Diversité féminine en études religieuses
Le réseau de la Faculté de théologie et d’études religieuses (1961-2015) de l’université de Sherbrooke (Québec)
p. 57-68
Texte intégral
1Les universités des Amériques ont joué et jouent toujours un rôle essentiel dans le développement des savoirs sur les enjeux reliés au thème Femmes et religions. Les universités québécoises offrent aussi un vaste éventail de formation dans ce domaine. La Faculté de théologie et d’études religieuses1 de l’université de Sherbrooke au Québec, a proposé pendant plus de cinq décennies des cours sur la thématique Femmes et religions. Pour la professeure Louise Melançon, « la Faculté a largement contribué à l’avancement des femmes dans le champ religieux par l’offre de nombreux cours sur la question Femmes et religions2 ». Selon les statistiques de l’université de Sherbrooke, le pourcentage de femmes inscrites dans l’ensemble des programmes de la Faculté, de l’automne 1994 à l’automne 2013, est de 65,3 % au 1er cycle, 69,4 % au 2e cycle et 41,1 % au 3e cycle3. Globalement, elles représentent 58,6 % de la population étudiante.
2À partir de l’année 2000 cette faculté a transformé ses programmes de théologie en une formation multidisciplinaire centrée sur l’analyse du religieux contemporain. Dans cette communication, nous voulons, comme tuteur des cours en lien avec la thématique Femmes et religions4, présenter le portrait identitaire des étudiantes qui s’inscrivent à ces cours. Voir, entre autre, pour quelles raisons, ces femmes, de diverses communautés culturelles et religieuses, s’inscrivent à ces activités pédagogiques ; quels sont les impacts de ces formations dans la construction de leur identité socioreligieuse et si ces formations remettent en question leurs croyances et leurs valeurs ?
Femmes et religions en contexte universitaire
3Les formations universitaires sur le thème Femmes et religions en Amérique font habituellement un couplage entre une formation générale sur le thème et une approche contextuelle. Les critiques féministes des grandes traditions religieuses et certaines formes de nouvelles spiritualités féministes font parties des corpus à l’étude. Les formations féministes de libération latino-américaine5 soutiennent particulièrement : l’accès des femmes au savoir théologique ; la production d’un savoir féministe local ; la lutte des femmes pour les droits civils face aux situations de pauvreté. Elles dénoncent les situations d’oppression vécues par les femmes dans les Églises et la société. Dans un contexte de pauvreté des femmes, les questions de l’alimentation, de la reproduction et de la violence faite aux femmes sont prioritaires. Les formations étasuniennes6, nées dans le sillage des mouvements de libération des femmes, participent à une relecture égalitaire des grandes traditions. Les théologies féministes contextuelles, comme les womanistes7 et les mujerista8, se déploient dans les hauts lieux de savoir. Ces théologies plurielles sont en continuels dialogues entre elles. Elles dénoncent les différentes formes de sexismes, religieuses et sociales, dont sont victimes les femmes dans un monde patriarcal. Elles font une réinterprétation féministe créatrice de la théologie et de la spiritualité. Les théologies et les études religieuses féministes québécoises9 sont implantées dans les universités depuis les années 1970. Selon Marie-Andrée Roy :
La théologie féministe québécoise puise principalement, mais non exclusivement, aux sources de la théologie de la libération et des théologies féministes américaines. Elle les fait connaître, les discute et les prolonge en tenant compte du contexte et des expériences d’ici10.
4Les universités québécoises, francophones et anglophones offrent de nombreux cours de 1er et 2e cycles sur le thème Femmes et religions. La Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Montréal offre les cours : Féminismes et religions et Femmes et religions11. Le Département de sciences des religions de l’université du Québec à Montréal offre une concentration en études féministes et les cours : Femmes et grandes religions du monde et Femmes, mythologies anciennes et actuels12. La Faculté d’études religieuses de l’université McGill offre : Femmes et Judaïsme ; Femmes et Islam ; Femmes et christianisme et Les déesses Hindou13. Le Department of religion de l’université Concordia offre les cours : Introduction to Women and Religion ; Women and Judaism ; Witchcraft, Magic and Religion14. L’université Laval offre uniquement les cours : Femmes et religions et Marie dans l’histoire du salut.
Femmes et religions à l’université de Sherbrooke
5La Faculté de théologie et d’études religieuses de l’Université de Sherbrooke fût officiellement érigée en 196115. Sa naissance s’inscrit dans le contexte de la Révolution tranquille au Québec et de l’Église catholique en questionnement avec le Concile Vatican II. La faculté doit son existence à Mgr George Cabana. Elle devait être une faculté canonique de théologie assurant la formation des séminaristes. À la suggestion de Rome, Mgr Cabana a plutôt accepté, dans un premier temps, de fonder une faculté civile de théologie. Privée à son départ des clientèles séminaristes, la nouvelle faculté a recruté une clientèle laïque majoritairement féminine. Jusqu’en 2005, les programmes étaient, aux 3e cycles, essentiellement en théologie. Une théologie loin d’être ecclésiastique. Elle était déterminée, entre autres, par ses liens avec les sciences humaines, la formation interculturelle et un intérêt marqué pour l’éthique. Les rapports foi, religions et cultures structuraient les programmes. La formation théologique était en continuel ajustement en lien avec les questionnements sociaux et religieux. Cette perspective permettait de développer la fonction critique de la théologie face aux milieux religieux et sociaux. Le passage des programmes de théologie à l’étude du religieux contemporain s’est donc fait naturellement. L’étude du religieux contemporain fait cohabiter la théologie avec les sciences des religions et les autres disciplines des sciences humaines. Cette orientation fait sortir la formation de son identification confessionnelle pour l’inscrire dans l’analyse des multiples facettes des transformations de nos sociétés modernes en matières religieuse et spirituelle. Cette nouvelle orientation s’adresse à un public de tous les horizons de croyances et de non croyance.
6Le Doctorat en études de religieux contemporain a été créé en 2007, la maîtrise en 2008 et le baccalauréat en études religieuses à l’automne 2013. Les professeures Marie Gratton et Louise Melançon ont assumé pendant de nombreuses années les cours sur le thème Femmes et religions16. La professeure Marie Gratton a offert les cours Femmes et christianisme (1er cycle) et Théologie mariale et féminisme (1er cycle). La professeure Louise Melançon a professé les cours : Femmes, mythes et symboles (1er cycle) ; Les femmes et la symbolique chrétienne (1er cycle) et Études féministes en théologie (2e cycle). La chargée de cours Micheline Gagnon a donné le cours Les femmes dans la Bible qui est toujours offert sous le titre Itinéraire de femmes dans la Bible (2013). Avant la révision des programmes dans l’optique du religieux contemporain, les cours étaient largement centrés sur la problématique Femme et christianisme. Avec le passage à l’étude du religieux contemporain, ces cours ont été remplacés par quatre nouveaux. Au 1er cycle, la faculté a créé : Femmes, religions et spiritualités (2009) et Égalité femme-homme, démocratie et religions (2013). Avec la réforme du baccalauréat de l’automne 2013, ces deux cours sont devenus obligatoires dans le programme. C’est la première fois dans l’histoire de la faculté que des cours sur le thème Femmes et religions sont reconnus comme des fondamentaux dans la formation. L’étude du religieux contemporain ne peut plus échapper aux questions reliées aux thématiques Femmes et religions et inégalité/égalité femme-homme, laïcité et religions. Ces enjeux sont au coeur de nos sociétés contemporaines. Au deuxième cycle, la faculté a créé Études des genres et identités religieuses (2011) et Spiritualités féministes et enjeux sociaux (2007). Les thèmes abordés dans ces cours couvrent un vaste inventaire des problématiques reliées au thème Femmes et religions. Nous explorons le débat scientifique autour des rôles religieux des figurines féminines du Paléolithique supérieur et du Néolithique. Nous présentons les rôles des déesses dans les cultures anciennes (Égypte, Mésopotamie, Grèce, Rome) et contemporaines (hindouisme, bouddhisme, jeux vidéo, etc.). Nous explorons le féminin divin dans les monothéismes. Nous initions les étudiantes à la critique féministe des grandes traditions religieuses. Nous explorons, les nouvelles formes de spiritualités féministes. Nous abordons les enjeux de l’égalité/inégalité des genres en démocratie et dans les grandes traditions religieuses. Au niveau contextuel, pour chaque cours, interviennent des femmes invitées des milieux socio-communautaires ou religieux qui présentent leurs pratiques et les enjeux féministes qu’elles abordent dans leurs groupes d’appartenance. Depuis la fondation de la faculté, de nombreuses étudiantes ont été diplômées à la maîtrise et au doctorat. À la maîtrise en théologie type recherche (1967-2010), 36 % (61/169) des diplômés sont des femmes. Les sujets abordés sur le thème Femme et christianisme ont été diversifiés : la morale conjugale (1969), la femme dans l’oeuvre de Saint-Augustin (1974), l’évangélisation chez Marie de l’Incarnation (1993), la chasse aux sorcières (1993), Thérèse d’Avila (1994), Marie comme figure de l’Église (1995), les femmes et Église (1998), le mariage selon Jean-Paul II (2005), etc. Les oeuvres de Marie-Guérin-Lajoie (1975), de Marie-Claire Blais (1997) et de Etty Hillesum (2002) ont aussi été traitées. Le passage de la maîtrise en théologie et la maîtrise en études du religieux contemporain date de 2008. Sur les cinq diplômés, nous retrouvons quatre femmes (80 %). Deux mémoires portent sur la thématique Femmes et religions : la théologie de Sallie McFague (2011) et la spiritualité en salle de naissance (2012).
7Au niveau du doctorat en théologie (1997-2003), cinq femmes ont été diplômées sur vingt-et-un gradués (23 %). Les sujets portant sur Femmes et religions sont : Fondements anthropologiques et théologiques de la pensée de Jean-Paul II sur la nature et la vocation de la femme (1997) ; Marie, nouvelle icône de Dieu (1998) et la perception de l’altérité religieuse au Québec. Cette thèse aborde, entre autre, les représentations des chrétiennes et des musulmanes (2009). Le nouveau doctorat en études de religieux contemporain compte cinq diplômés, trois sont des femmes (60 %). Pour l’instant, aucune étudiante diplômée n’a fait sa thèse sur le thème Femmes et religions. Toutefois, actuellement, plusieurs projets de maîtrise et de doctorat en études du religieux contemporain portent sur une problématique Femmes et religions. À la maîtrise les sujets suivants sont à l’étude : les diaconesse sde l’Église byzantine, les représentations sociales et religieuses des femmes dans l’enluminure gothique, l’éthique du care, l’écoféminisme et la question de l’égalité femme-homme et la liberté religieuse au Québec. Au doctorat deux projets sont à souligner : Intégration des femmes immigrantes musulmanes dans les réseaux d’affaires au Québec : Étude théologique et entrepreneuriale et Le port du voile : les limites de la recomposition identitaire au sein de la communauté musulmane sunnite d’origine libanaise au Québec.
Portrait identitaire des étudiantes
8Les résultats de cette partie sont fondés sur trois sources : une entrevue avec la professeure retraitée Marie Gratton ; mon expérience comme tuteur des cours Femmes et religions depuis quatorze ans et une questionnaire auquel ont répondu vingt-cinq étudiantes qui ont suivi, un ou plusieurs cours sur le thème Femmes et religions.
Pays d’origine
9La professeure Marie Gratton souligne, que la très grande majorité des étudiantes inscrites au cours Femmes et christianisme étaient des québécoises de souche. Nous avons observé, avec le passage de la formation en théologie vers l’étude du religieux contemporain, une multiplication des provenances des étudiantes. Bien que la majorité des répondantes soulignent comme pays d’origine le Canada (68 %) ou le Québec, les autres étudiantes proviennent de plusieurs pays : la Colombie, les États-Unis, le Mexique, la France, le Maroc, le Liban et la République démocratique du Congo.
Domaine disciplinaire d’étude
10Les répondantes qui ont suivi récemment ou qui suivent actuellement un cours sur le thème Femmes et religions ont étudié dans une multitude de domaines : administration, art visuel, beaux arts, communication, développement humain, éducation, études culturelles et littéraires, études féministes, études religieuses/théologie, gérontologie, gestion internationale, juridique, psychologie, sciences économiques, sciences politiques, sociologie, santé, soins infirmiers et travail social. Les cours rejoignent des femmes de différents horizons disciplinaires. Les femmes qui ont suivi un cursus de formation en études religieuses ou théologiques sont minoritaires.
Secteur professionnel de travail
11Les secteurs professionnels de travail des étudiantes sont très variés : alimentation, art visuel, chef de projet en entreprise, communautaire, économie, éducation (enseignement/animatrice), journalisme, juridique, pastoral, psychiatrie, services sociaux, thérapeute et technologue en imagerie médicale. La grande majorité des étudiantes sont sur le marché du travail en même temps qu’elles poursuivent leur formation. Elles considèrent leur formation comme un apport incontournable à leur pratique professionnelle.
Communautés culturelles d’appartenance
12Au niveau des communautés culturelles d’appartenance, la mutation des identités est aussi à souligner. Selon Marie Gratton, la grande majorité des étudiantes inscrites au cours Femmes et christianisme étaient des québécoises d’origine francophone. Aujourd’hui, la moitié des étudiantes se disent québécoises francophones ou canadiennes françaises. Les autres s’identifient comme : latino-américaine, française, arabo-maghrébine et arabe. Il est intéressant de constater que même si elles sont citoyennes canadiennes, les répondantes de communautés culturelles minoritaires au Québec, s’identifient fièrement à leur communauté d’appartenance. Les discussions dans les cours sont largement enrichies par la diversité des appartenances culturelles.
Tradition religieuse ou spiritualité d’appartenance
13Selon Marie Gratton, les étudiantes inscrites au cours Femmes et christianisme s’identifiaient majoritairement au catholicisme romain. Plusieurs répondantes soulignent toujours le catholicisme romain (32 %) comme tradition d’appartenance. Certaines se disent toutefois non pratiquantes. Plusieurs disent appartenir au christianisme. Une à l’Église anglicane. Plusieurs s’identifient à la tradition musulmane. Il est clair que nous assistons à une mutation des appartenances religieuses. Le passage de l’appartenance au catholicisme vers une ou des formes des spiritualités est éloquent. La majorité des répondantes (60 %) soulignent un ou plusieurs types de spiritualités comme lieux d’appartenance : spiritualité du care/prendre soins, spiritualité ouverte sur le monde ; spiritualité féministe, spiritualité bouddhiste ; spiritualités amérindiennes ; spiritualité de l’expérience et syncrétisme religieux. Nous avons quelques étudiantes qui se déclarent athées et une laïque de tradition judéo-chrétienne.
Raisons mentionnées pour s’inscrire aux cours
14De nombreuses raisons sont mentionnées par les répondantes pour s’inscrire à un ou des cours sur le thème Femmes et religions. Les plus récurrentes sont : comprendre comment les traditions religieuses structurent l’identité des femmes ; comprendre comment les traditions religieuses interagissent sur la construction de l’identité de la femme avec d’autres types de constructions identitaires (laïque, politique, socioéconomique, etc.) ; comprendre les théories féministes en études religieuses ; comprendre, dans une perspective féministe, la domination exercée par les structures patriarcales religieuses sur les femmes ; agir avec plus de compétences pour l’amélioration de la condition de la femme dans leur milieu de travail ; acquérir des connaissances critiques sur les enjeux femme, religions et spiritualité ; apporter un appui intellectuel lorsqu’il y a des débats sur les femmes et leur place dans les religions et les nouvelles formes de spiritualités féministes.
En tant que femme moi-même, je veux […] pouvoir apporter un appui intellectuel lorsqu’il y a des débats sur les femmes et leur place dans la religion. C’est un sujet qui est souvent mis de côté car nous sommes encore dans un monde patriarcal, les valeurs changent de plus en plus, mais il y a encore un gouffre entre les hommes et les femmes et cela est souvent dû aux valeurs qui ont été représentées par les diverses religions de ce monde ». Une autre répondante « puise dans la formation les substrats théoriques essentiels en ce qui concerne les théories sur les études féministes.
15Une autre considère que la formation « peut lui permettre de lutter dans son milieu de travail contre les idées préconçues et les préjugés ».
La construction de l’identité socio-religieuse
16La formation a-t-elle eu un impact dans la construction de l’identité socio-religieuse des étudiantes ? Plusieurs répondantes, appartenant à une confession religieuse, soulignent avoir saisi que toutes les traditions religieuses sont remises en question par la critique féministe. Des répondantes ne nient pas leur identité religieuse, toutefois elles s’identifient depuis leur cours comme « membre des croyantes féministes » :
J’ai vu qu’il existe des femmes comme moi qui remettent en question leur tradition religieuse dans toutes les religions/spiritualités : ainsi je les considère un peu comme ma « deuxième » communauté/affiliation religieuse, c’est-à-dire je me dis oui catholique mais aussi comme étant « membre » des « croyantes féministes ».
17Pour certaines, une formation intellectuelle en profondeur sur le thème Femmes et religions, leurs a permis de prendre conscience des multiples facettes en interaction de leur identité socioreligieuse. L’aptitude à la critique féministe devient un vecteur qui consolide une identité croyante exempte de clichés et de préjugés. Mieux comprendre sa propre construction identitaire permet d’être plus respectueuse de l’identité de l’autre, particulièrement de celles qui portent un symbole religieux comme le voile. Mieux comprendre la perspective historique de la construction identitaire leur permet de relativiser leur propre identité et d’être attentive à celle des autres et des apports possibles à la leur. Globalement, l’idée d’une meilleure compréhension de son identité et de celles des autres est au coeur des réponses.
Rôle de la formation face aux croyances et aux valeurs
18La formation a-t-elle remis en question les croyances et les valeurs des étudiantes ? Pour certaines, la formation n’a pas remis en question leurs croyances et leurs valeurs, toutefois, elle les a alimentées au niveau historique, féministe, spirituel et social. Pour d’autres, la formation a été un moment propice pour réfléchir sur les forces de résistances patriarcales face aux croyances et aux valeurs que veulent vivre et transmettre les femmes. Plusieurs adhérentes à une tradition répondent qu’elles ont été fortement ébranlées par la position traditionnelle de leur tradition sur le rôle et la place des femmes. Toutefois, elles considèrent que leurs croyances et leurs valeurs doivent devenir vectrices de transformation de leur tradition. Certaines font des nuances importantes, « Elle n’a pas remis en question mes croyances religieuses, mais elle a remis certaines croyances que je pourrais nommer des préjugés ou des faits subjectifs ». Pour une autre, la formation « n’a pas tant remise en question mes croyances qu’elle a assaini celles en place ». Plusieurs soulignent que leur conception de Dieu a changé. Elles se réfèrent maintenant à “une Dieue féminin” et non colonialiste » L’effet d’un lâché prise face à son héritage religieux douloureux a été évoqué. Plusieurs soulignent être encore en réflexion sur l’impact de la formation sur leurs croyances et leurs valeurs.
Égalité/inégalité femme-homme, religions et spiritualités
19Dans ses Avis17, le Conseil du statut de la femme (CSF) présente systématiquement les traditions religieuses et particulièrement les monothéistes comme étant structurellement inégalitaires. Le CSF considère les traditions religieuses comme un frein à l’égalité femme-homme dans une société laïque. À la question, votre religion ou spiritualité est-elle vectrice d’inégalité ou d’égalité femme-homme, les réponses furent toutes en nuances sauf une exception : toutes les répondantes s’identifiant à la tradition catholique ont répondu que leur tradition est vectrice d’inégalité femme-homme.
20Toutefois, les répondantes catholiques font des nuances importantes. Pour la majorité, c’est l’institution hiérarchique catholique qui est responsable des inégalités. « L’institution catholique est certainement vectrice d’inégalité mais pas la religion catholique ». Elles doutent que les hommes de la hiérarchie deviennent des agents de l’égalité. Les femmes doivent compter sur elles-mêmes pour changer les choses. Elles s’identifient donc au catholicisme, mais pas à sa hiérarchie. La plupart des répondantes catholiques considèrent que dans la tradition catholique, il y a ce qu’il faut pour faire la promotion de l’égalité femme-homme dans l’Église et la société. Pour elles, le message de Jésus était source d’égalité femme-homme. Le développement de l’institution, dans des cultures patriarcales, a déformé le message fondateur. La majorité des répondantes s’identifiant au catholicisme estiment que la lourdeur de l’institution rend actuellement tout changement difficile, voire impossible. Toutefois, celles qui travaillent en pastorale mentionnent un excellent partenariat avec des prêtres.
21Les répondantes musulmanes estiment que l’Islam intégriste et conservateur est inégalitaire. Pour elles, les inégalités sont surtout imputables aux différents contextes culturels patriarcaux. En principe, l’Islam devrait être égalitaire au niveau du droit et des obligations. Pour elles, il y a confusion, dans beaucoup de courants islamistes, entre les éléments culturels inégalitaires et la croyance égalitaire. Celles qui s’identifient à une ou des formes de spiritualité sont en quête d’égalité. « Ma spiritualité est vectrice d’égalité parce que c’est la mienne, que je me suis construite au fil des années de vie ». Elles considèrent leur spiritualité comme un élément central dans la promotion de l’égalité femme-homme. Elles sont conscientes des glissements possibles lorsque les groupes sont mixtes. Pour certaines, le fait de suivre des cours sur le thème Femmes, religions/spiritualités leurs a permis d’être attentives aux récupérations inégalitaires de leur ancrage spirituel par des hommes ou des « mauvais gourous ». La spiritualité est pour elles, un lieu pour grandir, se responsabiliser et agir librement en toute égalité avec les hommes.
Laïcité et égalité femme-homme
22Depuis la sortie de la Charte québécoise affirmant la laïcité (10 septembre 2013)18, la laïcité a été présentée, par le gouvernement en place et de nombreux groupes féministes québécois, comme la voie royale vers l’égalité femme-homme. Le Conseil du statut de la femme dans l’avis de 2011, « Affirmer la laïcité, un pas de plus vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes19 », soutenait déjà cette position. À la question, considérez-vous que la laïcité est impérativement vectrice d’égalité femme-homme ?, nous avons obtenu des réponses très nuancées qui sont similaires aux arguments de la Fédération des femmes du Québec. La FFQ présente la laïcité comme un moyen de lutter non pas contre les religions, mais contre les fondamentalismes religieux. Elle reconnaît l’apport des religions dans la vie des femmes croyantes. Pour cet organisme, la laïcité est certes un moyen efficace pour promouvoir l’égalité femme-homme, toutefois, elle ne résoudra pas l’ensemble des inégalités. La Fédération soutient qu’il est possible d’être croyante et d’adhérer à des valeurs égalitaires et à la laïcité étatique20.
23Une répondante, s’identifiant comme catholique, affirme que la laïcité est la seule voie de l’égalité. Pour les autres répondantes catholiques, la laïcité ne règle pas les problèmes sociaux sur le terrain. Elles considèrent que même dans un état laïque, les femmes doivent encore lutter pour avoir les mêmes droits au niveau politique, économique, entrepreneurial, social, etc. La violence faite aux femmes, le trafic des femmes, la prostitution, l’iniquité salariale, la pauvreté sont toujours présents. Toutefois, elles reconnaissent que l’État laïque permet de tendre vers l’égalité dans le secteur public. Pour d’autres, la promotion de l’égalité femme-homme, au niveau des institutions laïques, finira par influencer la hiérarchie catholique. « Après tout, les croyantes sont aussi des citoyennes ! » Elles considèrent que le principe de séparation des religions et de l’État est nécessaire pour conserver les droits fondamentaux des femmes.
24Les répondantes s’identifiant à l’Islam considèrent qu’une société vraiment laïque est inexistante. Il y a d’une manière ou d’une autre interaction entre l’État laïque et les religions. La laïcité peut être vectrice d’égalité si elle est ouverte au port des tenues vestimentaires des femmes de différentes confessions religieuses dans l’espace étatique. Pour les répondantes musulmanes, l’interdiction du port du hijab21 dans la fonction publique québécoise créera une injustice entre les femmes musulmanes et les hommes musulmans. De fait, les hommes peuvent très bien s’abstenir de porter un vêtement religieux.
Dans le cadre de l’actuel débat au Québec sur la neutralité de l’État, dans les institutions publiques, une femme musulmane serait limogée car elle porte le hijab, alors que son homologue masculin musulman ne le serait pas. Où est la protection de la femme dans cela ?
25Pour la majorité qui s’identifie à une ou des formes de spiritualité et celles qui s’identifient comme athées, la laïcité est le véhicule le plus acceptable de l’égalité femme-homme. « Le principe de séparation de la société civile et de la société religieuse me paraît nécessaire pour conserver les droits fondamentaux des femmes ». Toutefois, elles stipulent que cela ne garantit pas l’égalité. « La laïcité est le véhicule le plus acceptable. Toutefois cela ne garantit en rien dans l’absolu l’égalité ». Pour toutes les répondantes, la vraie égalité passe par une mutation sociale et religieuse égalitaire. Sur cette question, elles maintiennent que les religions et les sociétés dites laïques sont à la fois vectrices d’inégalité et d’égalité. La vigilance des femmes ne doit jamais se relâcher même dans un État laïque.
Conclusion
26Le portrait identitaire des étudiantes qui s’inscrivent à un ou des cours sur le thème Femmes et religions à la Faculté de théologie et d’études religieuses de l’université de Sherbrooke fait éclater le mythe d’une formation utile uniquement pour les personnes qui étudient et travaillent dans des secteurs religieux ou pastoraux. Les étudiantes ont étudié dans une multitude de disciplines. Elles travaillent dans plusieurs secteurs professionnels. Elles ont plusieurs pays d’origine. Elles s’identifient à plusieurs communautés culturelles. Le passage d’une formation en théologie vers une formation en études du religieux contemporain est caractérisé par une mutation de l’appartenance religieuse. D’une large majorité s’identifiant au catholicisme, elles sont devenues une majorité s’identifiant à une ou des formes de spiritualité. Une mutation des identités culturelles est aussi à souligner. Elles ne sont plus uniquement caractérisées par la culture québécoise/canadienne francophone. De nombreuses étudiantes proviennent de diverses communautés culturelles. Peu importe leurs provenances, leurs croyances et leurs identités culturelles, les étudiantes démontrent une capacité d’analyse féministe des enjeux sociaux et religieux. Elles participent à la critique féministe des grandes traditions religieuses. Elles dénoncent les inégalités femme-homme dans les traditions religieuses et les états laïques. Elles élaborent leurs spiritualités à partir de leurs expériences et de leurs savoirs. Dans l’espace d’un cours, elles s’enrichissent de leurs différences religieuses et culturelles afin de mieux saisir les enjeux socioreligieux pour les femmes d’ici comme d’ailleurs. Elles incarnent, malgré leurs différences, un front commun contre les systèmes inégalitaires. Elles sont les porteuses des revendications égalitaires des Femmes dans les Amériques et ailleurs dans le monde.
Bibliographie
Bibliographie
Sources
ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC, Projet de loi no 63, c.15 : Loi modifiant la Charte des droits et libertés de la personne http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/projets-loi/projet-loi-63-38-1.html, consulté le 20 novembre 2013, 2008.
BOUCHARD-TAYLOR, Fonder l’avenir. Le temps de la conciliation. Commission de consultation sur les pratiques d’accommodements reliées aux différences culturelles, Québec, 2008, 306 p.
BUREAU DE LA REGISTRAIRE, « Statistiques d’inscription femmes – Fater », Université de Sherbrooke, 17 septembre 2013, 2013.
CONSEIL DU STATUT DE LA FEMME, « Droit des femmes et diversité », Avis, Gouvernement du Québec, Québec, 1997, 80 p.
CONSEIL DU STATUT DE LA FEMME, « Diversité de foi. Égalité de droits », Actes du colloque, Gouvernement du Québec, Québec, 2006, 211 p.
CONSEIL DU STATUT DE LA FEMME, « Droit à l’égalité entres les femmes et les hommes et liberté religieuse », Avis, Gouvernement du Québec, Québec, 2007, 173 p.
CONSEIL DU STATUT DE LA FEMME, « Affirmer la laïcité, un pas de plus vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes », Avis, Gouvernement du Québec, Québec, 2011, 160 p.
FÉDÉRATION DES FEMMES DU QUÉBEC, « La laïcité : un moyen de lutter contre les fondamentalismes religieux », FFQ, mai 2013, 22 p.
GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, Projet de loi no 60, Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l’État ainsi que d’égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d’accommodement, http://www.assnat. qc.ca/fr/travaux-parlementaires/projets-loi/projet-loi-60-40-1.html, consulté le 20 novembre 2013, 2013.
Recherches
MELANÇON, Louise, « Caractéristiques des programmes d’études, de la recherche et de la pédagogie à la Faculté de théologie de l’Université de Sherbrooke », dans Une histoire de la Faculté de théologie de l’Université de Sherbrooke, Montréal, Éditions Fides, 2004, p. 309-339.
SNYDER, Patrick, Entrevue avec la professeure Marie Gratton, par téléphone, Sherbrooke, 23 octobre 2013’ durée de 90 minutes, 2013.
VACHON, Lucien, Une histoire de la Faculté de théologie de l’Université de Sherbrooke, Montréal, Éditions Fides, 2004, 366 p.
Notes de bas de page
1 Suite à des coupures budgétaires, la Faculté de théologie et d’études religieuses a été fermée en 2015 par l’université de Sherbrooke. Certains programmes d’enseignement (certificat, maîtrise et doctorat) ont toutefois été récupérés à travers la création du nouveau Centre en études du religieux contemporain à la Faculté de droit.
2 Louise Melançon, « Caractéristiques des programmes d’études, de la recherche et de la pédagogie à la Faculté de théologie de l’Université de Sherbrooke », in Une histoire de la Faculté de théologie de l’Université de Sherbrooke, Montréal, Fides, p. 309-339.
3 Bureau du registraire, « Statistiques d’inscription femmes – Fater », 17 septembre 2013.
4 Avec la création du Centre en études du religieux contemporain, les cours sur la thématique femmes et religions ont été conservés. De plus, la Département d’histoire a créé à l’automne 2017, un nouveau cours, ouvert à toutes et à tous, sur cette thématique (Femmes et religions : enjeux culturels et religieux).
5 Maria José Rosado Nunes, « La voie des femmes dans la théologie Latino-Américaine », Concilium, no 263, 1996, p. 12-28. ; GEBARA, Ivonne, « Spiritualité féministe, risque et résistance », Concilium, no 288, 2000, p. 37-47.
6 Concilium, Les théologies féministes dans un contexte mondial, no 263, Paris. Beauchesne, 1996, 199p. ; Dans la force de l’Esprit : spiritualités féministes, no 288, 2000, 150 p. ; Women’s Voices in World Religions, no 3, 2006, 137 p.
7 Afro-américaines.
8 Femmes hispaniques aux États-Unis.
9 Marie-Andrée Roy, « Les femmes, le féminisme et la religion », Érudit, http://www.erudit. org/livre/larouchej/2001/livres14_div29htm ; « sexe, genre et théologie », dans Franchir le miroir patriarcal, Coll. Héritage et projet, Montréal, Fides, p. 17.
10 Marie-Andrée Roy, « Les femmes, le féminisme et la religion », p. 5.
11 www.umontreal.ca/repertoires/facultes.html.
12 www.religion.uqam.ca/.
13 www.mcgill.ca/undergraduate-admissions/fr/programmes/religieuses.
14 religion.concordia.ca/undergraduate/courses-descriptions/.
15 Lucien Vachon, Une histoire de la Faculté de théologie de l’Université de Sherbrooke, Montréal, Fides, 2004, 366 p.
16 Louise Melançon, « Caractéristiques des programmes d’études, de la recherche et de la pédagogie à la Faculté de théologie de l’Université de Sherbrooke », in Une histoire de la faculté de théologie de l’Université de Sherbrooke, Montréal, Fides, 2004, p. 327.
17 Conseil du statut de la femme, « Droit des femmes et diversité », Gouvernement du Québec, 1997, 80 p ; « Diversité de foi. Égalité de droits », Gouvernement du Québec, 2006, 211 p. ; « Droit à l’égalité entre les femmes et les hommes et liberté religieuse », Gouvernement du Québec, 2007, 20 p.
18 Gouvernement du Québec, « Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l’État ainsi que d’égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d’accommodement », http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/projets-loi/projet-loi-60-40-1.html.
19 Conseil du statut de la femme, « Affirmer la laïcité, un pas de plus vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes », CSF, Québec, 2011, 160 p.
20 Fédération des femmes du Québec, « La laïcité : un moyen de lutter contre les fondamentalismes religieux », FFQ, mai 2013, 13 p.
21 Un des enjeux de la Charte, c’est d’interdire pour les employé-es de l’État de porter un signe religieux ostentatoire comme le hijab, la kippa ou le turban.
Auteur
Université de Sherbrooke
Professeur de théologie au département d’études religieuses à l’université de Sherbrooke.
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