Le retour de Boissel
Ou lorsque la radicalité politique cache la République écologique des femmes citoyennes
p. 113-127
Texte intégral
Pour Martine Lapied et tout ce que j’ai appris d’elle sur la prétendue modération des notables en révolution et leurs violences, mais aussi sur le rôle des femmes, citoyennes à part entière de la Révolution, par leurs actes, par leurs paroles, par leur dignité politique…
Je pressens d’avance que la matière que je traite ne sera pas goût de beaucoup de personnes, et qu’il leur paraîtra ridicule que j’en aie fait le sujet d’un discours auquel j’attache la plus grande importance pour le bien de l’humanité. Mais je demande à ces personnes si délicates sur tout ce qui affecte leurs sens, comme leur orgueil, si ce n’est pas entre les boyaux et la vessie de leur mère qu’elles ont reçu l’être et si ce n’est pas là qu’elles ont logé pendant neuf mois ? Je leur demande si aujourd’hui leurs excréments et leurs urines ne font pas partie de leur corps, si elles pourraient exister sans en avoir, et si ce n’est pas de leur bon état que dépend leur santé1.
1Le ton est donné, sans hésitation, ni fioriture inutile. Nous sommes en 1786, la crise est partout, les plumes trempent dans l’acide des critiques les plus subversives. Parmi d’autres formes d’opposition, un courant fort minoritaire mais d’un activisme réel se manifeste dans le plus pur de la tradition matérialiste, athée et proto-communiste, qu’une ligne discontinue permet de repérer de La Mettrie à Diderot, avec des nuances et des sensibilités différentes2. François Boissel en fait partie. Entre cynisme humaniste, si l’expression est permise, et conscience sociale et politique aiguë, le personnage s’est lancé à la pointe de l’extrême gauche du combat révolutionnaire, toujours sur la brèche entre 1789 et 1794. Il fait partie, comme Antonelle, de ces hommes venus du sud de la France et « montés » à la capitale, sans perdre une once de leurs radicalités, songeant, bien qu’issus de milieux favorisés, à un monde totalement transformé et construit pour le bien-être de tous, pour le partage des biens entre tous et toutes, mis en commun3… Boissel a déjà connu trois vies. Il n’est que temps de lui en offrir une quatrième, au regard des défis historiographiques de ce début du xxie siècle qui ne peuvent que le remettre au cœur de notre actualité d’historiennes et d’historiens acteurs dans la Cité.
2Brièvement, quelles furent les trois vies passées de ce personnage hors-norme, excentrique de la révolution, paradigme indiciaire de l’extrême point de la dissidence et de la rupture avec toutes les formes de pouvoir, comme je les affectionne tant4 ?
3Le personnage fait partie des anciens de la Révolution. « Vieux » en entrant en révolution, car il naît en 1728, il demeure d’une vitalité rare et décède à 79 ans, en 1807, preuve que les pages qui vont suivre, où Boissel décrit son régime de vie républicain et écologique, méritent lecture. Issu d’une famille ardéchoise de Joyeuse, il bénéficie d’une éducation chez les Oratoriens puis chez les Jésuites. Il décide avec l’accord parental de poursuivre son droit pour devenir avocat à Paris. À 25 ans, soit en 1753, il embarque pour Saint-Domingue où il retrouve son frère qui y a prospéré. Il devient avocat au conseil supérieur du Cap-Français et obtient une charge de procureur qui lui confère le rang de magistrat. Mais au lieu de jouer le jeu de la sociabilité élitaire et de la carrière juridique et somme toute de la sociabilité des planteurs et des hommes du roi, tous défenseurs du système esclavagiste et colonial, il plaide pour des affaires assumant des positions de contestataire de l’ordre établi, et de fait dans cette île où la violence la plus brutale règne, il sacrifie une situation à 40 000 livres de rentes, une fortune à l’époque, pour ne pas renier ses principes5.
4Il subit le dessaisissement de sa charge, et essaye de se reconvertir pour survivre, en menant une vie d’aventurier, affirment sans preuve les rares notices biographiques rédigées longtemps après. Finalement après deux séjours en prison, le rebelle quitte l’île, 24 ans après y avoir débarqué. C’est en 1776. Ce long passage dans le laboratoire le plus cruel du système de la globalisation capitaliste dans la seconde moitié du xviiie siècle, laboratoire de la spoliation humaine de l’Afrique et de l’exploitation des ressources naturelles, lieu expérimental de destruction autant d’humanité que d’un écosystème naturel transformé en lieu de monoculture de café ou de sucre, marque le personnage et constitue un indice parmi tant d’autres que la Révolution a aussi commencé aux colonies6.
5De retour à Paris, il vit comme il peut de sa plume, invisible dans la République des lettres. Le personnage est connu pour ses positions radicales, de la publication de son Catéchisme du genre humain en 1789 – réédité en 1792 – à son Cantique séculaire du père Duchesne en juin 1791, où il demande l’abrogation pure et simple de la monarchie. Au mois d’août 1792, il devient membre de la commune insurrectionnelle de Paris et participe aux événements dramatiques de l’été qui voient l’abolition de la monarchie. Sa pétition rédigée au sein de la section des Gravilliers, adressée fin septembre 1792 à la Convention pour réclamer la mise en jugement sans tarder de Louis Capet, ne laisse point de doute sur son engagement républicain. Résolument adversaire des Girondins, il se fait connaître au printemps 1793 par un projet de constitution qui a été, depuis, publié dans les Archives Parlementaires et qui sera distribué dans le public sous le titre des Entretiens du père Gérard, sorte de dialogue politique dans lequel est inséré un long projet de constitution qu’il offre aux députés le 17 juin 1793.
6Radical et entièrement libre, proche des positions des Enragés, il se trouve rapidement dans la mire de Robespierre qui ne peut supporter ni le personnage ni ce qu’il considère comme une outrance irréalisable : c’est-à-dire son programme de partage des richesses, réalisé par la fameuse loi agraire, mise hors la loi au printemps 1793, à laquelle Boissel ne renonce pas, mais que par prudence il ne revendique pas officiellement, pourtant repérable entre les lignes de ses écrits. Boissel est alors arrêté et enfermé à l’automne 1793. Il doit attendre la chute de Robespierre pour réintégrer le club des Jacobins dont il devient une dernière fois vice-président, connaissant son momentum en prononçant, pour la société, le discours officiel lors de la cérémonie du transfert des cendres de Rousseau au Panthéon le 20 vendémiaire an III (28 octobre 1794). Sans surprise, peu enclin à la palinodie thermidorienne, il demeure proche de la gauche radicale, il est emprisonné le 7 février 1795. Il se trouve enfermé dans la même prison que Babeuf arrêté le même jour, avec trois sans-culottes connus, Lefranc, Brutus (Belloc) et Bonin. Il continue sa carrière d’activiste sous le Directoire, mais en échappant le plus souvent à la surveillance policière qui se renforce lors de l’avènement du Consulat et tout particulièrement après l’explosion de la machine infernale en décembre 1800. Discret mais jamais repenti, il décède en 1807. Fin de sa première vie.
7Seconde vie. Entre 1890 et 1910, parallèlement à la refondation des partis socialistes et à l’émiettement des groupes à gauche des échiquiers politiques en Allemagne et en France, se développe une vaste érudition dans le champ des études révolutionnaires qui se traduit par une politique éditoriale remarquable et qui voit, entre autres, la parution de l’Histoire socialiste de Jean Jaurès. Le grand meneur socialiste et révolutionnaire s’attarde sur le cas de ces premiers communistes Sylvain Maréchal et François Boissel à qui il reconnaît une fibre sociale novatrice, en avance sur leur temps, ayant imaginé d’autres moyens de production et d’autres partages des richesses, en une intuition politique digne du plus grand intérêt historiographique. Ils seraient de ces proto-communistes qui auraient imaginé un communisme agraire, posant un jalon important dans l’histoire des idées socialistes7. Le débat sera intense autour de la découverte de ces penseurs et militants radicaux, jusque-là masqués par la personnalité et le destin de Babeuf8. La catastrophe de la première guerre mondiale, et le début d’une autre révolution se transformant en dictature sanglante et sectaire dont les partisans allaient dénoncer les travaux d’Albert Mathiez comme ceux d’un petit-bourgeois défenseur de Robespierre, terminaient la seconde vie de Boissel.
8Il fallut attendre la vague gauchiste des années post soixante-huit pour assister à la résurrection de Boissel. Loin de partager les idées de cette gauche radicale, Albert Soboul, ne désirant pas laisser ce champ d’études au seul Daniel Guérin, et passionné par les systèmes utopiques du xviiie siècle tout autant que par la préhistoire des idées communistes, engagea deux travaux universitaires et intégra lui-même Boissel à ses écrits9. Au sein et aux marges du monde sans-culotte, Boissel était une figure de cette utopie des Lumières radicales qui avait espéré en la Révolution française pour mettre en place une partie du programme de partage et de limitation de la propriété privée comme solution aux inégalités sociales et à leurs effets dévastateurs sur la cohésion de la communauté nationale10. Les théories sociales de Boissel étaient mises en avant dans cette troisième vie qui le mena jusqu’au Japon, pays fort passionné et secoué également par les mouvements gauchistes11. Le reflux des mouvements radicaux libertaires, leur fin dans les années 1980 avec le début de la fin du communisme comme force alternative au rouleau libéral, la dégénérescence de la gauche ultra en mouvements de violence radicale, terminèrent cette troisième vie de Boissel12.
9Politique ou sociale, Boissel servait la cause d’une gauche toujours en avance, toujours à venir, dont l’horizon d’idéalité plaçait encore les écrits du rebelle sans-culotte dans une actualité toujours brûlante, mais oscillante selon la force même de la gauche démocratique à se renouveler et à inventer ses formes de contestations.
10Depuis le début du xxie siècle, d’autres formes de radicalités apparaissent dans une gauche en pleine mutation, à la recherche de nouveaux repères et en pleine acculturation post-communiste. Disparu Boissel dans ces conditions ? Point du tout13. Il est plus que jamais question de Boissel désormais au cœur d’une actualité qui voit une gauche se reconstruire point seulement sur un fondement social ou politique, mais sur un socle écologique, plaçant la préservation des ressources naturelles, la sauvegarde du monde et le souci du développement durable au cœur d’un projet social de plus grand partage des richesses et de leur préservation, devenue une priorité. Là encore, Boissel l’avait imaginé de façon radicalement nouvelle, ne séparant jamais son souci d’harmonie entre la nature et l’homme d’avec son projet de liberté politique et d’égalité sociale. Simplement ce volet écologique de la pensée de l’Ardéchois révolté était passé inaperçu aux yeux de Jaurès et n’avait pas intéressé Albert Soboul. Disons le autrement, car les pages qui suivent vont le démontrer, la radicalité crue et sans aucune pudeur des solutions proposées par le rouge-vert Boissel avait été tue par le prude, austère et rigoureusement sérieux Jaurès, et sûrement considérée par Albert Soboul, comme la part gauchiste, et peut-être infantile du proto-communiste de l’Ardèche, toujours révolté.
11Deux raisons plus que suffisantes, deux silences gênés plus que bruyants pour que je m’intéresse à cette zone d’ombres, laissée sous le boisseau des idées socialistes et des pratiques communistes. J’étais fort aidé en cela par la politique éditoriale menée par Pierre Antoine Courouble ayant pris l’heureuse initiative de rééditer les œuvres de François Boissel aux éditions du Cherche Midi. D’une part, la destruction massive d’écosystèmes entiers à la surface du globe, la spoliation des ressources naturelles, liée aux graves déséquilibres écologiques que la planète connaît, rendent le projet de Boissel des plus urgents à lire. D’autre part, la nécessité de réaffirmer le rôle des femmes dans les républiques démocratiques, où la parité dans tous les domaines de la vie civile est loin d’être acquise est d’autant plus à l’ordre du jour, que la montée des fanatismes religieux de toutes sortes au sein même de nos sociétés constitue un grave danger pour l’émancipation des femmes. Toute forme de radicalisme religieux se traduisant imparablement par un recul des libertés des femmes, il faut donc réinventer, de façon urgente, une quatrième vie à Boissel.
12Il est nécessaire de se porter au fondement de ses écrits politiques et de se pencher sur son ouvrage de 1786, Le discours sur les servitudes publiques, authentique traité d’écologie politique et urbaine avant la lettre, d’une radicalité sidérante dans ses implications sociales, politiques, genrées. L’auteur imagine une nouvelle ville, de nouvelles fonctionnalités urbaines. De façon novatrice, la ville est pensée tel un champ de forces, comme un espace de fluidité nouveau où la circulation des biens et des personnes doit être facilitée et point seulement à l’intérieur de la ville, mais aussi entre la ville et ses faubourgs, entre la ville et la campagne. Boissel inscrit résolument sa pensée dans une lecture, point seulement dans un registre hygiéniste, comme tant d’écrits contemporains, pensant de façon classique au siècle des Lumières une réforme de la ville, mais dans le genre politique, axant ses propositions de refonte de l’ordre urbain dans une perspective de transformation des rapports sociaux et politiques14.
13Le partage de l’espace et de la circulation des animaux et des humains, la question des insalubrités et des immondices, le problème des constructions anarchiques, la problématique de la voirie, et le souci de la rue et de son organisation requièrent toute l’attention de Boissel, comme ses contemporains imaginant la cité nouvelle15.
14Cependant, sa pensée devient authentiquement radicale et républicaine en 1786, lorsque la réforme imaginée ne devient possible que si les transformations des modes d’accumulation et des modes de production changent. En clair, la remise en cause de la hiérarchie sociale et de sa légitimation se transforme en critique radicale du pouvoir monarchique lui-même. En encore plus clair, toute transformation de la cité doit mener à l’invention et à la reconstruction de la « polis » au sens politique du terme car seule « une authentique communauté des biens » doit pouvoir sauver l’homme du désordre écologique qu’il a contribué, par son inconscience, à laisser se propager dans les villes. Boissel est tout à fait explicite : la propriété ce n’est pas seulement le vol, c’est surtout la destruction de la nature. Chacun voulant posséder, se moque des conséquences du morcellement du bien commun général à condition de jouir de sa parcelle de propriété. C’est ce que Boissel appelle l’égoïsme, à la source de toutes les nuisances anti-environnementales en ville. Les propriétaires des maisons ne pensent qu’à leur confort, tout relatif d’ailleurs, se désintéressant du bien public et donc des commodités de tous, pourtant essentiels à la préservation de la santé de chacun et à l’édification d’une ville saine et respectueuse de son environnement.
15Adopter avec Boissel ce point de vue, consiste à replacer la topographie urbaine au cœur du politique et des nouvelles formes de contestation, telles que les géographes ont pu les révéler à la suite des soulèvements dans les quartiers périphériques de Paris en 200516. Les solutions proposées dans Le discours sur les servitudes publiques renvoient de façon concrète à l’étude du dispositif des corps singuliers et collectifs dans l’organisation d’un espace en mutation urbaine et en révolution politique, en changement géographique, permettant de penser ensemble le lieu et la politique, l’endroit et le régime des idées et des pratiques nouvelles, l’espace privé et l’espace public, l’intime et le découvert, le honteux et le digne17. Et penser de façon politique et radicalement subversive parce que réunis, écrivons-le, la merde et le propre18. Le propos est bien plus sérieux qu’il n’y paraît et s’il a imposé le silence à Jean Jaurès et à Albert Soboul, l’urgence écologique de notre temps n’est plus aux atermoiements pudiques et aux classifications bien élevées entre miasme et jonquilles, mais à inverser et hiérarchiser le réel. Ce ne sont pas les excréments qui puent : c’est le monde pollué dont nous héritons et qu’il nous faut radicalement changer19. Il n’y a rien de dangereux à évoquer en toute simplicité les fonctions organiques du corps et leur accommodation, là où le vrai danger pour la ville consiste dans l’omniprésence de l’accident industriel due aux industries sales et dangereuses20. C’était déjà le cas en 1786 pour Boissel qui désirait travailler sur la recomposition, sur la redéfinition, sur la réorganisation de l’espace parisien, à l’image de la fondation républicaine et de ses impératifs d’ordre, de clarté, d’hygiénisme, de démonstration visuelle de l’adéquation d’un espace à son idéologie telle que le désirait l’utopiste réaliste. Boissel, et c’est cela que n’ont pas vu Jaurès et Soboul, comprend que toute avancée politique ou toute révolution sociale ne sont possibles que dans un cadre spatial entièrement changé. La parfaite adéquation entre lieu révolutionné et régime démocratique propose la fusion entre sens et signe, entre contenant et contenu. L’espace urbain est un signifiant dans lequel le signifié républicain se développe non sans difficulté. La gestion des immondices dit avec la même acuité que le plus subtil des discours politiques lus à l’Assemblée des législateurs si la ville est authentiquement républicaine. Plus même, l’économie des commodités, l’organisation des monceaux de matières fécales que produit la ville, expriment sans faute l’authentique nature du régime politique en démontrant la capacité des gouvernants à construire une ville propre pour le soin du plus grand nombre. C’est dans les cabinets d’aisance que commence la démocratie et le devenir républicain pour Boissel, et ce de la façon la plus sérieuse qui soit.
16Un nouveau champ s’ouvre en histoire, celui de l’environnement lié à la question politique21.
17Dès la première page, Boissel met en place un double cadre en une violente et directe attaque contre la philosophie de Descartes : non seulement la nature a fait de l’homme un animal, mais par un mystère que l’histoire doit éclairer, l’homme est l’animal le plus sale qui soit, n’ayant aucun instinct de propreté et sans cesse dérangé par ses déjections, là où les animaux libres, non dénaturés par l’humain, gèrent sans le moindre problème leurs déchets. Adoptant le point de vue matérialiste typique, d’un cynisme radical et minoritaire mais fort subversif, Boissel soutient que, par une perversion de son esprit, dont Descartes serait l’archétype, l’homme se croit supérieur à l’animal, ne s’apercevant pas que dans les règles fondamentales de la vie, l’animal est bien mieux pourvu que l’être humain22. La bête est instinctivement construite pour trouver de quoi manger dans la nature sans la détruire. Elle est instinctivement propre, jamais gênée dans son « organisation sociale », par ses déjections ni ses sécrétions quelconques, urines ou excréments.
18En fait l’homme est animé d’une morale ou d’une série de conventions, purs artifices qu’il confond trop souvent avec la raison ou le bon sens. Cette erreur grossière lui fait commettre des actes strictement contraires à la nature, contre sa nature. Sont pointés tout de suite et sans hésitation par Boissel les cinq fléaux qui empoisonnent toute vie humaine : le pouvoir despotique, la religion, l’argent, la guerre et le mariage. De façon logique dans ce type de littérature, c’est le spectacle de la rue qui renvoie à la désorganisation première de l’espace urbain et à des mesures qui s’imposent d’urgence pour rendre l’espace public sûr et sécurisé pour tout un chacun.
19L’auteur décrit les dangers répétés des voitures, des carrosses, des chevaux filant à bride abattue dans un espace où les trottoirs n’existant pas, il revient aux passants de se plaquer contre les parois des maisons au passage des animaux plus ou moins bien conduits23. Il faut de façon urgente repenser l’organisation des rues, voire rebâtir la ville, afin de séparer les passages pour les voitures, pour les cavaliers seuls, pour les animaux en troupeaux et pour les gens à pied24. « Rétablissons l’ordre, puisqu’il a été renversé » et l’auteur de rappeler que c’est possible en citant les passages couverts à la Rochelle ou le réaménagement du Palais Royal pour les seuls piétons25.
20Cette critique et cette exigence d’une police de la circulation ne vont pas sans remarques sur la meilleure santé de marcheurs par rapport aux personnes toujours en carrosses26. Boissel dresse une critique sans concession sur la division binaire de la population parisienne résultant de cette forme de circulation27. Le constat est sans appel : la société est divisée en une lutte qui oppose deux classes, « écrasante et écrasée » (sic) ! Si ce n’est une préfiguration d’une lutte de classes, cela en prend la forme et la Révolution ne va pas tarder à la formaliser.
21Pour Boissel qui poursuit son raisonnement, il s’agit d’identifier sans faute l’origine des inégalités comme son prestigieux prédécesseur. Désordre et arbitraire ont commencé en ville lorsque chaque propriétaire d’une maison, d’un immeuble, d’un bien bâti, a décidé, sans même se préoccuper du bien commun, de s’en remettre à sa seule initiative pour gérer ses excréments et ceux de ses locataires. N’ayant aucune volonté d’engager la moindre somme pour construire des systèmes d’évacuation respectueux des voisins et de l’espace ne lui appartenant pas et dont il n’a cure au sens littéral du terme, le propriétaire est ce personnage antisocial qui creuse sous sa maison une fosse d’aisance reliée par des tuyaux et conduisant à d’infâmes cabinets baignant dans une pestilence permanente. Le trop-plein de la fosse sous la maison conduit à des vidanges régulières au moyen de « boëtes » qui servent à remplir des centaines de charrettes entières d’immondices allant combler de vastes excavations à la sortie des villes, les voiries, lieux de toutes les pollutions possibles, nauséabonds, malsains et selon les vents insupportables aux citadins. Le pire est d’imaginer la condition sociale des personnes réduites à accepter ce métier pour survivre et sans cesse menacées de graves accidents du travail constamment au contact d’exhalaisons méphitiques, causes de bien des décès ou maladies28. La conclusion s’impose pour l’auteur : point de salut pour Paris, la ville anarchique par excellence, où depuis 150 ans, la croissance sans organisation aucune, sans règle quelconque, est la preuve que chaque propriétaire a contribué à la dégradation constante du cadre urbain. Boissel ne peut être plus explicite, sans plan d’occupation des sols concerté et publiquement surveillé, sans plan de construction urbaine approuvé par des règles communes, visant à trouver une solution à l’évacuation des excréments, il ne peut y avoir de politique juste en ville, les propriétaires, empestant, empoisonnant au sens premier du terme, tous les autres habitants de l’espace urbain, par négligence, par avidité d’économie sur le plus important aux yeux de Boissel : le bien vivre ensemble29. Il faut soumettre les propriétaires à la commodité publique par un règlement municipal qui puisse garantir la salubrité et la sûreté de tous.
22La seconde partie de l’ouvrage approfondit le thème de la propreté, sans fioriture avec une franchise pleinement revendiquée par l’auteur, conscient que parler simplement des excréments consiste aussi à faire bouger les frontières de la bienséance prétendument policée et éloignant stupidement toute référence aux fonctions primordiales du corps. Le bien-être de tous et la santé de chacun n’en seront que meilleures, la franchise et le bon sens, au fondement de la société, n’en seront qu’améliorés. Tout Paris pue et aucune demeure fut-elle celle des riches, ne semble épargnée par ce fléau30. Boissel va plus loin ; ce sont les riches qui sont les plus proches de cette saleté qu’il combat, réduits à se farder, à se couvrir de parfum et à cacher leur crasse derrière des toilettes toujours plus empesées, alors que tout leur système de fausses valeurs prétend se construire sur la saleté des modestes, sur la malpropreté des plus pauvres, là où le simple bon sens de l’observation renverserait sans nul doute cette hiérarchie ignoblement fausse et ignominieusement inversée. Il faut donc aborder en toute simplicité le problème, et tout d’abord se débarrasser de fausse honte en cessant de construire une pudeur timorée autour de la merde, sentiment qui n’a rien à voir avec la bonne politique. Il faut revenir à une humilité naturante et réaliser d’où l’on vient en toute modestie31.
23C’est à partir de ce constat révoltant pour Boissel – mais par quelle méprise les riches irresponsables, spoliateurs et malpropres, font croire que les gens simples sont les affreux, sales et méchants ? –, qu’il commence par développer sa philosophie cynique au sens le plus grec du terme, c’est-à-dire celui d’un premier communisme conséquent qui pour être efficace, doit commencer par être appliqué à soi-même, dans et par les premières fonctions vitales, le manger et le déféquer, comme premières façons d’être dans la cité républicaine et écologique.
24Boissel part de ce principe liminaire que les citadins autour de lui semblent avoir oublié. Pas d’agriculture sans fumier, pas de cultures viables sans recherches permanentes de fumure animale ou humaine, ce qui est la même chose, pour l’auteur. Pourtant, la ville de Paris renferme plusieurs centaines de milliers d’habitants que la terre nourrit et qui ne lui rendent rien. Au contraire, au grand dam de Boissel, la ville se distingue par un gâchis sans nom, celui de mélanger l’urine avec les matières fécales, rendant impossible l’utilisation de ces dernières pour les plantations32. Cette ignorance de la ville constitue une authentique régression écologique qui porte comme conséquence la détérioration de l’air, des pathologies dermatologiques et notamment des dartres, et de façon générale un affaiblissement des populations urbaines sujettes à plusieurs maladies possibles33.
25La cité républicaine doit donc commencer par le traitement des excréments en fumier, acte civique et responsable qui doit constituer le premier geste politique de bon sens. L’écologisme cynique républicain va plus loin : la vraie fonction du citoyen est de s’occuper en priorité de sa merde avant la morale qui n’est qu’une chimère, visant à contraindre inutilement les corps et à faire croire à la saleté de tout ce qui est sous la ceinture, alors que, bien au contraire, une authentique éthique de vie doit résoudre de façon prioritaire ce que les humains doivent faire de leurs excréments. Cette vison matérialiste qui annonce un athéisme d’une virulence sans concession, ne peut être éloignée d’une réflexion sur la jouissance sexuelle qui ne tarde pas à être évoquée par petites touches, liant comme dans un inconscient dévoilé au fil des pages, le plaisir de déféquer et la décharge sexuelle, en un lien que l’auteur s’efforce de rendre naturel, prenant à témoin son lecteur qu’il ne désire nullement provoquer mais lui faire admettre les « choses » les plus simples du monde, forcément conscient par ailleurs, comment pourrait-il en être autrement, qu’il fait sauter toutes les règles de la bienséance qui imposent de passer sous silences ces fonctions34. Au moment où la sociabilité la plus raffinée s’impose en cette fin des Lumières entre 1780 et 1789, Boissel brise un tabou, rappelant quelques évidences au risque de choquer, mais la postérité de l’agriculture, le régime alimentaire et l’hygiène de vie de toute la population parisienne n’en valent-ils pas la peine ? Ce faisant Boissel n’est pas seulement iconoclaste. Il fut un temps point si éloigné de son époque où les urines et les excréments entraient dans les pathologies et intéressaient les pharmaciens35. D’ailleurs, il n’est pas anodin pour Boissel de signaler qu’il fut témoin à Saint-Domingue d’un remède efficace à base d’excrément humain, proposé par un « nègre » et bien plus efficace que toute la prétendue science des médecins blancs36. Finalement, Boissel résume en six points la méthode pour sortir la ville de l’état de saleté insupportable dans laquelle la maintiennent et se complaisent ses élites, faisant subir les tourments indirects aux plus pauvres dans la cité.
- Il s’agit de faire sécher ses excréments dans des papiers propres et disposés sur des étagères d’une pièce aérée de la maison.
- Extraire ensuite le sel des urines.
- Employer toute notre industrie et nos expériences afin d’intégrer dans les productions dont on fait le plus d’usage, les extraits de sels des urines et des excréments.
- Veiller à la propreté impeccable des intérieurs et des cuisines surtout.
- Veiller également à l’extrême propreté des rues, et donc à l’assainissement de l’air.
- Établir le prix et la récompense pour les personnes qui donneraient les meilleures recettes pour la préparation et la culture des terres, pour l’exploitation et la préparation de notre fumier afin de rendre les productions plus saines et plus abondantes.
26N’est-ce pas une figure non exclusive mais bien réelle d’une utopie proto-communiste dans toute son efficacité supputée, voire dans son fantasme fonctionnel autant que fictionnel ? Dans le système de Boissel, tout pourrait se réduire à un échange engageant peu d’argent, vertueux et à tous les coups rentable pour tous, sans exploitation de personnes, voire avec un minimum de travail fourni pour le citadin et moins de travail effectué par le paysan par la qualité de sa fumure. D’ailleurs, avec un aplomb désormais repéré par le lecteur, Boissel ne tarde pas à indiquer qu’il s’applique, pour son plus grand bonheur, son régime. Il revend ses excréments à un jardinier qui lui ramène « les plus fines salades, les meilleurs fruits », assumant avec une provocation maîtrisée et toute matérialiste, qu’au fond, il ne fait que manger sa merde transformée, pour son plus grand contentement37. En une perspective typiquement diderotienne et matérialiste de la seconde moitié du xviiie siècle, le mort crée le vif, le pourri est à la base de la vie, la chaîne alimentaire, liant le vers dévorant le cadavre à la poule qui le mange avant d’être dévorée par l’humain à son tour38. La matière retourne à la matière, la corruption donne vie à la vie, en une circularité infinie, vertueuse et heureuse pourvu que l’homme ne l’interrompe pas par sa malpropreté criminelle pour la nature. Le bon proto-communiste républicain mange sans cesse ses déjections transformées en produits fort sains, réduisant la part de travail et donc d’exploitation, pour maximiser son apport naturel à se sustenter lui-même, tout en ne pesant pas sur la communauté. Le citoyen soucieux de procéder avec ses excréments comme l’indique Boissel, contribue ainsi fortement à offrir la matière première de sa nourriture, brisant par là même l’impératif physiocratique de possession de la terre pour améliorer l’agriculture. Seule la somme ajoutée des excréments individuels et partagés dans le fumier commun constitue la réponse sociale au refus de la propriété et la posture adéquate pour une production alternative d’excellents légumes, fruits et céréales, sans passer par la seule exploitation des manouvriers par leur salariat auquel les réduisent les détenteurs de la terre. La merde est l’avenir du républicain en ce qu’elle égalise les conditions de tous, réduits à leur être-corps, à leur dimension animale de bons producteurs d’engrais, richesse essentielle et fondamentale de l’agriculture39.
27La question est essentielle, car elle implique une révolution des mœurs, des coutumes, de la morale et des habitus les plus solidement accrochés aux préjugés, aux croyances et à la fausse raison qui fait croire en une domination strictement idéologique que la merde c’est sale, ou bien que l’on ne doit pas en parler, alors que toute la démonstration de Boissel tente de démontrer strictement le contraire. Ces fausses morales des élites de l’Ancien régime, mais aussi celles du nouveau régime, comme ne tardera pas à s’en apercevoir rapidement Boissel, vont contre l’évidence de la vie élémentaire du corps et de sa valeur. Ce système de retournement des vraies valeurs et des vérités de bon sens cache pour Boissel un système de domination qu’il dénonce sans relâche, car fondé sur des vérités tronquées, celles de l’accumulation des fausses richesses, l’argent, le luxe, le surplus, la consommation, et tout ce qui est inutile à « une vie frugale, austère et saine » au fondement des relations sociales justes, apaisées et égalitaires40. Sinon à quoi servirait-il d’être un humain si cela se résumait à se comporter en personnes avides, violentes, ne désirant que la spoliation de son prochain, puis la guerre en groupe et entre nations, comme ultime figure destructrice de l’autre et du monde ? Le système de Boissel révèle une authentique rigueur intellectuelle : de la prétendue répugnance pour les matières fécales au système de la guerre en dentelles, il y a une chaîne de prétendues bienséances et savoir-vivre, voire un art de vivre qui se résume à une supercherie sociale qui confère aux dominants le pouvoir d’écraser les gens simples, par un système entièrement perverti de fausses convenances, allant contre la nature, détruisant les villes, saccageant la campagne par ses champs de bataille. La propreté des gens raffinés ? Une crasse sans nom que Boissel a décidé de combattre et qui va devenir la lutte de sa vie militante.
28La conclusion et la leçon sociale s’imposent sans ergoter.
29Dénonçant les spéculations des « prétendus nouveaux philosophes » incapables de dénoncer les authentiques « ennemis publics, ceux qui n’agissent que pour leur intérêt personnel », Boissel ouvre des perspectives inattendues41. La conclusion synthétise la plupart les idées exposées, puis opère une montée en généralité étonnante et intéressante à la fois, posant de façon nouvelle la question de la fondation de la cité républicaine.
30Boissel, semblant s’écarter de son thème principal, y demande la suppression de la peine de mort, l’élaboration d’un plan de paix générale entre les pays, par l’affirmation du droit des gens et l’écriture d’un code civil du genre humain. Boissel y réaffirme son refus de la violence originelle qui a fait des nobles les premiers usurpateurs de la terre, puis des propriétaires bourgeois ses exploiteurs, le tout défendu et légitimé par un pouvoir civil absolu et un pouvoir religieux relevant purement et simplement du fanatisme religieux, l’ennemi juré de la cité républicaine pour Boissel. Ce dernier ne cesse de dénoncer le système de pouvoir spirituel qui s’impose au plus grand nombre et ferme la bouche à toute revendication, fût-ce celle de la plus élémentaire justice sociale, au nom du renoncement ici-bas aux plaisirs de la vie, dans l’attente… vaine, d’une vie éternelle.
31La République écologique, soucieuse à son premier niveau de fonctionnement de la gestion rigoureuse de ses déchets, semble loin dans cette conclusion. Elle est au contraire présente, car c’est elle qui détermine une transformation des mœurs et des croyances qui seules seront capables de faire de la révolution politique, c’est-à-dire le renversement des institutions, une victoire, par une transformation en profondeur des personnes, de leur habitus, de leur rapport à leurs corps, de leurs rapports à la cité, de leur rapport à l’autre, à l’Autre. Éducation publique et nationale pour les jeunes générations, construction d’une cité idéale, propre, fondée sur le partage et l’entraide, sur le travail en commun, recherche du bonheur ensemble, sont les thèmes qui structurent désormais les prises de parole et d’écriture de Boissel.
32À la clé se trouve une dimension de l’économie sexuelle évidemment centrale pour qui veut comprendre l’organisation de la cité républicaine écologique, dont nul ne peut ignorer l’importance et qui régule la santé mentale des corps dans la cité, comme la bonne digestion régule la santé corporelle des organismes propres.
33En une ultime allusion, mais qui sera développée ailleurs de façon pertinente par Boissel, la femme devient l’acteur principal de cette révolution encore à venir. À côté de l’homme enfin propre, la femme enfin libre des entraves que lui impose tout pouvoir masculin doit par son amour libre et donc par l’émancipation, là encore des codes bien-pensants et contre la nature, ré-offrir une hygiène mentale nouvelle à l’homme, non plus son maître ou son mari, mais son égal et son compagnon. La partie féminine de la population se voit confier une place centrale dans le projet républicain et proto-communiste de Boissel42.
34En ce début de xxie siècle, il est plus qu’urgent de relire Boissel. Son projet de cité enfin propre semble plus que jamais à l’ordre du jour. Son rêve est de faire admettre une fois pour toutes aux hommes, plus que la parité entre eux et les femmes, la cession aux femmes de la responsabilité de pans entiers de la construction sociale et urbaine, sans quoi les fléaux typiquement genrés du fanatisme religieux des hommes, des pouvoirs masculins et de la guerre virile continueront de polluer et pour longtemps le monde dans sa désorganisation écologique, dans ses inégalités sociales, dans ses injustices contre les femmes plus particulièrement.
Notes de bas de page
1 François Boissel, Discours contre les servitudes publiques, Paris, 1786, édition publiée à l’identique, revue et préfacée par Pierre Antoine Courouble, Les Presses du Midi, Toulon, 2007 (désormais présenté sous la forme DCSP), p. 39.
2 Cf. Le matérialisme du xviiie siècle et la littérature clandestine, Olivier Bloch, dir., Paris, Vrin, 1982.
3 Pierre Serna, Antonelle, aristocrate et révolutionnaire, 1747-1817, Paris, Le Félin, 1997.
4 Je n’ai jamais considéré que la majorité faisant masse, qu’elle était le vrai et la raison ; elle est dans une république démocratique et lorsque les élections sont libres et les citoyens pleinement éclairés la figure du légal, à laquelle chaque citoyen se soumet tant que les élections ne remettent pas en cause le pacte républicain de façon grave. Cependant, j’ai toujours recherché les isolés, les sans voix, les excentriques, les pauvres, les rejetés, les parias, comme miroir déformant-reformant du réel. Ni par goût de l’original pour l’original, mais parce que, lecteur de Carlo Ginzburg et de Michel Foucault, je demeure convaincu que c’est sur les marges que se trouve une vérité possible, là où il n’y a plus de parole ou presque, dans le monde où l’humanité côtoie l’animalité, au cœur du matérialisme historique.
5 Cf. Caroline Fick, Haïti, naissance d’une nation. La révolution de Saint-Domingue vue d’en bas, Rennes, Les Perséides, 2014 (1re éd. 1990) et Laurent Dubois, Les vengeurs du nouveau monde. Histoire de la Révolution haïtienne, Paris, Les Perséïdes, 2005 (1re éd. 2004).
6 Pierre Serna, « Toute révolution est une guerre d’indépendance » in Pourquoi faire la Révolution, Marseille, Agone, 2012, avec J.-L. Chappey, B. Gainot, G. Mazeau et F. Régent, p. 19-49.
7 Jean Jaurès, Histoire socialiste de la Révolution française, tome sixième, Le gouvernement révolutionnaire, chapitre premier, « Les idées sociales de la Convention », « Idées sur la propriété, Maréchal Boissel », édition revue et annotée par Albert Soboul, Paris, Messidor-Editions sociales, 1986, p. 87-89. Et A. Lichtenberger, Le socialisme et la Révolution française, Paris, Alcan, 1899.
8 Jean-Numa Ducange, « Contributions à la genèse du socialisme moderne : François Boissel, par le Dr Carl Grünberg (Vienne) », Annales historiques de la Révolution française [En ligne], 362 | octobre-décembre 2010, mis en ligne le 1er décembre 2013, consulté le 3 février 2015. URL : http://ahrf.revues.org/11892.
9 Albert Soboul, « Lumières, critique sociale et utopie pendant le xviiie siècle français », Histoire générale du socialisme. Paris, PUF, 1972, t. I. Voir aussi Annie Rosemberg, Boissel, recherche sur l’utopie égalitaire à l’époque de la Révolution française, Maîtrise de Paris I, sous la direction d’Albert Soboul, 1970. Sans oublier également les travaux antérieurs et dans un cadre différent de S. Safronov, François Boissel, Jacobin et communiste, Leipzig, 1961.
10 Jonathan Israel, Revolutionary Ideas : An Intellectual History of the French Revolution from The Rights of Man to Robespierre, Princeton, Princeton University Press, 2014.
11 Voir, Richard, GOMBIN, Les origines du gauchisme, Paris, Seuil, 1971.et M. Takahashi, « François Boissel et ses principes de l’égalité en 1789 », proposition de thèse, sous la direction d’Albert Soboul, Tokyo, Chuo University Review, 1983.
12 Serge Deruette, « Sur le curé Meslier, précurseur du matérialisme », Annales historiques de la Révolution française, Année 1985, vol. 262, no 262, p. 404-425.
13 Pierre Antoine Courouble, « François Boissel, le Jacobin oublié », Annales historiques de la Révolution française, no 362, 2010, p. 151-174.
14 Boissel s’inscrit dans ce mouvement réformateur et utopique à la fois qui, à la suite des écrits de Mercier sur l’an 2440, imagine la reconstruction de la ville comme le sésame aux maux de la civilisation et n’a de mots assez durs contre la croissance arbitraire des villes qui a provoqué un authentique chaos social après 1750, ne faisant que plonger dans la misère une part toujours plus grande de la population. Louis-Sébastien Mercier, L’an 2440, rêve s’il en fut jamais, Paris 1771, rééd. La Découverte, 1999.
15 Mona Ozouf, L’École de la France : Essais sur la Révolution. L’Utopie et l’enseignement, Paris Gallimard, 1984. Voir le fort beau chapitre sur l’architecture de Ledoux et ses plans de ville utopique.
16 Gaël Rideau et Pierre Serna, dir., Ordonner et partager la ville xviie-xixe siècle, Rennes, PUR, 2011 ; Cécile Gintrac et Mathieu Giroud, Villes contestées. Pour une géographie critique de l’urbain, Paris, Les Prairies ordinaires, 2014 et Daniel Roche, dir., La ville promise. Mobilité et accueil à Paris (fin xviie-début xixe siècle), Paris, Fayard, 2000.
17 Murielle Gagnebin et Julien Milly, dir., Les images honteuses, Seyssel, Champ Vallon, 2007, constitue une remarquable introduction à une façon de penser la honte et ses systèmes.
18 Sabine Barles, L’invention des déchets urbains : France 1790-1970, Seyssel, Champ Vallon, 2005. Sur la légitimité de l’utilisation de ce terme voir Dominique Laporte, Histoire de la merde, Paris Bourgois, 1978, et Victor Hugo « Cambronne » in Les misérables, I, XV, Paris, Livre de poche, 1985, 1862 1re éd.
19 Thomas Leroux dans Le laboratoire des pollutions industrielles, Paris, 1770-1830, Paris, Albin Michel, 2011 explique les contradictions d’une cité qui se veut le phare de la régénération du monde, et qui pour des raisons stratégiques enferme ses industries militaires dans ses murs, au risque d’une pollution sans pareille.
20 … Au risque de la catastrophe industrielle comme l’explosion de fructidor an II à Grenelle étudiée par Malik Diallo dans « Paris capitale de guerre (1792-1794) », thèse de l’École des Chartes soutenue en 2012 (P. Serna, dir.). L’explosion advient le 31 août 1794, à Vaugirard dans la plaine de Grenelle. 2000 ouvriers, concentrés dans un espace restreint, fabriquent de la poudre pour les munitions des armées de la République. L’explosion de bon matin provoque plus de 1000 morts parmi les employés et la population voisine et trois fois plus de blessés. C’est encore à ce jour la plus grave catastrophe industrielle de l’histoire de la capitale.
21 Pierre Serna, « Surveiller les animaux et contrôler les citoyens, ou comment policer les bêtes pour mieux hiérarchiser les humains entre 1789 et 1799 », Annales Historiques de la Révolution française, 2014, vol. 377, no 3, p. 109-144. Michel Foucault a décrit cette archéologie politique qui réalise en un même mouvement la protection et la surveillance des citoyens, thème structurant de son œuvre jusque dans ses dernières leçons au Collège de France et plus particulièrement in Sécurité, territoire, population, Paris, Gallimard, EHESS, 2004. Anne Jollet, Hygiène et salubrité publique des rues de Paris à la fin du xviiie siècle, mémoire de maitrise, sous la dir. de Daniel Roche, Paris I Panthéon Sorbonne, 1980. Voir aussi les nouvelles perspectives tracées par Grégory Quenet dans Qu’est ce qu’une histoire de l’environnement ?, Seyssel, Champ Vallon, 2014.
22 Déborah Cohen, « Vivre comme des chiens ? La vie animale comme modèle et anti-modèle, après l’an II », Annales Historiques de la Révolution Française, vol. 377, no 3, 2014, p. 59-79.
23 Arlette Farge, La Vie fragile : Violence, pouvoirs et solidarités à Paris au xviiie siècle, Paris, Points Seuil, 1986 (rééd. 2007).
24 Boissel, DCSP, op. cit., p. 12.
25 Paolo Napoli, Naissance de la police moderne, Paris, La Découverte, 2007.
26 Laurent Turcot, Le promeneur à Paris au xviiie siècle, Paris, Gallimard – Le Promeneur, 2007.
27 Boissel, op. cit., p 2-3.
28 Sabine Barles, La ville délétère : Médecins et ingénieurs dans l’espace urbain, xviiie-xixe siècles, Seyssel, Champ Vallon, 1999. Alain Corbin, Le miasme et la jonquille. L’odorat et l’imaginaire social, xviiie-xixe siècles, Paris, Aubier Montaigne, 1982.
29 Boissel, DCSP, op. cit., p. 7-9.
30 Ibid., p. 31.
31 Ibid., p. 40.
32 … thème structurant la pensée de Jean Valjean s’engloutissant dans les égouts de Paris pour échapper à la police. Voir aussi Pierre-Denis Boudriot, « Les égouts de Paris aux xviie et xviiie siècles. Les humeurs de la ville préindustrielle », Histoire, économie et société, 1990, vol. 9, no 9-2, p. 197-211.
33 Boissel, DCSP, op. cit., p 36-37.
34 Antoine Lilti, Le monde des salons. Sociabilité et mondanité à Paris au xviiie siècle, Paris, Fayard, 2005.
35 André Guillerme, Les temps de l’eau : la cité, l’eau et les techniques, Nord de la France, fin iiie siècle-début xixe siècle, Seyssel, Champ Vallon, 1983.
36 Boissel, DCSP, op. cit., p. 42.
37 Sur ce rapport entre excrément, nourriture et valeur, le lecteur du xxie siècle ne peut qu’être interpellé et comprendre, comme d’aucuns ont pu voir vu dans d’autres écrits, les formes d’une archéologie du communisme dans le système de Boissel. Ici, on pourrait repérer les formes originelles de l’économie psychanalytique mise à jour par Freud, liant l’excrément à une valeur d’échange affectif, structurant une étape importante de la maturité de l’enfant et de son rapport au monde. Cf. Sigmund Freud, Introduction à la psychanalyse, Payot, coll. « Petite bibliothèque Payot », ⮣ 1916 (réimpr. 1960), traduit de l’allemand par Serge Jankélévitch et pour une critique de ce rapprochement entre argent et merde, voir Félix Guattari, Écrits pour l’anti-Œdipe, Paris, Léo Scheer, coll. « Lignes & Manifeste », 2004.
38 Stéphane Lojkine, « Le matérialisme biologique du Rêve de D’Alembert », Littératures, no 30, printemps 1994, PUM, Toulouse, p. 27-49.
39 Ce n’est pas un mince problème que soulève Boissel à ce moment précis où la France ayant libéré les échanges avec l’Angleterre se voit directement concurrencée par un pays qui a largement adopté le système des prairies artificielles, sources d’enrichissement de la terre. La question des fumures et de la valorisation de la terre est sans cesse posée aux meilleurs savants du royaume. François Hilaire Gilbert, Traité des prairies artificielles ou Recherches sur les espèces de plantes qu’on peut cultiver avec le plus d’avantage en prairies artificielles, dans la généralité de Paris, et sur la culture qui leur convient le mieux [couronné en 1787 pour le prix proposé par la Société royale d’agriculture le 30 mars 1786], Paris, Impr. de la Ve d’Houry et Debure, 1789.
40 Boissel, DCSP, op. cit., p. 51.
41 Ibid., p. 57-66.
42 Voir de François Boissel, Les entretiens du père Gérard sur la constitution politique et le gouvernement révolutionnaire du peuple français, Paris, Société des Jacobins, avril 1793, rééd. 2007. Je me propose d’approfondir prochainement cette place de la femme dans l’œuvre de Boissel, fort de la bibliographie de travail de Martine Lapied à qui ces quelques pages sur Boissel sont amicalement dédiées. Voir Geneviève Dermenjian, Jacques Guilhaumou, Martine Lapied, dir., Femmes entre ombre et lumière. Recherches sur la visibilité sociale (xvie-xxe siècles), Paris, Publisud, 2000. Martine Lapied, « Une absence de révolution pour les femmes ? », in Michel Biard, dir., La Révolution française. Une histoire toujours vivante, Paris, CNRS éditions (réédition), 2014, p. 303-316, et « L’autre Panthéon : femmes et héroïsation sous la Révolution française », in Serge Bianchi, dir., Héros et héroïnes de la Révolution française, Paris, CTHS, 2012, p. 81-95, entre autres.
Auteur
Paris I Panthéon Sorbonne, IHRF/UMS 622, IHMC
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
À l’ombre des usines en fleurs
Genre et travail dans la parfumerie grassoise, 1900-1950
Coline Zellal
2013
Familles en mouvement
Migrations et parentalité en Méditerranée
Constance De Gourcy, Francesca Arena et Yvonne Knibiehler (dir.)
2013
La place des femmes dans la cité
Geneviève Dermenjian, Jacques Guilhaumou et Karine Lambert (dir.) Geneviève Knibiehler (trad.)
2012
Genre Révolution Transgression
Études offertes à Martine Lapied
Anne Montenach, Jacques Guilhaumou et Karine Lambert (dir.)
2015
Agir pour un autre
La construction de la personne masculine en Papouasie Nouvelle-Guinée
Pascale Bonnemère
2015
Des pères « en solitaire » ?
Ruptures conjugales et paternité contemporaine
Agnès Martial (dir.)
2016
Femmes, féminismes et religions dans les Amériques
Blandine Chelini-Pont et Florence Rochefort (dir.)
2018
État-nation et fabrique du genre, des corps et des sexualités
Iran, Turquie, Afghanistan
Lucia Direnberger et Azadeh Kian (dir.)
2019
L’engagement politique des femmes dans le sud-est de la France de l’Ancien Régime à la Révolution
Pratiques et représentations
Martine Lapied
2019