irait chercher au champ de la "symbolique des couleurs", par des exemples et des illustrations, une confirmation qu'elle ne manquerait pas de trouver.
14Et puis, la "symbolique" ne nourrit-elle pas encore l'essentiel des discours sur la couleur ? Toutefois son maniement ne doit pas se départir d’une certaine défiance. Ceci J. Ribard4 et M. Pastoureau l’ont souligné, chacun de leur côté, lorsqu’ils mettaient l’accent sur l’ambivalence des symboles, puis des couleurs, chacune d’elles pouvant signifier une chose et son contraire.
15"Ces polyvalences, écrit M. Pastoureau5, sont caractéristiques des systèmes symboliques médiévaux et confirment que les couleurs n’ont pas de sens mais seulement des emplois, leur dimension symbolique étant la somme de ces emplois".
16"Chercher une explication dans la "symbolique" des couleurs (notion vague dont on use et abuse), poursuit-il ailleurs6, ne suffit pas. Les couleurs ont toujours et partout un champ symbolique très étendu..."
17Comme l’historien des couleurs, le lecteur doit se méfier des "significations archétypales ou prétendues telles", car si l’oeuvre traverse la "symbolique" comme corps constitué de significations, elle la dépasse aussi bien.
18Ouvrant un écart, se constituant en un espace propre, c’est en effet au-delà de toute clôture lexicale ou symbolique que l’écriture poétique trouve à se déployer. Si elle emprunte un moment la voie d’un code ou d’une grammaire, c’est aussi pour s’en distancier, car l’invention n’est pas convention.
19Excédant toute limite, l’oeuvre, en elle-même comme en ses couleurs, demeure irréductible à tout système symbolique - et à tout autre système aussi bien - qui prétendrait en régenter les emplois et en fixer le sens. Son sens à elle, ou plutôt l’éventail de ses sens possibles, n’apparaît au plein jour d’aucun "dictionnaire", mais reste plutôt à construire, par une lecture patiente, au plus près de la singularité de chaque texte.
Le "duel" d’amour
20Partonopeus perçoit donc, nous l’avons vu, la couleur noire des dons de Melior comme un mauvais présage. C’est en effet d’une menace que cette couleur semble marquer le début de son aventure amoureuse.
21Cette menace trouve d’ailleurs sa formulation dans la mise en garde que Melior adresse à Partonopeus et qui rappelle celle que lance le Cupidon d’Apulée : "non uidebis si uideris" (V, 11) : mon visage, si tu venais à le voir une seule fois, tu ne le verrais jamais plus.
22Prononçant elle aussi l’interdit, Melior évoque les fâcheuses conséquences que sa transgression entraînerait pour elle :
"Gardés que ja n’aiés talent
De moi veïr, car en torment
Seroie et en molt grant dolor
S’en avriés perdue m’amor.
Et sel faites, saciés de voir,
A infer aler ai espoir." (v. 4255-9)
23Une fois l’interdit transgressé, n’est-ce pas le même sort qui frappe Partonopeus dans son exil en forêt d’Arden-ne : Desers (v. 5059) où i1 a résolu de mourir, païs O rien n’at se deables non (v. 6146-7), la forêt d’Ardenne prend en effet tous les traits de cet infer qu’annonçait Melior.
24Peuplée de bêtes sauvages, la contrée monstrueuse est touchée à deux reprises par le noir. En effet, l’enchanteur Maruc qui la fait découvrir à Urraque, la soeur de Melior, lui montre successivement :
"[...] li dragon es noirs mortiers" (v. 5920)
25puis
"[...] les guivres es vals parfons
Desoz les ewes tenebroses ;
Noires les font et venimoses" (v. 5928-30)
26La correspondance est nette entre le destrier noir que Partonopeus tenait a male cose (v. 1618) et les conséquences de cet amors deables qui font dire à Urraque :
"Trop male chose a en amer
C’on n’i puet ire pardoner" (v. 5057-8)
27Ici encore, de loin en loin, les mots se font signe. Ainsi, en terre d’exil, la noirceur de l’espace diabolique ardennois s’avère la réalisation des sombres pressentiments de Partonopeus. Ne confirme-t-elle pas également les soupçons que nourrissait sa mère à l’égard de Melior ? Melior dont elle appréhendait, elle aussi, l’inconnu comme une menace et qu’elle tenait pour rien d’autre qu’uns diables mis en sanblant de feme (v. 3946-7)
28A la suite de l’avertissement cité plus haut, Melior évoque aussi le duel que signifierait pour elle une séparation amoureuse :
"Cis duels ne puet estre asomés,
Ne par nul home devisés ;
La perte et li duels et la honte
N’a mesure, nombre ne conte." (v. 4261-4)
29Plus loin, pour dire l’indicible démesure de ce duel, le texte se retourne sur lui-même et joue d’un écho de signifiants : il reconvoque alors le noir. En effet, égaré, en proie au désespoir et travaillé par une mort qu’il attend, Partonopeus est découvert en pleine forêt d’Ardenne par Urraque. Reconnaissant en lui un être humain, celle-ci a grand peine à trouver son visage : Tant est noircis par les grans deoz (v. 5959) tandis que sa teste, elle, est
"[...] grosse
Et graile et taint et maigre et noir" (v. 5970-1)
30A un premier déplacement qui renvoie le noir non plus aux animaux mais à Partonopeus lui-même s’ajoute un glissement d’ordre sémantique que notre examen de la couleur doit prendre en compte.
31Si, lors de ses premières occurrences dans le texte, le mot noir signifie bien la noirceur, c’est son deuxième sens -celui de pâleur - qu’on doit retenir ici7, comme nous le précise d’ailleurs le contexte. Dans la même scène, Urraque s’adresse en effet à Partonopeus et l’implore en ces termes :
"Sire, fait el, por De amor
M’aconté ceste grant dolor
Dont vos estes si malbaillis,
Si pales, si tains, si maigris" (v. 5983-6)
32Ces vers viennent confirmer la valeur sémantique du noir déjà associé à taint (v. 5971) repris ici et renforcé par pales qui signifie "pâle, de couleur pâle" ou "décoloré"8 ; taint signifiant quant à lui qui a "perdu ses couleurs ; pâle"9.
33Signe explicite de la détresse amoureuse, expression de la pamoison engendrée par la séparation, le noir du duel d’amour de Partonopeus, Melior le partage elle aussi. Profondément troublée, désirant dissimuler ses sentiments, elle les donne à lire, malgré elle, dans la pâleur de son visage qui répond à celui de Partonopeus :
"Por tant si pert à sa color
Qu’el se tient molt a malbaillie,
Car elle en est tote palie." (v. 6410-12)
34Par ses effets, la séparation amoureuse unit donc paradoxalement les amants divisés autour d’une couleur commune. Le narrateur, lui aussi séparé d’une dame qui se refuse à lui, reprend d’ailleurs cette couleur pour qualifier la chasteté qui le fait souffrir :
"Chasteés soit et noire et losche" (v. 6282)
35Il vient ainsi ajouter une touche négative de plus à ce noir, qui ponctue le trajet romanesque.
36Assurément, le signifiant noir commande ici une série cohérente de connotations négatives. Mais, jouant sur le deuxième sens du mot, le duel d’amour en scelle aussi dans le texte la dualité sémantique. La reprise du même signifiant et la constance de ses connotations ne doivent pas occulter les nuances qu’introduit son signifié. Même infime, la variation qui se joue là fait assurément sens.
37Si la pâleur du duel reste proche par ses connotations de la noirceur des animaux du début, un mouvement s’amorce, qui va se prolonger dans le texte. Le glissement sémantique qui s’y produit est en effet ici le premier indice d’une foncière ambivalence du noir dont le texte va tirer parti pour doubler sa face négative d’un envers positif, porteur de promesse.
Un système de couleurs
38Un contraste marque d’emblée l’arrivée de Partonopeus à Chief d’Oire : la navigation merveilleuse s’achève en effet dans une obscurité que vient trancher l’éclat lumineux dont, au coeur de la nuit, brille la cité de Melior (v. 765-8). Etrange union que celle du clair et de l’obscur, où l’un souligne l’intensité de l’autre.
39Le spectacle de cette clarté ostentatoire apparaît, dans un premier temps, comme l’envers du point d’obscur retrait et d’énigmatique réserve que recèle la cité enchantée : l’invisible Melior. Il n’est pas possible de le faire ici, mais il faudrait analyser dans le détail la mise en oeuvre "colorée" des aspects contradictoires de la cité enchantée. Retenons toutefois ses palais aux couleurs variées, dont
"Li un sont bis, li un charmin,
Li un vermel, li autre ver ;
[...]
Li un blanc et li autre noir ;" (v. 834-5, 837)
40Participant d’un ensemble, directement mis en balance avec le blanc, le noir se charge ici de valeurs que seule sa mise en regard avec d’autres éléments du texte peut livrer. Nous en rassemblerons ici quelques uns pour en esquisser un rapide commentaire.
41Installé dans la grande salle du plus somptueux des palais, Partonopeus, généreusement servi par des serviteurs invisibles, boit dans une coupe tote de saphir (v. 1021), indes porprins, Auques oscurs, auques f[o]ïns, (v. 1023-4).
42Que dire de ce couple de termes antagonistes, si ce n'est qu'il semble rejouer celui des sentiments mêlés de Partonopeus à son entrée dans la cité où
"Auques a joie, auques dolor,
Car o sa joie a grant paor" (v. 875-6)
43et qu'il inscrit le paradoxe au coeur de la cité enchantée ? L'obscur et le feu sont en outre aussitôt repris par 1'escarbouc1e (v. 1031) qui brille sur le couvercle de la coupe. L'escarbouc1e qui sa clarté jete pres et loins (v. 1034), sombre charbon devenu pierre de lumière, ne résout-elle pas, en la dépassant, l'apparente contradiction entre l'obscurité et la clarté ?
44Obscur en sa première face, le saphir de la coupe présente quant à lui une seconde face, de feu celle-là. Travaillé par la lumière, l'obscur perd alors de son opacité, il se nuance jusqu'à devenir promesse de clarté. C'est toute l'ambivalence du noir que suggère déjà cette évocation qui, au seuil de l'aventure, prélude à une série de scènes où celui-ci s'inscrit dans un véritable système de couleurs.
45Arrêtons-nous d'abord sur les deux descriptions des manteaux d'Urraque et de Melior.
46Celui d'Urraque :
"[...] est et biax et chiers ;
La penne en est a esquechiers,
De poins menus, b1ans et sanguins
D'ermine et de tains sabelins.
De sabelins noirs est orlés
Et de safirs entaisselés" (v. 4911-16)
47Si cette description rejoue la structure en damiers blancs et vermeils des murs de Chief d'Oire10, elle rappelle aussi, avec le sabelins tains et noirs, les couleurs du duel d'amour et annonce déjà le manteau de Melior présenté lors de l'adoubement incognito de Partonopeus :
"El a son mantel deslacié,
Dont li acor li sunt al pié ;
D'une porpre est fresche, noveile
Dont li uevre est menue et bele.
Et la penne est de blanc hermine
Ki tot oël al drap trahine.
Li orles est de sabe1ins
Tres noirs et bien seans et fins,
Ki orlent l'ermine defors,
Si durent duque as acors." (v. 7479-88)
48C'est donc la même distribution organisée du noir et du blanc avec le rouge, que l'on retrouve dans les deux manteaux. Les couleurs forment un ensemble où chacune d’elles vaut pour son rapport avec les autres. Le noir, qui est à lire avec le rouge et le blanc, perd sa connotation négative. C’est là une volonté de composition qui prédomine. Le noir se trouve d’ailleurs significativement réparti sur le pourtour des deux manteaux. A la circonscrire ainsi dans les marges du vêtement, le texte atténue la valeur initiale de la couleur noire. Il en réduit la portée et nous invite alors à la considérer dans l’ensemble ordonné de l’habit.
49Sur les deux manteaux, la couleur noire est en outre l’effet d’une teinture qui recouvre une zibeline blanche à l’origine. Cependant, la blancheur n’en est pas pour autant absente du vêtement, puisqu’elle reparaît dans la penne de blanc hermine qui resplendit comme une promesse. Ourlée de sabelins, l’hermine semble ainsi soulignée par le noir. Un noir qui ne va pas sans son envers lumineux. A preuve la fin de cette description des atours de Melior : les manicles qui entourent ses bras sont faites d’or et d’oniches (v. 7498) - les lapidaires nous le disent, la couleur dominante de l’onyx est le noir -. Une fois de plus, le noir participe ici d’une composition contrastée. Lié à l’or - à celui de l’impériale beauté de Melior comme à celui dont résonne son nom - le noir est comme un des signes de son identité secrète. Celle-là même que le roman, par delà la série des épreuves les plus obscures, va révéler à Partonopeus.
50L’assemblage coloré du vêtement ne prendrait son sens qu’à être rapproché des principaux moments de la conjointure romanesque. En ses trois grandes couleurs, le manteau de Melior ne réunit-il pas, en effet, la couleur de chacun des chevaux qui marquent l’itinéraire romanesque de Partonopeus ? Son aventure amoureuse commence avec le cheval noir (v. 1615-17) que lui donne Melior, elle se prolonge dans l’exil (la rupture n’étant qu’une des modalités de la relation) avec le cheval roges come sans (v. 5144) offert par Urraque, pour aboutir au tournoi et à la reconquête de Melior avec le bon cheval blanc à l’oreille color de sanc (v. 7739-40) que lui procure la femme d’Armant.
51Là encore c’est la mise en rapport ou la succession des différentes couleurs qu’il faut analyser pour dégager la valeur de chacune d’elle. Sans le faire ici, notons toutefois que le noir, relayé par le rouge et le blanc, marque un premier temps de l’aventure : celui de l’interdit, et celui, déjà commenté, des épreuves en forêt d’Ardenne. C’est le noir qui confère à ce moment de l’oeuvre sa coloration, au sens où l’entendait Flaubert lorsqu’il disait : "L’histoire, l’aventure d’un roman, çà m’est égal. J’ai la pensée, quand je fais un roman de rendre une coloration, une nuance. Par exemple, dans mon roman carthaginois (Salammbô) je veux faire quelque chose de pourpre".
52Lié à l’ensemble des nuits qui jalonnent l’aventure, le noir se fait encore principe rythmique. Facteur structurant du récit, il a valeur d’architecture.11
53Loin d’être un élément d’enjolivure destiné à agrémenter la langue poétique, participant, à titre structurant, de la forme ou du récit en fonction d’une "nécessité intérieure", la couleur n’est donc pas là un élément de surplus qui viendrait s’ordonner à l’oeuvre déjà réalisée. Au contraire, elle participe de son élaboration jusqu’à faire d’elle ce que Matisse ("ut pictura poesis"), tentant avec ses "papiers découpés" de dessiner directement dans la couleur, appelait justement "CONSTRUCTION PAR LA COULEUR".
54C’est là accorder une place prépondérante à la couleur, certes. Mais, dans un texte dont le héros répond au nom de Partonopeus de Blois (v. 1478), c’est-à-dire à un nom qui se rejoue en toute homonymie aussi bien dans la couleur de ses propres cheveux - les cheviax ot si biax et blois (v. 533) - que dans celle de la chevelure de son amie Melior, métonymiquement nommée la bloie (v. 1866, 4519), dans un texte qui joue de ces harmoniques, n’est-il pas en effet tout indiqué de prêter à la couleur un rôle formel de premier ordre ?
Notes de bas de page
1 Tous nos renvois à ce texte se réfèrent à l’édition de J. Gildea, Partonopeu de Blois. A French romance of the twelfth Century, Villanova, University Press, 1967-1970
2 Encore empreinte de sa forme orale première, la présente esquisse trouvera par ailleurs élaboration et approfondissement dans un travail de thèse en préparation à l’Université de Genève.
3 Lorsque nous utiliserons le mot noir comme signifiant, indépendamment de ses nuances sémantiques, nous l’écrirons en italique.
4 J. Ribard, Le moyen-âge. Littérature et symbolisme, Paris, Champion, 1984, p. 48
5 M. Pastoureau, "Les couleurs ont aussi une histoire", L’Histoire, n° 92, sept. 1986, p. 54
6 "Formes et couleurs du désordre : le jaune avec le vert", Médiévales, n° 3, Paris, PUV, mai 1983, p. 68
7 Les dictionnaires attestent une polarité sémantique du mot noir qui, selon Tob1er-Lommatzsch, signifie tantôt noir (schwarz), tantôt pâle, blême (fahl, b1ass).
Voir aussi M. L. Krieg, Semantic fields of color words in old french, old english and middle english, University of Michigan, 1976, p. 62. Black, dark blue, 1ivid, pa1e sont là les sens attribués au mot noir.
8 A. G. Ott, Etude sur les couleurs en vieux français, Paris, 1899, p. 55-6
9 Ibid., p. 60. Le T.-L. donne pour teint : verfärbt, ge1b, b1ass et finster.
10 "B1anc est li marbres dont il sont / Et vermel do pié jusc’amont ; / Tot a esquechiers par quarriaus / Est tos li murs dusc’as creniaus." (v. 791-4)
11 Il est intéressant de noter que la nuit dite séparatrice des armées (v. 3500 et v. 3511) est aussi qualifiée de noire : La nuis fu noire et fist oscur (v. 3541). Il est en outre significatif que cette nuit séparatrice vienne s’intercaler entre deux séjours de Partonopeus à Chief d’Oire. Ne précise-t-elle pas ainsi le sens de l’ensemble des nuits d’amour de Melior et de Partonopeus ?
Auteur
Université de Genève
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